lundi 31 octobre 2022

La conspiration du Caire de Tarik Saleh


La récompense du prix du scénario pour cette "La conspiration du Caire"au dernier festival de Cannes laisse un peu perplexe, tant celui-ci part dans tous le sens en usant de grosses ficelles ce qui lui permet d'éviter de traiter réellement quelques sujets qui peuvent fâcher. 
Ceci dit, c'est avant tout un thriller politico/religieux monté de façon à ce que le spectateur reste en état d'éveil trépidant durant deux heures. Sur ce plan là, c'est partiellement réussi car, même si on ne saisit pas tous les tenants et les aboutissants de cette histoire de remplacement de chef religieux, le récit file à cent à l'heure et l'on craint pour le héros même si nous arborons comme lui un front plissé, lui parce que dans de sales draps, nous parce qu'on le trouve bien pâlichon et peu capable d'assumer ce qui lui arrive. Pourtant, avec sa mine basse, il semble comprendre avec deux temps d'avance ce que nous avons du mal à piger comme quoi, il ne faut pas se fier à la mine du jeune comédien que Tarik Saleh force à jouer de son côté humble (  du coup on trouve ce scénario de moins en moins crédible au fur et mesure que l'on saute d'une prière à un assassinat, d'un complot à un interrogatoire). 
Par contre on voit bien pourquoi ce film est revenu de Cannes avec un prix, le jury a voulu saluer un réalisateur en exil, continuant sur le mode thriller à parler de son pays ( l'Egypte), osant montrer les turpitudes des religieux ( même si le film n'a aucune chance d'être projeter en terre islamique). On saluera cependant une très belle mise en scène parfois très spectaculaire mais on regrettera que le polar occulte un peu trop le parcours initiatique de son jeune héros et de ses désillusions sur la nature humaine ( et les religieux) qui devraient l'amener à s'interroger sur le sens de ces dogmes portés à l'extrême.






 

vendredi 28 octobre 2022

Hollywoodland t1 d'Eric Maltaite et Zidrou


Hollywood sera centenaire en 2023. Je parle des fameuses lettres géantes qui surplombent le quartier, les studios de cinéma s'étaient installés bien avant. Pour cette occasion et parce que Zidrou le scénariste est ( entre autre) passionné de cinéma, avec son compère Eric Maltaite, ils ont décidé de leur rendre un hommage particulier avec cette série en 2 tomes ( le prochain paraîtra en juin 2023). 
L'album se découpe en 9 courtes histoires de 5 planches  qui ne sont pas des anecdotes mille fois racontées, mais une évocation de cet univers via les petites mains du secteur ( starlettes, scénaristes, costumières, dresseurs d'animaux, ...) mises en scène dans des récits tragico/comiques. On retrouve tout l'humour, la verve mais aussi la sensibilité de Zidrou qui jette un regard sans concession en montrant les coulisses de cette usine à rêves qui n'était, sous les paillettes ou derrière les projecteurs qu'un hangar à cauchemars. On admire la virtuosité du scénariste, surtout que chaque histoire se trouver en lien avec les autres par certains personnages déjà croisés qui réapparaissent au détour d'une rue, d'une avant première. Le dessin d'Eric Maltaite, magnifiquement expressif ( sublimé dans une édition en noir et blanc à tirage limité chez CanalBD) prend un évident plaisir à mettre en scène cet univers où l'on notera qu'en plus de croquer des personnages formidablement vivants, il se régale à dessiner les somptueuses et imposantes voitures américaines des années 40 (?) ...50 (?) ( avis aux amateurs). 
A la fois nostalgique et drôle, cet album est un bel hommage à tous les soutiers d'une industrie qui fait de moins en moins  rêver... 







 

jeudi 27 octobre 2022

Par-delà l'androcène d'Adélaïde Bon, Sandrine Roudaut, Sandrine Rousseau


"Plus question de jouir aujourd'hui aux dépens d'autrui." Voilà une des règles cardinales qui figurent dans ce court essai, net et stimulant. Et c'est loin d'être la seule car, sur 60 pages, c'est un petit précis de ce que pourrait être le monde dans quelques années si on se débarrasse de l'androcène, plus clairement le pouvoir des hommes, des mâles dominants, capitalistes, exploiteurs et leurs corollaires violents, violeurs, injustes. 
Oh un essai radical me direz-vous. Oui et heureusement, car sinon on n'arrivera pas à s'en sortir. Les trois autrices ne mettent pourtant pas le couteau sous la gorge, elles se contentent de décrire notre monde capitaliste telle qu'il est, injuste, raciste, sans considération pour la nature, faisant acheter ce que d'autres produisent ( "de la mine à la poubelle"), se gargarisant ( les hommes de pouvoir et leurs médias affiliés, pas les autrices)  de mots creux qui deviennent des outils de discipline collective ( "croissance", "PIB", "pouvoir d'achat"). 
Mais elles ne se contentent pas que de recenser tout ce qui pourrit la vie de milliards d'êtres sur terre, elles pointent aussi comment les puissants, avec cynisme, continuent encore plus de conduire notre planète à sa perte, jouant sur les populismes, le passéisme ( comme si on pouvait se réjouir du passé colonialiste, guerrier, ...) pour garder leurs prérogatives.  Bien sûr,  elles proposent des pistes, des idées pour que le futur deviennent peut être meilleur et se résume en trois  mots clefs : "déconstruire", " se réconcilier" et " radicalité". 
Alors je vois venir les remarques ( surtout des hommes et de quelques femmes ) "déconstruire" !!!! Sachez juste qu'ici ce terme ne s'attache pas qu'à la réflexion que tout être humain devrait avoir sur la construction sociale et politique qu'est le genre, mais aussi sur un autre pan de nos sociétés : le travail que les autrices appellent à repenser, à réduire, nous libérer de son aliénation ( qui n'est au final qu'une utilisation capitaliste de nos corps ). 
Plus doux sans doute est le terme "se réconcilier", essayer de passer de "violence partout, justice nulle part" à  marcher avec les autres tout en retrouvant le contact avec la nature. Avec les guerres en Somalie ou en Ukraine ou tous ces débats manipulés et extrêmes qui hantent toutes les démocraties, pas certain toutefois que ce terme ne relève pas de l'utopie, mais qui ne propose, tente rien, n'obtient rien. Et qui sait si à force de climat de plus en plus terrible et de dirigeants de moins en moins humains, la raison ne finira pas par l'emporter ( éternel rêveur...).
Quant à la radicalité, il ne faut plus avoir honte "de désigner nos peurs pour ne plus les subir", c'est être lucide. "La radicalité ne s'oppose pas à la sagesse ; elle s'oppose aux conservatismes" . Ce n'est pas en faisant l'autruche que le monde changera. Alors oui, être radical, c'est aujourd'hui essayer enfin de faire bouger les choses. 
Quand on voit comment et combien  une des autrices de cet essai est attaquée, vilipendée, par une cohorte de vieux crétins ( de vielles crétines aussi) très passéistes, arc boutés sur de vieilles idées rances et mortifères, force est de reconnaître que la partie n'est pas gagnée.
Alors, quitte à faire grincer des dents, je continue, comme Annie Ernaux, à soutenir Sandrine Rousseau dans son combat et sa formulation simple et donc radicale. 
Adélaïde Bon, Sandrine Roudaut et Sandrine Rousseau concluent leur essai avec ces mots : " Nous voulons de l'écologie, du social, de la dignité et de l'égalité, nous voulons diminuer, ralentir, réfléchir, aimer ! Nous accomplir.... Affranchissons-nous des autorités, de nos peurs et de nos croyances d'hier... Prenons le pouvoir, mobilisons-nous, faisons politique, pour construire par-delà. Prenons-le puisque'on ne nous le donnera pas.." Bravo !



 

mardi 25 octobre 2022

Méduse de Sophie Levy



Pas de soucis pour les phobiques de ces animaux qui ondulent au bord des plages, aucune méduse dans ce film, aucune plage non plus ou alors de manière symbolique ( selon la mythologie être malfaisant au regard qui tue ). Par contre ceux qui sont claustrophobes risquent de souffrir un peu car le premier film de Sophie Lévy est un huis-clos entre deux soeurs dans une grande maison au modernisme vintage ( quelques hommes viendront égayer leur face à face). 
Vous l'aurez compris la relation n'est pas simple entre une aînée agente immobilière et sa cadette handicapée moteur et muette, obligée de rester seule toute la journée. Une certaine toxicité plane entre elles deux. Nous voguons au gré de leurs colères, engueulades, perfidies, jalousies, agacements. Ce n'est guère original, mais se laisse regarder car les hésitations du récit entre analyse psychologique et petit suspens intriguent mais hélas finissent quelque peu par lasser quand on comprend que ce sont les concepts freudiens qui primeront. 
Ce film a fait le tour des festivals, a remporté beaucoup de prix ( la concurrence ne devait pas être à la hauteur) mais risque de passer inaperçu sur les écrans cette semaine. Pourtant, il existe une très bonne raison d'aller y jeter un oeil : un des deux actrices principales, Anamaria  Vartolomei qui confirme dans un rôle ingrat sur le papier car muet, une sacrée présence et un sacré talent ( après "L'événement  d'Audrey Diwan). Sinon, petite information people, dans la catégorie "fils de", vous pouvez ajouter Léo Dussollier, oui le fils d'André, qui depuis 2/3 ans commence à faire des apparitions au cinéma ( ici, dans le rôle du gentil médecin). 
Voilà, "Méduse" est un premier film pas désagréable, avec une jolie image que je qualifierai de fanée, que l'on peut voir si l'on goûte aux affrontements familiaux et aux duels fratricides. 






 

lundi 24 octobre 2022

13 ème festival international du film de La Roche sur Yon


Dans un festival, un spectateur court de film en film mais se trouve dans l'obligation de piocher dans l'importante programmation que des organisateurs passionnés ont concocté. Il peut s'amuser à essayer de voir les films en compétition ( A La Roche-sur-Yon au nombre de deux compétitions, Internationale et Nouvelle Vague, soit 20 films) ou alors, au gré de ses envies, ici un classique, là une avant-première. Cette année, au très sympathique et éclectique 13ème festival international du film de LRSY( La Roche-sur-Yon), je suis allé au gré de mes envies. A ce petit jeu comme la sélection va du film grand public ( "Tempête", épouvantable mélo qui a fait l'ouverture) à des propositions beaucoup plus pointues voire hermétiques ( l'austro/argentin "A Little Love Package" de Gaston Solnicki où comment avec une héroïne sinistre visitant des appartements à Vienne et avec des plans de parquets qui grincent, de gens qui fument ou s'ennuient dans des cafés ont fait partir avant la fin les 2/3 des spectateurs présents), la chance de tomber sur des oeuvres qui nous enchantent reste aléatoire. 
Si certains films, c'est aussi ce que l'on aime dans un festival, défient le temps voire la patience du spectateur avec une radicalité pas toujours facile à comprendre ou à apprécier ( "Où est cette rue ? Ou sans avant ni après" du duo Joao Rodriguez:Rui Guerra de Mata poème visuel dans un Lisbonne des faubourgs vide où s'était tourné en 1963 "Les vertes années" de Paulo Rocha ou le très, trop, vraiment trop délicat  " Blood" de Bradley Rust Gray ( et qui, à cause de son titre, a ennuyé un trio de jeunes pensant que c'était un film d'horreur alors qu'à l'écran, avaler un bol de riz équivalait à une course poursuite automobile dans un film lambda). d'autres films provoquent un sacré enthousiasme. Je pense notamment au magnifique deuxième film de l'Islandais Gudmundur Arnar Gudmundsson "Beautiful beings" ( en course pour les oscars du meilleur film étranger, une sacrée concurrence pour le, un poil décevant, "Saint Omer" d'Alice Diop choisi pour représenter la France) ou du très maîtrisé "One for the Road" du thaïlandais Baz Poonpiriya dont on sent toutefois une inspiration à la Wong Kar-Waï ( d'ailleurs à la production). Plus classique mais qui a fait forte impression dans la salle, le premier film de la scénariste de "Carol"  de Todd Haynes ( dont on sent l'inspiration) Phyllis Nagy intitulé "Call Jane" et qui, sujet brûlant au USA, narre l'histoire ( inspirée d'une réalité ) d'un groupe de femmes pratiquant des avortements clandestins dans les années 68/73. On peut également citer "Cheese" de Damian Marcano, pimpante, drôle  et tonique histoire de trafic venu de Trinité et Tobago ( coproduit avec les USA).
Hormis ces coups de coeur,  beaucoup de films intéressants étaient proposés à notre curiosité , souvent trop longs, auxquels on aurait pu enlever au moins 20 mn :  "Blood" (déjà cité) mais aussi le silencieux et original "La Montagne" de Thomas Salvador ou le très tintinesque "Le parfum vert" de Nicolas Pariser qui pâtit d'une deuxième partie sans rythme. 
 Un festival, c'est aussi un excellent endroit pour (re)découvrir des classiques sur grand écran et cet ainsi qu'à été concocté un rapide mais très intéressant hommage à Jean Luc Godard nous permettant de (re)voir son premier film "A bout de souffle" et son dernier ( inédit en salle) " Le livre d'image".  Cela a permis de confirmer que sur la forme JLG était et est resté un précurseur ( quitte à désorienter voire ennuyer ), que dès son premier film on le découvrait sentencieux ( ce qu'il a conservé jusqu'au bout) mais également extrêmement macho ( avec notre regard d'aujourd'hui, Jean Seberg est certes d'une beauté fracassante à l'écran mais, la pauvre, est considérée autant comme un objet qu'une bonniche). 
Le festival international du film de La Roche-sur-Yon, c'est ça mais aussi beaucoup beaucoup d'autres choses ( des rencontres avec réalisateurs et comédiens, des expos, des concerts et du cinéma du monde entier), un festival varié, très sympathique et animé par une équipe jeune, dynamique et passionnée. On peut dire qu'à eux seuls ils ont réussi à ramener le public dans les salles de la ville ( 28000 spectateurs sur la semaine, comme avant COVID). C'est rassurant et bon signe ! Pourvu que ça dure ! 
PS : Le palmarès a été annoncé.  L'islandais "Beautiful Beings" a très justement remporté le Grand Prix. Ce même jury a attribué un prix spécial au film Australo/Anglo/Serbe "You won't be alone" de Goran Stolevski méditation féministe, fantastique et paraît-il philosophique qui a quand même révulsé pas mal de spectateurs ( et qui m'a peu passionné). Les prix "Nouvelle Vague" sont allés à un court-métrage Français d'Isabelle Prim " Je serai quand même bientôt tout à fait mort enfin" et au long "Rojek" film canadien de Zaynê Akyol ( pas vus). Le prix du public a été attribué au film américano/argentin "Argentina 1965" de Santiago Mitre ( pas vu ) visible depuis 3 jours Amazon Prime, signe que contrairement à Cannes le festival de LRSY accepte, comme Venise, de projeter des films venant de plateformes. 



vendredi 21 octobre 2022

Vivre vite de Brigitte Giraud


Je n'avais aucune envie de lire le dernier texte de Brigitte Giraud. C'est idiot car habituellement j'aime beaucoup ce qu'elle écrit mais là... est-ce un trop plein de promo dans les médias que j'écoute ou je lis ? Le sujet encore une fois nombriliste ?  Tirant sur le pathos ? Un récit très, trop personnel qui encore va ressembler à une psychanalyse sur papier? Je décidais de passer mon tour... Mais, sont-ce les conseils d'amis, l'apparition du titre sur quelques listes de prix, le remord ? J'ai plongé ... et je n'ai pas regretté. Il faut toujours faire confiance aux bonnes autrices !
Plus de 20 ans après la mort accidentelle de son époux, Brigitte Giraud,  questionne le passé en relatant les  jours, les heures, les minutes, les secondes qui ont précédé sa disparition. Pendant ces deux décennies, beaucoup de pensées ont tourné dans sa tête et c'est avec le fruit de ses recherches, de ses suppositions, de ses interrogations, toutes portées par le manque, le deuil, qu'elle relate ce passé plus que douloureux. 
Bonjour tristesse vous dites-vous.... Pas du tout ! Enfin, pas vraiment, car en plus de redonner une présence au disparu, c'est toute une époque qu'elle fait revivre, l'année 1999 pour être précis, une époque où internet et le portable balbutiaient et où, pour elle, "Le bonheur, c'était le peu, c'était le rare.". Elle revient sur les actions de leur vie de l'époque, grandes ( et si je n'avais pas insisté à acheté la maison de Mme Mercier ?), petites ( et s'il avait écouté Don't Panic de Coldplay ?), simples ( et s'il avait plu?) voire farfelues ( et s'il n'avait pas oublié les 300 francs dans le distributeur de billets? ). Chaque supposition ( au nombre de 23) qui aurait pu peut être changer le cours des choses, donne droit à un chapitre, les premiers personnels mais infiniment sociologiques ( un vrai regard sur la naissance des bobos) pour arriver dans un lent crescendo aux derniers, évidemment bien plus émouvants. 
Ce qui est remarquable dans ce récit, c'est son infinie justesse, sans fard aucun, sans afféterie mais surtout la subtile distance qu'instaure Brigitte Giraud avec son deuil et avec son lecteur, tout près de l'émotion,  avec la pudeur de ceux qui savent que le partage entre humains est essentiel mais que personne ne peut s'approprier sa douleur. 


 

jeudi 20 octobre 2022

Débarquer de Hugo Boris



Pour un romancier, alors que tant de choses ont déjà été écrites, trouver un sujet et arriver à être original relève du talent ( oui, je sais, ça ne concerne pas touts ceux qui publient en ce moment, mais sont-ils romanciers ou simplement de plus ou moins bons faiseurs? ). Prenez le dernier roman d'Hugo Boris qui met en scène un soldat américain pris en plein débarquement en juin 44 et revenant des décennies plus tard sur les plages normandes, on se dit que c'est classique et pas emballant d'originalité. Si en parallèle vous y ajoutez une mère de famille seule avec ses deux enfants en bas âge qui officie comme guide touristique sur ces mêmes plages, vous imaginez tout de suite les liens qui peuvent se créer entre ces deux personnages, l'émotion que l'on peut en tirer, le romanesque fouetté par le vent normand qui balaie le sable où sont enfouis une tonne de souvenirs.  Sauf que...vous n'êtes pas Hugo Boris. Si de l'émotion il y aura, elle n'arrivera pas de la façon la plus attendue. Quant à la  rencontre de ces deux personnages, elle ne prendra pas non plus  la forme que l'on pense. 
"Débarquer" nous surprend constamment. Le premier chapitre, véritable morceau de bravoure, nous plonge d'emblée dans une revisite du soldat Ryan, en plus précis, plus organique, plus intime. On n'a pas le temps de reprendre notre souffle que nous sommes projetés plus de 70 ans plus tard dans le sillage d'une mère de famille dépassée par les événements de la vie. C'est un autre tourbillon qui nous attend dans un automne où l'on ressent déjà le froid des bourrasques normandes avec cette femme sous tranquillisants. Elle court, elle délaisse sa maison, ses enfants aussi, multiplie les galères dans une journée qui lui fera rencontrer un vétéran américain. Avant le face à face de ces deux là, le romancier appuie ( peut être un poil trop par  moment) le portrait psychologique de son héroïne qui se débat avec un passé récent tragique. La rencontre surprendra, étonnera, énervera le lecteur, car ne se déroulera pas du tout comme on pouvait s'y attendre. Mais, grâce en partie à tous ces contre-pieds, un final franchement émotionnel,  pas mal cinématographique ( un poil trop bref peut être) nous saisira et nous montre qu'au-delà du temps, des espaces, certaines histoires tissent des liens inespérés qui peuvent soulager les peines ( c'est classique mais ça fonctionne toujours).
Un joli roman, bien écrit, qui ne déparera pas dans la belle bibliographie de son auteur. 


 

mardi 18 octobre 2022

E O de Jerzy Skolimowski


C'est l'histoire d'un âne ballotté au gré d'adultes qu'il rencontre. C'est le film d'un grand réalisateur de 84 ans. C'est un plaidoyer pour le monde animal et contre la souffrance que lui inflige les hommes. C'est aussi un portrait sans concession sur notre monde qui va mal. C'est aussi et surtout un film expérimental. 
Tout cela mit bout à bout, fait hurler au chef d'oeuvre car un vieux réalisateur qui propose un film novateur dans sa narration et son visuel, avouez que ça a de la gueule. 
Sauf qu'à bien y regarder, on peut quand même y trouver des défauts. Prenons le côté expérimental avec filtres colorés et drones rasant, survolant, tournicotant, ça fait son effet au début mais ça finit au bout d'un moment par être répétitif ( oui on a compris, l'écran en rouge, c'est la peur, ça tourbillonne , c'est l'âne qui pense). Mais si vous rajoutez à tout ça une musique assez grandiloquente qui surjoue ces effets, nous sommes très loin du kitsch Disney avec ses films animaliers anthropomorphiques mais c'est un autre kitsch qui surgit, celui d'un épate gogo contemporain tout aussi bourratif. Le scénario ne brille pas par son originalité et les passages d'un propriétaire à l'autre ( avec quelques évasions) recourent à de grosses ficelles que les belles images ( un peu à la Malick si on est de bonne humeur, un peu aussi à la Godard dernière période) n'arrivent pas à occulter. Les cinéphiles vont pouvoir y trouver d'autres références avec en tête évidemment Robert Bresson et son Balthazar mais des passionnés peuvent en dénicher d'autres ( Les cahiers du Cinéma évoquent même Scream) mais ni l'âne Trotro, ni la comtesse de Ségur , ni Francis Jammes ( quoique...) ne semblent cités. 
Ce film expérimental mais, assurément très original dans la production actuelle, prend la défense des  animaux ( difficilement critiquable)  et démontre que tous les hommes sont mauvais ( pourquoi pas )  ...même Isabelle Huppert ! Mais que vient faire notre Isabelle nationale dans cette histoire d'âne ?!?! Figurez-vous que vers la fin du film elle surgit à l'écran dans une scène hallucinante. Exit l'âne qui broute paisiblement dans le pré et vive cette belle mère amoureuse de son beau fils prêtre ! On n'en croit pas nos yeux, ni nos oreilles tant cette scène atteint des sommets de rococo avec en plus une actrice qui joue comme une savate. Le charme, s'il y en avait, un est rompu... Puis on retrouve l'âne qui encore une fois préfère fuir.... On pourrait faire de même...
Pour Jerzy Skolimowski, rien ne vaut la compagnie des animaux et en voyant son film on ne peut pas le contredire. Cependant, regarder mes chats vivre est plus reposant pour les yeux et les oreilles que de regarder son "E O" malgré les références et les messages appuyés. Par contre, pour la geste moderniste et la scène avec Huppert ( parce qu'elle a des chances de devenir cultissime), on peut visionner cette défense du monde animal. 
PS : L'affiche est vraiment magnifique ! 




 

lundi 17 octobre 2022

Les sept divinités du bonheur de Keigo Higashino


Puisque nous faisons attention à notre empreinte carbone, voyageons en livre. Direction le Japon, certes réputé pour ses mangas mais pas que. Il existe au pays du soleil une star du polar qu'Actes Sud publie depuis une dizaine d'années : Keigo Higashino. Ses romans connaissent un succès énorme dans toute l'Asie et sont tous pour la plupart adaptés à la télévision ou au cinéma. En France, le succès va grandissant et, si vous n'avez parcouru aucun roman de Mr Higashino, celui-ci devrait vous ouvrir les portes de son univers romanesque. 
Tout d'abord rangez vos idées de narration à la manga, vos images de samouraï, de Yakuza ( pas dans celui-ci), nous sommes très loin des thrillers violents avec serial-killer à la cruauté en bandoulière. On pourrait qualifier Keigo Hiagashino de Simenon du Japon ou de Malet Léo de Tokyo. Ici pas de rebondissements à chaque chapitre ni de final à haute tension, juste une narration qui prend le temps, qui nous balade très agréablement dans des quartiers de Tokyo avec un duo de policiers qui réfléchit et dont on suit pas à pas les raisonnements et les doutes. 
Pas à pas, ne signifie pas que l'on s'ennuie... loin de là. L'auteur pose l'histoire : Un homme est retrouvé poignardé sur un pont décoré d'animaux fantastiques ailés. Qui a fait le coup ? Est-ce cet homme qui en s'enfuyant lors d'un contrôle de police s'est fait renversé par un camion et se retrouve dans le coma ? Nous suivrons deux policiers qui cherchent vraiment la vérité avec toujours dans la tête que celle-ci n'est jamais la plus évidente qui se présente. L'écrivain nous plonge dans Tokyo moins clinquant que dans les clips touristiques, avec une population précarisée par un chômage ambiant et son corollaire, les entreprises cherchant le profit à tout prix. L'enquête, jamais dans la violence, cérébrale à souhait, avancera vers un dénouement imprévisible pour un lecteur qui tourne les pages avec plaisir car est glissé dans chaque chapitre un nouvel élément intrigant. 
"Les sept divinités du bonheur" , en plus de vous faire voyager pour pas cher, saura vous offrir un bon moment de lecture, au chaud sous un plaid ( ou en col roulé puisque c'est la mode !) sans vous faire frémir. Un bonheur de polar !  


 

vendredi 14 octobre 2022

Libération, nos années folles 1980-1996 de Marie Colmant, Gérard Lefort et Pochep



Ce roman graphique,  pour qui lit depuis des décennies ce journal et qui plus est a dévoré les chroniques de Marie Colmant et Gérard Lefort, possède un parfum de madeleine évident. Reviennent donc les souvenirs des années 80 avec le fantastique supplément de l'époque ( un peu évoqué dans cet album) "Sandwich" avec ses dizaines de pages de petites annonces de rencontres sexuelles de tout genre à faire passer les Tinder et Grindr d'aujourd'hui pour de petites rosières bien timides et guère inventives. 
Si j'évoque cet encart du samedi, c'est que les auteurs ont débuté à cette époque et ont incarné par leurs papiers drôles et piquants le parfait contrepoint journalistique cet esprit libre et frondeur. 
Quarante après, restent les souvenirs. Un peu de nostalgie parcourt le récit, teinté d'humour bien sûr mais  contant l'histoire des plus belles années de ce journal de gauche. Et comme nos deux larrons auteurs travaillaient au service culture ( cinéma et mode) on a droit à quelques anecdotes autour de stars mortes ( ça évite les remarques ou les procès) comme Belmondo, Montand,... mais font pudiquement grâce de pas mal de leurs éclats critiques qui firent hurler le monde du cinéma et de la mode. 
Ceux qui n'ont pas connu cette époque ne seront nullement largués ou ne feront pas la fine bouche, car, c'est un peu "les belles histoires de tata Marie et tonton Gérard" qui nous sont contées en courts chapitres thématiques, émaillés de portraits hommages des figures emblématiques du journal.  Les seize années évoquées ici, retracent avec bonheur toute une époque d'une bulle, certes parisienne, fort libérée et inventive, mais qui fit face aussi à l'épidémie du SIDA qui, ici, et peut être plus qu'ailleurs, faucha pas mal de membres de l'équipe. 
Cependant, grâce à l'humour des deux confrères et au dessin franchement réussi de Prochep ( Ah... Marguerite Duras !!!), le sourire et le rire l'emportent largement sur la tristesse. Anciens lecteurs ou pas, jeunes ou plus matures, cinéphiles ou pas, cette BD hommage est un pur régal. 



 

jeudi 13 octobre 2022

L'innocent de Louis Garrel


En ces temps tourmentés pour le cinéma en France, voici un film qui pourrait réconcilier, public, critiques et exploitants, tant "L'innocent" possède quelques qualités propres à mettre tout le monde d'accord. La critique aime le film ( mais hélas comme beaucoup d'autres bien quelconques qui laissent des traces dans un public qui commence à en avoir marre de se cogner des navets ), Louis Garrel en beau ténébreux  des écrans possède un certain capital de sympathie sans pour autant voir courir les foules dans les salles, le public trouvera le film près de chez lui car les exploitants ont bien misé sur lui et comme c'est une comédie romantique policière, trois genres pour le prix d'un, s'il ne cartonne pas, y'a péril en la demeure !
En effet "L'innocent", sans être un pur chef d'oeuvre, se place sans conteste dans les petits films joliment réussis. L'intrigue démarre classiquement, sur un registre comédie dramatique heureusement éclairé par une Anouk Grinberg lumineuse et pétillante. Puis, nous virons un peu sur le côté film noir classique de voyous faisant un dernier casse tout en gardant un ton de comédie surtout qu'apparaît Noémie Merlant dans un registre comique où l'on avait ( déjà) oublié qu'elle excelle aussi ( souvenez-vous de son rôle dans "Le retour du héros" de Laurent Tirard). 
Si le film séduit autant, c'est sans doute que, pour une fois, le scénario ne faiblit pas dans sa deuxième partie, je dirai même qu'il va crescendo jusqu'à la fin. On sent que la présence d'un auteur de talent comme Tanguy Viel à l'écriture doit y être pour beaucoup. On ne dira jamais assez que la quinzaine de minutes du casse dans la station service est un pur bonheur pour le spectateur, un alliage formidable de suspens, de comique et d'émotions grâce à l'abattage inouï de Noémie Merlant ( Un César ! Un césar! ) mais aussi au sens de la mise en scène du réalisateur. 
On passe donc un agréable moment avec le quatrième film de Louis Garrel, qui en s'essayant au registre de la comédie ( et aidé par deux formidables comédiennes) nous offre un joli petit moment de cinéma que l'on aurait tort de bouder. 



 

mardi 11 octobre 2022

Un beau matin de Mia Hansen-Love




Tout est dans le titre ( et même l'affiche). C'est simple, joli, doux... Ca ne s'intitule pas " Une journée exceptionnelle" ou "Une matinée d'enfer". Le cinéma de Mia Hansen-Love ne prend pas la tête même quand il s'agit comme ici de parler  du placement en EPHAD d'un père qui perd la boule. Elle filme joli, trop sans doute...  On se demande bien où elle veut en venir et tout finit par  aboutir à un cinéma tiédasse qui permet aux quelques spectateurs présents de piquer du nez dans le siège trop confortable.
Comme d'habitude, on sent le côté autobiographique de tout ça. On est heureux pour la réalisatrice qu'elle trouve des producteurs pour lui filer des sous lui permettant de filmer sa vie à peine réinventée par un scénario très quelconque. Dès la première scène, on sent que ça ne tient guère debout. Bien sûr, elle veut en un plan poser le problème du parent de plus en plus dépendant. Cinématographiquement c'est joli ce dialogue, cette patience de la fille pour expliquer à son père où est la porte et comment il va faire pour l'ouvrir. Mais ça dure un peu trop et l'on se dit très vite que si on avait été à sa place, il y a longtemps qu'en tant qu'enfant on aurait la clé de ce foutu appartement ! Tout le film se déroule avec ce sentiment de fausseté, de mise en image ratée d'un vécu. Vouloir recréer un réel somme toute très banal,  donner le sentiment du juste, c'est difficile surtout quand cette réécriture s'accompagne de dialogues d'une platitude navrante et que l'on cherche un quelconque point de vue un tant soit peu intéressant. 
Pour ne pas trop plomber le film, la mise en résidence senior du patriarche est largement squeezée par une histoire d'amour entre la fille et un ami perdu de vue qui réapparaît pour mettre du baume au coeur de l'héroïne. Pour le côté intello, on n'a pas besoin de nous faire un dessin, l'amour, la mort, éros/thanatos, on connaît... Là, pas de surprise non plus, une énième version de l'amant marié qui ne veut pas quitter sa femme... Rien de nouveau sous la couette... on s'aime, on se boude un peu, on pleure... On rouvre l'oeil car les acteurs sont un peu dénudés mais ça ne va pas plus loin. Il y a toutefois, pour donner du punch à l'ensemble,  une tentative de drôlerie avec le personnage de Nicole Garcia qui, sans grande conviction, débite des pseudos méchancetés d'un autre âge. Là aussi, on soupire. La seule performance du film est celle de Léa Seydoux qui troque ses tenues Louis Vuitton pour du Monoprix. Mais cela suffit-il pour donner envie de voir le film ? 






lundi 10 octobre 2022

Nous irons mieux demain de Tatiana de Rosnay


Je referme le dernier roman de Tatiana de Rosnay et je me mets à rêver.... 

Quelques mois plus tôt dans les locaux des éditions Robert Laffont :

DIRECTEUR LITTERAIRE: Ca y est patron, le prochain Tatiana sera 
uniquement aux couleurs Robert Laffont ! Nous attendons son manuscrit sous peu...
PATRON : Là, il nous faut un gros coup, il faut qu'elle explose les tirages ! Je lui fais confiance, je sens qu'elle va donner le meilleur d'elle-même. Virginie Grimaldi et Mélissa Da Costa vont pouvoir aller prendre quelques cours d'écriture si elles veulent rivaliser ! 

Quelques semaines plus tard :

PATRON : Dis-moi Aymeric, c'est quoi ce titre du prochain Tatiana !?! Tu n'as pas pu lui faire changer ? 
DIRECTEUR LITTERAIRE ( embêté) : Pour le moment non, elle tient absolument à le garder car elle souhaite, avec le changement d'éditeur, évoluer vers un genre un peu plus littéraire ...
PATRON : Elle rêve ou quoi !!!  Elle croit qu'avec " L'infinie abstraction du passé " les lecteurs vont la suivre ? Je veux du feel good, une héroïne dans laquelle les lectrices vont s'identifier dès la première ligne, des problèmes mais qui se résolvent, enfin, tu sais non... Tu l'as lu son truc ? Ca parle de quoi ? 
DIRECTEUR LITTERAIRE ( encore plus embêté): C'est l'histoire d'une célibataire cinquantenaire, tellement  passionnée d'Emile Zola qu'elle habite dans l'ancien appartement de la maîtresse de l'écrivain. Persuadée que l'histoire des murs qui l'entourent ont une influence sur sa vie, elle mène une double vie avec deux foyers, l'un avec un homme et l'autre avec une femme ...
PATRON ( s'étranglant) : Mais elle est tombée sur la tête ! Un couple lesbien ... On peut être moderne mais tu crois que la lectrice de Lamotte Beuvron va s'identifier à une vieille gouine ?!!! Et puis, Zola, quelle idée de le déterrer ! J'espère qu'elle ne nous inflige pas une bio complète du vieil Emile...
DIRECTEUR LITTERAIRE ( dans un murmure) : Si ...quand même... 
PATRON ( évidemment énervé) : Mais elles s'en foutent les lectrices de Zola ! Elle veulent du quotidien magnifié les lectrices, de la romance moderne avec des problèmes qui trouvent de jolies solutions ! Tu crois que Virginie de Mayenne, avec son travail en usine et des mômes qui foutent rien au collège, elle va s'intéresser à une goudou avec deux foyers et qui en plus bave devant un écrivain que plus personne ne lit ?! Tu invites Tatiana à bouffer, tu lui expliques gentiment qu'on ne fait pas de best-seller avec de l'intelligence mais avec de bonnes histoires et des bons sentiments ! Elle le sait pourtant! Si elle veut un Goncourt, ce n'est pas chez nous qu'il fallait qu'elle aille ! 

 Encore quelques semaines plus tard : 
DIRECTEUR LITTERAIRE (inquiet) : T'en penses quoi du nouveau synopsis Paul-Bernard ? 
PATRON : Ouais, c'est mieux !  Elle a liquidé la brouteuse de minou, pour une unijambiste chaude comme la braise, c'est bien, elle a compris qu'un peu de sexe ça fait rêver la lectrice qui s'ennuie auprès de son Hervé qui n'a d'yeux que pour sa 8.6. et le PSG. Pas mal l'idée de l'autre héroïne un peu en chair qui ne s'aime pas mais que les mecs kiffent, totale identification garantie ! Très bien aussi l'histoire du secret de famille, ça fonctionne à tous les coups ! Par contre, les pages sur Zola, j'en veux pas ! On s'en tape du Mimile! 
DIRECTEUR LITTERAIRE: Heu, Paul-Bernard, juste une remarque... C'est une bonne idée  Zola, ça va donner  une image un peu plus profonde au livre, une caution intello... un plus par rapport à Valognes ou Colombani. 
PATRON : Oui, tu as sans doute raison, il faut balayer large mais, on va rester sur le Zola écrivain et bigame et virer tout le Zola politique. 

A l'arrivée des premières épreuves : 

PATRON : Beau boulot Aymeric ! Le bouquin est parfait pour plaire à toutes les lectrices. Les chapitres sont courts. Je vois que tu lui as fait raboter un peu les phrases sans toutefois arriver à sujet/verbe/complément  comme chez la concurrence, y'a du sexe, des problèmes de famille, des secrets, du conflit, un peu de suspens, une fin heureuse... je crois que ça va cartonner .... 
DIRECTEUR LITTERAIRE (soulagé) : Et un peu Zola aussi ...
PATRON : Et enfin un titre qui se tient ! "Nous irons mieux demain", c'est top feel good... C'est toi qui l'as trouvé ? 
DIRECTEUR LITTERAIRE : non, Jean-John, notre directeur commercial ! 



 

vendredi 7 octobre 2022

Une femme de notre temps de Jean Paul Civeyrac


Commençons, une fois n'est pas coutume, par regarder attentivement la bande annonce  du nouveau long-métrage de Jean Paul Civeyrac , réalisateur jusqu'ici un peu confidentiel mais créateur d'un cinéma plutôt intéressant. 



Une bande annonce donne, en général une idée du thème du film, du genre et met en avant quelques moments forts. Celle-ci a un petit challenge à relever : faire la promotion d'un film que l'on peut considérer comme raté. Premier atout : son actrice principale dont le nom apparaît en plein écran, on n'est pas une des actrices préférées des français pour rien. Ensuite, on mixe une série de scènes qui donnent l'impression que nous sommes dans un polar peut être vénéneux à la Chabrol le tout entrelardé de plans de Sophie Marceau courant, tirant des rideaux, ... seule concession à ce qu'est réellement le film. Parce que, oui, le film n'est absolument pas un polar ( ou alors à sa marge) mais le portrait d'une femme trompée par son mari qui va basculer dans l'irraisonnable. Et qui dit personnage féminin fragilisé dit multitudes de plans où on la voit s'interroger silencieusement auxquels succèdent d'autres plans de nature épanouie ou pas ( sans doute pour signifier qu'elle s'inscrit dans l'univers). Nous avons donc droit à une Sophie Marceau froide, pleurnichante, tordant les lèvres, triste, interrogative et très souvent silencieuse face à l'adversité. Le film glisse très vite dans l'ennui faute d'un scénario un tant soit peu élaboré et, on le verra dans la deuxième partie, faisant fi de la vraisemblance. 

Alors, en tant que spectateur, on s'interroge déjà sur le titre, franchement prétentieux puisque la femme de notre temps proposée ici est commissaire de police ( mais on ne la voit au commissariat que dans une seule scène de bureau plus qu'improbable) également autrice à succès et donc habite dans une somptueuse maison avec piano à queue et parc avec arbres centenaires et absolument pas concernée par les mouvements du monde mais plus par ceux, hors couple,  du bassin de son mari lui même agent immobilier dans les résidences de luxe. Pas certain que beaucoup se reconnaissent dans son personnage sauf si l'on rêve d'être Sophie Marceau. Comme le film avance très lentement, on a le temps de trouver tout ce qui cloche là-dedans et en pestant d'avoir oublier ses bouchons d'oreille tellement la musique redondante et crispante envahit inutilement chaque séquence ( et ce n'est pas parce qu'il s'agit d'oeuvres d'un compositeur ukrainien que cela arrange les choses). L'ennui navré qui nous accompagne se modère quelques minutes dans une des dernières scènes nocturnes presque impressionnante par sa  lumière inquiétante. 

Quand c'est raté, c'est raté.... Pas grand chose à sauver dans ce film, Sophie Marceau fait tout ce qu'elle peut pour faire exister cette histoire franchement pas intéressante, mais c'est peine perdu. 


 

jeudi 6 octobre 2022

Les corps solides de Joseph Incardona


 On pourrait très vite abandonner la lecture de ce roman tant la première partie ressemble à un rude mélo cherchant à apitoyer le lecteur. Anna l'héroïne, dès les premières pages, en plus d'être veuve, de vivre de peu dans un mobil-home avec un fils au bord de l'adolescence, perd son seul outil de travail, un vieux camion rôtisserie qu'elle gare dans les marchés du coin. La poisse donc, qui, au fil des chapitres sera complétée par une avalanche de nouveaux problèmes qui la laisseront au bord de la précarité. On peut pleurnicher mais l'effet de trop plein pourrait avoir l'effet inverse... s'il n'y avait des personnages extérieurs très importants pour la marche du pays ( présidente de la République, industriels, dirigeants de télévision) qui ne venaient troubler ce tableau mélodramatique avec l'élaboration d'un jeu de télé-réalité dans lequel, notre Anna finira par participer. Mine de rien, Joseph Incardona a mis le lecteur en condition pour aborder une seconde partie qui sera éprouvante pour tout le monde.
Vous l'aurez deviné, le jeu sera le centre de la deuxième moitié du livre. Il s'agit pour 20 candidats de rester le dernier à garder sa main sur la carrosserie d'une voiture de luxe pour la gagner. C'est cynique comme l'est toute une grande partie des programmes télévisuels qui font commerce d'un voyeurisme mercantile abject et débilitant. L'auteur ne se gêne évidemment pas pour brosser un tableau implacable cette réalité quasi quotidienne de nos jours. 
On pourrait rétorquer que le sujet, tant en littérature et surtout au cinéma, n'est pas nouveau, surtout depuis "On n'achève bien les chevaux", mais l'habile Joseph Incardona, a su nous mettre en empathie avec son héroïne et distille un immense suspens qui nous fait tourner chaque page avec la peur qu'Anna ne lâche son bout de carrosserie. Les seules respirations sont les brefs moments passés chez les puissants organisateurs du jeu ( à l'exploitation un peu décevante dans cette deuxième partie). On s'accroche aux pages comme si elles étaient un bout de ferraille automobile et on les tourne avec la même hésitation fébrile que Léo, le fils de l'héroïne, s'essayant à vaincre les vagues de l'océan sur sa planche de surf. 
"Les corps solides" bouillonnant roman qui brasse avec brio, politique, phénomènes sociétaux, suspens et  émotions, à l'écriture simple mais rudement efficace, prouve après "La soustraction des possibles" que Joseph Incardona confirme qu'il se place parmi nos meilleurs raconteurs d'histoires du moment. 

mardi 4 octobre 2022

Novembre de Cédric Jimenez


 


Après le très efficace mais contreversé "Bac Nord", nul doute que Cédric Jimenez se fera sans doute encore une fois étriller pour oser s'emparer d'un sujet ultra marquant et d'en faire encore une fois une sorte de panégyrique de la police française. 
A la différence du quelques films sortis autour des attentats du 13 novembre 2015 ( récemment l'excellent film d'Alice Winocour " Revoir Paris"), "Novembre" ne prend en aucune façon le parti des nombreuses victimes ni ne relate l'attentat. Il s'intéresse uniquement à l'enquête policière qui a suivi, ses aspects tactiques, logistiques. 
Filmé avec une grande froideur, monté de façon ultra efficace pour lui donner un rythme oppressant, le film captive, mais se révèle plus intéressant quand il ose faire un pas de côté vers une sorte de romanesque avec l'enquête parallèle menée par une jeune flic ( Anaïs Demoustier excellente) qui va devoir convaincre une proche des terroristes, Samia, à devenir indic. ( Pour l'anecdote et cela ne va pas arranger les affaires du réalisateur, il présente le personnage de Samia voilé, alors que dans la réalité, la jeune femme n'en portait ce qui explique le petit bandeau en début de film à la demande de cette dernière). Les fans de "Bac Nord" retrouveront notamment une scène d'action impressionnante avec la prise de l'appartement à Saint Denis et les détracteurs cette ode à une police dont on détaille la pugnacité, les doutes, les cheminements mais au final la grande efficacité ( ce qu'au final on lui demande, on souhaite tous non?).
S'il peut sembler déplacé d'évoquer  les attentats du 13 novembre  uniquement par le prisme d'un film de genre, force est de reconnaître l'efficacité de l'ensemble qui prend aux tripes. Servi comme une super production avec une cohorte de têtes d'affiche,  "Novembre" prouve une fois de plus que Cédric Jimenez n'a pas son pareil pour les films d'action et dans le cinéma français, c'est rare. Alors pourquoi bouder son plaisir ? 







lundi 3 octobre 2022

L'île de la Sentinelle de Benjamin Hoffmann



Il est des romans qui passent étrangement inaperçus alors qu'ils méritent bien plus d'attention que la plupart des ouvrages squattant les pages "Livres" des journaux. Beaucoup d'ouvrages sortis avant ou juste au moment de la guerre en Ukraine sont passés à la trappe. On peut citer le passionnant "Le silence d'Ingrid Bergman" de Denis Lachaud paru chez Actes Sud début mars mais aussi "Lîle de la Sentinelle" de Benjamin Hoffmann sorti lui juste avant et qui vient d'être un peu remis en lumière lors du salon Faites Lire du Mans en obtenant ce week-end le prix des lecteurs de la ville. 
Bien sûr, en cette période de rentrée littéraire, il n'est pas certain que vous trouverez ce fascinant récit sur les rayons des libraires ( plus dans les bibliothèques) , mais n'hésitez pas à le réclamer car, il serait idiot de se priver d'une enthousiasmante lecture inspirée par tous ces récits fleurant bon le voyage et l'aventure  que des générations de jeunes lecteurs ont pu avaler, de Tintin au "Lord Jim" de Joseph Conrad. 
Vous découvrirez une île, celle de la Sentinelle, existant réellement dans le golfe du Bengale,  où, à l'heure actuelle, les rares étrangers qui ont insisté à y poser leurs pieds ont été trucidés par un peuple encore  mystérieux bien qu'occupant ces lieux depuis plus de 50 000 ans. 
Même si le roman nous offre des informations sur cette contrée aussi précises que passionnantes, nous ne sommes pas chez Claude Lévi-Strauss mais bien dans un vrai récit d'aventures où deux amis vont essayer de réaliser le rêve d'explorer cette île. Benjamin Hoffmann, auteur  bien français, va nous embarquer dans ce périple dangereux mais le double d'un grand récit psychologique au coeur de l'université de Yale, digne des meilleurs auteurs américains, où la profondeur de l'analyse d'une amitié un soupçon ambiguë, symbolisant les extrêmes de ce pays ( un riche, un immigré pauvre, parfait miroir avec civilisation vierge et civilisation au bout du rouleau) ne va jamais nuire au rythme soutenu du roman. 
On referme "L'île de la Sentinelle"  avec l'impression d'avoir participé à une sacrée aventure, mais aussi découvert un auteur français qui sort brillamment des sentiers rebattus de la bourgeoise du 6ème qui couche à la mère du petit ami de sa fille et qui se pose des questions existentielles. Doté d'un style impeccable et avec le projet d'embarquer le lecteur tour en le faisant réfléchir sur son humanité, Benjamin Hoffmann, grâce à sa créativité, son grand talent de conteur et cette chose si rare en ce moment de parier sur l'intelligence du lecteur, nous réconcilie comme jamais avec le roman français ! Et signe que ce roman possède quelque chose de plus que 90 % de ses voisins de rayonnage, il est en cours de traduction pour les USA ! Vivement le prochain ! 




 

samedi 1 octobre 2022

Vers la violence de Blandine Rinkel


 En 2017, lors de la sortie de son premier roman "L'abandon des prétentions", je prédisais un bel avenir à Blandine Rinkel. Si son suivant m'avait pas mal déçu, ce nouvel opus, médiatiquement parlant semble la hisser un peu plus haut ( Grande librairie, Une du Monde des livres notamment), voire comme une autrice qui compte désormais dans le paysage littéraire français. C'est sans doute mérité mais, cette fois-ci encore ce roman m'a laissé sur ma faim. 

Après avoir dressé lors de son premier ouvrage un magnifique portrait de mère ( la sienne sans doute), voici un portrait de père ( du père ? pas certain, cela paraît vraiment romancé). Et pour rester dans une thématique très contemporaine, un père, certes ni violeur, ni physiquement maltraitant, mais potentiellement psychologiquement étrange ou perturbant. Le roman se divise en deux parties distinctes, l'enfance et l'adolescence puis l'héroïne devenue adulte. Le but étant de montrer les répercutions de cette enfance face à un père (que je qualifierai d'instable) sur la trentenaire qu'elle est aujourd'hui. 
Avec une très belle écriture, fouillant sans fioriture un passé marquant, l'autrice nous narre une enfance banale mais avec de soudains surgissements fantasques et spectaculaires d'un père qui semble se débattre avec un passé qu'il n'arrive pas à rendre dicible. Cela donne un texte qui essaie de rendre cette démesure  aussi inattendue que perturbante, surgissant quand on ne s'y attend pas vraiment. Ces passages des déchaînements paternels éclaboussent de violence rentrée le lecteur. Cependant les accalmies sont nombreuses et malgré la belle plume de Blandine Rinkel, on traverse des moments au bord de l'ennui distingué. 
La deuxième partie, verse plus dans l'analyse psychologique des conséquences de cette enfance, mais ne parvient pas à rendre l'ensemble cohérent car, on ne perçoit pas exactement en quoi elle a pu jouer. Il apparaît certes une situation hautement romanesque, une décision que l'héroïne doit prendre pour un père un peu perdu de vue, pourvoyeuse d'une très belle lettre, mais dont le climax évident jure avec le reste de ce final assez banal. 

Pas convaincu par ce roman un peu tiré par les cheveux, Blandine Rinkel conserve toutefois une très belle écriture, avec de magnifiques moments mais ne parvient pas à traité le sujet évoqué par le titre. Peut être en attendais-je trop et que la violence suggérée m'a échappé ou m'est tout simplement apparu un peu convenue.