mercredi 15 mars 2023

Indocile de Dana Spiotta

 


Samantha, 53 ans, se retrouve, après l’élection de Donald Trump en 2017, un peu dépressive face à l’avenir du pays mais aussi ménopausée. Elle flashe sur une maison année 20 dans un quartier en voie de gentrification, l’achète, quitte son mari et sa fille et s’installe dans sa nouvelle acquisition. Grâce à internet, elle se  trouve de nouvelles amies mais sa fille ne veut plus lui parler et sa mère va bientôt mourir.

Le projet de Dana Spiotta est de dresser le portrait féministe d’une femme qui ne veut plus être mise à l’écart parce que ménopausée. Elle a envie d’une nouvelle vie et s’en donne les moyens en quittant un mari pourtant assez sympathique et même encore amoureux. 

Très vite, on comprend que tout cela n’est qu’un prétexte pour décrire surtout les maux d’une ville américaine moyenne ( Ici Syracuse dans l’état de New-York) : les quartiers laissés à l’abandon mais dont la gentrification progressive pousse petit à petit les zones de violence un peu plus loin, l’insécurité, les violences policières surtout sur les populations noires,  mais aussi des thèmes plus marginaux ses musées poussiéreux aux contenus douteux ou la lente progression du wokisme qui met en ébullition les têtes de ses nouvelles amies féministes. 

L’histoire personnelle de Samantha, l’héroïne, n’a pas un intérêt particulier, voguant gentiment vers une fin un peu sirupeuse. Les autres nombreux éléments plus politiques ou sociologiques tombent parfois un peu à plat et ne s’intègrent pas trop bien au récit. Dana Spiotta essaie d’alléger tout cela avec une vague note d’humour et quelques observations pas trop mal vues mais n’arrive pas à rendre l’ensemble vraiment cohérent ni même passionnant.



Histoire des préjugés sous la direction de Jeanne Guérout et Xavier Mauduit






Dans cette époque ou les  fake-news s’associent aux préjugés pour continuer à diviser une humanité qui devrait plutôt s’unir pour mieux vivre, se poser quelques heures pour la lecture de cette passionnante compilation d’opinions préconçues, leurs origines et leur permanence au fil du temps, est un vrai moment de plaisir ( oui, bien plus que de la littérature feel-good qui n’est qu’un shoot de sucrerie). 

Lire les nombreux historiens, spécialistes divers qui  se sont penchés sur des affirmations aussi variées que “ Un homme ça ne pleure pas “ ou “ Les noirs sentent fort et les blancs sentent la mort” ( prises au hasard parmi les 56 préjugés traités), c’est faire une plongée saisissante sur comment les hommes, aidés souvent par des scientifiques, des politiques, des religieux, ont pu s’approprier de fausses idées et comment, souvent par bêtise, ignorance, manque d’instruction, elles ont perduré et divisé les hommes. Les préjugés, véhiculant la plupart du temps un racisme rampant ( de la femme aux juifs en passant par les roux ou les chinois), ont ainsi, au fil des siècles ou des décennies, irrigué sournoisement certaines pensées et se sont ainsi ancrées dans bien des esprits. Nous avons confirmation que l’Histoire a été triturée de façon à complaire à une époque ou à satisfaire quelques idéologies douteuses ( on n’en est pas étonné). 

Au gré de sa fantaisie, de ses envies, le lecteur peut papillonner à l’intérieur de cet essai, qui se compose de chapitres pas trop longs. Le seul petit bémol est que, comme ils sont rédigés par différents spécialistes, certains sont plus attrayants que d’autres, tout le monde n’ayant pas la même faculté de vulgarisation ni la même verve.

 

 

mardi 28 février 2023

Les manquants de Marie-Eve Lacasse


 Ce récit à trois voix, au fur et à mesure de sa lecture ne manque pas de surprendre. Au départ, un mari disparaît sans laisser de trace et son épouse nous raconte son attente. On se doute que l'on va replonger dans un passé explicatif. Sauf que Marie-Eve Lacasse a d'autres idées derrière la tête. Avec habileté, elle joue avec l'interrogation du lecteur qui va, classiquement, chercher à  savoir où a bien pu passer le mari mais tout de suite installer une atmosphère particulière. Mais à qui parlent donc Claire ( la femme délaissée) et ses deux amies ? On le saura assez vite mais pas de façon à répondre pleinement à notre questionnement surtout que vient se greffer un endroit, la Commune,  qui continue à entretenir un certain mystère qui va même en s'épaississant à mesure que les personnalités des trois femmes se révèlent. 

Des interrogations, du mystère, mais ce n'est pas un polar, plutôt un roman de société qui va développer des thèmes actuels importants avec, en premier lieu, la place des femmes, celle qui leur est assignée, celle qu'elles désirent prendre et celle qu'elles vont créer tout en intégrant un questionnement sur l'écologie, les réseaux sociaux, les sans-papiers, et tout cela sans que cela ne soit jamais pesant ni même plaqué là parce que cela doit être actuel. 
"Les manquants", ( utilisé dans le sens viticole, c'est à dire le cep de vigne mort et non remplacé) , sans être un roman exceptionnel, possède de nombreux atouts pour vous faire passer un moment aussi agréable que réflexif.... en ce moment, ce n'est pas si courant...

samedi 25 février 2023

The Fabelmans de Steven Spielberg


Maintenant que les critiques ne font guère remplir les salles quand ils s'enflamment pour des films difficiles et profonds, leur nouveau petit pouvoir est celui de faire courir les spectateurs voir les grosses productions de réalisateurs connus qui ont essuyé des échecs cuisants aux USA. Nous avons eu le cas "Babylon" le mois dernier et voici maintenant "The Fabelmans" film soi-disant orgasmique si l'on en croit les dithyrambes qui emplissent presse et commentaires cette semaine. Ces cris de jouissance, après avoir vu l'oeuvre, s'expliquent uniquement pour honorer de ses bons et loyaux services  un cinéaste senior qui a rempli les salles durant des décennies et pour le petit jeu de piste cinéphilique auquel on peut jouer durant les 2h30  ( mais là, il faut aimer chercher des références et connaître son Spielberg sur le bout des doigts). A part cela, difficile dans ce mélo vaniteux sans profondeur de trouver plus qu'un vague intérêt, le même que celui que l'on jette sur une série B ou téléfilms aux sujets mille fois vus. 

Le film se divise en trois parties. la première se concentre sur l'enfance du génie qui découvre le cinéma devant " Le plus grand chapiteau du monde" et un accident de train qui va lui éveiller sa créativité. Cela peut être plutôt sympa, parfois avec quelques jolies trouvailles mais comme souvent chez Spielberg, c'est très bavard ( épouvantable longue scène inutile avec un oncle Boris), très appuyé car, là encore c'est une autre caractéristique de son cinéma, on mâche bien la compréhension en surlignant tout pour être sûr que l'évident mangeur de pop-corn que nous sommes comprenne bien. 

Ensuite, nous avons une deuxième partie plutôt consacrée à sa mère, personnage rendu flou par un scénario qui n'arrive jamais à lui donner de la consistance ( jouer du piano, être amoureuse de l'ami de la famille ne suffit pas à donner du relief) et accentué par  l'interprétation très monolithique d'une Michelle Williams dont le jeu se résume à porter un carré blond et du rouge à lèvre. Là aussi, tous les effets qui auraient pu être intéressants sont surjoués ( notamment par une musique sirupeuse), bien appuyés ( on a compris que la caméra, surtout celle d'un futur génie, vole la vérité ! Pas besoin de le préciser trois ou quatre fois !) 

Et enfin, le film se termine par ce qu'il y a de pire, un teen movie franchement pas inspiré, aux ressorts dramatiques totalement à côté de la plaque que l'on pense scénarisé et mis en scène par un tâcheron sans talent. Une  scène ridicule, psychologiquement totalement à côté de la plaque, qui plus est bavarde, enfonce le clou avec le beau mec antisémite et harceleur, dégoulinant de larmes suite au film de fin de saison du futur petit génie du cinéma, qui ne comprend pas qu'il puisse être ainsi magnifié, lui si méchant, alors que le spectateur a vu plutôt une sorte de clip assez ambiguë, tendance homo. Si vous n'êtes pas endormi, déjà sorti vous pourrez admirer un caméo de luxe ( qui ravit la critique), celui de David Lynch interprétant John Ford. La scène clôt ce film suffisant par, peut être, le seul clin d'oeil un peu drôle....mais totalement dispensable .... comme le reste.... 




 

mercredi 22 février 2023

Les mots nus de Rouda


 Avec un petit côté à la Annie Ernaux des "Les années", le rappeur et slameur Rouda nous conte la vie de Ben un jeune de quartier ( comme on dit quand celui-ci habite dans le 9. 3.). L'écriture vive file aussi bien la métaphore que le choc des mots. On ne s'ennuie pas une seconde dans ce portrait qui remet un peu de notre Histoire récente dans celle, plus petite, de Ben. L'auteur casse quelques clichés du petit jeune de banlieue qui n'habite pas forcément dans une tour, n'est pas obligatoirement issu de l'immigration, traficote un tout petit peu ( faut bien survivre dans un monde libéral qui vous laisse en marge ) mais sait le pouvoir de l'instruction et de la culture. Et quand il passe par la case prison, on oublie vite "Le prophète" d'Audiard... 

Donc, bien écrit, affranchi des clichés inhérents au genre et porteur d'un message qui pourrait se résumer à : "Faites gaffe la banlieue est une cocotte-minute prête à exploser" ( du coup beaucoup moins original). Pourquoi, alors, en refermant ce premier on se prend à penser qu'il y manque quelque chose pour qu'il soit vraiment enthousiasmant? Sans doute le roman ne met pas assez l'accent sur l'aspect politique de la banlieue. Ben le héros veut faire changer les choses par une radicalité sans violence, conçoit un plan qu'il doit autant à son enthousiasme, qu'à son intelligence, sa culture et à quelques amis qui, eux, ont réussi à intégrer parfaitement le système. Cependant, les causes profondes cette colère ne sont  jamais réellement explicitées, plutôt suggérées. Le roman n'arrive pas à rendre palpable que cette révolte, fruit d'une intense réflexion, elle même issue d'une bonne instruction, n'est vouée à l'échec que par la volonté d'un pouvoir qui ne veut en aucun cas que le savoir soit à la portée de tous. On reste autour d'un rêve de mots bien écrits, mais la puissance des mots de quelques uns  n'est pas grand chose face au pouvoir libéral. Reste donc un roman agréable à lire, tonique mais peut être un peu trop timide dans ses affirmations. 


lundi 20 février 2023

La dernière maison avant les bois de Catriona Ward


Le point de départ de ce polar psychologique est banal. Une dizaine d'années après la disparition de sa petite soeur Lauren jamais retrouvée, Dee n'entend pas en rester là et se lance à recherche. Ce qui sera moins banal, sera la façon dont l'histoire nous sera racontée même si le procédé de voix différentes n'est pas non plus d'une folle originalité. Ces voix, celle de Dee évidemment, planquée dans une maison au bord d'une forêt et surveillant une autre maison, celle de Ted, suspect jamais inquiété, sera la deuxième voix que complétera une troisième, celle d'Olivia, la chatte de Ted, nous plongeront au plus profond des pensées de protagonistes qui vont devenir de plus en plus complexes au fur et à mesure du récit. 
L'autrice prend le temps de décrire ce petit monde, distillant des éléments signifiants ou étranges au compte goutte. On avance doucement dans une intrigue qui apparaît classique, voire peut être prévisible. Sauf, que Catriona Ward a une idée derrière la tête car elle possède un dénouement qu'elle pense pêchu et surprenant. Assez vite, elle va jouer avec son lecteur, jouant de zones grises des narrateurs et brouillant de plus en plus les pistes. Toujours sans se presser, faisant monter très ( trop?) lentement la tension, l'histoire prend petit à petit un côté vaguement fantastique, un poil déroutant pour un lecteur de polar lambda et finir par  arriver à un point où tout semble se mélanger et où tout s'embrouille. Et là, ça passe ou ça casse. Soit on continue sa lecture pensant bien que tout cela retombera sur ses pieds soit on pense que la romancière a fumé la moquette en prenant un virage vraiment barré et on laisse tomber ( ou on découvre la fin en diagonale). 
Sans rien dévoiler et quelque soit le mode de lecture choisi, disons que le dénouement surprenant tombe un peu à plat. Même si tout redevient logique et expliqué, le twist final, même si vaguement original, reste quand même bateau et donc décevant. 
Bien écrit ( donc bien traduit), "La dernière maison avant les bois" propose une galerie de personnages très fouillés, psychologiquement passionnants mais pâtit d'une montée de mayonnaise assez lente et d'une telle confiance en un final qui va plaire aux lecteurs, que l'intrigue fanfaronne de trop de détails tout en semblant dire constamment  aux lecteurs : "Vous allez voir, ce que vous allez voir !". A trop promettre... 



 

dimanche 19 février 2023

La femme de Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov


Une jeune musicienne russe de la fin du 19 ème croise Tchaïkovki dans une soirée et, âme totalement romanesque, se dit : je l'aime ! Quand on est une oie blanche comme elle, l'amour est un sentiment romantique bien loin de la réalité. Antonina, exaltée, va tomber à pic pour le grand musicien en pleine ascension. En acceptant de l'épouser ( faut dire qu'elle l'a tanné plus que de raison) il s'achète ainsi une vitrine sociale et ainsi plus ou moins camoufler son goût exclusif pour les jeunes hommes. Entre une qui s'aperçoit que l'amour peut également être physique et l'autre qui vomit dès qu'elle approche, disons que le mariage bat de l'aîle. 
C'est à partir de cette trame que Kirill Serebrennikov va broder un film dont on peut chercher ce qui peut bien l'intéresser là-dedans. Ce n'est pas du tout un portrait féministe comme le carton de départ peut espérer le faire croire. Jamais nous ne sommes touchés par son héroïne, assez malmenée et dans sa réalité et par le réalisateur qui ne la rend jamais attachante. Ce n'est pas non plus un portrait du musicien car, Tchaïkovski n'est ici qu'un prétexte juste en arrière-plan ni un vague plaidoyer pour que l'on vive sans détours son homosexualité en Russie. 
L'intérêt du film réside sans conteste dans la façon dont le réalisateur s'empare de cette histoire pour en faire un sommet de lyrisme avec une mise en scène flamboyante, virtuose, tragique, livrant des plans sophistiqués, sinueux, virevoltants, magnifiquement cadrés, jouant sur la lumière et la noirceur. L'oeil ne s'ennuie jamais tant il est sollicité de toute part ( trop peut être que cela peut finir par apparaître amphigourique ? ). Pour le spectateur, ça passe ou ça casse. Evidemment on ne peut s'empêcher, époque oblige, d'y voir une symbolique qui n'y est peut être pas. Et si Antonina était une version féminine de Vladimir Poutine, voulant quelque chose qui ne lui appartient pas, ne lui appartiendra jamais et sombrant dans la folie la plus noire ? Dans cette vision là, les scènes avec tous ces jeunes mecs à poil dont Antonina/Vladimir tâte le sexe ou danse avec  sont sans doute un pied-de-nez... mais plus sûrement la mise en images des fantasmes du réalisateur. 
Quoiqu'il en soit, "La femme de Tchaïkovski" ne laissera personne indifférent et c'est déjà l'essentiel. Sans doute un film prétexte pour se laisser aller à un cinéma inspiré mais aussi un peu grandiloquent, qui peut trouver autant d'amateurs que de détracteurs, une sorte de condensé de cette "âme russe". 

 

vendredi 17 février 2023

Le lac au miroir de Odile Lefranc


La couverture peut induire en erreur le lecteur persuadé de trouver un certain dépaysement dans quelques jungles peuplées de tribus aussi inconnues d'attirantes qu'une romancière aurait pris plaisir à lui décrire. Cet exotisme, on ne le retrouvera que dans l'évocation des tableaux de Walter Spies ( peintre allemand assez méconnu du siècle dernier et aux oeuvres proches de celles du Douanier-Rousseau) qui seront au coeur d'une histoire qui va réunir une fille venant de perdre une mère perdue de vue depuis 20 ans et le passé trouble de cette dernière. 
C'est un premier roman, cela se sent un peu au début, avec une mise en place hésitante et pas complètement convaincante avec son côté souvenirs de vacances aux allures de petite comédie suivie par l'évocation de la vie de ce peintre allemand. Puis, on se laisse prendre par une histoire se densifiant au fur et à mesure que l'héroïne ( qui a la bonne idée de ne pas être à caractère obligatoirement empathique) se pose des questions sur le passé ténébreux après lequel elle enquête. L'autre bonne idée est de ne pas alourdir le roman avec la vie de Walter Spies qui, bien qu'entremêlée au récit, joue plutôt les respirations bienvenues. 
Sans être un grand roman, "Le lac au miroir" séduit par une écriture simple mais déterminée à divertir simplement mais assez intelligemment le lecteur. On a de l'intérêt pour ces portes closes qu'une femme,  elle même renfermée, essaie d'entrouvrir pour avancer dans sa vie. Et même si la fin vire à un vague feel-good, on passe un moment agréable à voyager entre Paris, Dresde et Bali. 

 

mardi 14 février 2023

Tortues de Bruno Pelegrino


Est-ce un roman ? Un recueil de nouvelles ? Une autobiographie ? Un essai sur la mémoire, les souvenirs si fugitifs? Un peu tout cela et ce sont toutes ses formes si diverses qui font de "Tortues" un livre étonnant. 
Bruno Pellegrino nous parle de ses obsessions pour les vieilles choses, objets, archives, vieilles dames, de son envie de vouloir conserver des traces du passé, essentielles, et ce, dès l'enfance, sous la forme d'un tiroir où il avait rangé tout ce qui lui semblait important et qu'il emporterait si jamais sa maison brûlait. 
De cette fixette enfantine et de sa passion pour la littérature ( aussi bien la grande que la plus anonyme) il va en faire le sel de sa vie, étant appelé à mettre de l'ordre dans la paperasse d'une écrivaine décédée ou en se lançant sur les traces d'une obscure poétesse Suisse voire se faufilant avec autant de naïveté que de pugnacité chez la veuve de Friedrich Dürrenmatt. 
Cela pourrait sembler poussiéreux, poseur, intello, un peu savant, voire ratiocineur alors que c'est tout le contraire. Bruno Pellegrino possède trois choses essentielles pour un écrivain ( que beaucoup n'ont hélas pas) : un réel talent d'écriture, dans un style impeccable aussi ample que vraiment lisible, un vrai regard singulier sur la vie et le monde et surtout le pouvoir de créer un livre bourré de... il n'y a pas d'autre mot...  charme. Il y a du Modiano ( et j'ose le dire, en mieux) dans cette volonté de retenir des détails, des atmosphères du passé et là où il se différencie du maître, c'est que lui, en filigrane, il esquisse avec subtilité son autoportrait sans que ce soit jamais m'as-tu-vu, s'effaçant sans jamais disparaître dans les portraits qu'il dresse des autres personnages qu'il met en valeur. Il y a dans ces textes une très belle sensibilité, une poésie qui n'exclue pas la dérision, une attention aux êtres et aux choses disparues jamais sinistre, une authentique empathie, ... bref un vrai et grand charme littéraire. Pour moi, un coup de coeur et une vraie découverte. 
Bruno Pellegrino écrit : " ... Observer des vies passées, m'aide à m'orienter dans la mienne" et l'on peut dire que lire ces vies passées ( et présentes) aide à embellir la mienne. 



 

lundi 13 février 2023

Trois femmes disparaisSent d'Hélène Frappat


Ces trois femmes du titre n'ont nullement disparu au sens premier du terme pour le moment puisqu'il s'agit d'une lignée de stars de cinéma : l Tippi Hedren,  Mélanie Griffith et Dakota Johnson. Seulement chacune d'elles ( enfin surtout les deux premières) ont été malmenées par Hollywood jusqu'à disparaître des radars. 
Hélène Frappat nous raconte leurs destinées, assez incroyables. Tippi Hedren fut achetée pour 4 ans par Alfred Hitchcock (à partir du tournage des "oiseaux") et fut une poupée blonde à sa merci durant toutes ces années. Mélanie Griffith, fille de Tippi, fut la vedette d'un film dément dont le tournage dura une dizaine d'années au milieu d'une vraie meute de lions, le tout sans trucage. Quant à Dakota, fille de Mélanie, elle aussi fut connue mondialement pour son interprétation dans "50 nuances de grey" , film vantant le plaisir des rapports sexuels violents et dominants. 
Avec un tel matériau, il y avait de quoi écrire un roman biographique étonnant, simple. Hélène Frappat a choisi une autre façon de raconter tout cela, disons beaucoup moins linéaire. Tout d'abord, elle est devenue un personnage de son livre, se donnant le rôle d'une inspectrice qui va observer la vie de ces trois femmes et y dénicher des indices pour mettre en évidence que leurs trois vies sont scellées à jamais par des détails ou des éléments qui ont tendance à se répéter, la violence toujours présente, les griffes des oiseaux et des lions entre autre et surtout. Donc tout se mélange un peu, les actrices, l'autrice, la mère de l'autrice. Je ne suis pas certain que cette idée d'inspectrice à la Columbo soit une réelle bonne idée. Pour le lecteur cinéphile ( oui, il faut l'être un peu pour se plonger dans ce texte), cela peut apparaître comme un plaisant jeu/enquête qui cherche à faire le malin et à sortir des sentiers battus de la banale biographie. Pour le lecteur lambda, il n'est pas certain que cette plongée psychanalytique un peu tarasbicotée fasse le job. A chercher la petite bête, le petit détail signifiant, on finit toujours par le trouver même si cela semble un poil tiré par les cheveux et franchement, on y pense parfois... 



 

vendredi 10 février 2023

La grande magie de Noémie Lvovsky


Sur le papier, il y a tout ce qu'il faut et même un peu plus pour offrir une comédie joyeuse, divertissante, originale et pas idiote. L'affiche aligne la crème des acteurs, certes un poil zonant dans l'art et essai mais la plupart du temps excellents et annonce également l'adaptation d'une pièce de théâtre italienne fameuse ( dans son pays) explorant le thème de l'imaginaire. Pour couronner le tout, la bande originale du film a été confiée à un groupe ayant le vent en poupe : Feu!Chatterton. 
Sur l'écran ( et vue l'introduction) vous avez déjà deviné qu'il en est vraiment autrement. Le film est a l'image de la roulotte de saltimbanque conduite par  Sergi Lopez, cahotique. Entre des scènes de pures comédies aux allures vieillottes et une imagerie d'un autre âge recomposée sans grâce, s'intercalent des scènes chantées et dansées (La bande annonce, connaissant le peu d'appétit du public français pour la comédie musicale, s'était bien gardée d'en faire état). On y perçoit bien un discret hommage à la magie enfantine que procuraient les spectacles ambulants autrefois ( mais qui en 2023 les a connus?) ainsi que l'envie de donner autant de rêve que de profondeur et d'émotion. Sauf que rien ne fonctionne. La musique, les chansons et les parties dansées sont pathétiquement nulles, sans aucune magie même pas celle d'une fragilité qu'auraient pu engendrer les voix hésitantes et les pas maladroits des acteurs non doublés. Il est certain que les compositions de Feu ! Chatterton resteront comme le premier vrai faux pas de leur jeune carrière. Les comédiens font ce qu'ils peuvent, pas trop mal pour certains.... mais, honnêtement on se dit que la présence (rapide) de Rebecca Marder sert à faire baisser l'âge moyen de la distribution et celle ( en arrière -plan) de Damien Bonnard a lui fournir un cachet pour finir son mois. Alors on regarde tout le monde s'agiter ( beaucoup), vociférer, jouer du jupon, l'oeil morne car personne ne semble croire au bien fondé de cette entreprise. 
Dire qu'il n'y a aucune magie dans ce film est sans doute très facile, la seule que l'on puisse y déceler est celle que des producteurs aient pu trouver de l'argent pour ça. Ah c'est vrai, l'argent magique existe parfois.... 

 

jeudi 9 février 2023

L'indélicatesse de Erik Martiny


Ca démarre de façon assez originale par la consultation détaillée qu'un dermatologue effectue sur une pulpeuse mais hypocondriaque jeune femme. Puis, ça continue sur une autre consultation, moins sensuelle, autour d'un psoriasis envahissant sur un cinquantenaire peu gracieux. Puis nous sortons du cabinet du médecin et l'on se rendra compte que cette introduction médicale n'aura guère d'importance par la suite qui sera centrée sur l'arrivée d'un l'héritage assez particulier, en l'occurrence un vieux pistolet de la police allemande des années trente. 
Cette arme à feu va déstabiliser notre médecin qui va commettre un acte apparemment fou voire irréparable.... C'est tout du moins ce que nous promet le récit qui est adressé aux enfants du dermato, en laissant planer assez lourdement un dénouement  extraordinaire. Sauf qu'avant d'en arriver là, l'auteur s'égare dans des chemins de traverse, citant quelques auteurs aimés, blablatant sur le manque de descriptions des visages dans le roman contemporain et d'autres considérations parallèles. On sent alors poindre un doute car à trop promettre et à lambiner ainsi, en plus de distiller un léger ennui, on redoute la déception finale ....ce qui ne manquera pas d'arriver. Même si le dernier quart s'avère un poil plus réussi que le reste car ayant un petit côté polar pas mal fichu, le tout retombe quand même comme un soufflet laisser trop longtemps au four. On ne voit pas bien le but de cette histoire ni les intentions réelles de l'auteur. Polar ? Roman psychologique? Essai sur la solitude ( du couple et/ou d'un homme ), un peu de tout cela sans doute, mais force est de constater que l'ensemble manque sérieusement de liant et de charme. Dommage....
 

mercredi 8 février 2023

Un vrai dépaysement de Clément Bénech




 Si le dépaysement du titre peut se comprendre pour le jeune héros idéaliste du roman, parachuté tout droit de son Bordeaux bourgeois dans un gros bourg auvergnat, pour le lecteur, c'est une autre histoire, puisqu'il se retrouve soudain face à un récit lu des dizaines de fois ...mais il y a quarante ans.
Bien sûr, un lecteur trentenaire, n'a pas connu ces nombreux romans ( nommés bien souvent "de terroir") qui mettent en scène un(e) jeune enseignant(e) parachuté(e) dans une campagne profonde et qui va devoir, pour mettre en pratique sa pédagogie, lutter contre les habitudes de villageois encore sous l'emprise idéologique d'un curé ou l'extrême méfiance d'une population face à une jeune personne instruite. Depuis la loi de Jules Ferry de 1882, la littérature s'est emparée sans discontinuer durant tout le 20 éme siècle dernier de ce sujet pour garnir les étals des libraires,  de  "La gloire de mon père " de Marcel Pagnol  au "Le tour du doigt" de Jean Anglade, entre autres mais aussi d'un best-seller des années 70 "La soupe aux herbes sauvages" d'Emilie Carles qui, bien qu'étant un livre de souvenirs, raconte, comme dans le nouveau Clément Bénech, l'arrivée d'une jeune enseignante dans un village paumé et dans lequel elle va appliquer une pédagogie toute nouvelle et révolutionnaire, non pas Montessori ( les bobos n'existaient pas encore pour croire qu'il s'agit d'une vraie pédagogie)  ) mais celle, bien plus originale de Célestin Freinet. 
En 2023, le héros d'"Un vrai dépaysement" a été vaguement modernisé ( pas son nom puisque portant un patronyme très roman de gare des années 30 : Romain d'Astéries) et là où les auteurs d'avant préféraient un ton plus docte voire un poil dramatique, Clément Bénech lui choisit un ton plus sarcastique, plus humoristique pour nous trousser un roman d'un autre âge. 
Il est très difficile de croire à son jeune bourgeois, devenu enseignant par idéalisme, bourré d'idées de pédagogies nouvelles qui n'en sont pas car datant d'un autre âge ( époque années 70) et difficilement applicables dans le contexte actuel même face à des élèves de région reculée. Il est tellement insupportable dans sa naïveté que l'on entre tout de suite en empathie avec ce qui est son ennemie ( la principale du collège), personnage haut en couleurs et à qui l'auteur réserve des dialogues cinglants assez jubilatoires. 
Le reste de l'intrigue relève du roman banal, avec happy end évidemment. 
Dans cet univers de clichés, certains trouveront peut être un moment de lecture agréable car très facile. Les autres seront surpris qu'un jeune auteur que l'on dit prometteur et dans le vent puisse écrire un roman aussi vieillot et aussi daté.