dimanche 29 décembre 2019

La vérité de Hirokazu Kore-Eda


On imagine sans mal que cette coproduction franco-nippone relève plus d'un deal entre producteurs que de l'oeuvre mûrement réfléchie. Un palmé de Cannes, deux stars françaises quasi internationales ( trois, si on ajoute Ethan Hawke) et voilà un film bankable ! Grâce à Juliette Binoche, qui a beaucoup donné pour la promo, on sait que Hirokazu Kore-Eda ne parle pas français et que tout le monde a été dirigé en recourant aux services d'un(e) interprète ( et peut être en anglais). Comme le film fut tourné dans  la langue de Molière, on peut penser que le réalisateur possède une oreille ultra sensible...
Le résultat n'est sans doute pas du même niveau que les précédents longs-métrages du maître japonais, mais possède une petite musique personnelle qui peut plaire. Son premier atout, indubitablement, est l'interprétation de Catherine Deneuve. Dans ce film automnal ( et peut être accentué par la récente maladie de l'actrice), la fiction créée à partir de la vie d'une comédienne  japonaise semble vraiment taillé pour elle, voire par elle tellement tout sonne vrai dans sa bouche, dans ses gestes, sa démarche. Là, Kore-Eda joue subtilement avec le spectateur tout comme avec l'image de la star. C'est un drôle de jeu de la vérité où le possible, le faux, le vrai se mêlent avec malice. Rien que pour ce portrait et Deneuve, le film mérite d'être vu. Face à elle, Juliette Binoche est très bien comme d'habitude, malgré un traitement plus terne de son personnage, Ethan Hawke est là... pour ...on ne sait pas bien pourquoi car il joue les potiches. Les seconds rôles sont attachants ( Alain Libolt surtout mais aussi Manon Clavel dont la voix grave pourrait faire fureur très vite) et donnent un peu de punch à un film un poil anémique, desservi par un scénario dont le thème  rappelle " Sonate d'automne "  de Bergman ....mais sans la violence. Ici, mère et fille se lancent des vacheries sur un mode très feutré, y répondent avec le sourire et sans s'énerver une seconde.  Très nippon sans doute, reposant par rapport à un cinéma qui mise souvent sur la violence mais qui déroute un peu. Autre petit reproche. Kore-Eda, sans doute bien occupé par son écoute attentive de nos deux stars féminines ( qui ont dû y mettre beaucoup de leur talent), a oublié de peaufiner sa réalisation qui ne brille pas beaucoup, passant parfois pour un petit film de télévision.
Au final, le film restera pour la performance d'une Catherine Deneuve que l'on n'avait pas vu aussi impeccable depuis longtemps ( ok elle est plus facilement crédible que quand elle joue un juge pour enfant ou une ouvrière)  jouant, gourmande,  avec son image. Sinon, pas grand chose de nouveau dans cette coproduction...






vendredi 27 décembre 2019

Le lac aux oies sauvages de Diao Yinan


Ne vous fiez au titre évoquant un lieu sans doute idyllique, mais au tour de ce lac aux oies sauvages s'agitent une faune qui ne ressemble en rien à de gentils vacanciers prenant le soleil au bord de l'eau. Certes on trouvera quelques "baigneuses" ( avec grand chapeau blanc) mais elles sont là pour donner quelques plaisirs moyennant quelques yuans ( mais sans avaler ). Et les yuans ont une certaine importance ici, puisqu'ils se comptent par cent mille pour celui qui permettra l'arrestation d'un certain Zhou Zenong, malfrat ayant eu le malheur d'abattre un policier local lors d'un affrontement avec une bande rivale. Et comme nous sommes en Chine, on ne badine pas avec la moindre rébellion surtout quand celle-ci s'est frottée avec les forces de l'ordre. Donc, autour de ces eaux ( assez sombres) vont se croiser policiers (très très nombreux), malfrats des deux gangs locaux et deux jeunes femmes aux visages impassibles mais sans doute aux desseins pas si clairs que ça.
La clarté n'existe pas ici. Le film joue uniquement avec la nuit ( qu'éclairent des néons ou des produits lumineux clinquants  produits à la chaîne ) et la noirceur des sentiments de tous les protagonistes. Visuellement parlant, chaque plan est d'une cinématographie époustouflante, cadré avec une grâce certaine. Même un plan banal de deux personnes sur une barque ou courant dans une ruelle montre un talent de composition évident. Mais le scénario, trop ténu, au rythme nonchalant, voire prévisible, n'est pas à la hauteur. Malgré la beauté de l'ensemble, on peut trouver le temps long, se perdre face aux différents  personnages. On appréciera toutefois les petites annotations discrètes sur une réalité sociale chinoise assez glaçante ou sur l'importance des smartphones ou les quelques légères allusions à un cinéma populaire ( film de baston, de sabre) voire à Wong Kar Wai pour l'indolence et la précision.
Alors, si une belle balade policière bien sombre vous tente, si l'aspect plastique est plus important que l'action ou l'intrigue, ce "lac aux oies sauvages" vous plaira. Les amateurs d'action ou d'intrigues bien fichues resteront sur leur faim... ( de toute façon, l'oie sauvage, une fois cuite, c'est vraiment dur ! ) .


lundi 23 décembre 2019

Issue de secours de Fabienne Pascaud et Jean-Michel Ribes



Jean-Michel Ribes dirige le théâtre du Rond-Point à Paris depuis 2002.
Dans le théâtre du Rond-Point, il y a une jolie librairie Actes Sud.
Depuis quelques années, Fabienne Pascaud, directrice de la rédaction de Télérama, interview sur la scène du théâtre du Rond-Point les acteurs culturels du moment.
Cet automne paraît un beau livre de Fabienne Pascaud ( pour le texte) et de Jean-Michel Ribes édité chez Actes Sud...
Copinage ?  Compagnonnage ? Réseau amical ? Un peu de tout cela ( mais pas que...) nous permet donc de parcourir un demi-siècle du parcours inventif, drôle, irrévérencieux et iconoclaste du créateur ( entre autre) des " Fraises musclées", de " Palace" ou des "Brèves de comptoir". 
L'homme force la sympathie car créatif, mordant et libre. Le texte de la tintinnabulante Fabienne Pascaud ( il faut la voir, l'entendre, interviewer avec ses kilos de bracelets dorés autour de ses avant-bras...) déroule un tapis de louanges et de sympathie au metteur en scène. Il n'y a que la partie cinématographique qui échappe un peu aux dithyrambes d'un texte réellement admiratif ( difficile de faire autrement à part " Musée haut, Musée bas"). Le plus important reste évidemment la carrière théâtrale de Jean Michel Ribes ( celle de ses incursions à la télévision est également loin d'être négligeable) et le livre égrène un à un les spectacles qu'il a écrits, créés ou mis en scène, avec photos, petits textes et saillies de l'auteur ( verbales, je vous rassure). Les passionnés de l'artiste parcourront ces pages avec nostalgie et émotion, voyant surgir des ac-trices-teurs aimés, fidèles à l'homme de théâtre ( de Tonie Marshall à Chantal Neuwirth, de Roland Blanche à Ged Marlon). Ceux qui n'ont pas eu la chance de découvrir les spectacles s'accrocheront plus aux souvenirs qu'ils gardent de " Merci Bernard" ou de "Palace". 
Ce bel album, presque de famille, permet de (re)découvrir l'homme qui a consacré sa vie au théâtre contemporain ( Le Rond Point ne présente que des pièces d'auteurs vivants) mais aussi, un homme d'esprit dont les réparties sont un régal.  Elles sont innombrables dans le livre ( et pas que de Jean-Michel Ribes) et rendent la lecture fort ludique . Par exemple, face à des catholiques intégristes, venus crier au blasphème devant le théâtre ( et même menacer de mort !) à cause d'un spectacle de l'hispano-argentin Rodrigo Garcia, il leur rétorque : " Je ne vous empêche pas de croire, alors ne nous empêchez pas de penser!". Mais il était aussi capable de remarques plus artistiques : " Est-ce que les arbres étaient beaux avant que Corot les ait peints?"  ou définissant bien ses intentions :" Les gens se dérangent pour venir au théâtre, la moindre des choses c'est qu'on les dérange à notre tour.".
Au final, même si le texte évite l'intime et braque les projecteurs sur l'homme de spectacle, le directeur de troupe et de théâtre, l'écrivain, le créateur et l'humoriste cherchant toujours une issue de secours à ses angoisses, on ne peut qu'éprouver un réel sentiment d'admiration face à ce parcours hors norme. Ce bel album, qui s'adresse surtout aux passionnés de théâtre, apparaît comme un hommage vibrant et communicatif.
Merci aux éditions Actes Sud et à BABELIO pour la découverte de ce bel ouvrage. 

samedi 21 décembre 2019

The Lighthouse de Robert Eggers


On dit le cinéma américain, même l'indépendant, totalement formaté...pourtant, il existe une zone peuplée d'irréductibles réalisateurs qui résistent encore et toujours à l'uniformité. Cet espace de production se repère sous le sigle A24. Il regroupe quelques cinéastes qui proposent des longs-métrages assez barrés, ayant souvent bien assimilés les codes de l'horreur ou du fantastique pour mieux les détourner et les intégrer dans des fictions franchement originales. Ils se nomment Davis Robert Mitchell ( "Its Follows", "Under the Silver Lake"), Ari Aster ( et sa formidable deuxième proposition "Midsommar") ou Robert Eggers dont le second film, "The Lighthouse"  sort cette semaine sur les écrans. 
Sans doute plus hermétique que les numéros deux des ses confrères cités plus hauts, " The Lighthouse" n'en reste pas moins l'objet cinématographique le plus original que l'on puisse voir en ce moment. Dans un noir et blanc rappelant le naturalisme allemand d'un Murnau, à la fois sombre et charbonneux et dans un petit format coinçant, étouffant, les personnages comme dans un piège, le film, dont l'histoire se résume à l'affrontement de deux hommes alcoolisés bloqués dans un phare en pleine tempête, explore les zones d'ombres de cerveaux  qui sombrent dans la folie. Le récit essaie de jouer la carte du trouble, autant sexuel ( le phare comme symbole phallique, Robert Pattinson comme objet sensuel) que  scénaristique ( on se sait jamais trop si c'est un rêve, une réalité, les sensations déformées des personnages). Evidemment, on peut se sentir perdu, laissé au creux des rochers ( inconfortables car balayés par les assauts d'une terrible tempête), crispé par une bande musicale entre grincements et sirènes de bateau ou terrassé d'ennui par cet ouragan de symboles, de folie furieuse, de violence verbale ou physique mais le film possède deux atouts majeurs qui le sortent du lot. Les performances des deux acteurs sont impressionnantes, surtout celle de Robert Pattinson, incroyablement dément, perdu, bouillonnant d'une colère rentrée mais aussi la mise en scène, en images, nous offre des plans d'une beauté saisissante, transformant la violence ambiante en des tableaux à la poésie noire et dérangeante. Ne manquez pas, à la toute fin, deux plans sidérants de Bob Pattinson : l'un n'a rien à envier au "Cri" de Munch et l'autre que l'on pourrait appeler " Nu aux mouettes" ... Je dis "ne manquez pas", car, il faut l'avouer, ce séjour dans ce phare n'est ni une partie de plaisir, ni complètement réussi, ni totalement passionnant d'un point de vue narratif et peut engendrer l'ennui voire le sommeil ( oui, oui, malgré la fureur étalée à l'écran). Il faut juste le considérer comme l'oeuvre d'un artiste contemporain, aux visions particulières, qui réussit à créer un univers un peu hermétique à la beauté étrange mais qui offre des moments qui s'impriment à jamais dans le cerveau du spectateur. Et rien que pour ça, l'expérience peut se tenter. 




jeudi 19 décembre 2019

Manuel d'éducation punk /La magie de Noël de Miriam et Ezra Elia


Les fêtes de fin d'année approchent et il vous tarde qu'elles soient passées. Pourtant, il vous faudra bien sacrifier à quelques rites consuméristes ou religieux, tout le monde se sentant obligé de  participer à ce déluge de cadeaux, repas, décorations lumineuses et scintillantes et de fausse bienveillance pour célébrer ce non moins factice "Esprit de Noël". Sauf à avoir une réelle misanthropie, il est bien difficile d'échapper à cette tradition...
Pour mettre un grain de poivre à votre Noël, voici le livre idéal qui vous donnera un réel plaisir d'offrir et, selon à qui il sera destiné, une joie certaine de recevoir...heu ... peut être pas... Une chose est sûre, il s'intégrera sans mal aux conversations autour de la dinde entre Roman Polanski et la réforme des retraites, soit parce qu'il fera vraiment sourire et rire, soit parce qu'il scandalisera... Avouez que les deux options sont aguichantes ... non ?
Avant de vous précipiter dans une bonne librairie ( Attention, il peut être difficile à trouver ...), de quoi s'agit-il au juste ? Le livre se présente comme une méthode pour apprendre à lire ...donc destinée aux enfants... Pour vous donner une idée de la méthode, regardons la première double page.


Sur la page de droite, une jolie illustration très vintage, avec une maman souriante et ses deux enfants, un garçon et une fille qui lui donnent la main. Ils sont dans une rue enneigée et semblent aller faire du lèche-vitrine. Sur la page de gauche, une phrase, simple ( normal pour débuter) : " C'est Noël et nous sortons acheter des cadeaux". Banal me direz-vous, où est l'humour ? Patience ...  Arrêtons-nous toutefois sur cette première phrase qui grince quand même un peu. On sent que derrière le sourire de façade de cette maman se cache une progressiste qui refuse de faire croire au Père-Noël, sinon elle ferait ses achats toute seule... Là où ça se corse un peu, c'est en bas de page ( on voit mal sur la photo). Ca s'intitule : "nouveaux mots" ( donc le résumé de cette première leçon) et dessous on lit : crédit débit manie. Sentez-vous le sale esprit de Noël qui vient ? Le reste, je vous le laisse découvrir mais sachez que ça dézingue fortement. La mère est une révolutionnaire qui lit Naomie Klein, un peu bobo,  pleine de bonnes intentions ...qu'elle ne tient pas vraiment. Le Père-Noël est le prototype du mec libéral américain. Bible en main, il a ubérisé ses rennes et "diversifie son image pour mieux pour toucher une clientèle plus durable".... Humour ultra décapant qui déconstruit sérieusement le mythe des fêtes de Noël. C'est tout simplement réjouissant car, derrière l'humour et la dérision, se cache des abîmes de réflexions.
Ce petit livre, format poche, est le quatrième d'une série débutée en 2018 ( chez nous) mais en 2014 en Angleterre son pays d'origine. On pourra regretter le titre français, un peu lourdingue ( le mot punk, démodé désormais, s'allie mal avec le contenu et peut faire fuir) alors que l'édition originale joue la sobriété ( "We do Christmas"). Mais, avec un prix de 8 euros, voilà le cadeau idéal et économique pour un iconoclaste qui subit cette sirupeuse tradition de Noël.
Et pour le plaisir une autre photo...



mercredi 18 décembre 2019

Notre dame de Valérie Donzelli


Les amoureux de la cathédrale iront verser sans doute une larmichette nostalgique devant ce film qui a eu la chance pouvoir être tourné juste avant l'incendie. Ils s'y reconnaîtront peut être à un moment donné .... défendant l'intégrité historique du lieu face à l'outrecuidance d'une architecte moderniste.
Mais rassurez-vous, "Notre Dame" a le bon goût de ne pas tomber dans l'ampoulé ou le grandiloquent ...c'est même tout le contraire. Valérie Donzelli essaie de continuer à entretenir ce qui a pu faire son charme à ses débuts, cet esprit potache, un peu pied-de-nez mais empreint de poésie. Alors, elle s'autorise un peu tout, du rebondissement merveilleux aux acteurs qui poussent la chansonnette, une scène en 2D numérique à un arrière plan en proie aux dérèglements climatiques. L'histoire reste sympathique mais manque sérieusement de mordant. Certes on y trouve quelques clins d'oeil politiques mais toujours sur un mode gentil qui parfois frise ou le cliché ou l'optimisme facile. Le film se regarde avec plaisir, on s'y sent bien pour peu que l'on soit réceptif aux tentatives de sortir de la comédie formatée habituelle. On se laisse aller au jeu, porté par une bande de comédiens épatants ( Thomas Scimeca et Claude Perron en tête, cette dernière dans un numéro formidable d'avocate dingue) qui volent parfois la vedette à Valérie Donzelli, gentille mais un peu terne. On voit bien qu'elle a envie de donner une aura à son personnage un brin lunaire, mais il ne suffit pas d'une expression douce et de la même robe écossaise, pour créer un vrai personnage ... 
Si l'envie de revoir Notre dame entière, si la poésie et un peu d'absurde ne vous rebutent pas, si vous avez envie de supporter un cinéma qui tente l'originalité, "Notre Dame" est pour vous, pas un chef d'oeuvre mais un petit ovni, sans doute plus original que "Star wars", devant lequel on ne se sent pas si mal ! C'est déjà ça. 


lundi 16 décembre 2019

L'oeil du paon de Lilia Hassaine


La rentrée "Premier roman" de chez Gallimard, après le moyennement réussi Joffrine Donnadieu, persiste dans les récits bancals.
"L'oeil du paon", de la désormais chroniqueuse médiatique de l'émission "Quotidien", ne manque pourtant pas d'ambitions. Débutant dans une île de l'Adriatique, avec un père, Adonis, une fille, Héra et Titus, un paon, il lorgne vers la mythologie grecque et se dirige vers la tragédie, puisque le paon meurt dès les premières pages. Mais nous sommes au 21 ème siècle et Héra sera envoyée par son père découvrir le monde à Paris. Le récit initiatique s'engage... deuxième ambition, ici mâtinée d'une sorte de suspens psychologique puisque la jeune ( et forcément belle) Héra vivra chez une tante très froide, shootée au Lexomil et dont le mari est souvent absent.  Heureusement , le petit garçon du couple, Hugo ( comme Victor sans doute puisque le livre cherche à jouer les références...même si ici le clin d'oeil n'est pas certain) se prendra d'affection pour sa cousine. Mais le suspens psy fait long feu pour finalement s'intéresser à l'entrée de l'héroïne dans le monde de la jeunesse parisienne, toujours noctambule. A la suite de Gabriel ( l'instit d'Hugo), un véritable ange .... un peu ambigu quand même... Héra découvrira le monde dont le secret du mari de sa cousine qui la scandalisera beaucoup ( un rebondissement mal amené et encore plus mal utilisé), premier élément du thème de la deuxième moitié du roman : l'envers des apparences.
Certes tout cela est ambitieux mais assez mal construit et surtout écrit platement. Nous sommes plus près du gnangan d'Agnés Martin-Lugand que de l'intelligence d'une Annie Ernaux ou, plus proche générationnellement de l'auteure, d'une Leïla Slimani. Les clichés abondent, les rebondissements inattendus n'estomaquent que l'auteure car amenés dans grâce et, pour retomber sur ses pieds, brode un final tragique qui nous indiffère.
Parler des apparences, sujet actuel ô combien pertinent,  montrer les zones grises de chacun,  pouvaient faire un beau et bon roman. Hélas, les personnages restent trop stéréotypés pour être attachants ou nous surprendre, et au final indiffèrent... comme le roman d'ailleurs qui manque vraiment de verve et de profondeur. 

vendredi 13 décembre 2019

La vie invisible d'Euridice Gusmào de Karim Aïnouz


(Très beau) mélo pour Noël.

Le mélo est un genre qui se fait relativement rare sur les écrans, l'industrie cinématographique gagne plus avec de  l'évasion dans les bras de superhéros ( made in USA) ou du divertissement censé amuser ( comédies made in France). Le genre mélo a un peu vieilli, les larmes ne sont plus à la mode! Et voici que surgit, venu de très loin ( le Brésil) un mélo imparable et très réussi. 
"La vie invisible d'Euridice Gusmào" possède tous les codes du genre : des destins brisés ( ici de deux soeurs fusionnelles), des héroïnes qui subissent, des histoires d'amour malheureuses et surtout un final qui force les mouchoirs à sortir de la poche, la salle reniflant et sanglotant de conserve. Cependant, un mélo avec toute la panoplie des élément à émouvoir, ne fait pas nécessairement un bon film. Force est de reconnaître qu'ici, Karim Aïnouz, le réalisateur, déjoue avec subtilité les pièges du récit larmoyant en y instillant un réel discours sur le sort de la femme ( ici des années 50) face au patriarcat dominant. Que ce soit au Brésil ou ailleurs, la femme se soumettait à l'autorité du père puis du mari, gare à celles qui sortaient de ce schéma ( à l'instar de Guida...même si Euridice, bien dans le rang, morfle aussi, devenue invisible parce que cantonnée au foyer)! Le film donne à voir des moments que la jeune génération n'a pas dû connaître. Du viol marital lors de la nuit de noces au rideau de fer qui tombait devant les femmes lorsque un (mal) heureux événement était annoncé, tout est relaté avec force et finesse. Et grâce à son côté naturaliste très travaillé ( autant par l'image que par la bande son jouant sur l'amplification de certains bruits), le cinéaste ose beaucoup de choses ( des scènes de sexe assez crues), n'hésite pas à nous montrer un pénis en érection ou l'importance du bidet ( C'est quoi ça ? interroge la jeunesse)  dans la vie des femmes. Le récit aurait pu sombrer dans les clichés les plus niais, alors qu'il devient au fur et à mesure qu'il avance, subtilement politique tant il nous renvoie au Brésil d'aujourd'hui en proie à ces deux catastrophes que sont le gouvernement populiste de Bolsonaro épris du conservatisme le plus rance, plaidant un retour du patriarcat, aidé par les évangélistes dont le but principal est le gain. Si ce n'est quelques ralentis un peu too-much, le récit prend le temps de nous faire aimer ces héroïnes pour mieux nous amener à un final très émouvant dont la simplicité de la mise en scène se révèle diablement efficace pour faire jaillir les larmes. 
Alors, en décembre, plutôt que les engins spatiaux d'une énième resucée de quelques guerres des étoiles, plutôt qu'une reine des neiges mièvre à pleurer, choisissez une escale au Brésil ( A  Rio, elle aussi filmée loin des clichés) et les belles émotions d'un très joli mélo ...genre dont on dit qu'il refleurit en temps de crise... Comme nous sommes en crise, on risque d'en voir déferler beaucoup... Pourvu qu'ils soient tous de cette trempe là ! 



mardi 10 décembre 2019

Giono, furioso de Emmanuelle Lambert


A l'aube du cinquantième anniversaire de sa mort, Jean Giono, revient en force, pointant le nez d'un purgatoire littéraire dans lequel on le laissait un peu croupir. Le MUCEM de Marseille le célèbre avec une grande exposition  et sa commissaire, Emmanuelle Lambert, se voit décerner le Fémina 2019 du meilleur essai, pour son flamboyant ouvrage sur celui qui pâtit de l'image un peu fausse d'un écrivain provençal à la Pagnol.  
Se plonger dans "Giono, furioso", même si on ne connaît que peu l'auteur du " Hussard sur le toit" , c'est ressentir le mistral des mots qu'une auteure totalement inspirée, emportée par son admiration  vous offre avec passion. Et même si vous n'avez jamais posé vos yeux sur un roman de Giono, il serait étonnant qu'une fois cet essai refermé vous ne fonciez vous plonger dans "Un roi sans divertissement" ou "Un de Beaumugne", tellement la fougue et l'intense envie de partage qui émane du livre est communicative. Il faut dire qu'Emmanuelle Lambert, en plus d'être totalement passionnée par son sujet, envoie valser les conventions du genre. Son livre est un essai mais métissé d'une biographie et de tout un tas de considérations personnelles, parfois autour de l'air du temps qui donnent à un sujet que l'on aurait pu penser très académique, une légèreté formidable. Elle fouille les archives, lit tout ( et quand on voit la quantité des écrits, c'est une performance), interroge les  descendants, interpelle Giono, le sermonne, interprète sa production, glisse des anecdotes, se confronte à son passé ( autant l'enfance que la zone grise de l'occupation), à l'aigreur de son journal, ausculte sa sexualité...et de pages en pages nous le rend de plus en plus vivant, de plus en plus complexe, de plus en plus intéressant. Elle interroge aussi l'image qu'il véhicule, nous parle de celle qu'elle avait de lui avant qu'elle ne soit plongée dans la préparation de l'exposition et de ce livre... et nous engage à nous poser cette même question : "Et pour vous, c'est quoi Giono ? ". 
Oui, pour moi, c'est quoi Giono ? La question est intéressante, car , j'ai eu, jusqu'à peu, une image assez banale de cet auteur. Tout d'abord, je n'avais jamais lu Giono ! Au lycée, aucun prof ne me l'avait présenté ( pas même un extrait du Lagarde et Michard de l'époque) et ensuite, il fut victime des adaptations cinématographiques Pagnolesques, le rangeant dans mon esprit pour un écrivain provençal très académique ( comme le fut Pagnol). Et puis, les hasards de la vie font que l'ami de ma fille cadette se mette à écrire un mémoire sur Giono... Evidemment, ne l'ayant jamais lu, et pour pouvoir entretenir d'intéressantes conversations, j'ai, cet été, sur son conseil, ouvert " Un roi sans divertissement". Et donc, une après-midi d'août, sur une plage girondine, j'ai ouvert ce Folio qui m'a littéralement scotché sur le sable ! Oubliés l'Atlantique, les vagues et les touristes allemands jouant aux raquettes, j'ai été transporté dans un village perdu quelque part en Isère... Quel style, quel regard sur les hommes et surtout quelle modernité dans la construction et l'écriture ! Un choc, une découverte, qui fait pâlir la plupart de nos écrivains contemporains ! Voilà, j'avais ( mieux vaut tard que jamais ) rencontré un des grands auteurs français !
Et pour revenir à l'essai d'Emmanuelle Lambert, il est certain qu'il saura vous (re)conduire direct vers les ouvrages de Giono, car sa force de conviction, celle émanant d'une amoureuse et d'une passionnée qui sait être simple mais poétique, enflammée et littéraire, est hautement communicative. Les dames du Fémina ont décidément très bon goût ! 

lundi 9 décembre 2019

Merry Queermas

Il est fini le temps des chanteurs à minettes qui, en secret,  préféraient les minets. Je parle là d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, ni les moins de trente et quarante ans puisque mon esprit se rappelle les joyeuses années soixante-dix où des jeunes filles se pâmaient en écoutant Dave ou Patrick Juvet. Le commerce de la musique, libre à l'intérieur, restait nettement moins transparent niveau sexualité affirmée. Un demi-siècle plus tard, les choses ont enfin évolué et chanteurs et chanteuses parlent (pour la plupart) de leur sexualité. Ainsi, cette semaine, Hoshi, dont la marinière avait cartonné l'an dernier, nous fait un coming-out des plus militants avec ce titre ( bien dans la lignée de ses précédents), " Amour censure ( amour sincère)". Bien écrit, courageux, on espère pour elle qu'il rencontrera le même succès que son Tshirt rayé !


Cet esprit d'ouverture, cette transparence, à l'abord d'une nouvelle décennie, semble vraiment de mise dans cette nouvelle génération de chanteur(se)s. Prenons, Mélodie Lauret, comédienne mais désormais chanteuse, dont le premier EP " 23h28" vient de paraître. Sur le titre de l'album, elle nous offre un clip sans équivoque, histoire d'amour entre filles, slamée d'une jolie façon. 



Moins flagrant, mais tout aussi explicite, la chanteuse Billie Bird, avec sa belle voix grave ( quelques singles et un EP paru en 2018) nous offre cette semaine  aussi une très jolie reprise de "Sans contrefaçon" de la reine française du trouble sexuel, dont le clip se situe dans un karakoé à l'ambiance résolument queer. 


Le courage de la vérité ne serait-il que l'apanage des filles, que l'on sait plus courageuses au final ? Peut être... Mais, quelques garçons, à l'instar Emmanuel Moire ou de Bilal  Hassani il y a quelques mois, osent afficher leurs préférences...parfois de façon un peu outrée ( façon cage aux folles branchée) comme Igor Dewe, dont le nouveau titre " Using my body", explicite mais résolument  dansant, joue à fond la carte gay. 



Pierre Lapointe a toujours écrit des textes assez explicites quant à ses choix amoureux, mais jusqu'à présent, ses clips restaient assez sages. Cette semaine, il publie un clip franchement libéré de tout complexe sur le titre le plus dansant de son dernier album "Le monarque des Indes", chanson dont on sent bien la patte d'Albin de La Simone qui l'a produite... et comme d'habitude une merveille d'écriture et de composition ! 



Et pour terminer, parce que c'est Noël bientôt, Katy Perry ! Sympathisante gay, elle affirme très joliment son hétérosexualité ( il en faut aussi) en draguant ouvertement un Père-Noël dans son très coloré clip ( on sent qu'elle a les moyens elle !) qui vient d'être lancé sur le net ( on frisera sans doute le milliard de vues!) sur une chanson publiée l'an passé ( mais exclusivement sur Amazon) :"Cozy Little Chritsmas".




   

samedi 7 décembre 2019

It must be heaven de Elia Suleiman


Drôle de guerre

" It must be heaven",  film produit par une floppée de pays ( Qatar, Allemagne, Turquie, Canada, Palestine et, bien entendu, la France ) n'en demeure pas moins un film palestinien de part la nationalité de son réalisateur Elia Suleiman. Par contre, son regard si singulier, son sens de l'absurde ne sont peut être pas issus de quelques poétiques locales mais sans doute d'un esprit original qui confine à l'universel. 
C'est vrai que lorsque l'on parle de Palestine, on pense conflit, pays en guerre, comme le dit d'ailleurs un producteur rencontré au cours du film par le héros qui n'est autre que le réalisateur. Comme le scénario proposé n'est pas assez ancré dans cette réalité guerrière, il le refuse : pas assez vendeur !
Pourtant, sans l'ombre d'une violence ( sauf sous-jacente), avec une poésie infinie proche de l'absurde parfois, le film au final ne parle que de ça....de la guerre... En Palestine sous les traits d'un supposé voisin qui envahit le jardin du réalisateur... alors que si les militaires font leur boulot, c'est avec des envies autrement plus futiles. Puis, ailleurs, à Paris, musée dépeuplé mais envahi d'engins militaires ou de personnes en uniformes, on défile de façon martiale que ce soit sur les Champs Elysées ou sur les podiums de la fashion-week. Même dans des lieux plus calmes comme le jardin du Luxembourg, les chaises mises à disposition pourraient bien finir par devenir des prétextes de conflit. Ne parlons pas de New-York et de sa population armée et de ses policiers traquant un ange... 
Mais ce qui fait la force du film et sa très grande originalité, c'est sa mise en scène à nulle autre pareille. Elia Suleiman compose à l'écran un promeneur solitaire et observateur du monde. Il occupe  le centre de l'écran, dans une image au cadre précis et géométrique. Clown chapeauté aux mimiques minimes, il nous donne à regarder comme rarement. On se laisse aller à sa poésie, à sa drôlerie tendre mais non exempte d'une cruauté que l'on pourrait étrangement qualifier de douce. Son cinéma prend le temps de l'observation, surprend à chaque scène, impose ludiquement la réflexion, bien mieux que mille exposés ardus, prouve que parfois la guerre inspire la poésie. Et quand il revient chez lui, à Nazareth, face à cette jeunesse qui danse, est-ce de l'insouciance, un avenir auquel on peut espérer ou une façon d'évacuer la guerre ? On reste sur cette interrogation. 
Par contre, s'il y a une interrogation que l'on n'aura pas, c'est certainement celle que l'on tient là le film le plus doux, le plus original, le plus réussi de ce mois et qu'il est indispensable de voir. Quel plaisir de rencontrer un  créateur original, accessible ! 
PS : Pourquoi avoir gardé le titre en anglais ? C'était joli aussi en français : " Ca doit être le paradis"...






vendredi 6 décembre 2019

Made in Bangladesh de Rubaiyat Hossain


Bon pour l'empreinte carbone.

La France se targue d'être un des seuls pays au monde où l'accès à des cinématographies rares ou peu diffusées reste accessible au plus grand nombre. Cette affirmation est vraie en très grande partie. Ainsi, cette semaine pour peu que vous habitiez dans ou à proximité d'une ville française un peu importante, le bon cinéma d'art et essai du coin vous propose un film de Bangladesh, occasion rare de se payer un petit voyage d'une heure et demie à peu de frais ( c'est bon pour l'empreinte carbone et le compte en banque). De plus, s'intéresser à un récit sur le combat d'une femme contre une de ces abominables usines de textile de sinistre réputation, donne un net supplément d'âme militant. Donc " Made in Bangladesh", avec son dépaysement plein de belle et bonne conscience est la parfaite alternative à votre sortie cinéma de la semaine ( vous faisant snober avec raison l'épouvantable et vieillissant duo Bruel/Lucchini qui lorgne sur votre CB avec une insistance trop lourde pour être réellement honnête). 
Mais, le combat fort sympathique de cette jeune femme en voie de libération, future syndicaliste,  emporte-t-il pour autant une totale adhésion ? Tout d'abord, et désolé de casser le mythe de l'exotisme, mais le film n'est pas un pur produit bengali. En grande partie produit, écrit par la France ( avec une petite aide du Danemark et du Portugal), "Made in Bangladesh" reste le fruit d'une coproduction en très grande partie française ( qui, il faut l'avouer produit partout dans le monde...)  Reste toutefois la réalisatrice et les comédiens, vraiment du cru, tous portés par une histoire vraie ( le personnage dont on nous raconte le combat). Bien sûr nous plongerons dans un mode de vie vraiment bengali, avec ses croyances, ses rapports humains bien locaux et surtout les couleurs des vêtements chatoyants qui ensoleillent un quotidien pourtant bien sombre. De ce côté là, le voyage vaut vraiment le coup. Sinon, hélas, le film souffre d'un scénario prévisible, un peu sage qu'une réalisation tout aussi sage n'illustre qu'assez platement. Mais, un combat reste un combat pour nous occidentaux en recherche de sens, et le film fonctionne bien sur le public ( le festival d'Amiens lui a donné son prix le mois dernier), alors pourquoi se priver de ce voyage qui respecte la planète, même si on appréciera plus l'exotisme qu'un cinéma un peu planplan?