mardi 31 janvier 2012

Le chiffre des soeurs d'Antoine Piazza

Après avoir vraiment aimé un précédent livre "Les ronces" en 2006, je lis régulièrement Antoine Piazza. Avec plus ou moins de bonheur il faut dire. "La route de Tassiga" ne  m'avait guère emballé et "le voyage  au Japon" m'avait beaucoup plus intéressé par son côté récit de voyage. 
Avec "Le chiffre des soeurs", l'auteur continue d'explorer sa vie et c'est cette fois-ci se retourne vers le passé pour nous parler de sa famille et surtout de ses tantes.
La première chose qui impressionne quand on ouvre un livre d'Antoine Piazza, c'est la densité de l'écriture. Densité, pour l'oeil, car, son texte est absent de tout dialogue, ce qui donne une vision très touffue de chaque page. Mais se plonger dans la lecture est un réel bonheur car il y a un vrai talent d'écrivain, qui déploie des phrases amples et profondes, au fort pouvoir d'évocation, arrivant en quelques mots à cerner un univers, un sentiment. 
Ici, l'écriture est au service d'un projet ambitieux : raconter à travers la vie de ses quatre tantes Annabelle, Alice, Armelle et Angèle, l'histoire, l'opulence d'une ville prospère et de ses habitants, des années trente aux années soixante et son lent déclin à la fin du siècle dernier. Ou comment à partir d'un matériel très personnel, arriver à généraliser, ouvrir la boîte aux souvenirs de son lecteur tout en racontant une France aujourd'hui disparue. 
Pour ma part, c'est pas mal réussi. On sent un reste de naphtaline sur les vêtements, les bois cirés, on voit les napperons en dentelle sur la table du salon, on se courbe à cause la vie codifiée et rigidifiée par les bonnes moeurs et le qu'en dira-t-on. Pourtant, le passé rejaillit sans aucune nostalgie. On sentirait même une légère ironie pour tous ces personnages qui ne semblent avoir trouver une vraie liberté d'esprit que dans la dernière partie de leur vie, une fois que les convenances n'eurent plus autant d'importance.
Cependant, la construction par période non chronologique m'a un peu gêné, je me suis un peu mélangé dans les personnages, comme l'invité d'un mariage à qui on présente tous les membres d'une famille d'un coup. Mais une fois plongé dans ces pages, on se laisse emporté par cette évocation brillante d'un monde désormais disparu. Il faut, je crois, pour apprécier ce livre, se réserver de longues plages de lecture pour mieux s'immerger dans cet univers provincial suranné.



lundi 30 janvier 2012

Au cochon d'Emile de Stéphane Henrich

" Au cochon d'Emile" de Stéphane Henrich édité chez Kaléidoscope 13,50€ A partir de 4 ans.


De nos jours, les enfants, et quelque soit l'âge, regardent tout un tas de séries bourrées de monstres galactiques hideux ou transformistes, exterminants à qui mieux mieux d'autres horribles personnages tout aussi terrifiants. Cela n'a pas, en apparence, l'air de les perturber. Quelquefois, vous leur racontez une petite histoire bien gentille où malheureusement apparaît un loup et ils font des cauchemars pendant une semaine... Etrange paradoxe... Peut être que le loup est plus effrayant à cause de ses siècles de service  auprès des peurs d'enfant. 
Cette petite introduction pour vous présenter un album qui risque de provoquer quelques réactions d'angoisse chez nos chers petits. " Au cochon d'Emile" fleure pourtant un temps que les moins de 10 ans ne peuvent absolument pas connaître. C'était l'époque où les coeurs de villages regorgeaient de boutiques diverses où chaque corps de métier était représenté. Ici, Stéphane Henrich nous présente Emile, heureux propriétaire d'une aguichante boucherie/charcuterie, renommée pour ses boudins et ses saucisses dans toute la région. Un jour, lors d'une livraison de morceaux de viande, un porcelet vivant jaillit dans les bras d'Emile. N'écoutant que son coeur de boucher, rêvant de grillades tendres, ils veut le tuer mais n'y arrive pas. L'animal est trop mignon. Emile n'abat jamais de bêtes, se contentant seulement de trancher des carcasses prêtes à la découpe. A partir de ce jour, il deviennent les meilleurs amis du monde jusqu'à ce que... le jeune cochon découvre dans la chambre froide une tête de porc suspendue à un crochet...
Dans cet album, au dessin tendre qui rappelle un peu celui de Quentin Blake, on flirte gentiment avec le gore et c'est plutôt une bonne chose. A l'heure des supermarchés, où la nourriture est présentée, emballée, conditionnée, les enfants ne savent pas toujours l'exacte provenance de ce qui fait, pour certains, le délice de leurs assiettes. Après la lecture de cette histoire, il ne manqueront pas de s'interroger sur l'origine  de leur tranche de jambon... et peut être deviendront-ils végétariens (ce qui risque de ne pas arranger les parents).
Quoiqu'il en soit, cet album est, pour les adultes, un vrai délice avec son mélange de tendresse et de cruauté et pour les enfants, en plus d'un vraie leçon de sciences originale, une jolie histoire un peu sombre qui finit avec délicatesse. Pour moi le coup de coeur de ce mois de janvier.





dimanche 29 janvier 2012

L'oiseau d'Yves Caumon

"L'oiseau" est l'archétype du film fragile dont le propos très distancié peut effrayer un public nourri de comédies faciles ou de polars pétaradants.
Ici, tout est subtilité, fragilité, délicatesse. Nous suivons sans relâche, Anne (Sandrine Kiberlain) jeune femme qui, d'un premier abord, semble tout à fait normale, se rendant à son travail dans un Bordeaux en plein chantier.  
En réalité, elle communique peu avec ses collègues de travail. Elle habite seule dans un appartement assez miteux où elle s'enferme dans une routine ordinaire seulement perturbée par des bruits étranges. Petit à petit, nous apprendrons quelques bribes de son passé, un deuil qui la ronge de l'intérieur. Responsable des bruits récurrents, un oiseau viendra lui tenir compagnie et l'aider à refaire surface.
Avec un minimum de dialogues, de personnages mais grâce à une caméra sensible et au jeu subtil de Sandrine Kiberlain, habitée par le rôle, le charme peu opérer et raisonner longtemps après la projection.
Cependant, on pourra être irrité par tant de lenteur, de mutisme et de non-dit. C'est un cinéma d'émotion pour public averti et exigeant.
Pour moi, cela restera un joli film sur le deuil, la dépression et le retour vers la lumière. Bien que flirtant dangereusement avec l'apathie, il a tout de même réussi à me toucher, vraisemblablement à cause de son interprète principale, en tout point parfaite et dont je suis, avouons-le, un véritable fan.

vendredi 27 janvier 2012

Shutterbug follies de Jason Little



Il y a comme un tout petit goût d'enfance dans cet album de 2002 que viennent de publier les éditions Akiléos. Bee, la jeune héroïne de "Shutterbug follies", est une lointaine cousine d'Alice, cette jeune fille blonde qui a fait le bonheur des lectrices (lecteurs) de la bibliothèque verte. Bien sûr, l'époque a changé, maintenant une héroïne se doit de travailler et d'être totalement en phase avec son temps. 
Bee ne vit pas de ses rentes, mais est technicienne dans un labo de développement de photos (oui, c'est démodé maintenant que nous sommes au numérique, mais l'album date quasiment de la fin du siècle dernier). Comme les héroïnes anciennes, elle est curieuse et à l'affut du moindre mystère. Par contre, elle est un peu plus délurée, elle collectionne en cachette les tirages sexys ou gores que les clients lui donnent à développer. Evidemment, des photos particulièrement sanguinolentes d'un soi-disant artiste conceptuel vont l'intriguer et se trouver ainsi embarquée dans une histoire haletante, impliquant sa copine genre bombe sexuelle (donc très loin des copines nunuches d'Alice) et un chauffeur de taxi typiquement new-yorkais.
Avec un graphisme simple, genre ligne claire vitaminée, agrémenté de couleurs pétantes cet album est un véritable thriller, bien fichu et même violent. Ca se lit d'une traite, avec un final plein de suspens. On peut y voir un clin d'oeil au "fenêtre sur cour" d'Hitchcock et à "Blow up" d'Antonioni.
On se demande pourquoi un tel album a mis autant de temps à nous parvenir, les Etats-Unis de nos jours ne sont pas au bout du monde que je sache. On peut donc féliciter les éditions Akiléos de nous dégotter des perles de ce genre en espérant qu'il en existe encore beaucoup.

jeudi 26 janvier 2012

Café de Flore de Jean Marc Vallée


Le nouveau film de Jean Marc Vallée est un genre de gros sandwich Mac Do qui ne déplaît pas quand on le mange mais dont on a oublié un peu le goût une fois quitté la salle. 
Pourtant, on n'a pas lésiné sur les ingrédients pour confectionner "Café de Flore". On a d'abord deux tranches de scénarios, un peu bourratives pour donner du corps à l'ensemble. La première tranche se situe de nos jours au Canada où nous rencontrons Antoine, un David Guetta local sans les boîtes de nuit mais avec belle baraque et jolie compagne. Malheureusement, son ex femme, qui cauchemarde souvent d'un enfant qu'elle n'arrive pas à identifier, est toujours amoureuse de lui. 
L'autre tranche se déroule à Paris, vers la fin des années 60, où Jacqueline, coiffeuse, élève seule son enfant trisomique. Parce qu'elle a multiplié les apparitions télévisuelles, vous savez déjà que c'est Vanessa Paradis qui interprète cette mère courage, possessive, trop aimante et qui va finir par  s'enfoncer dans une relation trop unilatérale avec son fils.
Pour la garniture, le réalisateur a tout d'abord mélangé énergiquement les scènes, les époques, donnant à son film une allure de clip déjanté, branché et sous caféine. Il a ajouté une musique électro-lounge qui se dispute la vedette avec une voix off cousine de celle qui annonce les trains dans nos gares. Pour bien lier le tout, il a concocté une sauce psycho-ésotérique un peu écoeurante qui n'épatera que l'amateur de hamburger.
Quand on regarde le film, on suit le mouvement, car l'oeil est constamment sollicité par un plan tarabiscoté, un zoom et la bande son tiendrait en éveil un spectateur sous Lexomil. On admire Vanessa Paradis, sans maquillage et tellement parfaite dans son rôle de pauvre prolétaire que parfois on a l'impression qu'elle ne ressemble vraiment à rien et surtout pas à la star glamour des magazines de papier glacé. Sur le moment, ce n'est pas tout à fait déplaisant parce qu'énergique. Mais, une fois passé l'épilogue parfaitement indigeste et tiré par les cheveux, on quitte la salle groggy avec l'impression d'avoir vu le film d'un nouveau riche qui veut surtout nous épater avec son gros 4x4 et sa Rolex.
Comme j'ai l'âge de ne plus m'éclater sur les dancefloors, je serai beau joueur et prêt à accepter que la nouvelle génération identifie, peut être, ce film comme une oeuvre culte car " Café de Flore" en a tous les atours : c'est clinquant, accrocheur et avec ce soupçon de roublardise mystique qui fait le succès d'un Marc Lévy ou d'un Dan Brown. Permettez-moi seulement de renvoyer le plat en cuisine pour manque de finesse.


mercredi 25 janvier 2012

Sport de filles de Patricia Mazuy


Patricia Mazuy, la réalisatrice de "Sport de filles" a déclaré : "Je n'aime pas beaucoup les chevaux". Malgré quelques longues scènes de dressage à cheval, il est certain que le monde équestre n'est qu'un décor dans lequel les canassons font de la figuration. En regardant l'affiche, simple mais très esthétique, il ne vous échappe pas que Marina Hands arbore un bandeau style pirate, qui est tout à fait dans la tonalité de ce film, un rien poil à gratter, comme je les aime.
A l'instar beaucoup de films, le point de départ est la rencontre de deux mondes opposés. Ici, une jeune femme pauvre, passionnée de cheval, arrive à se faire embaucher comme palefrenière dans un haras des plus chics, dirigé de main de fer par Joséphine de Silène (parfaite Josiane Balasko). N'ayant pas le droit de monter le moindre bourrin, notre héroïne, pugnace et effrontée, en dressera un en cachette dans le secret espoir de se faire remarquer par le compagnon de la propriétaire, ex grand écuyer et entraineur de renommée mondiale mais surtout macho humilié (Bruno Ganz).
Jusque là, rien de bien original, on voit bien où tout cela risque de nous mener, vers une fin rose bonbon des plus convenues. Sauf que, cette fois-ci, il y a derrière la caméra une réalisatrice de tempérament. En plus des deux personnages féminins au caractère bien trempé cités plus haut, deux autres tout aussi teigneuses gravitent autour du seul mâle de l'histoire : sa richissime maîtresse vieillissante qui n'a qu'un désir, l'avoir dans son lit et dans son paddock en Californie (Amanda Harlech, muse de Karl Lagerfeld, pour le première fois à l'écran) et  la fille de la propriétaire, compétitrice de talent, épargnée par la douceur, ( Isabel Karajan, oui, la fille de Herbert von ...).
Ce quatuor de femmes fortes et finalement insensibles veulent toutes s'accaparer le personnage de Bruno Ganz, transformé ici en objet du désir, fripé, usé, malmené.
En quelques plans, Patricia Mazuy, saisit la passion qui anime tout ce joli monde. Chacun est enfermé dans sa bulle, solitaire mais progressivement l'histoire va en isoler deux pour mieux les rapprocher, sans que pour autant ils se soumettent.
C'est filmé avec ferveur et la scène de séduction équestre entre Marina Hands et Bruno Ganz est un grand moment de sensualité comme on en voit pas si souvent dans le cinéma français. C'est évidemment des portraits de femme fortes, qui ne doivent rien aux hommes et qui ne céderont jamais la moindre parcelle de leur pouvoir durement acquis.
Cinéma féministe diront certains et ils auront raison. Le parcours de l'héroïne ressemble étrangement à celui de la réalisatrice, fille de boulangers dijonnais, qui a su forcer les portes pour assouvir sa passion de cinéma. "Sport de filles" est fait de cette rage de réussir avec, en bonus, le talent et la volonté de l'intransigeance. Autant de bonnes raisons pour foncer dans votre salle préférée découvrir ce bon film français, où les codes balisés d'un scénario classique sont malmenés avec finesse. Et si, en plus, vous aimez les chevaux... vous serez doublement gâtés.

dimanche 22 janvier 2012

Ben 7 Le meilleur ami de l'homme de Daniel Shelton

J'adore la bande dessinée, mais dans cet univers, il y a un genre que je préfère par dessus tout, c'est le strip ! Non, pas le strip-tease (quoique) mais ces BD en trois ou quatre cases qui ont fait les beaux jours de la presse des années 60. Tout le monde se souvient des "Peanuts" de Schulz, mais aussi pour les plus célèbres "Calvin et Hobbes", "Garfield" ou "Mafalda". De nos jours, la presse a abandonné ce genre de publication, il ne reste que "Nelson", publié en Suisse qui connaît un petit succès en France grâce au journal Spirou.
Mais Nelson, le petit diablotin orange, a un rival canadien. Il s'appelle Ben et est un jeune retraité. Depuis quelques années, il est un petite gloire locale sur tout le territoire nord américain (et aux Philippines aussi... dixit l'éditeur). Les éditions des 400 coups publient depuis quelques années une version française qui semble ne pas rencontrer le public et c'est bien dommage. Le mois dernier a paru le volume 7 des aventures du fringant retraité que je vous encourage à découvrir.
Ben est un jeune retraité, marié à Olivia, elle aussi goûtant aux joies du repos après des années de labeur. Ils vivent dans un pavillon avec jardin et gardent de temps en temps leur petit fils.

A partir de cette situation simple, Daniel Shelton, va multiplier les gags et les situations cocasses voire loufoque de cette vie paisible mais pas sans relief. Au fil des saisons, très importantes au Canada, nous allons suivre les péripéties de cette famille, qui ne va cesser de s'agrandir car leur fille Linda semble être destinée à se reproduire sans fin.
Evidemment, cela reste un humour bon enfant, tendre et gentil, ciblé tout public mais toujours avec un regard contemporain.
Quel plaisir de les suivre saison après saison! On a très vite l'impression d'être de la famille. Les situations de la vie quotidienne sont quelquefois délaissées pour aborder des sujets plus sérieux comme les camps d'internements pour les citoyens d'origine japonaises durant la dernière mondiale ou l''écologie sous la forme d'un combat contre des promoteurs. Mais rassurez-vous, c'est toujours abordé avec un humour frais et intelligent. Chaque album d'une centaine de pages, compilant une année de strips,  forme un tout cohérent  et tous les personnages évoluent à la manière d'une sitcom. Certaines saisons sont plus réussies que d'autres. La dernière parue est un peu en retrait par rapport aux précédentes, mais on prend un tel plaisir à retrouver ces personnages formidablement croqués par un dessin lisible et sympathique, qu'il serait idiot de bouder son plaisir. Il semblerait qu'au Canada ils en soient à la quinzième année de parution... Encore de bons moments de lecture en perspective...


Et si vous êtes en panne d'inspiration pour un cadeau de départ à la retraite, pensez à BEN, vous serez sûr de faire plaisir car tout le monde aime lire des strips, surtout quand ils ont cette qualité. Et puis, profitez-en pour vous les offrir car ce serait bête d'attendre la retraite pour les lire (surtout qu'elle risque de tarder à venir...)






samedi 21 janvier 2012

La page blanche de Boulet et Pénélope Bagieu

Dans le troupeau de jeunes femmes dessinatrices, trentenaires qui publient des albums d'humour totalement girly, Pénélope Bagieu est celle qui est très vite sortie de la mêlée. Elle a su imposer sa différence en abordant très vite le roman graphique, "Cadavre exquis" chez Gallimard en 2010, démontrant ainsi qu'elle n'était pas qu'une chroniqueuse pour site web féminin.
Ce mois-ci, la pétillante parisienne, en association avec Boulet au scénario, nous propose chez Delcourt un nouveau récit en 201 planches :  "La page blanche". Derrière sa très réussie couverture aux tons rouges-rosés, nous découvrons son héroïne assise sur un banc et devenue totalement amnésique.
Avec un point de départ pas original pour deux sous, nous allons suivre Eloïse dans la recherche de sa propre identité. Le lecteur est tout de suite accroché par ce mélange de suspens et d'humour et ne lâchera pas l'album jusqu'au dénouement dont je ne dirai rien sauf qu'il est à l'image de la très graphique dernière case, une fenêtre ouverte vers l'avenir. Le scénario, très habile, permet à l'illustratrice de s'exprimer pleinement, d'autant plus que son dessin est de plus en plus maîtrisé.
Fini donc les atermoiements des trentenaires à la recherche d'un mec, Pénélope Bagieu et Boulet, sans tomber dans le réalisme noir, nous déroule le très plaisant portrait d'une personne qui enquête sur elle même. C'est gracieux, joliment coloré, grinçant lorsqu'est évoqué le métier de libraire ou le milieu médical, joliment sensible pour exprimer le désarroi de cette jeune femme perdue et surtout bourré de toutes petites annotations philosophiques ou caustiques sur le monde d'aujourd'hui.
Ne vous fiez pas au dessin faussement naïf de "La page blanche", plongez-vous sans crainte dans cet album, vous passerez un très agréable moment et découvrirez ainsi qu'en 2012, on peut encore raconter de façon originale une histoire d'amnésie, ce qui est, avouons-le, un quasi exploit. Cependant, certains pourront être déçus par le dénouement qu'ils jugeront trop simple ou décevant. Personnellement, et en évitant de révéler quoique ce soit, j'ai apprécié le clin d'oeil avec le titre qui permet à l'héroïne de transformer cette page blanche en une vie future que l'on espère pleine de belles couleurs.


vendredi 20 janvier 2012

Le bel âge 1 Désordre de Merwan

Les jeunes auteurs de BD aiment de plus en plus raconter la vie de jeunes adultes, vaguement mal dans leur peau, cherchant leur place dans une société qui ne les comprend pas. Ce thème classique leur permet de développer une BD intimiste, où le dessin reste primordial pour exprimer les sentiments sans pour autant négliger le scénario.
"Le bel âge" que nous proposent les éditions Dargaud, entre dans cette catégorie. C'est le portrait de trois jeunes femmes que nous rencontrons à un moment pénible de leur vie. Violette vient de rompre avec son copain et s'interroge sur son avenir. Lila, un peu mytho et un peu garce, parce qu'elle a couché avec le copain de sa coloc se voit rejeter par sa bande d'amis. Hélène, tellement obsédée par ses études et sa thèse, songe à tout abandonner.
Avec une mise en page quasi cinématographique, prenant le temps d'observer ses héroïnes dans leur existence, Merwan adopte la technique de nombreux films choraux, c'est à dire de suivre ses personnages en parallèle, jusqu'à leur rencontre qui, au départ, n'avait rien d'évident, chacune vivant dans un univers particulier. Cela peut paraître commun, mais ici, grâce aux dialogues très justes et à des cadrages très subtils, l'auteur arrive à nous accrocher et à nous intéresser, à la manière d'un Bastien Vivès, l'auteur de l'excellent "Polina".
Cependant, je ferai un reproche à l'éditeur. Pourquoi cette histoire est-elle éditée en trois parties? A la fin du premier tome, on a l'impression d'avoir juste lu un prologue. Le sentiment de frustration est grand, on a un vrai goût d'inachevé. On commence juste à bien s'attacher aux héroïnes que déjà il faut les quitter. Etait-ce trop risqué de publier un gros album comme le font d'autres éditeurs? Ou bien, est-ce économique ? Trois albums à 15 euros ça rapporte plus qu'un seul à 30 ? Je ne suis pas certain que le lecteur s'y retrouve, ni cette histoire fragile qui se diluera par manque de lecture en continu.
Malgré tout, si vous êtes amateur de récit sentimental, pas nunuche, plongez dans "Le bel âge" qui pourrait faire sienne la célèbre phrase de Paul Nizan : " J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie."


jeudi 19 janvier 2012

L'amour dure trois ans de Frédéric Beigbeder

C'est la première fois que ça m'arrive. Je viens de voir "L'amour dure trois ans" de Frédéric Beigbeder et je n'ai  pas envie d'en parler. J'ai rien à dire.  J'ai ri de temps en temps car les acteurs débitent quelques aphorismes qui arrachent quelques sourires. J'ai suivi une histoire pas très drôle, pas originale et surtout mal ficelée. Il y avait des acteurs, certains n'étaient pas trop mal (Bourgoin et Proust), d'autres assez drôles (Lemercier et Duperey) et quelques uns franchement mauvais (Starr et Bedos), le tout donnant une impression de pochette surprise. Comme ça se voulait branchouille, il y avait une cohorte de célébrités, d'intellectuels, de journalistes, d'amis de Canal plus qui pointaient leur nez (Finkielkraut, Denisot, Marc Lévy,...) et des paquets de jolies filles plus décoratives qu'intéressantes toutes les trois scènes. Les personnages buvaient, baisaient, rebuvaient, vomissaient... Ca parlait vaguement de cuisine littéraire mais sans cracher vraiment dans la soupe. Tout ce beau monde s'agitait dans de beaux apparts et gérait des problèmes amoureux dont on se contrefout un peu. On avait déjà vu ça mille fois, souvent en mieux, et on se demandait à quel public cela pouvait s'adresser. Pas aux intellos, Beigbeder est trop mondain et trop people pour les vrais lecteurs de Bourdieu (qui n'apparait pas dans le film). Pas au public qui fait triompher les films de Danny Boon car, du coup, c'est trop intello (c'est qui ça Bukowski ? Oui, oui, lui est dans le film !!!). Pas aux amateurs d'action, il n'y en a pas. Pas aux fans de Joey Starr, il chante " Les moulins de mon coeur" en duo avec Michel Legrand ! Reste les lecteurs des belles histoires de tonton Beigbeder et quelques curieux qui, comme moi, pourront constater que Frédéric B. devrait continuer  d'écrire ses chroniques littéraires dans Voici plutôt que de taquiner la caméra.
L'affiche nous signale avec humour( enfin, j'espère) qu'il s'agit du meilleur film de Beigbeder. Elle ne ment pas, c'est vrai, mais c'est aussi le plus mauvais.

Petite poule rousse de Rebecca et Ed Emberley


Et voici une nouvelle version de la petite poule rousse. Attention pas celle qui risque de se faire manger par le renard mais, celle plus soft, qui dans une version lointaine, trouve un grain de blé, qu'elle plante et qui, en bout de course arrive à faire du pain sans l'aide de ses amis, d'un genre fainéants, refusant obstinément d'aider la vaillante gallinacée.
Le pain n'étant guère emballant pour les enfants d'aujourd'hui qui préfèrent des nourritures moins basiques, depuis quelque temps des auteurs nous ont proposé d'autres moutures. Il y a une dizaine d'années, les éditions Nathan avaient troqué la banale miche de pain pour une pizza plus appétissante auprès nos chères têtes blondes ou brunes.
En 2012, la pizza étant devenue tellement commune pour les estomacs enfantins, Rebecca et Ed Emberley ont essayé de coller encore mieux à la réalité contemporaine. Ils renvoient la spécialité italienne au congélateur pour lui préférer  un "gâteau sublime", monstruosité colorée, glacée et totalement m'as-tu-vu.
Très ménagère de moins de cinquante ans, nous sentons bien que la petite poule rousse prépare son entrée dans une de ces émissions culinaires qui fleurissent ces temps-ci sur nos écrans de télé. Elle a trouvé une recette géniale et décide la tester illico. Malgré un casting d'amis renouvelé (exit le canard et le cochon trop agricoles, bonjour le rat, plus urbain et la grenouille, plus rigolote), elle est toujours entourée d'une bande de paresseux.
Rassurez-vous, l'histoire reste la même. La poule est toujours aussi travailleuse (elle travaille plus pour obtenir plus) et les amis sont toujours des pique-assiettes qui n'auront pas le droit de goûter à l'énorme pâtisserie. La morale est donc sauve, le labeur est récompensé. La poule rousse, faisant fi de tout régime, seule note discordante de cet album tendance, engloutira, seule, la totalité du fruit de son travail...
J'ai l'air de me moquer un peu, mais j'ai quand même apprécié cet album, très coloré, surtout parce qu'il est  un peu moins sage que ses prédécesseurs. Tous les personnages ont un air déjanté, l'illustration composée d'aplats de couleurs criardes leur donnant un regard halluciné de fumeurs de pétards. Le texte, classique, permet, lors d'une lecture à haute voix, d'imiter la grenouille, ce qui assure à chaque fois un beau succès auprès des enfants.
Tel qu'il est, ce petit conte très simple fonctionne très bien. Que demander de plus? La recette du gâteau sublime? Rassurez-vous, les auteurs y ont pensé et vous pourrez vous aussi réaliser un goûter presque totalement parfait, pour épater vos enfants et vos amis. Merci les Emberley!






mardi 17 janvier 2012

Millénium, les hommes qui n'aimaient pas les femmes de David Fincher


C'est avec beaucoup de curiosité que je me suis rendu à la projection de cette nouvelle version de Millénium, réalisée par un surdoué hollywoodien et, dont la rumeur prédisait un chef d'oeuvre.
Ca démarre très vite par un générique à épater le gogo : des formes dégoulinantes d'un liquide noir laqué, définies par des reflets de lumière et accompagnées par un remix de Led Zeppelin. C'est beau, fort et l'on se cale dans son fauteuil en se disant que si la suite est de cet acabit, on ne va pas s'ennuyer...
Et c'est vrai, on ne s'ennuie jamais durant les 2h38 du film. C'est filmé au cordeau, efficacement, nerveusement. Les décors à la suédoise, gustaviens et froids, emballent joliment l'intrigue très fidèle au roman. La bande son impeccablement travaillée, notamment dans les scènes se déroulant dans la maison contemporaine de Martin Vanger, où le bruit des portes coulissantes, mélange de vent et de grincements, apportent une note tout à fait angoissante. Les deux personnages principaux sont parfaitement symbolisés dans leurs différences. Mikaël Blomkvist (Daniel Craig) est un journaliste à l'ancienne, travaillant avec post it et crayon dans une ambiance un peu bourgeoise et Lisbeth Salander (Rooney Mara), geek confirmée, note tout dans sa tête ou son ordinateur dans un décor totalement foutraque. Les acteurs sont à la hauteur de la production, c'est à dire parfaits. Daniel Craig, en impose sans esbrouffe, servi par une caméra qui le suit quasiment de façon amoureuse. Rooney Mara, est totalement crédible dans le rôle de la troublante Lisbeth, même si j'avais préféré la performance de Noomi Rapace de la précédente version.
Tout est réuni pour un très bon spectacle...
Seulement, j'y mettrai tout de même un bémol. Après la lecture des trois volumes du "Millénium" de Stieg Larsson, après la première version cinéma scandinave, la vision de cette nouvelle adaptation, toute réussie qu'elle soit, ne m'a pas étonné, ni transporté. L'histoire m'était trop familière pour me scotcher au fauteuil et sûrement trop dense pour que le metteur en scène la tire dans des zones nouvelles, préférant rester dans la trame initiale, fédérant ainsi les spectateurs par encore contaminés par ce succès planétaire.
De plus, je ne suis pas un connaisseur du cinéma de David Fincher, je n'ai pas assez de connaissances autour de son travail pour pouvoir, moi aussi, apprécier ces petits détails que doit recéler le film et qui enrichissent tout un tas de thématiques, développées lors de ses opus précédents et qui permettent aux connaisseurs de briller dans les dîners en ville (ou dans les articles d'une presse à genou).


Reste le film, polar brillant, qui plaira énormément à ceux qui découvriront cette terrifiante histoire et fera passer un très agréable moment à ceux qui se replongeront dans cette enquête passionnante et filmée avec maestria.

dimanche 15 janvier 2012

Ah. d'Emma Reel

Cette semaine, j'ai succombé aux chants de la modernité, j'ai lu le premier livre publié uniquement pour les tablettes ou les liseuses par les éditions du Seuil. Ne cherchez pas "Ah." en librairie, en version papier, ça n'existe pas.
Passés les petits tracas pour parvenir à lire l'oeuvre sur mon ipad, il faut télécharger au moins deux applications supplémentaires pour y arriver, je me suis donc plongé dans ce récit (?) présenté comme labyrinthique...
Avant d'entrer dans le vif du sujet, sachez que ce roman est composé de 52 pages, divisé en  8 chapitres de 3, 4 ou 4 pages , ce qui porte le nombre de pages lisibles à 32 car il faut déduire la couverture, le sommaire, les pages grisâtres où apparait le nom de l'auteur, quelques illustrations et citations. Le tout pour 7,99€ ! 0,40€ la page ! Ce qui porterait, en livre classique, "Limonov" d'Emmanuel Carrère à 192€ ! Vive la modernité !
Oui me direz-vous, mais le texte, le sujet, sont sûrement d'une grande qualité, d'une originalité à couper le souffle.
Ma réponse sera franche et sans détour : NON ! ( On sent le gars dépité de s'être fait gruger de quelques euros avec un livre qu'il ne peut même pas revendre chez un bouquiniste, autre revers de cette pseudo modernité.)
Le propos, un peu décousu, de ces huit portraits ou lettres, est assez ténu mais pédant. Une femme s'adresse à différents hommes qu'elle a connus, tous lettrés, riches voire célèbres (sauf un mari camé) , pour évoquer l'émoi que leur relation a provoqué chez elle. Bon, elle ne jouit principalement qu'avec les mots, à condition qu'ils soient prononcés par des érudits, jeunes ou vieux et si possible riches (ça doit aider). Elle semble mener quelques jeux vaguement libertins à partir d'annonces passées sur internet. Les rencontres apparaissent furtives, légères voire peut être virtuelles. Ca se veut distingué, intelligent mais c'est surtout inintéressant et rasoir. Le texte, pas trop mal écrit au demeurant, est un cocktail de phrases un poil alambiquées, d'érotisme et de notations branchouilles.
Mais ce qui, selon l'éditeur, fait ici la différence, ce sont les mots imprimés en bleu (lien hypertexte) qui, si l'on pose son doigt dessus, nous amènent brusquement vers un autre chapitre. J'appelle ça sauter du coq à l'âne, car je ne suis qu'un lecteur ringard et inculte, alors qu'Emma Reel, l'auteur, nous parle, elle, de lecture labyrinthique, d'univers ludique et ironique, sûrement pour faire voler en éclat la littérature de grand-papa. Pourquoi pas ? Franchement, ce ne doit pas être pour moi, car pour avoir essayé la lecture dans tous les sens, je n'ai nullement vibré, ni trouvé aucun intérêt à cette fonction, seulement ressenti un ennui profond.
Ce roman qui se place sous la protection de Michel Foucault, ne m'a pas du tout convaincu. Quand l'auteur, vers le fin, écrit : "Pardonne-moi Mon Cher Mari. J'étais prétentieuse de vouloir mener une carrière brillante quand tu peinais à vivre sans rien faire. Au moins tu m'as appris l'humilité."... Ce devait être il y a bien longtemps, car, s'il y a bien un sentiment qui ne se dégage pas de ce salmigondis insipide, c'est bien celui là !




jeudi 12 janvier 2012

Parlez-moi de vous de Pierre Pinaud

"Parlez-moi de vous" est un premier film que l'on a envie de défendre car j'ai bien peur qu'il ne soit retiré bien vite de l'affiche si j'en juge par le nombre de personnes qui étaient dans la salle ce soir : j'étais tout seul! Oui, j'ai eu droit à une projection privée. Cela peut paraître sympa à certains. Moi, j'aurai préféré avoir des voisins de fauteuil car ce film mérite quand même le détour.
Claire, une quarantenaire animatrice de radio style Macha Béranger, créant derrière le micro une relation intense avec ses auditeurs mais vivant seule et recluse le reste du temps, obtient les coordonnées de sa mère qui l'a abandonnée à sa naissance. Elle va, petit à petit, s'incruster dans la vie simple de sa génitrice, afin d'établir une relation qu'elle a longtemps fantasmé.
Sur ce scénario classique, Pierre Pinaud le réalisateur, colle une mise en scène que certains pourront trouver trop sage, trop qualité française. Le récit défile sagement, jouant finement sur les rencontres des deux femmes et n'évitant pas toutefois quelques clichés du choc de deux mondes socialement opposés. C'est bien filmé, bien joué mais un brin trop sage.
Ce qui fait la force de ce film, c'est, avant tout, sa comédienne principale, Karin Viard qui déploie ici toute la palette de son talent. Elle est tour à tour sensible, drôle, inquiétante, névrosée car bourrée de TOCS, bref en tout point formidable.
L'autre atout de "Parlez-moi de vous", non négligeable, c'est sa dernière partie, offrant aux spectateurs, en plus d'une fin ouverte plausible, deux scènes magistrales de Karin Viard. Quand beaucoup de productions françaises se contentent d'une bonne idée de départ pour finir poussivement et sans inspiration, d'autres ont à coeur de mener à bon port les spectateurs qui ont bien voulu embarquer. Ici, c'est le cas et je ne suis pas prêt d'oublier la scène de l'hôpital, où, Karin Viard, blonde glaciale à la Hitchcock, tombe le masque, ni celle, bluffante, de la dernière confession radiophonique.
Vous l'aurez peut être compris, ce film n'est pas forcément le chef d'oeuvre de l'année mais est néanmoins le film d'un très honnête artisan qui mérite que l'on y prête attention, surtout pour sa comédienne principale qui fait ici une magnifique composition.

lundi 9 janvier 2012

Une année studieuse d'Anne Wiazemsky

Voici donc ce qui peut être considéré comme la suite de "Jeune fille", publié en 2007 et qui permet à Anne Wiazemsky de jeter un coup d'oeil par-dessus son épaule et de nous raconter sa vie finalement très romanesque.
Bien sûr, pour peu que l'on ne soit pas passionné de cinéma, on risque d'être un sérieusement agacé à la lecture de ce qui est somme toute le récit d'une jeunesse dorée. Anne, l'héroïne et l'auteur, vit avec sa mère chez son grand-père qui n'est autre que François Mauriac. Nous sommes en 1966, le grand écrivain tient toujours son billet dans "L'express" et elle, à 18 ans,  a débuté au cinéma sous le direction de Robert Bresson.
Tout n'est pourtant pas rose pour la jeune fille : elle doit repasser son bac en septembre, craignant une mauvaise note en philo et commence à étouffer dans son milieu bourgeois un rien conservateur.
Je vous rassure tout de suite, le problème de la philo est réglé lors d'un cocktail chez Gallimard où elle est invitée par son camarade de classe Antoine (Gallimard, bien sûr). Elle demandera tout simplement à un grand philosophe présent à ce raout de lui donner quelques cours durant l'été.
S'émanciper de son milieu si sclérosant s'avère également facile. Il lui suffit d'envoyer une lettre, courte mais directe, à un grand réalisateur de la Nouvelle Vague et hop, le tour est joué. Ils deviennent vite amants, et malgré une vague désapprobation familiale, se marieront en cachette.
Nous avons là, la trame d'un psychodrame bourgeois, du type qui font grincer les dents du commun des mortels, qui ne vit plus à l'époque de la fascination des riches mais plutôt dans une exécration de tous ces nantis pour qui tout est normal et facile. Ce roman semble écrit pour toute une frange de la société parisienne, celle qui brille et qui pétille à longueur d'année dans les gazettes aux papiers glacés. L'irritation pointe son nez au détours de quelques anecdotes piquantes pour l'auteur, mais un rien snobinardes pour le lecteur lambda.
Mais, pour moi, le roman est sauvé par toute sa toile de fond cinématographique. Comme j'aime le cinéma, j'ai adoré découvrir un Jean Luc Godard intime, amoureux, jaloux, possessif et pouvant tomber dans la méchanceté, voire la violence. Il est, à lui seul, un vrai personnage de roman. On assiste à la préparation et au tournage de "La chinoise", moments proches de la comédie et dont l'auteur nous fait une description assez ironique. Au-delà du côté people de cette évocation, toute cette époque pré-soixantehuitarde est formidablement restituée, avec ses maoïstes, la fac de Nanterre et le cinéma totalement foutraque d'un Godard, diaboliquement intelligent mais un rien fêlé. Tout cela est remarquablement écrit, sans affect, comme si la vie n'avait imprimé aucun jugement sur ce passé.
Ce roman est à conseiller à tous ceux qui aiment le cinéma et pas seulement aux adorateurs du cinéaste suisse. Les autres, à moins d'être des lecteurs assidus du Figaro, n'y verront que le récit plaisant, mais un poil agaçant, d'une jeune bourgeoise dessalée.

dimanche 8 janvier 2012

La colline aux coquelicots de Goro Miyazaki


"La colline aux coquelicots" est le second film de Goro Miyazaki, le fils du créateur des studios Ghibli et le génial réalisateur de "Mon voisin Totoro", "Le voyage de Chihiro" ou "Princesse Mononoké".
Ce long métrage d'animation, si l'on en croit les gazettes, s'est fabriqué dans la douleur. Les rapports père/fils n'étant pas au beau fixe, le père reprochant à son rejeton de n'être qu'un réalisateur sans âme, pas mature. Malgré cette confection empreinte de méfiance, amenant Miyazaki père à envisager le prise des rênes de la réalisation, le film a finalement pu sortir au Japon, signé par le fils et y a remporté un joli succès. 
Adapté d'un shojo (manga pour jeune fille) publié en 1980, "la colline aux coquelicots" nous transporte en 1963 pour nous faire rencontrer Umi, charmante jeune fille, bonne élève et ado modèle, gérant de conserve étude et maison suite à la mort de son père à la guerre de Corée et au départ de sa mère aux Etats-Unis afin d'y terminer des études de médecine. Au lycée, elle rencontrera Shun, jeune homme militant contre la destruction d'un foyer culturel jugé trop vétuste par une administration obsédé de modernité. Leur relation, au départ amicale, se transformera en amour naissant jusqu'à être contrariée par la révélation d'un secret de famille trop mal gardé.
Vous l'aurez compris nous sommes ici très loin de l'univers fantasmagorique de Miyazaki père, bien que celui-ci ait signé le scénario, qui est, il faut bien le dire, ce qui a de plus faible dans ce film. L'histoire est assez mièvre, une véritable bluette aux rebondissements minimes et attendus. Sur une toile de fond historique pas vraiment exploitée, le Japon renaissant après la défaite et préparant activement les J.O. de Tokyo, nous suivons sans grande passion le cheminement des deux adolescents. 
Par contre, j'ai admiré les décors absolument magnifiques dans lesquels Goro Miyazaki fait évoluer ses personnages, chefs-d'oeuvre de précision et de poésie et donnant au film une signature digne des meilleurs films de son père. La bande son, soignée, joli mélange de chansons japonaises des années 60 et de piano romantique accompagne agréablement l'ensemble.
Je ne pense pas que film trouve un énorme public en France. Il ne s'adresse pas du tout aux enfants (qui se sont ennuyés un peu bruyamment lors de la projection), un peu  aux adolescentes fanas de mangas roses. Quant au public adulte, à moins d'être un accro de l'animation, il agacera par son côté gnangnan sérieusement démodé sauf s'il a envie de regarder de belles images colorées. Mais il a peut être passé l'âge...




jeudi 5 janvier 2012

Take shelter de Jeff Nichols

C'est l'histoire d'un brave américain moyen, idéal. Bon père de famille avec une femme adorable et une enfant sourde, il bosse dur avec son meilleur copain. Mais voilà qu'il est la proie de cauchemars terribles, allant jusqu'à le faire uriner dans son lit. Il pressent que ses rêves sont prémonitoires et qu'une catastrophe horrible va bientôt arriver. Il va transformer un abri anti-tempête abandonné au fond de son jardin en super bunker anti cataclysme. En route, de plus en plus broyé par des rêves de plus en plus violents, il va perdre son travail, son meilleur ami et presque sa femme. Puis, un jour, le vent souffle, le ciel se charge de nuages menaçants, des oiseaux hitchcockiens tombent foudroyés. La terrible tempête arrive, les sirènes mugissent, la famille à juste le temps de regagner l'abri...
Raconté comme ça, on pourrait avoir l'impression que l'on a affaire à l'une de ces multiples productions américaines, bourrées d'effets spéciaux et prêtent à retourner les sangs de spectateurs en manque de sensations fortes.
Hé bien, pas du tout mais alors pas du tout, du tout...
Nous avons ici un réalisateur qui prend son temps et nous n'avons pas l'impression d'assister à un clip hystérique. D'ailleurs l'enjeu est bien une tempête, mais pas celle que l'on croit. Il s'agit en effet de celle qui se déroule dans le crâne du héros. Le suspens, créé par une mise en scène magnifique, tourne autour de la paranoïa de Curtis, brillamment interprété par Michaël Shannon. A-t-il vraiment une prémonition ou devient-il complètement fou? Le spectateur est constamment partagé entre le doute et la confiance. Le scénario minutieux ne laisse rien au hasard. On ressent le moindre bruissement de feuille, on s'inquiète du moindre nuage et on est effrayé par tous les cauchemars qui hantent les nuits du héros.
Même si la caméra prend le temps d'ausculter minutieusement la situation pendant deux heures, Jeff Nichols nous balade sans nous ennuyer une seule seconde, maintenant la tension jusqu'aux dernières images d'une beauté et d'une force incroyable.
Ce film a enthousiasmé la critique française, c'est normal. Quand un réalisateur américain inspiré, tout en gardant les codes de son pays, nous envoie un film au rythme européen, on ne peut que se réjouir et nous engouffrer dans les salles dans le secret espoir d'enrayer la machine à produire des daubes ultra-formatées.

mercredi 4 janvier 2012

Formose de Li-Chin Lin

Ce que je trouve formidable avec  le roman graphique, c'est qu'il me permet de lire sur des sujets que je n'aurai pas forcément eu l'envie d'explorer sous la forme classique du livre/document. Ainsi beaucoup d'auteurs nous donnent des nouvelles du monde de façon plaisante mais non simpliste (Guy Delisle, Charles Manson, Marjane Satrapi en sont les parfaits exemples) avec un bonus non négligeable : le dessin qui permet d'exprimer de façon plus frappante toute la gamme des sentiments et des émotions.
Avant la lecture de "Formose", je n'avais, je l'avoue, qu'une idée vague de l'histoire de Formose et de la vie qui s'y écoule, pas aussi paisible que pourrait le laisser penser le peu d'informations qui nous parvient de nos médias auto-centrés.
Le livre de Li-Chin Lin nous permet de compléter durablement notre connaissance de ce pays plus connu sous le nom de Taïwan. Il faut dire que l'histoire de cette île est un peu complexe. Peuplée au départ d'aborigènes, puis colonisée par les portugais, les hollandais, les chinois, puis plus récemment par les japonais qui, en 1945, suite à leur défaite, la cèdent de nouveau à la Chine, pour finir de base de repli aux chinois opposants à Mao en 1949. Toutes ces colonisations successives, avec les répressions qui vont avec, donnent une population tiraillée entre plusieurs cultures et subissant un endoctrinement quotidien.
Tout cela nous est raconté dans "Formose" sous la forme des souvenirs d'enfance et d'adolescence de l'auteur. Même si, parfois, j'ai été un peu perdu dans ce tourbillon d'informations politico-sociologiques quelquefois absurdes (la culture japonaise et sa langue sont honnies, mais il existe des bibliothèque de prêts de mangas), l'auteur arrive à nous faire partager ses colères, ses doutes et ses combats. Son dessin faussement naïf apporte à sa narration à la fois une certaine fraîcheur bienvenue dans ce monde taïwanais formaté mais aussi une illustration parfaite de sa révolte face aux contradictions de son pays. Li-Chin Lin est très dure envers son pays natal et on comprend très bien qu'elle ait eu envie de le quitter pour des contrées plus démocratiques. Elle vit maintenant en Europe, en France très précisément où elle continue d'exercer son regard aiguisé. Les quelques pages qu'elle consacre à sa vie en terre européenne sont toutes aussi mordantes que celles réservées à Formose, égratignant subtilement le pays des droits de l'homme et la soi-disant terre de tolérance que devrait être la Suisse.
Cet album, édité chez Ca et là, est une jolie surprise dont le côté un peu maladroit de la mise en page est largement compensé par un propos fort et intelligent. A découvrir.
PS : Si par bonheur, vous devez lire cet album, sachez qu'un résumé historique est proposé dans les dernières pages ( au début aurait été plus judicieux). lisez-le avant dde vous embarquez pour Formose. Votre lecture en sera plus facile et agréable.

lundi 2 janvier 2012

Limonov d'Emmanuel Carrère

Profitant de quelques jours de vacances, j'en ai profité pour me plonger dans ce qui semble être le roman de la rentrée, plus fort que le Goncourt et le Médicis réunis, je veux parler de "Limonov" d'Emmanuel Carrère couronné du prix Renaudot.
Sauf si vous habitez au fin fond de la Sibérie ou si la littérature ne vous intéresse pas, vous savez déjà que l'auteur de "La classe de neige" et de "L'adversaire", nous propose cette fois-ci un portrait d'Edouard Limonov,     homme pas tout à fait sympathique, à la fois auteur russe underground, homme politique (?) aux idées ambigües et personnage évidemment romanesque.
Ce livre, très facile d'accès grâce à une écriture légère et précise, n'est pas vraiment un roman, mais pas non plus une biographie au sens habituel du terme. Emmanuel Carrère profite de la vie de Limonov pour nous retracer cinquante ans d'histoire russe de 1942 à aujourd'hui. C'est complètement passionnant, même si cela passe par moment par le prisme de son héros, qui fréquente plus les bas fonds que le pouvoir, assez facilement des généraux infréquentables et des intellectuels aigris. L'auteur nous balade d'une banlieue sordide ukrainienne, au Moscou bohême des années Brejnev, puis l'exil dans les bas-fonds new-yorkais dans lesquels Limonov sera tout à tour clodo, dragueur de grands blacks gays, majordome et j'en passe. Puis ce sera le Paris des années Palace et de l'Idiot international de Jean Edern Hallier pour revenir en Russie après un détours par le conflit serbo-croate. On ne s'ennuie pas un instant et en plus tout cela nous remet en mémoire des noms, des événements que j'avais, pour ma part, un peu oubliés.
Et puis, s'ajoute à cela, Emmanuel Carrère, qui, comme dans ces derniers ouvrages, est très présent dans le livre. Il nous parle de lui, de sa mère, grande spécialiste de la Russie et même son père est évoqué, pour la première fois je crois. Si dans "Roman russe", il apparaissait sous un jour plutôt déplaisant et dans "D'autres vies que la mienne" il éclairait une partie plus solaire de sa personne, ici, dans "Limonov", il semble plus tourmenté (normal me direz-vous pour un livre qui parle de la Russie). J'ai l'impression qu'au milieu de ses projets littéraires ambitieux, il essaie, en creux de nous parlait de lui, comme s'il avait des comptes à régler avec les siens, son passé, sa vie. Je me trompe peut être, mais je le sens comme un peintre pointilliste. Son portrait est à peine commencé, nous n'avons droit qu'à quelques points de-ci, de-là, mais ses prochains ouvrages risquent de compléter un peu plus le tableau, jusqu'à délivrer une photo plus nette de sa personne.
Quoiqu'il en soit, on sent qu'Emmanuel Carrère éprouve une fascination trouble pour Limonov et qu'il sait parfaitement nous la faire partager au travers d'un livre hautement recommandable.