dimanche 31 mai 2015

L'ombre des femmes de Philippe Garrel


Alors c'est comment le nouveau Garrel ? C'est dans un  noir et blanc très chic et très beau, il faut l'avouer, mais bon, la dernière fois pour "La jalousie", c'était déjà le cas. Cette fois-ci, toujours dans un décor d'appartement lépreux semi-insalubre, on trouve une vraie princesse (Clotilde Courau) qui revient courageusement à ses origines et un beau gosse photogénique qui fait la gueule et joue le bel indifférent (Stanislas Merhar). Elle surveille les cantines de la ville de Paris tout en aidant son mari, documentariste en recherche d'un vague succès, dans la réalisation de portraits de résistants. Ils n'ont pas l'air d'avoir grand chose à se dire et donc, pour meubler cette vie assez morne, prennent amant et maîtresse. Mais l'infidélité est un jeu qui brûle parfois...
Comme je connais peu le cinéma de Garrel, j'ai pris le film tel quel, sans m'appuyer sur les oeuvres précédentes, chose qui semble être le point d'accroche quasi unique si j'en juge les critiques. Brut de pomme et sans le filtre cinéphile, je dois dire que pépère Garrel n'est guère moderne. La situation boulevardière, mais en version prise de tête, est tout autant éculée que ringarde. Ils s'aiment (enfin il paraît, en fait, ils sont englués dans des petites habitudes) mais se trompent l'un l'autre. Comme le mâle trouve ça normal qu'il aille voir ailleurs, il fait la gueule parce que son épouse, elle, n'a pas le droit. Il sait que c'est con comme raisonnement mais l'impose tout de même. Elle sait que c'est con aussi mais en bonne gourdasse, elle obéit. Elle l'aime quoi ! (Alors que l'autre mec est, à mon avis , nettement plus attachant. Si j'avais été à sa place, je l'aurai planté là le macho !). Bref, la situation est un poil énervante car on ne sent jamais le moindre attachement entre eux. Et même si Louis Garrel (en voix off) essaie de nous dire le contraire, la mine chiffonnée de Clotilde Courau n'y peut rien, on a envie envie de hurler : Mais barre-toi ! Il faut dire que Garrel (le réalisateur) n'arrange pas les choses en filmant Mlle Courau et Mlle Paugam, les deux qui couchent avec Mr Merhar, sans les flatter une seconde, mettant en évidence la mine terne et leurs robes aussi fripées que leur teint. Je sais bien que c'est sans doute du cinéma réaliste mais alors pourquoi le beau Stanislas, pourtant faisant toujours la gueule,  est, lui, toujours à son avantage ? (Je parle physiquement parce que pour sa beauté intérieure, on repassera.) 
" L'ombre des femmes" est toutefois joli à regarder, mais pas de quoi quand même soulever les foules de plaisir. C'est servi accompagné de quelques notes composées par Jean Louis Aubert ... Là encore, c'est vendeur sur le papier ...à l'écran , cela reste anodin. Au final, l'ensemble paraît vieillot et sans grande nouveauté. Sur un thème archi rebattu, le cinéaste ne renouvelle pas le genre, semble même s'enfoncer dans un conformisme d'un autre âge et lui donne seulement un écrin classieux pour cinéphiles avertis. 

 

vendredi 29 mai 2015

L'expérience de Christophe Bataille


L'expérience évoquée dans le court roman de Christophe Bataille se déroula dans le désert algérien en 1961. L'état français a recruté quelques soldats pour servir de cobayes humains. Ils ont été exposés in-vivo aux radiations d'une explosion atomique, protégés tout de même par une sorte de scaphandre, à un moment où l'arme nucléaire était testée innocemment  dans les endroits reculés de nos colonies ou territoires d'outremer.
De ce fait divers enfoui dans la section "top secret" des caves du ministère des armées, Christophe Bataille nous propose un court texte, plus littéraire qu'informatif. La narrateur se livre à un exercice de mémoire, parfois sinueux, mais toujours tendu par le traumatisme subi. Avec de courtes phrases, incisives, l'évocation est forte, sensible mais décrite avec un fatalisme qui ne laisse pas beaucoup de place au ressentiment. Alors qu'il a vu le "flash gigantesque" ainsi qu'apparaître de façon fugace mais certaine les os de sous sa peau, alors qu'il entend encore le cri de cette pauvre chèvre, entièrement scalpée par l'explosion, alors qu'il se souvient de ses misérables compagnons qui se débattaient comme ils pouvaient de cette horreur qui " a happé " leur vie, le narrateur, en posant ses souvenirs sur les pages d'un simple cahier, ne lutte plus. Il aligne les mots pour que rien ne tombe dans l'oubli car ces essais ignobles ont rejoint depuis longtemps les poubelles bien enfouies de l'Histoire (bien mieux que des déchets toxiques). Il se souvient pour essayer de laisser une trace de cette politique nucléaire d'un autre âge (enfin on espère) mais aussi de ce que fut sa vie après. Sa vie l'a usé, fait souffrir et là où d'autres seraient tombés dans l'aigreur absolue, lui, reste digne. Il n'a plus de colère, que du désespoir résigné.
Le sujet est fort, l'écriture sèche et brute mais "L'expérience " m'a laissé un petit goût d'inachevé. Ce n'est pas tant la concision du texte qui me gêne, encore moins la sinuosité de cette mémoire,  mais les espaces romanesques qu'il révèle et qui, parce que survolés, créent une petite frustration. Qui est vraiment cet homme ? Quelle fut vraiment sa vie après ? Que furent vraiment ses combats, sa vie de traumatisé pansant comme il a pu des plaies qui ne se sont jamais refermées ?  Autant de questions qui, pour moi auraient mérité d'être approfondies. J'ai eu du mal à être totalement en empathie avec le narrateur, pas vraiment personnifié. Il ne reste que l'âpreté de ces souvenirs et l'ignominie de cette expérience pour fortement conseiller la lecture de ce livre, comme un devoir de mémoire en somme.

lundi 25 mai 2015

Carnaval de Ray Celestin


Dans "Carnaval" le copieux polar de Ray Celestin, on trouve un tueur à la hache facile. Il décapite sauvagement ses victimes pour les abandonner la plupart du temps en pièces détachées, juste décorées de deux cartes de tarot marseillais. Autour de ce serial killer, dans la bouillonnante ville de La Nouvelle-Orléans, grouille toute une faune peu recommandable qui gangrène la plus grande agglomération de Louisiane. Nous sommes en 1919, la ségrégation fait rage, la mafia joue de la corruption autant que du flingue ou du poignard. Heureusement dans ce tumulte, où la violence peut vous rattraper juste au détours d'une rue lambda, une musique est en train de réconforter les corps et les oreilles : le jazz! 
L'histoire peut paraître banale et déjà lu maintes fois, les tueurs maniaques et sanguinaires sont monnaie courante au pays du polar. Là où cela devient plus intéressant c'est qu'ici la toile de fond exotique et historique n'est pas qu'un décor mais un élément déterminant pour le récit. Et là où tout devient encore plus passionnant, c'est la construction chorale du récit car nous n'avons pas affaire à un unique enquêteur, mais à quatre ! Michael Talbot, le policier à qui on ne la fait pas, bosse en solitaire car ostracisé par ses collègues qui lui reprochent d'avoir vendu quelques années plus tôt un collègue pourtant totalement corrompu. Il traque le tueur, aidé par Kerry,  jeune irlandais fraîchement débarqué sur le sol américain. 
Luca aussi est sur la piste du meurtrier. Luca est le flic dénoncé par Michael. Il vient de sortir de prison et ses anciens potes de la mafia l'embauchent pour élucider cette affaire qui nuit à leur commerce. Les buts sont différents et les pistes aussi. 
Ida et Lewis (en fait Louis Armstrong à ses débuts) sont des jeunes gens un peu romanesques qui ont envie de vivre l'aventure de l'enquête. Avec peu de moyens mais avec beaucoup d'opiniâtreté, ils se lanceront à la poursuite du tueur à la hache surtout que celui-ci continue sa sanglante randonnée. Eux aussi suivront des pistes encore différentes, mettant en évidence d'autres facettes de cette sordide histoire. 
Quasiment jamais ces quatre là ne se croiseront lors de leurs déambulations, mais chacun dans leur quête vivra des moments intenses, révélant une facette de cette troublante histoire et marquera un tournant essentiel dans leur vie. 
Premier épisode d'une série qui promet trois autres épisodes qui se dérouleront dans trois autres villes mythiques des USA ( Chicago, New-York et Las Vegas) et toujours en compagnie de Louis Armstrong, "Carnaval" est aussi bien un polar bien fichu qu'une évocation précise et bien documentée sur le berceau du jazz. Ray Celestin, amalgame avec brio une intrigue bien menée et un fond historique très précis. Son intérêt pour les serial killers et sa fascination pour Louis Armstrong donne à son roman à l'allure conventionnelle, une épaisseur inattendue. Evitant de plonger son intrigue dans le gore et le sanguinolent, il préfère donner du corps à ses personnages, les rendant ainsi plus proches du lecteur et nettement plus attachants. Découpé en chapitres assez courts, il apporte à son récit une sensation de vitesse assez cinématographique et réserve à son lecteur des tableaux plein d'inventivités comme cette nuit d'angoisse où toute une ville se réunit pour danser aux sons endiablés de cette nouvelle musique qui fait fureur afin d'échapper au tueur (je vous laisse découvrir pourquoi). 
Amateur, de polar, de musique, de voyages aussi aussi bien temporel que géographique, "Carnaval" est un roman fait pour vous. Il a le format idéal d'un livre d'été, et sans pour autant prétendre au chef d'oeuvre, il saura procurer au lecteur un très bon moment de détente doublé d'une très pointue évocation de La Nouvelle Orléans  il y a un siècle. Quand jazz et polar font la fête ensemble, cela donne "Carnaval". 

Roman lu dans le cadre de "Masse critique " du site Babelio que je remercie. 
  

samedi 23 mai 2015

Trois souvenirs de ma jeunesse d'Arnaud Desplechin


"Trois souvenirs de ma jeunesse " ou comment je me suis disputé ...(ma vie cinéphile) avec le dernier Desplechin.
Je pose d'abord le cadre. Les films du cinéaste ont toujours eu le don de m'agacer avec cette narration faussement alambiquée cachant un vide bobo (Quoique "Jimmy P" ne m'a pas déplu). La mise à l'écart de la sélection officielle de Cannes ne m'a bien sur pas fait crier au scandale contrairement à la presse qui a ressorti son haut parleur 80 000 watts pour hurler au chef d'oeuvre. Ayant peur de louper quelque chose d'essentiel, je me suis donc rendu en salle, séance tenante, pour admirer l'oeuvre....en compagnie d'un seul autre spectateur ! La presse deviendrait-elle de moins en moins prescriptrice ? Les pigeons se font-ils plus rares?  Je ne saurai dire, l'autre personne ayant quitté la salle avant moi.
Dans la cacophonie de l'avant séance, entre la bande annonce tonitruante d'un "Mission impossible 8" et les  mastodontes baveux de "Jurassic world" (à croire que les spectateurs de Desplechin sont une cible à blockbusters US), je songeais à l'ahurissante interview donnée il y a peu par le réalisateur à une radio de service public. Un sommet de vanité et de suffisance qui faillit coûter la vie à mon ipad, mais vue le prix de la chose, j'ai préféré ricaner un bon coup.
La lumière s'éteint. Je me cale dans mon siège et je m'offre au film, prêt à recevoir un coup de génie dans la figure. Las ! (comme dirait un poète du 16ème) Voyez comme en peu de scènes, mignonne, elle a dessus l'écran, las, las ! ses beautés laissé choir... Faisons un sort tout de suite au titre. Les trois souvenirs sont bien là, pas de tromperie sur la marchandise, mais d'un intérêt assez inégal. Si le premier sur l'enfance, duraille évidemment, est balancé en quelques scènes, le deuxième, plus romanesque, est par contre plus développé, restant sans doute la partie la plus intrigante. mais, mauvaise pioche, Arnaud a choisi de nous conter par le menu, un troisième souvenir tournant autour d'une romance entre deux ados. Et là les choses se gâtent énormément. Paul (vraisemblablement le réalisateur ) drague Esther. Paul a la voix de Jean Pierre Léaud débitant un texte ampoulé et prétentieux me donnant envie de lui balancer une claque direct pour qu'il se la ferme. La donzelle, héritant des  mêmes dialogues amphigouriques, devient tout de suite antipathique et l'on espère très vite qu'ils utilisent des préservatifs pour nous éviter une tripotée d'enfants leur ressemblant. Ils ont beau s'aimer d'un amour paraît-il intense, la jeune fille changera de bras au bout d'un moment... Comme on la comprend...et comme on s'étonne que 30 ans plus tard, Paul n'ait toujours pas digéré cette incartade, offrant ainsi au film une scène totalement hystérique et ridicule, surlignant l'aspect totalement nombriliste de l'affaire.
On m'objectera que je  suis insensible aux tourments amoureux ainsi qu'à cette narration labyrinthique faite pour le travail intellect du spectateur. Je rétorquerai à ceux là, que la narration s'amusant à sauter les époques, donne quand même un vague peps à l'ensemble et nous éloigne un temps, hélas trop court, des amours inintéressants des deux freluquets. Et Desplechin a beau semer des indices psychologiques sensés donner du lustre à l'ensemble (la mère lesbienne, le père violent puis réduit aux utilités, les soupçons des russes, ...) ils ne sont jamais réellement exploités et tombent vite dans l'oubli.
Je peux reconnaître de jolis idées de plans à ce film. Le seul défaut c'est qu'ils parlent et sont filmés comme s'ils étaient uniques. Accolés les uns aux autres, ils ne forment qu'un patchwork bancal, éclairage et point de vue changeant à tout instant. Il paraît qu'avec les comportements parfois étranges des personnages, c'est ça le style Desplechin, repoussant tout naturalisme, inventant son propre monde. Permettez-moi alors de ne pas avoir envie d'y pénétrer tellement l'artiste de démène pour être bien clivant, réservant cela à quelques privilégiés. On est dans un cinéma nombriliste et non partageur.
N'étant pas vraiment invité,  je me suis trouvé devant un long métrage vaniteux et prétentieux, l'expression contemporaine d'un boboïtude déplaisante. Desplechin a beau hystériser les sentiments et proposer une risible intellectualisation des dialogues, il n'arrive jamais à camoufler le vide sidéral de l'ensemble.


mercredi 20 mai 2015

La loi du marché de Stéphane Brizé



Thierry, 51 ans, au chômage,  râle. Pourquoi le pôle emploi lui a fait faire une formation de grutier alors que le créneau est bouché et que le matériel sur lequel il a officié est obsolète ? Thierry continue de râler face à ses anciens de collègues licenciés, il vaut tourner la page, un point c'est tout ! Thierry courbe le dos, souvent, de plus en plus, lors d'un entretien d'embauche via Skype où l'on fait la fine bouche devant son CV trouvé peu vendeur, lors d'une critique d'un entretien filmé par Pôle emploi où d'autres exclus du monde du travail comme lui le jugent sans complexes. Le peu de dignité qui lui reste est brisé lorsque une banquière sans scrupule lui propose des projets qui vont l'emmener tout doucement vers la précarisation.  Mais Thierry lutte encore un peu pour vendre à un prix raisonnable le seul bien qu'il possède, un mobil-home vieillissant. La vente lui permettrait de financer les études de son fils handicapé. Seulement, face à lui, des gens aisés tentent de profiter de sa situation pour l'acheter à très bas prix. Et puis, Thierry trouve un emploi, dans un supermarché, comme vigile. Thierry alors courbe l'échine, se tait, encaisse. Son emploi, c'est  sa bouée de survie dans un monde sans pitié pour les affaiblis...
"La loi du marché" est fondamentalement un film irréprochable. Il pointe les mécanismes vicieux d'un système ultra libéral où tout le monde est prêt à écraser tout le monde, comme des naufragés trop nombreux pour grimper dans le même et unique canot. Jamais démonstratif et grâce à des dialogues souvent hallucinants de vérité et une mise en scène proche du documentaire, il plonge le spectateur au coeur de cette violence insidieuse qui anéantit le travailleur contemporain. Composé d'une succession de scènes montrant rarement des moments de bonheur, le film touche intimement sans être didactique. 
Vincent Lindon se fond totalement dans le personnage de Thierry et ne jure jamais au milieu d'acteurs non professionnels. Il renfile encore une fois sa veste de taiseux bouillonnant intérieurement mais ne surprend pas pour autant. Il est bien évidemment un atout supplémentaire pour le film qui, par ailleurs, pêche un petit peu côté rythme. Quelques scènes auraient mérité d'être raccourcies, s'enferrant quelquefois dans une redite lassante, comme si le réalisateur n'avait pas une totale confiance en ses images et en la compréhension du spectateur. C'est filmé à l'os mais monté plus lâche et du coup le film patine par moment, annihilant un peu la tension du dispositif mis en place. 
Il semblerait que cette saison, les cinéastes français soient inspirés par les hypermarchés ( Discount ou Jamais de la vie ) devenus les symboles de notre système libéral, microcosmes exemplaires pour décrire les errances d'un système implacable et pas forcément à bout de souffle. Le porte-voix cannois a mis très justement en avant cette loi du marché pas joyeuse pour deux sous, prouvant ainsi que derrière les paillettes, il existe un écosystème qui propose des oeuvres militantes de qualité. Si nous voulons préserver cette diversité, ces points de vue essentiels pour une pluralité des regards et des sensations, même si le film possède à mon avis quelques défauts, il mérite amplement sa vision en salle, ne serait-ce que pour prouver que la loi du marché, la vraie,  ne passera pas par les amateurs de cinéma.





dimanche 17 mai 2015

Le dos rouge d'Antoine Barraud


Si je tente de résumer "Le dos rouge", je dirai que c'est l'histoire d'un réalisateur dont le prochain film, déjà sur les rails, a besoin d'une figure monstrueuse pour une raison obscure, même pas claire dans sa tête. Pour cela il va se faire aider par une spécialiste qui, de tableaux en tableaux, ne va pas vraiment lui donner des solutions mais va tout de même le faire s'interroger sur lui même, son corps, sur lequel apparaît une tache rouge qui grossit, son rapport aux autres, à l'art, à l'idée que l'on se fait de son travail de cinéaste. 
Avec un tel scénario, je sens venir les grimaces, j'entends les ricanements, les commentaires grinçants sur un cinéma masturbatoire, intello, pour initiés exclusivement. Oui, il y a de ça sans doute, mais, alors que je suis le premier à m'insurger sur cet entre soi d'un cinéma français de la marge branchée, contre toute attente, c'est, à ce jour, le film qui m'a le plus transporté en 2015. Alors curieux, je suis allé lire les déclarations du réalisateur dans le dossier de presse et.... comment dire, je ne suis pas sur d'avoir vu le film qu'il a voulu faire. J'y ai lu des intentions très louables et intelligentes, morceaux de réflexions propres à intéresser un public plus qu'avisé, cinéphile en diable. Alors, sans honte, sans gêne, je vais vous dire pourquoi ce film m'a transporté même si aucun des raisons (ou presque ) n'apparaissent dans les propos du réalisateur. Mais je crois profondément que c'est le but non avoué de son film, offrir un champ tellement vaste d'interrogations et d'interprétations qu'il pourrait convenir à tout le monde. Heu...à tout le monde, je ne pense pas, hélas, que les fans de "Connasse princesse des coeurs" arrêtent de bouffer leurs pop-corns, la mâchoire béante devant autant de créativité.  
Il faut bien le dire, ce dos rouge contient apparemment tous les poncifs d'un cinéma intello qui attise les conversations chez des bobos cinéphiles. Jeanne Balibar et Joanna Preiss sont deux égéries incontournables du cinéma d'auteur, Bertrand Bonello le grand réalisateur de ce milieu qui en passant comédien devient du coup totalement iconique. Il y a une certaine lenteur, des scènes étranges, des moments décalés, un montage patchwork, et pourtant ce qui peut apparaître comme des trucs déjà vus, déjà utilisés, relevant d'une écriture auteuriste poseuse, se révèle au final totalement jouissive. 
Au milieu de tout ce barnum cinéphile tendance "cahiers du cinéma", il y a un auteur qui nous propose de jouer avec lui. J'ai trouvé Antoine Barraud extraordinairement ludique. Tout pour lui est terrain de jeu. L'art, tout d'abord, dans lequel tout le monde se perd à l'infini. Ainsi Célia qui glose sans fin devant n'importe quelle toile, l'animatrice de ciné-club et le journaliste  devant les films de Bertrand, sont les parfaits exemples d'intellos dont les circonvolutions laissent le réalisateur un peu perplexe. Il faut voir la tête de Bertrand Bonello, totalement ahuri en entendant les propos pourtant construits et intelligents tenus par ses différents interlocuteurs, les rendant du coup totalement hilarants. Toutes les scènes avec Jeanne Balibar (excellentissime) sont d'une drôlerie imparable, ouvrant en même temps une critique mordante sur tous les ratiocineurs qui se triturent l'esprit à longueur de colonnes dans des revues confidentielles mais pointues. 
Mais en même temps l'art nous est montré comme un vecteur de séduction possible, comme un élément de réflexion sur soi-même, sur les autres. Il est beaucoup question de corps dans ce film. Le corps monstrueux tout d'abord, dont les apparences peuvent être totalement évidentes mais aussi tout à fait subjectives. Le corps désiré, le corps qui cherche à jouir, le corps que l'on transforme, le corps malade aussi. La caméra s'attarde sur des statues, des tableaux, des vrais corps également, objets de contemplation mais d'interrogations. Du coup, on y parle de couple aussi, de fidélité, des liens qui unissent les êtres. Et puis, il y a également le cinéma qui court dans tout le film, discrets hommages à toute une mythologie personnelle du cinéaste : La comédie musicale américaine (petite scène de claquettes) ou française à la Demy (une scène chantée), Hitchcock (dans la scène incluse dans le film d'après un scénario non tourné de Bonello ), Bunuel peut être pour la spécialiste en art jouée par deux comédiennes ... Et puis, il y aussi... mais stop, j'arrête car ce film est plein comme un oeuf, plein de références, plein de regards sur la vie intellectuelle, sur la vie tout court. Et tout cela m'a énormément parlé parce que, aussi étonnant  que cela puisse paraître, cela ne m'a jamais paru prétentieux. Antoine Barraud irrigue son film avec  une mise en scène inventive, décalée mais qui ne tombe jamais dans le clipesque tarte, le poseur ennuyeux ou le "regardez comme je filme bien !". Il a trouvé la distance parfaite qui lui permet de faire des propositions originales aussi bien que de soumettre un discours ouvert et curieux aux spectateurs. 
"Le dos rouge" est le genre de film dont on peut parler des heures car il y a tellement de portes d'entrées, tellement de chemins à prendre, que si l'on se laisse aller à sa musique fantasque, on s'enfonce dans un monde infini de possibles. Le film nous parle, nous regarde, nous offre son miroir magique pour mieux se rencontrer, se connaître. Pour moi une merveille, avec une deux longueurs j'en conviens, mais qu'importe, j'ai eu un plaisir de cinéma comme rarement, un plaisir que j'ai envie de partager.


vendredi 15 mai 2015

Evariste de François-Henri Désérable

Le bandeau du livre (qui n'apparaît pas sur l'image) claironnait : "Le Rimbaud des mathématiques". Autant vous dire que c'était très loin d'être attirant pour moi, qui ne suis ni un gourmand des vers (quoique les libres...), ni quelqu'un pour qui les mathématiques éclairent l'existence, elles auraient même plombé ma scolarité par leur capacité à rendre tout compliqué.
Malgré cela, je me suis plongé dans cette ...évocation d'Evariste Galois, mathématicien de génie mort à 20 ans. Sa vie fut courte, on n'en sait quasiment rien. Il ne reste que sa brillante démonstration pour " qu'une équation irréductible de degré premier soit soluble par radicaux, il suffit que deux quelconques des racines étant connues, les autres s'en déduisent rationnellement". Je vous entends souffler et déjà rayer ce livre de votre future PAL (Plie à lire)... et vous aurez presque tort parce que ce sont le seules lignes sur les mathématiques que compte le livre, l'auteur étant une bille en algèbre pourtant révolutionnée par le truc recopié avant...
Nous avons donc devant nos yeux une biographie de 164 pages sur quelqu'un de certes brillant mais très abstrait pour des millions de lecteurs et dont les traces de son passage sur terre se tiennent sur 4 feuillets même pas recto/verso. Mais, alors me direz-vous, il fait quoi François-Henri Désérable pour meubler ? C'est simple, il brode, dépeint l'époque, imagine des moments, s'adresse au lecteur qu'il appelle Mademoiselle (un peu dragueur François-Henri....), joue avec les mots, mélange le langage soutenu avec le familier, donne des avis sur tout, brille à cause de son érudition, trop parfois, donnant envie de lui donner des claques. C'est surtout totalement virevoltant, drôle, pétri d'humour, et sur la fin, quand Evariste mourra bêtement dans un duel, rempli d'émotion. Totalement ému par ce destin brisé, Mr Désérable (j'aime beaucoup ce nom) abat son masque d'amuseur goguenard pour devenir plus dramatique et d'une très jolie manière, démontrant que l'on peut être cavalier et érudit mais néanmoins pétri d'humanité. Sans tomber dans le mélodrame facile , il fait basculer son roman juste au bon moment, lorsque le lecteur que j'ai été, commençait à éprouver une légère lassitude à toutes ces digressions encyclopédico/historiques.
Je peux comprendre que certaines personnes aient eu un peu de mal à digérer toute cette avalanche de détails, assénés parfois avec un peu de fatuité, mais j'ai vraiment apprécié cette évocation aussi étonnamment débridée. Je ne sais pas si le roman résulte d'un pari ou d'une réelle passion pour ce pauvre mathématicien, en tous les cas, Mr Désérable ( ça fait canadien ... pourtant il est d'Amiens dixit Wiki....ah il joue au Hockey.... un pseudo peut être ? ) m'a fait passer un joli moment de lecture aussi enrichissant que drôle. Je cours donc à la recherche du précédent...

jeudi 14 mai 2015

La tête haute d'Emmanuelle Bercot


Les délinquants, le travail de fourmi des juges pour enfants, des éducateurs divers et variés sont au coeur  de cette sorte de  huis-clos social qui s'essaie par ailleurs à lui donner une densité romanesque pas toujours convaincante. 
Ca débute sec, avec une énergie proche de "Polisse". Une juge un peu débonnaire, ( Catherine Deneuve s'essayant à l'autorité ) se trouve face à  une jeune mère immature (Sara Forestier au jeu aussi épais que son fard à paupières bleu-brillant étalé à la truelle). Une mesure éducative va être mise en place. La mère hurle, invective et se barre en abandonnant Malony , 5/6 ans dans le bureau de la juge. En route pour un placement, premier d'une longue série que le film va nous égrener durant deux heures, s'attardant plus volontiers sur l'adolescence, période bien plus sensible et porteuse. 
Je suis un peu mitigé sur le film. On est tout de suite emporté par cette mise en scène énergique, accompagnant les pulsions violentes comme les colères rentrées du jeune Malony ( bluffant Rod Paradot). Les portes claquent, les tables volent, les dents se serrent à cadence régulière, éloignant le personnage d'une réelle réinsertion mais aussi d'un certain apitoiement de la part du spectateur. Il n'y a bien que la juge pour avoir un attachement pour ce jeune, mais c'est paraît-il son devoir. Le film roulant pour un hymne aux personnels judiciaires rattachés à l'enfance dont la bienveillance et la  patience finissent par apparaître miraculeuses. Comme Emmanuelle Bercot croit en son personnage principal,  elle va essayer de l'adoucir, on ne peut pas être une boule de violence en permanence. Il va rencontrer une jeune fille (Diane Rouxel à la présence étonnante) et esquisser difficilement quelques gestes tendres. Si ces scènes d'amour sont très convaincantes et humanisent le jeune Malony, ce sont bien les seules. Comme pour la description des adultes, notre délinquant va prendre un chemin de plus en plus romanesque voire improbable. La compassion de la juge, tout comme l'attachement que l'ado éprouve pour elle, frisent le gnangnan pour s'achever par une improbable rédemption via la non utilisation de préservatifs. Et cette fin un peu too-much fait basculer le spectateur dans une  interrogation négative sur les scènes vues précédemment, s'interrogeant soudain sur le côté peut être un peu chargé de l'ensemble. 
Emmanuelle Bercot arrive à capter le spectateur, à la façon de Maïwenn dans "Polisse", en jouant sur les scènes chocs, mais elle perd de la crédibilité sur la dernière partie avec cette tentation d'un possible happy-end peu crédible. "La tête haute" reste tout de même de bonne facture et remplit bien ses fonctions de cache richesse en ouverture du festival de Cannes ( ou comment  donner bonne conscience aux festivaliers décorés de marques prestigieuses avec un film social ). 


mercredi 13 mai 2015

Goodnight mommy de Veronika Franz et Séverin Fiala



Attention avertissement ! L'affiche du film est certes vaguement inquiétante mais si vous êtes une âme sensible, attendez-vous à quelque chose d'inconfortable et exigez la présence d'un pompier à la sortie de la salle pour vous porter secours. Lorsque j'ai vu le film au festival Premiers Plans d'Angers, la personne à côté de moi a du sortir tellement elle ne supportait pas ce qu'elle voyait à l'écran et nous l'avons retrouvée dans les bras d'un charmant pompier.... Cependant le film n'est quand même pas un film d'horreur à la "Saw 6" ou à la "Vendredi 13". C'est plus chic, plus esthétique, plus violent psychologiquement.
Les deux adorables garçons de l'affiche habitent dans une splendide villa contemporaine au milieu de nulle part, dans une campagne autrichienne où pousse beaucoup de maïs. On notera au passage le côté horrifique et à suspens des champs de maïs dans le cinéma au 21 ème siècle ("Tom à la ferme" de Xavier Dolan pour ne citer qu'un exemple à la mode). Pas du tout agricultrice, mais actrice connue, la mère de ces enfants revient après avoir subi une révision totale du visage avec réparation de la carrosserie et regonflage des lèvres, le cinéma n'aimant que les peaux retendues sous peine de chômage. Pour l'instant la star n'est guère présentable et cache ses lésions sous un énorme bandage qui ne manque pas d'intriguer sa progéniture. Assez nerveuse sous les bandes Velpo, l'actrice ne ménage ses garçons, l'un surtout, un peu plus récalcitrant. On peut être souriante à l'écran, on ne l'est pas forcément à la maison, les mouflets ça vous gâche quand même la vie ! Mais dans cet intérieur froid et glacé, l'imagination des enfants va aller bon train. Ils vont se mettre en tête que cette femme n'est pas leur mère....
En sortant de "Goodnight mummy" on se dit que le cinéma autrichien c'est rude ! Après le " Funny game" Hanneke ou les films Ulrich Seidl (d'ailleurs ici producteur), on pensait avoir eu notre dose d'images mettant mal à l'aise. C'était sans compter sur ces deux cinéastes qui réussissent à plonger le spectateur dans un état de répulsion total avec un final éprouvant. Sans dévoiler la fin, disons que les futures mamans qui attendent avec impatience la venue au monde de la plus belle chose que la vie leur ait offerte risquent de demander d'avorter illico, même délai légal passé !
Collé au dossier de son siège au milieu d'une salle ayant du mal à retenir quelques cris de dégoût, les mains pas loin des yeux qui préfèrent regarder ailleurs, cette conclusion éprouvante rend du coup le film moins réussi. Après avoir fait monter avec un certain brio une sauce psychologique qui utilise habilement un décor frigorifiant en soignant l'image à l'extrême, la deuxième partie m'a paru plus lourdingue, préférant une violence esthétiquement moche, peut être pour mieux souligner les agissements de certains personnages. Mais était-ce bien utile ?  Et la conclusion, guère surprenante pour qui a fréquenté certains films connus, rajoute un peu plus à la déception finale.
Je suis ressorti de "Goodnight mommy" pas totalement convaincu.  Une chose est certaine, pour moi qui fréquente peu le cinéma qui fait frémir, je m'en souviendrai ! Alors, n'est-ce pas aussi le but du 7ème art graver quelques images à tout jamais ? Peut être, mais les moyens employés pour y arriver peuvent déplaire. Ici, j'ai du mal à me faire une opinion. Facilité, voyeurisme gratuit ? Sans doute pas, mais une petite tendance à appuyer un peu trop les effets, choquant le spectateur, le dérangeant, sans grande subtilité. C'est cette dichotomie qui empêche une adhésion plus franche à un film qui par ailleurs tient un discours assez radical sur l'enfance.





mardi 12 mai 2015

Un été de Vincent Almendros



Quand on dîne en ville, on doit paraître détendu/intelligent/équilibré, heureux en amour, s'éclatant dans son job qui rapporte un max et avoir tout lu, tout vu , tout entendu.... heu...plutôt avoir un avis sur le dernier Houellebecq et le Despentes et le Jafar Panahi et Christine and the queens.  C'est facile de gloser sur tous ceux là, la presse s'est tellement répandue en critiques et interviews qu'exposer son opinion relève finalement d'un bon esprit de synthèse. Pas besoin de perdre son temps à fréquenter les oeuvres, quelques lectures bien ciblées en attendant son tour chez le kinésiologue et l'affaire dans le sac.
Lors d'un de ces dîners, même avec des gens du milieu de l'édition, vous aurez du mal à trouver un interlocuteur ayant dévoré les 800 pages du "Chardonneret" de Donna Tartt. Par contre, et c'est tendance, il se pourrait que vous entendiez quelqu'un s'extasier sur ...par exemple ... "un délicieux roman d'un jeune auteur français vraiment prometteur" ou "Le dernier Bataille ( Christophe pas Georges et encore moins Julie) est une pure merveille". Et là, impossible d'arrêter la personne qui part dans un exposé énamouré.
Ainsi, quelqu'un ayant avalé la prose de Vincent Almendros s'étalera sur le style si merveilleux de ce jeune auteur qui a en plus la pertinence de courir sous la casaque des chiquissimes éditions de Minuit. Il évoquera ce huis clos qui lui a tant rappeler " Plein soleil". Il s'emballera sur ces quatre personnages confinés dans un bateau à voile et qui semblent tous avoir des choses à cacher. Il s'esbaudira sur cette écriture qui rend chaque objet aussi présent qu'un personnage et sur ces sublimes descriptions d'animaux marins qui souligne en finesse la possible tragédie qui se noue. Il se déchaînera sur la fin si inattendue qui éclaire le roman d'une nouvelle lumière encore plus lourde. Son auditoire verra bien que là on tient un vrai lecteur et l'admirera en se demandant comment il fait pour trouver le temps de se plonger ainsi dans la vraie littérature....
Si l'un des convives se rend par hasard dans une librairies et trouve "Un été" de Vincent Almendros, il s'apercevra très vite que la performance est minime. Le livre compte 96 pages, titre, dédicace et autres falbalas compris et fait partie de ces petites choses qui peuvent combler intelligemment un parcours en RER. Nous sommes devant ce que j'appellerai un nouvelle de bonne longueur. Ce que j'ai dit plus haut est vrai. il y a une belle  écriture qui rend les nombreuses descriptions parfaitement passionnantes et enserre ses personnages dans une atmosphère oppressante et orageuse.
Cela a l'allure d'un roman, a le mérite de se lire rapidement mais reste au niveau d'une nouvelle bien tournée, à la chute étonnante. Oui cela rappelle Patricia Highsmith (l'auteure dont est tiré le film de René Clément) mais sans toutefois parvenir à atteindre le niveau d'ambiguïté de la romancière. On peut regretter que les personnages soient un peu délaissés au profit de l'environnement marin ou utilitaire du bateau. Et l'on peut aussi s'imaginer ce qu'avec cette histoire, un auteur plus prolixe aurait pu nous offrir.
Si "Un été" a toutes les qualités pour emballer un lecteur pressé, j'avoue que pour ma part je suis un peu resté sur ma faim. Bien écrit, avec une chute inattendue, ce roman/nouvelle n'est au final qu'une jolie petite pastille estivale un poil trop empesée. On retiendra surtout que ce petit livre s'inscrit dans un mouvement naissant : la revanche de la nouvelle. Elle en avait marre d'être considérée comme  la parente pauvre de la littérature. Publiée à l'unité sous la jaquette d'un éditeur de prestige, pour peu qu'elle soit pas mal troussée, elle trouve désormais sa place dans les endroits qui pétillent. N'est-elle pas ce mois-ci doublement présente dans la short-list des finalistes du prix Orange du livre ? (L'autre est "L'expérience de Christophe Bataille) . Tendance je vous dis....
PS : Un autre avantage pour ces nouvelles par paquet de un .... on peut en parler facilement, c'est si vite lu et permet donc d'alimenter sans trop d'effort les pages d'un blog....

lundi 11 mai 2015

Les initiés de Thomas Bronnec

Un petit voyage dans un univers fermé, dans lequel on ne pénètre que si l'on a un badge, un costume/cravate et quelques années passées à l'ENA , ça vous dit ? Même si ce matin, on a retrouvé, écrasée sur les graviers hyper bien entretenus, une ancienne IGF ( inspectrice générale des finances) que l'on croyait suicidée trois ans plus tôt ? Il va falloir vous faire tout petit pour observer ces fauves qui côtoient les plus grands banquiers du pays ainsi que différents ministres. Comme nous sommes à Bercy, on rencontre surtout Isabelle Colson, la ministre des finances de gauche (et éventuellement son vieux chien qui s'oublie sur les moquettes épaisses). Cette femme a décidé d'être intraitable sur un éventuel refinancement de la plus grande banque française. Elle pense que son électorat sera mécontent si l'on aide encore avec les deniers publics une entreprise privée mal gérée. Mais les têtes pensantes du ministère des finances ne l'entendent pas de cette oreille et, comme ils l'ont toujours fait, négocient en sous-main. Seulement, une atmosphère étrange règne dans les lieux. La réapparition, même sous forme de cadavre, d'une certaine Stéphanie Sacco, va compliquer un peu plus une situation déjà pas facile...
Thomas Bronnec est un journaliste spécialisé dans la finance, un initié donc, qui a décidé via le polar à nos faire entrer dans les arcanes de Bercy, concentré pouvoir à lui tout seul. Comme il est ultra bien renseigné, sa description au vitriol des alliances, des enjeux, des luttes internes, des réseaux nombreux que compte ce lieu donnent un cadre documentaire à une intrigue financière dans laquelle il arrive à ne pas nous perdre. Mené de front avec une affaire plus classique de suicides mystérieux, le récit, composé de chapitres courts, se lit d'une traite. On est tout autant passionné par ce qui est décrit des rouages d'un état dans l'état que par le destin funèbre de ces deux femmes qui ont peut être été trop loin dans leurs investigations lors d'une enquête sur le financement des banques françaises lors du krach de 2008.
Aussi informatif que passionnant, "les initiés" possède ce petit plus des bons polars : le sentiment de plaisir qu'éprouve le lecteur en se plongeant dans un monde auquel il n'aura pas accès. La description habile et informative qu'en fait l'auteur nous questionne sur notre perception de ce monde libéral dans lequel nous vivons. Et quand c'est mené de main de mettre comme ici, on en redemande !


dimanche 10 mai 2015

Le talent de mes amis d'Axel Lutz



Après Camille Cottin et son " Connasse, princesse des coeurs", un autre comédien de la maison Canal + se lance au cinéma . Axel Lutz a cependant plus d'ambition que sa consoeur. Il a écrit, interprèté et réalisé  quelque chose de différent de sa pastille télévisuelle (Catherine et Liliane à l'intérieur du Petit Journal), une comédie mélancolique qui risque de dérouter ses fans.
Alexandre et Jeff sont copains depuis le collège et devenus adultes travaillent dans la même boîte.( On se demande comment Jeff a pu se faire embaucher tellement il est lourdingue et accumule les bévues...)  Mariés tous les deux, leur vie coule gentiment entre une vie popote et rigolote du côté de chez Jeff qui adore jouer avec ses enfants en adulte n'ayant pas grandi et un léger malaise chez Alexandre, essayant avec son épouse de faire un enfant en passant par la case FIV. Au hasard d'une conférence organisée par l'entreprise, Alexandre va retrouver un autre ami d'enfance, Thibault, beau gosse à qui tout réussit. Manager en énergie positive, transmettant façon gourou tout un tas de conseils bidons, il convaincra Alexandre de réaliser son rêve de faire carrière dans la chanson...
Ce qui démarre par une comédie assez lourde mais un poil décalée (un moment de danse quand on ne s'y attend pas...) continue par une chronique douce amère autour de l'immaturité, des rêves enfouis, d'un mal de vivre très générationnel. Alternent alors des scènes sensées être drôles, pas toujours réussies et d'autres plus intimistes, souvent lieu d'un monologue bien écrit. Hélas pour le film, le mélange ne fonctionne pas très bien, hésitant entre deux genres, deux timings. On avance cahin-caha, consterné et agacé par certaines scènes où les gags ne fonctionnent pas ou épaté et attendri à d'autres moments par la vitalité et le talent des comédiens qui retournent la situation en la basculant dans la vraie émotion . A ce petit jeu, les comédiennes sont vraiment gâtées et excellentes. Anne Marivin et Audrey Lamy ont un rôle très bien taillé et dialogué, Sylvie Testud endosse le rôle d'une DRH peau de vache avec humour et Jeanne Moreau campe une très émouvante grand-mère.
Je serai plus mitigé pour les rôles masculin, qui, si à la fin, arrivent à nous intéresser, ont quand même passé la première moitié du film à nous agacer à jouer les adulescents insupportables.  Axel Lutz et Bruno Sanchez arrivent toutefois à nous prouver qu'ils peuvent être autre chose que les inénarrables Catherine et Liliane. Il leur reste maintenant à mieux cadrer ce qu'ils veulent réellement faire à l'écran.
"Le talents de mes amis" porte bien son titre. Il est empli de comédiens talentueux. Il lui manque juste à trouver un vrai ton, que l'on perçoit par moment mais qui est noyé dans un scénario mal maîtrisé.



vendredi 8 mai 2015

Barcelona ! de Grégoire Polet



Avec un titre pareil,  pas besoin d'en rajouter pour comprendre que la ville catalane est, en plus de la toile de fond de ce roman, le personnage principal tout aussi vivant que les femmes et les hommes qui vont s'entrecroiser durant presque 500 pages.
Si je vous dis que Pere Catala prend la mer en tant que navigateur solitaire sous les yeux notamment de son père mais aussi de Véronica, photographe free lance pour un journal local qui, elle même vit chez son père, guide bénévole et passionné pour sa ville tant aimée, qui capte l'attention de Michèle, française ayant son suivi son mari qui organise des colloques prestigieux dans lequel un dénommé Hans..., vous l'aurez compris, "Barcelona!" est un roman choral, où toutes sortes de personnages vont se croiser ou pas, finissant par dresser, en filigrane, un portrait on ne peut plus kaléidoscopique de Barcelone, aussi riche et varié que peut l'être cette ville de tous les possibles. 
Alors que ce port méditerranéen espagnol peut générer tous les excès au quotidien comme dans les écrits ( je pense à un roman déglingué assez récent de la très médiatique Virginie Despentes entre autre), Grégoire Polet, lui, fait preuve d'une humilité stylistique très confortable. Sans renier le côté impitoyable des bas fonds de cette ville, il n'oublie pas qu'elle est quand même principalement habitée par des gens normaux qui bossent, aiment ou vivent comme tout un chacun. C'est avec une écriture simple mais précise qu'il fait vivre ses personnages au sein d'une ville en pleine métamorphose. Se battant avec une crise aussi bien financière que morale, essayant d'inventer un avenir meilleur sans renier un passé magnifique, pratiquant un régionalisme certain, nous partageons quelques mois de la vie de Bégonya, Carme ou Damian. Cela pourrait être un "Plus belle la vie" version barcelonaise, mais c'est beaucoup mieux, car au travers de dialogues incisifs, de quelques épisodes marquants ( la soirée foot ou celle du congrès de plasticiens), Grégoire Polet nous donne un instantané de notre monde actuel, n'hésitant pas à mettre sa plume dans le cambouis, ouvrant le débat autour de sujets aussi complexes que la mondialisation, le choc des pouvoirs politiques et financiers ou leur alternative plus écolo/participative. Il n'oublie pas par contre de lui donner une dimension romanesque et émotionnelle et obtient un gros roman dans lequel on aime se plonger et qui se révèle au final un tourne-page de qualité. 
Sans tambour, ni trompettes médiatiques, Grégoire Polet nous propose un voyage drôlement agréable dans une ville bouillonnante, évitant avec bonheur les clichés que Barcelone traîne invariablement. Le portrait en devient ainsi, plus sensible, plus humain mais surtout plus universel. A l'heure de la mondialisation, l'humain est sensiblement le même partout, se débat avec les mêmes questionnements et "Barcelona!" en est ce printemps la plus parfaite illustration romanesque. 

lundi 4 mai 2015

Un jeune poète de Damien Manivel


On peut avoir envie de défendre un premier film français, encourager les futurs grands talents de demain, détecter derrière la palpable imperfection des débuts les prémices d'oeuvres qui nous enthousiasmeront... Après la vision d'"un jeune poète", il va m'être difficile de montrer un peu d'enthousiasme...
L'affiche, réussie graphiquement, avec ses tons pastels donnent une idée de l'ambiance du film : éthéré, calme, doux... Ces qualificatifs, hélas, ne suffisent pas à décrire complètement ce qui nous est proposé sur l'écran. Il me faudra je pense en ajouter des moins sympas. 
Ca se passe à Sète, la ville où repose Paul Valéry (mais aussi Brassens). Nous sommes en été et Rémi, un jeune adulte encore un peu adolescent, ambitionne soudain de prendre la posture d'un poète. Il va déambuler dans la ville à la recherche de l'inspiration, fera quelques rencontres et...mais chut...je ne révèle pas la fin, ce serait gâcher le plaisir.
Damien Manivel essaie de filmer le silence, la solitude voire le vide existentiel. C'est en soi louable et courageux mais pas vraiment convaincant et surtout totalement rasoir. On a déjà du mal à croire en ce grand dadais apprenti poète, qui plus est, errant dans des rues de Sète absolument désertes (en été !!!). Ce manque de vie ambiant n'est pas vraiment  propice aux rencontres fascinantes. Il croisera quand même un jeune pêcheur qui s'ennuie et joue à la gameboy, une jeune fille plutôt mignonne mais guère emballée par ce grand échalas et deux dames vieillissantes, un peu cagoles, dans un bar minable. Il s'essaiera, comme tout bon poète maudit, aux substances euphorisantes (ici la vodka) mais elles finiront en vomi dans le caniveau. 
Côté scénar on est très loin de Fast and furious (non, Rémi, chaussé de tongs, ne poursuit pas Léonore et son sac à dos). Mais on n'est pas non plus dans quelque chose de totalement raté. On s'y ennuie mais on prend le temps de regarder les jolis plans dans lesquels évolue Rémi Taffanel, l'acteur principal, que le réalisateur arrive à rendre sympathique, avec un côté Vincent Lacoste monté en graine. On sent un regard, une pointe d'ironie peut être, mais le temps estival du film ne fait pas oublier la vacuité d'un scénario anémique. 
On sort de la salle pas emballé pour deux sous. On est heureux que Damien Manivel ait réussi à trouver un producteur qui finance quelque chose de si fragile et ténu. Il y a peut être des amateurs du presque rien qui ne raconte pas grand chose. Il peut m'arriver d'en être friand, quand la réalisation magnifie cela. Ici, ce n'est pas le cas.... Et qu'on ne vienne pas me refaire le coup du "Il y a dans ce film un travail sur la notion de temps qui passe intéressant" , déjà servi pour "Vincent n'a pas d'écailles " et "Jauja", ça ne marche plus !
Quelqu'un de mon entourage vient de me rappeler que d'ordinaire je n'aime pas spécialement la poésie et que donc, je ne suis pas cible idéale du film. Sans doute, mais ce film-ci ressemble étrangement au poème que le héros finit par pondre, un genre qu'aucune revue, même le courrier des lecteurs de Closer, ne voudrait publier.

samedi 2 mai 2015

Connasse, princesse des coeurs de Noémie Saglio et Éloïse Lang


Cela vous a peut être échappé, mais la Gaumont fête ses 120 ans. Un clip faisant défiler ses plus grands succès est projeté dans toutes les bonnes salles de ciné (les leurs donc....), une grande exposition gratuite accueille le public à Paris. Pour magnifier l'événement et le savoir-faire maison, la Gaumont sort au même moment sa dernière grande production : "Connasse, princesse des coeurs", une comédie, grande spécialité de la firme, avec en tête d'affiche Camille Cottin.
Première interrogation : mais qui est Camille Cottin ? Si, comme moi vous regardez peu la télé et en particulier Canal plus, vous n'avez pas vu monter la célébrité de la dame. Perso, j'avais bien sur entendu parler de cette fofolle mais l'occasion de me gondoler devant l'une de ses pastilles humoristiques de deux minutes , générique compris,  ne m'avait pas encore été accordée. Avant de me précipiter dans une salle, la petite séance de rattrapage de mon inculture sur le site Canal m'a permis de constater que cette nouvelle version survitaminée de la caméra invisible n'était finalement qu'une suite de répliques bien vues et efficaces sur le moment, mais au fond sans grande invention. L'adaptation sur grand écran du concept  "Une connasse friquée, fashion victime, feignasse et un poil vulgaire dit tout  haut ce que tout le monde pense tout bas ", vu la popularité de la dame et l'abêtissement de plus en plus sensible d'une partie du public cinéphile et télévisuel, pouvait donc s'avérer payante pour la Gaumont. Le tournage fut long semble-t-il ( de juillet 2014 à février 2015  selon le générique) et le montage court donc. La promotion a par contre été hyper bien pensée, démarrant avant  la fin du tournage et se finissant par une polémique dans le Monde, jouant finement sur la thématique de l'opposition grand public/public intello. En refusant de montrer l'oeuvre aux critiques des journaux élitistes, la Gaumont a été claire pourtant : on n'en a rien à foutre de vos avis, votre petit lectorat ira de toutes les façons voir un film chiant !
Bravant les interdits, bonnet sur la tête et lunettes de soleil sur le nez, j'ai risqué mon image de petit intello et je m'en suis allé, un jour de la fête du travail, visionner l'oeuvre maudite... La Gaumont avait raison, les lecteurs de Télérama, des Inrocks ou du Monde ne vont voir que des films rasoirs...et donc "Connasse, princesse des coeurs" !
Pour la suite, et pour tenter de donner un côté punchy à mon billet, je vais m'essayer au ton "Connasse", c'est à dire je dis tout haut ce que je pense tout bas... Mais imitant les scénaristes de cette oeuvrette sans intérêt,  je ne passerai pas beaucoup de temps devant mon ordi, le risque étant quand même de n'être pas très drôle.
Camilla est une vraie connasse. Superficielle, obsédée par les marques de luxe, refusant de travailler, elle veut briller à tout prix. Après un bref passage comme guide touristique en 2CV, elle décide de traquer la star dans le but de se caser. Sur les conseils de Stéphane Bern, elle décide d'aller séduire et épouser le prince Harry d'Angleterre....
Je pense que l'histoire s'arrête là... Il n'y a guère plus dans le film qui dure 1h20... Heu non, moins, parce que si l'on enlève les innombrables plans où l'on contemple Camille Cottin déambulant dans la rue, devant des monuments, des parcs, avec ses longues jambes fines portant des boots du plus bel effet pour sa silhouette, il ne reste qu'une heure de film ! Elle s'aime beaucoup Camille, ses réalisatrices aussi ! (qui ont l'air tout aussi connasses lorsqu'on les aperçoit dans le générique de fin, super contentes de leur coup, souriant de leurs dents blanchies et radieuses dans leur petit haut Zadig et Voltaire).
Donc, sur l'heure qui reste, nous avons droit à ce qui est, paraît-il, une succession de caméras cachées... Pourquoi je dis "paraît-il" puisque le générique affiche en grand "Filmé entièrement en caméra cachée" ? Mouais...J'ai du mal à y croire. La cohabitation entre image vaguement granuleuse ou floue (donc image volée) et d'autres franchement nettes à l'intérieur de la plupart des scènes laissent penser que ...peut être, on a eu quelques répétitions. Le générique de fin, ce traître, avec tous ces bonus si drôles (arf, arf) laisse deviner que la prise multiple dans un même lieu a été de mise ( dans le journal chic londonien, notamment).
Après tout, je m'en fous, camera cachée ou pas, qu'importe, si le plaisir du spectateur est là ... or il n'y est pas. Si le départ sur l'enfance de Camilla peut faire illusion deux minutes, très vite le film s'essouffle et plonge dans un néant où la vacuité du propos se dispute avec un humour lourd, flirtant avec la xénophobie lorsqu'il est embarqué dans une deudeuche bleu blanc rouge, ... sûrement pour flatter les bas instincts d'un public que l'on pense ainsi. Parfois, je l'avoue, j'ai esquissé un sourire car Mme Cottin est convaincante lorsqu'elle lâche des vacheries, on ne peut pas lui enlever son petit talent. Mais hélas, ces pseudos caméras cachées, cette bêtise de connasse, à la longue, ça lasse bougrement. Lorsque arrive la dernière partie anglaise qui s'enlise dans le soporifique, le public dans la salle (quasi comble !) ne rit plus, les enfants demandent à faire pipi... Ah oui, je ne vous ai pas dit, la salle était remplie d'enfants, amenés par des parents soucieux sans doute de proposer un spectacle de qualité à leur progéniture avide de culture... (Je pencherai plutôt plutôt pour un manque total de discernement, doublé d'un je m'enfoutisme éducatif et triplé de lâcheté en évitant par cette sortie familiale une crise de nerf infantile parce que papa/maman vont au cinéma sans leur mioche).
Résultat des courses, le lecteur du Monde que je suis a vu un film chiant certes, mais surtout raté, inintéressant, vide de sens et qui plus est véhiculant des idées rances.Camille Cottin est déjà partie à Saint Barth dépenser un peu de son faramineux cachet qui ne fera qu'augmenter au fil des jours, car elle aura pris soin de demander une participation sur les entrées. Elle hantera ainsi les boutiques de luxe et claquera son fric gagné sur le dos de pauvres, même pas smicards, ou de connards et connasses qui adôôôrent  cet humour Canal si (soi-disant) décapant mais qui ne cache en fait qu'une farce libérale cynique.
Le cinéma et surtout la Gaumont n'en sortent pas grandis. Même si cette dernière en bonne commerçante, se frotte les mains, ayant réussi à drainer le public dans les salles avec un film fauché à tous points de vue, son image risque de se ternir encore un petit peu plus et laisse supposer que la fête pour les 150 ans est partie sur de bien mauvais rails, la "connasse" ne risquant pas de faire oublier les quelques grands succès populaires d'antan.




vendredi 1 mai 2015

Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l'existence de Roy Anderson


Le pigeon du titre du nouveau Roy Anderson apparaît au début du film. Il est empaillé dans la vitrine d'un musée. Pendant qu'une compagne l'attend, un homme vieillissant, à l'air un peu égaré, le visage blafard, l'observe longuement, attentivement et s'en va. Cette scène d'introduction donne le ton de ce film. Oui, nous serons comme dans un musée à observer attentivement ces 40 plans fixes proposés tels des tableaux. A l'intérieur de ces plans, le réalisateur va placer une multitude de personnages que l'on retrouvera ou pas, formant l'image d'une humanité pour le moins singulière.
L'impression première est que l'on a affaire à un fan d'Edward Hopper en version encore plus dépressive. Même thématique de solitude urbaine, même sentiment d'infinie tristesse se diffusent dans ces nombreux plans hommages, notamment dans une rue avec restaurant ou dans des bars, mais en version nettement moins colorée, tirant surtout sur le beigeasse et le kaki délavé. On pourra, pour les amateurs, y trouver d'autres influences picturales allant de Magritte à Voutch (le dessinateur humoristique français bien connu des lecteurs de Psychologie magazine ou du Point). Mais au fil des minutes, après nous avoir balancé trois scènes autour de la mort où il compile avec un humour noir sa vision de l'âme humaine, on comprend très vite que le dispositif ne laissera pas le spectateur indifférent. On pourra peut être être révulsé par ces clowns sinistres qui déambulent dans ces intérieurs gris, comme les deux vendeurs en farces et attrapes zonant de banlieues glauques en magasins décrépits, nous renvoyant leur image miteuse comme peut être un reflet trop négatif de nous-même. On pourra aussi trouver le procédé trop lourdement explicite, trop démonstratif, la répétition de cette grisaille contemporaine trop théâtrale.
Mais on pourra surtout écarquiller ses yeux , scruter ces images jamais banales et y découvrir des petits trésors d'humour, d'absurdité et de causticité. Certaines scènes (tableaux ?) sont tout bonnement ahurissantes de beauté et d'invention. Je défie quiconque de ne pas être scotché par la totale originalité de l'arrivée du roi Charles XII dans un bar minable mais aussi extrêmement dérangé par la scène finale, où une machine infernale à base de noirs enchaînés sert de spectacle à une bande de vieux riches.... Même si ces deux moments sont les points culminants du film, le reste est comme un pied de nez au cinéma coloré et clipesque, l'absolue maîtrise d'une dissonance discrète portée à son comble.
C'est dérangeant un film qui joue sa partition incongrue avec autant d'opiniâtreté mais diablement stimulant pour le spectateur qui aime qu'on lui propose des univers non formatés. Roy Anderson, s'est vu décerné le lion d'or à la dernière Mostra, récompensant un cinéma inclassable et donc non consensuel. Il faut se risquer à le découvrir. On aimera ou pas, mais je reste persuadé qu'en plus de ne laisser personne insensible, ce pigeon recèle quelques images qui s'imprimeront durablement dans votre mémoire.
(Ne vous fiez pas trop à la bande annonce un peu trop tristouille qui ne rend pas justice à ce film inventif.