vendredi 28 septembre 2012

Vous n'avez encore rien vu d'Alain Resnais


Le problème avec les grands cinéastes âgés, c'est qu'on leur doit le respect. L'admiration que l'on a éprouvé lors de leurs grandes années se doit d'être toujours présente, même sur les oeuvres tardives dans lesquelles on trouvera toujours des points d'accroche pour la dithyrambe. Alain Resnais en est la parfaite illustration. 90 ans, une multitude de grands films derrière lui, chaque nouvel opus est l'occasion      pour la critique de célébrer ce maître du cinéma même si l'oeuvre est mineure (oui, il y en a eu ! "Les herbes folles", son précédent long-métrage m'a laissé le souvenir d'un film poussif et sinistre).
Pas vraiment appâté par les photos peu alléchantes qui ont squatté la presse ces derniers jours et pas vraiment désireux d'assister à une représentation d'une pièce vieillotte de Jean Anouilh, je me suis tout de même rendu en salle pour vérifier si "Vous n'avez encore rien vu" était aussi prometteur que le titre le laisser sous entendre.
Réunie dans une grande salle aux canapés noirs, une pléiade de comédiens est convoquée à une sorte de veillée, hommage à un metteur en scène décédé qui les a tous dirigés dans les deux Eurydice qu'il a monté lors de sa carrière. Assistant à la projection d'une ultime et nouvelle version de cette pièce, notre aréopage de stars vieillissantes se prend au jeu du théâtre et du souvenir. Les répliques leur revenant en mémoire, ils nous la rejouent en retrouvant les élans de leur jeunesse un peu disparue. Quand je dis "ils", je devrai dire "certains nous la rejouent", car hormis Sabine Azéma, Pierre Arditi et Mathieu Amalric, les autres ne font que que lancer quelques répliques (Lambert Wilson et Anne Consigny et un peu Anny Duperey) voire font de la figuration même pas intelligente (là, je ne cite personne pour ne pas blesser).
On nous dit partout qu'Alain Resnais est toujours aussi génial, facétieux et joueur. C'est vrai, il réussit à filmer le théâtre d'une manière totalement originale, mélangeant les acteurs, jouant avec les décors et avec l'écran, divisé parfois en deux voire en quatre. C'est créatif mais cependant, au delà de ce côté ludique revendiqué, l'exercice ne m'a guère convaincu.
Tout d'abord, cette idée de vouloir remettre en valeur des pièces démodées se révèle de l'acharnement, de la torture pour le spectateur. Il nous avait déjà fait le coup avec Henri Bernstein  et "Mélo" ou avec l'opérette et "Pas sur la bouche", à mon avis pas ses meilleurs films. Je le préfère quand il s'attaque à des sujets ou des oeuvres plus contemporains ("Smocking/no smocking" ou "On connaît la chanson"). Ici, malgré le dépoussiérage et l'originalité de la narration, une pièce datée reste une pièce datée. Et ce ne sont pas ses habituels comédiens, aussi bons soient-ils, qui parviennent à redonner du lustre à un texte ampoulé.
"Vous n'avez encore rien vu" est un exercice de style brillant pour amateurs éclairés qui s'esbaudiront sur "l'éternelle reconduction du corps ressuscité pour de vrai et pour de faux" (Le nouvel obs) pendant que d'autres gloseront sur la permanence sublime du thème de la mort dans l'oeuvre du maître et que les puristes se gargariseront autour de l'hommage émouvant de ce vénérable artiste à tous les comédiens de théâtre. Par contre, ils ne s'apercevront pas que ce film s'adresse surtout à une élite qui possède les codes et le grilles de décryptage mais pas du tout au grand public, ni même au moyen d'ailleurs.
Selon où l'on se situe on y prendra plus ou moins de plaisir, on se pâmera ou on s'endormira. Mon avis est mitigé : intéressant mais pas vraiment passionnant.



jeudi 27 septembre 2012

La blogosphère de Bastien Vivés


Est-ce le rythme rapide de parution (quatre dans l'année) qui m'a un peu lassé ? Une chose est sûre, le nouveau recueil des strips du blog de Bastien Vivès m'a un peu déçu. Pourtant, avec un titre alléchant comme "La blogosphère", j'aurais aimé pouvoir dire que j'ai autant ri qu'avec les tomes précédents (même si le troisième commençait à montrer ses limites).
Dans ce quatrième volet, on parle donc d'internet et des blogs de dessinateurs, de l'avenir incertain d ela BD, des éditeurs qui peu à peu s'effacent devant la déferlante des blogueurs qui, eux, passent leur temps dans des conventions assez ineptes. Et pui, il y a des clins d'oeil aux copines (Pénélope Bagieu ou Margaux Motin) et un retour (peu convaincant) de Dark Vador en exterminateur de la terre et jaloux des blogs des BD.
Même si on retrouve comme d'habitude quelques pages aux dialogues bien crus, même si cette interrogation quant à l'avenir du 9ème art est cynique et salutaire, j'y ai pris beaucoup moins de plaisir. Le dessin, toujours aussi particulier, me ravit encore malgré le côté répétitif/reproduction à l'identique (copier/coller devrai-je dire)  mais sent un peu la facilité et n'est finalement là que pour poser ses dialogues toujours aussi affutés. Reconnaissons à Bastien Vivès un vrai talent d'observateur de ses contemporains et  une oreille particulièrement attentive, car ses textes sont de petits condensés féroces des tics de tous ses amis bobos, drogués à l'internet.
Si vous avez aimé les trois précédents recueil, complétez votre collection. Je ne sais pas si tout le blog de Bastien Vivès a été entièrement publié, mais s'il reste des planches pour un cinquième opus, espérons que ce ne soit pas des fonds de tiroir heu...de blog.

mercredi 26 septembre 2012

Bonjour facteur de Michaël Escoffier et Matthieu Maudet

Je ne sais pas si c'est bien le projet de Michaël Escoffier et de Matthieu Maudet, mais j'ai vu dans "Bonjour facteur" une jolie illustration (sûrement subliminale ou involontaire) de l'actuel débat sur l'adoption par les couples gays, le tout bien sûr pour lecteur de 3 ans. Parce que si l'on prend cette histoire au premier degré, c'est le grand retour des croyances nunuches pour enfants, le facteur remplaçant la cigogne, décimée par la pollution.
Donc, il y a un facteur qui livre des bébés à des animaux. (Rien à voir j'espère avec la formidable expression : "Oh, celui là, il ressemble au facteur !")
Le premier couple, Mr et Mme Hippopotame sont tout content d'avoir reçu leur bébé. Couple épuisé par les nombreuses FIV sans résultat, ils semblent comblés par l'adoption de ce charmant bébé hippopotame dont les pauvres parents ont du être abattus par d'ignobles braconniers dans une réserve pourtant protégée du Kenya.
Ensuite, le facteur livre deux enfants à un couple de singes visiblement tout heureux d'être enfin parents. Je regarde bien l'illustration. Pour moi, il n'y a pas de doute, ce sont deux mâles et il est donc normal, au yeux d'un enfant, que ce soit le facteur qui leur apporte leurs bébés arraché à un orphelinat asiatique. Ces deux singes mâles feront visiblement de super parents et c'est tant mieux !
Quant au troisième couple chez qui le facteur livrera un bébé, je ne peux rien en dire sous peine de dévoiler la chute pleine d'humour et de tendresse. Je peux juste signaler qu'il s'agit d'une famille de pingouins formidablement généreuse comme il en existe encore beaucoup.
Oui, j'ai vu beaucoup de choses dans ce tout petit album cartonné. Suis-je tombé sur la tête, abusé d'expédients illicites ? Non ! Mais quand j'ai lu la première fois cet album, si j'avais apprécié la chute, j'avais été déçu par le propos si peu scientifique, indigne me semble-t-il des auteurs du formidable "Bonjour docteur" il y a deux ans. En creusant un peu, je pense vraiment que messieurs Escoffier et Maudet ont voulu eux aussi s'immiscer dans le débat important du moment, en proposant aux enfants, non pas d'y réfléchir ,mais peut être de s'ouvrir inconsciemment l'esprit.
Reste une question, si tout ce que j'y ai vu est vrai, cela en fait-il un album subversif que certaines bibliothèques dites bien pensantes risquent d'interdire ? J'ose espérer que non. Mais, un conseil, prenez vos précautions, achetez-le avant qu'il ne soit brûlé ou détruit par quelques fanatiques, vous ne le regretterez pas !

mardi 25 septembre 2012

Ils désertent de Thierry Beinstingel

"Ils désertent" est un livre dont j'aurai aimé dire que je l'avais adoré alors que je ne l'ai que simplement aimé. C'est un livre enrichissant, formidablement bien écrit, qui m'a happé dès les premières lignes mais qui hélas m'a un peu lâché avant sa conclusion.
Nous faisons d'abord la connaissance d'une jeune femme, fière d'avoir pu grimper sur l'échelle sociale grâce à son embauche au poste de chef des ventes dans une société de papiers peints et de décoration. Son premier travail sera de virer un de ses VRP, surnommé l'ancêtre, quarante ans de boîte mais aussi celui qui fait toujours les meilleurs chiffres de vente. Ces deux là, malgré leur différence d'âge, leurs fonctions, ont finalement d'infimes choses en commun que Thierry Beinstingel va nous faire découvrir en observant leur vie avec de subtils chapitres en parallèle.
La première moitié du roman est une brillante mise en place du récit, brossant avec pertinence et sensibilité le mal être de ces deux personnes solitaires et broyés par le travail en entreprise, troisième personnage de cette histoire. Le monde du management, de la recherche du profit, des décisions imbéciles au nom de la sacro-sainte économie libérale sont ici la toile de fond devant laquelle se débattent ce presque vieil homme et cette jeune femme. Leur vie est un désert, affectif, relationnel et même architectural puisque la jeune chef des ventes habite un de ces appartements pour investisseurs, construit au milieu d'un champ, au bout du bout d'une ville sinistre. Tous deux ne sont que les pions d'un système rendu fou et qui ne garde que les plus malléables. Elle, ancienne lectrice d'Hannah Arendt, se demande comment on peut encore travailler après avoir lu "Condition de l'homme moderne". Lui, est un admirateur de Rimbaud, surtout de sa correspondance, depuis qu'il a appris que, comme lui, il avait été un voyageur de commerce.
Toute cette première partie est tout simplement admirable par son acuité, par la totale empathie de l'écriture avec les personnages. Et soudain, après un chapitre un peu étrange mêlant Rimbaud et l'auteur, le livre bascule doucement vers un final, comment dire, un peu trop sucré. C'est comme si, pour rester avec des auteurs récents, on avait débuté le livre avec Jérôme Ferrari et terminé avec Grégoire Delacourt (deux auteurs aux univers très différents mais dont j'ai apprécié les ouvrages cette année) et du coup cela ne fonctionne pas vraiment. Même si la thèse de la culture sauvant l'humain du néant est forcément séduisante, elle détonne quelque peu après une mise en place si tendue, si âpre et si  intense. C'est dommage, mais je ne suis peut être pas très bon juge, puisque, ô surprise, les jurés Goncourt ont inscrit ce roman dans leur première liste.
"Ils désertent" est quand même un des livres qu'il faut lire cette rentrée. Développant avec talent des grands thèmes actuels, il m'a enchanté par une foultitude de détails, de remarques sur notre monde d'aujourd'hui. Et par ailleurs, il sait aussi être tendre et drôle. Par exemple, après avoir lu ce roman, vous ne regarderez plus les papiers peints du même oeil. Vous prendrez même du plaisir à les observer attentivement pour y trouver le condensé de toute une époque et de ses modes de vie.
Thierry Beinstingel travaillait chez France Télécom mais avait du rêver d'une carrière chez Vénilia pour mettre autant de poésie dans la description de ces rouleaux aujourd'hui passés un peu de mode. A moins que ce ne soit tout simplement la preuve du talent d'un excellent écrivain....

"Ils désertent" de Thierry Beinstingel  Fayard 19 €


dimanche 23 septembre 2012

Quelques heures de printemps de Stéphane Brizé


Creusant sa thématique préférée, l'incommunicabilité des êtres, Stéphane Brizé dans "Quelques heures de printemps", y ajoute une note sociétale en traitant du suicide médicalement assisté. Toute la communication du film a tourné autour de ce sujet sensible qui n'est en fait qu'une partie étrangement désincarnée, mais qui accompagne seulement le propos principal, celui des relations conflictuelles entre un mère et son fils.
La mère, veuve, enfermée dans une routine ménagère, est atteinte d'un cancer du cerveau. Elle cohabite avec son fils Alain qui vient de purger dix-huit mois de prison pour trafic de drogue. A la recherche d'un emploi, Alain se retrouve face à une femme mûrée dans un silence de toujours mais résolue. elle a décidé de recourir, via une association suisse à une fin médicalement assistée pour éviter les souffrances et la déchéance.
Malgré un titre à l'allure poétique, "Quelques heures de printemps", n'en joue pas du tout la carte. Stéphane Brizé est un réalisateur dont l'obstination à décrire les milieux simples est un bienfait dans le cinéma français plutôt enclin à se réfugier dans les canapés moelleux et profonds de la bourgeoisie. La reconstitution de cette vie simple est admirable de justesse et de finesse. Mais son talent ne réside pas seulement dans cette plongée dans l'ordinaire des petites gens. Remarquablement dirigés, les comédiens, soigneusement choisis, se voient offrir ici l'occasion d'une prestation haut de gamme. Hélène Vincent, la mère, est tellement juste que dès son apparition, elle parvient à faire oublier cette Mme Le Quesnoy qui lui colle aux baskets. J'ai regardé vivre cette Mme Evrard, petite fourmi à la vie simple, laborieuse et sans grand espoir, dont chaque geste, chaque froncement de sourcil, m'a rappelé beaucoup de femmes croisées dans ma vie ou dans la rue. La comédienne livre ici une interprétation qui restera dans les souvenirs et dans les coeurs.
En face d'elle, Vincent Lindon, en fils taiseux, massif mais faible, qui traîne son passé de prisonnier dans une société qui n'a rien à lui proposer, est, comme d'habitude, excellent. Ses silences mais aussi ses coups de colère, ses regards en disent long sur l'enfermement dans lequel se débat son personnage. 
Les seconds rôles sont eux aussi au diapason. Silvia Kahn, avec pudeur et justesse, incarne un médecin qu'on aimerait pouvoir rencontrer dans une telle situation. Mais mon coup de coeur va à Olivier Perrier, absolument magnifique en voisin amoureux transit de Mme Evrard et qui nous offre avec Hélène Vincent une des scènes les plus bouleversantes du film, où avec quelques paroles banales, ils arrivent à exprimer ce qu'une vie de résignation et de retenue n'a pas pu dire (à ce moment là, on voyait briller les larmes sur les joues de toute la rangée).
Bourré de qualités, de scènes d'une incroyable acuité qui sidèrent le spectateur par leur justesse et leur force, "Quelques heures de printemps" ne m'a, hélas pas, complètement convaincu. La faute, peut être, à l'histoire d'amour d'Alain, avec une jeune femme, pourtant très joliment interprétée par Emmanuelle Seigner, mais un peu artificielle voire pas tout à fait crédible. Et puis, la mise en scène avec ses longs plans séquences quelquefois fixes, même si elle permet souvent d'installer une émotion palpable, devient à la longue un peu trop systématique et relève, me semble-t-il, d'un procédé juste un peu trop voyant. Ce qui pour moi avait fonctionné formidablement dans "Mademoiselle Chambon" le précédent film de Stéphane Brizé, m'a ici un peu moins convaincu.
Cependant, tel qu'il est, avec sa justesse, sa rudesse, ses acteurs à la sensibilité et au talent incroyables, son culot de filmer sans cliché les gens simples, "Quelques heures de printemps" est vraiment le film à voir car il possède le pouvoir que peu de longs métrages ont : inciter le débat, délivrer la parole et susciter le désir de communiquer les émotions qu'il nous fait éprouver ce qui est, quand même, une prouesse pour une histoire de taiseux !



PS :La musique entendue dans le film est composée par Nick Cave et Warren Ellis et fait partie de la BOF du film "The assassination of Jesse James".



samedi 22 septembre 2012

Jour de piscine de Christine Naumann-Villemin et Eléonore Thuillier


Vous l'avez peut être remarqué, mais je ne suis pas vraiment friand de ces albums conçus pour surmonter divers problèmes inhérents à l'enfance. Souvent lourdement démonstratifs et faisant assaut de mièvrerie, ils ont tendance, en plus, de manquer sérieusement d'humour. " Jour de piscine" entre dans cette catégorie des histoires à visée rassurante auprès d'enfants pas vraiment convaincus des leçons de natation. Il est vrai qu'entre un(e) maître(sse) pas tout à fait pédagogue (maintenant que la formation n'existe plus) et un maître nageur plus proche de Philippe Lucas que de Maria Montessori, les enfants peuvent développer des phobies qui prennent fin généralement en même temps que le cycle piscine prévu par les textes de l'Education Nationale.
"Jour de piscine " évite tous les écueils du genre tout en étant drôle et affutant la réflexion.
Sept animaux découvrent avec effroi qu'aujourd'hui, c'est cours de plongeon. Lapinoute est la seule à n'avoir jamais testé le grand plongeoir. Ses amis tiennent à lui raconter combien cela fait peur, combien on tremble de froid là-haut, sans oublier le vertige et le plat douloureux quand on entre mal dans l'eau. Chaque animal en rajoute. L'imagination et l'exagération aidant, cette leçon devient tout bonnement terrifiante jusqu'à la chute... très réussie.
Mais il n'y a pas que cela qui est réussi dans cette album. Le texte, jouant avec les mots, en inventent de très jolis, de ceux que les enfants se plairont à répéter en riant. Les illustrations sont au diapason : fraîches, drôles, jouant très habilement du format à l'italienne de l'album pour mieux représenter l'effroi et la difficulté de cette abominable séance de plongeon.
Cet album, classique mais rempli d'humour, deviendra un classique indispensable pour répondre aux anxiétés de nos chers petits, angoissés par ces moments de doute que ne manquent pas d'engendrer les leçons de piscine.

vendredi 21 septembre 2012

Le bruit des clefs d'Anne Goscinny


Les éditions Nil dans leur collection "Les affranchis" demandent à des auteurs d'écrire "la lettre qu'ils n'ont jamais écrite". Annie Ernaux, Yves Simon et beaucoup d'autres se sont déjà pliés à l'exercice. Paraît ces jours-ci, la lettre d'Anne Goscinny à son père, René, le créateur, faut-il le rappeler, du petit Nicolas, d'Astérix ou de Lucky Lucke.
"Le bruit des clefs" est un long courrier , foisonnant, d'une fille encore désemparée par la disparition de son père trente-cinq ans auparavant. Elle a tant de choses à dire que les mots se butent, s'entrechoquent, dans un déferlement d'anecdotes, de souvenirs plus ou moins heureux, tendres ou émouvants.
C'est un peu foutraque mais derrière chaque phrase, une émotion difficilement contenue suinte au fil des pages, donnant au lecteur un sentiment de vide intense. A cause de l'héritage laissé par René Goscinny et des nombreux hommages auxquels elle se doit de participer, ce père qui a quitté l'auteur quand elle avait neuf ans, hante littéralement sa vie. Il est toujours présent, faisant perdurer ce manque d'une enfance escamotée et volée doublement, sa mère ayant été atteinte d'un cancer dans les années qui ont suivi. Entourée des héros immortels créés par son père, Anne Goscinny vit, survit peut être, grâce au génie de son père qui la porte, année après année, comme un ange bienveillant.
Quand elle écrit : "De ton univers, tu es le seul mort. Moi j'aurais aimé être l'un de tes personnages : une enfance qui ne finit pas. Une bulle dans une case. C'est tout.", on ressent fortement le chagrin qui l'accompagne. Nous, lecteurs, notre enfance (et notre âge adulte aussi) a été bercée, enchantée par l'humour de son père. Elle, n'a eu que quelques petites années d'un amour formidable et partagé qui s'est brusquement arrêté en 1977. Cette enfance volée, ce deuil quasi insurmontable, vécu au milieu de héros emplis d'humour, cette recherche éperdue et impossible d'un nouveau père sont superbement résumés dans cette phrase à la fin de sa lettre : "Quand je te lis, je ris aux larmes. Qui vient d'abord des larmes ou du rire ?". Poignant !



mercredi 19 septembre 2012

Aujourd'hui on va... de Mies Van Hout


Cette rentrée les illustrateurs néerlandais ont la côte auprès des nos petits éditeurs. Après "Sauvages" de  Rop van Mierlo chez Memo (chronique ICI ), voici "Aujourd'hui on va ..." de Mies Van Hout chez Mineditions. C'est très différent mais tout aussi réussi.
Encore une fois, il s'agit d'un imagier. Celui-ci se propose d'explorer des verbes que les jeunes enfants connaissent bien : jouer, s'ennuyer, se bagarrer, se séparer, ... Enchaînés les uns avec les autres, ils forment une jolie histoire d'amitié, de querelle puis de réconciliation.
L'attrait principal de cet album sont les illustrations.  Abandonnant le style classique, plutôt gentil (voire gentillet) qui ont fait sa réputation, Mies Van Hout crée des monstres absolument délicieux. Oui, des monstres pour des enfants de 2/3 ans qui ne devraient pas les faire cauchemarder ! Réalisés avec des pastels aux couleurs claquantes, ils explosent de drôlerie sur de grands fonds noirs. Le trait de l'illustratrice, mélange de grabouillis et de naïveté enfantine est un vrai régal pour les yeux.
Tendrement expressifs, ces petits monstres feront le bonheur des plus petits (et des plus grands) qui feuilletteront cet album comme un magnifique premier livre d'art.






lundi 17 septembre 2012

Mothers & tygers d'Emily Loizeau


Après le désert discographique de l'été, mon envie de nouveautés m'a transporté sur ma plateforme de téléchargement préférée (oui, je télécharge légalement et j'en suis fier !), à la recherche de nouveaux titres pour accompagner ma rentrée.
Je ne sais pas si c'est parce que l'industrie du disque est en crise ou si les majors attendent des dates plus propices pour la sortie de leurs nouveautés, mais le moins que l'on puisse dire, c'est que le choix n'est guère affriolant en ce moment. Je passe sans aucune hésitation le Guy Marchand et ses chansons de jeunesse qui sentent le coup marketing pour les abonnés de "Notre temps" (que je ne suis pas encore). Le nouveau Marc Lavoine ne m'inspire pas du tout même si comme lui "je descends du singe". Quant à "4love" de Kenza Farah, j'ai peur d'un mix entre Amel Bent et Jenifer bien peu tentant.
De guerre lasse, je me laisse tenter par "Mothers & tygers ", le troisième album d'Emily Loizeau. Jusqu'à présent, je n'avais guère été séduit par les précédents opus de la chanteuse, mais la rumeur en dit le plus grand bien... Hop ! Le voilà dans mon ipod et...me voici, après plusieurs écoutes, finalement conquis.
Bon, je n'en suis pas au point de tapisser ma chambre avec des posters de la chanteuse (j'ai passé l'âge et je me demande d'ailleurs où je pourrai les trouver), mais c'est très agréable à écouter. L'ambiance générale est à une folk romantique, bien produite et aux arrangements subtils. Ca caresse l'oreille  car Emily Loizeau semble avoir gommé le côté un peu trop haut perché de sa voix ( pas partout quand même, on la retrouve un peu sur "Garden of love" qui, par ailleurs rappelle Agnès Obel).
Au final, c'est l'album idéal à écouter le soir au coin du feu. Toutes les jolies mélodies (dont certaines accompagnées par Camille) vont me permettre de glisser élégamment dans l'automne qui vient. Il se dégage de ce disque un parfum de terre après la récolte, de feuilles mortes et de nature paisible. Les 16 chansons (dont une bonne dizaine en anglais) ont toutes le pouvoir de nous envelopper dans un climat de confiance et de sérénité. En ces temps de crise grandissante, c'est une aubaine qu'il serait dommage de rater.



dimanche 16 septembre 2012

Que nos vies aient l'air d'un film parfait de Carole Fives


Avec un titre pareil, évoquant pour les ados des années 80, un des tubes de Lio "Amoureux solitaires", on pourrait s'attendre à un livre sautillant. Si la divorce et la question "Qu'est-ce qu'on fait des enfants ?" vous paraît hilarante, alors vous sourirez peut être à la lecture du premier roman de Carole Fives , mais j'en doute, car le propos est ici fort sombre.
Le texte s'articule entre trois personnages : Le père, la mère et la fille aînée. Le témoignage du petit frère quant à lui, bien qu'évoqué longuement, n'apparaîtra qu'à la fin du livre. D'une histoire à l'heure actuelle banalisée par le peu de longévité des couples, Carole Fives, en la plaçant au début des années quatre-vingts, lui redonne un sens plus tragique et moins confortable (mais peut-on parler de divorce de confort ?).  Le récit nous donne à entendre tous les regrets, toutes les résignations, toutes les souffrances que le divorce a occasionné. Tout à tour, chacun des protagonistes nous parle et derrière les mots se terre la blessure à jamais refermée de ce drame ordinaire. Le père, tiraillé entre sa vie et le bonheur de ses enfants, la mère, tombant dans la folie en grande partie à cause d'un manque d'amour de ses parents et la grande soeur, dévorée par le remord d'avoir cédé aux injonctions d'une mère malade pour sacrifier l'enfance de son jeune frère, forment un tableau particulièrement touchant.
Carole Fives a su trouver les mots justes pour traduire toutes ces souffrances, permettant aussi au lecteur de glisser ses propres sentiments dans les interstices d'un récit jamais appuyé et aux accents de vérité.
Remarquablement construit et écrit, "Que nos vies aient l'air d'un film parfait" impressionne par la sensation de gâchis qu'il fait naître au fur et à mesure de la lecture, sans jamais sombrer dans le manichéisme ni le parti-pris.
Pour moi, c'est une très belle entrée dans l'univers du roman d'une auteure qui vient également de publier un album jeunesse fort réussi. Avec Dorothée de Monfreid à l'illustration, "Dans les jupes de maman" (aux éditions Sarbacane) saura séduire tous les enfants  à partir de 5 ans par son humour un peu décalé. Coup double pour Carole Fives qu'il va falloir suivre de très près !
Et pour les amateurs de nostalgie ou pour les curieux, voici la chanson "Papa pingouin" interprétée par Sophie et Magalie lors du grand prix Eurovision de la chanson en 1980, représentant le Luxembourg et classée neuvième à l'issue du concours. Ceux qui n'ont pas lu le livre de Carole Fives ne peuvent pas comprendre la présence de ce clip ici, mais sachez que les paroles de cette chansonnette prennent un relief tout particulier lorsqu'elles apparaissent de ci de là, au détours d'un paragraphe, preuve que les paroles d'une chanson apparemment simpliste peuvent résonner étrangement. Ecoutez la chanson. Vous avez huit ans, votre père décide de quitter sa femme votre mère...


vendredi 14 septembre 2012

Sauvages de Rop Van Mierlo



Rop van Mierlo est un illustrateur un graphiste, un artiste passionné par l'aquarelle, mais, comme ici par les effets de l'encre sur de l'eau. Projeter des encres colorés sur du papier humide, tous les enfants l'ont expérimenté dans toutes les bonnes écoles maternelles. Ils ont pu admirer ces couleurs qui se diffusaient sur le papier, se mêlant les unes aux autres, produisant des nuages colorés aimantant le regard.
Dans cet album sans texte, qui est en fait un imagier artistique, Rop van Mierlo affine cette technique pour représenter des animaux. Magnifiés par un grand format, ce bestiaire est un régal pour tous les yeux des enfants comme ceux des parents.
Un ours,

un perroquet .... mais 12 autres créations toutes plus réussies les unes que les autres vous attendent à l'intérieur de ce magnifique ouvrage.

Comme toujours chez Mémo, l'édition est soignée et les illustrations sont reproduites sur un beau papier (qui plus est issu de forêt gérées durablement). Espérons que cet album arrive dans les mains des enseignants des écoles maternelles et qu'il leur donne des idées de créations avec leurs jeunes élèves...


jeudi 13 septembre 2012

Camille redouble de Noémie Lvovsky

A partir d'une idée scénaristique lorgnant vers le fantastique, Noémie Lvovsky nous propose un film essentiellement émotionnel, laissant totalement de côté les questions scientifiques de retour dans le temps et autres problématiques spacio-temporelles.
Camille, au début du film, a 40 ans bien sonnés au début du film, le goulot facile à cause d'Eric son mari qui vient de la quitter et d'un boulot de comédienne qui consiste à faire de la figuration dans des panouilles. Un soir de 31 décembre, elle entre chez un horloger pour faire réparer sa montre. L'homme de l'art, interprété par un Jean Pierre Léaud toujours au bord de la camisole, est à mon avis le responsable de la suite, puisque la malheureuse Camille se réveille le lendemain dans un hôpital. C'est en voyant arriver Yolande Moreau et Michel Vuillermoz, ses parents, qu'elle comprend que les choses ne sont pas tout à fait normales. Elle est tout bonnement retournée dans l'année de ses 16 ans, année lycée mais aussi celle de sa rencontre avec Eric et de la mort de sa mère. Comme elle connaît le futur, Camille va essayer de réparer les erreurs commises durant son adolescence, notamment ne pas se laisser draguer par son futur mari (ce salaud qui la plaquera 25 ans plus tard !) ou même essayer de retarder la mort de sa mère.
La très bonne idée est que Camille garde son apparence de quarantenaire. Cela apporte au film son côté décalé et hilarant. Voir Noémie Lvovsky avec son corps de femme mûre déambuler avec ses mini-jupes  et ses Doc-Martens, mâchant du chewing-gum est très réjouissant. En laissant le côté fantastique aux américains qui avaient déjà traité ce sujet (Peggy Sue, retour vers le futur, ...), "Camille redouble" n'est pas pour autant un comédie de plus sur l'adolescence. Tour à tour joyeux ou touchant, le film parvient à allier chaleur et tendresse et j'avoue avoir était très ému lors de deux scènes pourtant assez différentes mais dans lesquelles on entend une chanson de Barbara (et je ne suis pas particulièrement fan de la chanteuse).
Sans pour autant être LE chef d'oeuvre de l'année, "Camille redouble" est une jolie surprise dans le paysage des comédies françaises formatées. Il est de ces films où l'on se sent bien durant toute la projection parce que pas du tout prétentieux, bien écrit et formidablement interprété jusqu'au moindre petit rôle. Vous avez surement rêvé un jour de faire un retour en arrière tout en gardant ses acquis et sa mémoire, Noémie Lvovsky, le temps d'un film, l'a fait. Une bonne raison pour aller au cinéma cette semaine.
A noter que la BO du film contient deux nouveaux titres de Gaëtan Roussel : un très court que l'on entend dans le film et intitulé : "Le bouquet" et la chanson du générique de fin : " Au bord des océans".



mercredi 12 septembre 2012

Marcinelle 1956 de Sergio Salma

Coup de coeur BD de la rentrée


Marcinelle en Belgique n'est pas que la ville d'où ont émergé les grands dessinateurs de BD des années 50. C'était aussi, à la même époque, une des capitales du charbon avec ses terrils et ses corons. Et c'est aussi l'endroit d'une épouvantable catastrophe qui a coûté la mort à 262 mineurs qui reste gravée dans la mémoire des belges. Sergio Salma se propose avec cet album, très loin de ses productions habituelles, de rendre hommage à ces hommes qui ont péri en août 1956.
Si le drame de Marcinelle est le prétexte à cet album, il ne se résume pas à une simple illustration de ce fait divers. C'est surtout et avant tout un très émouvant hommage à tous ses mineurs d'origine italienne qui, après guerre, sont venus travailler en Belgique suite à un accord commercial entre les deux pays. A travers le personnage de Pietro, Sergio Salma fait revivre par touches subtiles, le quotidien de ces charbonniers venant d'un pays ensoleillé et s'enfonçant dans la mine au lever du soleil pour en sortir la nuit tombée. Tout y est suggéré avec finesse, la communauté italienne soudée avec ses habitudes de vie plutôt joyeuses et colorées, son catholicisme fervent, ses lois familiales et ses vespas. Mais aussi le racisme ordinaire envers ses "macaronis" toujours soupçonnés de tirer au flanc, les rêves de retour au pays ou le désir de rester dans cette sombre terre d'accueil.  Et puis, il y a la rencontre fortuite entre Pietro et Françoise, jeune et belle bourgeoise belge, un peu esseulée, qui va faire rêver le mineur italien pourtant marié et père de famille. De fil en aiguille, le début d'un amour va se glisser dans une vie de labeur et de résignation.
Semblant de bonheur et malheur se mêlent admirablement dans cet album peu bavard mais à l'intensité dramatique parfaite. Le destin de tous ces personnages est lié à une incommunicabilité terrible. L'accident qui a causé le drame de Marcinelle est le résultat d'un malentendu entre un ouvrier belge et son homologue italien dont le français était trop rudimentaire. De la rencontre de Pietro avec son vocabulaire très utilitaire et de la belle belge, naîtra également une méprise, faisant gamberger involontairement le mineur italien.
C'est beau, fort, poignant et surtout, quel dessin ! J'avoue que j'ai été un petit peu sceptique avant le lecture de l'album, mon esprit encore imprégné des précédentes production de l'auteur. Mais, ici, quel talent ! Une émotion intense se dégage des illustrations en noir et blanc des charbonneries, du travail des mineurs, de la salle des pendus. Avec un minimum texte, chaque illustration sur le drame de Marcinelle en dit plus que des pages entières de reportages. Du grand art !
"Marcinelle 1956" n'est pas uniquement réservé aux anciens mineurs et à leurs familles, c'est avant tout une magnifique histoire en hommage à tous ces hommes qui, quelquefois au péril de leur vie, ont servi les intérêts économiques d'une Europe triomphante mais guère reconnaissante. Merci Monsieur Salma pour ce coup de projecteur qui saura , je n'en doute pas, rencontrer le chemin de beaucoup de lecteurs.





mardi 11 septembre 2012

Wrong de Quentin Dupieux


Ayant raté le précédent film de Quentin Dupieux narrant les aventures d'un pneu sérial-killer ("Rubber"), c'est avec curiosité que j'ai acheté mon billet pour "Wrong". Précédé d'une aura vaguement surréaliste, je m'attendais à une expérience étonnante voire à un moment original de cinéma.
Las, ce ne sont pas les trois ou quatre scènes incongrues ou étranges qui vont faire que cette série Z se rapproche d'un quelconque manifeste surréaliste. Un palmier qui se transforme en sapin, un bureau où il pleut tout le temps à l'intérieur ou un réveil qui affiche 7h60 ne font pas du scénariste/réalisateur un successeur à Luis Bunuel. Le vide du scénario, à l'intrigue minime et poussive, tire le film plus vers le néant que vers la poésie. Ce qui est surréaliste là dedans, c'est qu'un producteur ait pu trouver de l'argent pour l'histoire d'un mec qui a perdu son chien et qui le retrouve en le croisant dans la rue. (Zut, j'ai raconté la fin de ce suspens pas du tout insoutenable). Certes, entre temps il croise une vendeuse de pizza très collante, un détective bizarre, un gourou pontifiant et un gentil jardinier, mais tout ça ne donne aucun peps au scénario.
Je ne sauverai du film qu'une chose (non, pas la prestation d'Eric Judor d'Eric et Ramzy, rigolo parce que parlant un anglais scolaire) : l'image et les cadrages de ce film. Il y a là un oeil très précis qui donne de l'éclat à chacun des plans, magnifiquement éclairés et donnant à "Wrong" une esthétique assez particulière. Hélas, cela n'a pas suffi pour éviter les bâillements et l'ennui qui m'ont gagné très vite pour ne jamais me quitter de toute la projection.


dimanche 9 septembre 2012

A nous deux, Paris ! de Benoît Duteurtre


1980. Jérôme Demortelle, quittant son Dieppe natal, s'installe à Paris et compte bien percer dans le milieu musical tout en poursuivant une licence en histoire de l'art.
Avec un titre nous rappelant le Rastignac de Balzac, Benoît Duteurtre inscrit d'emblée son nouveau roman dans un lignage déjà  bien balisé : la montée à la capitale d'une jeune personne rêvant de réussite.  Seulement, Jérôme n'a pas l'ambition d'un Rastignac, ni l'allure bien tournée d'un Bel Ami. C'est un jeune provincial bien élevé, qui, malgré une dégaine vaguement punk, garde le vernis de sa bonne éducation.
Dans ce Paris qui commence à devenir la proie des investisseurs, où les petits bars, les commerces de proximité s'effacent au profit des chaînes de vêtements et des restaurants américains, Jérôme fera des rencontres illusoires. Déjà les portes de la notoriété sont gardées par des physionomistes impitoyables, le talent et la culture laissant la place à la vitrine et au clinquant. Ce ne sont pas les vagues petites célébrités hippies sur le retour ou les jeunes rockers cocaïnés qui lui permettront de se faire une place sous le soleil des projecteurs du Tout Paris.
Roman nostalgique, "A nous deux, Paris !" se lit facilement. Benoît Duteurtre sait mener un récit, le ponctuant d'un humour léger, parfois mordant mais jamais méchant. Il glisse de nombreux détails historiques ou sociologiques sans jamais être pesant. L'évocation du Paris des années "Bains Douches" et des différents styles de musique ayant émergé ces années là, est parfaitement rendu.
Cependant, il m'a manqué quelque chose pour faire de ce roman un vrai coup de coeur. Peut-être est-il trop à l'image de son héros : un poil trop sage, un peu trop policé. Bien sûr Jérôme fume des joints, s'envoie des rails de coke, a une sexualité hésitante mais malgré tout ça, il manque un peu de folie. Même si les trois épilogues qui achèvent le livre secouent un peu le lecteur, il m'a manqué ce petit quelque chose qui fait qu'un roman ne sera pas l'aventure d'un soir (comme après une nuit aux "Bains Douches") mais un de ceux qui resteront ad vitam aeternam dans ma bibliothèque.
"A nous deux, Paris !" est un bon livre mais destiné à une génération tranquille, qui attend un moment romanesque bien écrit ronronnant intelligemment sur les genoux. Dans une rentrée romanesque très dense, c'est déjà un bon point.




samedi 8 septembre 2012

Une semaine de vacances de Christine Angot

Comment parler d'un tel livre ? Aurai-je les mots pour exprimer mon ressenti après le lecture de ce récit froid et clinique ?
Ce texte court, relatant les relations sexuelles d'une très jeune fille avec son père est-il pornographique ? Scandaleux ? Perturbant ? Vain ? Un peu de tout cela ou au-delà ? Est-il dérangeant parce que moi, lecteur homme, je me suis senti voyeur ? Ou parce que j'ai ressenti un coupable sentiment de complicité à cause des quelques petits moments d'excitation provoqués par cette accumulation de fellations, 69 et de tentatives de sodomie ?
Est-ce le témoignage cru et sans concession d'une victime ? Est-ce l'illustration glaçante de la domination physique, psychologique et perverse d'un père sur sa fille ?
En fait, est-ce un roman ? Un essai ? Une autobiographie ? Un objet de création littéraire visant à mettre des mots sur le mot "inceste" ?
Ce livre peut-il être lu sans être un fin connaisseur de l'auteur ? Faut-il avoir lu ses précédents ouvrages et notamment "L'inceste" (1999) pour en apprécier le contenu ? D'autres enjeux littéraires, médiatiques et personnels n'irriguent-ils pas également les pages de ce récit ? Est-ce-qu'un livre aussi dérangeant, voire même déplaisant, peut trouver un public en dehors d'un petit monde intello et/ou parisien ?
Mais alors, pourquoi moi, lecteur lambda, ce livre me reste -t-il autant dans la tête ? Pourquoi me poursuit-il ainsi ? Pourquoi les mots, les phrases de Christine Angot résonnent-ils autant ? Est-ce le signe d'un très bon livre ou est-ce simplement ce déversement pornographique et incestueux qui me choque ?
Le travail de tout bon écrivain n'est-il pas de secouer son lecteur sans concession ? De l'atteindre dans son être le plus intime ? De le bousculer au risque de lui déplaire ?
Et que dire de la fin d"une semaine de vacances" ? N'est-ce pas la marque d'un grand auteur ? Comment ne pas admirer cette prouesse de décrire en quelques mots simples (une fille, une gare, un sac) l'abîme qui s'ouvre devant la jeune fille et qui nous laisse désemparés ?
Peut-on encourager ses amis à lire ce livre ? Le recommander ?
L'ai-je vraiment aimé ? Peut-on aimer un livre pareil ? Est-ce du masochisme que de l'aimer ? Pervers de l'apprécier ? Choquant de penser que c'est un des livres majeurs de cette rentrée littéraire ?
Mais n'y-t-il pas une seule question à se poser ?
"Une semaine de vacances" n'est-il pas par son refus du romanesque, un livre qui viole littérairement son lecteur ?


jeudi 6 septembre 2012

Cherchez Hortense de Pascal Bonitzer

A la lecture de la presse branchée, s'il y a un film génial à voir cette semaine, c'est bien sûr "Cherchez Hortense". Pascal Bonitzer, le réalisateur mais aussi scénariste avec Agnès de Sacy, a le "ticket" depuis bien longtemps avec les Inrocks, Le Monde, Télérama et toute la bande. Ancien critique des "Cahiers du cinéma", puis scénariste pour réalisateurs ayant eux mêmes LE ticket et enfin auteur de six films dont certains de sinistre mémoire de spectateurs ( qui n'a pas bâillé aux "Petites coupures", pensum encensé lors de sa sortie par la critique et justement boudé par le public ? ).
Partout fleurissent les adjectifs et les louanges : "Meilleur film de Bonitzer" (entre nous, ce n'est pas difficile de faire mieux que les précédents...), "plus riche et plus rond", "parsemé de scènes inoubliables" (il ne faut pas exagérer, ce n'est pas parce que certains moments arrivent à être drôles que c'est forcément génial !) . Et tout le monde de gloser sur la richesse du propos, le problème des sans-papiers ââââdmirablement âââbordé, le thème de l'aveuglement si magnifiquement illustré,  les variations sur le pouvoir, les références littéraires (Rimbaud pour le titre, après un cheminement tordu trop long à expliquer ici, mais plus bas ) mais aussi psychanalytiques. N'en jetez plus la cour est pleine et à trop vouloir appâter le public, il risque d'être fort déçu à la vision de l'oeuvre. Car que voit-on à l'écran ? Une comédie un peu poussive, au scénario mal ficelé, éclairé et filmé comme un téléfilm de TF1 France 2 (plus chic) .
L'intrigue, simple, mais cousue à gros points avec de très grosses ficelles, indignes d'un film d'auteur, se situe dans la bourgeoisie bobo parisienne. Damien (Jean Pierre Bacri), prof de civilisation chinoise, cinquantenaire en route vers la dépression, doit contacter son père qui siège au conseil d'état, pour qu'il intercède dans le dossier de reconduite à la frontière d'une amie de sa belle-soeur. Toujours terrorisé par son géniteur malgré son âge déjà avancé, Damien n'arrive pas à formuler sa demande lors d'un rendez-vous obtenu de haute lutte. S'ensuivra un quiproquo et des rebondissements totalement prévisibles.
Ce qui est étrange dans ce film, c'est qu'il supporte parfaitement la vision en extraits. Chaque scène prise isolément est agréable voire réussie. Celle où Damien fait face à son père et parle de sa sexualité, la rencontre avec Hortense, le face à face avec le serveur chinois avec qui Damien vient de passer la nuit, sont formidables mais hélas, amenées très lourdement, à cause d'un scénario, qui à force de vouloir créer du sens, oublie de tresser une trame narratrice convaincante. Au bout d'un moment, ces facilités sont agaçantes voire risibles. On a du mal à croire que Damien face à un père qu'il redoute, lui parle d'emblée de sa sexualité et lui demande s'il a déjà coucher avec un homme. Et que dire du personnage incarné par Isabelle Carré que Damien rencontre où qu'il aille, comme si Paris était un village de 150 habitants ?  Tout le film est un peu comme ça, avançant à coup de facilités scénaristiques qui gâchent le plaisir de voir une pléiade de très bons comédiens jouant, par contre, leur partition habituelle. Bacri est un peu bougon et dépassé, Kristin Scott Thomas est toujours aussi belle et plisse le menton avec conviction lorsqu'elle pleurniche, Isabelle Carré est craquante et pleine d'empathie et Agathe Bonitzer (oui, la fille de ...) est toujours un peu raide.
"Cherchez Hortense" est beaucoup plus plaisant que les trois films précédents de Pascal Bonitzer,  mais  reste une comédie pas vraiment réussie, pas rasoir mais pas emballante pour deux sous, la faute à une scénario qui multiplie les références et les raccourcis faciles. Dommage, car il y a là dedans quelques moments assez réjouissants... pas assez pour recommander à mon entourage de dépenser 8 euros au cinéma.
PS : Le titre fait allusion à un poème de Rimbaud intitulé "H" dans les Illuminations qui se termine par "trouvez Hortense".  On a supposé qu'il s'agissait d'une allusion sexuelle mais plus récemment, on pense que l'explication viendrait de l'expression "Je vais voir Hortense", populaire dans les Ardennes (forcément connue du poète) et qui veut dire "Je vais aux cabinets". Merci aux Inrocks pour le renseignement.


mercredi 5 septembre 2012

Zone blanche de Jean Claude Denis


"Les atrocités ne sont parfois que la vengeance des hommes tourmentés" Louis de Bernières. C'est la phrase en épigraphe de ce nouvel album de Jean Claude Denis. Je vais mettre un peu de côté le mot "atrocités", pour me concentrer sur "hommes tourmentés" qui correspond particulièrement bien au personnage principal de cette histoire. 
Serge Guérin vit seul à Paris avec son chat. Il est électro-sensible. Les champs électro-magnétiques lui occasionnent acouphènes et migraines terribles. Double malchance, sa maladie a été utilisée par un escroc qui l'a délesté de toutes ses économies. Un soir de panne d'électricité générale, soirée de rêve pour lui, il est dans l'impossibilité de de réintégrer sa chambre de bonne, son immeuble étant pourvu d'un digicode électrique. Obligé de passer la nuit à l'hôtel, il rencontre Claire, une jeune femme avec qui il va sympathiser mais surtout passer un drôle de marché : chacun éliminera la personne qui a détruit la vie de l'autre, un jour précis, de façon à pouvoir se créer un solide alibi.
Ca ressemble à du Hitchcock mais sans la linéarité de la narration. Comme l'album débute par la mort de Serge Guérin dans une forêt, l'intrigue progresse avec un mélange de présent et de flash-backs qui donne à cet album une tonalité un peu plus psychologique que policière. Parfaitement menée, l'histoire embarque sans faillir le lecteur jusqu'au dénouement. Tout est finement mené, avec, en arrière plan une évocation assez rude de l'état de notre société actuelle. 
A partir du sujet très contemporain des zones blanches, ces endroits du territoire où ne passent ni lignes à haute tension ni réseau téléphonique, Jean Claude Denis m'a très agréablement surpris avec cet album noir et parfaitement abouti (jusqu'aux dernières cases), vraiment digne du grand prix que le festival d'Angoulême lui a décerné en 2012.



mardi 4 septembre 2012

Inséparables d'Alessandro Piperno


"Inséparables" a reçu le prix Strega 2012 qui correspond en Italie à notre Goncourt. Si le prix Goncourt était décerné tous les ans à un très bon livre, cela se saurait. En Italie, il doit, je pense,  en être de même et c'est rassurant. Ce n'est pas que  "Inséparables" soit assommant ou totalement raté mais il ressemble à bon nombre de nos prix à nous, pas vraiment original ni particulièrement passionnant...
Le livre s'ouvre sur le départ de Filipo pour Cannes où son premier long métrage, un dessin animé, a été sélectionné pour "Un certain regard". Marié à une comédienne de mauvaises sitcoms un peu hystérique, Filipo découvrira très vite les affres de la célébrité, les aventures d'une nuit comme les menaces terroristes.
Samuel, son frère cadet pour lequel la réussite est une évidence. Après de brillantes études, il jouit d'une situation très enviable dans le commerce du coton, de jolies fiancées, de belles voitures et d'un beau mariage en vue.
Inséparables durant leur enfance, très proches au moment où débute l'histoire, nous allons assister à la chute des deux frères, rattrapés par un passé peu glorieux. Miné par des problèmes sexuels et un licenciement pour l'un, déprimé par une menace de mort de la part d'un groupuscule islamiste pour l'autre, Filipo et Samuel vont peu à peu s'éloigner jusqu'à devenir comme des Abel et Caïn modernes.
Trame classique de tragédie, "Inséparables" n'en est pas forcément une pour autant. Le ton employé par l'auteur, ironique et grinçant, lui donne un côté très contemporain et évite de s'embourber dans le drame bourgeois qu'il aurait pu être. Ca se lit facilement, le traduction semble parfaite, mais les situations convenues que vivent les deux frères, héros assez antipathiques, ne m'ont pas vraiment passionnées. Et ce n'est pas la dernière partie, sorte de climax raté qui va me faire basculer dans un avis positif (surtout avec ce petit rebondissement façon polar dans les toutes dernières pages, qui, lui, tombe vraiment à plat).
Sous sa couverture colorée et réussie, se cache un roman au style élégant et au regard distancié sur deux personnages modernes mais négatifs, englués dans des problématiques de grands bourgeois qui, hélas, n'ont réveillé chez moi aucune compassion ni intérêt véritable, seulement une lecture polie et tiède. "Inséparables"  ira donc rejoindre le Goncourt 2011 dans la pile "A donner".

Merci à la librairie DECITRE et au site Entrée Livre pour m'avoir permis de lire ce livre en avant-première.



lundi 3 septembre 2012

L'esprit de mes pères de Patricio Pron



Résidant depuis huit ans en Allemagne, le narrateur de cette histoire, écrivain argentin exilé, doit retourner dans son pays au chevet de son père gravement malade. Il découvre qu'avant sa maladie, son journaliste de père s'était intéressé de très près au meurtre d'un brave type du village où il habite. De fil en aiguille, il va prendre conscience du passé militant de sa famille et de l'importance de le transmettre.
A partir de ce sujet qui, bien évidemment, évoque la dictature argentine et ses milliers de disparus, Patricio Pron choisit une narration un peu déconcertante. L'enquête sur laquelle s'est penché son père nous est rapportée avec une succession de rapports de police, bruts, avec fautes de frappe, de syntaxe et n'est pas vraiment palpitante. Le narrateur, en plus, passablement médicamenté pour dépression, fait une fixette sur les listes en tout genre qu'il place tout au long du récit. Et ce n'est que vers la fin que sont évoqués les combats de ses parents contre la dictature militaire avec sincérité mais avec aussi une profusion de détails et de sigles sur des sous groupuscules révolutionnaires un soupçon barbante.
L'auteur, joue franc jeu avec le lecteur puisqu'il écrit ceci au milieu du livre : "... Je compris aussi qu'on ne pouvait pas raconter leur histoire à la manière du genre policier, et que d'ailleurs adopter ce modèle serait trahir leurs intentions et leurs luttes, car rendre compte de leur histoire à la manière d'un récit policier reviendrait simplement à admettre l'existence d'un système de genres, c'est à dire d'une convention, et donc trahir leurs efforts, qui avaient visé à mettre en doute ces conventions, les conventions sociales et leur reflet dans la littérature."
Louable intention mais ce refus du romanesque enfonce le lecteur dans une incompréhension de plus en plus profonde, le laissant en marge de ce roman qui avait tous les ingrédients pour illustrer dignement les combats d'une génération qui a vécu dans la peur et la douleur. Etait-ce bien raisonnable de vouloir faire le novateur pour arriver au résultat inverse du postulat de départ ? Narration en berne, pas d'émotion ou si peu, personnages à peine effleurés donnent au final un texte décalé et ennuyeux.

Merci à EntréeLivre et à la librairie Decitre pour la lecture de ce roman en avant-première.
D'autres avis ICI


dimanche 2 septembre 2012

N'embrassez pas qui vous voulez de Marzena Sowa et Sandrine Revel


Poursuivant sa thématique autour de la vie dans l'ex bloc de l'Est, Marzena Sowa se défait (provisoirement ?) de Marzi consacrée à son enfance en Pologne pour nous présenter ce qui semble être sa première oeuvre de fiction. Si elle a abandonné Sylvain Savoia (provisoirement ? ) et s'est associée à la dessinatrice Sandrine Revel, elle a par contre choisi de conserver une structure de récit à hauteur d'un regard d'enfant.
Ici, aucune nostalgie ne transparaît dans le terrible récit qu'elle nous propose. Lors d'une séance de cinéma invitant toute une école à s'extasier sur un film à la gloire de Staline, Viktor, petit garçon de 9/10 ans, tente d'embrasser sa copine Agata. Cette dernière ayant crié de surprise, la projection est interrompue et le petit garçon conduit illico presto dans le bureau du directeur de son école pour un interrogatoire presque musclé et une insidieuse leçon de morale. De son côté, l'institutrice de Viktor mène une enquête serrée auprès de ses  camarades ce qui l'amènera à soupçonner des activités paternelles peu conformes à la ligne du parti.
Le récit avance, implacable, suintant la peur, le soupçon, la méfiance, l'angoisse d'être écouté, dénoncé, visité par la milice. Sa force réside dans la direction qu'il prend, s'intéressant tour à tour à la vie de tous les protagonistes de cette histoire, même les plus inquiétants, révélant ainsi, qu'au delà des apparences, se cachent des destins individuels beaucoup moins convenus.
Les illustrations, très sombres, enferment un peu plus les personnages dans cette vie sans horizon. Et si j'ai un peu moins apprécié ce passage un peu trop démonstratif d'enfants jouant une histoire inventée devant le papa écrivain, l'album se referme sur une scène très tendre qui éclaire enfin cette histoire d'une note d'espoir vraiment bienvenue.
Inquiétante et glaciale, "N'embrassez pas qui vous voulez" a le pouvoir d'attendrir autant de lecteurs que Marzi (véritable chef d'oeuvre de Marzena Sowa) et  rappeler, si nécessaire, l'horreur ordinaire des régimes totalitaires.





samedi 1 septembre 2012

Dark horse de Todd Solondz


Todd Solondz a rangé les provocations de ses précédents films pour filmer une histoire aux apparences de sitcom sous tranquillisants. Sa vision de la société américaine middle-class est toujours là, mais avec un traitement moins acerbe et un peu plus réaliste.
Rassurons les fans du réalisateur (oui, ça existe !), nous sommes toujours dans les marges comme le montre la scène d'ouverture où une caméra glisse lentement sur les invités d'un mariage, dansant avec ardeur et de façon très professionnelle, jusqu'à s'arrêter, au fond de la salle, devant une table où un couple maussade s'essaie laborieusement à la conversation. C'est Abe, trentenaire , célibataire, enrobé qui drague lourdement Miranda, jeune femme très dépressive. Il réussira à la revoir et, profitant de son état semi-comateux, lui arrachera une promesse de mariage, au grand étonnement de ses parents, couple quasi lyophilisé par une vie où les apparences comptent par dessus tout.
Toute la première partie du film est très réussie. Le personnage principal, un peu limité, suffisant, terriblement enfantin, défit l'identification du spectateur. Cet inconfort fait mieux ressortir les thèmes abordés par Solondz : l'immaturité d'une société gavée de jeux et de consommation forcenée, le poids d'une parentèle aux secrets enfouis sous le divan d'un psy (mère encore une fois incestueuse ?).
Puis, dans le deuxième partie, le film bascule vers le noir et une descente inexorable du héros. En ajoutant des scènes de rêves pas tout à fait convaincantes et surtout sans réel balisage, le spectateur se perd pied et décroche un peu.
Film assez dépressif dans le rythme comme dans le propos, "Dark horse" reste pour moi le portrait à moitié réussi d'une Amérique confite de consommation et de renoncements.