mardi 29 mars 2022

Une chance insolente de Fabio Bacà



La très sérieuse maison Gallimard nous propose un premier roman à vocation humoristique. C'est rare, qui plus est dans leur collection " Du monde entier". Mais cette première publication de Fabio Bacà venue d'Italie est plutôt surprenante. Alors que depuis le succès d'Elena Ferrante, les nombreuses traductions transalpines nous mènent souvent dans les régions ensoleillées, parfois arides, de tous les coins de l'Italie, l'action d'"Une chance insolente" se situe à Londres. Et dès les premières pages, on a vraiment l'impression de lire un ( bon) auteur anglais, signe que ce monsieur possède une vraie plume et un vrai talent, confirmée par un texte dense qui n'empêche jamais de trousser une intrigue qui va à 100 à l'heure. 
Alors, on suit les pérégrinations d'un certain Kurt O'Reilly, expert en statistique, marié avec une auteure à succès, grand, beau, riche, parfumé, élégant, séduisant, bref, tout pour lui sauf qu'il a un problème ( heureusement car il n'y aurait pas de roman). Là aussi, originalité, le bogosse n'est pas dépressif, pas abusé sexuellement par quelque religieux, il est simplement tourmenté par un excès de chance! En plus donc d'avoir tout, tout lui réussit ! Cette chance insolente qui se produit surtout dans des situations assez abracadabrantes que l'auteur s'ingénie à égrener au fil des pages lui fait des noeuds dans le cerveau. Il va donc chercher des solutions pour sortir de cette vie trop belle en courant psys, gourous, chamans, .... 
Très rythmé donc, le roman avance vite, semble vouloir dénigrer gentiment les thérapeutes alternatifs  en vogue actuellement, se moquer également de nos vies modernes bourrées d'obsessions souvent idiotes, essaie aussi de vaguement philosopher mais à force de charger le beau mâle d'aventures parfois au bord de l'absurde, le roman n'arrive pas à masquer une certaine vacuité.  Tout ça pour quoi au final ? Ben, pas grand chose, justement... On peut se demander si cet exercice, certes talentueux, n'est pas un peu vain. Il y a un plaisir certain à tourner les pages, malgré un personnage principal un peu agaçant, mais petit à petit on commence à se demander où tout cela mène. Et l'impasse au bout de laquelle on aboutit laisse quand même le lecteur un poil sceptique. 
Dans le contexte angoissant actuel, un roman drôle et bien écrit, ambitieux et ironique, même pas totalement réussi, donne un certain plaisir. Il est évident que "Une chance insolente" n'est en rien comparable avec l'innombrable soupe dite " feel good" déversée en ce moment, et peut parfaitement permettre de passer un agréable moment. 

 



 

dimanche 27 mars 2022

La brigade de Louis-Julien Petit


Louis-Julien Petit, après les succès de "Discount" et "Les invisibles", continue sur ce qui risque de devenir sa spécialité : le film sur les sans-grade de nos sociétés qui montent un projet et vont arriver à le réaliser malgré les embûches. Sur ce créneau et ce genre d'histoires, la concurrence est rude ( au moins un par mois sur les écrans et ce n'est pas fini) et la difficulté première est de sortir un peu des sentiers battus. 
Force est de constater que "La brigade" peine un peu à être original et n'évite pas toujours les écueils d'un parcours bien balisé et archi connu. Cependant, il faut bien, en plus de ses indéniables qualités humanistes et de son discours sur le tolérance et pour l'accueil des étrangers, reconnaître quelques qualités à ce film dont, en premier lieu son casting formidable. 
Il y a  d'abord tous les jeunes sans-papiers de ce centre, attachants ou agaçants mais qui crèvent l'écran. Ils sont ensuite très bien entourés par Chantal Neuwirth très drôle en copine collante mais gentille et surtout par Audrey Lamy, dont l'abattage fait ici merveille et qui donne au film son rythme dynamique. Par ailleurs, on notera un final un poil plus original qu'à l'habitude mélange de critique des émissions culinaires de nos chaînes commerciales avec une sorte de suspens un poil plus singulier que les habituels aléas de dernière minute qui se présentent toujours pour ne pas arriver à atteindre le but initial. 
Jolie comédie sociale, bien feel good, "La brigade" fait passer un bon moment et délivre en creux un jolie message de tolérance ( bien utile en ce moment). 




 

mardi 22 mars 2022

Bruno Reidal de Vincent Le Port


Rater de voir sur grand écran "Bruno Reidal" vous fera passer à côté d'un double événement : la naissance conjointe de deux futures figures du cinéma français ( c'est un pari, mais si on n'entend plus parler de  Vincent Le Port et de Dimitri Doré, ce serait une grave injustice) et, évidemment  un excellentissime film français. 
Le sujet pourrait se résumer à un titre glauque que le Petit Journal ( feuille de chou conservatrice des années 1800/1900) a peut être imprimé en 1905: Un jeune séminariste décapite un petit garçon. 
De ce fait divers réel, pour son premier film, Vincent Le Port signe une oeuvre fascinante. De ce sujet aux fondements sordides, autour d'un meurtrier dont le crime ne peut ( et a été à l'époque jugé ainsi à l'époque) qu'être celui d'un fou furieux, le réalisateur nous livre une sorte d'enquête psychanalytique tendant aux spectateurs un miroir qui les fait s'interroger au plus profond d'eux-même. Sans jamais prendre parti, aidé par la voix off de ce jeune homme reprenant les textes qu'il avait écrit à l'époque à la demande des médecins qui l'interrogeaient sur son crime, le film déploie un éventail d'éléments qui ne cherchent pas à excuser ce geste ignoble, mais l'éclaire plutôt de nuances. A l'écran, la mise en scène suit sans faillir les propos tenus, qui, sous une apparence classique, inspirée par les oeuvres  de Corot ou de Courbet ( on n'avait pas vu de si beaux plans depuis "Portrait d'une jeune fille en feu") permet d'inclure dans une intense réflexion une part de beauté, certes mâtinée de sordide, mais rendant le récit aussi passionnant qu'intriguant. 
Le film n'aurait pas cette puissance s'il n'avait pas un interprète tout simplement fabuleux en la personne de Dimitri Doré dont c'est le premier rôle au cinéma ( mais a fait beaucoup de théâtre). Signe du destin, il avait au moment de son casting la même taille et le même poids que Bruno Reidal lors de son arrestation. Mais les mensurations ne font rien au talent. Disons pour situer cette apparition à l'écran qu'elle suscite le même enthousiasme que celle d'Isabelle Huppert dans "La dentellière" ( avec qui il vient de tourner son nouveau film). 
En cette période morose, le thème de "Bruno Reidal" n'invite pas vraiment à prendre son billet... Pourtant, voir un beau, un passionnant, un grand film d'un vrai auteur avec une future star, ça vaut vraiment le coup car sous cette noirceur se dégage un vrai joyau qui comblera l'esprit et la réflexion...





 

dimanche 20 mars 2022

Cité de Nicolas Geibel


Voilà un roman surprenant. Sur une trame de polar un peu nébuleuse, on suit plusieurs personnages tous impliqués de près ou de loin dans une étrange affaire de photos qui met en transe, voire tue, celui ou celle qui les regarde. Assez vite on comprend que ce n'est pas l'enquête qui intéresse l'auteur mais sans doute tout autre chose, qui relèverait de l'esprit du temps, de l'atmosphère d'une époque, du constat d'une société qui va mal. 
Nous ne sommes pas dans un polar malgré le point de départ, et force est de constater que les pages ne se tournent pas facilement tellement on accroche sur un dialogue qui n'apparaît pas évident au départ. Au-delà d'y insérer Spinoza, on peut avoir l'impression que celui qui parle ne s'adresse pas à quelqu'un censé être avec lui. Les pensées des personnages peuvent allègrement ( heu non... rien d'allègre ici) mélanger présent et passé et parfois leurs actes ( souvent entre les lignes) ne répondent pas à une logique ordinaire. Tout cela créé effectivement un univers brumeux, presque fantastique voire spectral. On peut s'y laisser envelopper ...ou pas. Le résultat de l'enquête restera flou et nous aurons passé un long moment avec des humains qui ont tous un point commun : la grande solitude qui les habite, cohabitant avec d'autres humains sans jamais pouvoir établir un réel contact qui leur donnerait un semblant de chaleur humaine. 
Roman d'atmosphère, "Cité" surprend par sa profonde originalité, par une évidente envie de sortir des sentiers battus, dézinguant les fictions trop bien huilées et lorgnant vers .... ?.... Marguerite Duras mettant en scène des voyous avec des membres du GIGN. On peut aimer... 

 

jeudi 17 mars 2022

Les années sans soleil de Vincent Message


Le roman débute dans un petit brouillard psychologique angoissant. Un écrivain ayant peu de succès se trouve refoulé à son arrivée à New-York et repart pour la France pour retrouver sa famille ( une épouse, une ado et un jeune enfant) dans un appartement toulousain. Pas d'explications pour ce retour à la case maison mais un indice : tout le monde doit rester enfermé chez lui selon des ordres gouvernementaux. Evidemment cela rappelle des souvenirs récents même si la cause n'est jamais vraiment explicitée. Roman d'anticipation comme " Défaite des maîtres et possesseurs" ? A suspens ? Non, rien de tout cela mais sans doute le premier récit de confinement ( mot jamais écrit dans le livre)  qui narre les pensées de cet auteur ( par ailleurs libraire à mi-temps) et les multiples questionnements que cette situation va apporter. 
Disons-le tout net, par rapport à ses deux précédents romans, ces "années sans soleil" déçoivent un peu. Si l'on retrouve souvent une écriture inspirée, beaucoup de thèmes sont  abordés mais ont du mal à s'amalgamer réellement.  Les  nombreux paragraphes autour des livres, du métier d'écrivains, des problèmes d'une petite librairie un peu marginale et de quelques auteurs connus, moins connus ou inventés, aussi pertinents soient-ils, présentent un intérêt inégal à l'intérieur d'un ensemble qui se veut une sorte d'état général d'une société durant un moment bien particulier voire marquant un réel tournant.  Le monde est en crise ( écologique ? sanitaire? ), le personnage principal aussi. Il va s'interroger sur sa vie, son métier d'écrivain, sur ses rapports aux autres ( famille, amis, relations plus lointaines). Il va éprouver cette violence sourde qui monte, surtout  policière mais pas que. Le roman avance un peu cahin-caha, de suspens psychologique il passera à une sorte d'essai sur le pouvoir de la littérature dans le coeur de ( certains) hommes, puis prendra un tournant historico-écologique avec des recherches via un ouvrage de Procope de Césarée sur la disparition du soleil pendant 18 mois vers 535 de notre ère, puis virera  vers des problèmes de couple et d'ados traumatisés, pour s'achever dans un romanesque plus classique ( et pas vraiment inspiré). 
Certes, il y a quelques belles pages, mais l'ensemble à du mal à passionner complètement, hésitant peut être trop entre essai et roman. 



 

mercredi 16 mars 2022

Moneys Boys de C.B. Yi


C'est un premier film courageux que nous offre C.B. Yi, jeune chinois immigré en Autriche, élève Michaël Hanneke ( ce qui explique sa production austro-franco-belge). Jamais dans son pays d'origine il n'aurait pu aborder aussi frontalement le sujet de la prostitution masculine ( gay). Si l'homosexualité en Chine n'est pas tabou, elle reste totalement impensable pour la grande majorité d'une population provinciale ( mais pas que) pétrie de traditions. 
Le film se concentre sur Fei, jeune et beau chinois venu de sa campagne. Il se prostitue pour subvenir aux besoins de sa famille et vit avec son amoureux qui, lui aussi vend son corps. Une mauvaise rencontre va les séparer et cinq plus tard, on retrouve le même Fei, toujours prostitué et avec un nouvel amoureux. 
"Moneys Boys" a beaucoup de choses à dire. Trop peut être... Evidemment certains aspects factuels de la prostitution sont évoqués  comme la violence possible des clients, les rapports avec la police. Le film dans sa première partie  tente aussi d'aller un peu sur le terrain politique (vendre son corps à l'industrie pour trois fois rien est-il plus moral que de le vendre à des humains riches? ), s'essaie à l'analyse du  poids des traditions qui pèse sur ces jeunes hommes ( surtout en tant que gays) pour finir par faire focus sur une histoire d'amour. 
En courant autant de lièvres, le film perd en efficacité malgré une mise en scène que l'ont peut qualifier de formellement belle. Chaque plan est infiniment bien composé, bien éclairé, frôle parfois le trop joli mais sans sombrer dans une totale magnificence qui serait ici une faute de goût. C.B. Yi sait filmer assurément, mais  sa joliesse manque toutefois de chair ( ce qui est un comble ici)  et son film patine un peu au  niveau du scénario qui n'arrive pas à faire cohabiter harmonieusement autant de thèmes, survole certaines situations qui aurait mérité plus d'attention contrairement à d'autres plus anecdotiques.
"Moneys Boys", proposition cinématographique forte mais à demie réussie, mérite toutefois notre attention, tant il est évident que ce jeune austro-chinois a du talent. 



 

mardi 15 mars 2022

A plein temps de Eric Gravel


Ne résumons pas le film, le thème n'est pas vraiment vendeur. Qui a envie de voir vivre pendant 48 heures une banlieusarde, mère célibataire, travaillant comme femme de chambre dans un grand palace parisien dont le quotidien se résume à courir partout entre la nourrice, le RER, une patronne zélée ( à ses actionnaires) et essayer de récupérer sa pension alimentaire ? Pas grand monde, tellement on a envie de se sortir de sa petite vie de fourmi travailleuse... Et pourtant.... on aurait tort de rater ce deuxième film d'Eric Gravel tellement il vous scotche sur votre siège durant 1h25. 
Pour raconter cette tranche de vie apparemment ordinaire, le réalisateur adopte tous les codes du film d'action et dès que sonne le réveil de Julie, nous voilà partis dans une course effrénée qui ne nous lâche pas une seule seconde, tant le scénario, formidablement écrit, pensé, nous accroche à sa malheureuse héroïne pour mieux nous empoigner et nous faire vibrer, frémir aux nombreuses petites péripéties qui jalonnent cette histoire. Sans que cela ne sombre jamais dans le cliché, dans le déjà vu, le film balaye le quotidien d'une grande frange de notre population rarement représentée au cinéma, celle qualifiée de classe moyenne mais qu'un petit grain de sable insidieux peut faire basculer dans la pauvreté. C'est là que réside le suspens haletant du film. Tombera ? Tombera pas ? 
Pour que le film fonctionne à 100 %, il fallait une grande comédienne à fort pouvoir d'identification. Le réalisateur l'a trouvée en la personne de Laure Calamy qui, si on ne le savait pas déjà, prouve ici qu'elle est désormais une de nos meilleures tête d'affiche. Le festival de Venise ne s'y est pas trompé en lui accordant son prix d'interprétation féminine en septembre dernier. Elle est est tout à tour tendre, stressée, stressante, (un peu) manipulatrice, combative, séduisante, drôle, effondrée, toute une palette infinie de sentiments avec lesquels elle joue avec une facilité, une grâce admirable et qui permet à ce film d'être un vrai thriller domestique plus que réussi. 
Pas de doute, "A plein temps" est du bon, du très bon cinéma français, qui parvient à rendre passionnant et trépidant le très improbable quotidien d'une femme avec  évidemment un regard un poil politique sans jamais appuyé son propos, laissant sa place au spectateur et à son sens de la réflexion. 




 

mercredi 9 mars 2022

Les Idées noires de Laure Gouraige


"Vous vous réveillez un matin, vous êtes noire." Tiens un "vous" qui nous englobe avec la narratrice! Intéressant comme départ. Bizarre qu'elle ne s'en aperçoive qu'à trente ans passés ou que ce message d'une journaliste lui demandant de témoigner comme victime de racisme anti-noir réveille soudain ce questionnement. Ok, elle n'est pas vraiment noire, juste quelques origines haïtiennes. Le message et ce passé généalogique suffisent à lui chambouler la tête. Elle a l'air un peu piquée quand même. Elle s'interroge. Beaucoup. Trop peut être car ça lui gâche la vie ( si elle ne se la gâchait pas avant). Elle tergiverse. Qui a envoyé le message ? Qui a donné mes coordonnées? Irai-Je ? Elle tourne en rond dans son petit appart.Suis-je vraiment noire ? La question l'obsède. Alors, elle teste sa négritude. Obtient des résultats mitigés selon les plans mis en place. Elle semble un peu à la ramasse mais peut être drôle heureusement car elle ressasse toujours un peu les mêmes obsessions. Flash sur Haïti. Sur ses ascendants. C'est quoi cette terre de ces ancêtres?! Aucune envie d'y aller. Quoique... Bon, filons à Miami, y'a de la famille là-bas. Haïti, c'est en face. Entre récit drôlatique sur la vie aux US et ses interrogations, on ressent quand même un poil de lassitude. Vis, mange des glaces Cold Stone ( inconnues chez nous) et pose-toi moins de questions a-t-on envie de lui dire. Surtout qu'au final, elle reviendra au point de départ. Tout ça pour ça... Pas convaincu totalement mais jolie tentative de romanesque intime et intérieur. 

 

mardi 8 mars 2022

Goliath de Frédéric Tellier

 


Saluons ce cinéma français, qui ose s'attaquer à un genre souvent labouré dans le cinéma américain : le seul ( ou presque) contre les méchants industriels qui polluent, tuent sans l'ombre d'un remord ( dernier exemple en date Dark Waters de Todd Haynes ). Le thème central tourne autour des pesticides qui tuent autant les agriculteurs que les consommateurs avec la petite variante autour de l'influence des lobbys. 
"Goliath" mixe trois points de vue différents, celui des agriculteurs, celui d'un avocat qui se voit confier la défense d'une famille d'agriculteurs endeuillée et celui d'un lobbyiste. 
Trois situations complémentaires mais aussi  trois façons de filmer chacune, sans doute pour bien marquer chaque univers mais qui, au final, enlève de la cohérence et de la force au film. Les vies des agriculteurs nous sont présentées dans une sorte de cinéma chichiteux, flou, peut être poétique pour montrer combien la vie de famille est belle à la campagne quand tout va bien mais entrecoupé de scènes plus sèches mettant en scène la colère de certains ( formidablement mélo  Emmanuelle Bercot ). La partie judiciaire ne brille guère malgré la détermination d'un avocat un poil dépressif qui est interprété par un Gilles Lellouche en petite forme donc pas vraiment convaincant. On retiendra surtout la partie sur le lobbying, sujet peu traité au cinéma mais ici concentrant toute l'énergie du cinéaste autant dans le traitement du personnage central ( excellentissime Pierre Niney) que dans des dialogues parfaits mettant bien en évidence comment on manipule l'opinion avec les mots.
 C'est grâce à ce regard sur un métier assez secret et ô combien destructeur et dégueulasse ( sauf pour les puissances de l'argent) que le film arrive à emporter l'adhésion, cachant ainsi la faiblesse du reste. 




lundi 7 mars 2022

Robuste de Constance Meyer


Il y a des films dont on peut se demander ce qu'ils cherchent à nous raconter. Prenez donc "Robuste". Est-ce un face à face entre deux humains dont les apparences robustes masquent une sensibilité certaine? Ou l'opportunité de faire tourner un monstre sacré du cinéma en essayant de dresser un portrait un peu plus intime ? Un peu des deux sans doute et hélas, à l'écran, il n'y a pas réellement de rencontre des deux personnages et franchement, le portrait sensible de Depardieu, on s'en moque un peu. 
A l'écran, nous avons le grand acteur français qui joue un personnage de star de cinéma. Donc pour la composition, on repassera. Le but de la réalisatrice a consisté à le poser dans le cadre et essayé de le faire jouer un peu... Faut reconnaître que ça marche mollement, même en collant Gérard devant des poissons des abysses pour la métaphore. La bonne idée était toutefois de lui mettre en face une jeune comédienne qui tient la route, ce qui est le cas de l'excellente Déborah Lukumuéna. Malheureusement pour elle, la faute à un scénario un peu plat, la partition à défendre reste ténue et surtout se retrouve finalement assez isolée du grand Gégé. La rencontre n'existe presque pas et le film patine mollement durant son heure et demie, laissant le spectateur un peu perplexe devant une certaine vacuité. 





 

vendredi 4 mars 2022

Le Zoo des Absents de Joël Baqué


Se plonger dans un roman de Joël Baqué, c'est partir pour un romanesque qui cache bien son jeu et donc se retrouver à être de plus en plus surpris au fil des pages qui se tournent. 
Sans rien révéler de ce qui vous attend, disons que cela démarre comme un roman d'Anita Brookner, avec un personnage lambda, passe-partout, seul et à la vie assez étriquée. René est un retraité paisible, qui se satisfait de trois fois rien et que personne ne remarque vraiment. Il fait ses courses dans la supérette pas loin de chez lui, arrose un pin parasol bonzaï offert par ses collègues lorsqu'il a quitté son emploi de comptable pour les Salaisons Occitanes après y avoir passé 40 ans, aime toujours les chiffres et donc remplir des grilles de Sudoku. Rien de bien fun donc.... sauf que lors d'un banal échange avec la caissière du petit supermarché voisin, sa vie va soudain prendre une direction franchement inespérée. Il y sera question de militants animalistes, antispécistes, d'amitié aussi. Petit à petit, le brave René va être emporté dans un univers ultra singulier pour finir par être le moins anonyme possible. 

Cette trame du personnage ordinaire qui le devient nettement moins était déjà présente lors d'un précédent roman de l'auteur ( "La Fonte des Glaces" en 2017) et déjà articulée autour de thèmes portant sur l'écologie et amenant évidemment le lecteur à se questionner. "Le Zoo des Absents" suit le même projet, fera réfléchir sur le mouvement animaliste tout en faisant retrouver au lecteur cette sensation très agréable de partager avec le héros un même étonnement face à ces nouveaux horizons qui s'ouvrent. Si on peut faire un tout petit reproche à Joël Baqué, ce serait de s'être un tout petit trop attardé sur les discours des militants dans la première partie... Mais la suite fait vite oublier cela grâce à une plume qui n'a pas son pareil pour fixer une poétique de l'ordinaire tout en regardant le monde actuel ( et à venir) avec acuité. On passera en douceur de la chronique intimiste apparemment simple au roman d'anticipation dérangeant sans que jamais on ne perde l'intérêt qui va sans cesse grandissant. 

Allier originalité, plaisir de lecture et réflexion, c'est rare dans le roman français. Joël Baqué sur ce terrain là, se révèle un maître ! 




 

jeudi 3 mars 2022

Viens je t'emmène de Alain Guiraudie


Le cinéma français semble avoir trouvé de l'inspiration ces dernières années. Serait-ce un effet positif du COVID ? En tous les cas, après les excellents "Rien à foutre" ou " Ils sont vivants" et avant  le formidable "Bruno Reidal", Alain Guiraudie nous propose son film le plus facile d'accès, la comédie de la semaine qui, une fois n'est pas coutume, défrisera les spectateurs. 
Quand vous irez voir "Viens je t'emmène" ( car il serait idiot de rater un bon film), laissez-vous surprendre par cette histoire et les personnages créés sans être impressionné par les thèmes abordés, les attentats terroristes, la prostitution, les femmes battues, les caïds de banlieue, l'islam, ...Ces ingrédients ne flèchent pas vers une comédie mais le réalisateur et scénariste a concocté un film léger, merveilleusement bien dialogué et tordant le cou avec bonhommie à une certaine bien pensance. Loin de reprendre à son compte le nom de son excellentissime interprète principal Jean-Charles Clichet, Alain Guiraudie joue au contraire à les éviter ( les clichés). Ses personnages, qui sous la caméra de réalisateurs moins inspirés navreraient par leur manque de nuances, brillent ici d'une profondeur et d'une ambivalence totalement réjouissante rendant cette histoire vraiment passionnante ( et hilarante aussi) tant le spectateur se trouve constamment surpris par les réactions jamais attendues de chacun sans que jamais cela semble outré ou idiot. 
Alain Guiraudie continuer à creuser son chemin en filmant des corps moins convenus dans des scènes sensuelles qui peuvent choquer le bigot avec un cunnilingus  bruyant dans un confessionnal de la cathédrale de Clermont-Ferrand peut déranger mais ose surtout donner un point de vue radicalement différents sur ces problèmes contemporains que sont l'immigration et l'islamisme, faisant s'interroger son personnage principal athée et plutôt bonnasse. Et ce n'est pas la conclusion du film, très ouverte à l'interprétation, élan collectif forcément métissé mais tout aussi bien ode au polyamour, qui enchantera  nos candidats fachos ou ultra conservateurs du moment. 
Vous aurez compris que cette comédie sur fond dramatique, saura vous divertir intelligemment, vous surprendre et vous faire réagir. C'est rare, c'est l'apanage de certains films d'auteur. "Viens je t'emmène" est un de ceux-là et ça fait rudement du bien ! 



mercredi 2 mars 2022

Rien à foutre de Emmanuel Marre et Julie Lecoustre


 

C'est une tranche de vie avec hôtesse de l'air et mère décédée, filmée en partie avec un Iphone, un peu à l'arrache. Du ciné français non formaté pour amateur de petite production bancale mais sympatoche ? Pas tout à fait car, très vite on s'aperçoit que le film a été pensé dans ses moindres détails.  En plus de brosser le portrait très fin d'une jeune femme de 26 ans, le récit distille tout un discours subtil sur les apparences d'une société qui n'en a rien à foutre des humains qui la composent. Bye bye empathie et bienveillance, termes balancés à tout bout de chant dans les concepts managériaux d'entreprise qui n'en ont justement rien à foutre, tant ils sont là pour camoufler l'exact contraire de leurs agissements. Bonjour rendement, fric, respect débiles de règlements visant la rentabilité et appliqués par des employés que l'on sent plus proche du burn out, qui de guerre lasse finissent eux aussi par plonger dans cette vie faite uniquement d'apparences. 

Le film se divise en deux parties distinctes. La première se concentre sur la vie au travail de Cassandre, future chef de cabine d'une compagnie aérienne low cost que l'on suit également lors de ses moments de repos à Lanzarote où elle est obligée d'habiter ( un lieu aussi impersonnel que possible, cubes de béton minables mais sous le soleil). La deuxième se déroule sous une grise Belgique où la jeune femme va renouer avec sa famille qui gère comme elle peut le deuil d'une mère décédée dans un accident de voiture. Si ce retour dans le giron familial peut apparaître plus psychologique, permettant à l'héroïne de retrouver quelques vraies valeurs, la société se camoufle dans les coins et continue à en avoir rien à foutre d'une enquête sur l'accident maternel tout en veillant encore et toujours à ce que les apparences, la vitrine, régissent la vie de ces êtres. 

Cassandre, c'est Adèle Exarchopoulos, qui, il faut le dire, le redire, est absolument exceptionnelle dans ce rôle. La caméra ne la quitte quasiment jamais, la filmant plein cadre, traquant la plus petite émotion, tout en veillant à ne jamais la salir, voire l'érotiser ( alors que la société le lui demande). Nous sommes vraiment en empathie avec elle ( nous sommes bien les seuls !...ou presque) et nous ressentons au plus profond le mépris de ce capitalisme qui n'en a rien à foutre des humains auxquels il s'adresse. Dans les nombreuses scènes fortes du film, s'il fallait en retenir une seule, je choisirai, dans le premier tiers du film,  ce dialogue téléphonique avec un centre d'appel Orange, moment de bascule où Adèle Exarchopoulos, intense d'émotion, hisse soudain ce premier long-métrage vers des sommets qu'il ne quittera plus.

Film à petit budget, "Rien à foutre",  remarquable d'acuité sur nos vies d'apparence, est une très agréable surprise dans un cinéma français trop formaté et donne un réel sentiment d'espoir pour l'avenir, de ces cinéastes comme de la vie en général puisqu'il existe encore  des humains de (très ) bonne volonté. 






mardi 1 mars 2022

Vertidog de Léonie de Rudder


Pour son coup d'essai, Léonie de Rudder peut être fière, elle nous offre un roman totalement  contemporain, plein de verve, avec du fond et surtout garanti sans inceste, sans secret de famille, sans amant(e) dans un loft bourgeois ( oui, c'est possible). Dans une intrigue menée tambour battant, vous voyagerez à San Francisco en compagnie d'un jeune français en stage dans une start up tellement pleine d'empathie avec son personnel qu'elle le vire dès la première sensation de négativité. Parce qu'il a envie de rester dans cette ville qui offre quand même une foultitudes de possibilités quand on un jeune geek créatif, en attendant de créer l'appli qui déchirera, il vivote en déambulant avec des chiens à ses pépères et mémères en tant que dog-walker. 
Sur cette base et suite à une rupture amoureuse, nous suivrons la folle journée de ce jeune français, accro à son portable, cherchant un nouveau toit pour la nuit via une appli ( Tinder) et instagrammant au mieux ces instants mélancoliques, histoire que de nombreux likes le fasse sentir vivant. 
Le roman, très cinématographique dans ses références ( "Vertigo" y joue un certain rôle) voire dans sa succession de portraits et de rebondissements,  n'est pas sans rappeler "After Hours" de Martin Scorcese avec sa suite de galères qui auscultent au plus près nos sociétés, ici totalement vouées à des activités digitales ( pas sur peau mais sur écrans tactiles). Sous des airs légers, "Vertidog" sait aussi se montrer caustique, gentiment moqueur, interrogeant son lecteur quant à notre avenir sous le joug d'activités numériques ou à la merci des gourous du bien-être.
Le rythme effréné de cette chaude journée ( avec une petit moment un peu mou du genou lors de la rencontre avec cette créature aux puces greffées sous la peau) nous conduira au bout d'une nuit qui nous laissera aussi pantelant que son héros mais ravi d'un lecture contemporaine, simple ( malgré un vocabulaire geek bien fourni) et assurément très agréable.