lundi 28 mai 2018

Funambules de Charlotte Erlih



Voici un premier roman où tout se joue sur un fil, autant le(s) thème(s) de l'intrigue ( oui je sais ces parenthèses paraissent bizarres, mais comment définir l'unique/multiple intrigue qui donne toute l'originalité de ces "Funambules" ? ) que parfois l'intérêt du lecteur.
Au départ, classiquement, nous balançons entre deux récits entremêlés, celui de Judith, journaliste pas vraiment grand reporter et celui d'Ada, jeune femme un peu paumée, espérant pouvoir réaliser un premier film. La première s'invite dans un cirque en représentation à Mimizan ( dans les Landes... pour les nuls en géographie ...donc loin du brillant de Cannes ou du signifiant Calais). La seconde se traîne dans un petit studio qu'elle devra quitter dans cinq jours sans savoir où elle va pouvoir se poser ensuite. Deux portraits de funambules de la vie, au bord d'une possible précarité si faux pas et dont la solitude s'agrandit au fur et à mesure que la vie en société devient de plus en plus difficile. Judith flashera sur un funambule, autant pour ses talents que pour son charisme à la froideur intriguante. Ada, vivra d'un vague espoir de voir son scénario accepté par un producteur avec qui elle a un rendez-vous de la dernière chance. Très vite, on s'apercevra que ces deux intrigues n'en font qu'une, s'unissant dans un récit unique que l'auteure nous écrit en funambule .
Le scénario, présenté sous forme de récit, vaut ce qu'il vaut et se transformera au gré des remarques pointues du producteur  puis de l'imagination galopante de la scénariste qui essaiera de répondre au mieux, aux canons des desiderata d'un cinéma formaté. Ces deux derniers se livreront à une joute verbale qui fera évidemment penser à la partie d'échec entre la vie et de la mort dans "Le septième sceau"  d'Ingmar Bergman ( évoqué dans le roman), Ada jouant quasiment sa survie sociale.
Cette construction, franchement ludique, parfois jouissive, trouve ses limites dans le déséquilibre des deux histoires. Le scénario, certes convenu pour permettre sa transformation rapide face à un décideur, manque toutefois de relief. Le récit du duel entre celle qui se rêve réalisatrice et le producteur, prend très vite le pas sur le reste. En tant que lecteur, nous sommes sur le fil, notre intérêt réel peut parfois vaciller, voire penser dangereusement que l'on nous offre un récit un peu lambda.
Nous arrivons toutefois à garder le fil de cette histoire sous nos yeux, l'écriture fluide, parfois joyeusement mordante pour traiter le personnage d'Ada et le monde du cinéma, de Charlotte Erlih, rend son personnage très attachant. On peut saluer pour un premier roman, un joli récit vraiment ludique mais fragilisé par deux histoires pas toujours en harmonie au niveau de la tonalité, l'ordinaire de l'un se heurtant à la jolie rugosité de l'autre. 

mardi 22 mai 2018

Est-ce ainsi que les hommes jugent ? de Mathieu Menegaux



Le titre suggère d'emblée, en plus de son interrogation quasi philosophique, un sentiment négatif qui amène inévitablement le lecteur à penser que tout se terminera mal. Mais rassurez-vous, mené tambour battant, ce nouveau roman de Mathieu Menegaud, de plus en plus habile à trousser un récit convaincant, sera très difficile à lâcher pour quiconque s'y plongera dedans.
Cette affaire de petite fille frappée doublement par le destin, d'abord par le décès de sa mère d'un cancer puis par celle de son père écrasé par la voiture d'un inconnu qui voulait enlevé sa fille, nous empoigne fortement. Puis, le changement d'époque ( 3 ans plus tard), de lieu ( un joli pavillon d'une banlieue chic) et de personnage ( un jeune cadre sup arrêté au petit matin par la police ) nous ancre encore plus dans le livre.
Ce jeune cadre sera accusé de tentative d'enlèvement de la petite fille et du meurtre de son père. Coupable ? Pas coupable ? On ne sait pas trop, même si l'éclairage donné par l'auteur sur cette police ultra zélée nous pousse à une certaine opinion. Nous percevons l'ambivalence qu'elle a à être vraiment acharnée à débusquer les coupables mais capable aussi de certains errements pour arriver à un résultat. Cette histoire rappelle parfois le film de Claude Miller "Garde à vue" ( 1981) mais l'époque n'est plus la même, ni d'ailleurs le regard que l'on peut avoir sur les méthodes que peut exercer une garde à vue sur un citoyen à priori lambda,  ni l'impact dévastateur que cela peut occasionner.
Construit comme un véritable thriller réussi, "Est-ce ainsi que les hommes jugent ?" se lit d'une traite. Le style simple et direct, sans fioriture inutile, convient parfaitement à cette histoire haletante. Mais bien plus qu'un roman à haute tension, c'est aussi l'occasion pour Mathieu Menegaud de nous faire ressentir le côté aléatoire de la vie ainsi que l'incapacité des hommes d'aujourd'hui à réfléchir posément et qui, dans un monde qui vit à 200 à l'heure, sont toujours prompts aux emballements irréfléchis, surtout quand il s'agit de désigner des coupables.
Voici donc un roman  pertinent sur les rouages intimes d'une société fiévreuse, donc un peu malade  et bien plus facile à lire que ne laissait présager le titre.

dimanche 20 mai 2018

A la lumière du petit matin de Agnès Martin-Lugand



Dans ma vie, j'ai beaucoup lu, des romans surtout, qui m'ont transporté, ému, ennuyé, que j'ai oublié sitôt lus, qui m'ont surpris, remué ou étonné ( oui , j'ai lu Pierre Guyotat avec son langage inventé). Il a fallu qu'arrive mai 2018 pour que je lise Agnès Martin-Lugand et découvrir qu'il existe une littérature bien pire qu'un banal roman Harlequin ( oui, j'en ai lu aussi !) et appréhender pour la première fois le vertige du néant littéraire.
Oui, je sais, ces propos sont désobligeants pour l'auteure et ses nombreux lecteurs mais quand on vient de passer deux jours dans 300 pages de mots, de phrases, de dialogues creux et vides, on est forcément un peu grognon. Je vous résume l'affaire.
Hortense approche la quarantaine. Elle est belle, gracieuse car ancienne danseuse, formidable et enthousiaste pédagogue dans l'école de danse  qu'elle codirige et bien sûr vénérée par toutes ses élèves. Elle bosse avec deux très bons amis, eux aussi ex danseurs : Bertille,  "Le feu sous la glace"  mais "un seul de ses mouvements véhiculait une émotion époustouflante" et Sandro, beau, drôle et " dès que lui et son accent chaud ouvraient la bouche, on découvrait un homme d'une gentillesse et d'une générosité peu communes." (sic)
Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Nous nageons dans la guimauve la plus pure. Ca dégouline jusqu'à l'écœurement...qui arrive page 12 ! Bien sûr, ça continue ... Hortense a un amoureux : Sébastien, employé aux MMA, gentil petit rondouillard un peu gagné par la calvitie et amateur de bowling le vendredi soir... Non, je rigole ! Vous ne croyez tout de même pas que dans ce genre de roman, la lectrice va retrouver un personnage aussi quelconque, qui lui rappellera le mari qu'elle a ou qu'elle pourrait avoir ! Ici le mâle qui fait enfiler des dessous en dentelles à Hortense se prénomme Aymeric ( ça fait plus rêver non ? ). Il bosse beaucoup ( sans que l'on ne sache jamais ce qu'il fait ) pour se payer son 4x4 et son iphone10. Il est évidemment, grand, beau, tellement beau que lorsqu'il entre quelque part " son seul charisme irradiait une pièce". 
Bref tout roule pour Hortense... enfin...pas tout à fait... il y a un petit hic... oh, une broutille dont elle s'accommode depuis trois ans ... Aymeric est marié !
Belle, électrisée dès qu'il apparaît ( quand il pose sa main sur son épaule, j'ose à peine vous le révéler... ça donne envie de l'embrasser!) mais cruche quand même, Hortense commence à agiter les quelques neurones qu'elle possède et se demande si finalement  être la maîtresse de cet homme n'en fait pas "l'autre". ( Admirez l'originalité du propos franchement jamais évoqué en littérature). Et c'est lors d'une soirée entre amis ( et avec amant) que le drame va éclater. En descendant un escalier sans rampe mais avec des stilettos aux pieds ( pour accentuer le galbe du mollet et la chute de reins et ainsi exciter le beau mâle), elle choit et se fait une entorse ! Le drame pour une danseuse ...et pour une maîtresse, car le bel Aymeric la préfère plus alerte et mobile pour purger son Popaul qui a de gros besoins, 2 fois par semaine, le lundi et le jeudi de 22h à 22h30 ( re sic).
Là naît une intéressante question : " L'aime-t-il ?". Je ne donne pas la réponse, je ne veux pas spolier ! Alors, Hortense, toute retournée, aura besoin de repli, loin de Paris, dans une maison léguée par ses parents ( beaux, gentils, amoureux, généreux, etc...etc..), une bastide dans le Luberon ( pas un mobil-home dans un camping à la Grande Motte). Là-bas, auprès d'un couple d'amis ( beaux, gentils, amoureux, généreux, etc... etc...), elle réfléchira à son avenir...
C'est donc "au parcours émouvant de la prise de conscience d'une femme" ( je cite une soi-disant lectrice) que l'on est convié et qui, fort heureusement, croisera un homme qui sera bien désagréable au premier abord ( vous connaissez l'adage roman de gare : mâle disgracieux finit au pieu) mais qui finira ...allez...en chœur ... beau, gentil, amoureux, généreux, etc... etc...
Que dire de plus ? Côtoyer le vide abyssal d'une littérature de genre ne rend guère joyeux. Aucune lumière ne brille là-dedans. On n'y trouve aucune idée, aucun style, aucun sens du rythme, une psychologie de bazar mal achalandé. Pire, l'auteure n'arrive même pas à nous faire visualiser ses personnages ni les lieux qu'ils fréquentent. Tout est brossé à la truelle. Une banalité est suivie par un cliché qui précède un dialogue plat qui appelle un nouveau cliché puis une banalité puis un... C'est épouvantable !
Je sais Agnès Martin-Lugand a déjà vendu plus deux millions d'exemplaires de sa littérature. Ca devrait forcer le respect... mais non... ça m'interroge. L'école n'a pas dû faire son boulot, ni nos politiques qui adorent avoir des électeurs endormis, pour que l'on en soit réduit à pouvoir apprécier l'insignifiance. Comment en 2018, alors que la télé propose des séries bien écrites, bien dialoguées,  qu'un éditeur comme Harlequin publie des romans légers mais bien faits ( voir Sophie Jomain), que la chick lit associe mordant et dérision, peut-on arriver à s'intéresser à un tel ramassis de lieux communs, de banalités, de situations niaises, de personnages aussi faux, factices ? Je sais ...la détente...l'envie d'oublier ce monde de brutes... OK ! Alors permettez-moi un conseil. Abandonnez Mme Martin-Lugand et son monde Télétubbies. Vous voulez rêver, vous détendre, lire facile...mais pas niais ? Allez faire un tour chez Agnès Ledig, Lorraine Fouchet, Françoise Bourdin même ( et tant d'autres), ces auteurs ne vous prennent pas pour des demeurés ou des vaches à lait diront les plus teigneux. 

jeudi 17 mai 2018

Tabarnak de Cirque Alfonse


Bobino, jusqu'au 9 juin prochain, nous invite à un happening québécois se déroulant dans une église et dont l'ordre liturgique sera explosé par moultes acrobaties et musiques endiablées. Le titre, "Tabarnak" ,sonne déjà comme un sacrilège ( on pourrait traduire par tabernacle... mais en vérité c'est un peu plus injurieux, un truc de colère ...chez nous on dirait pour faire blasphématoire ...putain de dieu...) et les fidèles présents seront facilement en slip ou s'enverront beaucoup en l'air ( au sens propre du mot...vous pouvez amener vos enfants! ).
Quand nous entrons dans la salle, la troupe, habillée de longues chemises blanches,  patiente gentiment sur scène, s'occupe comme elle peut, tricote, répare, au milieu d'un intérieur québécois traditionnel où rien ne manque, de la crosse de hockey au pot de sirop d'érable. Puis, une fois le bric à brac canadien débarrassé, en route pour une heure et demie d'acrobaties !
Bof...me suis-je dit après un premier  numéro de petite voltige sur patins à roulettes, dont la véritable prouesse consiste sans doute à réussir à évoluer sur un espace restreint. ..Et puis, franchement, si les deux filles semblent athlétiques, j'ai douté de la souplesse des trois barbus qui paraissaient avoir abuser de lard de caribou.... Mauvais jugement ! A la fin du spectacle, j'étais quand même été soufflé par la troupe du cirque Alfonse. Les numéros vont crescendo dans la virtuosité et les trois supposés gros lards se sont révélés franchement musculeux et agiles. On assiste ainsi à des acrobaties vraiment périlleuses avec barres, cordes, encensoirs, ... exécutées avec humour et sourire et qui font frémir puis applaudir. Face à un spectacle vivant périlleux, le suspens s'invite très vite, les prouesses nous clouent au siège.
Mais virevolter, ce n'est pas cela qui fait happening ! La note sacrilège se trouve dans les intermèdes entre chaque numéro ( il faut bien ranger, récupérer, installer ), petits moments volontairement irrévérencieux, allant de la chanson paillarde mettant en scène un curé à un simulacre comique et sexy du baptême... C'est toujours musical, un peu drôle ( un peu seulement, parce que l'humour québécois a peut être un peu de mal à traverser l'Atlantique), parfois un peu longuet ( les "toupies" bariolées) mais cela donne une thématique totalement décalée et au final originale pour un spectacle de cirque.
Quand on aime le cirque, on passe une excellente soirée. Le soir de la première parisienne, il devait y avoir beaucoup d'amateurs puisque la troupe a reçu une standing ovation ( mais j'ai bien peur qu'il y ait une énorme inflation sur la standing ovation à Paris!). Et si l'on est moins friand de voltige acrobatique, la soirée reste agréable car musicale, un poil rigolote et quand même bluffante. Qu'est-ce qu'on les aime nos cousins québécois !



mardi 15 mai 2018

Défaillances de B.A. Paris



Cassie, l'héroïne de "Défaillances"  est prof, mariée au très beau et très amoureux Matthew et n'a pas l'air trop cruche ...à priori. Mais dès les premières pages de ce qui veut être un thriller psychologique, elle est victime du syndrome du petit chaperon rouge. Alors qu'elle quitte le repas de fin d'année qui clôt chaque année scolaire, un énorme orage s'abat sur la région. Vent violent et trombes d'eau la poussent à téléphoner à son adorable mari pour qu'il ne s'inquiète pas trop, elle rejoint leur nid douillet, elle sera prudente. "Ne passe surtout pas par la forêt " lui dit-il, inquiet pour sa sécurité, une branche d'arbre défoncerait sans problème sa Mini. Evidemment, Cassie passe par la forêt, c'est tellement plus rapide ! ( Si elle avait pris l'autoroute, y'aurait pas eu d'histoire non plus...)
Aveuglée par le déluge que les essuie-glaces de sa caisse à savon ont bien du mal à évacuer, elle aperçoit tout de même une voiture arrêtée sur une aire de stationnement. Pensant que peut être quelqu'un a besoin d'aide, elle se gare devant le véhicule. Ne voulant pas se mouiller, et un peu craintive tout de même ( cruche certes mais pas téméraire) , elle attend un signal quelconque de la femme blonde qu'elle distingue au volant. Ne voyant aucun signal, elle abandonne l'affaire,  redémarre et rentre se coucher.
"Ben , elle a pas vu le loup ? " pensez-vous déçus. .. Non... Mais le lendemain matin, elle apprend que l'on a retrouvé une femme sauvagement assassinée dans une voiture sur cette aire de parking. Loup, il y avait bien... Et commence pour Cassie un véritable cauchemar, fait d'abord d'une immense culpabilité pour non assistance à personne en danger. Puis la terreur s'empare d'elle lorsque des appels masqués, avec juste un lourd silence au bout du fil, vont rythmer ses vacances. Elle le pressent, c'est l'assassin qui l'appelle, elle a été vue ... Petit à petit, Cassie va s'enfoncer dans la folie.
Ce long pitch ne résume que les premières pages de ce polar qui en compte 400. Cela peut sembler prometteur sauf que pour ma part, dès la page 46 j'avais compris le pourquoi du comment et sans doute trouver l'assassin ( alors que d'habitude je me laisse embarquer ) . Gênant pour ce genre de roman sensé nous tenir en haleine ! Et même si le final donne un éclairage un tout petit poil différent, quand c'est raté, c'est raté ! La banalité de l'histoire, pas écrite, aux rebondissements (?) répétitifs , un style plat qui  appuie là où justement on doit rester allusif et une fin avec plus de ficelles que sur un voilier 3 mâts... font que tout cela n'a strictement aucun intérêt. En plus l'intrigue est pas mal pompée sur plein de polars où il est question de harcèlement au téléphone, mais aussi énormément sur "Celle qui n'était plus"  de Boileau et Narcejac ( qui a donné le film de Clouzot "Les diaboliques") et possède un ingrédient qui donne rarement de bons livres : l'amnésie, facilité scénaristique souvent peu crédible.
Bref, vous l'aurez compris, pas écrit, pas inspiré, pas original, mal ficelé, vous savez ce qui vous reste à faire, prenez l'autoroute, évitez la forêt et "Défaillances". C'est un bon conseil croyez-moi.

dimanche 13 mai 2018

Fugitive parce que reine de Violaine Huisman


Que serait le roman français contemporain sans la figure de la mère ? Quel(le) écrivain(e)n'a pas écrit sur celle qui donna lui donna la vie, souvent pas mal de névroses ( remarque applicable au père s'il y a, bien entendu) et donc le terreau nécessaire pour stimuler l'inspiration littéraire ? Quel(e) auteur(e) n'a pas eu une maman toxique, trop aimante, hystérique, diabolique, incestueuse, ... ? Combien lisons-nous par an de ces portraits revanchards ou amoureux dédiés à celles qui nous ont donné le sein, le biberon ou rien du tout ?  "Trop !" diront certains.
Cependant, régulièrement, sont offerts à notre curiosité des romans montrant l'inépuisabilité de ce thème si banal. " Fugitive parce que reine "  rejoint les rangs bien fournis de ce genre mais dès les premières lignes accroche le lecteur, signe que l'on peut encore surprendre. Il faut dire qu'ici la mère est bien gratinée. En plus d'être très belle femme, elle cumule quelques particularités qui rendent la vie auprès d'elle moins anodine que chez le voisin. Oubliez le train-train habituel de la famille papa/maman/enfants/déjeuner/dîner/coucher et (surprise!) vacances à La Baule ! Catherine ( c'est son prénom) possède le caractère bien trempé de celles pour qui la vie se dévore. Egocentrique, nymphomane, vulgaire, neurasthénique, cyclothymique, névrosée, kleptomane, alcoolique, dépensière, ultra aimante, ... et j'en passe, toute une panoplie de défauts qui rendent aux yeux des enfants extérieurs le personnage tellement plus sympa que la mère en serre-tête penchée sur les devoirs  du soir et surveillant d'un œil la pizza qui dégèle et de l'autre un texto d'Hervé ( chut...c'est l'amant du moment).
La première partie du livre, compilation de faits bruts arrivés durant l'enfance de l'auteure, séduit d'emblée par une écriture maîtrisée qui sait magnifier ce flot narratif sans réelle temporalité. Le portrait qui se dessine, sans concession, surprend, étonne, passionne. Et dès que le lecteur commence à se dire : " Ca va être comme cela jusqu'à la fin ? Ca va finir par me lasser...", hop, la première partie se termine pour embrayer sur une partie plus classique, façon biographie sur cette cette femme vraiment peu ordinaire. Le rythme rapide emprunté fait que les pages se tournent sans que l'on s'en aperçoive. On commence à sentir poindre le souffle de l'excuse, le parcours sinueux amenant la compréhension et nous donne à ressentir l'amour de ces filles  pour cette mère qui, bien qu'ayant contracté un mariage dans la grande bourgeoisie parisienne, n'a pas eu un vie si facile.
Le livre se conclura par une troisième partie plus lacrymale, sur le vide de son absence qu'il faudra que l'auteure affronte désormais.
On referme ce roman intrigué, assez abasourdi par ce récit. Cette plongée à l'intérieur d'une grande bourgeoisie déjantée, bien réelle ( on peut en retrouver la traçabilité sur le net, aucun nom n'ayant été changé) suinte d'amour malgré un portrait sans concession.
Encore une fois, on s'aperçoit que malgré la banalité du sujet, il existe toujours des auteurs pour le colorer de façon originale et prenante. La belle écriture inspirée de Violaine Huisman nous prouve que le thème de la mère est décidément inépuisable ...et continuera à nous passionner jusqu'à la nuit des temps ( sauf si les progrès de la société libérale dirige l'élevage de nos futurs enfants sur un modèle batterie). 

samedi 12 mai 2018

Paris-Venise de Florent Oiseau



Un roman avec pour toile de fond des migrants et qui parvient à être drôle ! Comment est-ce possible ?  Comment avec une humanité fuyant un régime dictatorial, une guerre, des persécutions, des religieux fanatiques, des régions pillées de ses ressources par l'Occident, peut-elle se concilier avec un roman qui arrive à faire sourire ? En littérature, tout est possible, c'est juste une question de talent et de regard. Florent oiseau ( un joli nom léger et aérien) parvient à réunir ce qui paraissait inenvisageable.
Evidemment, face à un tel thème, à cet océan de souffrances, il convient de biaiser un peu le propos. Non, il ne nous place pas dans une de ces embarcations précaires qui errent sur la Méditerranée, radeaux honteux de nos sociétés éprises de libéralisme et de violence. Il est très difficile d'esquisser le moindre sourire de cette misère fabriquée par notre gourmandise. Florent Oiseau préfère porter son récit dans un train, un Paris-Venise, embarcation plus stable où l'on ne risque pas trop de mourir, juste d'être arrêté par la police pour être renvoyé dans son pays d'origine ou dans un centre d'hébergement. Le train grâce à sa longueur, offre beaucoup de possibilités de s'embarquer clandestinement vers un supposé El Dorado, surtout qu'il est peuplé d'employés, comme le narrateur, qui ne sont pas loin d'être des galériens de notre société de profits.
Roman ( c'est le prénom du héros ...pas l'objet !), gentil, honnête, habitant une triste banlieue, spécialiste des petits boulots sans lendemain, trouve un emploi au long cours dans une compagnie ferroviaire privée qui assure quotidiennement une liaison Paris-Venise. Attention, rien à voir avec le mythique Orient Express. Ici, il s'agit de réutiliser un matériel à bout de course avec un service minimal facturé assez cher pour des voyageurs peu regardants. En comparaison, monter dans un TER donne l'impression d'être en classe business... Le boulot, payé au lance-pierre, nourrit à peine son homme et on ne s'étonnera pas qu'au sein de ce système, les travailleurs redoublent d'imagination pour améliorer leur ordinaire (manger Picard ou lieu de LIDL au moins deux fois par mois).
Roman apprendra vite que les petites combines mettent du râpé sur les pâtes et que d'autres, nettement plus rémunératrices, peuvent faire gagner un petit jackpot. Il suffit pour cela d'exploiter la misère humaine en saignant un peu plus quelques migrants désireux d'embarquer clandestinement..;
Le roman ( le livre donc...) empoigne avec finesse ce commerce humain, situant le lecteur à la bonne place... celle du français sous payé, qui ne veut pas d'ennui, qui est tenté ...qui souffrira d'entailler ses valeurs, son honnêteté  qui lui tiennent lieu de tuteur moral. Il découvrira aussi dans ces silhouettes furtives, hagardes, implorantes, apeurées, des humains, encore plus ligotés que lui  par la situation abjecte dans laquelle les ont plongés nos dirigeants politiques, mais aussi des récits de vies bousillées.
Bien sûr, le roman ne propose aucune solution mais pose bien le doigt où ça fait mal, au plus près de notre conscience d'occidentaux blancs et aisés.
Et l'humour dans tout ça ? Où se glisse-t-il ? Partout ! Et sans jamais faiblir tout au long de ces 200 pages. L'auteur regarde le monde tel qu'il est. Avec la politesse de ceux qui doutent, il arrive à trouver la tendresse nécessaire, le regard qu'il faut pour n'être jamais moqueur mais toujours avoir assez de dérision pour prendre le recul nécessaire.  Même si l'on peut parfois rire ...jaune , cet humour effectivement bien désespéré, fait chaud au cœur dans un monde sans morale.

vendredi 11 mai 2018

Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré



Un film de Christophe Honoré, pour moi, c'est toujours avec une grande envie que j'y fonce, "Les chansons d'amour" restant sans doute un des dix films que j'emporterai sur une île déserte. Même dans ses expériences les plus radicales ( "L'homme au bain" , " Métamorphoses" ), on trouve dans son cinéma des moments de grâce qui font de lui un réalisateur que l'on a plaisir à retrouver.
Sélectionné en compétition à Cannes, le film arrive sur les écrans accompagné d'un char de louanges difficiles à éviter. Christophe Honoré, dont le travail parfois bien décrié, semble soudain faire l' unanimité.  Réalité ? Marketing ? Effet supporter ? ( Cannes c'est une compétition au même titre que le foot ou l'Eurovision, on supporte avec une ferveur aveugle son équipe ...) Peut être bien, mais avouons que quand on aligne un film possédant d'évidentes qualités, autant le soutenir à plein . Ce n'est pas tous les jours que nous sommes face à un long-métrage au scénario très écrit, avec des dialogues de haute tenue, aussi bien dans des moments de comédie pure que dans le drame, des plans magnifiques qui attrapent l'œil, un fond historique inattaquable et une jolie réflexion sur le sentiment amoureux confronté au temps qui passe. Tout ceci, plus une interprétation exceptionnelle de la plupart des acteurs ( surtout un ) font qu'évidemment "Plaire, aimer et courir vite" se hisse sans problème au-dessus de la production hexagonale habituelle ( et ceci sans le soutien de Canal + , ce qui lui offre auprès de la profession un petit côté dissident apprécié).
Cependant, cette machine aux apparences hyper bien huilées, possède quelques petits grains de sable qui coincent un peu son déroulement.
Premier grain : Vincent Lacoste. ce n'est pas qu'il soit mauvais, loin de là, surtout que le réalisateur lui a réservé pas de mal de scènes de comédie où il excelle, mais jamais je n'ai pu l'envisager en amoureux de mecs. Il le joue, pas trop mal, mais jamais il ne l'incarne. Du coup, la matière première du film, c'est à dire l'histoire d'amour, en prend cinématographiquement un coup, surtout que face à lui, Pierre Deladonchamps n'est pas que juste, il est extraordinaire ! Quelle présence ! Quelle voix aussi, qui jouit littéralement des mots que Christophe Honoré lui met en bouche et qui, par une seule inflexion, même dans scènes hors champ, amène émotion et intensité.
Deuxième grain : le déséquilibre narratif entre les deux personnages principaux , l'un peuplé de personnes secondaires importants et forts  ( chez Jacques, joué par Pierre Deladonchamps : l'ex amant, le fils, la mère de ce fils,...) qui offrent des pistes narratives, un peu survolées, mais qui attisent l'intérêt et l'autre ( Vincent Lacoste, le jeune étudiant)  narrant des amitiés de facs plus convenues même si empreintes d'une jolie nostalgie, mais un peu longuettes sur la fin.
Cette jolie fresque intimiste d'une histoire d'amour gay au temps du sida n'atteint pas tout à fait son objectif, coincée peut être entre un désir autobiographique évident, une envie de rendre hommage à des anciens qui ont compté et qui peuplent le film avec une multiplicité de références un poil lourdaudes et un discours très bien vu sur le désordre amoureux.
Malgré ces bémols , "Plaire, aimer et courir vite" reste un bon film que l'on ira voir pour le fabuleuse interprétation de Pierre Deladonchamps ( futur prix d'interprétation ? ), une formidable bande musicale et quand même cette façon bien particulière de parler de l'amour, thème universel que Christophe Honoré continue à creuser avec sincérité.


jeudi 10 mai 2018

Avec Edouard Luntz, le cinéaste des âmes inquiètes de Nadar et Julien Frey


Un bandeau posé sur la couverture nous précise : " Pour Michel Bouquet, c'est l'un des plus grands cinéaste français. Pourtant, personne ne le connaît.". Chic ! une découverte et tout ça sous l'égide d'une personnalité inattaquable !
Quand le bandeau dit que personne ne le connaît, c'est un peu faux. Même si à  la Cinémathèque Française ( la seule, l'unique, avec un C majuscule) citer le nom d'Edouard Luntz n'éveille qu'un regard interrogatif dans les yeux des conservateurs de notre patrimoine cinématographique, le scénariste de ce roman graphique, Julien Frey, l'a rencontré une fois en 1998. Alors étudiant en cinéma, Edouard Luntz l'avait contacté avec l'intention de produire son premier court-métrage... qui ne se fera pas...par manque de fonds car à l'époque le cinéaste tirait le diable par la queue. Ne pouvant même pas payer ses factures EDF, vous imaginez bien que mettre des sommes conséquentes dans un bout de film que personne ne verrait, relevait de l'utopie. 6 ans plus tard, alors que cet épisode était bien oublié, participant à une formation d'écriture de scénario, le nom d'Edouard Luntz reviendra aux oreilles de Julien Frey sous la forme d'une jurisprudence évoquée lors d'un cours autour du final cut ( en France, l'auteur et le producteur se partagent le droit de la version finale d'un film).. Ce droit, on le doit en grande partie à Edouard Luntz suite à un long procès contre la firme américaine Fox qui voulait que s'applique le droit américain ( donnant plein pouvoir au producteur quant au montage final) sur la version d'un film qu'avait tourné le cinéaste français pour elle. Luntz avait été financé en 1968 pour un long-métrage intitulé "Grabuge" ... au titre bien nommé et prophétique  puisque court encore aujourd'hui toute une kyrielle de problèmes de droit, rendant le film inaccessible.
Il n'en fallait pas plus à Julien Frey pour se créer une petite fixette et de mettre toute son énergie à découvrir l'œuvre d'Edouard Luntz, en son temps sélectionné, et même primé, aux festivals de Cannes, Berlin ou Venise. Cette quête, qui mène de Paris à Rio en passant par Washington, racontée dans cet album hommage, nous invite dans les coulisses du monde du cinéma où la notoriété, le talent se cognent à l'argent, ou comment on peut éclipser de l'histoire du 7ème art toute la production d'un auteur doué mais rebelle au système.
Magistralement scénarisé, avec un très pertinent montage de flash-backs qui éclairent le propos et le rendent passionnant, tout aussi magnifiquement mis en images par Nadar  ( un descendant du photographe ? ) avec un simple trait noir et blanc qui colle parfaitement à cette enquête/hommage, transcendée par la très émouvante apparition de Michel Bouquet lui même, cet album devrait intéresser bien au-delà des cinéphiles. On adorera se plonger dans les rouages d'une industrie faite pour rêver mais dont les arrières-cuisines révèlent des couches de crasse peu reluisantes.
Alors que Cannes fait résonner son tam tam médiatique annuel, n'hésitez pas, découvrez Edouard Luntz, qui a monté les marches en son temps, et dont le destin est bien plus passionnant que deux vieux moches retapés entourés de trois jeunes comédiennes largement décolletées  se pavanant sur un tapis rouge.






mercredi 9 mai 2018

Everybody Knows de Asghar Farhadi


La tradition cannoise quant au film d'ouverture est respectée : une daube internationale qui sort en salle simultanément, histoire de profiter du porte-voix du festival pour essayer de traîner le max de spectateurs en salle la première semaine ( en croisant les doigts pour que le temps ne soit pas trop beau !).
Donc nous avons un cinéaste iranien auréolé par quelques précédents succès dans la case "Art et essai", tournant en Espagne avec un couple local mais exilé depuis longtemps aux States et produit par la France et l'Italie notamment. Le résultat suit la courbe descendante impulsée après le triomphe de "La séparation". Dans la droite ligne de ce qui fait le sel de son cinéma, c'est à dire une forte propension à jouer de la morale sous la forme d'un thriller, Asghar Farhadi reste dans l'étude psychologique et les ravages qu'occasionne un événement ( ici un kidnapping). Seulement, en transposant la chose en Espagne, on ne sait si c'est la mollesse qu'induit un soleil trop fort ou l'excès de Rioja ou autres vins locaux, mais le résultat est plus proche d'un feuilleton d'été sur TF1 que de l'œuvre d'un grand cinéaste. Disons que le film est à l'image de son générique de début qui nous montre les vieux rouages fatigués d'une horloge décrépite.
Si l'on peut être épaté par les scènes d'introduction, franchement bien espagnoles, très vite les grosses ficelles scénaristiques improbables apparaissent. Nous assistons alors à tous les poncifs du genre pour essayer de rendre l'atmosphère inquiétante : les regards en coin qui en disent long, les sous entendus qui laissent à penser que tous le monde a un secret, ...bref tout un attirail romanesque mille fois vu dans les histoires de famille qui vont imploser. On n'y croit guère...on s'ennuie un peu à regarder ( mal ) pleurnicher Pénélope Cruz  qui passe son temps à ça. Du coup on remarque la jolie teinture de Javier Bardem, toujours aussi joliment coiffé et qui ajoute de nouvelles chemises à carreaux dans sa filmographie pourtant bien remplie en costumes improbables. On n'arrive pas toujours à savoir qui est le frère du cousin de la belle sœur de l'oncle, mais on s'en fout puisque de toutes les façons il sait quelque chose qu'il dira tôt ou tard. Au bout d'un moment, Pénélope un peu jalouse des costumes de son mari ( dans la vie, parce que dans le film, c'est juste un ex), enfile des robes Marcelle Griffon ( oui ça existe encore en friperie !), ça doit aller avec le chagrin. Entre deux regards noirs et trois  allers-retours excités en voiture ( pour faire croire que l'on donne dans l'analyse profonde ), les révélations pleuvent. On apprend que truc a couché avec machine mais que l'autre ne le sait pas ...mais en fait si et bidule aussi donc il a peut être fait ça... On aimerait bien qu'ils crachent bien vite leurs secrets, histoire que Pénélope arrête de bramer, mais le film prend son temps en d'inutiles circonvolutions qui rendent l'histoire de plus en plus improbable.
Sans être totalement raté ( il y a quand même une certaine grâce parfois dans la mise en scène),   "Everybody Knows"  montre bien les limites d'un cinéma international qui s'égare un peu à vouloir détourner certains metteurs en scènes de leur lieu d'inspiration d'origine et pour le coup nous offre des produits formatés et sans grand intérêt.


mardi 8 mai 2018

Platine de Régine Detambel


"Platine" c'est Jean Harlow dont le nom n'évoque plus grand chose aujourd'hui, sauf à quelques tempes argentées ou à certains cinéphiles. Elle brilla dès sa première apparition qui coïncida avec celle du parlant ( car elle avait une voix ensorcelante dixit les mâles en rut de l'époque ). "Les anges de l'enfer de Howard Hugues en 1930 la positionna aussitôt dans la catégorie "Sexy" . Jean Harlow, en plus d'une ébouriffante chevelure vaporeuse blond platine, avait, pour l'époque, des seins paraît-il parfaits. A cause du code Hays en vigueur ( une censure ultra puritaine sauf pour les armes ... Usa obligent), il était hors de question que ses globes mammaires apparaissent frontalement à l'écran. Seuls les talents conjugués de l'habilleuse, du maquilleur, du chef opérateur, de l'éclairagiste et du réalisateur arrivaient à donner de l'érotisme à la plastique de la star et rendaient ainsi les mâles fous de désir ( y'avait pas You Porn ni Play Boy à l'époque) , les femmes aussi, mais avec une plus grande proportion de jalouses. Jean Harlow ne brilla pas longtemps au firmament d'Hollywood. Vaincue autant par l'image qu'un système impitoyable lui avait imposé que par un entourage malsain, elle ne verra pas les lumières pourtant blafardes de la décennie suivante.
C'est ce destin finalement assez banal pour une star hollywoodienne, moins connu que celui de Marilyn Monroe, autre blonde mythique, que Régine Detambel a choisi de retracer, lui donnant ainsi un nouveau coup de projecteur. "Platine"  se présente devant nous comme une biographie, mais très vite, parce qu'œuvre d'une véritable écrivaine, le texte devient roman, essai, réflexion sur le pouvoir des images, des hommes et de cette célébrité, cadeau empoisonné offert à quelques (mal)heureux élus.
Soigneusement documentée, Régine Detambel insère dans son récit une foultitude de détails, d'anecdotes sans que jamais cela soit pesant ou didactique, gardant à l'esprit d'écrire un roman sur la  triste vie de l'actrice, roman  initiatique mais aussi conte amer sur la schizophrénie obligatoire engendrée par la tyrannie des studios hollywoodiens.
"Platine"  emballe le lecteur comme autrefois pouvaient le faire les films de Jean Harlow. Sortant opportunément au moment du festival de Cannes, on ne pourra pas regarder ce défilé de stars sur tapis rouge sans songer que nombre d'entre elles ( star est féminin, mais la starification est tout aussi dangereuse), derrière leur maquillage et sous des robes ou costumes griffés, sont peut être des Jean Harlow en devenir, harcelées par quelque Harvey Weinstein, jonglant malhabilement avec une image forcément fausse, vacillantes sur leurs stilettos ou par abus de d'expédients divers, elles avancent, toutes dents refaites dehors mais peut être broyées intérieurement. Certaines comme jean Harlow n'iront guère bien loin...Que son tragique destin, ici merveilleusement retracé, serve d'exemple...

dimanche 6 mai 2018

Trouville Casino de Christine Montalbetti


Pour faire un bon roman, les recettes...si recette il y a ... sont diverses. On peut privilégier l'histoire, la rythmer à souhait, la pimenter de rebondissements à chaque chapitre. Cela donne, au mieux Pierre Lemaitre, au pire Joël Dicker et si l'on rajoute une soupçon, voire une louche d'ésotérisme, on obtient Marc Lévy. Pour un niveau supérieur, on se fend de dialogues supposément mieux écrits, proférés par quelques universitaires à la libido frétillante, le tout coaché par des ateliers d'écriture et vous tombez dans le roman américain encensé par la critique française. Très à la mode en ce moment, la dystopie a le vent en poupe mais pour un Houellebecq combien de Virginie Despentes ? Et si vous placez le tout dans un petit milieu bourgeois...je renonce...y'en a tant  que l'on se demande s'il y a vraiment une recette.
Mais en fouillant bien les catalogues d'éditeurs, il existe beaucoup de francs-tireurs, qui aiment prendre des chemins moins balisés, jouant sur le tableau de l'histoire ET de l'écriture ( Il y en a qui ne joue qu'avec l'écriture... mas là, c'est un registre autre proche du laboratoire) . Christine Montalbetti est l'une de celles-là, carburant au récit ET au style.
"Trouville Casino"  part d'un simple fait divers. Un homme de 70 ans, une fin août des années 2010, monte dans sa Seat, va braquer le casino de Trouville en plein après-midi et embarque un peu moins de 10  000 euros, la police à ses trousses. Voilà, c'est tout ! ...Enfin presque...je ne divulgue pas la fin.
J'entends déjà les yeux qui se lèvent vers le ciel ( oui, j'ai l'ouïe fine!) et les pensées qui jaillissent : " Ben, si c'est ça l'intrigue bien palpitante, Duras, c'est du thriller !". 
Posez-vous deux secondes, coupez Netflix, essayez de refiler Dicker sur le Bon Coin ( à 1 euro vous trouverez peut être preneur) et plongez-vous dans l'univers de Christine Montalbetti qui s'empare de cette petite histoire pour la porter très haut. Ou comment d'un minable braquage pour quotidien de province, on en vient à décrire une partie de l'humanité souvent oubliée par les romanciers : les gens simples.
Juste avec quelques maigres articles de presse, sans aucune photo de cet homme qui va faire brusquement chavirer sa vie, Christine ( je me permets cette familiarité car après avoir lu votre roman, on se sent proche de vous) va imaginer et raconter dans le détail les heures de ce coup de folie. Elle va aller sur les lieux du méfait, regarder, imaginer, combler les vides, recréer une supposée vie et chercher à comprendre comment, dans un petit bourg de l'Orne, depuis un fauteuil en velours défraîchi faisant face à une télévision, on peut soudain devenir une sorte de Clyde sans Bonnie.
En se mettant dans la tête de cet homme, en s'asseyant dans sa banale voiture, dans le décor un peu suranné de cette Normandie touristique, en imaginant une vie antérieure faite de loto, de courses à la supérette et de compagne que l'on conduit chez la coiffeuse ( "Changez d'hair" ou "Frigide Hair") , Christine dresse le portrait d'un français anonyme, dont les petites souffrances rentrées et jamais vraiment analysées n'ont rien à envier à celles du cadre parisien pris dans les affres de la quarantaine ( et qui lui, grand aventurier moderne, ne fera que jouir d'une jeunette dans un hôtel trois étoiles).
En laissant vagabonder son imagination, Christine Montalbetti emporte le lecteur avec elle, s'adresse à lui (littéralement) mais également à son cœur, son esprit. Il devient cet homme ordinaire, car cette soi-disant petite vie est aussi un peu la sienne. Epaté par le style à la fois simple, poétique, nostalgique, teinté de drôlerie, sa curiosité est mise constamment en éveil. Entre sourire et émotion, sans fioritures, "Trouville Casino" prouve que l'on a affaire à un véritable roman fait d'imagination, de verve et de talent.
PS ( pour Christine) : Voyez, je n'ai pas évoqué les digressions, car pour moi, il n'y en a pas !