jeudi 31 août 2017

Petit paysan de Hubert Charuel


N'ayez crainte, le monde paysan à l'écran  ne se résume heureusement pas au monde exposé par Karine Lemarchand, maquignonne en chef pour agriculteurs esseulés.  Le premier film d'Hubert Charuel, même s'il évoque un peu le problème du célibat ou la présence souvent pesante de parents retraités à proximité, ambitionne de se servir de ce cadre pour explorer les zones plus sombres du thriller épizootique dans lequel va se débattre un personnage principal ambiguë.
Globalement, le film réussit à nous emporter, nous faire frémir voire même nous émouvoir, signe que malgré quelques petites scories, l'objectif est atteint. Pierre, trentenaire sec et au regard inquiet, élève un troupeau de vaches laitières qui sont ses filles, ses femelles,sa seule raison de vivre. Il rêve des ses vaches, parfois sous forme de troublants cauchemars qui montrent l'envahissement des bovidés dans son cerveau ( scène d'introduction du film un peu fantastique mais qui n'ira guère plus loin dans ce genre). L'actualité agricole du moment, à savoir le virus FHB ( une fièvre hémorragique mortelle), lui fait redouter ce qui est arrivé à un collègue belge : l'abattage de son troupeau pour une seule bête atteinte. Chaque animal un peu fatigué ou souffreteux lui font monter la tension et lorsque la maladie atteindra effectivement l'une de ses vaches. un gouffre s'ouvrira devant Pierre. Les chemins qu'il empruntera face à cette situation ne seront pas ceux de la raison... et débute alors un genre de thriller psychologue assez intense...
L'amour est bien dans le pré, mais pas du tout celui que l'on croit. Ce même amour peut faire perdre son jugement et sa raison, même lorsqu'il s'agit de braves laitières baptisées Topaze ou Biniou. La force de ce film se situe bien là, dans ce portrait sans parti pris d'un agriculteur pris à son propre piège, engrenage fatal dont on se demandera constamment comment il va pouvoir s'en sortir. On le suivra jusqu'au bout de son raisonnement hasardeux, non pas par empathie mais par la force d'une réalisation rapide, nette, au cordeau. Certes le dernier tiers convainc un peu moins, l'émergence de quelques personnages ( les copains, l'éleveur belge) dilue le trouble précédemment mis en place, mais parvient tout de même à nous émouvoir. Qui aurait pu me dire que la dernière traite d'une vache puisse m'émouvoir ? ( Et je ne parle pas du sort réservé à Biniou !) Pour cela, le film possède un autre atout essentiel et de choix : Swann Arlaud, comédien déjà remarqué ailleurs, mais qui ici en impose carrément, portant le film de bout en bout, pour moi totalement crédible en agriculteur. Et j'ose espérer pour lui qu'il y aura un avant et un après "Petit paysan", tellement sa performance devrait lui ouvrir de beaux projets, tout comme on attend maintenant le prochain long-métrage de Hubert Charuel, qui signe un "Petit paysan" assez grand pour y déceler du talent.




mercredi 30 août 2017

Point cardinal de Léonor de Recondo


La lecture de "Amours" le précédent roman de Léonor de Recondo m'avait enthousiasmé comme de nombreuses lectrices et lecteurs. Après des secrets bourgeois et lesbiens magnifiés par un texte délicatement ciselé, voici l'auteure s'attaquant à un sujet vraiment plus casse-gueule : le changement de sexe.
 Laurent, marié avec Solange son amour de jeunesse , deux enfants adolescents, cadre dans une entreprise d'éolienne, a de plus en plus de mal à cacher la personne qu'il sait être réellement au fond de lui : une femme. Depuis quelques temps, habillé en créature un peu idéale, il fréquente secrètement le Zanzi, bar où se retrouvent d'autres transgenres comme lui. Mais l'absence de son épouse et de ses enfants pendant trois jours  seront le point de départ d'une révélation qui, on peut s'en douter, bouleversera sa vie, celles de ses proches et de ses collègues de bureau.
De plus en plus traité au cinéma comme en littérature, la notion de genre et surtout la difficulté à être autre que ce que la nature a donné, demeure un sujet encore tabou ou tout du moins très délicat. L'homosexualité a encore du mal à passer, alors la transsexualité... on n'ose pas imaginer ! C'est sans doute avec une volonté toute pédagogique que Léonor de Recondo semble avoir conçu son roman, comme un petit plaidoyer sur la tolérance et la différence, sur l'acceptation de soi. L'entreprise est généreuse mais, à mes yeux, ratée. Cela s'appelle "Point cardinal" mais " Le changement de sexe pour les nuls" aurait été plus approprié ou même "Oui-Oui devient une fille". A vouloir donner à son histoire un caractère tolérant, simple et à la portée du premier venu ( il faut convaincre le lectorat le plus large), le roman s'enfonce dans une sorte de sitcom improbable, presque gnangnan, en tous les cas trop belle pour être crédible. On a l'impression que le syndrome Laëtitia Colombani a encore frappé ! Le style vise la simplicité, la phrase n'est pas en reste.  On rajoute quelques jolis clichés pour faire avancer l'action et  une profondeur psychologique de téléfilm de deuxième partie de soirée sur la TNT sans aucune réelle mise en perspective. Tout coule de source dans cette histoire parce que voyez-vous, tant que l'amour circule, tout va bien. On prend des hormones, puis on file en Belgique se faire opérer et hop Laurent devient Lauren et elle peut ainsi enfiler des culottes de soie sans avoir à aplatir son sexe. ( là encore, un homme qui se sait femme, c'est enfiler quelques attributs assez connotés comme de beaux et longs cheveux blonds, des robes moulantes et des sous-vêtements en soie, comme si la féminité se réduisait à ces stéréotypes...)
Tous les personnages, nullement attachants, épousent un caractère unique ( pourquoi embêter le lecteur avec de l'ambiguïté ? ) , Laurent veut être une femme un point c'est tout,  l'épouse est aux cents coups mais l'aime toujours et sera donc exemplaire, les enfants renâclent ( les teignes !) , les collègues sont surpris. Tout ce petit monde brossé à la truelle n'est qu'une accumulation d'archétypes consensuels. Se sentir femme pour un homme ce n'est pas simple mais en lisant "Point cardinal", les petits soucis des doutes sur sa vraie nature s'envoleront. En contant cela comme une randonnée en escarpins au pays des hormones et des perruques peroxydées, Léonor de Recondo a réussi son changement de genre, elle est passée d'auteure brillante à romancière de gare... Elle va  pouvoir s'acheter des kilos de culottes en soie... Dommage pour nous...

Et pour terminer sur une note plus ...musicale, la chanson du livre, celle que le héros écoute ad libitum : Who will comfort me de Mélodie Gardot.




mardi 29 août 2017

120 battements par minute de Robin Campillo


Se rendre dans une salle projetant " 120 battements par minute" peut intimider. Connaîtrai-je le même sentiment d'enthousiasme que cette critique unanime encensant ce film dont on devine à la fois les enjeux artistiques, politiques et militants ? Et puis, il faut bien l'avouer, avec un sujet difficilement critiquable, n'y aurai-t-il pas une sorte de consensus bien pensant ( voire rédempteur) de la presse, une sorte d'hystérie générale pour un film pas si magnifique que ça mais juste pas mal ? Question légitime en regard de certains emballements passés pour des œuvres auteuristes prétentieuses.
Je l'avoue les premières minutes de ce long métrage m'ont un peu fait douter. On entre dans une pré- réunion d'Actup, sorte de briefing pour nouveau venu, sorte de mode d'emploi didactique de ce que seront amenés à voir les spectateurs présents dans la salle. Un peu didactique mais on entre ainsi très vite dans la vraie réunion se déroulant ensuite, avec ses prises de paroles très vivantes, cinglantes, tendues ou drôles. Cependant, on commence à se dire  que si ça dure plus de deux heures, malgré la présence incandescente d 'Adèle Haenel, évidemment exemplaire, toute en énergie militante et le côté réaliste de la mise en scène, pas sûr que l'on soit passionné jusqu'au bout... Heureusement, on voit pointer le bout du nez des deux héros du film dont la rencontre dans l'association va déclencher une vraie histoire d'amour. Manque de chance ( pour moi), je n'accroche pas du tout à la première scène mettant en scène Sean, qui m'apparaît plus comme une folle perdue et hystérique pas très sympathique...
Cela ne démarrait pas très bien ... et ...et ... au final, c'est complètement chamboulé que je suis ressorti de la salle,  comme d'ailleurs tous les  spectateurs qui  TOUS ont regardé, dans un grand silence, lumières allumées, le générique de fin tout aussi silencieux. Alors oui, une fois n'est pas coutume,  toutes ces louanges sont entièrement justifiées. Pourtant, le film n'évite aucun des chemins de nombreuses fois empruntés dans les films traitant du SIDA : le discours prophylactique ( encore important de nos jours malgré les traitements et la PrEP ), l'histoire d'amour qui se termine mal. Mais Robin Campillo par l'extrême pertinence de sa mise en scène et d'un scénario parfaitement écrit, donne un air totalement neuf à ces passages obligés, incluant subtilement la prévention dans une scène de sexe filmée avec un réalisme magnifique ou en sachant faire oublier la caméra lorsque la mort s'infiltre. Les réunions arrivent très vite à donner une vraie tension au film, cernant bien tous les enjeux de l'action d'Actup. Et quant aux deux acteurs principaux, Arnaud Valois et Nahuel Pérez Biscayart ( que j'avais sottement pris en grippe au début ), incarnant la partie romanesque de cette évocation,  c'est bien simple, il y a longtemps que je n'avais pas vu autant de vérité, de chaleur, d'écoute et d'empathie entre deux comédiens, ils sont simplement exceptionnels !
Alors oui " 120 battements par minute" est un vrai très bon film qui sait vous emporter, qui vous fera vibrer par son contenu intensément politique, par sa générosité, sa direction d'acteurs exemplaire et par son vrai regard de cinéaste inspiré mais qui, surtout, ne vous laissera pas de marbre, vous fera sans doute pleurer mais vous communiquera sa formidable envie de vivre et de vous battre collectivement. En 2017, c'est un vrai grand et bon message qui, je l'espère, sera entendu et suivi.


lundi 28 août 2017

La petite danseuse de quatorze ans de Camille Laurens


Camille Laurens, comme beaucoup de monde, est fascinée par la statue de Degas " La petite danseuse de quatorze ans". Son intérêt va la porter à regarder de très près à cette oeuvre singulière qui continue à bouleverser depuis des générations.
S'éloignant de la forme romanesque, l'auteure nous livre un récit que je qualifierai de radiographique tellement le propos est précis et révélateur d'une acuité extrême. Lorsque Camille Laurens, âme sensible à l'art et pourvue d'une grande curiosité, observe la statue, une multitude de questions l'assaillent. Pourquoi cette jeune fille, à peine sortie de l'enfance, nous interroge-t-elle autant ? Est-ce ce physique hautain, un peu ingrat, loin de la statuaire classique qui nous intrigue ? Ce nez de fouine relevé ? Ces yeux mi-clos? Son teint sombre, cireux à l'origine ? Un symbole de l'enfance parce que le modèle était petit rat à l'opéra de Paris ou de la mort avec de visage qui évoque un masque mortuaire ? Et quelle vie a eu réellement le modèle ?  Cette Marie Van Goethem, issue d'un milieu pauvre, qui trimait à l'opéra pour des clopinettes et qui devait sans doute arrondir son ordinaire auprès de riches vieux messieurs qui traînaient invariablement dans les coulisses après les spectacles, quel rapport a-t-elle eu avec Degas, homme solitaire et peu porté sur les passions physiques ?
A toutes ces questions ( et à beaucoup d'autres), Camille Laurens, en compulsant archives et documents, avec son talent de romancière, tresse un portrait en essayant de combler les nombreux trous et manques de cette histoire. tentant quelques hypothèses plausibles avec les éléments véridiques connus. Avec elle, le lecteur va tourner autour de cette statue mythique, porté par une réflexion où il ne serait peut être pas allé d'un prime abord. Tout en faisant revivre l'époque, le milieu artistique de la fin du 19 ème, la vie du grand artiste qu'était Degas et celle, bien plus humble, voire sordide, de cette petite danseuse, c'est un fantastique précis pour regarder une oeuvre qui nous est offert. Sans occulter ses réflexions personnelles, Camille Laurens va même plus loin, tellement l'oeuvre résonne en elle. Emportée par son sujet et son nouveau goût pour les archives, une émouvante  recherche sur ses ancêtres qui auraient pu croiser cette jeune fille, va également s'engager.
" La petite danseuse de quatorze ans" n'est guère épais ( 170 pages) mais dense. On ressort de ce portrait comblé et empli de ce regard intense qu'une écriture sans faille rend encore plus pertinent. 

dimanche 27 août 2017

Tout un monde lointain de Célia Houdart


Dans cette rentrée romanesque, vous trouverez des auteurs poids lourds avec des romans aux sujets qui claquent bien dans les médias ( cette saison la guerre d'Algérie et la transexualité tiennent la corde) et d'autres, plus fragiles qui vont essayer de se faufiler parmi les gros bras avec des intrigues qui misent plus sur l'ambiance, sur l'écriture... Célia Houdart avec 'Tout un monde lointain", titre qui évoque tout autant Baudelaire qu'Henri Dutilleux, se place d'emblée dans une littérature plus exigeante et donc plus facilement sujette à quelques rejets ou incompréhension.
Le roman débute par une scène alpestre, pas loin du lac Majeur, où une petite fille en langes et un monsieur torse nu paraissent jouer ensemble même si un mélange de terreur et d'amusement transparaît dans le regard de l'enfant. Puis, le chapitre suivant nous propulse de nos jours sur une de ces routes sinueuses et magnifiques du côté de Roquebrune-Cap-Martin ( petite ville coquette limitrophe à Monaco) et nous ferons la connaissance de Gréco, une dame, sans doute âgée, qui vit seule dans une magnifique propriété surplombant la mer. En la suivant nous découvrirons que son ancien métier d'ensemblière ( plus chic que décoratrice d'intérieur) lui a donné l'occasion, entre autre, de réaliser la décoration du Concorde et que donc ses créations apparaissaient plus sûrement dans " AD décoration " que dans la rubrique déco de "Femme actuelle". Tous les jours, elle parcourt le sentier des douaniers local et ne manque jamais de jeter un œil sur la villa E.1027, habitée un temps par Le Corbusier mais surtout construite par Eileen Gray, grande designer. Pour le moment, la villa est fermée, abandonnée suite à une querelle d'héritiers. Gréco souhaiterait l'acquérir et passe tous les jours devant avec déjà un léger regard de propriétaire. Mais un matin, elle s'aperçoit que les portes sont ouvertes et que des squatters y ont élu domicile...
C'est dans un univers de créateur que Célia Houdart nous emmène, où chaque tracé de porte, chaque meuble, chaque éclairage de pièce revêt une importance primordiale, un monde sûr de lui qui avance la tête dans les étoiles et les mains parfaitement manucurées. Gréco, lorsqu'elle était en activité, pouvait annuler un rendez-vous important au seul prétexte que son bas était filé ! Le petit monde qui gravite autour d'elle, monde de service qui repère et la grande dame et la bonne cliente, ne peut que lui sourire pour ne pas la gêner ou la faire sortir de son monde. La rencontre avec le jeune couple décomplexé de squatters lui apporte un vent de folie et d'anxiété. Sa confrontation avec ces apprentis artistes ( oui, bon, ce ne sont pas des roms héroïnomanes et violents), n'aura pas lieu car une drôle d'amitié va naître, la déboussolera...
Sans en avoir l'air, avec un style élégant (comme son héroïne), mais jamais appuyé ( comme le maquillage de son héroïne) , le roman crée petit à petit une atmosphère subtile ( comme le parfum émanant des bougies placées sur la table basse design de l'héroïne). On prend plaisir à se promener à sa suite, à observer la nature un brin terrifiante. C'est cool parfois de se glisser chez une nantie ( même si parfois on la trouve un peu snob ) surtout quand on perçoit que derrière cette assurance se cache un soupçon de mystère. Mais, bien que le face à face avec ces deux énergumènes fera vaciller  quelques certitudes et un peu le chignon entretenu avec un savant coiffé/décoiffé, tout reste très retenu et surtout dans une sorte d'entre soi entre gens ayant la fibre artistique.
Au final, que dire de ce roman, court, facile et pas désagréable à lire  ? Que l'atmosphère et l'écriture sont en parfaite harmonie, que tout cela est sans doute très sensible mais que l'on s'en fiche un peu. Oui, moi aussi je peux faire comme Gréco,  mon distant, mon sale gosse qui ne sourira pas obséquieusement à cette vieille bourge, mon teigneux qui n'arrive pas à ne me réjouir de l'habileté et de la parfaite composition d'un texte. Tel un intérieur de désigner si bien agencé que l'on hésite à poser ses fesses sur le canapé tellement on a peur qu'un pli rompe la parfaite harmonie du lieu, "Tout un monde lointain" , où chaque chose est à sa place, a su garder la distance avec moi.


samedi 26 août 2017

Les Bourgeois de Alice Ferney


Remarquez le B majuscule du titre... C'est d'une famille dont il sera question durant tout le livre. Leur patronyme de Bourgeois leur va comme un gant en veau le plus fin car ils font partie aussi de la catégorie sociale dont ils portent fièrement le nom. Alice Ferney, va nous tracer le portrait de tous ces gens depuis le début du siècle dernier jusqu'à nos jours. Une saga familiale me direz-vous ? Pas du tout ! Ou pas tout à fait, car si le romanesque est quasiment exclu durant ces 350 pages, le vent de l'Histoire de notre pays souffle sur ce roman. La romancière cette rentrée a laissé la place à l'historienne et à la sociologue pour pousser les lourdes portes en bois des îles de cette famille du 16ème arrondissement et nous éclairer sur l'impact des grands événements du siècle imprègnent sur leur vie.
Au début du 20 ème siècle, les Bourgeois sont riches, cathos et corsetés. Plus de cent ans après, malgré plein de guerres, d'avancées sociales et technologiques, ils continueront à transporter vaillamment leurs familles nombreuses dans des monospaces garés devant des églises un peu clairsemées. Oui, au fil des événements ils seront antisémites, pétainistes, attachés à l'armée française et aux colonies, abasourdis par l'arrivée de la pilule, ne comprendront pas trop le féminisme même s'il arrivera quand même à s'infiltrer, seront révulsés par l'avortement, le sida ne passera pas par eux, manifesteront pour l'école privée et bien sûr contre le mariage pour tous. Avouez que les personnages sont bien chargés et n'attirent pas de prime abord la sympathie ( enfin pour moi qui ne suis ni croyant, ni riche, ni habillé chez Cyrillus). Alice Ferney n'essaie pas que l'on soit en empathie avec eux, se contentant de les étudier comme une scientifique, promenant sa loupe sur les photos de familles et essayant de deviner les pensées intérieures de ces personnes dont les traditions bien ancrées leur ont permis de ne pas vaciller malgré les remous de l'Histoire.
Pourtant la narratrice semble bien les connaître, et même y être attachée, saluant au passage, et avec justesse, leurs valeurs d'honnêteté, de droiture, leurs nombreux services rendus à la nation via leurs enfants devenus militaires. Si leur monde aux idées apparemment assez rances ne supporte que le regard tronqué d'une vision essentiellement religieuse et formatée par les règles inoxydables d'une bourgeoisie pas si éclairée, celui de la romancière élargit le champ en donnant à voir comment et pourquoi les positions changent si peu au cours de ces vies. Dans un style qui force l'admiration, leurs agissements, leurs choix sont remis en perspective et prennent soudain un sens beaucoup plus universel que leur jupes plissées et leurs Légions d'Honneur pourraient le laisser paraître. La famille, la fratrie, sa place à l'intérieur de cette dernière, l'atavisme social, la mort ( très très présente dans le roman) sont autant de thèmes qui parlent à beaucoup et qui sont ici largement disséqués.
Je dois l'avouer, au début, j'ai été irrité par cette famille où les hommes sont des dominants, des tyrans domestiques, les femmes uniquement mère et toujours, toujours aimantes et dévouées, les enfants, nombreux, très nombreux, intelligents et au sens du devoir tatoué dans le cerveau et surtout par l'absence totale, mais alors totale du moindre grain de sable, pas d'adultère, de suicide, de meurtre, pas de bâtard, d'homosexuel, de dingue, rien de rien. Nous ne sommes pas chez Mauriac, les tapis persans ne cachent rien ! Mais le sujet du roman n'est pas de casser du bourgeois plutôt d'expliquer comment on le reste envers et contre tout ( même si le nombre d'enfants morcelle les héritages et que leur position sociale périclite). Et de ce point de vue, en plus d'une remarquable leçon d'histoire, c'est totalement réussi. Les amateurs de romanesque croustillant seront déçus. D'ailleurs, Alice Ferney n'est pas dupe et termine son roman par ces deux phrases : " J'ai compris ce qu'ils ne savaient pas pendant qu'ils vivaient et mesuré ce que j'ignore. Le secret des autres est immense. " Y aurait-il un " Les Bourgeois 2 " qui mijote ?



vendredi 25 août 2017

Les proies de Sofia Coppola


Hollywood, automne 2015
La porte du bureau de Youree Henley ( producteur associé de Sofia Coppola) s'ouvre joyeusement. Apparaît alors la réalisatrice de "Virgin suicides" au comble de l'excitation. Tout en s'asseyant prudemment pour ne point froisser sa robe Louis Vuitton, elle déclare :
" - J'ai trouvé mon prochain film. Je vais faire un remake de "La petite maison dans la prairie" ! Cette ferme isolée au milieu de champs de blé dont les épis balancent au gré du vent ou qui courbent au passage de ces jolies jeunes filles vêtues de cotonnades volantées, c'est un sujet en or pour moi, qui adore traquer le vide !"
C'est la stupeur qui a empêché Youri de couper la parole à la réalisatrice. Ce n'est qu'après avoir avalé un verre de Coca zéro qu'il parvient à balbutier :
- Ecoute chouchou, je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée. Pense à ton image de muse fashion. Comment arriver à sublimer un truc aussi ringard ?
- Mais je veux filmer des jolies robes longues, moi ! trépigne, boudeuse Sofia....

France, fin d'été 2017, sort sur les écrans, "Les proies" ( avec une affiche au stylisme impeccable). Toute la planète mode et journalistique branchée essaie de se pâmer sur ce remake d'une série B de Don Siegel, finalement préféré à l'adaptation ciné de l'inénarrable feuilleton télé. Et croyez-moi, ils sont forts pour dénicher dans ce navet intégral de quoi appâter le futur spectateur : sensualité, érotisme, perversité, actrices formidables, acteur magnifique, adaptation épicée et pour les cinéphiles, cohérence thématique, prise de risque érotique, film désespéré et solaire, allégorie gothique, ...
Sur l'écran, je n'ai absolument pas vu cela. De cette histoire de soldat yankee trouvant refuge dans une (bien peu crédible ) école pour jeunes filles sudistes ( riches et donc corsetées), qui aurait pu être tendue et vénéneuse, Sofia Coppola arrive à tirer son film vers le vide sidéral. Après avoir gommé toute connotation politique et raciste, elle cantonne son film à un huis clos entre un mâle et sept personnages féminins ( dont 4 petites filles). En gros, l'introduction de ce personnage masculin ennemi au milieu d'un gynécée et de la charge érotique qu'il crée, devait aboutir à un thriller sensuel ou sexuel. Seulement, Sofia Coppola ne sait absolument pas filmer la sensualité, ni donner un quelconque rythme à son récit. Colin Farrel devant sa caméra à le charisme d'un chien galeux et le désir des pucelles de cette maisonnée se traduit par l'ajout d'une vague broche sur un corsage. Très difficile de croire alors à tous ces supposés émois qui doivent envahir les corps. Les robes tourbillonnent, Kirsten Dunst pince les lèvres, les rayons de soleil percent la futée, Elle Fanning ouvre les lèvres ( pas les mêmes que Kirsten), la brume nappe la campagne, Nicole Kidman fronce les sourcils avec autorité, les plans de portail ou de toiles d'araignée se multiplient pour bien montrer l'enfermement, Kirsten Dunst comprend enfin qu'il lui faut ouvrir d'autres lèvres, les lourds piliers de la maison coloniale complaisamment filmés, symbolisent sans doute le poids des traditions, Kirsten Dunst sort enfin une robe décolletée de son dressing ! Tout cela est d'une insignifiance totale, d'un maniérisme de calendrier des postes. D'une série B, elle fait une série Z !
"Les proies" du titre ne sont pas les donzelles effarouchées qui minaudent à l'écran, mais bien les spectateurs que l'on espère attirer un maximum pour arriver à rentabiliser cette crétinerie qui fera passer le moindre épisode de "La petite maison dans la prairie" pour un chef d'oeuvre de construction dramatique.
Pour terminer, un grand bravo à la monteuse ou au monteur de la bande annonce, qui arrive à créer du suspens et de la densité en moins de deux minutes et à donner belle allure à ce nanar.








jeudi 24 août 2017

Mon père, ma mère et Sheila de Eric Romand


Voici un bref premier roman qui, de prime abord, n'a rien d'original. Le récit  à la première personne d'une enfance dans les années 60/70 et dans un milieu populaire sent le déjà lu des centaines fois. Seul le titre mettant en avant cette chanteuse populaire titille la curiosité. Mais que vient donc faire la créatrice de "L'école est finie" dans cette famille de Villeurbanne ? Rassurez-vous ( si vous la détestez ) ou désolez-vous ( si vous êtes fan), Sheila n'apparaît qu'en contrepoint de cette histoire, comme un marqueur temporel, l'élément musical et nostalgique d'une vie aux apparences simples mais trompeuses.
En quelques phrases courtes, sans aucune fioriture, Eric Romand évoque ses souvenirs d'enfance en retrouvant la même naïveté teintée de zones grises qu'il avait lorsqu'il écrivait sa lettre au Père-Noël, l'âge, les silences des adultes quant à leur vie le laissant dans une évidente ignorance. Au fil des pages, c'est tout un monde qui est recréé, celui d'une famille lambda à la fin des trente glorieuses. Mais l'enfant grandit, comprend mieux ce qui se joue autour de lui et en lui. Le récit devient plus dur, plus âpre, sans jamais tomber dans le pathos. La chanteuse maintenant sans couettes sourit toujours inlassablement sur le petit écran, faisant oublier un instant les bouleversements intérieurs. Toujours en quelques phrases, quelques annotations légères, on assiste aussi à la construction d'un être dont la sexualité va déranger dans un milieu plein de préjugés. C'est l'heure du doute, du rejet, des séparations...
Je l'avoue, je ne m'attendais à rien de bien particulier avec ce court roman. Deuxième aveu, j'ai énormément aimé cette évocation, tant par le style employé qui ne joue jamais des coudes mais vise à toucher au plus juste avec subtilité que par l'époque qu'il arrive à faire revivre si intensément ! Tous ceux qui ont vécu les années 60/70 retrouveront son parfum avec le distributeur de cacahuètes et sa coupelle qui trônaient sur les bars ou sa télévision surmontée d'un napperon en crochet et dans laquelle Guy Lux et Sophie Darel annonçaient extasiés des chanteurs à minet(te)s et que l'on regardait moulés dans des sous-pull en acrylique.
Et même si je regrette un emballement temporel sur la fin du livre, cassant un peu l'atmosphère créée en amont, "Mon père, ma mère et Sheila" s'avère une très jolie surprise, ce genre de petite gâterie qui se lit d'une traite, qui nous fait formidablement voyager dans le temps comme au cœur d'une personne dont le parcours sensible parlera à beaucoup de monde.
Je ne résiste pas à mettre une vidéo de Sheila, avec le seul titre cité dans le roman : "Tempérament de feu".(1975)


mercredi 23 août 2017

Le déjeuner des barricades de Pauline Dreyfus


Les barricades du titre sont celles que des étudiants lassés par une France endormie et sclérosée par un pouvoir d'un autre âge ont dressé par un beau mois de mai 1968. Le déjeuner quant à lui n'a rien à voir avec quelques merguez grillées sur un brasero improvisé dans un bidon devant une usine occupée par des ouvriers en colère, ni un pique-nique militant dans la cour de la Sorbonne. Pauline Dreyfus nous transporte dans un lieu bien plus original, bien à l'abri de toute revendication révolutionnaire et dont la clientèle plus habituée au champagne qu'au vin rouge en bouteilles étoilées, ( les moins de 50 ans ne peuvent comprendre cette allusion aux bouteilles de vin consignées qui accompagnaient les repas des prolos de l'époque) se croit à l'abri de ce monde si prompt à lancer des pavés ou retourner des Rolls sur le Boul' Mich'. Ce déjeuner se déroule dans un de ces palaces parisiens  où une nuit coûte au minimum un mois de salaire de n'importe quel ouvrier de l'époque ( mais de la nôtre aussi !): L'hôtel Meurice qui se partage, s'arrache, se jalouse des résidents fortunés avec ses ennemis commerciaux que sont le Ritz ou le Georges V.
Comme au théâtre, nous nous retrouvons avec un lieu unique et une unité de temps bien précise : la journée du 22 mai 1968. Toute une galerie de personnages fragilisés par le situation explosive du moment va se croiser. Si la grève du personnel a heureusement été évitée, le sentiment révolutionnaire s'insinue au cœur des dorures, faisant ainsi voter une motion éliminant toute hiérarchie. Le directeur de l'établissement se retrouve à errer dans les couloirs feutrés, sans travail, sans droit à la parole et va vivre une journée bien particulière. Roland, ex chef du personnel, mais présentement membre quelconque de ce nouvel univers auto-géré, veille toutefois au bien-être d'une clientèle déboussolée par un personnel qui sent pousser les ailes de la liberté.
Mais ce 22 mai ne peut faire l'impasse sur un événement littéraire organisé chaque année par une de ces richissimes résidentes, aussi célèbre qu'excentrique : la milliardaire Florence Gould. Bien que piètre lectrice, elle a créé le prix Roger Nimier récompensant un premier roman avec un chèque au montant fort appétissant, remis lors d'un déjeuner prévu de longue date et réunissant la fleur plus que vieillissante de la littérature de l'époque. Hélas entre la grève des transports, la pénurie d'essence, la peur de se prendre un pavé sur le nez, la crainte de rencontrer un jeune débraillé aux cheveux longs, la venue des invités est compromise. Heureusement le Meurice dans ces chambres haut de gamme offre de possibles invités pour combler les trous, notamment un notaire au bord de la mort ou Salvador Dali et son épouse qui pourront ainsi profiter dde la conversation du gagnant de l'année, Patrick Modiano.
Une chose est certaine, pour peu que l'on goûte de l'histoire contemporaine, de littérature et de presse people, aucun ennui n'est a redouté à la lecture du troisième roman de Pauline Dreyfus. Ca pétille comme le champagne servi dans les salons confortables de l'hôtel, c'est espiègle comme une femme de chambre libérée du regard de son chef, mordant comme l'ocelot du peintre catalan qui rôde dans les couloirs à la recherche de proies.
Cependant derrière cette comédie humaine qui vire au vaudeville, se cache bien évidemment un discours un peu plus sérieux. Ces riches qui pensent être au bord du gouffre, certains que le prolétariat aura leur peau, vivent cette journée dans une ambiance cotonneuse de fin d'un monde fort bien recréée. L'auteur recentre cette risible tragédie vers un ailleurs plus politique, montrant une humanité travailleuse pas vraiment prête à cette pseudo liberté qui s'agite sous leur nez. Cette révolution aux apparences bienveillantes, avec ce doux parfum de bonheur au bout du chemin, laisse apparaître l'inévitable récupération par les nantis.
Et comme nous sommes quand même au cœur d'un roman léger, malicieux et rendant hommage aux figures littéraires, je vous laisse découvrir comment ce déjeuner sera les prémices d'une grande oeuvre. Avouez que pour 18 euros, prendre un repas  dans un cinq étoiles, ce n'est pas cher et qu'il serait idiot de s'en priver !

mardi 22 août 2017

Par le vent pleuré de Ron Rash


L'Amérique du Nord, bien pensante, celle des blancs pétris d'une vraie morale capitalo/religieuse sert ce cadre à cette histoire noire, troussée avec habileté par Ron Rash.
Tout ronronnait comme il se devait pour les deux frères Bill et Eugène. A l'aune des valeurs américaines, le premier, chirurgien reconnu, jouissait d'une vie enviable que son statut professionnel ( et l'argent qu'il en retire) lui offrait. Le deuxième, tout aussi brillant, mais sans doute plus porté sur l'introspection, a quitté son emploi de professeur de littérature et plongé dans l'alcool suite au départ de sa femme et de sa fille. Tout est donc à sa juste place dans cette Amérique où la pugnacité et l'esprit d'entreprise sont toujours récompensés ( sous le regard de Dieu...).
Mais voilà que l'on découvre dans le comté de Sylva en Caroline du Nord où ils résident, des ossements humains appartenant à une certaine Ligéia ayant disparu voici presque cinquante ans. Or, les deux frères, durant l'été 1969, alors au bord de l'âge adulte, ont côtoyé cette jeune fille. A l'époque, elle symbolisait à leurs yeux de ploucs bien loin des mouvements beatniks, l'intrusion d'une liberté inespérée associée à une approche de la sexualité. Et avec ces bouts d'os, resurgit soudain un passé enfoui, une histoire entre les deux frères jamais élucidée, un rivalité jamais éteinte.
Aux frontières très ténues du polar noir et du roman psychologique, Ron Rash signe ici un roman parfaitement maîtrisé et passionnant. Comme Eugène, le narrateur, nous avons envie de savoir ce qui s'est réellement passé durant cet été 1969, au bord de cette rivière, dans ce recoin rocheux à l'abri des regards. Quel a été le rôle exact de Bill dans la disparition de cette jeune fille délurée ? Mêlant avec une parfaite maîtrise présent et passé, le lecteur passe petit à petit derrière cette vitrine trop clinquante d'une vie provinciale si brillante, découvrant le fond sombre des âmes qu'une éducation ultra moralisatrice formate jusqu'à l'abjection. Cette rivalité fraternelle vire au drame shakespearien moderne au milieu des Appalaches.
Aussi rondement mené que précis dans l'analyse psychologique de personnages tourmentés, "Par le vent pleuré" confirme que Ron Rash se place vraiment dans le peloton de tête des romanciers américains actuels, sondant avec acuité l'âme de ses concitoyens qui semblent vaciller vers le doute. 

lundi 21 août 2017

Une femme douce de Sergei Loznitsa


Une femme russe, habitant une maisonnette isolée dans la campagne, reçoit un avis pour aller chercher un colis à la poste. A voir son regard mutique devenir un poil soupçonneux, on devine qu'elle n'attend pas une commande Amazon. S'ensuivent divers tracas administratifs pour récupérer son bien qui se révèle être un retour à l'envoyeur d'un paquet expédié quelques jours avant pour son mari emprisonné. Le front buté, la mine fermée mais résolue, elle embarque colis et affaires persos et file à ville le porter elle-même. L'affaire se durcit car de formulaires administratifs en remarques sèches, elle finira par se voir éjectée de la prison sans explication et sans avoir eu accès à son mari. La voilà condamnée à errer dans une ville dont les impôts locaux doivent servir à engraisser quelque mafia locale, toujours encombrée de son colis.
Le titre "Une femme douce " n'est là que pour évoquer la nouvelle de Dostoïevski qui a inspiré le film, car de douceur il n'y en a guère dans cette héroïne dont on comprendra bien vite qu'elle représente le regard que jette le réalisateur sur un peuple russe subissant toujours plus une administration inhumaine, une corruption endémique et plongeant dans l'alcool, le racket ou la drogue pour se donner l'illusion d'une vie.
L'atmosphère plombante voulue par Sergei Loznitsa est surlignée par une mise en scène soignée, aux plans admirablement cadrés mais qui parfois s'étirent un peu trop longuement. Et dans ce cadre apparaît la fameuse âme russe , traitée ici avec pas mal de clichés qui finissent par alourdir un peu plus l'ensemble. Seule une très belle scène vers la fin, située dans le local de bénévoles pour la défense des droits de l'homme, laisse entrevoir, sur un mode tragi-comique, ce que le film aurait pu être sans son traitement un peu lourdingue. Un vent de dérision, de fatalisme et d'humanité souffle alors sur le film pour, hélas très vite nous asséner ensuite une longue séquence onirique ampoulée et redondante, ultime coup de massue fictionnel qui achève le spectateur par un final terriblement sombre. La femme dite douce du début devient alors le symbole du peuple russe , qui, quoiqu'il fasse, se fera toujours brutaliser ( et ici, c'est un doux euphémisme !).
Si d'aventure un voyage dans un pays délabré aussi bien physiquement que moralement vous tente, si en plus vous êtes friand d'images contemplatives et que vous adorez boire de la vodka accompagnée de pouffes et de gros cornichons, embarquez-vous auprès de cette femme douce et ainsi vous conforterez tous les clichés actuels qui circulent sur cette contrée poutinienne. ( poutiniste ? )



dimanche 20 août 2017

C'est le cœur qui lâche en dernier de Margaret Atwood


Quelle femme cette Margaret Atwood ! Alors que par la magie d'une adaptation en série télé réussie, " La servante écarlate" publié en 1985, classique désormais incontournable, revient sur toutes les listes des meilleures ventes, sortent deux nouveaux romans, l'un au Canada ( et donc non encore traduit chez nous) et un autre, son précédent, en France, qui, aura oblige, suscitera je pense beaucoup d'intérêt.
" C'est le cœur qui lâche en dernier", titre qui n'engage pas la rigolade, s'avère une nouvelle fois un roman d'anticipation. Nous nous trouvons aux USA à un moment imprécis mais où le libéralisme actuel a continué son travail de rouleau compresseur social et a jeté à la rue, en plus des plus faibles, tout un pan de la population jusqu'ici préservé : les classes moyennes. Stan et Charmaine, après avoir été licenciés sans ménagement, ont vendu leur maison ( pas entièrement payée évidemment) et sont réduits à vivre dans leur vieille voiture. De petits boulots d'appoint en état d'alerte perpétuel tellement la peur de se faire détrousser est prégnante ( une insécurité vertigineuse semble avoir envahi le pays) , leur vie bascule un peu plus chaque jour vers la clochardisation. Au hasard d'un petit boulot de barmaid, Charmaine a vent qu'un étrange mais alléchant programme expérimental de nouvelle vie surveillée recherche des volontaires. Jouant une sorte de quitte ou double misérable, le couple va postuler pour passer les tests d'entrée. Veine, ils seront retenus et intégreront le projet Prositon qui se résume à vivre en alternance un mois en prison, un mois une vie civile normale. La prison se rapproche plutôt d'un séjour tout compris en hôtel 3 étoiles, un travail en plus et la liberté à une vie en lotissement propret dont les activités principales sont quand même boulot/dodo ( non pas de métro !), le tout dans un lieu bien clos, gardé et bardé de caméras de surveillance. Bienvenue dans un monde meilleur disait le commercial.... Meilleur ? Beaucoup moins sûr ... Cette expérience aux apparences communautaires et égalitaires voire philanthropiques, va se révéler petit à petit la parfaite illustration d'un libéralisme porté à son paroxysme, utilisant l'humain jusqu'à ses moindres sentiments ou fêlures et même au-delà...
Avec un tel point de départ, on s'attend à sombrer dans un roman bien noir, glaçant, à la George Orwell. Détrompez-vous ! Margaret Atwood, malgré ses 77 ans, sans un soupçon de morale lourde, n'en fait qu'à sa tête. L'intrigue posée, elle donne tout d'abord à son récit un ton vaudevillesque où le sexe joue une grande part, se permet ensuite un climax au milieu du livre particulièrement réussi et quasi shakespearien pour embrayer ensuite dans une sorte de grand suspens comique et grinçant ressemblant à un hommage à "Certains l'aiment chaud"... et tout cela sans perdre un instant de vue les horreurs d'un système qui pourrait nous pendre au nez.
Rapide et caustique, sexy et haletant, troublant et flippant, cette " fiction spéculative" ( terme préféré par l'auteur à anticipation) cache au final un roman qui se dévore comme un polar bien ficelé tout en démasquant en creux les visées de plus en plus galopantes qui pourraient germer dans l'esprit de certains spéculateurs. Mine de rien, et tout en finesse, Margaret Atwood insiste pour que nous restions en éveil !

samedi 19 août 2017

Une histoire des abeilles de Maja Lunde


Le premier roman de Maja Lunde, auteure suédoise plutôt portée jusqu'à présent sur la littérature jeunesse, semble avoir réuni les ingrédients d'un best-seller ( ce que l'éditeur ne manque pas de préciser en quatrième de couverture, se vantant que cette saga écologique serait en cours de traduction dans une dizaine de pays...). Sa recette surfe sur la vague écolo en focalisant sur ce sympathique petit animal persécuté par les pesticides et en passe de devenir star malgré son dard : l'abeille mais aussi, sur cette tendance d'entrelacer trois récits pour donner de la densité à des histoires qui parfois n'en n'ont pas vraiment ( comme l'épouvantable " Tresse" de Laëtitia Colombani dernièrement).
Je dois le reconnaître, les premières pages m'ont scotché et me suis donc enfoncé confortablement  dans mon fauteuil... ( en fait j'étais allongé sur l'herbe, dans mon jardin, des abeilles butinant mes fleurs,... moins souple mais plus raccord !), ayant le sentiment que je tenais un ouvrage dont j'aurai du mal à me détacher.
J'ai donc été transporté en Chine en 2098. Dans des vergers surdimensionnés, une jeune mère, brave, zélée et travailleuse, Tao, se déplace silencieusement et précautionneusement sur les branches fragiles d'arbres fruitiers en fleur pour les polliniser à la main. Suite à la disparition de tous les insectes, abeilles comprises ( merci Bayer !), les chinois se sont emparés de ce nouveau créneau à fort potentiel économique : remplacer les pollinisateurs par des humains. Ce travail aux apparences bucoliques n'est qu'une nouvelle version, certes au grand air, d'un boulot débilitant, voire concentrationnaire, exploitation, semaines de 60 heures et sanctions sont le lot quotidien des ouvriers parqués dans des baraquements dont ils ne peuvent guère sortir. Premier chapitre choc et qui impose d'emblée un décor original.
Le chapitre suivant nous renvoie illico d'un trait de plume ( ou de stylo bille ou de clavier) dans l'Angleterre des années 1857. L'époque n'est guère plus joyeuse pour les travailleurs, mais le nouveau personnage que l'on nous présente, William, à échappé au labeur dans des usines que l'on imagine encrassées par la fumée noire des cheminées, puisqu'il est commerçant. Enfin, il était...car, il a fermé boutique pour dépression. On le retrouve couché toute la journée, sale et broyant du noir. Son épouse et ses nombreux enfants vaquent et vivent comme ils peuvent.
Nous avons eu à peine le temps de saisir que ce pauvre anglais dépressif avait peut être des velléités pour l'entomologie que nous sommes envoyés presto dans l'Ohio en 2007, chez George, un apiculteur assez heureux dont le seul souci pour l'instant de savoir si son intello de fils reprendra ou pas la ferme familiale.
Vous l'aurez compris, ces trois histoires vont se poursuivre, entremêlant leurs intrigues pour nous brosser une histoire des abeilles au fil des siècles, de l'invention des premières ruches accessibles à l'homme jusqu'au début de leur disparition puis des conséquence pour l'homme et son environnement. Le thème est porteur, riche. L'écriture, simple, joliment déliée. Hélas, la saga perd très vite de l'intérêt. Chacune des histoires patine invariablement. La première, quand même la plus réussie grâce sans doute à son côté anticipation, traînasse dans une Chine déglinguée pour s'acheminer vers un final que l'on avait deviné quasi depuis le début. La partie  américaine contemporaine ouvre des pistes psychologiques intéressantes mais que l'auteur refuse de prendre, acheminant le récit vers la banalité. Quant à la troisième histoire, elle s'étire lentement, jouant sur des ressorts dramatiques pas toujours crédibles.
J'ai refermé le livre assez dubitatif ( oui je suis allé jusqu'au bout, c'est facile à lire !). Le thème, intéressant avec sa construction pas vraiment originale mais pertinente, a subi un traitement tellement sage, presque trop mignon, que l'intérêt tombe au fil des pages. J'ai commencé à regarder les vraies abeilles de mon jardin, mon esprit pensait à se faire une tartine de miel. Je rêvais que le texte me pique un peu... et au final, les abeilles avaient presque disparu....

vendredi 18 août 2017

Un certain M. Pielkielny de François-Henri Désérable


Le M. Piekielny du titre n'est qu'un homme à l'aspect grisâtre que Romain Gary enfant croisait lorsqu'il habitait Wilno dans les années 20 ( devenue depuis Vilnius). Dans "La promesse de l'aube", l'auteur aux deux Goncourt se vantait de l'évoquer à chaque fois qu'il rencontrait un grand de ce monde.
François-Henri Désérable, toujours à l'affût de personnages dont on ne sait rien, s'entiche de cet homme et décide de faire des recherches afin d'écrire sa biographie. Mais quasiment plus d'un siècle après, l'entreprise s'avère plus compliquée que prévue surtout lorsque l'on se heurte à l'extrême inventivité d'un Romain Gary pour qui introduire de la fiction dans des souvenirs était monnaie courante.
Avec ce troisième opus, François-Henri Désérable ( à partir de dorénavant, par souci de rapidité, j'écrirai FHD ... allez savoir pourquoi, cela sonne moins bien que BHL...) nous refait le coup de son précédent roman " Evariste", ou comment écrire 160 pages sur un homme dont on ne connaît que la courte oeuvre mathématique. Cette année sa broderie biographique qu'il espère brillante court sur plus de 250 pages, comme quoi, avec l'âge, la verve s'allonge.
L'enquête autour de cet épisodique et anecdotique personnage tourne vite court faute de traces. Mais, c'est mal connaître FHD ( non cela ne veut pas dire Full HD même si l'œuvre aimerait avoir la brillance de cette technologie). Pas question de s'avouer littérairement vaincu et donc il profite de cette absence de rebondissements  pour nous balancer une biographie de Romain Gary qui, il faut bien le dire, est rendue fort agréable par sa plume virevoltante. Toutefois, et même si cela demeure moins présent que dans son précédent ouvrage, il ne peut s'empêcher de laisser apparaître un brin de narcissisme, mettant en parallèle et sans vergogne sa vie si passionnante de jeune auteur en devenir avec celle du grand écrivain. On pourrait s'agacer de cette fatuité qui affleure parfois au fil du récit, mais reconnaissons à FHD ( ne pas confondre avec FHM un magazine défunt pour mâle dominant) une insolente facilité stylistique à emporter le lecteur à sa suite. Et lorsqu'au milieu du livre l'intrigue finit par patiner un peu, tel un nouveau hussard contemporain, il réagit bien vite en troussant de brillants passages ( le repas chez les Kennedy), en rappelant de terribles et émouvants  moments de l'histoire des peuples juifs de l'Est et finit par retomber sur ses pieds avec un final plutôt convaincant.
On peut être épaté par ce roman qui se pose comme virtuose mais également agacé par cette envie irrépressible qu'a l'auteur à vouloir se mettre en avant. "Un certain M. Pielkielny" s'affirme comme un joli ouvrage, sans doute plus réussi que le précédent, et qui confirme un vrai talent. Maintenant j'aimerai que FHD ( dont Google nous dit qu'il s'agit aussi du club de voile des Foulques du Haut Doubs, mais je m'égare...)  s'attaque à un vrai roman, inspiré, profond, dont la trame ne se résumerait pas à compléter les trous d'un existence.

Merci aux éditions GALLIMARD et au site BABELIO pour la lecture de cet ouvrage.

jeudi 17 août 2017

Nos richesses de Kaouther Adimi


L'Algérie, pour nous français, reste encore une plaie vive malgré le demi-siècle qui s'est écoulé depuis la fin de la guerre. Même si une nouvelle génération d'artistes s'est emparé parfois du sujet, ceux-ci  restent peu nombreux à se frotter à ce thème si sensible mais sans doute également peu vendeur dans un univers culturel de plus en plus marchand. Ce petit préambule me semble nécessaire, surtout pour ceux qui, voyant le sujet de "Nos richesses" de Kaouther Adimi, auraient un sentiment de rejet. Ce qui se joue dans ce roman va bien au-delà du récit autour d'une nos périodes peu glorieuse de notre histoire.
En choisissant de raconter l'existence de Edmond Charlot, qui en 1936 créa dans un tout petit local à Alger, une librairie, l'auteure fait entrer subtilement la petite histoire au cœur de la grande. L'existence de ce modeste endroit dédié aux livres et à l'édition, où se retrouveront au fil du temps de grands intellectuels méditerranéens ( Albert Camus, Jules Roy, Henri Bosco, ...), certes contée sous la forme peu vendeuse d'un journal, possède une certaine force symbolique. Edmond Charlot n'est pas un commerçant mais juste un grand amateur de littérature. Son ouverture d'esprit en fera un grand découvreur de talents mais aussi un humaniste à l'utopie rassurante.C'était quand même un sacré challenge que de créer à cette époque un endroit consacré à la promotion de jeunes écrivains quelque soit leur race ou leur religion ! Mais hélas trois guerres auront raison de sa passion, deux bien réelles et bien connues et une autre, plus larvée, plus germanopratine, se déroulant dans les sombres antichambres de l'édition. 
Le roman va plus loin qu'un récit biographique. En mêlant aux annotations d'Edmond Charlot, le récit actuel d'un jeune homme venant débarrasser en 2017 ce local toujours dédié aux livres malgré les assauts du temps et le récit externe d'un algérien non identifié ( l'auteurs peut être...), c'est un véritable condensé très délicat de l'histoire de l'Algérie ainsi qu'un magnifique plaidoyer mémoriel pour la culture comme ciment de l'humanité qui nous est offert. Kaouther Adimi reste cependant très lucide sur l'avenir de ce pays et sur la place du livre dans le monde. Le final de son roman, magnifique de symbolisme et sombrement prophétique, est de ceux qui bouleverse. Quand, à la toute fin, le lecteur se trouve interpellé pour envisager une sorte de devoir de mémoire. Alors, je réponds sans aucune hésitation, OUI ! Un OUI franc, comme preuve que ce roman réveille autant d'émotion que de respect. L'Algérie ne faisait jusqu'alors pas partie des destinations prévues, mais si un jour je me décide à découvrir Alger la blanche, il sera hors de question que mes pas ne portent pas jusque devant ce petit local de la rue Hamani, sans doute transformé en échoppe à beignets, qui, grâce à ce très beau roman ne tombera pas dans l'oubli. Il deviendra pour les ( j'espère) nombreux lecteurs qui croient que la culture peut changer le cœur des hommes, un lieu de mémoire. 
Les subtiles et simples histoires de " Nos richesses", nous emportent dans un émouvant voyage au sein d'un monde dur qui laisse quand même à quelques hommes riches de générosité et d'humanité le soin de créer quelques oasis de lumière. 

mercredi 16 août 2017

Rencontres photographiques Arles 2017


Un festival de l'importance de Arles engendre le même genre de réflexion que celui de Cannes pour le cinéma ( prenez une voix traînant sur les "a"...) : "Pââârcourir cette quââârantaine d'expos nous donne vraiment une idée de l'étââât du monde ".Hormis le cliché du propos, je suis bien obligé de reconnaître que cela n'est pas faux.
Le simple amateur que je suis a donc déambulé dans les si authentiques rues d'Arles et, de lieu en lieu, a pu s'étonner, s'émerveiller, apprendre, mais aussi rester dubitatif ou ressortir déçu, comme dans tout bon festival.
Comment évoquer ce foisonnement offert à notre curiosité ? Par thème ? Par écho médiatique ? Par genre ? Pas facile... Je vais plutôt me contenter de diviser ces rencontres en deux parties distinctes : les expos présentées en ville ( et à l'abbaye de Montmajour) puis celles regroupées dans les ateliers.
Parlons d'abord des 4 ou 5 expos qui ont un peu eu les honneurs de la presse, comme par exemple " Un monde qui se noie" du photographe d'Afrique du sud Gidéon Mendel. Son cliché de ce couple anglais posant devant leur maison inondée dans le Surrey a pas été reprise dans la presse et représente parfaitement la désolation, le fatalisme et le silence  qui se dégagent  de cette accumulations de clichés de victimes d'inondation de par le monde. Notre regard s'imprègne de leur tristesse, prend également acte de cette multiplication de catastrophes, pense réchauffement climatique et ressort troublé. Pari gagné !
Je ne dirai pas la même chose de "Iran année 38", exposition attrayante par son objectif de nous offrir le regard de 66 photographes iraniens sur leur pays depuis que celui-ci évolue sous la révolution islamique. Seulement entre les clichés façon "reportage" et ceux plus créatifs et même si l'on perçoit bien le bouillon de violence, de répression, de résignation mais aussi de petite résistance du pays, le trop grand nombre d'artistes obligeant une représentation restreinte de leurs travaux nuit pas mal à l'ensemble qui du coup semble ne plus savoir à quel tchador s'attarder.
Mathieu Pernot, lui, a l'opportunité de s'exprimer grandement avec sa présentation de la famille Gorgan, gitans dont les magnifiques portraits laissent une forte impression sur le visiteur. Entre ethnologie et biographie photographiée, l'essentiel passe : le respect et la vie !
Plus peoples sont les travaux de Kate Barry ( défunte fille du Jane Birkin et de John Barry) et de l'actrice Audrey Tautou. Petites expos par la taille, la première émeut pour cette fascination des détails qui laissent entrevoir le destin  et la deuxième, entre jeu et narcissisme, amuse joliment.
Mais Arles 2017 ne se résume à quelques expos voulues phare. On trouve aussi de jolies surprises comme la rétrospective du japonais Masahisa Fukase et, entre autre, ses surprenants portraits de groupe, mais aussi l'installation ( si peu photographique) de Roger Ballen, dont l'extraordinaire mise en scène ne laisse personne indifférent ( de l'adoration à la répulsion) ou le formidable assemblage de 28 artistes colombiens sous le titre " La vuelta" qui prouve que malgré le nombre de photographes on peut réaliser une expo qui passionne et qui a vraiment de l'allure ( alors que l'autre expo compilation d'Amérique du Sud "Pulsions urbaines" déçoit énormément... Mais qui a disposé les cartels de cette façon ?!?) . On peut même être attiré par les clichés mi-morbides mi-peoples de Christophe Pihet sur les lieux d'accidents de voiture qui ont coûté la vie à des célébrités et par le forcément impliquant "Fifty fifty" de Samuel Gratacap sur les naufrages de migrants.
Par contre, je suis resté perplexe devant les travaux conceptuels de Dune Varela tout comme sur ceux de Blank Paper, collectif de photographes madrilènes dont les clichés allient froideur et prise de tête, impression accentuée par des cartels au verbiage parfois risible. Marie Bovo, avec "Stances", a sans doute pâti du lieu où sont exposés ses clichés de porte de train s'ouvrant sur la steppe, leur sensibilité et leur poésie se noient dans l'espace trop vaste de l'église des Trinitaires.
Et puis, les rencontres d'Arles se sont aussi des rencontres, parfois impromptues, comme celle faite au hasard d'une exposition avec un photographe amateur, venu présenter à quelques galeries son travail...sur les visiteuses d'Arles. J'ai eu le plaisir de regarder son travail qui dénote un vrai regard de photographe. ( Petit message personnel) : Merci Christian Gidon pour votre gentillesse et j'espère que "Arles avec elles" aura trouvé preneur !

mardi 15 août 2017

Une vie violente de Thierry de Peretti


La Corse et ses mouvement indépendantistes à la fin des années 90 sont ici contés au travers du parcours de Stéphane, jeune homme de bonne famille qui, autant par esprit bravache que par une mauvaise intuition, va se retrouver à livrer sur le continent un sac d'armes ayant servi à des attentats terroristes. Evidemment, il se fait prendre et atterrit en prison où de mauvaises rencontres vont le faire plonger à sa sortie dans un militantisme armé au moment où les organisations se séparent et sont gangrenées par la mafia et le trafic de drogues. La lutte contre l'ingérence française et ses puissances de l'argent qui veulent asservir et transformer la terre de leurs ancêtres en luna park pour touristes vire bien vite aux règlements de comptes internes et à une série d'assassinats.
Raconté comme cela, on pourrait penser que Thierry de Peretti déroule un polar noir à l'américaine, inspiré par le Coppola du Parrain ou le Scorcese des Affranchis. Détrompez-vous, même si quelques détails peuvent nous y faire penser, nous ne sommes pas dans une production américaine mais bien dans un film français d'art et d'essai qui justement fait dans l'art. Dans cette catégorie, on va prendre des poses auteuristes, donc éclater le scénario en pastilles expressionnistes, préférer les plans fixes qui s'arrêtent brusquement, accumuler des scènes proches du documentaire et bien souvent aux dialogues inaudibles, mettre un personnage principal falot ( et phallo aussi !) peu attachant  et parsemer le tout de citations historico/politiques piochées dans les déclarations de tout ce qui faisait pétarader les flingues dans l'île de beauté.
Le spectateur se trouve donc devant un film mal aimable, fronçant les sourcils en cherchant qui est qui, qui fait quoi, et pourquoi ? On voit bien toutefois que tous ces mouvements partent en vrille et que l'idée indépendantiste de départ se trouve reléguer aux oubliettes. Comme nous sommes obligés de prendre ce que nous donne le film et ayant fait le deuil d'une quelconque trame romanesque, les spectateurs observent s'agiter une bande de gars bas du plafond. Et du coup, ils se demandent comment avec de tels minables, aussi prétentieux que cons, pataugeant dans une tradition de vendetta aussi violente que débile (  tu as mal regardé ma soeur, paf ! t'es mort, tu ne m'as pas payé, paf ! tu crèves, ...), le mouvement indépendantiste puisse être aussi fort. Bien sûr, on aperçoit quelques têtes pensantes ( que l'on zigouille aussi), entourées de leurs gorilles et engraissées au racket, mais comme la caméra, très en distance,  s'attarde surtout sur ces pauvres crétins, l'intérêt va décroissant. Il faudra patienter jusqu'au dernier quart d'heure pour voir apparaître des scènes assez intenses dont deux très  réussies : celle d'un repas de femmes corses ( qui jusqu'à présent n'avaient eu droit qu'à des silhouettes variant entre la pouffe et la potiche) qui en dit très long sur l'ancrage des traditions locales et un beau travelling final qui arrive à nous émouvoir. Hélas, trop peu pour moi .... car au final je ne retiendrai de tout cela qu'un film assez rasoir dont les ambitions véritables sombrent dans un distanciation trop froide et maniérée.




dimanche 13 août 2017

La vie dans les villes de Michaël Wolf


S'il y a une exposition qu'il ne faut pas rater dans le cadre des rencontres photographiques d'Arles, c'est bien celle qui est consacrée aux travaux de Michaël Wolf, cet ancien photojournaliste reconverti dans la photographie tout court.
Spectaculaire est peut être le premier mot trop facile qui vient en premier lorsque l'on pénètre dans l'église des Frères Prêcheurs, cadre gris mais imposant dans lequel sont regroupées les différentes séries de cet artiste. C'est vrai, l'ensemble qui est offert à notre regard est impressionnant. Les immenses photos recto/verso d'immeubles hongkongais  font face à une monumentale installation de 20 000 jouets en plastique " Made in China" dans lesquels sont intégrés des clichés d'ouvriers sur leur lieu de travail. Cependant, l'intérêt de cette exposition et l'émotion réelle qu'elle procure vient surtout des autres éléments exposés plus discrètement.
Le regard de Michaël Wolf  révèle l'inhumanité de la vie urbaine où chacun lutte pour obtenir un minimum d'individualité dans un cadre complexe. Bien sûr lorsque nous sommes confrontés à ces saisissantes photos d'immeubles colorés à l'immensité géométrique ébouriffante, le choc est autant visuel qu'intérieur. Comment peut-on vivre dans de telles boîtes ? Puis, quand on s'approche de cette petite  maison de 9 m² installée non loin et que l'on s'aperçoit que cet espace est l'unique lieu de vie de millions de gens à Hong-Kong, qu'ils partagent parfois à trois comme en témoignent les photos qui tapissent les murs intérieur de cette installation, on réalise combien en France la majorité d'entre nous vit dans des conditions encore décentes. Heureusement, l'humain arrive encore dans cette jungle de béton à laisser sa trace comme une herbe folle poussant au ras du trottoir et nous sommes émus par ces petits objets dérisoires du quotidien qui apparaissent là où on ne les attend pas forcément. Les timides petits formats qui nous les présentent en sont la parfaite représentation face au gigantisme des photos d'immeubles. Pour Michaël Wolf le constat est le même partout que ce soit à Tokyo avec ces visages d'une grande tristesse des voyageurs compressés du métro ou à Chicago, où malgré la structure bien plus aérée et souvent transparente des bâtiments, apparaît un semblable mal de vivre, une ultra moderne solitude comme le disait un chanteur bien connu. Seul Paris semble un peu échapper à ce triste constat si l'on en juge les splendides et poétiques photos de toits qui impressionnent par leurs lignes et leurs couleurs picturales.
Cette vie dans les villes, toute dirigée vers le travail et l'entassement solitaire fait froid dans le dos tout comme ces clichés fortement pixelisés, agrandissements de détails trouvés sur Google Street View ( femme déféquant entre deux voitures, personne âgée évanouie sur le trottoir, doigt d'honneur d'un motard, ...), qui symbolisent tout autant une certaine individualité que l'avènement d'un monde où rien n'échappe aux caméras qui nous surveillent.

Pour terminer, j'aimerai évoquer cette écrasante installation qui attire inévitablement le visiteur de cette exposition.  Ces milliers de jouets récoltés en un mois sur des brocantes américaines, symboles d'une société de consommation insatiable et aveugle, mêlés à ces quelques clichés de serfs contemporains, aux conditions de travail épouvantables, délivrent un message simple et clair, peut être avec un peu trop d'arrogance ... Les tirages, proches du reportage, sont un peu noyés au milieu de ces poneys, Buzz l'éclair et autres dinosaures en plastique. Mais ce qui peut être m'a le plus impressionné reste sans doute les commentaires du public, surtout la partie accompagnée d'enfants inexorablement attirés par ce qui leur apparaît comme une résurgence de Toy's r us. Voilà un endroit facile pour faire un peu de pédagogie, de morale aussi ou même d'une petite leçon appliquée sur l'économie mondiale.... Ce que j'ai entendu n'avait pourtant pas cette allure. Je suis resté un bon moment devant "l'oeuvre" et au lieu d'essayer d'éveiller la conscience enfantine à l'état de notre monde libéral, j'ai plus entendu des : " Oh regarde un tricératop !" ou " Oh ! tu l'as, toi aussi !" ou " Non, mon chéri, tu ne peux pas l'avoir mais on ira t'en acheter un en sortant!" et même, avisant une ouvrière montrant tristement un horrible pistolet qu'elle venait de fabriquer " Regarde la dame, elle joue au pistolet !". Bien sûr quelques uns s'essayaient au bien difficile vrai travail parental, mais la grande majorité tombait dans le néant de la pensée actuelle ( avec pourtant une entrée à 10 euros ou un pass à 40 euros, signes, me semble-t-il, d'un certain intérêt à l'art et donc d'une possible ouverture d'esprit). C'est là, que, avisant tout ce splendide travail, je me dis que Michaël Wolf a raison de témoigner et d'essayer de nous sensibiliser .... même s'il semble témoigner pour une humanité déjà bien déshumanisée, même là où l'on pense qu'il y a encore des possibles !



vendredi 4 août 2017

La tresse de Laëtitia Colombani


ATTENTION : ce roman entre dans la catégorie : Ils me sont tombés des mains !

Je vous raconte ma petite aventure avec ce roman qui s'arrache en ce moment en librairie. Je suis bénévole dans une bibliothèque. Le lendemain du passage de Laëtitia Colombani à " La grande librairie", je ne sais si c'est le sirupeux François Busnel ou la prestation de l'auteure, mais tout le monde voulait cette tresse. Alors, bien sûr, pour le plaisir de nos lecteurs curieux, nous avons acheté LE roman de ce printemps.... J'avais juste eu le temps de l'avoir en main ( mais vous verrez plus loin qu'il n'y est pas resté longtemps), que déjà, on se l'arrachait dès qu'il fut mis en rayon. Nous avons évité le pugilat entre futurs admirateurs en ouvrant une liste d'attente qui continue de s'allonger à l'heure où je vous écris.
Donc, sans aucun à priori par rapport à l'auteur dont je connaissais un peu le cinéma, qui, disons-le ne m'avait jamais réellement emballé mais ne me suscitait aucun dégoût, j'ai plongé dans cette histoire si subtile, si émouvante de ces trois femmes qui, bien que vivant dans trois parties du monde différentes, se verront réunies sans le savoir... Et j'ai donc suivi ces trois destins ...enfin suivi.... non, leur prévisibilité, leurs clichés par tonnes, ont eu raison de ma patience. La québécoise cancéreuse, la sicilienne chef d'entreprise en perruques et la pauvre petite intouchable ( sans doute le personnage le plus touchant dans cette caricature de roman à l'eau de rose) auraient pu m'amener jusqu'au bout de ces 224 pages. Mais un préchi-précha d'une niaiserie confondante, une féminisme de pacotille qui au final fait passer les trois héroïnes pour de pauvres gourdasses débitant des platitudes à hurler de consternation, une façon très désinvolte de ne jamais remettre en cause ce système libéral qui englue les personnages et surtout, surtout, un style de collégienne de quatrième ( bravo Laëtitia, tu commences à manier la phrase complexe, tu as passé le cap supérieur, tu quittes un peu la forme  sujet/verbe/ complément), ont eu raison de ma patience ( et aurait pu me faire pétitionner pour que Marc Lévy soit sur la liste du Nobel de littérature). Mais non, je n'avais pas de temps à perdre ni pour de la littérature de gare marketée à outrance ni pour honorer le roi du marketing. Alors, j'ai vite refermé cette chose creuse et très très éloignée de la littérature qui ne pouvait que m'apporter colère et ennui.
Et les lecteurs de ma bibliothèque, qu'en ont-ils pensé ? Disons que les retours sont divers. Certains aiment vraiment, c'est facile et ça fait du bien mais quand même, je note plus de déceptions ainsi que quelques étonnements sur le battage médiatique. Mais là, je rappelle, que l'édition est une industrie et ce roman un produit...

jeudi 3 août 2017

Chouquette de Patrick Godeau


La chouquette, pour moi c'est tout d'abord une pâtisserie aux allures avenantes, qui, si elle est mal cuite ou mal parfumée, peut s'avérer sèche et sans saveur. "Chouquette", le film , ( car tiré d'un roman assez réussi d'Emilie Frèche), ressemble beaucoup à cette petite chose vendue souvent par douzaine chez votre boulanger, jolie affiche, belle distribution, on peut être alléché...
Le résultat est à la hauteur de cette petite bouchée en pâte à chou, appétissante, mais décevante.
L'histoire, fine comme un papier de cigarette d'une grand-mère recueillant un petit fils renvoyé de colonie de vacances pour cause de varicelle, malgré une écriture laissant la part belle au non-dit, s'étire bien lentement.  La caméra amoureuse de la Bretagne Nord a beau balayer ces grands espaces façon la France vue du ciel, la costumière a beau coller de l'orange sur Sabine Azéma pour qu'elle ressorte bien au milieu de ce paysage assez grisonnant, tout cela suinte un peu l'ennui. Les comédiennes sont parfaites, le gamin très mignon, le spectateur reste de marbre malgré quelques tentatives d'acidité dans le dialogue. Et il n'est pas certain non plus que cette idée d'emmener le récit sur les rives de l'absurde y gagne quelque chose. Alors on regarde tout cela œil morne, constatant avec plaisir que les deux comédiennes principales assument leurs rides avec grâce ( il fait le noter et le dire, elles sont très agréables à regarder), que Michèle Laroque porte très bien les Converse. Cela reste beaucoup trop  léger pour faire une chouquette délectable ...