lundi 29 juin 2020

Haine pour haine de Eva Dolan


Peterborough en Grande Bretagne serait une ville peut être très accueillante, mais la formation d'une unité spéciale pour crime raciste dans la police locale laisse penser que comme lieu de villégiature, il vaut choisir une autre destination. Et en effet, un fou furieux au volant d'une Volvo a décanillé trois travailleurs étrangers patientant gentiment de bon matin à un abribus. 
Le roman va décrire par le menu le travail d'enquête de cette brigade et s'attacher surtout aux pas du duo constitué par l'inspecteur Zigic et sa coéquipière, le sergent Ferreira. Classique dans son récit essentiellement basé sur le routinier et compliqué travail de la police, "Haine pour haine"  décrit avec brio ce quotidien fait de doutes et surtout (ici) de fausses pistes et, histoire de donner un peu de chair à ses héros, un tout petit peu de leur intimité. La thématique des crimes racistes, ici très présente, permet d'aborder les relations internationales et les problèmes de migrations, tout en consignant avec assez de justesse le rôles des média ainsi que celui des partis politiques populistes aux accents plus que nauséabonds. Les pages se tournent à grande vitesse tellement les faits et les rebondissements s'enchaînent. Toutefois, le dernier quart marque un peu le pas, le lecteur s'essouffle comme les enquêteurs et le final arrive, un peu précipité, sans grande originalité ( surtout accentué par cette scène désormais cliché que l'on trouve dans beaucoup de polars où le  tueur se confesse longuement alors qu'il est sur le point de se faire arrêter ou descendre). 
Pris séparément, le deuxième roman d'Eva Dolan, laisse une très bonne impression mais si par hasard vous aviez lu le précédent " Les Chemins de la haine", vous aurez peut être l'impression d'un redite...en moins bien. 

mardi 23 juin 2020

Les Mains Vides de Valerio Varesi

On dit souvent que le lecteur de polar aime ce genre pour la détente que ça peut lui apporter... Il n'est pas certain qu'en refermant "Les Mains Vides", il soit vraiment détendu car son moral en aura pris un coup. Certes, il aura visité la ville de Parme, copieusement décrite ( façon balade de guide touristique...mais sans la cité sous les yeux hélas...) au gré des déambulations du commissaire Soneri, homme ancré dans un passé qui peut parfois le faire passer pour un vieux ratiocineur genre " C'était mieux avant".
Quand on voit ce que semble devenir cette ville du nord de l'Italie, on peut être d'accord avec le héros de Valerio Varesi. Imaginez un vieux morceau de Parmesan que vous auriez laissé au soleil d'un été caniculaire et qui en plus de suinter lamentablement, verrait la pourriture s'installer petit à petit. Vous avez l'image exacte de ce que décrit l'auteur. A partir du meurtre d'un commerçant du centre ville ( enquête dont l'issue ne semble pas franchement intéresser l'auteur), le récit s'ingénie à décrire  comment la société libérale, a fait naître quelques mafias ( en Italie, c'est aussi une spécialité ) jouant sur l'égoïsme et l'envie de paraître d'une population obnubilée par l'argent, qui,  depuis quelques temps sont chahutées, doublées par une mafia en col blanc acoquinée à un pègre d'origine albanaise ( les nouveaux gros méchants des polars). Le récit est glaçant ( malgré la température ambiante qui fait dégouliner tous les protagonistes du livre), guère rassurant et ce n'est pas le final qui rattrape cette triste impression. On ne rit donc pas une seule fois chez Varesi. Par contre, on y trouve une jolie mélancolie qui traîne parmi les pages et un regard politique acéré. On peut regretter ici ou là des morceaux un peu trop symboliquement appuyés, ( l'accordéoniste, l'orage )  mais le roman se lit avec intérêt et rappelle que le polar aime à se frotter à la dure réalité de nos sociétés, parfois, bien mieux qu'un roman classique voire qu'un essai. C'est ici le cas et c'est fait avec talent.

lundi 22 juin 2020

La dame de Reykjavik de Ragnar Jonasson



Petit changement d'univers pour les lecteurs de Ragnar Jónasson. Ils quittent le sympathique Ari Thór, héros d'une série intitulée "Dark Island" ( bon, soyons honnête, il y a bien plus sombre dans le polar scandinave ) qui a ravi un lectorat aimant les romans policiers softs, pour suivre Hulda, inspectrice un peu solitaire et à la veille de prendre sa retraite. 
Si le roman continue à nous faire pénétrer dans la vie des islandais, on sent que l'auteur a envie de passer à une vitesse supérieure tant dans l'intrigue que dans la narration. On laisse ( un peu) de côté les meurtres à l'Agatha Christie qui faisaient le charme de ses précédents opus, pour plonger dans une introspection psychologie plus dense autour de sa nouvelle enquêtrice et dans une affaire un peu plus noire puisque, à l'instar de beaucoup de ses collègues suédois, nous toucherons des sujets autour de l'immigration et des réseaux de prostitution. Vous rajoutez un récit avec de nombreux flash-backs et vous obtenez un Jónasson aux allures plus denses. 
Malgré cette petite complexité, la lecture de "La dame de Reykjavik"  reste facile et agréable. Dans la première moitié, elle apparaît même un peu prévisible avec ses petits rebondissements assez habituels. Mais, et c'est sans doute là, l'essentiel de l'intérêt de ce roman, alors que l'on croyait rouler douillettement avec une intrigue ultra classique, la dernière partie va s'emballer un peu plus, prendre un chemin que l'on n'avait pas trop vu venir et surtout s'achever d'une façon assez inattendue. 
Alors, pour ce twist final, mais aussi pour le côté confortable et moelleux du livre, on peut donc conseiller ce premier tome de la nouvelle trilogie de Ragnar Jónasson ... Les amateurs de thriller gore passeront sans doute leur chemin, mais ils le savaient déjà. 

jeudi 11 juin 2020

Marche blanche de Claire Castillon


Ca démarre un peu comme un thriller psychologique, mais le suspens n'est sans doute pas la principale qualité de ce roman. Certes, Claire Castillon essaie de maintenir une certaine pression sur le lecteur, l'invitant à l'interroger sur son héroïne, sur l'issue de son éprouvant calvaire suite à disparition non élucidée de sa petite fille dix années auparavant. Mais, très vite on perçoit assez bien ce que sera ( en partie) le final. 
Le réel intérêt de "Marche blanche" réside dans la faculté que possède l'auteure à épouser, ressentir au plus profond, les sentiments de cette femme, à recréer tout un espace psychologique particulièrement précis et nous donner à toucher une réalité brute. De petits faits particulièrement saillants à d'autres glissés comme en filigrane, l'intrigue s'épaissit de plus en plus au fur et à mesure que de déroule le récit. Mais petit à petit, ayant deviné le fin mot de la chose, le lecteur bascule, non pas dans l'ennui ( sauf si c'est un lecteur de suspens pur et dur qui flaire l'embrouille) mais dans les méandres d'un portrait de femme qui se révèle, pour peu que l'on y soit attentif, construit de façon réellement passionnante. 
Sans rien divulgacher, il est certain que l'on est quand même un peu déçu par la fin, surtout quand on la voit venir comme un car de la police lors d'une manifestation de thanatopracteurs réclamant une meilleure prise en charge de leur détresse face à la crise actuelle, mais on gardera de ce court roman, ce moment très déstabilisant passé dans la tête d'une femme slalomant entre les débris d'un cerveau démantibulé par la disparition de sa petite fille. 

mardi 9 juin 2020

Vanda de Marion Brunet


Il y a quelques siècles maintenant, le roman social, c'était une grande fresque charriant un groupe de personnages pris dans un milieu déterminé ( les mineurs, les employés d'un grand magasin, ...) un peu à la façon de Zola. Au siècle dernier, le genre devient plus flou, plus rare peut être, sauf peut être dans quelques sagas romanesques ou romans dits de terroir. En ce début de XXI ème siècle, bien que le genre ne soit pas revendiqué par les auteurs, la question sociale devient de plus en plus présente dans le roman français... et "Vanda" de Marion Brunet en est la parfaite illustration. 
Bien sûr, on pourrait définir ce roman par rapport à son intrigue, le désarroi d'une mère célibataire qui voit resurgir le père de son enfant avec la volonté de vouloir le reconnaître pour mieux le récupérer. Sauf que ce serait occulter tout l'important décor, autant en premier qu'à l'arrière plan, que brosse "Vanda". 
La jeune femme que nous accompagnons au fil des pages est le symbole
 d'un prolétariat mis à l'écart, taillable et corvéable à merci au gré de "missions" d'intérim ou de CDD précaires, isolé au maximum de ses camarades d'infortune ( c'est plus pratique pour imposer ses lois ). Vivant à Marseille, ville qui dorénavant inspire cette misère sociale et décrite ici sans cliché ( à part dans le regard d'une parisienne bobo) , Vanda semble vivre assez seule, collée à son fils et dont les relations se résument à une bande de plus ou moins marginaux avec qui le ciment semble être l'alcool avalé au bord d'une plage. 
L'autre force du roman est de nous embarquer auprès d'une héroïne pas totalement sympathique, un peu rebelle, mère courage mais pas bonne mère idéalisée, ayant ses coups de colère contre cet enfant qu'elle aime autant qu'il peut la déranger parfois. Et si chaque mouvement, chaque rebondissement, nous amène un peu plus près d'un drame que l'on pressent, jamais le roman n'abuse de sentiments faciles, jouant perpétuellement avec une ambivalence romanesque inconfortable mais ô combien réaliste.  
Dans un style, sec, rapide, contemporain, Marion Brunet réussit un vrai roman social doublé d'un portrait de femme beau parce que nuancé. 

dimanche 7 juin 2020

Le cercle des hommes de Pascal Manoukian


Un très beau titre, des thèmes aussi fort que la destruction de la forêt amazonienne et la prise de conscience par le dirigeant d'un trust industriel du côté autant suicidaire qu'inhumain de cette folie ne peuvent qu'attirer le lecteur ( sans oublier les précédents romans de Pascal Manoukian plutôt réussis), le tout réuni dans un grand roman d'aventure exotique en diable ... avouez qu'il y a de quoi se plonger avec gourmandise dans ces centaines de pages dépaysantes. 
A l'arrivée, nous sommes un peu douchés, non pas par quelque pluie tropicale ou moiteur amazonienne, mais par la tournure prise par l'ouvrage. Ce récit de survie et de rédemption ne craint pas de flirter avec des situations certes originales mais souvent improbables. Ainsi la sortie victorieuse de notre héros, enfermé pendant plusieurs jours dans une fosse boueuse, nu et avec trois ou quatre gros sangliers en rut qui ne rêvent que de l'encorner ou de le sodomiser, apparaît comme cocasse mais difficilement crédible pour un cinquantenaire qui, quelques heures plus tôt, avalait du caviar à la louche dans la suite parfumée d'un palace en compagnie d'une jeune créature ardente mais sans doute plus docile que les porcidés sauvages. Beaucoup de situations sont à l'avenant, jusqu'au final, certes magnifiquement cinématographique, mais bien peu crédible. 
Cependant, on peut admirer le travail de composition de la tribu qui recueille notre héros. On sent que l'auteur s'est énormément amusé à créer toute une ethnologie de cette tribu, longuement décrite, trop peut être, pour finir elle aussi par paraître un peu too much. Reste toutefois, même si parfois amené avec peu de subtilité, une description de notre société industrielle dont les mâchoires n'ont rien à envier à celles des engins gigantesques qui anéantissent ce poumon de l'humanité qu'est la forêt amazonienne. 
De bons sentiments, un récit de survie fleurant l'aventure ne suffisent hélas pas à rendre l'ensemble passionnant à cause d'effets un peu trop lourdingues pour créer une réelle empathie avec le lecteur. 

samedi 6 juin 2020

Le monde n'existe pas de Fabrice Humbert


La quatrième de couverture, cette prose publicitaire écrite pour impulser les achats, emploie le terme "vertige" pour nous parler de ce huitième roman de Fabrice Humbert. Le mot est fort, mais, pour une fois juste. En suivant l'enquête apparemment bien classique, voire peu originale, de son héros journaliste revenant dans le bled où il vécut adolescent pour essayer d'approcher la vérité sur le meurtre d'une adolescente, très vite, le roman nous empoigne fortement et nous entraîne dans des chemins vraiment passionnants. En mêlant un héros en mal de revanche sur un passé d'étudiant harcelé et le thème ô combien d'actualité des fake news ( on doit dire infox selon les défenseurs de notre langue), Fabrice Humbert nous plonge au coeur d'une Amérique profonde à l'âme de cow-boy solitaire ( donc emplie de phobies en tout genre) dont le cerveau nourri aux élucubrations autant religieuses que trumpiennes ne peut que la conduire sur le chemin de le déshumanisation. Entre polar ultra efficace, mené tambour battant et réflexion très pertinente sur notre monde où l'info coule en continu, le vertige prend le lecteur tant la force du propos réussit à allier le bon romanesque à l'intelligence d'un propos bien senti... 
          Hélas, aux 2/3 du récit, alors que l'affaire devenait de plus en plus mystérieuse, tendue, patatras, l'auteur glisse un petit détail ( dont l'intrigue pouvait tout à fait se passer) qui tue littéralement le récit, un rebondissement qui rend la chose si bien ficelée soudain improbable ( même s'il essaie de l'expliquer un peu mollement un peu plus loin, je n'en dis pas plus, je vous laisse découvrir ). Le dernier tiers, voulu encore plus haletant et surtout symbolique, pâtit bien entendu de ce manque de vraisemblance et brinquebale comme il peut vers une fin fortement prémonitoire où sera questionnée très justement la notion de vérité.... 
Quel dommage pour ce roman de presque anticipation de passer ainsi à côté d'une réelle réussite. Il reste toutefois 180 pages totalement passionnantes où brillent un style nerveux, vif, intelligent. Dans une production romanesque souvent peu ambitieuse en terme de contenu, c'est loin d'être inintéressant et même à conseiller, car, peut être que vous ne remarquerez pas le détail qui a ( un peu) tué ma lecture. 

vendredi 5 juin 2020

Rivage de la colère de Caroline Laurent


"Rivage de la colère", vient d'obtenir le prix des Maisons de la presse, moins prestigieux que le prix des libraires, mais couronnant depuis des années des auteurs qui ravissent ou raviront le grand public ( Michel Bussi, Olivier Norek) ou l'emballeront même si peu connus (comme le carton plein de Valérie Perrin avec "Changer l'eau des fleurs" en 2018) avec des ouvrages bien écrits et qui se dévoreront... ou comment on peut réussir un roman tout public dont on n'a pas à rougir.
Le deuxième roman de Caroline Laurent ( le précédent co-écrit avec Evelyne Pisier s'intitulait "Et soudain, la liberté" ) allie à la perfection une intrigue grandement romanesque avec un fait géo-politique inconnu mais porteur d'une grande intensité émotionnelle ( ici, tout un peuple d'une île de l'océan indien sacrifié par les anglais pour implanter une base militaire).
Avec de cours chapitres, chacun se terminant par un petit rebondissement, le roman raconte l'histoire de cette peuplade qui vivait heureuse au soleil avec trois fois rien au travers d'une belle histoire d'amour entre un très élégant mauricien d'origine anglaise et une îlienne libre et déterminée et de leur combat qui se déroulera durant plus de 40 ans. Leur passion se mêlera intimement avec le sort d'un peuple spolié dont le drame bien méconnu fut pourtant porté jusqu'à la Cour Internationale de la Justice de La Haye dans les années 2010.
Ce roman est un tourne-page habilement écrit, avec émotion et grands sentiments mais sans jamais oublier que la colère et le combat génèrent l'espoir. Le lecteur ne peut qu'être touché, ému et ne boudera pas son plaisir d'être emporté par une histoire, peut être parfois trop cadencée comme une bonne série Netflix. Vive le grand romanesque quand il est fait avec cette sincérité et cette chaleur ! 

🌞🌞🌞🌞/5