J'ai terminé la lecture du nouveau livre d'Emmanuèle Bernheim le visage ravagé de larmes. Je n'avais pas autant pleuré en lisant depuis des années. Vous me direz que l'histoire d'un père gravement malade demandant à ses filles d'abréger au plus vite ses jours ne peut qu'amener ce déferlement d'émotions. Hé bien, pas du tout car la prouesse de ce livre est justement de n'avoir pas été écrit pour être un tire-larmes putassier, mais le récit haletant de cette course vers la mort.
Construit avec des phrases courtes, précises, nettes, sans fioritures, le livre ne raconte que des faits, des éléments du décors, des détails insignifiants mais qui se sont gravés dans la mémoire de la narratrice. Ses sentiments aussi, sont posés là, sur les pages, avec la simplicité des gens pudiques. Jamais Emmanuèle Bernheim n'est prise en faute de surenchère émotionnelle. Tout est brut, sec, dense.Après une introduction haletante où, la narratrice apprenant l'accident cardio-vasculaire de son père, se rend à l'hôpital, dans un état quasi second, j'avoue avoir un peu douté pour la suite. Je ne retrouvais pas la rigueur, voire l'âpreté de "Cran d'arrêt" ou de "Vendredi soir", ses précédents romans parus voila maintenant plus de 10 ans. Mais très vite, la demande de mourir dignement du père est posée. La narratrice est embringuée dans une histoire qui la dépasse un peu. Les questions, les hésitations, la morale mais aussi la recherche de partenaires pour cette euthanasie ainsi que cette étrange relation père/fille, tout est scrupuleusement décrit, noté jusqu'au final, au suspens fortement émotionnel dont je ne dirai rien, mais qui est ici un grand moment de lecture, de par le maëlstrom de sentiments contradictoires qu'il développe dans la tête du lecteur.
La force de ce livre est évidemment cette écriture aux apparences simples et descriptives. Mais comment fait l'auteur pour que, soudain, sans crier gare, une phrase banale, un mot commun, nous fassent picoter les yeux ? Pourquoi dans le récit d'un détail de la vie quotidienne, la gorge se noue et l'émotion nous envahit-elle ? C'est du grand art. L'exacte distance qu'il fallait pour raconter cette histoire et le subtil dosage d'éléments du passé, font que chacun pose sur ces lignes son vécu, ses craintes, ses espoirs, ses sentiments. L'émotion naît, ne nous quitte plus jusqu'à la fin. Ce n'est pas éprouvant c'est juste magnifique de pouvoir se laisser aller à sa propre émotion avec les mots et l'histoire d'une autre, sans jamais avoir le sentiment d'être manipulé.
Sur ce sujet finalement très actuel, la fin de vie, Emmanuèle Bernheim réussit parfaitement là où le cinéma s'était cassé les dents ( Amour de Michaël Haneke ), et même si le film de Stéphane Brizé, "Quelques heures de printemps", sur une thématique très proche mais traitant surtout de l'incommunicabilité, avait lui une grande tenue, " Tout s'est bien passé" affronte le sujet sans, mine de rien, jamais occulter aucun point de vue que ce soit médical, judiciaire ou moral. Et quand, en plus, l'émotion est là, je peux dire que cette année 2013 commence rudement bien avec un excellent livre qui devrait continuer à faire son chemin dans ma tête pour longtemps.
La peur me retient et j'ai une nette tendance à fuir tous ce genre de romans, mais tu en parles si bien que, si il est dispo à la bibliothèque, je me laisserai tenter.
RépondreSupprimerEt quand on a envie de sourire on lit quoi ? ;-)
RépondreSupprimerBonne question..même si ce roman n'est pas exempt d'humour.... Pour rire, je conseille en ce moment tous les romans de J M Erre au points Seuil ou chez Buchet Chastel. Mais là, c'est vraiment drôle !
RépondreSupprimerJe ne connais pas du tout. Merci pour l'info je vais de suite voir qui sont ces drôles de bêtes ! ;-)
SupprimerJe viens de lire quelques citations issues de ses romans. Voilà tout à fait ce que j'ai envie de lire en ce moment. Merci bien Monsieur !!
Supprimer"cette étrange relation père/fille"... qui est un questionnement constant pour beaucoup d'artistes et d'intellectuels légèrement perturbés (Freud et la lettre sur son père, son ami Fliess père incestueux selon son propre fils, C. Angot, Bernheim...), interdit qui soulève bien des questionnements, millénaire, voir la Torah et le lévitique chapitre 18 dans la Bible.
RépondreSupprimerSujet ô combien dramatique ! C'est vrai que, pour moi aussi, ce genre de livre me fait peur. Ça renvoie toujours à des choses intimes qu'on n'a pas forcément envie de remuer. En tout cas, en lisant ta critique, super bien écrite et agréable à lire, j'ai l'impression que la collection Blanche n'a pas tout à fait perdu son engouement littéraire.
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