lundi 31 juillet 2017

Ainsi débute la chasse de David Pastouris

Ah Royan, riante cité balnéaire, avec ses plages, ses criques, son casino, ses édiles un peu véreux que sa population de retraités élit d'une seule main bagouzée et néanmoins tremblotante. Et puis, il y Charly. Charly est de retour après une mise au vert volontaire. Charly traîne un profil d'homme de main non bagouzée et qui n'a jamais tremblé pour donner la mort et se refaire une vie paisible avec un tel passé n'est guère aisé. Bien sûr, il peut travailler dur comme ouvrier ostréicole, mais comment résister à une proposition moins honnête mais de bien meilleur rapport ? Une chose est certaine , ilne tuera plus ! Ses crimes précédents, tous commandités et bien sûr restés impunis, lui courent encore dans la tête. Seul dans son appartement donnant sur l'estuaire de la Gironde, il ne cesse de ressasser le gâchis qu'ont occasionné dans sa vie ces quelques méfaits. Le passé refait toujours surface et, en l'occurrence, sous les traits d'une sombre ordure, qui, dans un bureau banal d'une de ses zones commerciales sans âme, manipule élus locaux, entreprises du secteur et petites frappes. Et lorsque les commandes ne déroulent pas comme il faut, l'engrenage fatal dans lequel Charly met un doigt, risque bien de lui en emporter plus...
Rangez parasols et lunettes de soleil, vous n'en aurez pas besoin  pour lire ce polar dont la noirceur pourrait bien faire pâlir votre bronzage. Vous resterez tout le récit dans la tête de Charly, éprouvant avec lui tous ses remords, tous ses sombres sentiments, ses colères, ses peurs. Petit à petit vous épouserez sa quête, quitte à faire de vous , au pire un misérable complice, au mieux lui trouver de vraies excuses et être en totale empathie.
Cette intrigue, forcément ambiguë, est une des forces de ce roman qui par ailleurs bénéficie d'une écriture sèche, tendue comme un arc, où parfois les phrases cinglent comme une balle vous frôlant et percutent le lecteur, qui, le souffle presque coupé, tourne les pages avec empressement.
Malgré un décor balnéaire, quasiment aucun rayon de soleil n'éclaire cette histoire et fait de " Ainsi débute la chasse" un véritable polar noir d'atmosphère franchement réussi. Et si vous connaissez Royan, pas sûr que la prochaine fois que vous irez fouler le sable de sa grande plage, vous regardiez cette cité du même œil attendri de vacancier prêt à faire une sieste tranquille sur son transat...

jeudi 27 juillet 2017

Les 13ème promenades photographiques de Vendôme. Qui est photographe ?


Beaucoup plus au nord et beaucoup moins important que sa cousine arlésienne, plus jeune aussi, ce festival de photos de Vendôme n'en mérite pas moins le détour. Comme dans Arles, la chaleur en moins ( mais une petite grimpette jusqu'aux jardins du château en plus ), vous vous baladerez dans une petite ville vraiment charmante dont chaque coin, chaque détour de rue mérite une photo. Ces promenades photographiques, entièrement gratuites, sont un régal pour les yeux à tout point de vue. Disséminées dans une dizaine d'endroits différents, les expositions possèdent tous les éléments pour vous charmer, vous étonner, vous émouvoir, vous informer sur le monde.
Je l'avoue, cette année m'apparaît plus riche et plus passionnante que l'édition précédente et également nettement plus soignée dans sa présentation  ( quasiment plus de punaises et de Patafix, mais de vrais encadrements !). Du coup, mieux mises en valeurs, les œuvres exposées nous accrochent beaucoup plus. Ainsi, et sans doute l'exposition la plus importante de cette année, "Au delà du réel" de Jean Baudrillard et ses murs d'objets ou de moments quotidiens magnifiés par le regard du photographe subjuguent carrément. On connaissait l'écrivain, le philosophe ( trop ardu pour moi), moins son oeuvre photographique, dont on peut admirer ici une grande série prise aux Etats-Unis dont les points de vue ou les compositions étonnent et nous font basculer dans un monde fluctuant, quasi magique et nimbé de mystères. Chaque cliché ouvre un champ de réflexion infini où se mêlent beauté et ambivalence. Incontournable !
Après ce véritable coup de cœur, je me suis dit que la suite risquait de paraître bien pâlotte. Je me trompais lourdement ! Même si au petit manège Rochambeau ( nom de l'espace regroupant une partie de la fine fleur de la photographie actuelle), trop d'artistes n'exposent qu'un petit nombre de clichés, les émotions et les surprises étaient bien au rendez-vous. Par exemple, le travail autour des fêtes de village sur la frontière flamande et wallonne de Charles Paulicevich, ce regard à la Bruno Dumont avec une vraie bienveillance en plus, se transforme au fil des portraits exposés, en une véritable plongée ethnologique dans une Belgique profonde où tristesse et pauvreté se mélangent avec une sorte de bonhommie hors du temps.  Glaçant et intense ! Ce photographe français vivant à Bruxelles n'est pas le seul à nous donner des nouvelles du monde, Ainsi Alexis Clerc s'est intéressé à l'américanisation du Japon, Léonora Baumann et Etienne Maury sur le sort des forêts congolaises, la coréenne Hwayoung Lim à une enclave tanzanienne de protection d'enfants albinos, ....
Dans un genre plus "technique " je pourrai aussi citer Ulrich Lebeuf et son splendide "Dakar la nuit ", pour le coup magnifiquement éclairé, qui est un régal pour les yeux ou Mathieu Farcy  et ses "Paysages orientés" dont les images de belvédères ou de promontoires avec un traitement proche du glacé, nous touchent par leur infinie solitude et leur envie d'ailleurs ou Laurent Gilson et "Ipséité" ( je donne la définition de ce mot quand même rare : Ce qui fait qu'un être est lui-même et pas autre chose. ), fragments de corps en noir et blanc dont on se demande s'il ne s'agit pas de dessins à l'encre tellement le traitement particulier aimante et fascine l'œil.
Beaucoup de diversité et de richesses donc à Vendôme, et je suis loin de tout citer. Il vous restera à découvrir au fil des espaces, de mystérieuses maisons perdues dans d'immenses paysages menaçants ou le terrible sort des jumeaux malgaches, à soulever délicatement des rideaux pour apercevoir les fantômes d'une enfance évanouie, à retrouver des ouvriers du cru au travail, à vous émerveiller devant des feuilles d'arbre imprimées ou  à sourire face à un usurpateur d'identité dans un décor année 50. Et puis, et puis plein d'autres travaux  ( ceux des écoles de photographie de l'Europe entière), d'autres artistes, d'autres expos.
Oui, Vendôme avec cette 13 ème édition ( porte-bonheur ?) gagne ses galons de rendez-vous dorénavant incontournable pour tous les amateurs de photo et surtout pour tous les autres, les curieux comme les contemplatifs.

dimanche 23 juillet 2017

Coeur croisé de Polo et Pan


Polo et Pan, c'est qui ? Deux trentenaires qui ont sorti un album foutraque ce printemps, un truc improbable classé "musique électronique" par itunes mais qui se révèle au final une sorte de bande son très estivale. C'est un cocktail de musiques variées, allant de la bossa nova électro à des morceaux vaguement plus expérimentaux, un peu bricolés avec un synthé et une boîte à rythme dans le garage de papy Jeannot à Limoges. Mais là au milieu on trouve aussi des chansonnettes, sans doute des clin d'oeil à toute cette pop des années 80 ( Ellie et Jacno, Arnold Turboust, Mikado, ...) mais aussi à Alain Chamfort ( avec une reprise trafiquée aux filtres de quelque ordinateur de "Chasseur d'ivoire") et si l'on tend l'oreille on se demande parfois si Dorothée ou Jordy ( mais si souvenez-vous de "Dur, dur d'être un bébé") n'ont pas été une source d'inspiration. Bref un concentré de sons piqués dans une frange marginale de la chanson française puis remixés façon décalé. Ce n'est pas du tout désagréable à défaut d'être totalement original. Je l'avoue, en mai dernier lorsque l'album "Caravelle" avait fait son apparition, mon oreille n'avait pas réellement tilté. Et puis, est sorti ce clip ! Et là, grâce aux  images bourrées de clin d'oeil et d'humour, on peut dire que j'ai adhéré. Je ne sais qui des couleurs chatoyantes, de la danse ou de son côté très très coquin ( les trois sans doute plus la conception franchement emballante) a fait la différence, mais un chose est certaine, "Coeur croisé " est pour moi le clip de l'été et l'assurance de garder un oeil sur cette paire de musiciens !
Du coup, je m'en suis allé sur You tube voir les nombreuses productions clipesques du duo. Bizarrement, le clip ci-dessus semble être celui qui a eu le moins de vues alors que le dernier, joli mais nettement moins original semble atteindre des sommets ... Jugez par vous même, "Plage isolée" se trouve juste en dessous !



samedi 15 juillet 2017

Avant la fin de l'été de Maryam Goormaghtigh


A première vue " Avant la fin de l'été" peut apparaître comme une sorte de docu fiction autour de trois mecs partant en vacances dans le sud, mélange de clichés et de petites banalités qu'une caméra, elle aussi imprégnée d'ambiance estivale, va suivre gentiment. Le premier plan intrigue le spectateur. Les trois hommes à l'écran sont des étudiants iraniens vivant à Paris. L'un d'eux, a le mal du pays et pense repartir d'ici à deux semaines. Ses amis tentent de le dissuader et organisent une petite virée jusqu'à la mer. Cette premier scène, à l'apparence simple et anodine, avec des dialogues en farsi ( il n'y aura que très peu de dialogues en français ...), pose d'emblée les enjeux du film. Ces trois garçons, à eux seuls un trio très représentatif,( le beau, le timide, bon gros coincé ), vont être les prétextes à un discours en creux beaucoup plus finaud que ceux des comédies balnéaires habituelles. Si au premier abord, avec ces dialogues et ses situations aux apparences improvisées, on semble s'acheminer vers un road-movie un peu relâché et improvisé, très vite on se rend compte que la réalisatrice aborde une foultitude de thèmes qu'elle traite avec une subtile sobriété, sans une once de pédagogisme, laissant les idées et notations s'infiltrer dans la tête du spectateur. L'exil et la nostalgie y affairant, la liberté indiscutable dont ils jouissent en France et qui leur manquera une fois revenus en Iran ( surtout que pour tous les trois, le service militaire prend une énorme place dans leur décision), l'ostracisme qu'ils ressentent souvent de part leur statut d'étranger, la religion, le rapport avec la femme, constituent, entre autres, la toile de fond bien présente à cette échappée estivale. La caméra, toujours placée idéalement, capte ces moments sensibles où tout se ressent plus qu'ils ne s'expriment. De scènes en scènes, on s'attache de plus en plus à ces trois hommes, bien moins machos que les clichés peuvent les penser, la réalisatrice s'ingéniant à filmer des instants volés où leur part féminine s'exprime. Coquets, tactiles, tendres entre eux, ils sont à l'image du décor fin de vacances dans lequel ils recherchent un peu de fun, entre deux saisons. La mélancolie d'un automne qui approche devenant de plus en plus présent, un choix va s'imposer. Lequel ? Sans doute celui de la raison qu'une poésie persane chantée un soir sur la plage rend encore plus difficile.
"Avant la fin de l'été" est la comédie estivale la plus délicate et la plus intelligente de ces deux mois de vacances qu'il faut découvrir avec curiosité et humilité.


mardi 11 juillet 2017

Au pays des nudistes de Mark Haskell Smith

Mark Haskell Smith exerce l'honorable profession de journaliste et  se passionne pour tout ce qui concerne la contre culture. Aux Etats-Unis, son pays, entre une bible et un flingue, les contestataires sont nombreux et, bizarrement, sans doute pour cause de pudibonderie générale du pays, le nudisme est rangé dans cette catégorie. On s'en doutait un peu puisque la vue d'un sein de Janet Jackson lors du Super Bowl a fait évanouir d'horreur tout un peuple. Ne reculant devant rien, notre journaliste pas du tout adepte de naturisme ( terme préféré ici en Europe ), décide de se mettre nu pour enquêter sur ce mouvement. Des centres américains autour de Miami, en passant par l'Espagne, le cap d'Agde ou l'Autriche, Mark testera diverses formes de vie naturelle sans vêtement, interrogera tous ces militants sur leurs motivations et enquêtera sur la place du corps nu dans nos sociétés.
Le livre se présente à la fois comme un essai sociologique et comme un récit de voyage. Le mélange des deux auquel s'ajoute un humour assez savoureux de l'auteur, offre une lecture aisée, drôle et très instructive. Si la première partie passionne avec ses retours historiques et sa découverte des lieux naturistes, la seconde moitié peine un peu plus à nous emporter. Nous sommes pas loin de la redite et le propos sur la présence du corps dénudé au 21 ème siècle semble plus convenu. Mais heureusement son livre est truffé d'anecdotes savoureuses, de congrégations religieuses vivant nues ou de phobiques du soleil qui ont tué leur enfant en l'enduisant depuis sa naissance de plusieurs couches d'écran total ( oui, on peut mourir de rachitisme quand on ne reçoit aucun rayon de soleil sur la peau !).
Et c'est ainsi qu'au fil des pages, cet américain bon teint, bien textile, pas trop prude ni du tout réactionnaire, curieux et bienveillant, va jeter ses vêtements, s'enduire de crème solaire et se jeter nu au milieu de congénères.Les débuts lui paraissent difficiles, étranges et contrairement à une pensée première,  pas du tout excitante sexuellement. Il faut bien le dire, tous les lieux où ils se rend pratiquent un nudisme social qui évacue tout érotisme ou situation sexuelle. Il n'y a guère que le Cap
d'Agde qui mélange les deux tendances, la libertine étant évidemment bien plus voyante que sa voisine sage. Et c'est ainsi qu'il connaîtra le bonheur en randonnant nu dans les Alpes autrichiennes ou lors d'une croisière nudiste. D'une certaine perplexité de départ face à ces gens voulant tout faire nu, Mr Haskell Smith en arrivera à une entière compréhension de ce désir de corps libre. Sans pour autant adhérer complètement à ce mouvement, il a pu constater la sensation très agréable de bien être qu'il a éprouvé lors de ces nombreuses incursions au milieu de groupes naturistes. Pas un manifeste pour une vie nue et libre mais sans doute un très joli tour d'horizon d'un mouvement qui intrigue toujours autant et qui, après des décennies de rhabillage, si l'on en croit l'auteur gagner de plus en plus d'adeptes de part le monde.  



lundi 10 juillet 2017

Okja de Bong Joon-ho


En posant cette affiche en tête de mon billet, je m'aperçois que je la vois pour la première fois ! Et pour cause ! Pour tous ceux qui ne connaissent pas l'agitation qui a gagné le milieu du cinéma lors de la présentation de la sélection au dernier festival de Cannes, "Okja" a fait l'objet d'une polémique énorme. Ce film coréen ( du sud), réalisé par Bong Joon-ho après le spectaculaire " Snowpiercer"  en 2013, produit avec des millions de dollars par le robinet à films Netflix n'est destiné qu'à une diffusion sur le net, pas en salle ! Vous comprenez bien que le proposer en sélection a fait drôlement jaser! Y'a eu les indifférents mais surtout les contre qui, à Cannes, ont copieusement siffler le générique quand est apparu le logo de la firme par qui le scandale d'une nouvelle diffusion du cinéma arrive. A part quelques rares projections en salle, le film n'est visible que sur votre télé, votre ordi, votre tablette voire votre smartphone... Aucune affiche ne s'expose dans vos cinés habituels et donc cet espèce d'hippopotame et son usine posée sur son dos ne doivent pas dire grand chose aux amoureux de projection sur grand écran.
En tant que curieux patenté, je me suis abonné à Netflix. Ok c'est gratuit le premier mois et vous pouvez vous dédire au bout de ce mois d'essai... Donc, "Okja " est visible gratuitement au milieu de tout un paquet de séries américains paraît-il affriolantes ( mais je ne suis pas " séries") mais aussi d'un wagon de films de série B, C...jusqu'à Z qui, bien que produits pour le vrai cinéma n'ont pas eu la chance de trouver un distributeur qui mise trois euros sur une vraie sortie...
Mais revenons à ce film qui briguait la palme d'or et n'a, bien sûr, rien obtenu. Je ne sais si c'est le petit écran de ma télévision pourtant bonne taille, mais ce qui doit être le sel de ce film, à savoir, quelques courses poursuites et une usine d'abattage de porcs dantesque, m'a paru bien quelconque. Assurément, une télé n'est pas un écran complètement adapté à une superproduction. Tout le soin apporté à un certain spectaculaire se trouve pas mal réduit à la maison et du coup laisse apparaître la grosse faiblesse de l'oeuvre : son scénario, une énième resucée d'un enfant qui veut sauver son animal préféré de vilains méchants ( vue 125 683 fois au bas mot). L'animal en question, un porc transgénique énorme, Okja donc, croisement numérique de Shrek et de Totoro, est arraché à l'amour d'une petite fille pour qu'il soit débité en côtelettes. On sait dès les premières minutes comment cela va se terminer ... Mais il faut pour cela passer deux heures de films avec des courses poursuites, une méchante vraiment méchante ( Tilda Swinton évidemment parfaite ), des scènes au ralenti ( cinéma coréen d'action oblige), et une palanquée de bons sentiments à la mode. Disons que, pour faire court, Netflix devrait proposer de diffuser "Okja" dans les magasins bios car le sujet central se veut écologique et défenseur de la nourriture saine sans OGM  et vire même veggie sur la fin ( c'est bon ça coco, c'est tendance!).
Rien de bien novateur au final. "Okja" est un film pour enfant ( bon à partir de 6 /8  ans quand même, faut pas terrifier vos héritiers !) sans doute plus pêchu qu'une production lambda dans sa version téléfilm, mais jamais du niveau d'un grand film malgré son prêchi-prêcha vegan. On notera un petit détail :je ne sais pas si la marque Burberry a payé pour du placement de produits, mais une méchante en quasi total look de la marque, si le film est beaucoup regardé par les mômes, pas sûr qu'ils trépignent de sitôt pour papa ou maman leur achète une fripe au si joli écossais ! Pas de quoi non plus s'abonner à Netflix... même si un autre film de la maison a été présenté à Cannes ( " The Meyerowitz stories" de Noah Baumbach) , ni parce que Martin Scorcese tourne aussi chez eux ( voyez son dernier film, il est bien parti pour faire pire !).



dimanche 9 juillet 2017

Visages, villages de Agnès Varda et JR



Que dire d'un film qui, dès les premières minutes, m'a attrapé par l'émotion qui n'a plus quitté de la projection, essuyant larmes et étouffant des fous rires durant une heure et demie ? Je pourrai dire que c'est un chef d'oeuvre malgré son montage bout de ficelle, ses scènes faussement improvisées. J'aurai sans doute raison puisque cette semaine, un site américain de cinéma le classe déjà parmi les 25 meilleurs films français de ce siècle !
C'est vrai j'aime Agnès Varda et son cinéma qui m'a toujours transporté de bonheur, qui sait comme personne, nous parler d'êtres simples ou célèbres avec une réelle tendresse sans jamais tomber dans le voyeurisme. Et pourtant, elle regarde Agnès. Elle a pour moi un oeil absolu comme d'autres possèdent l'oreille. Sa rencontre avec JR  apparaît donc comme évidence malgré ( ou grâce) à la différence d'âge ( plus d'un demi-siècle) tant leurs regards se ressemblent, tant leurs parcours, leurs envies se complètent. JR, ( rien à voir avec celui de la série amerloque, à part vraisemblablement un clin d'oeil moqueur )....en fait  c'est Jean-René... S'il n'a pas choisi son prénom, il s'est débrouillé pour être un des artistes contemporains majeurs avec ses installations photographiques noir et blanc en grand format, qu'il colle sur des façades, des murs du monde entier.
Tous les deux, la vénérable cinéaste à la coiffure bicolore et à la facétie toujours intacte et le jeune plasticien branché, vont sillonner la France à bord d'un camion formidable, à la fois studio photo et imprimante géante. Cela a une tout autre allure que la caravane des Depardon l'an dernier  ! ( " Les habitants", le film issu de ce périple se situant au même niveau que son moyen de transport).
Et dans cette France qui bosse ou a bossé, ils s'arrêtent dans des endroits où quelques rencontres précédentes ou souvenirs de personnes croisées, leur ont laissé des traces. Tous deux vont aller aux devants des gens et leur proposer de les photographier puis de coller leur portrait géant en noir et blanc sur des murs, des édifices, toujours dans le but de rendre tout cela beau et artistique.
Evidemment ça fonctionne du tonnerre. Quand la créativité s'invite dans le quotidien de monsieur et madame Toutlemonde, c'est l'art qui se faufile, qui enjolive le quotidien, qui émeut, qui fait plaisir, qui rend la vie plus belle. La caméra capte ces regards émerveillés, transformés un instant par cette irruption formidable de l'art.
L'émotion qui transpire de toute part de ce film démontre cette pensée profonde que je traîne depuis toujours, que l'art et la culture peuvent changer le monde. Bien sûr, vu comment ce monde avance et malgré l'extraordinaire diversité des créateurs, la pensée fait long feu. Mais quand on voit l'énergie de cette vieille dame touchante et drôle, la bienveillance et l'humanité du créateur et ce respect, l'amour qu'ont tous deux pour les hommes et les femmes qu'ils rencontrent, on ne peut qu'être totalement charmé, ébloui, transformé par ce film. Soudain on reprend un peu d'espoir, on regagne de la force pour croire que tout est encore possible, que derrière toutes ces tristes figures un peu perdues que nous croisons tous les jours, il reste encore des plages de possibles que l'art et la création peuvent illuminer.
Je ne raconte rien de plus. C'est à vous d'aller prendre une dose de bonheur au cinéma. L'amour, l'amitié, l'humour, la mort, la solidarité, le féminisme, la vie, la beauté, ... seront au rendez-vous. Courez voir "Visages, villages", c'est le plus beau film du moment, une pause intelligente, gracieuse, tendre et drôle qui vous bouleversera autant qu'elle vous donnera de l'énergie. A ce niveau de réussite, je ne peux dire que "MERCI" à Agnès Varda et JR.


vendredi 7 juillet 2017

Danielle Darrieux : une femme moderne de Clara Laurent


En France nous avons eu BB, Bombe Bimbo qui enflamma les années cinquante et soixante pour s'éclipser au début des années soixante-dix, mais, bien avant, au début du cinéma parlant, il y a eu DD.
Danielle Darrieux fut l'immense star française des années trente, celle qui enflamma les écrans par sa spontanéité, son humour, son audace, sa grâce et une photogénie hallucinante. Les femmes de l'époque l'adoraient et copiaient sa coiffure, ses tenues, les hommes craquaient pour son minois mutin, tous chantonnaient ses chansons qui accompagnaient invariablement chacun de ses films. Elle débuta à l'écran en 1931, tourna avec quelques éclipses jusqu'en 2010 et a fêté le premier mai dernier ses 100 ans ! Autant dire que cette immense comédienne et chanteuse a traversé toute l'histoire du cinéma français. Clara Laurent, journaliste et professeur de littérature nous dresse un portrait très fouillé de la grande actrice, en essayant de faire surgir la modernité de cette femme qui incarna à l'écran énormément de femmes fortes ou mine de rien, en avance sur leur temps.
Fouillé est le bon terme mais auquel, je dois hélas ajouter celui de linéaire. L'auteure, pour nous conter la vie de Danielle Darrieux, peu prolixe en interviews, a choisi de nous dérouler sa filmographie, détaillant chaque scénario de film avec précision. Ce procédé plus prompt à plaire au cinéphile averti qu'au lecteur lambda, se révèle un peu lassant. Heureusement, Clara Laurent, y glisse un fil conducteur autre que la simple lecture de fiches de films, celui de l'image de la femme que l'actrice donnait à voir de par ses rôles, son aisance, sa gouaille. Bien avant l'époque féministe des années 70, elle fut en filigrane d'une oeuvre jalonnée de comédies comme de drames, la représentation parfaite de la jeune fille qui cherche à s'émanciper. Derrière son jeu dynamique, elle fut une des premières à fissurer cette société patriarcale et peu encline à laisser s'exprimer et vivre librement les jeunes filles et les femmes. Sa vie privée fut aussi à cette image. Après un premier mariage avec un homme qui aurait pu être son père, puis un autre encore plus voyant et clinquant avec un séducteur patenté, unions qui défrayèrent la chronique, elle tira subitement un rideau de discrétion sur sa vie en épousant un quasi inconnu dont elle partagera les jours jusqu'à la mort de ce dernier.
En égrenant sa carrière, jalonnée de très grands films ( Madame de, Les demoiselles de Rochefort, L'affaire Cicéron, ...), c'est à la fois 80 ans du cinéma français que nous refait découvrir cette biographie mais également une actrice qui, du cinéma, en passant par la télévision, mais aussi par la chanson et la comédie musicale ( Elle a joué Coco Chanel à Broadway !) a su rester populaire tout en gardant son statut de grande comédienne. On referme le livre avec une envie irrésistible de revoir ses films ( et d'en découvrir d'autres). J'ai d'ailleurs revu dans la foulée " La crise est finie" ( 1934), formidable petite comédie musicale où Danielle Darrieux pétille comme aucune comédienne d'aujourd'hui...Elle avait 17 ans à l'époque ! Quelle femme !

Et pour avoir une toute petite idée de ce qu'est Danielle Darrieux, voici un lien pour une interview qu'elle a donné à Catherine Ceylac dans "Thé ou café" en 1998 : 
www.ina.fr/video/I00013883





jeudi 6 juillet 2017

Cherchez la femme de Sou Abadi


Une comédie française ( certes réalisée par une réalisatrice iranienne exilée) autour du thème brûlant de la radicalisation islamiste, sur le papier on peut s'attendre à un objet cumulant des facilités ou des raccourcis propres à faire grincer quelques dents. Si "Cherchez la femme" n'est pas la comédie de l'année, elle a le mérite de surfer avec intelligence sur un sujet délicat.
Le thème, qui n'a pas du passer inaperçu si vous écoutez un tant soit peu les radios nationales d'infos, du travestissement d'un étudiant de Sciences Po en femme portant le hijab afin de pouvoir approcher son amoureuse retenue séquestrée par un frère soudain radicalisé, porte à sourire ( mais pas tout le monde puisque des protagonistes du film ont reçu des menaces de mort dès de la diffusion de la bande-annonce). De cette situation de vaudeville, traitée avec entrain mais aussi sérieux, Sou Abadi emprunte les chemins des grandes comédies du travestissement ( Certains l'aiment chaud ou Victor-Victoria) mais sans vouloir réellement jouer la vraie ambiguïté, sans doute trop périlleuse. Si la comédie reste le créneau choisi, ce n'est pas non plus sans souci d'un certain pédagogisme quant à l'histoire iranienne depuis l'instauration de la république islamiste, ni une vraie envie d'ouverture sur la religion musulmane et sa solubilité dans notre société française. Son scénario plutôt habile, échappe à tous les amalgames, et fait preuve d'un bel esprit humaniste sans jamais plonger ses personnages dans les stéréotypes, chacun se révélant plus complexe que dans le commun des habituelles comédies.
Même si la réalisation ne se dégage pas d'un certain formalisme, l'histoire se regarde sans ennui. Quelques répliques font mouche dans la bouche des comédiens tous très bons ( avec quand même une mention pour Anne Alvaro en mère chiante mais révolutionnaire tendance FEMEN).
Sans doute parce que le sujet fait peur, sans doute aussi parce que tout cela n'apparaît pas de prime abord bien drôle, le film ne décolle pas beaucoup au box-office, et c'est bien dommage. Espérons que le bouche à oreille fonctionnera un petit peu pour ce deuxième film, à l'ambition évidente, qui se hisse sans peine bien au-dessous que le commun des comédies françaises qui envahissent nos écrans depuis des mois.



mercredi 5 juillet 2017

Principe de suspension de Vanessa Bamberger



Loin des souvenirs adolescents, du portrait de son papa chéri ou de sa marâtre de mère, voici un premier roman qui empoigne un sujet ô combien peu porteur d'empathie et de glamour : la PME. Oui, la Petite et Moyenne Entreprise ! Cette chose à la fois tant décriée et pourtant porteuse d'emplois et donc d'espoir. 
Soyons clair, le portrait dressé par Vanessa Bamberger dans " Principe de suspension " n'élude aucun problème et pose l'usine de Thomas Masson dans la zone industrielle d'une petite ville grise et ventée où les bâtiments aux verres et aux reflets irisés restent des raretés dans un paysage envahi par des friches industrielles battues par les herbes folles et où la rouille s'unit aux tags pour donner à cet ensemble une atmosphère de fin du monde. L'entreprise "Packinter" fabrique des embouts plastiques  d'inhalateurs destinés à des asthmatiques. Son unique client est le labo pharmaceutique voisin, gros industriel aux profits colossaux qui ne doivent en aucun cas baisser comme le veut la logique libérale actuelle. Bien évident, les pays de l'Est, entre autres, produisent ces mêmes embouts à moindre coût et bien évidemment, le labo, soucieux de rentabilité va désormais délocaliser la fabrication de son médicament, licenciant une partie de ses employés et condamnant la petite entreprise à la faillite. 
Avec cette intrigue somme toute très quotidienne, le roman aurait pu prendre le chemin social militant qui s'ouvrait devant lui. Seulement, Vanessa Bamberger en bonne romancière, mêle ce délitement entrepreneurial avec un autre délitement, celui d'un couple. Avec un montage du récit alternant le passé récent du héros dont les ennuis pleuvent sur son entreprise et le présent, alors qu'après un problème cardiaque, il gît dans le coma, entouré de son épouse et de sa mère, le récit emporte le lecteur dans un mélange fort réussi d'économie sociale et de d'économie du couple. Le précipité obtenu, franchement bien mélangé, se joue de l'hétérogénéité, démontre des talents d'écriture indéniables et s'empare de ce sujet de société de la plus belle des façons, celle des récits que l'on ne lâche pas. Brossant avec finesse le portrait d'un entrepreneur, nous faisant pénétrer dans son univers fait de doutes, d'un soupçon de paternalisme mais surtout de convictions fortes, Vanessa Bamberger analyse de l'intérieur  le quotidien de ce que l'on nomme un petit patron, c'est sans doute cela qui fait le sel de ce premier roman. L'histoire du couple, apparaît toutefois un poil moins originale, mais son traitement sans cliché, sans pathos ne nuit jamais à l'ensemble. 
"Principe de suspension " avec son écriture juste et sensible, et son thème fort, place son auteur parmi les belles découvertes de cette première rentrée de 2017 et, pour moi, une auteure dont je guetterai la sortie de son second roman.