jeudi 30 mars 2017

Orpheline de Arnaud des Pallières


Si par hasard vous deviez vous rendre voir "Orpheline"( il doit bien exister des personnes qui ont envie de voir ce film), ce ne sera pas spolier que de donner deux éléments pour que l'oeuvre soit un peu plus accessible. C'est l'histoire de Renée qui s'appelle aussi Sandra une autre fois Karine et même Kiki, bref malgré différents prénoms, c'est le même personnage, joué par quatre actrices différentes à quatre âges de sa vie ( 27 ans, 20 ans, 13 ans  et 6 ans) et à rebours... Le mal de tête vous gagne ? Vous pouvez car le film peine un peu à nous éclairer et il faut vraiment être attentif ou alors fort doué en cinéma expérimental pour saisir du premier coup d'oeil. Le film nous balade dans des histoires d'enfant délaissé, de grossesses, de relations vénéneuses entre femmes ou plus violentes quand il s'agit d'hommes, le tout dans des décors d'hippodrome, d'école ou de casse de voitures. De drôles d'univers, entre polar et étude psychologique, qu'accompagne un regard assez crade sur le(s )personnage(s) présenté(s) ( sauf  sur celui d'Adèle Haenel, sans doute la mieux lotie des comédiennes).
Il a beau filmer à la mode cubiste et intello, Arnaud de Pallières n'arrive pas à cacher, hélas, une image pour le moins dérangeante de la femme. Dans une image assez sombre, accordant beaucoup d'importance au visage et surtout aux lèvres ( beaucoup de fellations dans le film), "Orpheline" propose une vision de son héroïne assez machiste, en gros une chaudasse lubrique qui ne rêve que de bites et de chattes ( oui elle est bi, vieux fantasme libidineux) et qui ne sera que plus excitée si elle s'est ramassée une bonne baffe. Tous les clichés sont présents car, la belle excuse, ce n'est pas sa faute à cette Renée/Sandra/Kiki/Yolande/Kimberley puisque son père est alcoolo et violent. Je sais bien que la jeunesse en difficulté trouve ce qu'elle peut pour appréhender le monde et survivre , mais ici, on assiste, je trouve, à une certaine complaisance à filmer ses actrices ( surtout Adèle Exachopoulos et Solène Rigot) dans des situations scabreuses.
Beaucoup ne verront dans cette  "Orpheline" qu'un procédé narratif alambiqué et original, proche de la pose "artiste contemporain", qui peut plonger dans l'ennui les plus démunis  mais dans l'extase les avertis. Si formellement, le film peut avoir quelque intérêt, je reste sceptique sur le fond pour le moins ambiguë.
PS : Comme dans les supermarchés, le printemps est l'occasion de sortir des films sur la puériculture et la grossesse. Après "Sage-femme" et "Telle mère, telle fille", c'est le troisième d'affilée que je vois où nous avons droit à des parturientes en salle de travail. Si je devais décerner la palme de la meilleure scène d'accouchement, elle irait quand même à "Orpheline", car, cinématographiquement parlant, Adèle Haenel, comme d'habitude,  y est totalement convaincante.. (plus que les plans pourtant réels de Martin Provost dans "Sage-femme").



mercredi 29 mars 2017

Telle mère, telle fille de Noémie Saglio

Tout est raté dans cette poussive et éprouvante comédie. De l'affiche, énième resucée de celle de "Pretty woman" au générique de fin et ses deux scènes ringardes intercalées, rien ne fonctionne dans " Telle mère, telle fille".
Honnêtement, et malgré l'horrible " Connasse " précédent long métrage de Noémie Saglio, j'avais vraiment envie de voir Camille Cottin qui depuis "10 %" et " Cigarettes et chocolat chaud"  avait acquis une vraie crédibilité d'actrice au registre plus étendue que prévu, confrontée à Juliette Binoche continuant après " Ma loute" à s'éclater dans la comédie. Bizarrement, dès le générique, on sent le ratage. Le split screen employé pour filmer le scooter rose de Juliette Binoche zigzaguant dans Paris, rappelle un montage de clip pauvret des années 90. Et ce n'est pas la musique peu inspirée de M accompagnant le tout qui apporte le moindre dynamisme malgré des guitares saturées et des graves à faire trembler les fauteuils...
Après, que dire ? Que rien ne fonctionne malgré une idée de départ improbable mais qui aurait pu faire son effet ( et que je ne prends même pas la peine de la résumer, tout est dit sur l'affiche). Que Juliette Binoche a beau agiter une belle chevelure blonde dans tous les sens avec un beau sourire, elle n'arrive pas à camoufler l'indigence du scénario ou l'incroyable débilité de certaines scènes. Que Camille Cottin, entre hystérique et femme fragile n'a aucun dialogue piquant ou drôle à débiter. Qu'il y a tellement peu de rythme que le spectateur guette avec impatience qu'elles perdent enfin les eaux pour qu'arrive la délivrance.
Que sauver du film ? Rien ...ou alors si peu de chose. Peut être le chien, un mignon beagle, ... Pour certain(e)s curieux(ses), les jolies fesses bronzées de Lambert Wilson ... Pour les fans de coiffure, le brushing blond très seyant de Juliette Binoche... Avouez que c'est trop peu pour avoir envie de perdre son temps dans cette pochade ringarde, mal fichue et surtout, très mal jouée.


mardi 28 mars 2017

Troisième personne de Valérie Mréjen


La troisième personne du titre, c'est "elle", cette petite fille qui vient de naître au sein d'un couple parisien, sans doute flirtant avec la quarantaine. L'arrivée d'un enfant bouscule les équilibres, les habitudes de la vie à deux, fait observer le monde différemment mais surtout donne aux parents un surcroît de responsabilités. De la sortie de la maternité, avec sa redécouverte du monde comme si l'enfant apportait un nouveau regard à son environnement jusqu'au premier envol un peu éloigné de ses parents, Valérie Mréjen annote toutes ces petites pensées fugaces, ces peurs insistantes, ce chemin zigzaguant mais passionnant vers la parentalité. Loin du livre conseil façon Laurence Pernoud mais très éloigné aussi de toute cette littérature prétendue rigolote de la jeune maman forcément dépassée ou ayant du mal à allier ce trio infernal et romanesque façon chicklit  mère/épouse/maîtresse, "Troisième personne" se propose d'explorer cette portion subtile de la nouvelle vie d'une femme voire d'un couple de jeunes parents, l'installation dans l'humain de la notion de parents.
Composé de petits paragraphes, arrivant de façon désordonnés comme au gré des sensations ou du fil de la pensée, le texte doux et subtil souligne cet état si particulier où la réflexion sur la vie qui vient avec un être supplémentaire, teintée d'une légère touche d'anxiété, assaille tout parent normalement constitué. Les plus anciens se reconnaîtront forcément, les sensations décrites, les questionnements restent les mêmes quelle que soit l'époque où on les vit même si l'on ressent entre les lignes, qu'actuellement être parent, apparaît comme une fonction à très haute responsabilité. Les plus jeunes auront plaisir à retrouver consoeurs et confrères de poussette ou d'interprètes de comptines. Il n'y aura que quelques grincheux, sans doute des célibataires, pour apposer sur ce texte un sensation d'inintérêt.
"Troisième personne", en plus d'être ravissement écrit, se pose comme le challenger intelligent et original dans la course au cadeau de naissance. Il devient dès lors le message silencieux ( subliminal ?) de celui qui l'offre à quelque jeune parturiente ou quelque récent parent aux yeux cernés et au salon encombré de jouets en bois multicolores ( et choisis avec soin), signifiant que la vie, loin de s'arrêter, devient plus riche. Ne vous enfoncez pas dans une béatitude improductive, continuez à vivre, à lire, à réfléchir, à aimer, surtout si l'on doit ajouter une personne supplémentaire.

jeudi 23 mars 2017

Sage-femme de Martin Provost


Je tombe des nues. J'ai vu le dernier film du sympathique  Martin Provost en avant première, vierge de tout avis. Jamais je n'aurai pensé un tel déferlement de bonnes critiques ! Et du coup, me vient une interrogation. Comment un film aussi  banal, au scénario aussi mal fichu et à la réalisation platounette peut-il faire hurler de plaisir ? 
L'affiche est attrayante. La très bankable Catherine Frot ( elle est devant Deneuve sur l'affiche ) associée pour la première fois à l'autre grande Catherine, voilà un couple qui doit faire frémir les tiroirs caisses. Et puis, après le succès de " Médecin de campagne", prendre une autre profession médicale qui touche le coeur de public, ça c'est avoir du flair coco ! Ca tombe bien Martin Provost a été sauvé à la naissance par une sage-femme qui lui a donné son sang ( le film est dédié à cette personne), demandons-lui de nous trousser vite fait un scénario et roule ma poule! On prend les deux grandes comédiennes les plus aimées  par les lecteurs de Notre Temps, de Télérama et par les auditeurs de France Inter, et là mon vieux, c'est le yatch au prochain festival de Cannes. 
Ca c'est sur le papier. A l'arrivée, le cocktail préparé a le goût fade des histoires improbables autour de la énième  retrouvaille de deux femmes aux caractères antagonistes. L'une est coincée, rigide, seule, sérieuse et pas drôle (Frot qui fait du Frot dramatique) tandis que l'autre est jouisseuse, évaporée, joyeuse et bonne vivante ( Deneuve qui arrive à surnager ). L'histoire a l'âge du cinéma et n'offre ici aucune nouvelle idée. Rien dans le scénario n'est cohérent quant à la prétendue évolution du personnage de Catherine Frot, très monolithique pendant deux heures, pendant que face à elle, s'agite notre icône blonde en chemisier panthère, dans un rôle taillé d'une seule mais jolie pièce. Ca traîne en longueur et quand arrive la fin, c'est presque une délivrance. Certes, pour être raccord avec le titre, nous avons droit à quelques scènes d'accouchement qui sentent le réalisme et un très vague discours sur les usines à bébés qui se mettent de plus en plus en place, mais sans que cela soit réellement approfondi (en fait à la façon d'un entrefilet dans 20 minutes). Du coup, le regard et l'esprit gambergent un peu ailleurs. En voyant Deneuve sur un lit d'hôpital, on applaudit aux progrès de la médecine qui fait que dorénavant se faire opérer d'un cancer du cerveau devient un acte chirurgical bénin. On se dit que finalement Quentin Dolmaire a peut être une chance de pouvoir être autre chose qu'insupportable à l'écran comme chez Desplechin, mais que ce sera long. On coche une nouvelle case sur la liste des scènes cocasses qu'est amenée à jouer  Catherine Deneuve à l'écran. Ce mois-ci on rajoute la conduite d'un semi-remorque ! ( Là je sens que rien que pour ça, certains vont courir voir le film !). On regarde discrètement l'heure pour ne pas réveiller son voisin. On se demande si le film s'était intitulé " Maïeuticienne ", la critique, visiblement sous péridurale, se serait autant enthousiasmée façon vieille fille devant le bébé d'un lointain cousin ?  
Mais je m'égare. Le scénario, s'essayant en final à une pirouette elliptique, finit complétement par faire sombrer le film dans la platitude. Non, cette fois-ci, peu de choses à sauver de ce "Sage-femme" beaucoup trop sage malgré ses femmes célèbres. 




mercredi 22 mars 2017

Je suis partie de Paris Combo

Le printemps est là ! Je regarde par la fenêtre et que vois-je un temps gris accompagné de pluie... Si j'écoute les gens chez les commerçants du quartier  encore emmitouflés comme en plein hiver, ils râlent, gris comme de pauvres êtres sortis d'une cave. Mais, bonne nouvelle, malgré cet air du temps sinistre qu'aucun soleil bienveillant ne vient réchauffer, le groupe Paris Combo sort aujourd'hui son nouveau titre et ça c'est mieux que le soleil, ça va nous réchauffer pendant des mois.
"Je suis partie", le premier extrait d'un album dont la sortie est prévu de 12 mai prochain, vous rentre dans la tête dès la première écoute. Après un  départ façon jazz/pop lent, le refrain explose de bonne humeur. Cette invitation au voyage, au départ, à la découverte nous donne des fourmis dans les jambes, des envies d'ailleurs. Et même si votre destination n'est encore qu'un vague projet lointain, nul doute que cette chanson entraînante vous fera patienter. Il suffit de brancher la sono, démarrer par un slow langoureux puis s'éclater et se déhancher. "Je suis partie" nous donne des envies de danser, de partager à deux, à trois ou plus, sur ce formidable moment de swing jazzy. Pour moi, le tube de ce printemps ! Et... vivement l'album !



mardi 21 mars 2017

Une femme au téléphone de Carole Fives


Carole Fives dresse-t-elle le portrait de sa mère ? On pourrait le croire, car cette femme au téléphone, évoque souvent sa fille romancière ... Quelque soit la source d'inspiration, le roman ne peut que résonner auprès de tout lecteur, tellement son réalisme grinçant évoque forcément des moments, des paroles entendues et formulées autour de soi.
Charlène, la petite soixantaine, téléphone à sa fille. Des échanges qu'elle a, nous n'aurons que la partie de la mère. Aigrie, méchante, suppliante, bipolaire, exigeante, versatile,  geignarde, quémandeuse, menaçante, Charlène a toutes les qualités pour participer au concours de la mère la plus toxique de France. L'amour filial reste un lien insondable car sa fille lui répond parfois.... 
En quelques presque 100 pages, le portrait tracé de cette femme par Carole Fives nous émeut, nous étonne, nous fait rire, nous rappelle quelqu'un  mais surtout impressionne par cet accent de vérité, par ces mots que l'on croit réellement entendre tellement ils semblent fidèlement transcris. 
Le roman ne se résume pourtant pas à quelques conversations irascibles qui pourraient tomber dans la banalité. En filigrane de cette acrimonie déversée sans gêne, apparaît  la biographie (certes éclatée) de cette Charlène, son enfance, ses échecs amoureux, l'élevage de ses enfants. Le personnage prend forme de plus en plus précisément. Certains sans doute auront un peu de sympathie pour elle, sa solitude, son cancer jouant en sa faveur. D'autres, grinceront des dents à la lecture de ces mots si réalistes, entendant sans doute leur propre mère. D'autres encore, se régaleront simplement de découvrir un personnage haut en couleur, comique involontaire, un peu nymphomane sur les bords, en tout cas tout le temps branchée sur des sites de rencontres et s'acoquinant avec de pauvres hommes improbables mais aussi martyrisant sa copine Colette ou sur le point d'empoisonner le chien du voisin. 
"La femme au téléphone" malgré sa brièveté recèle des trésors d'écriture réaliste et dresse le portrait saignant d'une mère que l'on ne souhaite à personne. Un court roman que l'on prendra plaisir à lire...

lundi 20 mars 2017

L'autre côté de l'espoir d'Aki Kaurismaki


Je dois l'avouer, je n'arrive pas à entrer dans l'univers du cinéaste finlandais Aki Kaurismaki. Cependant, je persiste et je continue à découvrir ses films. Malgré les couronnes de lauriers, les trémolos énamourés des critiques, cette fois-ci ressemble aux précédentes, rien à faire, cela ne prend pas !
Pourtant, ça débutait pas trop mal. La mise en place des deux protagonistes principaux est un modèle du genre dans la concision et la force narrative. Khaled émerge d'un tas de charbon transporté par un cargo, personnage au seul regard blanc et anxieux pendant qu'à l'autre bout de la ville, Wikstrom quitte une épouse alcoolique en posant sur la table les clefs de la maison et son alliance. La suite verra le finlandais séparé devenir le propriétaire d'un minable restaurant en recherche de notoriété et l'émigré syrien devenir son employé contre l'échange d'un logement dans un réduit d'un parking souterrain.
Bien sûr j'ai remarqué toute l'humanité que dégage ce film, sa critique des services d'immigration, sa réelle empathie aux aléas des contemporains partagés entre envie de bien faire et intérêts personnels, sa détestation face à la violence des bandes de skinheads. J'ai retrouvé aussi ce qui fait ce cinéma unique, repérable dès le deuxième plan, ses décors minimalistes et sinistres éclairés par une lumière très artificielle, sa musique rock placée avec la rigueur d'un métronome au gré du film, ses acteurs aux allures de déclassés. Mais chez moi, ça ne prend pas car les bons sentiments affleurent aussi, rendant cette histoire presque trop poétique voire aux allures de conte mal fichu. Cette façon neurasthénique de jouer avec des lieux sordides et grisâtres mais éclairés comme des palaces clinquants m'indispose assez, rendant le tout irréel. Et quand le réalisateur, après une partie assez mélodramatique, s'essaie dans le restaurant sinistre à un burlesque vieillot, on se dit qu'il a peut être trop forcé sur la bière et se met à ressembler, en nettement moins drôle, au cinéma de Roy Andersson.
Cet excès de théâtralisation et sa mise en scène trop raide à mon goût, alourdit un  film qui reste toutefois singulier, cultivant son univers maintenant trop bien défini pour me surprendre vraiment.




dimanche 19 mars 2017

Mise en pièces de Nina Leger


Qui a eu l'idée chez Gallimard du bandeau rouge qui accompagne ce livre? "Romance",  écrit en gros caractères. semble attirer l'oeil d'une lectrice romantique. Le roman de Nina Léger n'est en rien un livre qui fait du bien dans un genre littérature de bons sentiments. Il s'adresserait plus à certains fans des nuances grises, ceux  qui lorgneraient vers la vraie littérature. J'ai l'impression que ce bandeau fait fonction de cache-sexe, histoire d'adoucir l'aura sulfureux du livre et, je l'espère, l'empêcher qu'il ne soit trop rapidement rangé dans un genre trop marqué.
Soyons honnêtes, à première vue, le livre possède une accroche assez sexe. Jeanne, femme au physique et à l'âge offerts à l'imaginaire du lecteur est une collectionneuse de sexes masculins, rangés dans sa mémoire qu'elle nomme palais. De chaque homme qu'elle rencontre, elle en oublie le corps, le visage pour n'en garder que l'image du pénis qu'elle a touché, observé ou plus. Placés ensuite dans une case de sa mémoire avec deux ou trois éléments du décor de la chambre d'hôtel où cette découverte a eu lieu. elle consulte sa collection au gré de ses envies.
Tout de suite, on voit quand même que nous n'avons pas affaire à une banale histoire de cul. Effectivement, l'enjeu de ce livre est vraiment ailleurs car, désolé pour les amateurs du genre, il y a, au final, peu de scènes explicites de sexe. Quand cela se produit, l'auteure emploi un style esthétiquement réussi et très personnel, nous offrant des paragraphes d'une réelle beauté littéraire. Derrière cette collectionneuse, se cache en fait un formidable descriptif de l'image que peut renvoyer une femme qui assume une sexualité un peu plus débridée que la moyenne. Jeanne aime le sexe des hommes et se débrouille pour en rencontrer le plus possible. Dans son entreprise, elle est toujours maîtresse du jeu. Ce sont eux qui la suivent dans l'hôtel qu'elle leur propose, c'est elle qui refuse tout instant biographique, tout affect avant ou après les ébats, c'est elle qui coupe court à toute nouvelle rencontre. Elle assume. Les hommes se plient. La seule fois où le rapport est inversé, où elle suit l'homme, elle est salit et presque avilit.
Le roman, va au-delà de ces rapports rapides et s'emploie aussi à décrire le malaise qu'une femme qui s'intéresse ouvertement aux hommes et au sexe déclenche dans notre société. Les passages de la braguette ou du godemiché, tous les deux dans le métro sont des petits bijoux d'écriture, aussi drôles que sociologiquement exacts. Mais je pourrai aussi m'attarder sur l'aveu de Jeanne de ses goûts à des amis estomaqués ou de ses déambulations dans un sex-shop et des mouvements qu'elle provoque chez les clients présents mais aussi sur les apostrophes que la romancière lance vers le lecteur qu'elle imagine un peu décontenancé par cette liberté.
"Mise en pièces" ne fait que 154 pages mais arrive à être tout à la fois, brillant, original, brassant plusieurs registres de styles et de lectures et surtout magnifiquement écrit. Ne vous laissez rebuter par cette idée de roman érotique, vous passeriez à côté d'une lecture très contemporaine, et surtout bien plus féministe qu'érotique. 

vendredi 17 mars 2017

Marlène de Philippe Djian


La lecture du nouveau roman de Philippe Djian me laisse circonspect. Son précédent "Dispersez-vous, ralliez-vous", ne m'avait pas emballé. Celui-ci m'est apparu plus inspiré sans pour autant me convaincre, le texte souffrant de scories et de tics d'écriture un peu agaçants.
Si l'on ne regarde que l'histoire, le roman s'avère être un tourne-pages efficace. Des personnages bien typés, évoluant dans un endroit imprécis, mix d'Usa et sud de la France, se confrontent à une vie tourneboulée par un passé de soldats en Afghanistan pour les hommes et à une sexualité en questionnement pour les femmes. Puis vient se greffer une troisième femme, soeur d'une des personnages principales, Marlène. Marlène est une sorte de godiche myope, un peu paumée, qui va jouer la chienne folle dans un jeu de quilles ( et ça tombe bien car un des personnages travaille dans un bowling!). Le roman avance par rebondissements façon sitcom, conservant toujours son côté mystérieux au personnage du titre et distillant une atmosphère poisseuse. Proche du roman noir, du thriller, on se dit que ça peut exploser à tout moment. De ce côté là, le roman est taillé pour se vendre en nombre à la maison de la presse de Royan.
Mais, hélas, il y a aussi l'écriture... Je sais que là je touche un point sensible et que je risque de passer pour un petit lecteur, puisque la communication autour du livre semble tourner autour de deux points essentiels : la difficulté de vivre pour les soldats de retour d'un conflit en terre afghane ( certes en toile de fond mais pas une étude poussée non plus ) et le style de notre grand auteur beat génération à la française. Et là, je coince !
Son précédent roman s'était essayé à la narration  éclatée ( des événements avait eu lieu sans que l'on en soit prévenu, puis décrit un peu tard ) peu convaincante. Dans "Marlène", il a digéré le procédé et semble revenir vers la technique du " sans"... Petit retour historique.... A ses débuts, dans les années 80, "37,2 le matin" ou "Bleu comme l'enfer" avait défrisé les vieux critiques ou les lecteurs classiques par la suppression du "ne"  en tant que marqueur de négation. En 2017, la principale figure de style tourne autour d'une nouvelle suppression, celle des signes de ponctuation de dialogue ( guillemets et/ou tirets quand un personnage parle). Pourquoi pas ? Cela oblige le lecteur à rester attentif car d'un description on passe sans crier gare à un dialogue ... Cela rend la lecture un peu perturbante, surtout au début du roman où, je l'avoue avoir été un peu perdu. Pas facile pour moi, de bien situer les personnages.  Qui vit où ? Qui couche avec qui ? Mais au fur et à mesure que les chapitres s'allongent, comme les phrases ( une autre figure de style?) on s'habitue bien. J'ai fini aussi par m'habituer aux nombreux virages que prend la narration. Dans un même paragraphe, un passage à la ligne nous envoie ailleurs, chez un autre personnage, un autre lieu voire une autre époque, sans que rien dans le texte ne le signale. Là encore, il est sympa Mr Djian, il fait travailler notre cerveau, on reste en éveil ! ( mais attention, cela peut aussi rebuter un lecteur). Cependant, je n'appelle pas cela vraiment du style, mais plutôt un procédé un peu poseur cherchant à complexifier une intrigue de série somme toute assez lambda. En gros un roman de gare qui serait passé par une sorte de tuning littéraire ( on est chez Gallimard quand même !).
Puisque l'on parle de Gallimard...je me demande si quelqu'un à relu le manuscrit de Mr Philippe. Juste un détail sans doute, mais page 172 on lit : "...lorsqu'elle lui demanda ce que ça voulait dire, il resta muet et sortit en claquant la porte." Si vous comprenez comme moi, c'est le personnage masculin qui sort , non ? La phrase d'après on lit : " Il la rattrapa et marcha à côté d'elle..." C'est sans doute aussi cela le style Djian...
Malgré les réserves sur cette écriture un peu fabriquée, le roman se lit presque comme un polar même si la fin laisse le lecteur le bec dans l'eau. On passe un moment pas désagréable parmi ces pages customisées façon grand livre. Comme toute chose faite pour la vitrine, ça peut épater !

jeudi 16 mars 2017

Article 353 du code pénal de Tanguy Viel


Tout le monde l'a dit, écrit, clamé, "Article 353 du code pénal" se hisse sans problème dans le palmarès des meilleurs romans de cette rentrée 2017. Je ne dirai pas le contraire. Cette confession devant un juge d'instruction d'un brave breton qui a poussé un autre breton à la mer possède tous les ingrédients de l'oeuvre que l'on oublie pas. C'est un assassin qui passe aux aveux et son monologue, juste entrecoupé de toutes petites relances de la part du juge, décrit par le menu les faits qui l'ont amené à ce geste ultime. 
Sous la plume inspirée de Tanguy Viel, cette banale histoire de crime devient une description au scalpel de nombreux faits de société. De la chute d'une petite bourgade brumeuse de bord de mer qui, aveuglée par d'hypothétiques bénéfiques touristiques va sombrer dans la tristesse poisseuse des chantiers abandonnés jusqu'à cette chape de plomb qui empêche tout ouvrier à pouvoir vivre un tant soit peu un rêve comme un atavisme qui n'a jamais pu s'effacer, toute la toile de fond du roman est empreinte de cette poisse sociétale. Et c'est dans ce maillage sociétal que le récit s'ancre et prend de l'ampleur avec le style si précis et si imagé de l'auteur. Il dissèque au plus près les tourments de son personnage et presque comme dans un roman policier dévoile peu à peu l'histoire, avec ses rebondissements mais aussi certains moments plus littéraires et hautement symboliques. 
Toutefois, et malgré la grande qualité de ce roman, je mettrai un petit bémol quant à l'intrigue qui par moment m'a semblé un tout petit peu tirée par les cheveux. Pour ne pas trop déflorer l'histoire, je n'ai pas tellement été convaincu par le manque de rebellion collective face aux agissements de celui qui a été assassiné ( le droit existe et nous protège quand même encore un peu ). 
Mais à part cette toute petite réserve, il reste évident que ce nouveau Tanguy Viel est l'une des pépites de ce début d'année 2017, virtuose et inspiré et avec final redoutable qui éclaire magnifiquement le livre et la réflexion du lecteur. 

mardi 14 mars 2017

Grave de Julia Ducournau


"Grave" est sans aucun doute le film français le plus abouti et le plus passionnant que j'ai vu depuis des mois. Et quand on sait qu'il s'agit d'un premier film, autant dire que sa réalisatrice, Julia Ducournau, s'impose d'emblée dans la cour des grands. 
"Grave " est précédé d'une aura un peu sulfureuse. Son thème ( le cannibalisme), son interdiction aux moins de 16 ans, peuvent le ranger, à tort, dans la catégorie mal aimée du film d'horreur tendance gore. Il ne faut pas le cacher, le spectateur sensible sera mis à rude épreuve, sujet oblige. 
Mais au-delà de cette étiquette qui se colle irrémédiablement au film, le projet de "Grave" est autrement plus complexe et d'une richesse narrative inouïe. Justine, sa jeune héroïne, aussi végétarienne qu'elle est vierge, entre à l'école vétérinaire où elle retrouve sa soeur aînée déjà bien implantée dans l'établissement. Lors d'un bizutage, elle doit manger un rein de lapin. De cette absorption obligée résulteront de drôles de troubles aussi bien cutanés que psychologiques. Puis l'envie de viande se fait de plus en plus forte...
Ambitieux de la première à la dernière image, "Grave" supporte aisément plusieurs niveaux de lecture. Le film peut juste être vu comme un film certes horrifique mais surtout totalement efficace avec un scénario en béton qui surprend jusqu'à la fin. Il y a longtemps que l'on nous nous avait pas proposé une histoire aussi bien écrite, dialoguée et agencée ! Au premier degré, l'histoire fonctionne très bien car la réalisatrice prend le temps d'installer à la fois du mystère mais surtout une vraie empathie avec son personnage principal. Et quand l'impensable arrive, on y croit. Et l'escalade qui ne manque pas d'arriver, joue avec nos nerfs sans relâche. Au deuxième degré, apparaît une réflexion autour de l'humain, ce qui en fait son essence et, par ricochet avec ce qui se joue dans le récit, interroge le spectateur sur sa propre humanité car en empathie avec cette jeune fille qui, quand même, finit par se nourrir de bouts de ses congénères. Cela peut apparaître un peu gros, mais je vous assure qu'à l'écran c'est totalement crédible. La réalisatrice nourrit son histoire d'un cadre oppressant ( l'école vétérinaire), y ajoute une bonne dose de féminisme, une réflexion sur le corps, ses fluides divers, la sexualité des jeunes adultes, la relation sororale. Tout cela donne un ensemble terriblement inquiétant et intelligent, multipliant sans aucune lourdeur quelques références pour qui veut les prendre ( Sade puisque son héroïne se prénomme Justine, mais aussi quelques clins d'oeil à quelques maîtres adorés de la réalisatrice) . 
Je pourrai ajouter aussi à ce film un niveau de lecture technique. "Grave" est construit comme une partition musicale, avec ses moments d'humour toujours judicieusement placés pour ne pas nous faire percevoir l'horreur de la scène suivante ou bien, à l'inverse, nous remettre de ce que l'on vient de voir. Cette construction parfaite est accompagnée par une bande son qui nous vibre dans le corps et par les voix des acteurs qui jouent aussi des tonalités comme dans un morceau musical. Et si je rajoute une mise en scène précise, parfois avec des plans d'une beauté à couper le souffle ( et sans jamais tomber dans le maniérisme) ou des scènes franchement inspirées ( le bizutage quasiment filmé comme une rafle au Veld'Hiv ). Tout cela concourt à faire de ce film, une oeuvre dont on a du mal à se remettre mais qui suscite aussi un vrai débat, tellement il possède d'éléments que l'on peut tirer pour alimenter des conversations sans fin. 
Vous l'aurez compris, pour moi "Grave" est LE film français  le plus abouti, le plus prenant, le plus intelligent que l'on ait vu depuis mois. Je sais que certains spectateurs ont été scandalisés... Et c'est bon signe, c'est signe qu'il fonctionne et qu'il résonne ( raisonne ?) fort,  car, loin d'un consensus mou, il assume son ambiguïté et nous trouble intensément !






lundi 13 mars 2017

Paris pieds nus de Dominique Abel et Fiona Gordon


Certes "Paris pieds nus " n'est pas un chef d'oeuvre, mais c'est sans doute la comédie la plus originale et la moins formatée du moment. Dans le paysage actuel d'un cinéma comique français pour le moins productif mais peu imaginatif, le nouveau film du duo Dominique Abel et Fiona Gordon apporte un vent de fraîcheur.
Pas la peine de raconter l'histoire, elle n'est pas des plus réussies et n'a pas grande importance. L'intérêt se situe ailleurs. Ailleurs, c'est l'univers singulier et naïf dans lequel évolue le couple, un Paris ensoleillé et pas du tout stressant, un Paris où l'on peut poser sa tente sans problème sur les bords de la Seine, un Paris avec tour Eiffel mais à la dimension d'un village. Et dans cette capitale une bibliothécaire canadienne vierge à la recherche de sa vieille tante va tomber amoureuse d'un clochard lunaire et gentil. De gags en gags, de situations burlesques en scènes tendrement décalées et au milieu d'une palette de couleurs éclatantes, avec une gestuelle de danseurs clownesques, ils vont se rencontrer, se séparer, se retrouver.
Ces Buster Keaton d'aujourd'hui nous font oublier notre monde dédié à la productivité et à la représentation optimisée de soi.  Avec un humour très personnel et lunaire, ils slaloment dans une société déshumanisée sans jamais se laisser attraper ni dévier de leur route pleine d'une douce poésie. Leurs corps filiformes, glissent, se plient, se déplient au rythme de péripéties surprenantes et lunaires. Quand ils se mettent à danser un tango pour le moins original, on se dit qu' Emma Stone et Ryan Gosling ressemblent à deux sacs de patates dans La la land.
"Paris pieds nus" restera aussi comme le dernier film d'Emmanuelle Riva. Les deux réalisateurs lui offrent une ultime apparition des plus cocasses. Imaginez-vous que dans ce film, l'actrice d' "Hiroshima mon amour " nous gratifie d'un numéro de danse ( très réussi et original même si l'on a fait appel à une doublure pour une partie de la séquence) avec Pierre Richard et qu'elle fait l'amour dans une tente Quechua ! Et l'on sera inévitablement ému pour ce qui restera son dernier plan de cinéma,   magnifique,  où assise avec ses complices sur une poutre métallique de la tour Eiffel, elle sourit, Paris à ses pieds.
Pour toutes ces raisons et surtout pour se prouver que la créativité dans le cinéma français existe, il faut courir voir "Paris pieds nus", film de niche sans doute, film poétique, naïf et donc fragile, mais film qui offre de la tendresse et donne espoir dans le genre humain.


dimanche 12 mars 2017

Monsieur & Madame Adelman


L'affiche est belle, joyeuse, un brin dynamique, le film sent le projet de passer un ou deux crans au-dessus de la comédie française banale mais semble avoir mis la barre trop haute.
Faut-il un résumé de cette histoire ?  45 ans de la vie d'un couple, lui écrivain célèbre, elle ...sa compagne. Ca pourrait être long ( il faut deux heures au film pour y arriver) mais cela n'a guère d'importance, ni d'originalité d'ailleurs. Ils se sont aimés, puis éloignés, puis retrouvés, puis séparés pour mieux se retrouver. Lelouch en a fait des film, Bedos Junior aussi. Le sujet est vieux comme le monde même si ici, le film oscille constamment entre le ( faux) biopic, la comédie et le mélodrame ( peu, je rassure les amateurs de franche rigolade).
Si l'on prend la comédie stricto sensu, elle pâtit de l'effet biopic donné au récit. Pas de dérision du genre, juste un façon qui se veut originale d'amener l'histoire. Cette dernière est découpée en 14 chapitres puisque nous sommes dans le milieu littéraire ( avec des rappels des couvertures de certaines grandes maisons d'édition). 14 sketches diront certains ...et ils n'auront pas tout à fait tort. D'où, malgré une caméra qui tournicote beaucoup et s'agite pas mal, un certain manque de rythme. C'est long deux heures pour une comédie ( même si la fin s'essaie un peu à l'émotion sans trop y croire) ! On voit bien que Nicolas Bedos a voulu garder son image de franc-tireur, de cogneur, de méchant cynique, mais ce qui peut faire effet en télévision voire dans la presse, tombe ici un peu à plat. Il tape sur la bourgeoisie réac et catho, notamment lors d'une scène de dîner mais cela a été vu cent fois et sent le réchauffé. Il se moque de ces écrivains qui se pavanent, dérisoires fantoches,  sur les plateaux télés, mais cela reste très anecdotique. Il essaie d'être grinçant en montrant le couple ne pas aimer son enfant handicapé, mais les deux personnages principaux cultivent tant l'égocentrisme sans complexe que cela paraît totalement plausible et que l'on ne s'en étonne même pas. Bien sûr, on trouve ici ou là quelques répliques drôles, on admire la prestation de Doria Tillier qui vole vraiment la vedette à Nicolas Bedos mais l'ensemble reste bien laborieux.


   

samedi 11 mars 2017

et il foula la terre avec légèreté de Mathilde Ramadier et Laurent Bonneau


Avec ce beau titre, les auteurs nous amènent en Norvège sur les pas d'Ethan, jeune parisien géologue, chargé par une multinationale pétrolière de sonder des terrains en vue de l'exploitation d'une nappe d'or noir particulièrement importante. Basé dans une petite commune au-delà du cercle polaire, le jeune français va, au contact de la nature encore riche et fascinante ainsi que des autochtones qu'il rencontrera, prendre petit à petit conscience d'une autre réalité, loin des affaires juteuses du monde libéral. Si la Norvège vit très bien grâce à ses gisements, la population locale, un peu façonnée par des siècles de légendes nées avant le christianisme mais aussi par les catastrophes des précédentes exploitations, semblent vouloir se tourner vers un futur plus écologique. Isolé, loin de son amie parisienne surbookée, Ethan, au contact de paysages sublimes et d'une nature encore préservée, va commencer à douter de sa mission mais réfléchir aussi au sens de sa vie. 
Ce récit initiatique, aux allures de carnet de voyage et aux couleurs froides cernées d'un épais trait noir, installe progressivement une ambiance presque boréale. Les couleurs utilisées rappellent effectivement les aurores du même nom. Le récit prend le temps d'envelopper le lecteur dans un état d'interrogation et de bienveillance, le laissant s'attarder sur des pages de paysages de toute beauté. Petit à petit apparaît un discours écologique de plus en plus prégnant, inspiré des ouvrages du philosophe norvégien Sur Arne Naess, fondateur du courant de l'écologie profonde, mais dans une version un peu plus light. J'ai noté un point de vue rarement exprimé, donnant comme premier incitateur à détruire la nature, un verset de la bible ( Genèse 1:28). Du coup cet album met un coup de projecteur sur ce défenseur de notre planète, homme controversé ( notamment par Luc ferry et Claude Allègre, ce qui déjà nous le rend sympathique ) par des positions assez radicales ( entre autre que la technologie ne résoudra pas nos problèmes de climat mais les déplacera). Le titre de cet album s'inspire d'une expression employée pour décrire ce sage scandinave dont les dernières pages de ce roman graphique dressent le portrait. 
" et il foula la terre avec légèreté " allie avec de belles nuances et un réel talent, le récit d'une prise de conscience en terre peu hospitalières à laquelle se mêle une très intéressante interrogation humaniste autour de nos rapports avec les énergies fossiles. Dis comme cela, cela ne fait pas engageant. Mais ouvrez cet album et laissez-vous entraîner par la beauté des illustrations . C'est un joli voyage autant touristique qu'intellectuel qui nous est offert. Une jolie réussite ! 







vendredi 10 mars 2017

La confession de Nicolas Boukhrief


C'est la semaine vintage ! Après l'hommage au roman des années 20/30 avec "L'amant noir " hier, voici aujourd'hui le retour de la qualité France en version histoire bien pensante. 
"La confession" est une nouvelle adaptation d'un roman de Beatrix Beck, Goncourt du début des années 50. Une précédente version cinématographique de Jean-Pierre Melville avec Emmanuelle Riva et Jean-Paul Belmondo avait fait date. Nous étions alors au début des années 60. 
Je me demande bien, à part un retour certain du religieux en général, ce qui a pu motiver cette nouvelle version. Franchement, cette vague histoire d'amour durant la dernière guerre mondiale entre une athée communiste et un prêtre apparaît bien gnangnan aujourd'hui. On me rétorquera, comme essaie de nous le redire le film,  que les plus belles amours sont souvent  platoniques. Pourquoi pas ? Soyons romantiques alors ! 
En regardant de plus près que voit-on ? Que lit-on derrière ces beaux plans agrémentés par deux très bons acteurs ? Encore les vieux poncifs que l'on croyait disparus ! Elle ( prénommée Barny), vit seule avec sa fille, son mari étant prisonnier en Allemagne. Comme toute les femmes du village, le manque d'homme se fait sentir. Et quand elle découvre l'abbé Morin dont toutes ses copines disent le plus grand bien, son sang ne fait qu'un tour. Il est canon ! ( Oui en 40,  on parlait comme ça madame !). En plus c'est Romain Duris, cheveux longs, barbe hipster... Il ne lui en faut pas plus pour aller le narguer, opposer sa pensée de mécréante à celle du vendeur d'évangiles. Bon ça marche moyen mais, intuition féminine aidant, en essayant la conversion au catholicisme, elle pense bien pouvoir arriver à mettre le petit Jésus dans la crèche. Las, si la femme n'est finalement qu'une chaudasse prête à tout, le mâle ecclésiastique lui sait résister à l'appel de la chair ... Ca c'est du curé, bu bon,  du vrai, la foi chevillée au corps ! 
Totalement estampillé "Bon pour le caté" et d'ailleurs sponsorisé par "Le pélerin magazine" , le film enchantera "Sens commun". La communiste vacille.  Même si cette traînée rêve en fait de tâter le goupillon, la brebis est au bord de rentrer dans le bon bercail. Elle rebroussera chemin en fait ( je ne révèle rien, c'est au début du film ) mais ne sera pas arrivée à ses fins ( ouf !)!  Si l'abbé avait enlevé sa soutane comme quelques confrères, sans doute aurait-il réussi... mais là, on sort du chemin  balisé des histoires bien pensantes. 
Nicolas Boukhrief a certes un peu dépoussiéré l'histoire. Il filme avec un certain détachement cet affrontement et parce qu'il évite presque totalement l'ambiguïté, il ne réussit pas à gommer tous les clichés qui traînaient déjà dans le roman. (Et je vous fais grâce des personnages secondaires, tous plus stéréotypés les uns que les autres). Pourtant, le film parvient quand même à ne pas être rasoir car tous les face à face entre Romain Duris et Marine Vacth, filmés en plans rapprochés et enveloppés par de légers et gracieux mouvements de caméra, sont formidables. C'est du cinéma de qualité, très propre, très soigné et qui se laisser regarder. On en oublie par moment cette accumulation de poncifs pour n'admirer que deux magnifiques acteurs qui illuminent l'écran. 
"La confession", essaie de recycler une vieille histoire qui a fait pleurer dans les chaumières catholiques, dont le prétendu côté sulfureux n'est finalement qu'une énième resucée d'un récit bien moralisateur. Il ne restera de cette version qu'un joli duo d'acteurs. 




jeudi 9 mars 2017

L'amant noir de Etienne de Montéty


Le titre pourrait évoquer quelque liaison adultère avec un homme à la peau couleur d'ébène.... cela aurait pu, mais nous en sommes très loin. "L'amant noir " du titre, c'est l'opium que va consommer jusqu'à sa mort Fleurus Duclair, héros désuet de ce roman d'un autre âge.
Issu d'une famille versaillaise bien née et cultivant jusqu'à l'extrême le bon goût et la bienséance, le jeune Fleurus deviendra officier dans l'armée, le prestige de l'uniforme sauvant facilement les apparences. Plus porté sur la poésie et l'écriture théâtrale, le fringant lieutenant, après avoir brillé durant les combats de la guerre 14/18, connaîtra un bonheur certain lors de sa mutation à Constantinople. En plus de trouver l'amour sur les rives du Bosphore, il épatera toute la colonie française du secteur en écrivant, jouant et mettant en scène des pièces théâtres où des vers de mirlitons se mêlent à des intrigues sirupeuses. C'est au faîte de cette gloire locale qu'il découvrira l'opium, qui chassera un spleen qu'il traîne depuis son retour des tranchées.
Le roman nous narre donc la vie de Fleurus et de son addiction à ces petites boules noires qui le conduiront petit à petit à sa perte. L'action se situe globalement de la première à la deuxième guerre mondiale. Et il n'y a pas que l'action ! Le style aussi tout comme la manière de traiter ce sujet. Si cela est un hommage à la littéraire de cette époque,  c'est réussi. Seulement, et je ne sais pas si vous avez déjà lu quelques romans des années 20 ou 30, genre Ernest Pérochon ( et ce n'est pas le pire ) ou Victor Margueritte, cette littérature a bien mal vieilli.  J'ai eu l'impression étrange avec cet "amant noir", de replonger dans un monde suranné. Bien sûr, le récit emprunte les sentiers de l'édifiant. La drogue, c'est mal évidemment, cela n'aide en rien la création ( dont il est pas mal question dans ce roman). La douairière avait également raison quand elle s'opposait au mariage de son fils avec une métèque, cela n'amène jamais rien de bon. Nous suivons  ce récit dans lequel court un hommage à Pierre Loti et son orientalisme avec un certain étonnement que l'on puisse écrire de cette façon en 2017. Même si on nous fait grâce de pas mal de descriptions, rien ne dépasse de ce récit empesé.
L'ensemble se lit sans réelle passion, mais arrive toutefois à mener son lecteur à bon port sans trop d'ennui, un peu comme un roman d'autrefois retrouver par hasard dans un grenier et lu par curiosité. "L'amant noir " a la saveur d'un temps qui n'existe plus, mais existe-t-il de nos jours des lecteurs friands de ce genre de madeleine ? 

mercredi 8 mars 2017

De plus belle de Anne-Gaëlle Daval

Voici un feelgood movie ( un film qui fait du bien pour les non anglophones ) sympathique comme tout malgré quelques défauts inhérents au genre.
On a tout d'abord un héroïne quarantenaire qui vient d'avoir un cancer du sein et dont l'arrêt récent de la chimiothérapie l'oblige encore à porter une perruque. Les traits tirés, les yeux cernés, arborant continuellement une tête des mauvais jours assortie de remarques acerbes face aux hommes qui osent malgré tout l'aborder, Lucie sombre petit à petit, la vie lui apparaissant comme un long chemin de compromissions voire en sursis. Deux hasards dans la vie lui feront un peu relever le nez : la rencontre avec Clovis, célibataire séducteur qui va chercher à voir au-delà des apparences et avec Dalila, une sorte de gourou thérapeute qui apprend aux femmes à se réapproprier leur corps et à affirmer leur féminité quelque soit leur âge, leur carrure ou leur handicap.
De de chose l'une, ou l'on se laisse aller à cette histoire très sympathique, au discours positif et féministe et l'on passe un excellent moment ou alors on voit les ficelles du genre, et l'avis sera un poil plus mitigé. Je fais partie du second groupe...
Le projet de mettre en avant une histoire de femme cherchant à réapprivoiser son corps ( si tant est qu'elle ne se le soit jamais approprié...) demeure un vraie sujet porteur. L'idée d'en faire un de ces film qui fait du bien, aussi. Seulement en respectant les conventions du genre, avec  l'inclusion d'une histoire d'amour, apporte ici son lot de situations  assez improbables. On a un peu de mal à croire que le séducteur charmeur et fringant, beau gosse qui ramène une femme différente dans son lit tous les soirs, puisse s'intéresser une seconde à cette Lucie... Autre petit détail que l'on remarque. Le film a été tourné en plein été sans doute. Florence Foresti arbore un bronzage de publicité pour crème solaire. On est donc content pour elle, surtout qu'elle incarne une femme sortant de maladie, totalement fâchée avec son enveloppe corporelle. Et lorsque durant sa thérapie, elle doit se mettre avec beaucoup de difficultés, nue sur une scène, apparaît un corps intégralement bronzée sans l'ombre d'une trace de maillot de bain... Pour une complexée encore malade, on se dit que ce n'était pas la peine de faire autant de chichis alors que l'on pratique le nudisme....
Et pourtant, lorsque Matthieu Kassovitz ( le bellâtre) est face à Florence Foresti ( la femme blessée) , on laisse assez vite de côté les quelques  réticences et on finit par vouloir y croire un peu car les deux comédiens sont épatants ( les dialogues aussi). Le film fait sa promotion, avec raison,  autour du premier rôle dramatique de Florence Foresti, qui, il faut le dire est absolument parfaite et arrive à faire oublier les quelques petits détails notés plus haut.  C'est vrai qu'elle est vraiment épatante Florence !  La comique préférée des français ose, avec talent, laisser tomber sa faconde habituelle  et même se moquer d'apparaître un peu moche à l'écran. On me dira que c'est peut être le lot des comiques, une sorte de passage obligé afin d'acquérir plus de crédibilité, mais là, c'est une plongée intégrale. J'en veux pour preuve la scène que j'appellerai des nez, où les deux interprètes principaux comparent leur appendice nasal.... Franchement, je n'avais jamais remarqué que Florence Foresti en possédait un aussi peu terrible. Du coup, durant les deux ou trois scènes suivantes on le remarque ....pour bien vite l'oublier et se laisser emporter par l'histoire. C'est, avec les comédiens parfaits, l'autre force du film, faire oublier les ficelles du genre pour entraîner le spectateur dans son sillage bienveillant et son message d'espoir féministe. Au milieu d'un scénario archétypal, la réalisatrice glisse des scène savoureuses, émouvantes ou finement décalées, le film est très fort pour déjouer les codes dans lequel il semble s'embarquer.
Au final, on sort du cinéma ragaillardi. Malgré un sujet qui peu apparaître plombant, à l'humour en demi-teinte, à l'émotion à fleur de peau, "De plus belle" nous donne une bouffée d'espoir et un peu de force pour affronter la vie. Alors, malgré quelques facilités scénaristiques, pari gagné pour ce premier film qui ne devrait décevoir personne.





dimanche 5 mars 2017

Ils me sont tombés des mains n°1

Dans une vie de lecteur, malgré que l'on choisisse soigneusement ses livres, il arrive parfois que l'on tombe sur des ouvrages qui s'avèrent impossible à terminer. Peut être n'était-ce pas le bon moment pour les lire ? Peut être un style qui nous déplaît ? Une histoire mal fichue ? Allez savoir ! Pourtant, un éditeur a pris le risque de les publier....
Régulièrement, je vous ferai part de ces lectures récalcitrantes, de ces romans  pour lesquels je ne connaîtrai jamais la fin et qui, jusqu'à présent, n'accédaient pas à la chronique. Loin de moi l'idée de les railler, juste l'envie de partager quelques difficultés que certains d'entre vous ont peut être pu rencontrer sur ces mêmes titres. Il est parfois bon de ne pas se sentir seul...
Je débute  cette chronique avec un premier roman à la magnifique couverture : "Le peintre disgracié" de Dominique Cordellier paru aux éditions LEPASSAGE.


C'est une évocation biographique autour d'un peintre brabançon du 17 ème peu connu, Michaël Sweerts. L'auteur, conservateur en chef au musée du Louvre a à cœur de nous faire découvrir cet artiste aimant surtout représenter des gens de peu. L'homme, assez ténébreux, a durant sa vie, beaucoup voyagé, rencontré des gens célèbres.
Je l'avoue, se plonger sur les traces d'un peintre méconnu et peut être aventureux avait quelque chose d'alléchant. Hélas pour moi, l'auteur a voulu raconter son histoire dans un style sans doute très 17 ème siècle ( mais peut être aussi arrondissement), dans lequel je n'ai pu entrer. Tout empreint d'une certaine préciosité, encombré d'un vocabulaire précis mais peu usité, le récit avance cahin-caha, pour moi alourdi par cette envie du vocabulaire juste et de tournures trop ampoulées. J'ai lutté, résisté, essayé de braver "octovirs" et autres " jeune femme lucanienne", jamais je n'ai réussi à m'intéresser à cette histoire... Dommage... Il reste que je suis allé consulté Google et pu voir quelques toiles de cet artiste....
Le deuxième ouvrage qui a eu raison de ma patience est :"N'être personne" de Gaëlle Obiégly édité chez Verticales.

Là, je devrai avoir honte et me taire. "n'être personne " a eu une presse dithyrambique. Marine Landrot de Télérama y a vu un enchantement bourré d'aphorismes qu'elle voudrait citer jusqu'au bout de la nuit et Damien Aubel dans Transfuge y trouve un livre formidable, radiographie d'une vie.Tous citent cet enchevêtrement de détails biographiques, résultat de l'activité psychique d'une héroïne enfermée tout un week end dans les toilettes de son entreprise. 
Effectivement, des anecdotes sur la vie, les voyages, de la narratrice, le roman en est bourré. Possiblement pris à part, ces moments d'une vie peuvent apparaître drôles, remarquablement bien vus, attendrissants. Je ne conteste pas non plus ce challenge de créer un objet littéraire original, jouant sur la mémoire et les facettes mobiles d'une pensée libre. Je reconnais que parfois, au détour de tous ces récits emboîtés, il y a une belle phrase, une pensée subtile. Mais, pour ces quelques pépites qui apparaissent parfois, combien de paragraphes obscurs, intellos, un peu poseurs. J'ai eu le sentiment de me retrouver dans une cour d'école, où, enfant un peu timide, je regardais avec envie un groupe jouer intensément à un jeu auquel on ne m'invitait jamais. Et si par hardiesse, j'essayais de m'y incruster, j'en étais irrémédiablement rejeté. Ici, c'est un peu cela. Ce jeu littéraire semble réservé à quelques privilégiés. J'ai bien vu le but de cette mise en abyme du romanesque mais j'avoue que le verbiage souvent employé m'a assez agacé. Plusieurs fois j'ai essayé de revenir, sans grande envie et à chaque fois,  je me suis heurté à cette narration chaotique, parfois simple, qui peut accrocher,  qui soudain s'embarque dans des sphères plus ...fumeuses ? .... plus intellos, c'est certain, du genre  : " Ma passion a pour projet le pronom qui parle."
Alors c'est vrai que j'ai senti un regard affûté sur notre réalité avec des considérations pertinentes, mais jamais je n'ai réussi à être embarqué. Je n'en suis pas fier.... peut être n'était-ce pas le moment ? Peut être en attendais-je autre chose ? Ou peut être que l'univers de Mme Obiégly n'est pas fait pour moi.... 


samedi 4 mars 2017

Arrêt non demandé de Arnaud Modat



Le mot "roman" se trouve inscrit en tout petit, en haut de l'ouvrage, bien qu'à la lecture cela apparaît bel et bien comme un recueil de nouvelles. Ce genre mal aimé en France fait-il tant fuir les éventuels lecteurs pour que l'éditeur préfère apposer cette dénomination finalement trompeuse ? A y regarder de plus près et la la lecture terminée, j'en suis moins sûr. Certes ce sont six petites histoires qui se succèdent, mais chacune semble reliée par un même personnage principal, humain mâle assez désemparé par la vie et/ou les femmes, mais à différents âges de la vie.  Que ce soit le petit garçon qui assiste à un apéro en famille particulièrement cinglant au vieux directeur de casting pour figurants, le regard que jette sur ses pages l'auteur peut faire figure de fil conducteur. En quelques lignes, il trace un univers contemporain déglingué et cynique où le mâle urbain se retrouve cabossé au sens propre comme au figuré. Le couple va mal, ne se supporte pas, se déchire pour des broutilles. Et sous la plume de Arnaud Modat cela tourne au pugilat comique, "Arrêt non demandé" étant surement un des rares ouvrages drôles de cette première fournée 2017. 
Je pourrai caractériser le ton qui court au fil des pages d'humour de poulet trentenaire en référence à cette chicklit qui envahit les rayons des librairies depuis des années, sauf qu'ici il y a quand même un petit plus. Là où moultes auteures féminines s'arrêtent à la lisière du bon goût, Mr Modat ose aller plus loin. Ses nouvelles vont crescendo dans un humour sarcastique assumé, assez trivial ( un peu comme du Virginie Despentes en version grosse rigolote) pour oser aborder le terrain du conte fantastique déglingué ( "La dernière nuit du hibou", nouvelle où la mort apparaît à un pauvre esseulé sous la forme d'une accorte livreuse pizza ) voire l' absurde avec la très réussie dernière histoire intitulée " La fourchette à poisson". 
On referme ce recueil/roman de bonne humeur, avec la certitude que Arnaud Modat possède un ton très particulier à nul autre pareil. C'est de très bon augure pour une première publication ! Encore un auteur dont on va attendre avec curiosité la suite de ses aventures romanesques comiques. 

jeudi 2 mars 2017

Tenue correcte exigée au Musée des Arts Décoratifs



Le musée des Arts Décoratifs nous propose avec son exposition "Tenue correcte exigée" une plongée dans les petits scandales que le vêtement et ses créateurs ont engendré au fil des siècles.
Dans une suite de vitrines joliment organisées, mêlant aux vêtements des tableaux et des objets, nous déambulons dans un endroit relativement sombre, slalomant au milieu de groupes massés devant leur guide et donc collés devant les pièces exposées ( et souvent en train de smser sur son portable).  . Rançon du succès d'une présentation riche et légère,... mais attention aux apparences !
Le vêtement, et par extension la mode, restent symboles de légèreté. L'exposition, avec une pédagogie douce, pour peu que l'on lise les cartels, nous prouve le contraire. De tout temps, l'excentricité vestimentaire précède les changements sociétaux. Bien sûr, quand Marie-Antoinette, grande élégante provocante, revêt une sorte de pantalon pour une chasse à courre, elle fait figure de pionnière à une époque où le port du pantalon par les femmes relève de la science-fiction. Toutefois, la lutte pour le  passage de ce vêtement masculin dans la garde-robe de madame Toutlemonde, est remarquablement mis en scène. Des premières culottes pour vélocipèdes, aux premiers pantalons de Gabrielle Chanel, en passant par le smoking de Marlène Dietrich ou de Yves Saint-Laurent, tout est là, sous nos yeux, entre nostalgie et libération de la femme.
Face à ce combat, la jupe pour homme apparaît encore  comme une  proposition jugée incongrue, même si devant des modèles Dries Van Noten ou Jean-Paul Gaultier, certaines visiteuses trouvaient cela pas si vilain au final.... En tous les cas, l'homme en jupe ou en robe a suscité de la part des visiteuses moins de commentaires négatifs que les propositions unisexes de la fin des années 60, souvent de longues tuniques, parfois pas loin des robes de bure des moines mais quelquefois plus luxueuses ou clinquantes, avec des découpes un peu sexy comme dans les modèles d'inspiration sumérienne de Jacques Esterel qui ont laissé pantoises un couple de soixantenaires bien mises qui n'imaginaient pas une seconde Jean-Edouard dans un tel accoutrement.
Tout au long de l'exposition, court ce sentiment que le vêtement répond à une norme mais que, surtout depuis le 20 ème siècle, les couturiers veulent casser à tout prix ces diktats, interrogeant implicitement, ou frontalement parfois, le concept de genre mais aussi d'une supposée bienséance, variable selon les périodes. Alors, on découvre ou redécouvre avec émotion ou curiosité, le premier bikini tout comme le premier maillot de bain féminin seins nus, la première mini-jupe ( ce n'est pas celle de Mary Quant!), la robe bustier Gaultier portée par Madonna ou les jupes pour homme Rick Owens laissant apparaître le pénis.
L'exposition nous rappelle toutefois que dans le marché de la mode, il a été un temps où le scandale devenait obligatoire pour faire parler de soi et donc, à terme, vendre. Sont ainsi exposées des pièces dites scandaleuses ou importables, de chaussures trop hautes aux magnifiques robes insectes de Thierry Mugler. Pour moi, la plus surprenante, parce que quasiment une oeuvre d'art, est sans doute une des robes du défilé Dior par John Galliano sur le thème des SDF ( qui a valu à la marque une manif justifiée devant sa boutique de la rue Montaigne ). Cependant, si  l'on regarde la robe de près, ce mélange d'objets de récup avec cet alliage hallucinant de papier journal et de tissu vieilli, déchiré, fascine comme l'oeuvre troublante d'un créateur sans doute génial.
Quoiqu'il en soit, passionné de mode ou pas, cette promenade dans les vêtements qui ont causé scandale, en plus d'être une véritable machine à remonter le temps, démontre aussi que ces bouts de tissu ne sont pas uniquement des objets de consommation ordinaires, mais parfois, sous les idées visionnaires de créateurs souvent en avance sur la société,  des éléments de combat pour une vie plus proche des désirs de liberté de l'humain.