mercredi 28 avril 2021

Journal sexuel d'un garçon d'aujourd'hui ( 2ème partie) de Arthur Dreyfus

 


230 pages plus loin, qu'est-il arrivé à Arthur Dreyfus ? Grindr tourne à plein, les rencontres se sont succédées, nombreuses, pas toujours satisfaisantes, mais toujours décrites sans complaisance. D'ailleurs l'auteur s'interroge à un moment sur le côté exhibitionniste de son projet. Je peux le rassurer, il pose le regard exactement où il faut. En tant que lecteur, nous vivons bien une autre vie que la mienne sans que jamais nous ne soyons l'otage de ses désirs ou de ses fantasmes. Les descriptions de plans culs qui composent l'essentiel de l'ouvrage, très naturalistes, sont composées de façon très intelligente, mélangeant sociologie du quotidien, intérêt pour les personnes,  sentiments de l'auteur, et sexe bien sûr. Au fil des pages, les grosses queues, les fesses plus ou moins bien lavées, les fellations ou sodomies mécaniques deviennent des éléments d'une grande banalité, l'essentiel se trouvant ailleurs, dans quelques interstices plus personnels qui apparaissent au détour d'un geste, d'une phrase, d'une pensée, rendant l'ensemble soudain plus passionnant psychologiquement. 

Sinon, bien qu'il ait eu à un moment une baisse de la libido, les plans ont parfois pris une direction nouvelle. Il a essayé quelques rencontres avec de la drogue ( shit) qui l'ont plutôt porté au septième ciel sans qu'il ait eu envie de recommencer ( pour le moment). Il a aussi réalisé le fantasme de la prostitution en se faisant payer pour quelques plans ( et en acceptant des partenaires nettement plus âgés qu'à l'habitude), son corps devenant pour l'intello qu'il est comme une marchandise dont il doit assurer la qualité ( surtout de la prestation). Du coup son regard de narrateur se décale d'un cran, sa réflexion aussi et par conséquence, celle de son lecteur qui,  arrivé à ce stade du livre, se trouve maintenant vraiment impliqué. 

Sinon, ici ou là, on trouve quelques noms connus, par exemple une citation de Marc Lambron ( totalement anecdotique). Ce dernier, loin d'être un ingrat, s'est fendu il y a quelques jours dans la presse d'une critique enflammée et ampoulée comme à son habitude. Plus intéressant par contre ( parce que plus people ?), Arthur Dreyfus narre avec une grande honnêteté son rapport avec Edouard Louis dont le premier livre s'est trouvé en librairie avec un de ses précédents romans. Sans fard, avec un sentiment de honte compréhensible, il parle de la rivalité née à ce moment là entre les deux hommes qui se connaissent un peu mais aussi de la jalousie que le succès de librairie du grand blond médiatique a fait naître en lui. Si je peux rassurer Arthur Dreyfus, il n'a peut être pas les tirages d'Edouard Louis, mais, et ce journal en est la belle confirmation ( s'il en fallait une), niveau écriture, il n'y a pas photo, c'est bien lui qui a la plus grosse, la plus belle...prose. 

Si se plonger (prendre en main devrai-je dire) dans ce gros livre se révèle très agréable grâce au papier bible, les petites phrases énoncées après chaque plan cul, qui au départ donnaient comme une respiration, apparaissent au fil des pages parfois pénibles à cause de cette misogynie constante d'amis gays, très très gays, totalement égocentrés sur leur cul ou leur sexe. Quant à ceux qui pensent pénétrer dans l'intimité d'Arthur Dreyfus, la vraie, ils en seront pour leurs frais. Comme il le précise très bien, alors que naît une relation forte avec un dénommé Anis,  "L'intimité est un partage", et dès lors, plus rien ne sera écrit sur le sexe avec ce jeune homme, prouvant bien, que les plans culs le concernant, sont bien des actes physiques sans grande profondeur. 

Reste à savoir si par la suite, cette ligne d'écriture, peut être difficile à tenir dans un journal, continuera à être respectée...

( à suivre)

mardi 27 avril 2021

La sagesse de la pieuvre de Pipa Ehrlich et James Reed


 Un beau quarantenaire, cinéaste animalier vit au bord d'une magnifique plage de l'Afrique du Sud. Hélas pour lui, victime d'un burn out, il déprime sec. Attiré irrésistiblement vers la mer et dans un endroit moins balayé par les vagues, il plonge en apnée jusqu'au moment où il croise une pieuvre qui irrésistiblement l'attire. Avec régularité et en tant qu'amoureux des animaux, il va plonger tous les jours pour observer l'animal qui petit à petit va s'habituer à lui. Une relation intense va naître entre les deux êtres, quasi amoureuse. Elle durera un an ( durée de vie d'une pieuvre), soignera l'âme de notre cinéaste qui retrouvera goût à la vie. 

Oui ce documentaire est un mélo et aussi improbable que cela puisse paraître, l'illustration filmée d'une histoire vraie ( paraît-il). Avec force musique sirupeuse et alternance entre l'interview du cinéaste et les images de son histoire qu'il a filmé, le récit plein de petits rebondissements captive autant qu'il étonne. On se pose parfois la question de savoir comme en plongeant en apnée on peut suivre, par exemple, en continu,  le combat d'un requin avec une pieuvre... Mais tout est si bien ficelé, le cinéaste si émouvant avec ses sanglots dans la voix et ses yeux humides quand il évoque la fin de son amie que l'on veut bien se laisser aller à cette romance étonnante, superbement filmée et originale. C'est vrai, qu'en plus d'une ode à la diversité et à la préservation des espèces, on apprend plein de choses sur cet animal qui continue à avoir mauvaise réputation pour tous les lecteurs de Jules Vernes ( il y en a de moins en moins) et qui ici, prendra sans nul doute un shoot de célébrité et d'affection. 

Pour rappel, ce film sorti sur Netflix cet automne, vient d'obtenir l'Oscar du meilleur documentaire qui, à défaut d'être un réel gage de qualité, l'éclaire infiniment plus que n'importe quelle autre récompense. 



samedi 24 avril 2021

Latche, Mitterrand et la maison des secrets de Yves Harté et Jean-Pierre Tuquoi


Loin de moi, contrairement au monde de l'édition qui va profiter du quarantième anniversaire de l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand en mai prochain pour inonder les librairies de récits divers et variés, loin de moi donc de céder à cette fièvre événementielle. Si je me suis jeté sur ce "Latche, Mitterrand et la maison des secrets", n'étant ni mitterrandolâtre, ni passionné à ce point d'histoire ou de politique, la raison s'avère toute personnelle : Je suis né et ai passé mon enfance et mon adolescence à Latche ( prononcer "Latieu," en mouillant le "ieu")... ou plus exactement dans la commune qui abrite cette bergerie devenue mythique au fil des années. Souvent, il m'est arrivé de passer, de m'arrêter devant ce lieu célèbre, lors de balades à vélo ( le but étant avec les copains de faire le tour du lac ). Parfois, il m'arrivait de croiser celui qui n'était alors que le premier secrétaire du Parti Socialiste, toujours à la maison de la presse du village. Je voyais beaucoup plus son épouse Danielle qui se ravitaillait à la supérette où je travaillais l'été et dont les employés saisonniers que nous étions ne se battaient guère pour lui déposer ses courses dans sa Méhari, étant l'une des seules clientes de ce type à ne jamais donner de pourboires. Donc, plonger dans cet ouvrage, c'est retrouver l'odeur des Landes de mon enfance, ses pins qui pouvaient autant abriter le chant des cigales  que la grisaille de l'ennui en plein hiver comme, en plus des figures connus de tous, quelques autres, plus locales que je pouvais sans problème visualiser. 

Mais pour un lecteur plus lambda, cet essai centré sur cette maison acquise au départ pour y loger avec Anne Pingeot, arrivera-t-il à être passionnant? La réponse est largement oui, car l'habileté des deux auteurs parvient à transformer l'ensemble en un digest de la vie de François Mitterrand, ne négligeant ni l'aspect politique, ni la partie intime. Forts d'un vrai recul, 25 ans ont passé depuis sa disparition, les auteurs parviennent à mêler petite et grande histoire pour livrer une sorte de biographie qui se lit comme un roman. Le personnage principal possède tout ce qui fait les bons livres, le mystère, le goût du secret, une rouerie toute florentine, la passion du pouvoir, mais aussi la modernité avec ses deux foyers ( un trouple avec son épouse dont l'amant de cette dernière avait une chambre dans tous les lieux où ils vivaient). Le livre n'est jamais avare d'anecdotes, toutes plus ou moins connues, mais qui apportent un éclairage pertinent, façonnant un portrait tout en nuances et en aspérités, jamais hagiographique ni complaisant, mais à l'objectivité assez bienveillante. 

S'il fallait ne lire qu'un ouvrage sur la vie de notre ex président, histoire de se remettre à jour, ce "Latche, ..." qu'on ne lâche pas facilement est fait pour vous. Dans un décor de vacances, avec des personnages hauts en couleur et aux vies proches parfois d'une sitcom inspirée, vous vous direz que la vraie vie est souvent bien meilleure que bien des romans.  

jeudi 22 avril 2021

Ceux qui sont restés là-bas de Jeanne Truong


 Voici un roman dont le sujet sera de toutes les façons inattaquable : la libération des camps au Cambodge au moment de la chute des Khmers rouges. Epoque trouble, profondément mortifère pour des milliers de civils où, quelque soit l'endroit, ils seront le plus souvent enfermés, massacrés. Bien peu seront sauvés par la Croix Rouge. Le roman de Jeanne raconte le difficile périple du narrateur, un petit garçon de 7 ans que la mort de son père et de sa soeur ont rendu muet et de sa mère, femme dévastée pat les atrocités qu'elle a enduré dans les camps initiés par l'infâme Pol Pot. Ces deux là vont tenter de survivre dans un univers de jungle et de guérilla incertaine , où le passage d'une frontière ( celle de la Thaïlande) ne sera pas signe de non violence. 

Visiblement inspiré d'un récit familial, le roman a le mérite de rappeler combien l'humain peut en deux temps trois mouvements se déshumaniser et sombrer dans la plus pure folie meurtrière, le tout sous l'influence d'une seule personne.  Il montre aussi, qu'après cette atrocité, un semblant de vie conforme à quelques aspirations heureuses est bien difficile à retrouver tant les stigmates et les réflexes de défense ou de destruction ne cicatrisent pas. On s'attache évidemment à ce petit garçon qui ne connaît du monde que sa part la plus sombre et qui a du mal à prendre le bonheur quand par hasard il se présente. On suit son rude parcours dans deux pays où les dangers les plus grands ne sont pas les tigres ou les serpents venimeux mais bien les hommes. Cependant, malgré le sujet fort, on pourra trouver que l'autrice , avec ses phrases courtes, a du mal à créer un vrai univers dans toutes les parties relatant le parcours aventureux des protagonistes, étant nettement plus à l'aise et plus émouvante dans tout ce qui est psychologie des personnages. 
Ces restrictions mises à part, le roman reste attachant et nécessaire, pour que jamais on n'oublie ces atrocités et que jamais elles ne puissent se reproduire, même si, hélas, les hommes de bonne volonté semblent se raréfier un peu plus chaque jour... 

mardi 20 avril 2021

The Nightingale de Jennifer Kent


 Sortir un film directement en VOD, n'est pas chose facile, passant directement dans la case série B voire Z pour bon nombre de spectateurs. Pandémie oblige, ce repli vers une projection uniquement domestique sacrifie bon nombre de films remarqués dans des festivals. Ce fut le cas pour, notamment, The Nest de Sean Durkin ( grand prix à Deauville) ou Possessor de Brandon Cronenberg ( Grand prix à Gérardmer), et même si ces deux là n'étaient guère des chefs d'oeuvre, attendre une future sortie en salle au milieu d'une quantité incroyable de films plus alléchants, auraient de toutes les manières fait connaître le goût de l'échec cuisant. 

Pour "The Nightingale", on met en avant une affiche un peu trompeuse, laissant présager un film un poil épique, à grand spectacle, avec des combats peut être guerriers ( nous en sommes loin) puis on essaie d'appâter le chaland en mettant en avant la réception un peu houleuse qu'il a reçu lors de différents festivals ( insultes à Venise, spectateurs de  Sidney ou Sundance, sortant avant la fin, épouvantés par la violence de l'histoire). C'est de bonne guerre, pas forcément faux pour la violence, mais ce n'est pas Salo de Pasolini non plus. 
En fait, Jennifer Kent joue sur plusieurs tableaux. Son film, sur toile de fond historique, englobe des thématiques actuelles comme le féminisme ou le racisme,  tout en y glissant pour le spectateur exigeant une réflexion sur la violence. 
Clare, l'héroïne, cumule les malchances dans ce 19ème australien. Venue d'Irlande pour purger une peine ( que l'on ne connaîtra pas, mais avec les moeurs de l'époque, on l'imagine assez bénigne), en plus d'être femme, ou parce qu'elle est femme, sera l'esclave sexuelle d'un officier de l'armée qui la viole régulièrement. L'affaire tourne mal, et après un énième viol, l'officier tuera le mari qu'elle s'est finalement trouvée ainsi que l'enfant fruit de leur union. Clare n'aura plus qu'une seule soif : venger ces morts. Le film prend toutefois ce genre ( rape and revenge ) assez codifié à revers. En adjoignant à l'héroïne pour traverser une Tasmanie peu amène un autre paria de cette société australienne, un aborigène, le film rajoute une dimension anticolonialiste très forte. Filmé simplement, faisant de cette forêt tasmanienne un autre vrai personnage, "The Nightingale" déroule ses péripéties avec force et talent. Réaliste jusqu'au naturalisme de certaines scènes assez violentes mais jamais voyeuses, juste dérangeantes ( et peut être plus pour certains spectateurs masculins car filmées par une femme et toujours du point de vue de l'héroïne), le film méritait bien son prix spécial du jury de Venise ( en 2018). On appréciera la force symbolique qui balaie ces 2h16, cette lente progression des personnages qui voient leurs différences les rapprocher et en faire une véritable bombe politique. 
Si tous les films de revanche avaient cette ampleur et ce regard, il est certain que le cinéma aurait une autre portée. Comme le déclare Martin Scorcese, avec justesse, "The Nightingale"  ne laissera personne indifférent. Alors, pour une fois, on peut penser que la VOD permet quand même de sauver quelques oeuvres... 



dimanche 18 avril 2021

Curiosity de Sophie Divry


 Petit ouvrage et petit bijou pour qui est amateur de nouvelles, puisque "Curiosity" en accueille deux au sein de ses pages. 

La première nous pose sur la planète Mars et nous suivons les dernières pensées d'un rover ( engin fabriqué et expédié par l'homme pour explorer la planète rouge). Sans doute trop câblé par l'homme ( qu'il prend pour Dieu), le rover pense beaucoup, souffre de sa solitude et du manque de contacts. Le texte, gentiment anthropomorphique, écrit dans un style allègre allie avec souplesse connaissances scientifiques et psychologie robotique. La quatrième de couverture essaie de tirer tout cela vers quelque chose de plus intello, genre interrogation profonde sur la solitude de notre humanité, qui est bien présente en sous texte, mais qui n'apparaît pas non plus aussi fortement dans ce qui n'est qu'un joli moment de lecture dépaysant. 

L'autre nouvelle, inspirée de "La superficine" de Sigismund Krzyzanowski( inconnue au bataillon mais publié chez Verdier), nous parle, entre autre, de confinement et de démarchage téléphonique. Le sujet est donc relativement nouveau ( avant une possible déferlante romanesque ou autobiographique dans les prochains mois) et met en scène Josiane, septuagénaire vivant dans un petit studio, Ernest son chat,  "son lapin" ( un vibromasseur) et l'Agrandirox sorte de produit en pastille qui peut doubler voire tripler l'espace de votre logement. Très attrayant sur le papier en cette période de vie recluse dans un petit espace, le produit miracle, sensé offrir une sacrée ouverture,  se révélera sacrément plus compliqué à gérer. Très agréable à lire, on ne pourra reprocher à cette nouvelle qu'une fin abrupte, laissant en jachère la possibilité d'aller bien au-delà...

Ce petit ouvrage pas encombrant, comblera sans problème un moment d'attente. Sophie Divry s'y avère pétillante et accrocheuse, posture idéale quand on écrit des nouvelles. 


vendredi 16 avril 2021

Fluide de Joseph Safieddine, Thomas Cadène et Benjamin Adam

 


Fluide, mot à la mode s'il en est, ( notamment avec "genderfluid", n'est peut être pas le terme idéal pour qualifier cette BD qui peut laisser son lecteur dans un état glacial. 

Pourtant cela démarre pas mal, moderne, actuel. un couple trentenaire, branchouille, lui dans la BD, elle dans le cinéma. Ils sont heureux mais la partie féminine du couple a envie d'autre chose et l'exprime. Cet autre chose est pour l'héroïne, l'envie d'une aventure avec une femme. Lui le prend mal, ne comprend pas cette envie même si on lui propose de son côté de tester d'autres désirs, d'autres corps. Mais femme ne varie pas et laisse notre mâle avec son questionnement teinté d'une certaine jalousie. Et ce n'est pas son collègue de BD, célibataire endurci, ne faisant rien sexuellement de sa liberté qui va le réconforter. Cependant, cette remise en cause du couple, pour eux ne peut être que fictionnelle ( quels machos, quelle vue d'esprit courte pour des jeunes d'aujourd'hui !)et va donc les inspirer dans leur travail en la transposant à leur héros dessiné William...

Si les premières planches accrochent le lecteur, la suite, cette mise en abyme d'une mise en abyme qui sera un peu plus tard reremise en abyme ( ça fait beaucoup au final) manque sérieusement de fluidité à la lecture et d'intérêt. Si on y ajoute un personnage principal assez obtus, pas du tout open, rivé aux conventions conventions sociales du couple et qui peut être ne progressera qu'après un final lorgnant sur "Eyes Wide Shut".  Rêve? Fiction?  Réalité ? Retour à la bonne vieille norme ? On ne sait trop...

On reste donc sur notre faim, même si on peut apprécier le travail graphique de l'ensemble et une bonne idée de départ, hélas ensevelie sous un méli-mélo foutraque, presque fantastique, comme si les auteurs avaient eu peur d'affronter frontalement la fluidité dans les rapports de couple.  

mercredi 14 avril 2021

Leur âme au diable de Marin Ledun


Un camion d'ammoniac volé du côté du Havre ne fera guère parler de lui. Si on ajoute quelques cadavres supplémentaires, victimes accidentelles d'une opération qui tourne mal, l'affaire se révèle plus complexe mais ne fera pas long feu dans l'actualité. Il faut l'entêtement du ( pour le moment) lieutenant Nora pour que ce fait divers devienne au fil des années un scandale européen. 
L'ammoniac est l'un des multiples composants d'une cigarette ( qui contiennent en plus de la nicotine et du goudron une liste d'additifs impressionnante). Après s'être attaqué à la violence managériale au sein d'une entreprise de phoning( "Les visages écrasés"), Marin Ledun s'attaque avec cet épais roman à l'industrie du tabac et plus particulièrement au lobbying infernal auquel se sont livrées ces multinationales durant les années où la cigarette commençait à faire figure, en apparence, d'ennemi mortel numéro un dans les luttes de prévention contre le cancer et les maladies cardiovasculaires. Le sujet est vaste, bien plus complexe qu'il n'y paraît, mêlant commerce, politique,  agriculture et ...gros sous. 
Sur ce thème, l'auteur invente ( enfin, on espère) une histoire avec des protagonistes qui se divisent en deux camps : les policiers, teigneux, très, très opiniâtres et les méchants, bien plus nombreux et bien sûr sans scrupules, qu'ils soient lobbyistes, à la tête d'un réseau d'escorts, organisateurs de réseau de contrebande, tueur voire députés divers.... Impressionnant ce que l'argent du tabac peut engendrer comme saloperies en plus d'empoisonner les consommateurs ! Les  personnages sont un peu brossés à gros traits, sans trop de nuance et manquent un peu de caractère mais la première partie du roman, nerveuse, sèche, plante bien l'intrigue et  accroche le lecteur. La deuxième par contre, sans doute plus complexe, plus internationale, traîne un peu et manque de rythme, sans doute parce que l'histoire se déroulant des deux côtés de la barrière, le lecteur a toujours deux ou trois coups d'avance sur ces pauvres enquêteurs. 
Au final, malgré ces quelques bémols, le roman en impose par l'ampleur de sa thématique, par cette description au scalpel du lobbyisme que l'on transpose inévitablement à d'autres secteurs d'activités. La description de ce fléau libéral laisse le lecteur groggy. On peut donc dire que le roman réussit son coup et mérite toute attention du lecteur de polar social et politique. 

mardi 13 avril 2021

Printemps 2021, la chanson française nous invite à danser.

 

"Danser encore" HK

Alors que tous les lieux culturels restent fermés,  que les endroits conviviaux comme les boîtes, les bals populaires, les soirées festives risquent de ne pas voir le jour avant longtemps encore, nos artistes lyriques français ne pensent qu'à une chose : danser, s'enlacer en musique, toucher des corps, bref revivre enfin. 

Ces dernières semaines sont sortis divers titres avec des inspirations très diverses mais qui tournent tous autour d'une même obsession : DANSER ! 

En tête de ce billet, vous ne raterez pas la version live ( flash mob pas improvisé mais sacrément électrisant donné la semaine dernière à la gare de l'Est ) de "Danser encore" par HK. Ce groupe militant avait déjà fait un gros coup au début des années 2010 en créant l'hymne d'une multitude de manifs de cette époque, le fameux " On lâche rien". La crise actuelle a inspiré  ce titre "Danser encore", hautement addictif, chaleureux, dansant, qui est en train de devenir viral et va de toutes les façons rythmer de façon entêtante et dansante toutes les manifs des intermittents en particulier mais de tous les autres également. 

S'il n'est pas question de danse à proprement parlé dans le nouveau titre de Clara Luciani "Le reste", le clip ultra vitaminé qui accompagne cette sortie est un véritable clin d'oeil à Jacques Demy. Soudain, cette chanson pop, peut être pas en course pour rivaliser avec la fameuse " La grenade", donne envie de bouger, de danser sous le soleil...( et accroche assurément par cette façon franche d'évoquer le cul d'un amour passé). 

Le reste Clara Luciani

Plus sombre, mais à la pop dansante, le désormais écrivain/chanteur Joseph d'Anvers, dans son dernier album "Doppelgänger", nous propose ce titre " Comme ils dansent" , évocation nocturne, teintée de nostalgie, d'heures passées sur des dancefloors au milieu de néons multicolores. Une certaine solitude nimbe ce titre. On dansait peut être avant, mais n'était-ce finalement pas pour nous étourdir, tout oublier ? 

Comme ils dansent Joseph d'Anvers

Plus simple, plus résolument porté vers la gaieté, le nouveau titre de Tim Dup " Juste pour te plaire" est une invitation à la danse. Le rythme chaloupé ( un peu comme dans "Mourir vieux") engage à bouger son corps à l'instar du chanteur, qui dans le clip, n'hésite pas à quitter le piano derrière lequel on le voit beaucoup, à tomber la chemise et à danser, danser, tout le temps, partout, ...

Juste pour te plaire Tim Dup

Pour terminer, je suis tombé sur le titre d'une inconnue ( pour le moment) Carla de Coignac. Son titre "Danse", évoque un difficile lâcher prise et bien sûr met tout en oeuvre pour que l'on bouge sans complexe. En fouillant sur le net, j'ai eu la surprise de trouver ( déjà) une jolie reprise du dernier titre de Clara Luciani ( mentionné plus haut). Si son passage à "La nouvelle star" ou sa participation sur 5 titres dans le dernier album de Louane, signale qu'elle a  déjà un pied dans le métier, il semblerait qu'elle ait tapé dans l'oreille ( dans l'oeil?) de Benjamin Biolay qui l'a invitée dans une émission dont il était le programmateur. Elle a 22 ans, elle sort donc ces jours-ci son premier titre... A suivre avec attention. 

Danse Carla de Coignac


Le reste ( de Clara Luciani) Carla de Coignac

lundi 12 avril 2021

Transitions de Elodie Durand


 Le sujet de la transition, celle du passage d'un sexe à l'autre, éclate un peu partout autour de nous. Ceux qui pourraient lever les yeux au ciel, agacés de tout le tapage fait autour de ce thème depuis quelques années, devraient toutefois ne pas hésiter une seconde à se plonger dans le récit concocté par Elodie Durand car elle fait magnifiquement le point sur la question. 

L'histoire d'Alex qui nous est contée via le regard de sa mère, décale juste ce qu'il faut notre regard et nous interroge d'emblée : Que ferions si notre fille, notre fils décidait d'un passage d'un sexe à l'autre ? L'histoire d'Anne Marbot, même si le nom a été changé, demeure bien réelle et ses questionnements, son cheminement, de la stupeur à l'incompréhension, de la colère à la peur, puis à la lente acceptation pourraient bien être le notre, si par hasard cela nous arrivait ( oui, cela n'arrive pas qu'aux autres!). 
Dans ce parcours singulier, au fil des mois, Elodie Durand va poser son trait simple, chaleureux et redoutablement empathique sur un déroulé qui va suivre les pensée de la mère d'Alex ( mais aussi de son compagnon et de ses frères et soeurs) et mêler habilement le pédagogique ( vous ne vous mélangerez plus avec les termes " cisgenre",  "non binaire", "genderfluid", "trans(genre)", ...), l'historique ( la fluidité des genres selon les époques ou les contrées), le scientifique et le psychologique. Et comme nous sommes en compagnie d'une auteure de talent, de beaux dessins ( souvent en pleine page)  décrivent à merveille les tourments intérieurs des personnages, donnant à l'ensemble un côté artistique particulièrement touchant. 
L'histoire, encore compliquée pour nos cerveaux cloisonnés par des siècles de binarité stricte , s'affiche ici avec une simplicité parfaite et parvient à toucher le lecteur. Le coup de grâce étant donné par Alex , celui que l'on regarde évoluer, qui clôt le roman avec un beau texte aussi simple qu'émouvant. 
"Transitions" risque de devenir un classique dans son genre ( non genré justement) et ce ne sera que justice tellement l'ensemble parvient à être juste, universel, sur un sujet encore très sensible. 







jeudi 8 avril 2021

Possessor de Brandon Cronenberg


 Alors que les salles sont fermées et pariant sur l'appétit de nouveautés des spectateurs, les distributeurs et producteurs jaugent ce qui traîne sur leurs étagères et lancent sur les plateformes de streaming des films pas vraiment réussis, dont la sortie en salle risque de faire flop mais possédant un petit potentiel commercial voire médiatique pour faire parler de lui et ainsi remplir les pages cultures bien maigres des médias. La semaine dernière, "Madame Claude" avec la performance de Karole Rocher et son sujet sulfureux a bénéficié de cette rampe de lancement. Cette semaine voici donc "Possessor" dont le seul nom de Cronenberg suffit à emballer toute la critique cinématographique  ravie d'avoir quelque chose à vanter. 

Pour calmer d'emblée le jeu, le Cronenberg en question n'est pas David, mais son fils Brandon, dont on promeut le deuxième film (10 ans après un "Antiviral" bien plat). Avec un thème lorgnant sur le "eXistenZ" paternel et employant son actrice Jennifer Jason Leigh dans un second rôle, le film permet  de faire des rapprochements artistiques sans doute très vendeurs mais qui ne tiennent pas la comparaison quand on visionne l'oeuvre. En gros vous avez un scénario à la Luc Besson, donc tenant sur une feuille A4 dialogues compris, de la violence assez hard, du sexe à l'américaine qui veut faire cru mais qui sombre dans la banalité aseptisée et, pour la touche soi-disant perso, des images déformées. Comme l'ensemble a du mal à faire la durée minimale d'un film de long-métrage, la moitié des scènes passent au ralenti. Alors, on peut y voir un style personnel, de l'inventivité mais quand on s'ennuie passablement devant ce cocktail d'images floues ou sanglantes qui essaient de faire leurs intéressantes en essayant de surjouer un côté psy dont on se contrefout car les personnages n'ont aucune existence ou épaisseur, on se prend à espérer que Cronenberg junior arrête le cinéma. 

Il convient de signaler que le grand prix du festival du festival du film  fantastique de Gérardmer 2021 est allé à "Possessor".... on n'ose imaginer le reste de la sélection de ce festival. 




lundi 5 avril 2021

Skeleton Coast de Laurent Whale


 Si l'on en croit la quatrième de couverture "Skeleton Coast" est " un thriller nerveux sur fond de scandale écologique". L'accroche, on ne peut plus commerciale, acoquine "thriller" à "nerveux" pour une intensité supposée et "scandale écologique" pour la note à tendance politico/humaniste bien de notre époque. Il n'y a pas tromperie sur la marchandise, sauf peut être sur le terme "thriller" qui a été préféré à celui de "roman d'aventure" pourtant correspondant mieux, fleurant peut être trop un parfum ancien, une époque où Bob Morane rivalisait avec OSS 117 sur les tables des libraires. 
Pourtant, " Skeleton Coast" est bien un roman d'aventure échevelé dont il emprunte tous les codes ( sauf la touche érotique ). L'histoire est simple comme bonjour, Richard Grangier, cinquantenaire, vit en Afrique pour retrouver sa fille, médecin humanitaire et tenter de la ramener en France. Y parviendra-t-il ? ( Ceux qui pensent que oui, n'auront pas entièrement raison). En 119 courts chapitres ( et une introduction, un prologue et un épilogue) le lecteur retrouve le plaisir et de l'aventure et du roman feuilleton. dont le roman emprunte avec aisance les codes pour donner envie de lire la suite. A la fin de chaque chapitre il y a soit un rebondissement, soit un élément nouveau soit le héros placé dans une situation délicate, impossible, inextricable, risquant la mort. La toile de fond, est ici une Afrique contemporaine, celle du Sud ( Namibie, Angola, Zambie)  avec ses factions de mercenaires divers, de militaires et de politiques corrompus, tous attirés ou protégeant des intérêts autant locaux, nationaux ou internationaux. Peu importe qui défend quoi, qui aide qui, le lecteur se focalise sur le héros, courageux quinquagénaire, et le suit haletant jusqu'au bout. Il y a parfois quelques petites baisses de régime mais il faut bien souffler un peu, surtout quand on traverse, le plus souvent à pied ou dans des véhicules n'empruntant pas les pistes, des contrées arides ou de la jungle mais toujours peuplées d'ennemis. 
Pour les amateurs du genre et comme roman d'aventures "Skeleton Coast" remplit tout à fait son rôle de tourne-page. Jamais il ne se prend pour autre chose que ce qu'il est, ne cherche que le plaisir de celui qui s'y plonge et c'est bien agréable. 

dimanche 4 avril 2021

Kérozène de Adeline Dieudonné


 On attendait le retour d'Adeline Dieudonné avec impatience tant l'excellente impression de son premier roman "La vraie vie"  et l'univers si singulier qu'elle y déployait attendait confirmation avec une nouvelle publication. Voici donc "Kérozène" son deuxième roman... heu... pas tout à fait quand même. 

Si l'on traîne un peu sur le net, on trouve des articles célébrant l'ouvrage en le qualifiant d'OLNI ( Objet Littéraire Non Identifié) façon marketing de dire que ce n'est ni tout à fait un roman, ni tout à fait un recueil de nouvelles. Mais alors qu'est-ce donc ? Un livre, qui par son originalité de forme défie les codes existant ? Que nenni ! Quand on se plonge dedans, on s'aperçoit assez vite qu'Adeline Dieudonné avait dans ses tiroirs quelques nouvelles pas trop mal fichues et a eu l'idée de les recoudre ensemble pour en faire un genre de récit choral un peu artificiel, dont on devine hélas les coutures trop apparentes. Si l'idée de raconter le destin de tous les personnages présents dans une station service d'autoroute à un instant T peut faire son effet, il se bute quand même aux limites de ce patchwork littéraire un peu trop fabriqué. ( De part l'autoroute, on pense inévitablement à l'excellent roman "Aires" de Marcus Malte paru l'an passé et qui, lui, était un vrai roman choral). 

Cependant, malgré cette réserve, chaque histoire donne une idée de l'imagination de l'auteure, très à son aise à mêler avec entrain situations trashs, personnages au bord de l'abîme, animaux et violences diverses. Avec une écriture simple, quelque chose de proche des  Grimaldi, Valognes et autre Martin-Lugand  mais comme si ces dernières avaient des idées originales, fumaient la moquette et avaient envie de secouer leurs lecteurs pour les sortir de leur cocon trop douillet, "Kérozène" fait passer un agréable moment. On reste toutefois un peu sur sa faim, l'entreprise, un peu disparate, laissant comme un goût d'inachevé ( ou de bassement commercial). On attendra donc un troisième opus vraiment romanesque pour juger pleinement de la virtuosité d'Adeline Dieudonné qui, ici, fait toutefois preuve d'un regard singulier et d'une fantaisie toujours aussi mordante. 

samedi 3 avril 2021

Madame Claude de Sylvie Verheyde


 Contrairement à l'affiche ci-dessus, "Madame Claude" n'est pas à proprement parlé un film Netflix mais une production destinée à une sortie en salle, victime du Covid et vendue à la chaîne de streaming histoire de mettre du beurre dans les épinards de producteurs désormais aux abois. 

Si le film est sans conteste bien plus original dans sa forme que les productions habituelles de la multinationale, "Madame Claude" n'est pas pour autant un film réussi, les producteurs, pas fous, se séparant d'abord des longs-métrages aux carrières incertaines. 

L'ambition du film est visible : faire le biopic d'une personnalité célèbre et controversée des années 60/70, faire oublier le kitsch d'une précédente version ( celle de Just Jaeckin le réalisateur du non moins célèbre "Emmanuelle") et accessoirement y mettre également une pointe de notre époque en évoquant le patriarcat  qui s'impose sur le corps des femmes. 

Autant dire que tout cela fait beaucoup pour un seul film. L'histoire de Fernande Grudet, le vrai nom de Madame Claude, intimement liée dans la première partie de sa vie autant avec le Paris politique que du showbiz, n'est finalement que survolée. Une voix off, quelques répliques vite envoyées et quelques scénettes rapides essayent de brosser l'époque, le coaching des jeunes femmes et la vie intérieure de la proxénète de luxe. Un peu de sexe, un peu de psychologie, un peu de RG, un peu de pègre, la récit a du mal en prendre. Nous sommes souvent en gros plan sur les visages pour pallier à un manque évident de moyens dans la reconstitution d'époque. On ressent plus que l'on ne comprend les enjeux de tout ce petit monde. Les acteurs font ce qu'ils peuvent avec ce qu'on leur donne.  Benjamin Biolay ( en commissaire de police), Philippe Rebbot ( en grand bourgeois) semblent des erreurs de casting, Garance Marillier ( en préférée de madame Claude) agace plus qu'elle ne convainc avec un rôle sensé donner un cachet contemporain mais aussi plus empathique à l'ensemble. Seule Karole Rocher surnage là-dedans, butée, froide, rongée par des démons dont par ailleurs on se contrefiche un peu. 

La réalisatrice déclare un peu partout que madame Claude a tout du personnage scorcésien... Sans doute... On sent que la mise en scène s'essaye à l'énergie du maître hollywoodien mais comme le scénario ( et le manque de dollars) ne brille pas beaucoup, ce n'est pas encore cette fois-ci que l'on aura droit à un bon film autour de cette figure sulfureuse et vraisemblablement fascinante. 



jeudi 1 avril 2021

Combats et métamorphoses d'une femme d' Edouard Louis

 

Après avoir brossé et réhabilité ( de façon lourdingue) son père, Edouard Louis met sous  les feux de son projecteur, sa mère dans un court texte sobrement intitulé : « Combats et métamorphoses d’une femme ». Évidemment, le rouleau compresseur médiatique s’emballe, saluant avec des cris d’extase cette nouvelle parution dont le mélange féminisme/confession permet de déployer sans fin tout une glose bien de notre époque : faire reluire le tout venant. 

Posons-nous quelques minutes et imaginons une seconde que ce récit soit signé ... Jean-Paul Duglandier. Quel(le) critique daignerait écrire une ligne sur ce portrait banal ? Sans doute une jeune blogueuse, ravie d’avoir reçu de la part des éditions du Seuil le volume, se fendrait d’une critique enflammée ( dans le secret espoir de recevoir d’autres livres gratos), enthousiasmée par le parcours de cette mère partie du fin fond d’un logement social du nord de la France et qui finit par fumer une clope avec Catherine Deneuve. 

Mais cette mignonne bluette est signée Edouard Louis, nouvelle égérie  prouvant la non consanguinité du milieu littéraire et intellectuel français. Et ça change tout. L’homme, au parcours évidemment notable, est une personnalité intéressante, passionnante et formidablement électrisante lorsque l’on lit ou écoute ses interviews. Cependant, ses écrits laissent plus que songeurs et ce nouvel opus n’emballera pas plus le vrai amateur de littérature que celui d’essai sociologique. 

Le texte est donc le récit du parcours de la mère de l’auteur, issue d’un milieu plus que modeste, privée d’études car mariée jeune à un homme violent et alcoolique avec qui elle aura deux enfants avant ses 20 ans mais qui au final arrivera à  se sortir de cette misère pour atteindre une nouvelle vie plus conforme à ses rêves de jeune fille. L’auteur revisite donc sa famille déjà présentée sous un jour peu flatteur dans son premier texte ( «  En finir avec Eddy Bellegueule »). Il a vieilli et sa maturité lui permet de donner un autre éclairage à ses géniteurs. C’est humain, normal, banal. Hésitant entre roman et essai, s’adressant tour à tour à sa mère, au lecteur ou à lui-même, Edouard Louis essaie de rendre la chose vaguement passionnante  voire sociologique en abordant cette double peine qu'est être femme et pauvre. Hélas pour lui, il est loin d’être le premier à écrire sur ce sujet, la figure maternelle d’un milieu social défavorisé et sur la honte ressentie par un élément de la fratrie qui réussit. Face à lui se dresse Annie Ernaux ( et beaucoup d’autres) et les comparer n’est pas du tout à son avantage. L’écriture est plate, les décors à peine brossés n’arrivent pas à faire exister réellement les personnages qui ne  sont caractérisés que par quelques petites anecdotes jamais vraiment exploitées ( l'auteur parle de suggérées... ). Le texte essaie de se glisser dans un mouvement féministe, sans doute bienvenu à notre époque, mais qui lui aussi reste assez superficiel. Certes, cette mère est attachante au final, car, c’est seule qu’elle arrive à se sortir de son quotidien sordide. On peut être touché par ce revirement filial, qui passe de la honte à l’admiration mais pas plus que moultes récits publiés depuis des décennies. 

Si on devait chercher et donc trouver quelque chose d’original dans ce court texte, ce serait qu’Edouard Louis théorise gentiment la notion de « mère de » car, c’est bien grâce au parcours  flamboyant de son fils que cette femme a pu se métamorphoser en s’aidant de l’appel d’air ainsi généré malgré l’ingratitude et la honte. C'est mieux que rien mais de là à déclencher ce torrent médiatique de louanges, on peut rester perplexe ou simplement passer pour un vieux rabat-joie en pensant que notre époque à les écrivains qu'elle mérite.