Camille Laurens, comme beaucoup de monde, est fascinée par la statue de Degas " La petite danseuse de quatorze ans". Son intérêt va la porter à regarder de très près à cette oeuvre singulière qui continue à bouleverser depuis des générations.
S'éloignant de la forme romanesque, l'auteure nous livre un récit que je qualifierai de radiographique tellement le propos est précis et révélateur d'une acuité extrême. Lorsque Camille Laurens, âme sensible à l'art et pourvue d'une grande curiosité, observe la statue, une multitude de questions l'assaillent. Pourquoi cette jeune fille, à peine sortie de l'enfance, nous interroge-t-elle autant ? Est-ce ce physique hautain, un peu ingrat, loin de la statuaire classique qui nous intrigue ? Ce nez de fouine relevé ? Ces yeux mi-clos? Son teint sombre, cireux à l'origine ? Un symbole de l'enfance parce que le modèle était petit rat à l'opéra de Paris ou de la mort avec de visage qui évoque un masque mortuaire ? Et quelle vie a eu réellement le modèle ? Cette Marie Van Goethem, issue d'un milieu pauvre, qui trimait à l'opéra pour des clopinettes et qui devait sans doute arrondir son ordinaire auprès de riches vieux messieurs qui traînaient invariablement dans les coulisses après les spectacles, quel rapport a-t-elle eu avec Degas, homme solitaire et peu porté sur les passions physiques ?
A toutes ces questions ( et à beaucoup d'autres), Camille Laurens, en compulsant archives et documents, avec son talent de romancière, tresse un portrait en essayant de combler les nombreux trous et manques de cette histoire. tentant quelques hypothèses plausibles avec les éléments véridiques connus. Avec elle, le lecteur va tourner autour de cette statue mythique, porté par une réflexion où il ne serait peut être pas allé d'un prime abord. Tout en faisant revivre l'époque, le milieu artistique de la fin du 19 ème, la vie du grand artiste qu'était Degas et celle, bien plus humble, voire sordide, de cette petite danseuse, c'est un fantastique précis pour regarder une oeuvre qui nous est offert. Sans occulter ses réflexions personnelles, Camille Laurens va même plus loin, tellement l'oeuvre résonne en elle. Emportée par son sujet et son nouveau goût pour les archives, une émouvante recherche sur ses ancêtres qui auraient pu croiser cette jeune fille, va également s'engager.
" La petite danseuse de quatorze ans" n'est guère épais ( 170 pages) mais dense. On ressort de ce portrait comblé et empli de ce regard intense qu'une écriture sans faille rend encore plus pertinent.
On est tenté de dire,cette petite danseuse est elle "celle que vous croyez?",et pressé de retrouver l écriture bien chorégraphiée de Camille Laurens!
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