dimanche 31 janvier 2021

Serge de Yasmina Reza


 Bienvenue dans la famille Popper ( attention, pas d'S à la fin, alors que s'il y en avait eu, la lecture aurait pu être plus facile à passer). La narrateur Jean, célibataire, plus ou moins en relation avec une ex pourvue d'un enfant un peu différent, sa soeur Nana et un frère ainé, Serge donc, admiré depuis l'enfance mais surtout hâbleur, décident sous l'impulsion de Joséphine ( la fille de Serge) de visiter Auschwitz et Birkenau. Ces éléments d'une famille juive non pratiquante vont plus s'éprouver entre eux que se confronter à l'Histoire. Et puis la vie suivra son cours pour ces adultes, soixantenaires vieillissants, qui voient la mort leur faire signe de loin. 

Yasmina Reza n'a pas son pareil pour décrypter et surtout coller son esprit de dérision sur tous nos travers d'occidentaux nantis. Elle nous l'a souvent prouvé au théâtre mais aussi dans ses romans ( "Heureux les heureux"  entre autre). Virtuose du verbe, voire d'une petite complexité narrative, si le verbe fusait, si le regard perçant épinglait, souvent ( tout du moins dans ses romans) le procédé de fabrication l'emportait sur l'intrigue. 

Cette fois-ci, en resserrant son intrigue autour des membres d'une même famille et en appliquant son envie de toujours de jouer avec le politiquement correct, le roman partait sur de bons rails. Hélas, trois fois hélas, rien ne fonctionne là-dedans. La famille, pas mal recomposée, décomposée, en plus de perdre le lecteur avec l'ajout de tierces personnes qui tombent comme un cheveu sur la soupe ( souvent sans intérêt, juste celui de placer un vague bon mot) n'est brossée qu'à gros traits. Aucun membre n'est réellement sympathique passé à la moulinette Reza, mais personne n'a non plus de vraie épaisseur. Du coup, l'intérêt faiblit malgré quelques courtes piques ou remarque cinglante ici ou là. Et que dire du climax du roman, ce fameux sommet de politiquement incorrect qu'est le tour de force de faire de l'humour à Auschwitz. Ben rien. Plat. Sans saveur. On peut juste y voir, glissée parmi les dialogues plats des protagonistes ( un comble pour cette autrice célébrée au théâtre), une vague dérision sur le tourisme de masse. On a l'impression de lire un guide touristique sur les camps ( toujours bon de rappeler l'horreur) mais entrecoupé des réflexions insignifiantes, jamais déplacées car totalement banales. On pourra, au mieux, trouvé ce décalage bien vu, montrant ainsi comment face aux vestiges d'un génocide, l'égoïsme actuel reste plus fort. Mais sur une centaine de pages assez répétitives, c'est long et surtout très improductif. 

Après leur visite touristique, les protagonistes reprendront leur vie ( dont on se fiche totalement maintenant). A coup de Lara Fabian ou de Thomas Bernard ou d'Edgar Poe, ils verront la mort s'approcher, comme tout un chacun, mais sans que cela n'influe sur leur intérêt, tant tout cela se trouve dissout dans un verbiage voulu brillant mais assurément sans âme. 

Voici donc un roman fort vanté dans nos médias qui font l'opinion mais dont on peut absolument se passer tant on trouvera ailleurs ,sur les étals des libraires, des ouvrages autrement plus passionnants, intéressants, ou incisifs. 

PS : Il n'y a aucune critique de professionnel qui ne s'extasie pas sur ce roman. Tout le monde du Figaro à Libération encense, glorifie, s'extasie.... Mais si on lit bien ce qui est écrit, chacun vante, qui un bon mot ( "son petit champagne"), qui une remarque formidable ( l'absorption de plastique par jour égale à une carte bancaire), qui une phrase bien sentie, à la limite une réflexion sur la place du héros dans une fratrie voire le vieillissement. Ce ne sont que des détails perdus dans ces 232 pages ( sans chapitres). Quand on s'est cogné ce "Serge" en entier, on dirait qu'ils n'ont lu que quelques passages ( soigneusement choisis)... qui ne sont jamais le reflet exact de ce roman. 




vendredi 29 janvier 2021

Un papa, une maman, une famille formidable ( la mienne) de Florence Cestac


 

C'est toujours un plaisir de retrouver Florence Cestac, son humour, son dessin à gros nez et cette liberté de ton qui fait toujours mouche. 

L'âge aidant, un peu comme ses collègues de livres ( en littérature blanche), l'autrice nous propose un portrait de ses parents qui est en même temps une sorte d'autobiographie. Le thème n'est pas original, l'époque décrite en fond non plus. Il y a pléthore d'auteurs de cette génération qui regardent en arrière et aiment  à raconter ces décennies d'après-guerre, les arts ménagers, les DS Citroën ( ou les 2CV selon le milieu dont on est issu) et le début de la fin des règles sociales rigides qui régentaient la vie de tout un chacun. L'avantage en bande dessinée, c'est que c'est beaucoup plus ludique, plus visuel et le dessin permet, en plus d'activer ses propres madeleines, d'y ajouter une bonne dose de dérision, et sur ce dernier point Florence Cestac ne se prive pas. Cependant, et c'est peut être le petit plus de cet album, Jacques ( son père ) a beau être d'une rudesse peu empathique et Camille ( sa mère) doucement effacée, la tendresse affleure quasiment à chaque case. Et c'est ce regard parfaitement dosé, à la fois malicieux, juste et aimant, qui donne à cette vie de famille le petit plus qui la rend attachante. Le titre d'ailleurs résume bien l'ensemble : Un papa, une maman, pas besoin de faire un dessin pour voir qui ça vise ... la dérision, une famille formidable ( la mienne) , parce que bon,  malgré les vicissitudes du soi-disant cocon familial, l'attachement est là...

Même si le fond de ce nouveau roman graphique de la formidable Florence Cestac est moins impertinent que ne pourrait le laisser supposer le titre, sa lecture en est évidemment agréable et le lecteur se trouve soudainement ému, lorsque, après une dernière planche fort réussie, apparaissent les photos de ce couple dont on peut voir qu'ils ne sont pas du tout les inspirateurs des gros nez de la dessinatrice ! 


mercredi 27 janvier 2021

Sur un air de fado de Barral


 Le Portugal, pays follement à la mode en ce moment, ne l'a pas toujours été, faute à un régime dictatorial   que la révolution des oeillets de 1974 fera passer à la trappe. "Sur un air de fado" nous replonge au coeur de ces années sombres, où les portugais vivaient dans la crainte d'être arrêtés ( souvent sur dénonciation), torturés, emprisonnés ( beaucoup fuiront au Brésil ou en France notamment). 

Dans une ville de Lisbonne ensoleillée, nous sommes durant l'été 1968, le héros de ce remarquable roman graphique mène une vie assez confortable, voire presque insouciante malgré le climat général plus que tendu. Sans épouse ( pas encore la possibilité d'un époux à cette époque), sans enfant, protégé par son métier de médecin, sans histoire apparente ( sauf celle de se mettre au garde à vous devant la femme d'un colonel parti guerroyer dans les colonies du pays ), Fernando s'est créé une bulle protectrice loin de toute velléité de rébellion politique ou de collaborationnisme patent. Bien que soignant quelques policiers du PIDE ( police politique de l'état portugais de l'époque), il reste sourd à ce qu'il voit ou entend dans ces sinistres locaux. Mais le destin lui fera un pied de nez sous la forme d'un gamin des rues plus qu'espiègle...

L'album, remarquablement construit, s'ouvre sur deux pages ensoleillées relatant un accident domestique du vieux Salazar ( le dictateur de l'époque) puis nous transportera bien vite dans les rues lisboètes si pittoresques et à la douce vie bourgeoise de notre médecin. Tout doucement, cette apparente sérénité virera au gris. Il est difficile d'échapper à la peur, à cette conscience qui petit à petit taraude notre héros. Entre la force du présent et un passé qui lui revient en pleine figure, Fernando se retrouvera face à ses responsabilités d'homme : continuer à fermer les yeux ou agir. 

Dire que cet album est une pure réussite tant graphiquement ( merveilleux tons dorés et chauds, toujours nuancés de gris), que scénaristiquement est une évidence. Le propos est lourd certes, mais l'auteur y apporte une grande touche de tendresse, un peu d'humour et surtout un regard d'une infinie sensualité,  parsemant son récit de vignettes magnifiant cette ville, ce pays, ces gens qu'il semble adorer, donnant ainsi la respiration nécessaire à cette histoire prenante. Quel talent !





mardi 26 janvier 2021

Un bref instant de splendeur de Ocean Vuong


 Célébré de toute part, des deux côtés de l'Atlantique, ce premier roman du sino américain Ocean Vuong, poète, romancier et universitaire  instagrameur queer aux milliers de followers, ne souffre d 'aucune critique négative. Normal, on ne peut qu'être impressionné par son destin d'immigré vietnamien au fin fond d'Etats Unis bien peu accueillants, ouvertement racistes ( et homophobes). On peut également être ébloui par sa façon totalement personnelle de raconter son parcours, sorte d'explosion de moments de vie, faisant fi de toute chronologie, pour ne jeter aux lecteurs que des sentiments bruts, précis, peignant ainsi un tableau sidérant, hautement imagé, à la sensibilité poétique crue et vibrante. 

La première partie de ce roman en est le parfait exemple, mêlant souvenirs d'enfance, généalogie familiale et vie d'immigré américain pauvre dont la fulgurance ne laisse pas indifférent. Rarement on avait décrit avec autant de précision le racisme ambiant d'un pays qui ne peut assimiler les non blancs ainsi que cette plaie toujours ouverte de la guerre du Viêt-Nam dans l'inconscient d'un peuple. Cet éclatant départ pose le roman sur les rails du grand roman américain, sans doute sous l'inspiration de William Faulkner et donc très éloigné ( chic alors !) de ces cohortes d'ouvrages US fleurant bon les ateliers d'écritures ( très formatées) des universités américaines. La suite ne dérogera pas de ce chemin détourné mais, et c'est là où un bémol va se poser, avec moins de brio narratif. 
Si l'histoire de son premier amour avec Trevor, blanc américain accro aux drogues, est plantée dans un décor formidablement romanesque, sa narration, voulue complexe, mélange de souffrance, d'adoration masochiste et d'une poésie un peu adolescente ( sans doute pour recréer des pensées sous acide) paraît un peu plus fabriquée. On sent le laboratoire de recherche littéraire ( qu'on retrouvera un peu plus loin avec ce que l'on peut voir comme un hommage à Georges Perec et et l'utilisation, peut être un peu trop appuyée, de la célèbre anaphore  " Je me souviens"), sympathique mais peut être pas encore bien abouti dans ce premier roman. Vers la fin, apparaîtront de nouvelles fulgurances avec l'évocation sans fard des dernières heures de sa grand-mère mêlée avec ses relations sexuelles, même si cette confrontation Eros/Thanatos peut sembler, elle aussi, un peu convenue. 
Il est certain que ce premier roman de Ocean Vuong détonne dans le paysage littéraire, et annonce de toute évidence un auteur à suivre. Cependant, il ne faut pas le cacher, que ce n'est pas facile à lire ( voire pas passionnant par moment). Le procédé narratif complexe ne tient pas sur toute la longueur mais offre, c'est certain, de purs moments de splendeur. 

vendredi 22 janvier 2021

Pacific Palace de Christian Durieux

 


La bonne idée des éditions Dupuis, depuis quelques dizaines d'années, est d'offrir le personnage de Spirou à l'inventivité et aux talents de dessinateurs et scénaristes divers ( série le Spirou de...). Cela donne un peu de lustre à un héros moins iconique que Tintin ou Astérix et accessoirement des albums formidablement réussis ( comme ceux d'Emile Bravo). Ces jours-ci, sort le Spirou de Christian Durieux que l'on peut d'ors et déjà classer dans la catégorie belle curiosité. 
Sous cette magnifique couverture, bien loin des albums classiques, se cache une histoire pas inintéressante mais pas sensationnelle non plus, à base de dictateur en fuite se réfugiant dans une palace au bord d'un lac. On y retrouvera donc Spirou, en groom de l'hôtel évidemment, Fantasio, en groom aussi,  mais gardant son oeil de journaliste ouvert et accessoirement Seccotine ( mais pas Spip). Les deux héros tomberont amoureux de la même fille ( celle du dictateur). De l'aventure, un peu de réal politique, un petit questionnement sur l'accueil des dictateurs en exil, de la romance et de l'humour ( sans doute la portion la moins réussie ou tout du moins celle qui s'insère le plus difficilement dans cet album)  composent cette histoire qui pourrait passer pour relativement banale s'il n'y avait ce petit quelque chose en plus qui fait la différence : l'atmosphère. 
Oui, ce "Pacific Palace" , grâce évidemment à un dessin absolument superbe, enveloppe le lecteur dans une atmosphère de fin de règne, jouant habilement sur la beauté ancienne de ce grand hôtel tout comme de ses espaces vides. C'est visuellement magnifique et tellement bien rendu que l'on croirait entendre résonner des pas dans le vaste  hall d'entrée ou le corps de l'énigmatique fille du dictateur glisser dans l'eau de la piscine. Qu'importe l'histoire, qui n'est finalement qu'un prétexte, c'est bien un album d'ambiance à la fois suranné et inquiétant que nous offre Christian Durieux, comme si Spirou avait tenté d'aller l'année dernière à Marienbad. 

jeudi 21 janvier 2021

Une loge en mer de Magali Desclozeaux


Vous en avez marre de ces romans français nombrilistes qui à coup d'autoportraits avec père ( ou mère) , de violences familiales ou de cafard post passion qui tentent de nous divertir? Ou de ceux qui, tout en étreignant la misère du monde essaient de nous éveiller ( tout en lorgnant parfois sur le tiroir caisse)? Vous êtes de ceux qui disent que vraiment ces auteurs français n'ont guère d'imagination et nous servent depuis des dizaines d'années la même soupe, quelquefois un peu goûteuse, mais dont on cherche vainement l'originalité du regard ou de l'écriture ou de l'histoire ? Alors, essayez, achetez, plongez-vous dans ce troisième roman de Magali Desclozeaux, vous ferez un étonnant et totalement dingue voyage. 

Pour bien cerner l'ouvrage, et ne pas vous prendre en défaut, il s'agit d'un roman épistolaire. Les expéditeurs, les destinataires, ont pour noms Capucine Liseron, Prune Noisette, Côme Rupin, Isilde Morneplène, ... assurément des personnages de fantaisie... pour une réalité pourtant bien actuelle. Tous échangent avec (ou parlent à leurs correspondants de) Ninon Moinot, concierge à la retraite et désormais logée gracieusement en échange de sa pension dans un conteneur embarqué sur un porte-conteneurs. La situation, peu banale, empreinte de voyage et d'esprit du grand large, va petit à petit, laisser apparaître une réalité beaucoup plus complexe, littérairement ultra maîtrisée, joyeux mélange d'une douce dinguerie à la fois poétique, politique et impertinente. Si le but premier de ce roman est de nous divertir avec brio et originalité, le but second, bien réel, et n'est rien moins qu'une fable acide et empreinte d'humour noir sur les paradis fiscaux et les magouilles financières off shore. Rassurez-vous, rien d'ardu à la lecture, même si l'opacité de ces placements font partie du jeu. Comme quoi, on peut parler de sujets sérieux et actuels avec grande virtuosité et surtout sans une once d'ennui. 

Ce roman se pose d'emblée comme une réelle pépite que l'on a envie de partager. Les lettres sont parfois courtes, mais chaque mot, chaque notule a son importance, arrive même à nous faire voyager, à nous émouvoir. Magali Desclozeaux grâce à son imagination débordante, stimule la notre, mélange les grands espaces marins avec l'espace confiné du conteneur pour faire jaillir une histoire étonnante, à la fois drôle et émouvante. Du grand art !



 

samedi 16 janvier 2021

City of Windows de Robert Pobi


Robert Pobi a du se voir offrir le coffret du parfait auteur de polar, un genre de petite boîte avec tous les bons ingrédients pour trousser un thriller tourne-page ( à moins qu'il n'est parfaitement intégré quelques cours d'écritures très en vogue en Amérique du Nord). "City of the Windows"  en est le parfait exemple. 
On y trouve le décor hautement cinématographique qu'est New_york sous la neige ( et accessoirement  une presqu'île avec phare aussi dans une ambiance neigeuse). On y place un héros, pas loin du  surhomme. La quasi moitié de son corps est en prothèses de titane, son cerveau possède une intelligence surdimensionnée pour résoudre en deux temps trois mouvements des équations à 12 inconnues autour des trajectoires des balles et surtout de leur point de départ. Pour le fun de futurs dialogues, on lui colle un caractère de cochon mais on laissera se dégager en filigrane une grande humanité car le lecteur doit être en empathie ( et au cas où ce ne serait pas le cas, une enfance pas loin du conte de fée nous sera offerte en bonus, c'est bon de faire pleurer l'enfant sensible qui sommeille dans tout lecteur de thriller sanguinolant). Face à lui, un tueur bien sûr, froid et insaisissable. Ici, ce sera un sniper qui dégomme façon Tarantino des agents du FBI ( c'est à dire que les balles qui leur sont destinées font exploser les têtes). Pas d'enquête sans bon adjoint et si possible l'exact opposé du héros. Ce sera donc une femme, noire, patiente, très patiente mais aussi intelligente ( quand même...). Agrémentée de chapitres courts, l'histoire file comme les SUV de la police sillonnant à vive allure les rues enneigées de la grande pomme. Cerise sur le gâteau, et sans doute la touche qui peut faire sortir du lot ce thriller, une franche prise de position contre le NRA ( National Rifle Association, cette association qui lutte pour protéger le port d'armes et l'auto-défense aux USA, contribuant grandement  par chez nous à faire passer l'Amérique profonde pour un repère de gros bouseux fachos ).  
Avec tous ces éléments, enfourchant pas mal de clichés du genre, le roman est évidemment facile et agréable à lire, mais bien évidemment jamais réellement surprenant. On repère les ficelles, on se fiche un peu de savoir qui est le coupable, on sait que les héros s'en sortiront, on s'intéresse surtout à la façon dont on va coincer le sniper ( le FBI met beaucoup beaucoup de moyens),  on espère juste qu'il n'y aura pas l'habituel face à face final longuet et bavard entre le héros et le tueur ( ouf, ici 3 pages seulement, bravo!). 
Ce thriller atteint son but de nous faire passer un bon moment mais à la façon d'un bon gros thriller confortable, mêlant habilement action, bons sentiments et noirceur, sans jamais sortir des lignes habituelles du genre. Efficace oui, mais surprenant non... Pourtant, on sent l'envie chez Robert Pobi de nous en mettre plein la vue.... Une autre fois peut être...

 

vendredi 15 janvier 2021

Pieces of a Woman de Kornel Mundruczo


Kornel Mundruczo possède déjà le talent de nous proposer à chaque fois des thèmes peu exploités au cinéma tout en changeant de genre. Après un film symbolique et un peu horrifique avec chien ( "White God") et un autre mystique et tout aussi symbolique  autour de l'histoire d'un homme qui lévite ( "La lune de Jupiter"), le voici qu'il s'attelle à un sujet très sensible : la vie après la perte d'un enfant qui meurt à la naissance. 
"Pieces of a Woman" a été produit et tourné en Amérique du Nord et force est de constater que le réalisateur hongrois réussit son passage de l'Atlantique. Il a su garder son côté cinéaste inventif et punchy, conserver ses envies de symboles tout en se fondant avec l'imagerie du film qui lorgne les oscars ( sujet sociétal avec images grises et verdâtres). 
Pour bien marquer son coup, on ne pourra qu'être scotché par la première prouesse du film, ce long plan séquence d'une vingtaine de minutes, assez éprouvant, racontant l'accouchement de l'héroïne Martha. Evidemment, 26 mn pour accoucher c'est très rapide, mais, ici c'est un temps de cinéma dont on oublie très vite le côté factice pour être entièrement pris par l'action. Par la suite, le film décrira l'impact du drame sur la vie du couple et de ses proches et s'attardera sur la mère bien sûr, avec un mélange de réalisme cru et de métaphores, marque de fabrique du réalisateur, ici un peu tirées par les cheveux ( les pommes) ou un peu lourdes (la construction du pont). N'évitant aucune piste, en rajoutant peut être un peu trop avec le passé de bébé juif de la mère, "Pieces of a Woman" se permet une petite critique sur le pays qui l'accueille, son attrait pour le fric et la judiciarisation du moindre événement. L'ensemble, porté par Vanessa Kirby très émouvante en mère perdue et essayant de se reconstruire, accroche son spectateur durant plus de deux heures malgré ce sujet redoutablement triste.
Est-ce le manque actuel de cinéma qui fait apparaître ce film comme bon malgré son visionnage sur un écran de téléviseur ? Sans doute pas, car, ce qui apparaît comme une production Netflix, n'est en fait qu'un achat du géant américain après la projection du film à Venise en septembre dernier et donc un objet filmique nettement moins formaté que les habituelles productions maison offertes au public. Une vraie oeuvre de cinéma donc, qui mérite un vrai coup d'oeil. 


  



 

jeudi 14 janvier 2021

Dans les vestiaires de Timothé Le Boucher


Après les succès de " Le patient et de "Ces jours qui disparaissent" , ressort le deuxième album de Timothé Le Boucher paru en 2014. Avec le rajout d'un "dans ", le titre se veut plus explicite et surligne ainsi une action qui se déroulera, jeudi après jeudi dans les vestiaires de garçons, d'une même classe de collège. 
L'idée de remettre sur les tables des libraires, évidemment influencée par l'accueil enthousiaste du public pour ses deux dernières productions, se révèle somme toute une excellente initiative. Dans une époque où les questions de harcèlement ( sexuel ou contre les femmes) occupent une grande place dans nos sociétés, cet album de jeunesse de ce talentueux auteur, abordait déjà ces problématiques mais l'auscultait côté jeunes mâles en devenir, comme le creuset d'un futur dont on ne pourra que se méfier. 
Rien n'échappe à l'oeil d'entomologiste du scénariste/dessinateur, observant ces ados dans cette cage qu'est ce vestiaire. Il y décrit les clans, les leaders et les loosers, les hormones qui bouillonnent, ces corps qui n'osent se dénuder puis qui vont jouer de leur supposée virilité( naissante), les poils qui poussent ou pas, ce sexe dont la taille prend ( bêtement) tant d'importance, le voyeurisme, l'exhibition, les moqueries, le harcèlement des plus gros, des moins branchés, de ceux qui n'ont pas les bonnes marques, l'envie du féminin, la peur de l'homosexualité. On y suit la confrontation de ces groupes, où, sous des airs potaches, leur équilibre s'avère aussi fragile que leurs certitudes et qui rappelle que jamais on ne peut deviner réellement ce qui se mijote dans les cerveaux des adolescents, aussi bien harceleurs que harcelés. 
Avec un scénario bien construit qui va crescendo dans la tension, le récit, de plus en oppressant, nous amène vers un final plutôt surprenant. Timothé Le Boucher, observe, décrit, donne à ressentir mais ne donne apparemment pas de leçon, laissant le lecteur faire son propre cheminement, sa propre réflexion, donnant ainsi à son roman graphique une ampleur peut être ambiguë mais sacrément troublante. 
La couverture de cette ressortie offre un nouvelle illustration par rapport à l'édition originale, montrant combien le trait de l'auteur a évolué en quelques années. On ne retrouvera donc pas cette ligne claire, dorénavant très maîtrisée, dans ces pages anciennes, montrant un dessin moins affirmé, balbutiant peut être, rappelant un peu Bastien Vives, mais collant parfaitement à ce récit d'apprentissage déjà très réussi. 



 

mercredi 13 janvier 2021

Le bonheur est au fond du couloir à gauche de J.M. Erre

 


Ce nouvel opus de J.M. Erre devait sortir au printemps dernier. Le confinement a eu raison de sa parution qui nous aurait pourtant aider à passer plus agréablement ce (s) moment(s). Les romans humoristiques cultivent la rareté dans les catalogues des éditeurs et possèdent quelques points communs avec les nombreuses comédies sortant au cinéma : ce n'est pas sérieux de fait rire et surtout ça n'arrachera jamais l'ombre d'un prix prestigieux ( littéraire ou César). Du coup sa sortie s'est retrouvée reportée d'un an, l'éditeur ayant pensé ( à juste raison) que ce petit bijou aurait été noyé en septembre dans le flot des nouveautés visant toutes le Goncourt. Pourtant, écrire avec du style, de l'invention tout en faisant rire et osant faire réfléchir le lecteur sur nos sociétés contemporaines, avouons-le que ce n'est pas donné à tous ces écrivains qui se pavanent sur les rares plateaux télés qui veulent bien les inviter.
 
L'époque n'est pas portée sur la gaité et si l'on pitche rapidement l'intrigue de "Le bonheur est au fond du couloir à gauche", pas certain que pense d'emblée à un roman qui va nous faire éclater les zygomatiques. Michel H, le héros ( H est bien son nom de famille complet !), ne possède que sa jeunesse pour nous faire envie, une petite vingtaine d'années de vie uniquement consacrées à quelques névroses que psys et médicaments n'ont guère soignées. Sans emploi, assez dépressif et surtout fraîchement largué par Bérénice, le récit sera déroulera sur une petite journée, espérant le retour de sa belle. 
Alors, oui, ce point de départ peut faire penser au  " Le discours" de Fabcaro ( collègue humoriste  de J.M. Erre, très proche de son frère Fabrice), même situation d'aimée attendue et monologue intérieur. Mais là où un Fabcaro tirait son roman vers l'absurde, J.M. Erre, lui, va, tout en déployant un engrenage parfaitement huilé de vaudeville, imprégner son récit d'un véritable dézingage en règle de tous ces ouvrages ou tutos de développement personnel qui cartonnent  auprès de tous les mal dans leur peaux. La littérature qui fait du bien ( uniquement aux comptes des éditeurs et des libraires rappelons-le)  et internet avec ses forums divers et variés en prennent pour leur grade ( je recommande surtout un passage encore plus hilarant que les autres sur cette maniaque japonaise du rangement ).  
Inutile d'en raconter plus tant il faut aller découvrir ce nouveau J. M. Erre. Sa plaquette de gélules en couverture devrait faire penser à Olivier Véran de faire rembourser ce roman par la sécurité sociale tant il apportera de bienfaits à ses lecteurs : Rire ( indispensable en ce moment) et dérision ( tout aussi indispensable pour traverser ces temps pour le moins troubles) sont un meilleur remède que toutes ces pseudos thérapies de bonheur vendues à l'envi. Encore une fois, J.M. Erre écrit drôle et gagne !  





mardi 12 janvier 2021

Plus fort qu'elle de Jacques Expert


 Un bon polar réside dans le fait que l'on a envie de tourner les pages et d'avancer, attisé par une intrigue bien menée, cadencée par quelques rebondissements judicieusement placés. " Plus fort qu'elle" entre indubitablement dans cette catégorie même s'il utilise un thème largement utilisé : le mari, la femme, la maîtresse. La femme ne fera que passer... trépasser plutôt, puisque liquidée dès le premier chapitre. Restent les amants qui changeront de statut  au fur et à mesure que l'histoire avance...Coupables, innocents, manipulés et j'en passe. 
Si Jacques expert n'est pas un styliste du genre, il possède l'atout majeur de savoir créer des histoires qui vont vite, ne perdent pas de temps en description de l'environnement ou des paysages  et qui passionneront le lecteur, le tout sans aucun effet grandguinolesque ni gore. Dans ce nouvel opus, la construction est parfaite, mélangeant très habilement futur (procès-verbaux d'interrogatoire) et présent. On s'attache aux personnages qu'une machination diabolique rendra formidablement empathiques ( ou antipathiques pour certains) jusqu'à un dénouement ( pas d'inquiétude aucun spoiler à venir) bien vu et pas vraiment attendu. 
Soft et classique, bien mené et véritable tourne-page, le dernier Jacques Expert saura vous faire passer un agréable moment surtout si l'on aime être tendu par une intrigue béton ! ( J'aurai aimé écrire "marbre" à la place de "béton", histoire d'être raccord avec l'épouse qui meurt le crâne fracassé dans son escalier de... marbre, mais ça ne fonctionnait pas.)  

dimanche 10 janvier 2021

Ne crains pas l'ombre ni les chiens errants de Camille Zabka


 Sous ce beau beau titre se dissimule un joli petit roman agréable à lire mais dont on peine à comprendre l'intention.
Derrière ce bémol, il y a pourtant un certain savoir-faire dans la construction de l'histoire. On suit la fuite d'une femme avec son bébé du moment où elle quitte le domicile conjugal  jusqu'à ce que l'avion qui la ramènera vers la France s'envole.  Durant cette fuite, l'histoire de cette femme nous sera révélée depuis l'enfance du côté d'Arras jusqu'à cette résidence en Indonésie. Le présent et le passé s'entremêlent parfaitement et l'auteure brosse un portrait simple et délicat de cette mère en déroute. Durant le récit quelques thèmes sont juste effleurés ici ou là, l'écologie et la déforestation pour inonder le monde d'huile de palme, la violence conjugale ou cette vie de riches occidentaux coupés de la réalité du secteur et vivant comme à l'époque coloniale. Le sujet principal reste toutefois l'impact de la différence de classe au sein d'un couple. La morale que l'on peut tirer de cette histoire reste simple : si parfois les princes épousent des bergères, rares sont ceux ou celles qui vivent heureux ensemble. On l'a déjà lu maintes fois. 
Gracieux, joli, agréable sont des qualificatifs que l'on peut attribuer à ce roman qui peine toutefois à convaincre de son réel intérêt. Pour un certain dépaysement, pour une gentille ( mais un poil taciturne) héroïne, on peut avoir envie de parcourir ces pages. Si émotion vous trouvez, elle n'en sera que trop diffuse. 


samedi 9 janvier 2021

Blanc autour de Wilfrid Lupano et Stéphane Fert


Dans la famille " Black Lives Matter/Meetoo", je demande "Blanc autour"... Bonne pioche ! 
Oui bonne pioche parce que cet album, nullement opportuniste par rapport à une actualité brûlante, rappelle que la lutte actuelle contre les discriminations sera longue. Les racines de ce mal sont extrêmement profondes et tout jardinier sait, que pour vaincre ces mauvaises herbes, le combat est continuel et la victoire jamais acquise. 
Wilfrid Lupano le scénariste, s'intéresse à des racines anciennes et brode son histoire à partir d'un épisode de la vie d'une américaine blanche, Prudence Crandall, qui, bien que femme dans le Connecticut, décide en 1832 d'ouvrir une école pour jeunes filles noires. Nous sommes trente ans avant l'abolition de l'esclavage, et être femme à cette époque là équivaut à tenir un foyer, élever ses enfants et se taire. On peut donc admirer son courage de se dresser ainsi face à des tabous que toute la population locale, pétrie de racisme et de bondieuseries, va combattre sans faille. Dans le Connecticut on aime son prochain à condition qu'il ne soit pas noir ou femme  instruite et osant ouvrir sa gueule. Le scénario de cet album, n'est jamais pesant, joue habilement de l'ellipse temporelle et, avec l'ajout de personnages secondaires ( sans doute inventés ... on peut le penser), parvient à dégager un peu de joie, de légèreté de cette terrible histoire, sans jamais perdre de vue son propos combatif mais jamais manichéen ( chacun sait que la réalité est toujours plus grise). Il est aidé en cela par l'illustration tout en rondeurs de Stéphane Fert, qui, dans une harmonie de tons pastels, allant du mauve pâle jusqu'au noir, donne à ce récit la nuance et la distance idéales. 
En lisant cette édifiante histoire, on réalise que presque deux siècles plus tard, les cerveaux n'ont pas évolué au rythme de nos technologies, qu'un noir n'est toujours pas l'égal d'un blanc, que les femmes subissent encore et toujours une violence diffuse mais insistante. Certes cette formidable institutrice a connu une certaine reconnaissance en ayant un musée à son nom dans sa région natale, mais cela reste un rempart bien faible face au terrorisme imbécile de quelques élites. Cet album très réussi, est une petite pierre précieuse dans ce combat contre tous les racismes et une lecture aussi passionnante que bouleversante. 

Merci au site BABELIO et aus éditions DARGAUD pour la découverte de cet album. 




vendredi 8 janvier 2021

Nos corps étrangers de Carine Joaquim

 


Voilà un premier roman qui avance masqué. Et pour en parler, il faut faire de même pour ne pas trop révéler de son intrigue et gâcher le plaisir du (de la) futur(e) lecteur-trice. 

Au premier abord et sur quand même les deux tiers du livre, l'auteure déroule une intrigue pas franchement originale, mais qui, grâce à une écriture fluide et un regard très juste, parvient à nous intéresser. Disons, en gros qu'il s'agit d'un couple un peu dysfonctionnel, usé par une quinzaine d'années de vie commune et flanqué d'une fille adolescente peu causante et un tantinet rebelle. On suit leur vie de nouveaux arrivants dans une campagne de de l'Ile de France, franchement plouc pour l'ado mais teinté d'espoir de renouveau pour les adultes. On découvrira que sous des apparences banales, les cerveaux bouillonnent et les corps s'agitent...
Comme l'indique la couverture du livre et son titre, il sera effectivement question de corps étrangers assez divers. Des corps nouveaux se frotteront à ceux des personnages révélant parfois quelques fêlures personnelles voire sociétales. Avec un déroulement à l'aspect anodin le roman avance tranquillement mais sûrement jusqu'à une bascule surprenante, surtout pour le lecteur qui s'est laissé porter par cette intrigue aux allures de chronique familiale. Dès lors, il prendra alors une direction nouvelle, franchement intéressante mais hélas un peu trop rapide, voire survolée, alors qu'il y avait matière à développer . 
Pour un premier roman, Carine Joaquim nous fait découvrir sa plume habile et fluide et offre aux lecteurs ce petit truc qui fait que l'on n'oubliera pas cette intrigue de sitôt. Lequel ? A vous de le découvrir ! 

jeudi 7 janvier 2021

Le ventre du Congo de Blaise Ndala


Dans son dernier roman , Blaise Ndala a le beau projet d'explorer la plaie toujours vive du colonialisme que les Congolais et les Belges ont tissé durant des décennies. Né en République Démocratique du Congo, il se penche tout naturellement vers l'histoire de son pays. 
En suivant la destinée de deux femmes congolaises, l'une dans les années 50, l'autre au début du siècle actuel, toutes deux liées par le sang, il nous entraîne au coeur d'un récit foisonnant un brin politique qui s'empare de l'histoire d'un pays vivant sous le joug de colons peu amènes et de ses intrigues de palais ( que ce soit chez Baudouin 1er ou chez Kena Kwete III). Il nous plonge également dans les aléas de l'organisation de l'exposition universelle à Bruxelles en 1958 ( et son emblématique Atomium) tout en auscultant les liens pour le moins saumâtres qui enchaînent ces deux peuples et que les années ne parviennent pas à effacer. 
Mais il y a plein d'autres choses dans ce roman. On s'intéresse aussi à des sujets qui restent très actuels comme le regard patriarcal et colonialiste d'un peuple ( surtout la partie masculine ) sur les gens de couleur et la femme en particulier. On y parle de harcèlement, de viol, de racisme ordinaire notamment dans les stades de foot ou du pillage et de la spoliation de l'art africain. On ne trouvera dans ce récit aucun manichéisme, aucune amère revanche, juste un regard sur un monde ni tout blanc, ni tout noir, juste dans les tons grisâtres de l'ambiguïté, emporté dans le vent d'une histoire qui parfois le dépasse. 
Cependant ces grands thèmes de la grande Histoire sont étroitement mêlés avec une plus petite histoire, celle de la jeune Tshala et de sa nièce Nyota. Et c'est là que le bât blesse, où le roman peine à convaincre complètement. Le mélange ne prend pas. On se perd dans une abondance de détails, de petites histoires périphériques, de nombreuses références africaines tribales, animistes. Les personnages se diluent, fragilisés non pas par la terrible histoire qu'ils vivent mais par ce flot touffu de détails généalogiques de leur famille aux branches multiples. 
Malgré une belle écriture, quelques passages passionnants, le roman emprunte trop de chemins détournés, veut trop jouer la précision pour embarquer complètement le lecteur et donner à cette fresque au demeurant originale, la portée romanesque espérée.