jeudi 29 septembre 2022

Sans filtre ( Triangle of Sadness) de Ruben Ostlund


 A voir comme les critiques se divisent ou étrillent le film, on peut dire que Ruben Ostlund a réussi son coup en rejouant dans la réalité la scène de happening durant une soirée chic entre aficionados de l'art contemporain dans "The Square". Il pousse le bouchon tellement loin que le petit monde bien apprêté du cinéma en prend un coup et se trouve bousculé devant tant de nihilisme, de noirceur. 

En tant que spectateur lambda, on peut éprouver le même sentiment d'inconfort que devant "Snow Thérapy", mais j'avoue avoir pris plus de plaisir devant ce "Sans filtre" que devant les précédents ( même si je me trouve à la relecture bien dur en regard du souvenir qu'ils m'ont laissé). L'inconfort vient bien évidemment de la vision de l'humanité du réalisateur :  du petit esclave d'en bas de la pyramide sociale aux ultras riches : tous pourris... On peut tout à faire être en accord avec cette analyse et le film le démontre parfaitement. En trois parties, Ruben Ostlund taille un short au milieu de la mode et des influenceurs, puis aux ultras riches générés par le système capitaliste et enfin aux pauvres et au communisme. Trois parties, qui comme à l'habitude peuvent déranger un peu, faire sourire, rire, grincer des dents ou ennuyer car le réalisateur gagnerait à faire plus court, rallongeant un peu inutilement certaines scènes. Trois parties dont une deuxième ultra copieuse, véritable climax du film , se trouve malencontreusement coincée entre deux autres moins pêchues, ce qui laisse à penser que le final dans l'île déserte est de trop ... surtout qu'il n'est pas franchement original et qu'il tombe dans le travers du réalisateur à trop aimer quand même les scènes bavardes. 
Dans cette pochette surprise sur la noirceur du monde, on y trouve de tout, du moins bon au franchement réussi et, pas palme d'or pour rien,  un vrai sens de la mise en scène, du plan aussi qui donne la sensation d'être devant un vrai cinéaste avec ses obsessions, ses mauvais goûts assumés, sa thématique nihiliste, ici  politique ( qui peut déplaire à beaucoup quelque soit l'endroit du prisme où l'on pense se trouver). Un auteur donc, un vrai aux ( mauvais?) goûts assumés qui propose chaque fois une expérience cinématographique qui laisse des traces, qui surprend, fait discuter. Rien que pour cela il faut voir "Sans Filtre", ( mais pourquoi ce titre alors que la traduction "Triangle de la tristesse" correspondait parfaitement !) parce que les occasions d'être surpris, dérangés sont rares. 





mardi 27 septembre 2022

Si les hommes avaient leurs règles de Camille Besse et Eric Le Blanche


 


 En partant de ce postulat dont on devine bien le résultat, les deux auteurs de cet hilarant album ne se contentent pas de phosphorer autour de cette supposition mais de brosser en creux comment les hommes depuis la nuit des temps ont cantonné les femmes dans le rôle de figurantes utiles pour les soins domestiques et leur satisfaction sexuelle.

La première couche, au premier degré de lecture, si les hommes avaient eu des règles, ils les auraient transformées en signe de pouvoir et de puissance, ce que démontrent avec un humour dévastateur tous les gags égrenés au fil de la centaine de pages ( en admettant toutefois que les femmes n'en ont pas été capables ...mais dans un réel où l'on est écrasé... pas eu l'occasion). Cette affirmation tellement évidente cache un deuxième degré qui renvoie à une lecture, du coup beaucoup plus féministe ( et donc réjouissante,... j'assume), où tous les ressorts de pouvoir sont dézingués avec une jouissance bienvenue, des religions au pouvoir politique en passant par l'entreprise ou les arts. 
Autant dire que si vous considérez que les femmes sont quantités négligeables et que votre virilité se cantonne à la longueur de votre sexe quand il arrive à bander, cet album n'est pas pour vous ( d'ailleurs vous n'aurez même pas envie de l'ouvrir considérant les règles pour une affaire de bonne femme et évacuant cette idée débile d'un geste prétendument viril). Les autres, sont qui ont de l'humour, qui croient aussi à un monde plus apaisé entre hommes et femmes, vous êtes chanceux, vous allez rire aux éclats intelligemment. Avouez que c'est aubaine à ne pas laisser passer ! 


( désolé pour la lisibilité de cette planche...)

lundi 26 septembre 2022

GPS de Lucie Rico

 


Si le GPS a squatté l'intérieur de nos automobiles ou remplacé grâce (à cause?) de nos smartphones les " Bonjour Mr-Mme, pourriez-vous m'indiquer où se trouve la rue Piquempoix ? " ( question que désormais on ne pose plus puisque, à cause ( grâce ? ) au GPS, plus personne ou quasi ne sait vous répondre) , ce dernier n'était pas encore vraiment apparu comme élément principal d'une fiction. Pour son premier roman, Lucie Rico s'empare de cet engin ô combien symbolique de nos vies connectées et en fait l'élément central d'un récit habile et en prise avec notre époque. 
De nos jours, finis les grands espaces, les road-movies à la Kerouac, peut être pas à cause d'un carburant trop cher, mais sans doute, comme l'héroïne de ce roman, à cause d'un mal être existentiel, ici doublé d'une phobie sociale. Les outils numériques d'aujourd'hui, sortes de relais au monde, permettent de voyager grâce entre autre à cet instrument qu'est le GPS. Dans ce récit, on s'accroche au portable de la narratrice qui va jouer un rôle terriblement troublant. Sous la forme d'un petit point, représentant son amie Sandrine avec qui elle a accepté de partager sa localisation via Google Maps le temps d'une fête de fiançailles, nous voyagerons au coeur d'un décor minimal et symbolique ( même si au bout d'un moment il deviendra beaucoup plus précis, peut être dans la tête de son utilisatrice). Et quand cette même amie, ne donnera plus signe de vie mais continuera à s'agiter sur l'écran, une traque silencieuse, de plus en plus angoissante, va commencer. Le lecteur, aussi fasciné que l'héroïne, vivra donc un road-movie immobile où l'espace et le temps joueront constamment les duettistes d'un fascinant fait divers. 
Jouant autant sur la forme que sur un fond très sociétal autour de  l'enfermement social et mental, Lucie Rico mélange habilement regard sur nos névroses contemporaines et récit façon thriller tout en semant une multitude de petits détails, donnant à son texte une profondeur qui nous habite encore longuement une fois le livre refermé ( avec une fin tellement ouverte qu'elle en devient énigmatique). Un second roman fort et stimulant !


vendredi 23 septembre 2022

Fantaisies Guérillères de Guillaume Lebrun



Une fois n'est pas coutume, regardez l'interview  de l'auteur faite par la librairie Mollat à Bordeaux ... Elle donne envie de se plonger dans ce roman que l'on devine déjà à nul autre pareil. A quand Guillaume Lebrun à la grande librairie histoire de décoiffer cette émission plus publicitaire que littéraire ? 



Voilà donc un auteur dont on devine une personnalité affirmée et qui en plus donne envie de lire ses "Fantaisies guérillères" sans tarder. Quand on se plonge dans son roman, on est tout de suite surpris par ce mélange très original de vieux français malaxé avec le parler d'aujourd'hui et de l'anglais ( normal, nous sommes durant la guerre de cent ans et les anglais occupent la France). Passée la surprise, tout de suite savoureuse, on s'habitue très vite à cette écriture et l'on se plonge dans l'histoire, elle aussi pas piquée des vers. Cette version d'une Jeanne d'Arc fabriquée de toute pièce se révèle diablement savoureuse, réjouissante. Quelques âmes prudes risquent de convulser car, époque oblige, on y tue, estropie sans vergogne, le sang jaillit souvent et notre héroïne jouit sans détours de son homosexualité plus qu'assumée et surtout très gourmande. Mais nous sommes au Moyen-Age, période pas des plus propices au romantisme. 
Le roman tient donc toute ses promesses. Mais, si vous avez regardé la vidéo jusqu'au bout, l'auteur se dit fan de jeux vidéos et avoue y avoir glissé son addiction dans le récit de cette Jehanne d'Arc revisitée....
Plus que glisser, car, cela concerne en gros le dernier tiers du roman. Et si comme moi vous n'êtes ni geek ni fan d'héroïc fantasy ( pour parler franchement ça me rase et mon cerveau sans doute trop pragmatique n'y comprend rien) , vous risquez d'être largués lorsque le roman bascule dans une autre dimension avec château maléfique et monstres divers, entre Tolkien et Lovecraft. 
Cette mise en garde posée, reste une geste littéraire franchement étonnante, stylistiquement flamboyante et talentueuse ( Une demi-page suffit à mettre KO au premier round un Jean Teulé  qui fréquente ce genre de territoire littéraire) , drôle, inventive, queer, irrévérencieuse. Guillaume Lebrun est sans conteste l'une des grandes révélations de cette rentrée. Si vous voulez rire, être un peu bousculé, ce roman est fait pour vous ! 



 

jeudi 22 septembre 2022

La vie clandestine de Monica Sabolo

 



Je l’avoue, je me suis plongé dans le nouveau roman de Monica Sabolo sans grande envie, deux précédents ( “Crans Montana” et “Summer”) m’avaient laissé une impression mitigée, un mélange d’écriture élégante mais un peu brumeuse autour de sujets que l'autrice n'osait pas réellement abordés, laissant poindre chaque fois, à force de suggérer les choses, comme un sentiment d'inachevé.

Dès les premières lignes, on sent qu’il s’est passé quelque chose dans l’écriture de Monica Sabolo, tant l’ampleur du style, l’intelligence du récit nous happe instantanément. Assurément, la presse a raison, c’est l’un des très bon livres de cette rentrée. On entre dans son intimité et dans son mal être sans que ce soit ni pleurnichard, ni maniéré, ni voyeur. Oui, Monica, qui est l'héroïne de son ... roman(?), ne va pas bien du tout. Elle n'a pas d'idée pour son futur roman que lui réclame son éditeur. Alors, elle traîne sur internet, nouveau palliatif pour mal être contemporain. De site de ventes d'animaux empaillés en sites d'infos, elle finit par tomber sur un article autour des Brigades Rouges. Brigades Rouges, Italie, pays de naissance, qui est mon père, silence de famille, et si, et si mon histoire avait quelques rapports avec ça ?

Là, on commence à tiquer un peu...Encore un roman où la grande Histoire va cotoyer la plus petite, la personnelle. C'est un filon, bientôt un genre... Donc en route pour cette promesse... qui au final ne sera pas tenue car, très vite Monica Sabolo va passer des Brigades Rouges à sa cousine française Action Directe ( mais si rappelez-vous, Nathalie Ménigon, Joëlle Aubron, Jean-Marc Rouillan, ...). Et là, cela va tourner à la fascination. Nous saurons tout, tout ou presque ( parce que pas mal de protagonistes et de faits de ce groupe seront passés sous silence). Elle va mener une sorte de traque qui la mènera auprès de certains membres encore vivants. Cette évocation sensible mais relevant autant du challenge personnel (pour se prouver quoi ? ) que du documentaire peut tout à fait passionner un lecteur lambda mais le rebuter aussi tant l'écriture va aller s'intéresser à des détails. Ce que l'on retiendra toutefois de ce récit, c'est la position ( courageuse ) de l'autrice face à ce groupe classé comme terroriste. Elle s'emploie à révéler toutes les zones grises qui affleurent, et bien qu'ils aient commis braquages, attentats, assassinats au nom d'une lutte contre le capitalisme, ne condamne pas cet idéalisme violent ( le capitalisme et l'ultra libéralisme qui en résulte n'est-il pas plus violent et meurtrier à sa façon?) en brossant des portraits tout en finesse et en profondeur de ces êtres de chair et de sang.

Mais alors, quel lien avec le passé de l'autrice ? Pas grand chose en fait malgré ses dires. Certes, elle revient sur des lieux déjà évoqués dans certains de ses précédents romans, révèle au détour d'une page, entre deux assassinats d'un groupe terroriste que son ( beau) père l'a violée ( chose dont on flaire trop l'annonce). Elle a beau affirmer que cela a un lien direct avec ses recherches sur les groupes terroristes, difficile de voir lequel. Reste un roman magnifiquement écrit qui, même s'il ne tient pas ses promesses et se révèle un peu bancal dans son résultat, passionnera les amateurs d'histoire récente et sans doute moins les lecteurs qui étaient habitués à ses atmosphères un peu éthérées et psychologisantes ( mais y trouveront un questionnement genre vérité ou véracité? ... qui pourrait les intéresser).

C’est quand même un poil tiré par les cheveux mais surtout le roman ne tient pas tout à fait ses promesses. Reste toutefois, une écriture impeccable, de beaux moments philosophico/introspectifs et, pour ceux que ça intéresse, une très précise et peu banale remise au jour de l’histoire d’Action Directe mettant en avant beaucoup plus de zones grises que de blanches et noires.

mercredi 21 septembre 2022

Les Enfants des autres de Rebecca Zlotowski


 " -Spectatrices-teurs, dégagez-vous de devant Netflix ou autres plateformes et filez-moi vite fait au cinéma !" nous intime toute la presse ciné et culturelle du moment. On ne peut pas lui donner tort tant l'offre sur nos écrans est diablement intéressante et stimulante ( "Revoir Paris", " Chronique d'une liaison passagère", .... entre autres). Cependant on peut s'interroger sur cette déferlante d'articles et d'interviews pour le cinquième film de Rebecca Zlotowski même si on peut dire, c'est vrai, que c'est son meilleur .... Mais comme on partait de très bas, il n'en reste pas moins raté. 

Dézoomons un peu et regardons plus en détail. Rebecca Zlotowski en 3 films ' " Belle Epine", "Grand Central", "Planétarium", devient une figure incontournable du cinéma français malgré le succès plus que relatif de ses oeuvres. On la voit partout. A la télé dès que pointe un vague débat sur le cinéma en général et l'avenir du cinéma français ou en salle ou face aux plateformes en particulier mais aussi dans de multiples festivals où la réalisatrice intervient. Reconnaissons- lui un grand talent d'oratrice, car, c'est certain, elle connaît son sujet, est passionnante à l'oral, voire talentueuse. Donc dans son milieu, elle s'est taillée une place de choix, on l'aime et on le lui rend bien puisque la voilà à tous les coins de pages de la presse depuis maintenant 10 jours, surtout, qu'enfin, elle a tourné un film potentiellement vendeur, vendable, attirant. 

Avec un sujet plus universel sur le désir d'enfant voire le coeur aimant d'une belle-mère face à la progéniture d'un nouveau partenaire, Rebecca Zlotowski tenait là une idée pas vraiment traitée au cinéma ( même si, convenons-en, on s'approche d'un récit psychologisant  façon "moi lectrice" du magazine ELLE.) et, cerise sur le gâteau, en haut de l'affiche, Virginie Efira, actrice formidable qui possède ce talent inné d'être dès le premier plan en empathie avec les spectateurs. ( plus deux acteurs aimés comme Chiara Mastroianni et Roschdy Zem).

Il paraîtrait, selon ses nombreux propos relevés ici ou là, que la réalisatrice ait voulu éliminer tous les clichés du genre, intention évidemment louable mais qui du coup ici, sont déplacés sur les personnages ( très) secondaires, taillés à la louche comme la mère cancéreuse, la soeur enceinte, ... rendant son film banal et par ricochet son héroïne sans presque aucun enjeu émotionnel car sans nuances. Rachel ( Virginie Efira) est une femme qui aime, tout le temps, tout le monde. ( A se demander d'ailleurs comment une femme aussi attirante et exceptionnelle n'arrive pas à avoir une vie comblée, mais, c'est bien connu, on n'a jamais tout ce que l'on veut dans la vie). Avec cette absence de réels enjeux dramatiques, l'indifférence va croissant au fil des minutes. Heureusement que Virginie Efira est là. A elle toute seule, elle peut presque sauver un film ( sauf  "Don Juan " de Serge Bozon qui mettait la barre trop bas ( ou trop trop intello) et y parvient ici car la caméra de Rebecca Zlotowski semble complètement amoureuse de son actrice. Cette dernière le lui rend bien. On perçoit dans le moindre regard, geste, une intensité émotionnelle que le scénario, les dialogues n'ont pourtant pas. Autour, les autres acteurs jouent les utilités et notamment Roschdy Zem, certes en quête de cassage de virilité à l'écran, qui semble se demander ce qu'il fait là avec cette môme de 5 ans et une femme aussi belle et aimante. Si l'on rajoute quelques clins d'oeil assez appuyé à des cinéastes ( spécialiste oblige) comme Truffaut ou Sautet et cette envie de voir un peu sa propre  famille à l'écran, on finit par s'interroger. Ce film  a-t-il été vraiment pensé  pour les spectateurs ? Est-ce une sorte de thérapie personnelle ? Et soudain, on se met à penser à un autre film, sorti il y a deux semaines, dont le sujet était également personnel à la réalisatrice, également avec Virginie Efira, celui d'Alice Winocour "Revoir Paris" , dans lequel on retrouvait la même envie de sortir des clichés tout en élargissant l'histoire avec des sous intrigues pointant le mal être de nos sociétés. Celui-ci était passionnant de bout en bout, franchement réussi. On a beaucoup moins vu et entendu Alice Winocour, alors qu'au final, c'est Winocour 1 Zlotowski 0