vendredi 26 février 2021

Avant elle de Johanna Krawczyk


 Pour son premier roman, Johanna Krawcyk fait feu de tout bois avec un récit plein comme un oeuf. On sent que son métier de scénariste a fonctionné à plein pour ne jamais laisser son lecteur en plan, lui offrant une histoire aux multiples thèmes et aux très nombreux rebondissements. Trop peut être...

Sans rien divulgacher de cette intrigue aux lourds secrets de famille et qui ausculte les stigmates laissés par la junte militaire en Argentine à la fin des années 70, disons que le livre débute façon Kouign Amann auquel on aurait doublé la dose de beurre. Nous avons une héroïne, intello mais sortant de l'HP, au bord de sombrer dans la folie totale alors qu'elle a un bébé de 20 mois ( qui ne fait pas ses nuits et qui est arrivé un peu par hasard suite à un déni de grossesse), portée sur la vodka et autres alcools forts et dont le mari va, bien sûr, la quitter. Cette pauvre malheureuse va se retrouver en possession de 5 carnets écrits par son défunt père ( mort au moment de la naissance de sa fille) dans lesquels il raconte sa vie. Démarre alors le récit de la vie du géniteur, dont l'enfance pourrait être le scénario tarabiscoté d'une série en douze épisodes. Rassurez-vous ce n'est que le premier tiers du livre ( en gros 50 pages ....). Si le gros gros romanesque échevelé vous agace, persistez un peu toutefois, car la suite, même puisant certains rebondissements hasardeux dans ce début, aura une autre tenue. 

Il est certain que l'évocation par la suite de la sinistre dictature militaire du senor Videla donne un ton beaucoup plus dramatique et vraiment imparable dès lors que le roman se penche sur cette bestialité qui s'empare des hommes révélant leur côté le plus inhumain ( attention passages pouvant heurter les âmes sensibles). Bien sûr on n'échappera pas encore à quelques grosses ficelles narratives et même si l'on sent venir le dénouement avec ses gros sabots, on ne peut rester insensible à ce rappel historique, pas si lointain, de ce que furent ces années noires en Argentine. 

"Avant elle" défie un peu la critique. On peut être totalement subjugué par le terrible thème proposé, voire l'habile construction de ce récit et passer outre cette cohorte de rebondissements et de liens un peu tirés par les cheveux. Toutefois, le roman aurait gagné à traiter de façon moins superficielle cette folie sanguinaire, cette ultra violence qui s'empare des hommes et qui ne peut que laisser des séquelles même sur plusieurs générations. Tel quel, le roman, qui file à cent à l'heure, fait plus penser au scénario d'un futur long-métrage qu'à un roman puissant et profond. Dommage, mais mérite le coup d'oeil. 

mercredi 24 février 2021

A la piscine avec Norbert de Véronique Pittolo


 Une femme, cinquantenaire, moulée dans son maillot de bain Décathlon, nage dans sa ligne d'eau pour nageurs moyens. Elle laisse aller son corps dans l'eau de même que ses pensées. 

A quoi peut donc penser cette femme en nageant? A la vie qui va, la sienne, celle d'une parisienne intello mais vivant de petits boulots, à sa silhouette encore mince alors que d'autres silhouettes tout aussi minces font la queue devant la piscine dans le secret espoir de pouvoir prendre une douche parce que sans abri. Elle pense à sa retraite future, bien mince, ses rencontres Meetic parce que, quand même, le sexe ça compte dans sa vie. 

Quand elle ne nage pas, elle discute avec Norbert, amant chaud comme un lapin mais pas toujours synchrone quant à ses discussions. Le foot super, Houellebecq non, pas quand même. Qu'importe, ils s'entendent bien au final, autant sexuellement ( parce que la performance l'importe peu) que pour un quotidien fait de quelques petites joies ( il vole la nourriture pour son chat au Franprix). 

Le roman de Véronique Pittolo n'est pas fait pour les lecteurs qui aiment les histoires classiques, bien calibrées et bien pensantes. Ici, c'est juste un moment de vie qui démarre par le calcul d'une future très maigre retraite et qui finit par l'envie très forte d'une grève générale. Petit condensé d'un parfait petit anti libéral qui ne cesse de trouver le monde alentours bizarre, l'héroïne pointe malicieusement du regard toutes les absurdités d'un  monde inégalitaire dont on semble hélas se satisfaire et contre lequel elle essaie de lutter. 

Nous vagabondons au fil de ses pensées, dans un texte totalement libre, s'affranchissant de toute narration classique pour surprendre, divertir, faire sourire avec une petit air mutin et moqueur absolument délicieux. Léger comme la nageuse dans sa ligne qu'elle franchit symboliquement par ses pensées, le roman est également un portrait de femme dite vieillissante ( pour les canons jeunistes actuels) qui ne renonce à rien et surtout pas à sa sexualité qu'elle aborde franchement et avec un sens piquant du détail.  

Original ( et sans doute déroutant pour des lecteurs qui aiment les sentiers battus et rebattus), " A la piscine avec Norbert" est une petite friandise acidulée qui fait du bien dans ces moments de conformisme rampant. 

samedi 20 février 2021

La maison des Hollandais de Ann Patchett


 Que dire de ce roman qui nous transporte dans un plaisir de lecture qui nous fait retrouver autant les joies et les émotions des contes lus enfants que le plaisir des romans déroulant la vie de personnages attachants ? Simplement, que, tout de même, le roman américain se porte bien et Ann Patchett est une conteuse hors pair à la voix sensible. 

Comme le titre l'indique, une maison tient un rôle très important dans cette histoire qui court sur plusieurs décennies. C'est une immense bâtisse, le genre de folie architecturale que de richissimes industriels américains aimaient à faire construire au temps de leur splendeur. Celle-ci date du début du 20ème  et se dresse dans une banlieue huppée de Philadelphie. Le père des deux personnages principaux l'avait achetée dans les années 60 alors qu'il venait de faire fortune dans l'immobilier. Evidemment, un belle maison ne fait pas forcément le bonheur et ici, ce serait quand même le contraire pour pas mal de ses habitants. Une mère  la fuira par dégoût, des enfants y seront tour à tour heureux et malheureux, d'autre seront très attirés jusqu'à l'obsession et toujours, l'ombre de ce mastodonte architectural laissera des traces dans les esprits voire les corps durant toute une vie. Ce sera, entre autre le cas de Danny, le narrateur, homme renfrogné et entier et de sa soeur Maeve, rayonnante et à la forte personnalité. Tous deux seront les victimes innocentes de cette maison qui leur échappera et qui deviendra toute leur vie durant autant le cocon de l'enfance qui ne peut s'effacer, que l'obsédante attirance pour quelque chose de perdu. Longtemps ils viendront tous deux stationner dans leur voiture et regarder ce qui fut le lieu qui nouera leur vie entière. 

Le roman, sans aucune mièvrerie, empoigne ces deux vies avec ampleur, jouant avec les périodes d'une façon parfaitement fluide, ne perdant jamais ni le lecteur ni ses personnages denses et formidablement humains. Débutant un peu comme un conte de fée ( avec château, marâtre et méchanceté), faisant un peu penser au Manderley du "Rebecca" de Daphné du Maurier, le roman ensuite se déploiera autour du thème de l'enfance et des liens familiaux, rendant chaque moment à l'apparence banale totalement empathique. On notera que la traduction d'Hélène Frappat ( également écrivaine) ne doit pas être étrangère au plaisir de lecture  éprouvé de ce qui est sans doute un des romans étrangers les plus formidables du moment. 

lundi 15 février 2021

Cibles mouvantes d'Alain Darborg

 


Depuis quelques années le cinéma scandinave, pas toujours bien distribué, produit des films originaux et intéressants ( qui font le bonheur de certains festivals). L'arrivée sur Netflix de ces "Cibles mouvantes" laissait présager un long-métrage sortant des sentiers battus et pouvant relever un peu la programmation  habituelle bien pâlichonne. 

On s'installe confortablement pour ce thriller promis glacial. Nous sommes bien en Suède et nous suivons un couple mixte, lui blanc, elle métis. Ils s'aiment et démarrent leur vie ensemble. Las, le couple, après un an et demie de vie commune est au bord de l'explosion. Elle est insatisfaite de sa vie, ayant l'impression d'être juste une femme au foyer et en plus elle se retrouve enceinte. Lui passe son temps à bosser mais surtout à jouer sur sa console. On fait mieux comme tourtereaux. Heureusement lui aura l'idée d'un week end à deux dans le nord du pays pour se retrouver. Les voilà partis dans le froid et la neige pour admirer quelque aurore boréale. Ils croisent bien  deux types pas vraiment sympas , mais ils sont décidés à ce que ce séjour soit celui de la renaissance de leur amour...

Evidemment, rien ne se passera comme prévu ou rêvé. La première partie sera une sorte de "Délivrance" à la sauce "The revenant", sans le talent de réalisation d'un John Boorman et sans la belle photo du film avec De Caprio. Il ne reste donc que des péripéties un peu prévisibles et un couple qu'un début de scénario a rendu moyennement sympathique et dont les malheurs laissent un peu ...froid. 

Puis dans la dernière demi-heure, après avoir affronté neige, glace, coups de feu et même très rapidement un ours ( bien entendu, un film dans la neige doit en avoir un), le film prendra un virage à angle droit et verra les rebondissements succéder aux scènes un poil plus violentes ( mais pas gores). Cette accumulation de plus en plus improbables de faits divers et variés, finira par achever le film et le faire passer dans la catégorie nanar. 

Fabriqué pour en fiche plein la vue au spectateur,  mais à cause d'une mise en scène très plate, de comédiens assez lambdas et surtout d'un scénario mal fichu et peu crédible, "Cibles mouvantes"  aura du mal à passionner, ou alors il faut vraiment n'avoir jamais vu un seul thriller de sa vie. 




samedi 13 février 2021

La familia grande de Camille Kouchner

 


Qu'écrire de plus sur ce roman qui a fait couler tant d'encre ? 

Sur l'inceste subi par le frère jumeau de l'auteure, rien de plus. La stupeur, le silence, l'emprise des proches pour garder l'omerta, l'hydre du remord qui consume les corps, les coeurs, qui bousille la vie, tout est parfaitement décrit, oppressant. Un témoignage implacable et courageux qui, on le sait, en plus d'avoir déboulonner la statue d'un porte-voix médiatique, permet de faire bouger la société sur ce sujet. C'est la deuxième partie de l'ouvrage, la plus forte évidemment. 

Toutefois, en plus du thème centrale de l'inceste, le livre questionne sur d'autres points, sans doute mineurs aux yeux de beaucoup, mais dont on ne peut faire l'impasse. 

Ce n'est pas un roman, mais un témoignage qui nous entrouvre les portes d'une famille connue médiatiquement. Du coup, notre regard est sans doute plus voyeur, plus acéré, plus critique vis à vis de ces personnes riches, qui brillent et qui pétillent dans une bourgeoisie de gauche facilement critiquable. Camille Kouchner, le sait. On le sent dans son récit. Elle ne peut faire l'impasse de raconter certaines choses qui expliqueront par la suite ce silence, mais louvoie énormément ( l'avocate qu'elle est, connaît les risques d'un trop grand dévoilement ). Alors le texte, surtout dans la première partie très biographique, paraît souvent elliptique, voulant plus suggérer adroitement des choses plutôt que les dire franchement, laissant le lecteur, imaginer, interpréter entre les lignes ( peut être mal ), les caractères de chacun. Avec une écriture assez maladroite, elle essaie de placer les personnages avec toute les ambiguïtés qu'ils suscitent et dans cet univers de la société française aisée des années 80 avec, au milieu, ce qui sera l'autre grand thème de ce livre, l'amour impossible qu'elle porte à sa mère, relation offerte à notre subjectivité. 

Sa mère est donc Evelyne Pisier, militante féministe, prof de droit, personnalité connue et reconnue du milieu germanopratin. Certains se souviennent sans doute du portrait enflammé qu'en avait dressé voici deux ans Caroline Laurent dans "Et soudain, la liberté". L'image, sous la plume pourtant aimante de sa fille, en prend un sérieux coup. Eprise de liberté, un peu libertine, mondaine de gauche, peu encline à s'occuper de ses enfants ( les nounous ça existe!) mais exigeante sur les résultats scolaires, parfois franchement méchante, cinglante, plus tard alcoolo et défendant l'indéfendable, cette mère a tout de la toxique dont l'idéal serait de la fuir, ce que n'arrive pas à faire Camille Kouchner, coincée avec l'idée qu'il faut aimer une mère. Donc, elle l'aime....à ses dépends ( du moins, c'est que que le lecteur ressent durant tout le livre) portant aux nues les quelques moments de complicités, ses yeux bleus et l'odeur de sa peau. C'est l'autre point fort du livre, cette relation bancale de quelqu'un de qui cherche un amour filial sans le trouver vraiment. 

Bien sûr, on pourra aussi trouver d'autres points d'accroche, comme la description des vacances au soleil où la liberté régnait, avec ce regard pudibond très actuel, qui fait facilement l'amalgame entre liberté des corps et inceste obligatoire, ce qui ressort de beaucoup de commentaires.  On peut se baigner nu dans une piscine l'été, chez soi et ne pas obligatoirement avoir envie de sexe avec des enfants.  On peut également profiter de ce livre pour encourager une certaine haine de ces élites, qui, en plus de la description de leur mode de vie, arrivent, même dans leur malheur, à en tirer un certain profit. Mais Camille Kouchner, répond ( indirectement ) dans son livre à cette critique en parlant de son père ( Bernard Kouchner) dont elle rappelle que ses combats ont porté leurs fruits grâce à ses réseaux. C'est sans doute le cas ici, doublé d'un grand courage. En effet, dénoncer publiquement cette omerta familiale est un acte infiniment courageux, surtout en sachant ce que, personnellement et familialement,  cela va déclencher.  Et quand, en plus, grâce à ce témoignage, notre société, avance et bouge ,on ne peut que remercier pour cet acte essentiel cette bourgeoisie ayant du réseau, que l'on disait autrefois éclairée et qui l'est donc toujours...au moins certaines.




jeudi 11 février 2021

La Mission de Paul Greengrass

 


 Les salles fermées, et sans doute pour ne pas perdre cette habitude de vendre tout et n'importe quoi aux futurs spectateurs, pas mal de journaux  ont tendance ces derniers semaines à s'esbaudir pour le moindre film arrivant sur Netflix ou Amazon Primevidéo. En ce moment, c'est "La Mission" de Paul Greengrass ( réalisateur de quelques nanars énervés... la série Jason Bourne notamment) qui a la chance de bénéficier d'un surcroît de qualificatifs divers et variés. Il devait sortir début janvier , mais Universal s'en est débarrassé en le vendant à la plateforme de streaming. Qu'importe, un western avec une star, voilà qui va faire du buzz. On parle de majestueuses "premières nouvelles de l'Amérique de Biden" ( alors que le film a eu pas mal de péripéties avant d'être produit...on s'est refilé le scénario de studio en studio, donc des nouvelles peut être, mais pas très fraîches) avec bien sûr la description en creux de la division actuelle du pays, ... grand clin d'oeil appuyé puisque le film se situe juste après la guerre de sécession... On nous parle évidemment de coup de pied à Trump et même d'un plaidoyer impitoyable pour la défense de la presse ( laquelle?)  et la lutte contre les fake news. Là, il va falloir se calmer, car si le personnage principal lit des articles de presse en public, pour attirer son auditoire, il ne renâcle pas à chercher les nouvelles croustillantes et ainsi ramasser quelques sous. 

Si La Mission capte autant l'attention, c'est uniquement parce que Tom Hanks, l'actuel père idéal de l'Amérique, interprète le premier rôle... Enfin, disons plutôt qu'il a accepté de poser un chapeau sur sa tête, de laisser pousser sa barbe et convenir de lever le sourcil  lorsqu'il sent qu'il va y avoir du grabuge et daigner faire un regard de chien battu lorsque la situation devient émouvante. Un minimum syndical à l'image d'ailleurs du film où tout est bien pâlichon. Le scénario, modeste copie de quelques vieux John Ford, narre le périple d'un ancien soldat qui doit traverser le pays pour ramener à sa famille restante une pauvre orpheline. L'avantage de la petite fille est qu'elle ne parle qu'un dialecte indien, donc elle se tait. Elle a été castée pour ses yeux bleus intenses. Cela permet à Tom de monologuer ...mais de s'attacher aussi, bien évidemment. Le voyage ne sera pas de tout repos...à l'écran...car dans notre fauteuil de salon on s'ennuie ferme devant l'enfilade de scènes prévisibles. On traverse de grandes immensités quasi désertiques ( on devine que certains plans ont été tournés devant un fond vert...le film a obtenu aussi un budget minime ...ou tout est allé à la star.), on aperçoit des bisons. Lorsque Tom fronce le sourcil, on sent le danger. Du coup la petite fille est encore plus décoiffée ( gros budget coiffure/enfant par contre ...car pour décoiffer des cheveux raides, il faut du matos) et ouvre plus grands ses yeux ronds. Elle a raison car ce sont toujours des méchants bien méchants. On les affronte notamment dans une longue  scène de combat qui ferait passer n'importe quelle petite bagarre de la série Zorro ( celle des années  60) pour un moment cultissime. Plus tard, on restera pantois devant un supposé ou voulu morceau de bravoure à base de tornade avant d'attendre la fin plus que prévisible,  qui est pour certains journaux "une ode au vivre ensemble". 

Malgré Tom Hanks, on comprend pourquoi Universal a cédé les droits à Netflix : sur les écrans de ciné, les grands espaces n'auraient pas pu camoufler le manque d'inspiration de ce film trop sage, pas inspiré et au final très très banal. Et c'est de bonne guerre de justement refiler ses rogatons ...mais de là y prendre goût... 



mercredi 10 février 2021

Le Dit du Vivant de Denis Drummond


 Denis Drummond a beaucoup de choses à partager, autant par ses connaissances multiples dans une foultitude de domaines que dans sa vision de notre monde et de son avenir. Ce roman en est la parfaite illustration puisque se trouveront mêlés dans le récit, des recherches archéologiques qui bousculeront tous les savoirs scientifiques connus, le Japon et son art du théâtre Nô et de ses estampes, l'autisme, l'ADN, le décryptage du génome, le réchauffement climatique, la raréfaction de l'eau douce, une civilisation inconnue et apparue étrangement treize millions d'années avant nous, des virus, des semences modifiées et un raton laveur ( heu non, pas lui...). 

Pour mettre en récit tout cela, comme le texte n'est pas exempt de quelques moments scientifiques parfois un peu raides, l'auteur divise tout cela en 6 parties, comme une séquence d'ADN ( merci la 4ème de couverture). Chaque partie est elle même subdivisée en 5 autres parties aux voix identiques :  le narrateur avec le récit proprement dit, le journal de son héroïne... enfin héroïne est un bien grand mot, personnage principal...et encore..., des chroniques, lettres ou articles de presse, le récit du fils de la presque héroïne et pour finir celui d'un "être Vivant", voix venue du fond des âges puisque parlant d'il y a plus de treize millions d'années. Aussi bizarre que cela puisse paraître cette construction allège sérieusement cette histoire, rendant le propos plus vivant et moins plombant, car ici, c'est du lourd que l'on nous propose. Un peu de dystopie, un soupçon de science-fiction, du mystère aussi, permettent à ce récit d'aborder tous les grands sujets du monde, aussi bien politiques, scientifiques, religieux, écologiques, humains. Le lecteur trouvera de quoi alimenter sa réflexion, réfléchir à sa place dans l'univers, à ses origines et à la direction qu'il prend...ou pourrait prendre. Il sera titillé par cette découverte plus qu'étrange de ce groupement humain qui n'avait rien à faire là où il est apparu mais qui nous laissera des solutions pour notre futur. Entre raisonnements, explications, historiques divers et variés, le roman peut apparaître indigeste comme peut l'être une encyclopédie lue de la première à la dernière ligne ( en même temps qui lit des encyclopédies de nos jours?). 
Pour sortir de son côté un peu démonstratif, alléger l'ensemble, Denis Drummond place des personnages mais ils font pâle figure à côté de ce qu'ils vivent, pas très aidés par une caractérisation sommaire. Ah ces japonais si empreints de contemplation et si passionnés par l'art du geste, et calmes, et gentils ! Ah cette mère aimante  et passionnée ! Oh cet autiste qui va s'en sortir grâce, en partie, à cette éducatrice canadienne ! Oups, par contre, je ne dirai rien du bilan carbone du personnage principal ( ou presque) qui vit en Australie, consulte au Canada où elle a quand même placé son fils qu'elle aime tant, tout en travaillant au Pérou puis au Japon ! Tout ce petit monde sert plus de décoration à l'intrigue touffue mais aussi de relais aux propos scientifiques tout en y apportant l'aspect symbolique que ce genre d'histoire engendre inévitablement. 
Roman hybride et surprenant, "Le Dit du Vivant" accroche malgré quelques ficelles romanesques mais surtout en impose par cette envie de faire réfléchir son lecteur sur notre humanité. 


mardi 9 février 2021

The Nest de Sean Durkin


 Présenté lors du festival du film américain de Deauville en septembre dernier où un jury très corporate ( un long-métrage, pourtant anglo canadien mais avec une star comme nous, on aime) lui a décerné une flopée de prix (et ainsi ignoré des films plus intéressants dont le First Cow de Kelly Reichardt), The Nest, à défaut de trouver le chemin des salles, sort directement en VOD. 

Précédé de cette aura glanée sur les planches mais aussi de la réputation de son réalisateur, Sean Durkin dont le précédent film sorti chez nous, Martha Marcy May Marlène, avait connu, à juste titre, un beau succès critique, The Nest bénéficie de critiques enthousiastes, que l'on peut mettre sur le compte de la disette cinématographique actuelle. Pourtant, à l'écran, pas de quoi pousser des cris de joie. C'est l'histoire d'un flambeur/trader assez antipathique, issu d'un milieu populaire, qui va sombrer, entraînant également son couple dans un trou noir, symbolisé ici lourdement par la demeure sinistre achetée à la campagne. Avec une photographie sépulcrale, lorgnant parfois vers le film fantastique ( ce qu'il n'est jamais dans les deux sens du terme), on suit cette lente descente aux enfers, sans que jamais ce couple ne nous touche. Lui, même si bien joué par le magnifique Jude Law, restera imbuvable jusqu'au bout. Elle, même si parfois le réalisateur s'attarde un peu sur son sort, essayant de décrypter son désarroi de bourgeoise aux aspirations assez floues, on en restera à une sorte de résignation aveugle et un vague amour équin bien compréhensible. Tout cela n'est guère palpitant, prévisible dès les premières minutes. 

Quand on a apprécié Martha Marcy May Marlène, on ne peut qu'être déçu par ce portrait un peu lourd de la déchéance d'un couple névrosé malgré un duo d'acteurs épatants qui n'arrive pas à hisser le film vers la finesse ou la subtilité. 




lundi 8 février 2021

Sélection naturelle de Caoilinn Hughes


 

Voici un roman qui porte bien son titre, qui fait proprement le boulot ... et très vite. Dès les premières pages, le lecteur fronce les sourcils. Passons sur la première phrase qui trompe tout de suite le lecteur français. Non, Gael ( sans tréma) n'est pas un prénom masculin mais celui de l'héroïne de ce roman. Il faudra quelque paragraphes pour l'intégrer, cette petite gymnastique est salutaire pour la plasticité du cerveau. Sauf que le cerveau justement va être confronté à une autre épreuve nettement plus complexe : saisir, comprendre ce qui est écrit. C'est en français certes, mais entre des phrases assez lourdingues ("Sive gardait rarement des fleurs dans la maison, à cause du trop grand nombre de choses dont s'occuper, parce que cela rendait Guthrie morose d'assister au biorythme épanouissement-fanaison ...), que parfois on relit pour bien en saisir le sens, ou des coquilles ( enfin je pense )... comme dans cette phrase : " D'un geste tremblant, Sive appuya ses doigts contre ses temps et s'immobilisa la tête.")... mais peut être y-a-t-il ici une perception du temps, métaphorique sans doute,  que je n'ai pas saisi. Bref, on relit, les phrases, la lecture est hachée, on se demande si c'est un problème de traduction ou si le roman ( traduit de l'anglais ( Irlande)) proposait une langue novatrice empreinte d'effets de style difficilement traduisible en français, que l'on perçoit bien lorsque page 62 tout un paragraphe ajoute une majuscule à chaque mot. Quoiqu'il en soit, et avec parfois l'impression de lire des phrases issues de Google traduction, on avance vaille que vaille au sein de ce couple dysfonctionnel et dont les enfants vont tenter de se défaire de cette éducation empreinte de religion mais aussi de désir de réussite. On pénétrera ( péniblement) dans le milieu artistique New-yorkais, et... et... ben rien.... j'ai abandonné page 156...lassé de revenir constamment en arrière relire des phrases et m'énerver sur ce style obscur. 

La "Sélection naturelle" a bien opéré. Ce roman n'est pas pour moi et m'a rejeté impitoyablement. Je ne suis pas fait pour survivre en milieu littéraire hostile ou.... plutôt à comprendre les écrits d'une évidente admiratrice de James Joyce dont cette lecture m'a rappelé mes errements lors de la tentative de lecture d'"Ulysse". Dommage, le sujet était intéressant...

dimanche 7 février 2021

Malcom & Marie de Sam Levinson

 


Quand Netflix joue dans la cour du cinéma d'auteur, c'est souvent en noir et blanc. Après "Roma" d'Alfonso Cuaron ( film vraiment réussi) ou "Mank" de David Fincher ( qu'on peut trouver rasoir), voici cette nouvelle production lancée à grands coups de critiques extasiées dans une presse qui n'a plus grand chose à se mettre sous les yeux. Signé par Sam Levinson, auteur au cinéma de deux longs-métrages qu'il est difficile de classer dans la catégorie "bons films" et d'une série adolescente remarquée, rien ne laisse prévoir un chef d'oeuvre sauf l'engouement médiatique qui orchestre sa sortie. Force est de constater qu'après 1h50 passées dans cette belle villa, on cherche quand même ce qui peut susciter un tel intérêt. 
Passons vite sur le noir et blanc, ici somptueux effectivement, mais qui se résume uniquement en un emballage clinquant qui essaye de cacher la misère du propos. 
L'histoire, torchée en quelques jours dixit le dossier presse, ( cela donne l'expression désormais clichée : "écrite dans l'urgence") nous raconte le retour de soirée d'un couple après la présentation triomphale du film de l'homme. La femme  fait vaguement la gueule... et des macaronis au fromage pour son mari. Elle finit par lui dire ce qui fait son mécontentement : lors de son discours il a remercié tout le monde sauf elle. S'ensuivront de longues explications conjugales qui éclaireront un peu le parcours de chacun et les liens qui peuvent les unir voire les désunir. 
Nous assistons donc à une scène de la vie conjugale sans le regard de Bergman, ni la violence d'un Mike Nichols ( "Qui a peur de Virginia Woolf?" ), ni l'humour de "La guerre des Rose". C'est du Sam Levinson et bien que quelques sujets à la mode soient abordés en passant comme le racisme aux USA, le rapport de classe, on reste dans un entre-soi du milieu du cinéma avec des questionnements sur le rapport à la création et l'emprise d'Hollywood sur les réalisateurs.  Le scénario est étrangement rythmé comme une pièce de théâtre : elle crache le morceau.... pause clope....il réagit ( longuement)...pause clope, la caméra caresse paysage et acteurs ... elle en remet une couche....avant de refumer langoureusement sur la terrasse.... ce qui laisse le temps à l'autre de penser à ce qu'il va répliquer....et ainsi de suite... Tout cela se fait sans trop de cris mais avec quelques larmes, sans que l'on assiste à une montée véritable de l'histoire qui surfe dans une sorte de je t'aime/je t'aime moins un peu mou. C'est assez répétitif, on comprend très vite les enjeux de chacun. On commence à se fiche de leurs problèmes, on en vient à se demander ce qu'ils font ensemble pour finir par guetter le moment où ils vont enfin se coucher pour qu'on en termine. Quand, ouf,  ils pénètrent dans la chambre, on se dit qu'on tient le bon bout...mais non... On pourrait se raccrocher au jeu des acteurs, Zendaya et John David Washington, qui font bien leur boulot, mais comme ils n'ont aucunement le charisme d'un Richard Burton ou d'une Elizabeth Taylor, on a du mal à être scotché à l'écran. 
Encore une belle opération marketing pour Netflix, bien de son époque : une belle image pour une coquille pas vraiment pleine, pour ne pas dire presque vide. Clinquant quand tu nous tiens.... Cela laisse quand même augurer des jours sombres si désormais le cinéma ne sera plus produit que par des plateformes de streaming... 





samedi 6 février 2021

Un hamster à l'école de Nathalie Quintane


 

Ne croyez pas en lisant ce titre que vous trouverez relaté quelque expérience déviante d'un prof féru d'expérimentation pédagogique, il y a longtemps que les hamsters sont interdits en classe because les allergies ! Le hamster ici, c'est le prof dans sa cage de classe, moulinant sans fin de l'instruction,  assommé par des réformes et un management de plus en plus ineptes de façon à lui faire accepter tout et n'importe quoi sans moufter. 
Mais ce livre, loin de se résumer à cela,  empoigne l'école par tous les bouts. En de courts chapitres, il dresse un portrait sensible de ce monde où tout un chacun est passé et que l'auteure n'a jamais quitté puisque prof de français ( agrégée) dans un collège du sud de la France. Les entrées prises par Nathalie Quintane pour décrire cette énorme machine qu'est l'école à la française sont multiples. Du changement d'atmosphère d'un établissement à l'autre, même distants de quelques centaines de mètres, à la notation, au verbiage imposé aux profs aux devoirs à la maison en passant par à l'autorité voire à la solitude du prof après son travail, tout sera passé dans la moulinette littéraire de cette auteure inclassable. 
"Un hamster à l'école" se démarque franchement de toute cette production éditoriale de profs racontant leurs expériences souvent de la même façon, soit sur le mode humoristique soit politique. Ici, il n'y aura pas à trancher, ce sera les deux modes qui seront employés mais avec plusieurs singularités. 
Il y a d'abord, en plus de son regard critique jamais méchant, le style même de l'auteure, mélange subtil de langage parlé et de phraséologie plus complexe, dont les mots s'entrechoquent comme pour montrer la diversité de la langue actuelle ( et peut être la diversité des publics de certains établissements). A cela se rajoute, une autre originalité, celle qui fait apparaître le texte comme un poème, avec cette convention typographique du crochet en bout de ligne quand le ver est trop long. Ce n'est pas réellement un poème, ou alors des vers libres, de la poésie contemporaine ( ne pas oublier que Nathalie Quintane est poète également et surtout ne pas effrayer le lecteur potentiel qui pourrait croire à un ouvrage trop déviant surtout s'il est habitué à Delphine de Vigan). Cette mise en page attire l'oeil et oblige le cerveau à prendre de nouveaux repères de lecture, comme si, en utilisant ce procédé, on voulait également exhorter les enseignants à s'extraire un tant soit peu du cadre très strict de leur boulot, qui après la poste ou la SNCF est en train d'être soigneusement cassé. 
Même s'il est certain que "Un hamster à l'école" trouvera plus facilement lecteur dans le milieu enseignant tant il connaît bien le milieu évoqué, le lecteur lambda lui prendra plaisir à sourire ( parfois jaune) à ce décapant portrait d'une enseignante qui montre combien ce métier, cette institution qu'est l'école, est diablement complexe ( et en danger).  Et face à cette complexité, du recul et de l'humour permet de mieux l'appréhender, le comprendre et ...le défendre ? 

vendredi 5 février 2021

The Dig de Simon Stone


 Un film Netflix avec Carrey Mulligan et Ralph Fiennes mérite forcément le coup d'oeil, même si une histoire de fouilles archéologiques dans la campagne anglaise n'est pas à priori bien emballant. 

A l'écran, et avec des éléments dramatiques tels qu'une veuve neurasthénique ( mais dans l'aisance), un archéologue amateur vieillissant, la guerre 39/45 qui menace, on ne peut pas dire que la joie s'installe. Le spectateur va juste sentir sa curiosité le titiller et son oeil être accroché par la mise en images très cartes postales, usant des rayons de lumière rasant la campagne, de soleil couchant éclairant nonchalamment les personnages et surtout ces buttes de terre que l'on va fouiller dans l'espoir de découvrir quelques trésors. Le film installe doucement ses personnages et son propos finit par accrocher tout en attendant de vraies scènes entre les deux stars...qui n'arriveront jamais vraiment. Au suspens des recherches succèdera le suspens de l'appropriation du résultat des fouilles. Nous sommes dans une histoire très soft qui va se délitant sur la fin avec l'apparition soudaine d'une histoire d'amour entre deux personnages secondaires, un peu hors sujet et qui aurait pu être enlevée ( le film dure 1h50) pour vraiment se consacrer  aux deux personnages principaux. 

Au final, nous avons un film délicatement mélancolique, joliment filmé et interprété mais aucunement transcendant. Il a seulement le mérite de rappeler que le monde scientifique, et ici archéologique, est aussi  un endroit où les vanités et les coup bas font partie de leur gène....même si on le savait déjà. On peut y rajouter toutefois le plaisir de retrouver Carrey Mulligan, toujours aussi bonne actrice... 




jeudi 4 février 2021

Palmer de Fisher Stevens


 En attendant de retrouver le plaisir du cinéma du cinéma en salle, les spectateurs se rabattent sur les productions des plateformes maintenant bien connues ( Netflix, Amazon prime, ...) ou sur les sorties de films prévus pour  les écrans mais passant, hélas, directement en VOD. "Palmer" est visible sur Apple TV et marque surtout le retour au cinéma de ... Justin Timberlake. 

Justin a 40 ans. Justin est grand massif, musculeux, bref incarne ici le mâle viril dans toute sa puissance .... celle véhiculée depuis la nuit des temps dans les récits romanesques. Justin est donc Palmer, une ex star locale de football ( américain). Le film le saisit lors de sa sortie de prison. Il a passé douze ans derrière les barreaux pour un crime dont on ne nous dit rien ( le doute, le mystère, c'est idéal pour titiller le spectateur). Comme Palmer/Justin a été un bon gars, il gagne une libération conditionnelle bien décidé à être irréprochable. Et voilà Justin/Palmer de retour au pays. Le bled se nomme Sylvain (!)  et se résume comme un condensé des Etats-Unis profonds : son bar, son église et ses pauvres. Il revient vivre chez sa grand-mère, bigote à l'esprit vif et clope au bec, louant par charité un mobil-home à une jeune femme instable pourvue d'un petit garçon. Justin/Palmer, derrière sa barbe, essaie de retrouver une vie libre, adoptant une attitude de grand gars taiseux et taciturne auquel on n'a guère envie de se frotter.... Enfin si, la voisine, très ouverte, se jette sur lui. Douze ans de privation de sexe permettent ainsi à Justin/Palmer de se donner à fond et, avis aux fans de la star, montrer ses fesses de mâle hot. 

Rassurez-vous, je ne spoile rien du film, ce qui vous venez de lire n'est que le résumé des cinq premières minutes ( 1h50), la suite se déploiera autour de l'amitié entre cet homme Palmer/Justin et un enfant ( celui de la voisine). Rien de nouveau sous le soleil me direz-vous et vous aurez sans doute raison car, ce genre d'histoire reste une bonne recette depuis la nuit des temps. Pourtant, sans doute parce nous sommes au 21 ème siècle, le film jouera habilement avec les conventions, évitant pas mal de clichés ou quelques évidences scénaristiques notamment en mettant en scène un petit garçon aux antipodes des canons masculins et enfantins habituels. Il s'appelle Sam, a 7/8 ans et n'a rien du garçonnet mignon et frais qui squatte habituellement les écrans. Il est un peu rond, avec des lunettes bas de gamme pas du tout rigolotes. Il pourrait être le cousin  de la jeune Olive de "Little Miss Sunshine".  Et puis, Sam a aussi d'autres particularités : il joue à la poupée et adore se déguiser en petite fille. Le coeur du film se situe ici, ce face à face émotionnel et psychologique d'un enfant évidemment maltraité par les autres garçons de son école pas vraiment ouverts et cet homme, mâle à la virilité affichée. Il y sera question d'attachement bien sûr, de paternité, de virilité, le tout sans esbrouffe, avec un scénario qui va aller crescendo dans l'émotionnel mais sans jamais en rajouter. Il est aidé en cela par un Justin Timberlake tout en intériorité, franchement très convainquant et le jeune Ryder Allen absolument fabuleux,  exact contraire du mâle à qui il donne la réplique. On sent que le réalisateur joue pas mal avec l'image de sa star masculine et notamment avec une scène qui pourrait rester fameuse où le petit garçon, qui s'est fait traiter de pédale par les garçons de sa classe, demande l'explication du mot à Justin/Palmer, qui lui parle de différence.... et à qui le petit garçon répond par une question : "T'es une pédale toi? ". 

"Palmer" n'est pas le film de l'année, mais une bonne production, bien écrite, hyper bien jouée et au final finement efficace. Du mélo, oui, mais du mélo haut de gamme comme on aime en voir de temps en temps. 





mardi 2 février 2021

Chroniques de jeunesse de Guy Delisle

 


Il y a assurément une petite musique Guy Delisle ! Que ce soit dans l'évocation de ses voyages, souvent dans des contrées dont on peut être curieux de pénétrer ( Jésuralem, Pyongyang,  la Birmanie) ou dans sa vie de père, toujours on retrouve son regard tendre et curieux qui fait le sel de ses romans graphiques. Ses"Chroniques de jeunesse" ne dérogent pas à la règle alors qu'à priori, le récit de son boulot durant trois étés dans une fabrique de papier n'avait rien de bien fun. 

A l'entrée de l'âge adulte, Guy Delisle vit chez sa mère divorcée. Il fait des études d'art,  rêve de travailler dans l'animation et consacre ses loisirs à dessiner seul dans sa chambre. Il est solitaire mais garde l'oeil vif. Tout est découverte pour lui. L'impressionnante usine, véritable personnage imposant de présence voire de dangers mais aussi les hommes qui y travaillent, vont devenir sous son trait fin un formidable fil rouge romanesque, pédagogique aussi (dans le bon sens du terme) et sociologique. On trouve également en arrière-plan des ressorts plus psychologiques, plus personnels notamment avec ce portrait en filigrane de son père divorcé et solitaire ( lui aussi) , travaillant dans cette même usine ( mais dans les bureaux). Sans s'appesantir, tout en finesse, l'ombre de ce père se joint, à celle immense de cette usine,  pour distiller une douce mélancolie, entre rendez-vous ratés, image nostalgique  et temps qui passe. 

Teintées d'un recul humoristique bienveillant, ces chroniques, même si apparemment moins clinquantes que ses précédents albums, sont un régal de lecture et d'émotions diverses ( on peut même frissonner face à ces monstrueuses machines ). 

lundi 1 février 2021

Festival Premiers Plans 2021

 


( Quel dommage de ne pas avoir profité de cette bande annonce en salle, le thème musical "Adagio for square" de Kevin Rodriguez ( version qu'hélas on ne retrouve pas sur les plateformes légales) aurait mis une sacrée ambiance !)

Oui, en cette période de disette culturelle et notamment cinéphile, le festival premiers Plans d'Angers, malgré la pandémie, s'est bien tenu....en ligne. Magnifique initiative d'avoir pu découvrir gratuitement tous les films de la sélection officielle des longs-métrages ( sauf un) et un panel de quelques uns des 80 courts-métrages sélectionnés. Evidemment, le plaisir du partage dans un lieu dédié n'est pas là, mais avoir des nouvelles du jeune cinéma européen fait un bien fou au moral ( même si en général les thèmes abordés sont très loin d'être souriants). Hier soir Pierre Salvadori et son jury ont remis leurs prix. Le gagnant, comme on pouvait le supposer vu les prix déjà décernés à Angoulême et ailleurs, fut le seul film qui n'était pas visible ( le producteur Why Not et le distributeur Le Pacte se réservant sans doute pour une sortie ( triomphale?) en salle  : IBRAHIM de Samir Guesmi ( premier long-métrage du formidable acteur). Impossible de savoir si ce choix est pertinent, mais si l'on en croit les premières critiques parues, on peut le penser. Il ne reste que la bande annonce pour se faire une petite idée...

Ibrahim de Samir Guesmi

Sinon, le jury a décerné un autre prix et une mention spéciale totalement justifiés à deux films documentaires, genre, qui, il faut bien le reconnaître, a dominé la sélection. Le prix Diagonale est allé au film Belge de Paloma Sermon -Daï "Petit samedi", dont la bande annonce ne rend pas vraiment l'intensité qui se dégage de ce portrait d'un toxicomane quarantenaire et de sa mère ( frère et mère de la réalisatrice). Dans une lumière magnifique, sans pathos, avec une extrême sensibilité, nous plongeons au coeur d'une relation intime, un peu dévastatrice  mais profondément humaine de deux êtres qui n'ont que leur amour pour lutter contre ce fléau qu'est la drogue. 


Le jury a attribué une mention au très fort documentaire ukrainien, lui aussi centré sur une famille, mais habitant dans le Donbass, zone en guerre à l'Est du pays : The Earth is Blue as an orange" de Iryna Tsilik, ou comment survivre grâce à la culture et a son envie de cinéma et parvenir à rester dans une zone sinistrée en gardant l'espoir de jours meilleurs. Une leçon de vie et de courage filmée avec une réelle empathie qui ne peut qu'émouvoir. 


Le reste de la sélection était disons... moins emballante sauf le documentaire  français "Le kiosque" de Alexandra Pianelli, film fabriqué de bric et de broc mais émouvant autour de la vie et de la mort d'un kiosque à journaux à Paris, qui nous a quand même offert ce qui restera comme la scène la plus forte, belle et formidable de cette sélection (Damien,  SDF offrant de l'argent à une passante pour qu'elle puisse acheter un ticket de métro) . 


Le reste de la sélection, avait sans doute un point commun : la lenteur. Quand la lenteur s'appuie sur un scénario pas trop mal fichu comme dans le film russe de Philipp Yuriev "The Whaler Boy" ou du grec "Digger" de Georgis Grigorakis et d'une mise en image soignée, on adhère quand même. Par contre, et c'est la constante des autres films de la sélection, pourtant pas bien longs,  laisser durer ( parfois très longtemps) les plans de scènes de respiration ( en gros un personnage se promène dans la rue, ou conduit sa voiture, ou regarde par la fenêtre, ou danse ...) jusqu'à se demander à quoi cela peut bien servir, semble être un tic ( d'école?) un peu éprouvant pour le spectateur. Quand en plus, c'est filmé caméra vidéo tremblotante ( peut être avec un portable) avec un scénario très mince et quelques dialogues aux allures improvisées ( pour faire vrai sans doute), l'ennui gagne, l'intérêt tombe. Mais, soyons indulgent, ce sont des premiers films...

Remarquez, le même problème de longueur peut apparaître dans les courts-métrages, ce qui peut être paradoxal mais qui confirme l'idée que c'est une tendance du moment ( véhiculée par l'enseignement des écoles de cinéma?).  C'est même le cas pour deux courts pourtant primés "Dustin" de Naïla Guiguet et "Palma" de Alexe Poukine, films bien pensés mais n'échappant pas à ces travers contemplatifs un peu factices. Perso, je suis un peu désolé que le très beau court belge de Marieke Elzerman "Kom hier" n'ai pas obtenu un petit prix car, s'il était lui aussi un peu lent et contemplatif, chaque plan de la comédienne taciturne apportait quelque chose au film et offrait ainsi de vrais moments d'émotion. 

Je fais la fine bouche, mais, même sur un écran à la maison, ce festival fut un vrai bonheur, une lueur dans une période sombre. Bravo et GRAND MERCI aux organisateurs et à l'année prochaine en salle ! (j'espère!).