samedi 28 mars 2020

Juvenia de Nathalie Azoulai



Surprise ! Aucun des romans précédents de Nathalie Azoulai ne nous laissait prévoir qu'elle put nous offrir un roman drôle ET coquin. Ni son prix Médicis en 2015 et encore moins "Les spectateurs"  en 2018 ne permettait de penser que son imaginaire littéraire irait jusqu'à nous proposer une fable d'anticipation où l'on se goinfrerait, entre autre, de vieux clitoris avec gourmandise.
Sur un ton résolument féministe, "Juvenia" , tout en rendant un hommage appuyé à tout un pan de la littérature du XVIIIème siècle, se pose en parfaite réaction au phénomène Meetoo. Imaginez qu'une république européenne, vienne à légiférer sur le mariage en empêchant les hommes d'épouser des femmes de plus de vingt ans leur cadette. La société en est chamboulée. Les couples illégitimes sont arrêtés et placés séparément dans des camps de rééducation et les enfants issus de ces mariages placés en institution. Terrible direz-vous ? Oui dans un sens pour ces proscrits et pour la société car il va falloir s'aimer entre personnes de la même génération. Non, dans un autre sens, car toute une population de femmes délaissées, en général à partir de la cinquantaine, va retrouver petit à petit une vie de plus en plus riche, surtout sexuellement...
Très court ( 120 pages), très cru ( on appelle une bite une bite), très satirique ( le conte permet de grossir le trait avec humour ), très écrit ( style évoquant les écrivains libertins du siècle des Lumières ), très critique ( normal, un regard féministe et critique sur nos sociétés court tout au long des pages), "Juvénia" se lit d'une traite avec un très grand plaisir. On en sort revigorer, ardent et heureux de voir une auteure sortir ainsi de sa zone habituelle de confort avec talent. 

🌞🌞🌞🌞/5

jeudi 26 mars 2020

Romance de Arnaud Cathrine


Ce livre ne m'était pas vraiment destiné et je n'en savais rien. J'avais juste vu dans un magazine qu'Arnaud Cathrine sortait un nouveau roman. Et comme j'aime son écriture, je me précipite chez mon libraire pour l'acquérir séance tenante. J'ausculte les piles de nouveautés, rien. Je regarde sur le rayonnage "nouveautés", endroit où les titres sur lesquels éditeurs et libraires ne comptent pas faire un gros chiffre de vente attendent un futur retour à l'envoyeur, d'où leur présence sur tranche en un unique exemplaire, rien! J'avise ma libraire... Froncement de sourcil... "Il a une nouveauté lui ? "... Recherche sur ordi. Et.. "Oui ! C'est au rayon jeunesse!". Jeunesse ?! "Vous savez,( heu, non) il écrit aussi pour les ados ! "A la place du coeur" a bien marché. " Je ne connais décidément pas tout de la production de cet auteur... Au rayon jeunesse, au milieu de couvertures aux photos aguichantes ou connotées problèmes actuels, le but de ma recherche à la couverture très Jean Cocteau ( quel ado d'aujourd'hui le connaît ? ) s'offre à moi. J'hésite un instant. Cette " Romance" est-elle vraiment destinée au soixantenaire que je suis? Allez hop, je le prends, un coup de jeune me fera du bien !
Je l'avoue, j'avais un doute...Le livre a traîné un peu dans ma pile à lire et puis, je me suis décidé à l'ouvrir.
L'avantage avec un roman pour ado, quand on est un lecteur adulte, c'est que ça se lit vite. Trop vite peut être, car, il faut l'avouer, j'ai passé un très agréable moment. Pendant 300 pages j'ai été en adolescence et c'est bien agréable. C'est un âge de tous les possibles, où un premier amour, comme celui qui nous est conté, se retrouve surdimensionné. Et quand celui-ci s'achève, on croit qu'on va mourir. La plume alerte d'Arnaud Cathrine raconte cela en jouant avec les formes de texte ( tout l'attirail de communication de nos ados y est judicieusement inclus, sms, photos, Insta..., mais aussi listes, extraits de journal intime, ...), mêlant un humour et un regard bienveillant. Bien sûr le héros, Vincente, évolue dans un milieu relativement privilégié et surtout ouvert, lui permettant à la fois de passer des vacances naturistes aux Canaries en hiver comme de désirer ouvertement, face à sa mère ou à ses amis, vouloir tomber à tout prix amoureux d'un garçon. Mais ça fait du bien de lire une telle histoire, dépoussiérée de beaucoup de clichés et surtout pouvant servir à des lecteurs ados pour qui l'homosexualité peut être encore un réel problème à cause d'un certain isolement ou d'une étroitesse d'esprit de leur entourage. Et quand en plus c'est écrit avec un vrai talent, il serait peut être idiot pour un lectorat plus âgé de ne pas profiter de cette petite gourmandise fort bien troussée qui nous permet de pénétrer un univers dont on peut se sentir éloigné. C'est un des intérêt des romans non ?
🔆🔆🔆🔆/5

mardi 24 mars 2020

Le complexe de la sorcière de Isabelle Sorrente



Ce nouveau roman d'Isabelle Sorente m'a furieusement rappelé ces boutiques hybrides qui ouvrent dans ces quartiers de capitales européennes en voie de boboïsation, vous savez, ces échoppes qui font à la fois salon de thé ( rooibos bio en vedette), magasin déco et fleuriste ( rarement charcuterie, cordonnerie, bar...). La devanture vaguement pimpante à des allures fifties, on y trouve deux trois tables de récup entourées de chaises de cuisine dépareillées et une propriétaire trentenaire, ex cadre d'une entreprise du CAC 40, à la coiffure improbable ( couleur et coupes semblant maison mais on peut soupçonner le maison Dessange d'avoir flairé le créneau) et habillée d'un mix ethnique coloré ( sarouel multicolore sur haut Vanessa Bruno). Elle aborde le client avec une certaine déférence qui se relâchera lorsqu'elle aura senti que vous venez du même monde. Là, on pourra la trouver drôle, conviviale, peut être vaguement piquée. On se sentira bien dans sa boutique à siroter un café ( bio) produit par des agriculteurs colombiens justement rémunérés. Elle entamera une discussion sympa où tous les thèmes du moment seront recyclés de façon doucement émotionnelle. Au début, on ne tique même pas à certains tics de langage issus du bric à brac ésotérique actuel. Si le courant passe, on aura même droit à sa bio détaillée qui nous passionnera et nous fera sentir que nous ne sommes pas loin d'entrer dans une sorte de cercle intime, celui du client privilégié. Et puis, notre regard tombe sur quelques cartes de visites nonchalamment posées sur le joli bureau servant de comptoir, vantant des thérapeutes très alternatifs...
"Le complexe de la sorcière"  procède de la même impression. Le roman est aussi une autobiographie et un essai. On y trouve dedans toute une accumulation de thèmes à la mode, de la psychanalyse au harcèlement des adolescents, de la place de la femme dans la société à la méditation, ce zest de bouddhisme indispensable à tout cadre surmené en recherche de supplément d'âme. Mais Isabelle Sorente y ajoute sa petite touche originale ( c'est souvent cette touche qui fait la différence) : la sorcière ! ( on sent que le succès de Mona Chollet fait des émules ! ) 
Avouons-le, il est difficile au début de ne pas sourire du postulat de départ du roman. Une sorcière apparaît dans les rêves de la narratrice et celle-ci se demande si toutes ces femmes brûlées, torturées durant des siècles au prétexte de leurs pouvoirs démoniaques, n'hantent pas l'esprit des femmes d'aujourd'hui, libérant des angoisses bien actuelles, voire dirigeant leurs vies,  mais dont les origines sont à chercher dans la transmission souterraine de ces souffrances au fil des générations. Isabelle Sorente y croit dur comme fer, se plonge dans toute la littérature disponible laissée par les inquisiteurs. C'est bien écrit, pas antipathique mais on se dit dans cette première partie qu'elle est peut être un peu piquée. 
Puis arrive une deuxième partie, sur son adolescence chahutée par un harcèlement scolaire qui a duré quelques années. L'idée de sorcière disparaît quasi complètement dans ce récit émouvant et accrocheur. On a l'impression que les circonvolutions avec balai volant du début n'étaient que prétexte pour arriver à cette confession intime fort bien transcrite. Mais hélas, cela ne va pas durer. Ou plutôt, une fois accroché, revient tout le fourbi ésotérique, à coup de méditation, de spiritualité de bazar. Il y sera question de pardon ( notion pas mal religieuse), puis d'amour ( celui qui unit une femme à un homme) guidé par ce qu'elle nomme un inquisiteur. Ce prêchi-prêcha un peu alambiqué mais surtout vain, apparaît comme un portrait de petites bourgeoises sympathiques mais un poil portées sur leur nombril. Quant à la "sorcière", voire "l'inquisiteur" qui les poussent  à se poser tant de questions sur leurs comportements féminins, ne serait-il pas plus simple de le nommer patriarcat ? Car, au final, c'est d'une combat féministe remontant à la nuit des temps dont il est réellement question dans ce livre. Je ne suis pas certain qu'en noyant le poisson dans un galimatias ésotérique, on fasse avancer réellement les choses. Appelons un chat, un chat, des comportements sociétaux induits par le  patriarcat par leur vrai nom, sans convoquer démon et moine bouddhiste dont on est certain qu'ils ne feront qu'entraver la volonté de s'émanciper. 

🔆🔆/5

vendredi 20 mars 2020

La golf blanche de Charles Sitzenstuhl


Un premier roman, sans aucun doute très autobiographique, autour d'une enfance plutôt malheureuse à cause d'un père qui fait régner la terreur dans la maison familiale, on se dit : encore un qui fait sa thérapie via une publication ( chic) chez Gallimard. C'est pratique, ça peut rapporter une (vague) notoriété, voire quelques sous, certainement des invitations dans les multiples salons du livre français ( raté! le covid 19 fait tout annuler). Ce ne sera hélas pas le dernier à prendre sa vie comme sujet de roman et sortir un peu du lot des nombreuses publications qui l'ont précédé devient un vrai challenge. 
Sans réelle conviction on ouvre le livre. Très vite, à l'image du narrateur, on se sent mal à l'aise. On ressent une tension sourde se faufiler au fil des pages. Le roman, écrit avec une simplicité exemplaire, jamais un mot plus haut que l'autre ( à la différence du père à la violence rentrée), nous conduit sans esbroufe sur les chemins d'une enfance malmenée. Tout sonne juste, vrai et nous empoigne. La torture psychologie que cet homme impose à son épouse, ses enfants, nous est décrite au plus juste, au plus près. Nous sommes dans la tête de Charles (le héros, l'auteur ...). Nous éprouvons ses souffrances, nous comprenons ses silences car la révolte est difficile à envisager quand on est un enfant ou un pré-adolescent. 
La lecture de "La Golf blanche"  semble ne pas être une partie de plaisir... Mais quand un auteur parvient à nous faire ressentir aussi intensément ce mal-être, cette violence sournoise qu'endure un enfant, une famille, on se dit que le pari est largement gagné.  Le lecteur a été l'espace de 200 pages un enfant maltraité, ce n'est pas plaisant, mais c'est le but des bons livres. 

🔆🔆🔆🔆/5

mardi 17 mars 2020

Lake Success de Gary Shteyngart


Il y a tout dans ce roman pour en faire le grand récit de l'Amérique de Donald Trump. Le héros, trader sans foi ni loi, mais ayant toutefois un tendon d'Achille complexifiant son image de favorisé vivant dans un 450 m2, son épouse ( forcément une liane ravissante ) qui découvre lors de la campagne de l'élection de Trump, combien elle hait ce système fait de fric et de suffisance imbécile et accessoirement son mari, sont les deux pierres angulaires de cette plongée dans les USA de tous les extrêmes. Ces deux là vont connaître durant tout le roman les affres de la remise en question. Lui, en quittant tout pour rejoindre en car Greyhound, sans sa carte bancaire black ni son smartphone, une ancienne liaison vivant au bord de la frontière avec le Mexique, elle, en quittant son mari et en découvrant une autre façon de voir la vie tout en accompagnant un enfant autiste ( mais dans le luxe tout de même). Durant leurs périples, ils rencontreront pour l'un l'Amérique des damnés, des pauvres, des laissés-pour-compte, des non-blancs pour l'autre...le dégoût du capitalisme.
On retrouve dans ce livre ce qui fait la force du roman américain, cette façon de densifier un récit en s'attachant au moindre détail, rendant tout tellement réel. On s'attache aux deux personnages malgré leur nombreux défauts ( mais ce sont de beaux riches avec des failles, cela doit aider) , on apprécie cette pointe d'humour sarcastique qui donne un peu de recul salvateur à cette chronique d'aujourd'hui. Mais, le roman ne tient pas tout à fait la longueur et ses promesses. Les derniers chapitres apparaissent moins inspirés, moins intenses, comme si l'auteur ne savait pas trop comment achever cette histoire, restant dans un consensus mou, oubliant l'humour noir du début, préférant un vague happy-end assez consensuel,  démolissant l'espoir d'un grand roman contemporain âpre, cynique sur l'Amérique pré-Trump. 

🔆🔆🔆/5

jeudi 12 mars 2020

Un fils de Mehdi M. Barsaoui


Décidément le cinéma tunisien démontre au fil des mois sa capacité à nous présenter des oeuvres  intéressantes et originales, la dernière en date "Sortilège" d'Ala Eddine Slim est un véritable petit chef d'oeuvre de symbolisme et d'images fortes ( n'y voit-on pas, entre autre, un homme poilu donner le sein à un bébé? ). Beaucoup moins novateur dans sa forme, "Un fils"  au travers d'un drame intime, se confronte tout de même aux trafics d'organes, sujet pas vraiment exploité au cinéma. Efficacement scénarisé, ménageant des rebondissements constants, le film creuse un sillon tout à la fois mélodramatique et politique. Même si parfois la réalisation pêche parfois par un trop grand classicisme ( froideur?), n'arrivant pas toujours à bien amalgamer grande et petite histoire personnelle, le récit accroche le spectateur grâce à l'interprétation sans faille de Nadja Ben Abdallah et de Samir Bouajila ( prix d'interprétation au dernier festival de Venise), vraiment au service de cette histoire à haute tension. 

mercredi 11 mars 2020

La bonne épouse de Martin Provost


Dans le sillage de cette nouvelle et nécessaire vague féministe, "La bonne épouse" , comédie française calibrée et enfilant avec bonne humeur beaucoup de clichés, rappelle toutefois que le combat des femmes part de vraiment très loin. Emporté par un trio épatant de comédiennes déchaînées ( Juliette Binoche en tête, qui, malgré ses nombreux rôles dramatiques dans les films de réalisateurs classieux, nous emporte grâce à son exceptionnel sens du rythme et de l'abattage), cultivant un certain esprit vintage fort plaisant ( nous en sommes en 1968, année politique s'il en est) , le film se déguste comme une petite friandise agréable. On passera vite sur les personnages très archétypaux des jeunes pensionnaires pour se laisser entraîner par cette fantaisie sur la  libération féminine qui ose prendre, sur la fin, un ton de comédie musicale ( que les amateurs apprécieront).


mardi 10 mars 2020

Panne de secteur de Philippe B. Grimbert


Sur un sujet original : le rôle de la sectorisation scolaire parisienne sur le quotidien d'une famille bobo, Philippe B. Grimbert, s'essaie à nous tisser un roman à la fois drôle et sarcastique ....à moins que ce ne soit triste et lucide sur cette projection, forcément fatale à long terme, à désirer un avenir obligatoirement brillant pour sa progéniture. Tous les moyens sont bons pour accéder aux collèges et lycées les plus côtés de la ville. Bien que que Bérénice, la jeune élève du roman, possède quelques capacités ( et une grande docilité ) à se fondre dans le moule convoité par ses géniteurs, la vie se chargera à ses dépends de la fracasser devant l'autel d'une pseudo réussite. 
Le récit, mêlant à la fois l'observation finaude d'une famille éprise de réussite sociale et un regard ironique, se noie un peu trop dans un phrasé assez ampoulé. L'ensemble reste agréable à lire, mais ne s'arrache jamais de son sujet pour l'emporter vers quelque chose de vraiment littéraire. Un peu anecdotique mais pas déplaisant.

🔆🔆🔆/5

lundi 2 mars 2020

Sombres résurgences de JB Leblanc


Ce thriller français n'a rien à envier à ses homologues Anglo-Saxons. Intrigue bien menée, personnages fouillés et complexes et un serial-killer particulièrement pervers. Trop peut être ? Il faut dire que dans l'horreur, même si les scènes ne sont pas nombreuses, l'auteur n'y va pas de main morte. Rien ne sera épargné au lecteur ( âmes sensibles passez votre chemin). La découpe à vif des victimes laisse comme une impression de sadisme assumé. Etait-ce bien nécessaire ? Le lecteur en demande-t-il autant ? Dérangeant quand même ... Cependant, avouons que "Sombres résurgences"  reste un polar fort bien fait et tout aussi bien écrit que l'on dévore.

🔆🔆🔆/5

dimanche 1 mars 2020

Cyrille, agriculteur,30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes de Rodolphe Marconi



Sans l'ombre d'une fioriture, on suit le quotidien de Cyrille, jeune agriculteur auvergnat qui survit dans une ferme qui se trouve dans l'impossibilité de lui procurer le moindre salaire. Le sujet, devenu soudain cinématographique du fait du succès de " Petit paysan" ou " Au nom de la terre" , pourrait paraître surfer dans le sillage de ces deux films, mais il n'en est rien. Totalement sincère autant par le regard du cinéaste que par la présence sensible de Cyrille qui nous fait partager autant sa vie, ses soucis, ses doutes que son intimité, le film distille à chaque plan une émotion de plus en plus forte. En évitant tout pathos, en misant sur la justesse du regard et l'authenticité du portrait, " Cyrille"  nous bouleverse profondément, durablement, où acharnement et solitude se mêlent avec un désespoir qui sourd à chaque image, à chaque parole. Un film déchirant qui balaie les fictions précédemment produites sur ce même thème.

🔆🔆🔆🔆/5