jeudi 27 février 2014

Le sens de l'humour de Marilyne Canto


Elise court dans un musée. Cette femme pressée, au visage fermé, c'est Elise. Elle est conférencière. Cette énergie qu'elle semble avoir cache plutôt un mal être. Veuve, vivant avec son fils qui recherche son père au travers des quelques objets ou croyances, elle voit de temps en temps Paul. Ils sont amants mais leur relation est bancale. Elle donne son corps mais rien d'autre, n'étant pas prête à aimer à nouveau. Malgré les remarques glaciales de sa maîtresse, Paul résiste, se découvre même plus père que futur compagnon...
Regardez bien l'affiche. On y voit les trois personnages, souriants, les adultes échangeant un regard complice. On lit, en jaune, le titre "Le sens de l'humour". Vous avez fait le tour exact de ce qu'il n'y a pas dans le film. On est très loin de la comédie. Nous sommes plutôt dans une description psychologique matinée de naturalisme autour d'un sujet peut être autobiographique. Même si l'on perçoit bien le projet de la réalisatrice de faire le portrait sensible d'une femme dans un entre-deux difficile ( tourner la page d'un amour vraiment disparu, accepter un autre homme près d'elle et sous le regard de son fils), le rendu sur l'écran ne m'a pas convaincu. Elise, tout d'abord, n'est jamais sympathique tellement elle est reste fermée à toute ouverture. On comprend mal pourquoi Paul, plus doux, plus tendre, continue à être attaché à elle. Et ce ne sont pas les scènes entre eux, aux échanges plats et secs, au minimalisme peu crédible qui aident à une quelconque empathie. Le film avance tout de même, ralenti par de nombreux plans de l'enfant dont l'utilité m'a échappé :  l'enfant a un sachet de bonbons, l'enfant regarde la télévision, l'enfant croise ses jambes, l'enfant met ses doigts dans son nez, (heu non, pas quand même)...
Malgré toute la sympathie que j'éprouve pour cette comédienne, appréciée dans bon nombre de films, j'avoue n'avoir pas du tout été emballé par sa première réalisation. Un peu sèche, elle est à l'image de la scène où elle apprend qu'elle est enceinte.  La caméra est dans la rue. Le personnage est à l'intérieur du laboratoire face au comptoir, nous tournant le dos. On entend faiblement les explications de l'hôtesse d'accueil qui lui signifie son état. Une lourde porte vitrée occulte un peu la compréhension. J'ai eu l'impression que durant la projection, cette porte était toujours présente, éloignant le spectateur de l'histoire, l'empêchant de percevoir la circulation des sentiments. 
Dommage....j'aurais aimé que ce film fragile et trop pudique ( et sans l'ombre d'humour ) me touche davantage. Il n'a eu  que le mérite de regarder jouer deux comédiens attachants ( Marilyne Canto et Antoine Chappey).

mardi 25 février 2014

Feu pour feu de Carole Zalberg


Après " A défaut d'Amérique ", Carole Zalberg nous revient avec un très court texte diablement inspiré. C"est le cinglant monologue d'un pére  réchappé  d'un charnier en Afrique. Il raconte son périple pour venir jusqu'à chez nous, accompagné de sa fille encore tout bébé. La traque dans son pays, la traversée de la mer, l'arrivée dans un centre de rétention puis son installation en France, pays étranger. 
Un parcours classique donc, souvent raconté ailleurs. Mais ici, l'écriture toute en intensité, transcende le récit. Derrière les mots choisis qui disent l'amour de cet homme pour son bébé et sa force pour vaincre son terrible sort, il y a le concret qui est éludé, sous entendu. Les mots, les phrases de Carole Zalberg ont une force évocatrice puissante, notre connaissance de cette immigration, les images que l'on a pu nous en montrer ailleurs comblant très bien les vides du récit. On imagine  le Rwanda, Lampedusa...
Ce qui aurait pu être seulement un long cheminement vers un ailleurs censément plus beau se double ici d'un deuxième récit, enchâssé dans le premier et qui correspond à la voix du bébé devenu une adolescente rebelle ayant occasionné un incendie dans un immeuble pour un motif totalement crétin.
Entre la langue employée par le père tout en amour et en dignité et celle, pauvre et vulgaire de sa fille, le texte prend une ampleur inattendue. La tragédie du génocide, des souffrances des migrants ont forgé au père une stature, une humilité et une conscience qu'hélas il n'a pu transmettre à sa fille, enfant livrée à elle même dans une banlieue sordide. Son pays d'accueil ayant été  incapable de lui apprendre autre chose que le rejet et l'isolement aussi bien culturel que social. 
Ce petit roman vous transperce comme une évidence, constat impitoyable d'un monde qui n'est pas fait pour tout le monde, où la barbarie sous toutes ses formes guette les plus faibles. De la violence physique de son pays de départ à la violence morale et quotidienne dans son pays d'exil, cet homme, pourtant honnête et courageux, voit ses pauvres espérances d'une toute petite vie meilleure anéanties par des sociétés pleines de préjugées et d'indifférence. 70 pages suffisent à une formidable écrivaine pour exprimer les plaies béantes d'un monde de plus en plus fou. 

dimanche 23 février 2014

Gloria de Sebastian Lelio



J'élimine tout de suite les connotations hollywoodiennes autour de ce film. Non, ce n'est pas du tout un deuxième remake du "Gloria" de Cassavetes, ni une suite de "Tootsie" où Dustin Hoffmann reprend son rôle ( versant féminin ). La comédienne y fait beaucoup penser, mais il n'en est rien ! S'il devait y avoir une ressemblance à chercher, on pourrait lui trouver un lointain cousinage avec "Les beaux jours" de Marion Vernoux.
Gloria, approchant la soixantaine, est divorcée depuis douze ans. Elle travaille, voit de temps en temps ses deux grands enfants et oublie sa solitude en allant danser dans des clubs pour personnes matures, s'étourdissant de danse mais aussi de flirts (on drague beaucoup dans les dancings !). Et un soir, elle rencontre Rodolfo, la petite soixantaine sympathique, fraîchement divorcé. Le courant passant bien, ils finissent par tomber le costume de bal pour que leurs peaux puissent s'épanouir au creux d'un lit. Mais l'idylle va se compliquer, la famille de Rodolfo est un peu toxique et nuit à leur relation. Gloria coupe,à regret, la relation, mais l'évincé va insister ....
Porté par la formidable Paulina Garcia, le film est le portrait sans démagogie et tout en finesse d'une femme ordinaire, avec ses amis, ses amours, ses emmerdes (là, pas trop, sinon sentimentales). L'originalité vient surtout du personnage principal, mûre mais ni malade, ni folle, ni trop riche ni trop pauvre, lambda. Filmée dans son quotidien, chaque scène apporte finement un détail qui complète la perception que l'on peut avoir du personnage sans s'appesantir. La relation de couple est ici envisagée de façon tout à fait normale elle aussi. Oui, à soixante ans on peut rechercher une aventure sexuelle, la trouver, en jouir. Les deux comédiens, ne cachent rien de leur corps et offrent au public des scènes comme on pourrait en voir plus souvent, le sexe n'est pas uniquement réservé aux nymphettes ou aux trentenaires bodybuildés !
Joliment sentimental, avec un rythme lent qui permet de mieux saisir l'importance des regards, des gestes et des attitudes, "Gloria" est un film qui a su toucher le pas encore soixantenaire que je suis. Délicate description d'une femme chilienne contemporaine, laissant enfin un peu de côté le passé dictatorial du pays, "Gloria" séduit surtout par sa justesse de ton et son traitement tout en délicatesse. Et si vous aimez la chanson d'Umberto Tozzi, vous l'entendrez évidemment mais en version espagnole car elle est, ici,  le symbole d'une femme libre et responsable !


samedi 22 février 2014

Un petit goût de noisette de Vanyda


Voici un roman graphique dont le titre n'est absolument pas trompeur avec son contenu. C'est l'exact sentiment que j'en ai retiré une fois refermé : "Un petit goût de noisette" ...., c'est bien ce que l'on peut  dire de ce fruit sec, un goût très, trop léger qui, pour moi, marque une légère déception (mais les admirateurs de cet album, ils sont nombreux, me rétorqueront que la noisette a un goût subtil comme cette BD...)
Ayant beaucoup apprécié, voire adoré les trois tomes de "Celle que je ne suis pas, je voudrais être et être", c'est avec gourmandise que je me suis plongé dans celui-ci. La couverture, très réussie, semble donner une impression d'enfance...que l'on ne retrouve pas dans la collection d'histoires que Vanyda nous propose. Il est plutôt question de trentenaires à la recherche de l'amour, d'un ou une partenaire. Ils avancent dans la vie à petits pas, dans un quotidien très bien exposé, se rencontrent, se croisent, boivent quelques verres, échangent quelques paroles, quelques regards. Plusieurs personnages vont apparaître dans des histoires apparemment indépendantes, mais vont parfois se croiser entre eux au hasard de leurs pérégrinations. C'est un peu une BD chorale mais pas tout à fait....
On retrouve le sens d'observation très aiguisé de Vanyda qui n'a pas son pareil pour décrire la vie quotidienne dans sa simplicité. Avec un trait un peu plus affirmé et l'apparition de quelques couleurs secondaires, une par épisode, créant ainsi une ambiance particulière, le projet est admirablement bien défini et pensé. Mais, le hic ici, comme souvent dans un recueil de nouvelles, toutes les histoires n'ont pas le même intérêt et malgré le lien donné entre toutes par ce vagabondage de certains personnages d'une histoire à l'autre, mon intérêt n'a pas été constant. Si j'ai été touché par Barnabé, le solitaire qui prend constamment des râteaux ou par Benoît dont l'incursion comme lecteur dans un hôpital donnera un passage passablement grinçant, je l'ai été beaucoup moins par d'autres portraits plus ténus, jouant sur des détails que ne m'ont pas paru complètement intéressants.
Quand mes enfants ne voulaient pas goûter un de ces aliments ne ressemblant pas aux frites ou aux pizzas, mon épouse leur disait : "Goûte, tu verras, c'est bon, ça a un petit goût de noisette !". Bien sûr, ils goûtaient (ils étaient obéissants) mais ils n'étaient guère convaincus par la saveur d'une courgette ou d'un avocat. Malgré la promesse gourmande, la noisette n'a jamais eu la puissance gustative d'une truffe ou du poivre. Et c'est un peu le sentiment que j'ai eu après la lecture, cela manque de sel ou de condiments. Le sujet n'est pas follement original, l'apparition de quelques couleurs un procédé souvent employé en BD et certaines histoires quelque fois très fragiles, jouant sur une quotidienneté bien observée, m'ont semblé trop anecdotiques. Je suis un peu sévère parce que déçu. Mais Vanyda possède un talent sûr d'entomologiste des coeurs et des êtres, qui éclate encore ici mais qui, j'en suis certain s'épanouira peut être plus dans un vrai récit de longue haleine.



vendredi 21 février 2014

Petit ours mal peigné et le ballon rouge de Chris Wormell


Petit Ours Mal Peigné, mais tout mignon quand même, trouve un joli ballon rouge. Joueur, il shoote dedans et le voilà disparu dans le feuillage du grand chêne. Ce n'est pas qu'il soit très courageux, mais petit ours mal peigné veut le récupérer. Il commence alors une ascension qui ne sera pas sans danger, ni sans rencontres...
Sous un aspect mignonnet, se cache pour les enfants un album terrible ! C'est un véritable suspens auquel ils sont conviés et attention aux sensations fortes ! Oui l'ourson est tout mignon, oui il est accompagné d'adorables lapins et de craquantes petites souris, mais ce qui se passe dans l'arbre est absolument prenant et captivant. Lisez-le à des enfants de 3/4 ans, vous les verrez sursauter quand vous tournez une page, voire se cacher les yeux pour ne pas voir. Ce n'est pas effrayant, mais cet album propose la dose exacte d'émotion que l'on peut ressentir à cet âge là. Et cette douce petite frayeur est due à la magie des illustrations de Chris Wormell qui, avec un graphisme sage et classique, arrive à créer de l'émotion tout du long. Les enfants sont à la fois effrayés par les animaux rencontrés dans l'arbre ( un écureuil, un hibou et une cigogne) mais ressentent également la sensation de vertige qu'éprouve l'ourson. Mais rassurez-vous, l'histoire se termine bien bien malgré un suspens intenable quand l'ours dégringole dans le vide.
Pour moi, cette deuxième aventure de Petit Ours Mal Peigné est vraiment une grande réussite ( et bien meilleure que le premier volume). Il allie une histoire simple avec un dessin pleine page splendide, qui permet aux jeunes enfants de vivre une vraie aventure, avec tension et frayeur, d'en sortir vainqueur et donc plus fort. Un album qui passionne et qui fait grandir ! Et pour les parents, n'est-ce pas quelque part un clin d'oeil à Winnie l'ourson, la gourmandise en moins ?

jeudi 20 février 2014

Only lovers left alive de Jim Jarmush


Nous étions sept personnes hier à la projection du dernier film de Jim Jarmush. Quand la salle s'est rallumée, nous n'étions plus que quatre : trois personnes endormies et moi. Exit le trentenaire fringuant, parti très vite ainsi que le couple d'étudiants qui espérait sûrement un "Twilight" intelligent.
Avec un tel préambule, vous allez penser que "Only lovers left alive" est encore un de ces films soporifiques, survendu par une presse encensant à tout va la moindre oeuvre de réalisateurs dandys, talentueux mais incompris par un public décidément de plus en plus aveugle (surtout quand la merveille a eu besoin d'un financement français pour aboutir). Eh bien pas tout à fait, le résultat s'avère finalement pas si inintéressant que ça.
Vous l'aurez compris, le nouveau Jarmush n'est pas une pochade facile pour spectateur amateur de popcorn dans un multiplexe. C'est en premier lieu un objet étrange, proche d'une oeuvre d'art. En jouant avec les codes du film de genre (les vampires) qu'il s'amuse à détourner très vite, Jim Jarmush crée un univers qui lui est propre, avec un tempo particulier et une imagerie très personnelle. C'est aussi une oeuvre crépusculaire (testamentaire dit-on beaucoup dans la presse bien que Jarmush ne soit pas si vieux que ça) qui pose un regard sombre et désenchanté sur le monde d'aujourd'hui. La ville de Détroit en toile de fond, avec ses rues vidées de tout habitant, ses immeubles inhabités et délabrés et Tanger , plus oppressante, où chaque ruelle cache un dealer, donnent au film un ambiance de fin de cycle inéluctable. C'est aussi une stylisation extrême des deux personnages principaux. Adam, sorte de Robert Smith en version sexy (Tom Hiddleston), vampire musicien vivant au milieu de vieux instruments ou d'appareils hors d'âge et Eve, sa compagne, aussi blonde que lui est blond, formidablement interprétée par l'incroyable Tilda Swinton, apportent à ce film une élégance et une grâce délicieusement branchée, rendant encore plus troublante une image déjà magnifiquement cadrée et éclairée.
Je ne raconterai pas la trame de "Only lovers left alive", très ténue, mais en gros, ce sont deux vampires modernes qui, pour pouvoir se nourrir, se procurent du sang dans les hôpitaux, en pack plutôt que de s'attaquer comme la légende l'exige, à de pauvres innocents. Cela leur évite ainsi de consommer du sang contaminé par les multiples virus qui traînent. Dormant le jour et errant la nuit, ils s'interrogent sur leur vie, le temps qui passe, l'évolution de l'humanité...
Je ne suis pas rentré tout de suite dans le film, décontenancé par le rythme et le dispositif mis en place par le réalisateur. Et puis, lorsque les héros se sont réunis, le charme a agi. Le charisme des acteurs, leur photogénie sidérante, la lumière, la musique, l'humour( oui, oui, il y en a !) pour masquer un peu le caractère assez dépressif de l'ensemble  ont fait qu'au bout du compte, le film m'a finalement bien plu, imprimant dans ma tête des images inoubliables.
Bien sûr, on pourra lui reprocher d'être un peu égocentré, réservé principalement à quelques happy few. Il est peu ça mais il est surtout une tentative réussie de création artistique, dont la mise en scène inspirée embrasse avec subtilité un spleen existentiel particulièrement attachant. L'oeuvre n'est pas facile d'accès, mais, si comme moi, vous vous laissez aller à la petite musique  Jarmushienne (pas trop quand même, le sommeil pourrait vous gagner), vous passerez devant l'écran un moment étrange, sensuel et envoûtant.


mardi 18 février 2014

La fin du monde a du retard de J M Erre


Je viens de terminer le nouveau roman de J M Erre et je n'en mène pas large. Qu'est-ce que je vais pouvoir écrire derrière ? Comment, après un livre aussi drôle, aussi réussi, vais-je pouvoir aligner quelque chose qui soit à la hauteur ? Je voulais faire mon fanfaron et écrire léger, mais je remballe vite fait ma prose à deux balles, la queue basse et la main tremblante. Je me bornerai donc à m'incliner devant ce maître de l'humour chez qui chaque phrase recèle une trouvaille hilarante et à seulement essayer de promouvoir et faire acheter aux quelques personnes qui tomberont sur ce billet, ce cinquième chef d'oeuvre de drôlerie (et les précédents aussi, tous maintenant en poche).
Avant de vous plonger dans "La fin du monde a du retard", il serait bon de prendre quelques précautions. Tout d'abord, il vous faudra trouver un lieu isolé, discret, à l'abri des regards, on pourrait, en s'apercevant de vos fous rire incontrôlés, avoir envie de vous chiper cette cause d'hilarité. Ensuite, avant d'ouvrir l'ouvrage, écarter d'un preste coup de pied tous ces récits si plombants d'enfance malheureuse où le fait d'aduler Mylène Farmer peut être une cause de traumatisme. On laissera également de côté un esprit trop cartésien pour une meilleure propagation de l'intrigue totalement foldingue et survoltée que nous a concocté l'auteur. Et puis, il sera indispensable de se dégager du temps, car une fois ouvert, le livre résiste énormément à toute tentative de fermeture. Il serait donc dangereux de le lire alors que bébé est dans son bain (risque de noyade), que Jules-Edouard et Marie-Isaure font leurs devoirs (risque d'énervement face à aussi peu d'autonomie), ou que Solène ou Hervé (barrez le prénom inutile selon votre configuration de couple) a un besoin pressant de rapprochement physique (risque d'engueulade.) C'est qui ce J M ? Jeanne-Marie ? John-Marcel ? (barrez le prénom selon vos goûts supposés en matière d'extra conjugalité).
Une fois bien calé(e) dans votre coin, vous découvrirez Julius, petit bonhomme totalement parano, persuadé que sa connaissance d'un terrible complot contre l'humanité, lui vaut d'être  la cible d'une organisation secrète. Il s'enfuira d'un asile psychiatrique en compagnie d'Alice, jeune femme ayant perdu tous ses sentiments suite à une explosion ayant occasionné la mort des 262 invités de son mariage. Et c'est parti pour 400 pages de délire, de personnages hauts en couleur, de situations décapantes et surtout d'une course poursuite haletante que vous ne lâcherez pas avant la fin.
Je sens déjà poindre un brin de scepticisme dans le cerveau intello de quelques uns. Encore du grand n'importe quoi, pensent-ils, un Gilles Legardinier version déjantée ! Et là vous faites erreur, car ici, ce roman sur la théorie du complot, pastiche survitaminée du Da vinci code, pur trésor de lecture, possède de multiples niveaux de lecture. On peut apprécier sans problème cette histoire au premier degré, tellement l'invention narrative, les dialogues percutants, l'intrigue totalement aboutie et aussi précise qu'une horloge suisse font mouche. Mais on y trouvera aussi une manière très intelligente, voire pédagogiquement brillante et drôle (J M Erre ,n'est pas prof pour rien) de réviser les mythes grecs, la théorie de la caverne de Platon, Candide de Voltaire, ... tout une pléiade de grands auteurs de tous les siècles. Et comme si cela ne suffisait pas, il brosse, en plus, un portrait implacable de la place de la culture dans notre 21 ème siècle (je vous recommande, entre autre un dialogue étourdissant sur la place de la lecture au siècle dernier ou le grandiose portrait du libraire en résistance), mais aussi un instantané gratiné sur l'état des croyances actuelles (religieuses ou autres), le journalisme people ou l'éternel combat entre les vieux et les jeunes....
Beaucoup de choses me direz-vous. Mais n'est-ce finalement pas un gros kougloff, un fourre-tout indigeste ce roman ? Pas du tout!!!!! Car c'est là que le talent de J M Erre explose. Il se permet tout et tout passe avec verve et légèreté.
"La fin du monde a du retard" est une pure merveille d'humour et d'invention qui parvient à ne jamais se prendre au sérieux tout en ayant en ligne de mire la satisfaction du lecteur, son plaisir, l'ardent désir de le faire rire mais aussi réfléchir. C'est tellement rare dans l'édition française actuelle que ce livre mérite des mètres de linéaires dans toutes les librairies de France et, allez, soyons fous, dans les espaces dits culturels des hypermarchés. A lire pour un plaisir intense et surtout FAITES PASSER LE MESSAGE !

vendredi 14 février 2014

Les grandes ondes (à l'ouest) de Lionel Baier


Afin de rendre les programmes de la Radio Suisse Romande plus optimistes, son directeur d'antenne envoie au Portugal sa maîtresse, un ex grand reporter mis un peu sur la touche depuis quelques problèmes de perte de mémoire et un vieux technicien pointilleux sur son matériel. Leur but est de montrer comment les subventions et aides apportées par la Suisse apportent soutien et bonheur à une population qu'ils jugent sous-développée. De petite pendule électrique dans une école minable à un robinet offrant eau chaude et eau froide (et même tiède !) en passant par un directeur de station d'épuration vraiment raciste, les reporters font grise mine et n'ont rien à se mettre sous la dent. Mais nous sommes en avril 1974, le Portugal s'apprête à se débarrasser de sa dictature. Nos reporters vont prendre la révolution des oeillets en pleine figure sans rien avoir vu venir.
"Les grandes ondes" est ce que j'appelle un film attachant. Pas vraiment totalement réussi peut être à cause d'un léger manque de rythme, un peu singulier parfois par son mélange de genres qui peut dérouter (quelques légères petites touches poétiques, une scène de comédie musicale), il parvient sur la durée à nous faire sourire, puis à nous émouvoir et même à insuffler au spectateur cette dose d'optimisme qu'avait le peuple portugais au sortir de la dictature. Jouant finement sur une touche vintage en recréant couleurs et ambiance de cette année 1974, le film déploie un discours post soixante-huitard absolument délicieux. Evitant le côté nostalgique et avec les moyens de la comédie, il impose finement des parallèles avec aujourd'hui, rappelant au passage, qu'une bonne révolution, c'est quand tout le monde est uni vers un même désir de liberté et de non violence. Même si les dictatures d'aujourd'hui sont plus insidieuses, leur combat n'en reste pas moins vital. (C'est peu ou prou la conclusion du film)
A l'écran, c'est vraiment une comédie, servie par un excellent trio de comédiens. Michel Vuillermoz compose un journaliste quasi amnésique hilarant et attachant, Valérie Donzelli en féministe prête à tout est au diapason et j'avoue que j'ai découvert un acteur épatant en la personne de Patrick Lapp qui brosse un technicien bourru mais au charme certain, totalement irrésistible.
Beaucoup de fraîcheur dans ce périple portugais. Sa reconstitution bluffante de la révolution des oeillets et son petit plaidoyer pour une certaine libération sexuelle doublé d'un discret mais émouvant hommage à la créativité des journalistes radios et de leurs équipes, font qu'il serait dommage que ce film passe à la trappe par manque de spectateurs. Ne jouant pas les gros bras, ni dans le genre comédie populaire, ni dans le registre film d'auteurs, il propose dans son coin une jolie musique, finalement originale mais surtout pleine d'une humanité qui fait chaud au coeur. Par les temps qui courent c'est assez rare. Courez-y !



mardi 11 février 2014

Kiki a un kiki de Vincent Malone et Jean-Louis Cornalba


Après avoir écouté les infos, toujours aussi réjouissantes et donnant l'impression que les autodafés s'approchent à grand pas...je m'en suis allé chez mon libraire préféré pour me remonter le moral. J'ai eu raison, puisque j'y ai trouvé la nouvelle publication de Vincent Malone dans son hilarante série Kiki, le king de la banquise. Elle viendra trouver sa place dans la bibliothèque de mes enfants (qui vont très bien,merci !) auprès de "Tous à poil !", " Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi" et d'autres titres du même tonneau, titres je tiens à le rappeler qui sont aussi essentiels aux jeunes cerveaux en formation que l'huile l'est à la sardine et le serre-tête en velours vert foncé aux dames catéchèses.
Kiki est un joli petit pingouin qui est très fier aujourd'hui, il a un joli kiki. Il est tellement fier qu'il veut le montrer à tous ses copains. Coquette, sa copine pingouine trouve que c'est un coquin. Le caribou n'en a rien à faire mais lui signale que l'on dit plutôt quéquette. Madame Cochon la maîtresse le punit pour outrage et son copain le pélican n'en a rien à faire. Zut, il sont pas drôles, il est beau pourtant le kiki de Kiki ! Finalement, ils veulent bien lui faire plaisir et le regarder son kiki. Et, OOOOh, mais..... 
Là, je vous laisse découvrir la suite de cet album qui possède sur sa couverture un bandeau sur lequel est écrit : "Si vous avez aimé le Kâmasûtra, vous allez adorer kiki a un kiki !".
 J'ai adoré "Kiki a un kiki" et du coup je vais peut être me laisser tenter par la lecture du Kâmasutra, que, je l'avoue humblement, je n'ai pas encore lu. Une chose est certaine par contre (et n'en déplaise à Mr Copé ou à Mme Bourges), je relirai cet album à des enfants car à peine lu, ils ne m'ont dit qu'une chose : encore ! Et ils ont raison. Les enfants savent, EUX, repérer les bons albums du premier coup d'oeil. Je signale au passage, qu'en plus de nous faire rire, et de faire comprendre avec finesse ce qu'est un quiproquo (oui, il est pédagogique en plus !) cet album possède, grâce à une mise en page astucieuse,  une deuxième histoire sous-jacente sur la pollution grandissante de nos fonds marins.
Je résume pour ceux qui n'auraient pas suivi : drôle, mignon, pas vulgaire, pédagogique, moral, écologique, l'histoire de ce pingouin qui veut montrer et montre son kiki à tout le monde est une vraie réussite. Et en plus, excellente nouvelle, il ne coûte que 5.90 euros ! Donc , un conseil, pour faire un pied de nez à tous les censeurs en puissance qui allient mauvaise foi et bêtise, courez chez votre libraire acheter ce petit bijou qui réjouira tout le monde de 3 à 100 ans. Vous ferez plaisir et quelque part également, un acte de résistance ! 

lundi 10 février 2014

1, 2, 3 banquise d'Olivier Philipponneau, Alice Brière-Haquet et Raphaële Enjary


Les petits adorent être en hauteur, aussi grands que nous, ils ont ainsi l'impression qu'ils peuvent dominer le monde comme nous, parler d'égal à égal (même si pour certains enfants, la taille ne joue pas dans la sensation de se sentir important, le regard ou la position occupée au sein de la cellule familiale suffit ). Surfant un peu sur ce désir enfantin,  "1, 2, 3 banquise" est assurément un album qui parle aux petits.
Les animaux de la banquise veulent être aussi grands que l'animal roi de leur région,  l'ours blanc. En s'unissant, en se grimpant dessus, ils peuvent atteindre leur objectif sans peine et défier ce gros balourd. Seulement, face au plus fort du secteur, certains auraient dû se méfier....
Voici encore un album qui va plaire aux plus petits (à partir de deux ans ) : des animaux, un texte joliment écrit qui rime bien, une situation qui donne envie de dénombrer et une chute qui fait frissonner. Mais les parents aussi vont y trouver leur compte, car il est joyeusement pédagogique. Il apprend à compter de la meilleure manière ( trois, c'est un + un + un ), il joue avec les sonorités de la langue (c'est bon ça pour l'apprentissage de la lecture) et surtout il est chiquissimement illustré (nous sommes chez Memo, l'éditeur haut de gamme que les bobos adorent). Ici, aucune couleur criarde, juste un turquoise de très bon aloi, sûrement issu d'un cahier tendance et quelques touches de noir et de blanc. J'ai l'air de me moquer, alors que moi aussi j'adore ce ton doux pour une histoire pas si gnangnan que ça. Et je noterai, en plus, que les illustrations ont été faites à partir d'une technique de gravure sur bois, dont les petites irrégularités donnent un relief et une touche vivante absolument délicieuse et délicate.
Un très joli album pour les petits et encore un sans faute pour les éditions Mémo !


 

Une petite idée du formidable travail autour de cet album... à voir plus en détail sur le site de l'auteur :
http://www.philipponneau.com/blog/tag/xylographie/

dimanche 9 février 2014

Goltzius et la Compagnie du Pélican de Peter Greenaway


Par quel bout prendre ce nouvel opus de Peter Greenaway ? Difficile à dire car, depuis un petit moment, il essaie d'exploser le cinéma en un mélange de tous les arts possibles, la danse, la littérature, l'architecture, la musique, la peinture, ... Cela donne selon l'humeur, un gloubiboulga indigeste, pompier et fumeux ou une oeuvre d'art conceptuelle qu'il faut recevoir comme telle et non comme un film habituel. "Goltzius et la compagnie du Pélican" est rangé, pour ma part, dans la deuxième catégorie. 
Le point de départ est une évocation d'Hendrick Goltzius, peintre et graveur du 16ème siècle qui, pour pouvoir maintenir son activité essaie de se faire sponsoriser par un prince en faisant jouer par ses ouvriers et ouvrières six moments érotiques de l'ancien testament.
La narration est bien sûr assez distordue. Ca a été filmé dans une ancienne gare croate désaffectée dont les structures métalliques sont la base du décor. Un narrateur, un peu bouffi et efféminé apparaît régulièrement, proférant des sentences intelligentes (enfin, je pense car tellement nombreuses et sans doute signifiantes que bien vite mon esprit a été noyé...) sur la religion et le sexe et lançant les six tableaux érotiques promis, dans une image où par incrustation, apparaissent des fragments de textes écrits, des tableaux, ...
Le gros du film est évidemment cette représentation des textes érotiques de la bible couplés avec les plus grands péchés : l'inceste, la prostitution, la nécrophilie, le voyeurisme, ... Dans une disposition scénique assez minimale mais complexifiée par une scène rotative ou une cage suspendue, ou des lits surdimensionnés, en costume d'époque flamboyants et le  plus souvent totalement nus, les comédiens jouent ces scènes avec conviction et aisance. Je dis aisance car, il est rare de voir des acteurs aussi à l'aise dans leur nudité, offerte sans artifice, déclamer un texte pas mal alambiqué. Les corps sont dans ce film généreusement offerts, sans aucun voile ni artifices habituels (vous savez tous ces objets qui viennent judicieusement cacher un sexe ou une fesse). Et malgré les situations décrites, franchement crues, à l'écran ce n'est jamais vulgaire, ni voyeur, ni impudique. C'est clinquant, flamboyant, dur, mais cela ne met jamais mal à l'aise ni ne recherche l'excitation (physique du spectateur). On est comme devant un de ces nombreux tableaux bibliques dans un musée, les personnages sont nus mais pas érotiques pour autant (quoique quelquefois....) malgré leur attributs clairement dévoilés. 
Emballé ? Je n'irai pas jusque là parce que c'est quand même copieux comme film! Visuellement c'est surprenant, artistique assurément, créatif aussi mais cela reste quand même un exercice extravagant et d'une noirceur quasi funèbre. Pour moi, ça vaut le coup d'oeil. On y appréciera une mise en images totalement originale et reconnaissable mais on pourra rester en retrait à cause d'un propos sans doute très pensé mais un peu fumeux tout de même. 




samedi 8 février 2014

C'est le métier qui rentre de Sylvie Testud



Ce n'est certainement pas LE livre de l'année mais j'ai passé un agréable moment à la lecture du dernier roman de Sylvie Testud. 
Sybille, faisant partie des comédiennes qui comptent et qui ont donc un nom dans le métier, écrit le scénario de son deuxième film en tant que réalisatrice. N'ayant pas eu encore l'idée de penser à son financement, et comme tout se sait dans ce milieu très fermé du cinéma, un couple de producteurs s'engage, quasi avant lecture, de produire son film. En deux temps,  trois mouvements, la voilà poings et pieds liés à ce frère et cette soeur que tout le monde déteste. Répondant au doux nom de Ceaucescou et surnommés les Thénardier du cinéma, ils vont pressuriser notre pauvre comédienne, lui faire avaler maintes couleuvres, lui promettre tout et son contraire... 
Bonne comédienne, romancière honorable, réalisatrice devant faire ses preuves ( La vie d'une autre, en 2012, son seul film en tant que réalisatrice est quand même loin d'être un chef d'oeuvre), Sylvie Testud touche un peu à tout (mais comment fait-elle ? ) et arrive à insuffler son énergie dans ce petit roman idéal pour un trajet en train. Avec des phrases courtes, simples, elle arrive à rendre son histoire haletante. On suit le rythme effréné de l'héroïne complètement absorbée par son projet de film et luttant pour que sa vie personnelle ne bascule pas dans un enfer domestique pourtant pas loin. Un peu caustique, non dénué d'humour, son roman se lit d'une traite. On est très vite dans la peau d'une comédienne célèbre et on compatit au trouble que laisse infuser ses producteurs, véritables personnages, hauts en couleurs et totalement déjantés. Sylvie Testud décrit d'une plume alerte ce monde qu'elle connait évidemment très bien. Le lecteur que j'ai été, a été heureux de pénétrer dans les coulisses de la préparation d'un film, tout en restant persuadé que la réalité doit être bien pire que ce qui est décrit ici. Et même si l'on s'en doutait un peu, on a la démonstration que dans le cinéma beaucoup de choses sont loin d'être artistiques et que souvent l'art s'efface complètement derrière l'industrie, donc l'argent. Quand en plus viennent se greffer des tempéraments proches de la dinguerie, on n'est plus du tout étonné que, devant la projection de certains films, on puisse se dire  : mais qui a pu donner son fric ou convaincre des financiers à miser un kopeck sur un tel navet? Le monde du cinéma est un sacré vivier de personnages de fiction. Sylvie Testud s'en est emparé avec humour et nous offre un bon moment, bien meilleur en tout cas que la vision de son film " la vie d'une autre" qui, en y repensant, semble peut être avoir souffert de quelques uns des aléas décrits dans le roman. 
Roman agréable donc, facile à lire, pour les amateurs de comédies rythmées et les amoureux du cinéma, qui continue à nous rendre Sylvie Testud toujours un peu plus sympathique.

jeudi 6 février 2014

Un beau dimanche de Nicole Garcia

Vendre le nouveau film de Nicole Garcia pour une attachée de presse est un parcours de santé sans les obstacles tellement les points d'accroche sont évidents. Elle glosera sur les thématiques récurrentes de la réalisatrice, thématiques qui peuvent faire penser que la  metteuse en scène fait oeuvre. Pour ceux et celles qui n'auraient rien lu ou entendu, on peut citer, en vrac : la filiation, l'enfance brisée, la fragilité masculine, mais aussi le Sud et son soleil, et même les week-ends festifs ( après l'ascension et le 15 août, la pentecôte...). Elle se gargarisera également avec le terme qualité française et fera référence à Claude Sautet, c'est chic et ça fera sortir dimanche prochain la bourgeoisie qui sera ainsi sûre de trouver un film bien propre sur lui. Et surtout, elle mettra en avant la révélation Pierre Rochefort, avec des trémolos dans la voix, c'est tellement émouvant une mère qui filme son fils...Tout est réuni pour qu'on file séance tenante acheter son ticket, sinon, on est le dernier des nazes, voire même le fossoyeur du cinéma français.
Le film débute par une scène choc très éloignée du côté estival de l'affiche. Au petit matin, au milieu de chiens énervés, des corps ensommeillés à même le sol sous des couvertures miteuses, sont soudain rudoyés par la police pour une évacuation manu-militari. Nous voilà prévenus, on va voir ce qu'on va voir, Mme Garcia a quitté la "Place Vendôme" et troque les diamants pour la canette de bière de chez Lidl. Une plongée dans la France d'en bas nous attend. Effectivement, après le générique, nous voilà dans une autre zone populaire, une école publique ! Et tout de suite ça se gâte ! Pas de chance pour Mme Nicole, je suis instit ! Et les invraisemblances s'enfilent les unes après les autres. Je laisse de côté la poubelle à usage unique jetée dans le container par le héros, une petite erreur de mise en scène mais j'ai tiqué sur le fonctionnement des remplacements dans les écoles et de l'offre faite par le directeur à son remplaçant. Non Mme Garcia, non Mr Fieschi (l'autre scénariste), on ne créé pas un CM2 à la tête du client même si celui-ci est beau et sympathique. Je pinaille vous allez me dire, il faut être un peu romanesque et se laisser aller.... Ok, je tourne la page sur ce manque de crédibilité et je regarde la suite, dialoguée sans doute par les CM2 punis lors d'une récréation (c'est pour expliquer le manque d'inspiration et de naturel du rendu final) car quelques scènes plus tard, notre héros se retrouve à garder durant le week-end un gamin de sa classe. On ne le sait pas assez, mais les pauvres sont de sales gens qui ne peuvent même pas s'occuper de leur mômes, ils ont soit à travailler comme des bêtes (normal, pour gagner plus) soit à tremper dans un commerce louche de bagnoles (pour briller plus parce qu'ici il s'agit de belles cylindrées). Bref, notre jeune instit fait la nounou. Pas grave, il a 30 ans, un physique de rêve et n'a justement rien à faire durant son congé de fin de semaine.
C'est bien beau un gamin à la maison, mais comme il a une mère pas loin, serveuse dans un resto de bord de mer, autant aller lui ramener son rejeton ! La mère, c'est Louise Bourgoin. Elle a plein de soucis la pauvre. Elle trime dur mais est harcelée  par deux méchants garçons à qui elle doit du fric, 50 000 euros pour le bail d'un petit commerce à Saint Barth !!!??!!! ( une serviette de plage sans doute où elle vendait quelques colifichets....) Bref, c'est la panade totale. Elle a la mine sombre, très sombre. Louise Bourgoin fait très bien la gueule et l'oeil noir.  L'instit s'incruste et  sans trop savoir pourquoi ni comment, finit par aller passer la soirée avec elle dans un bar, s'alcooliser et devenir violent. Là, Louise Bourgoin, fronce toujours le sourcil mais est intriguée... Il est bizarre ce mec non ? Nous on le devinait depuis un moment, Mme Nicole essayait de nous le faire deviner entre deux scènes soit disant naturelles ( Louise est pauvre, elle met donc au frais les bières par pack de 20. Louise est pauvre, elle a des goûts vestimentaires de chiotte et essaie de vendre d'immondes gilets en acrylique, ...). Mais soudain, entre deux sanglots de Louise qui pense tout quitter pour Barcelone pour cause de non-solvabilité, l'instit a une idée, il sait où trouver l'argent. Il va aller le demander à sa famille qui est richissime. Et hop, après le sous-prolétariat, bienvenue chez les immensément riches ! Je ne raconte pas la suite mais je vous rassure, Mme Garcia a le sens de l'équité. Si le milieu ouvrier était une succession de clichés, celui des nantis aussi ! Ah les gazons, les buis, les tennis, les cuisines comme au début du 20éme siècle, les polos Lacoste, .... Un vrai collier (de perles, bien sûr).
L'histoire est tarte à souhait, mal fichue, pas crédible pour deux sous. Bien sûr, il fait beau, il y a du soleil, la photographie est belle et quelques comédiens font quelques apparitions agréables (Dominique Sanda en reine mère douce et dure à la fois, est royale) ou mystérieuses (Déborah François erre l'âme en peine sur le gazon, essayant de donner un vague intérêt à un rôle inexistant). On peut se laisser aller à contempler tout cela, surtout que Pierre Rochefort, à défaut de pouvoir donner de la profondeur à un personnage mal défini par trop de sentiments opposés, est beau garçon et Louise Bourgoin est ravissante malgré une couleur de cheveu ratée (normal les pauvres se font leur couleur eux mêmes... bien que le coloriste spécial de Louise soit mentionné au générique, mais c'est tout un art pour un génie de la coloration d'en proposer une très moche). Mais rien ne fonctionne vraiment par manque de crédibilité. Cela se veut créatif, pensé et fouillé. C'est seulement prétentieux, chichiteux et hors d'âge.




mercredi 5 février 2014

Martin de La Brochette de Thierry des Ouches


A l'heure où les dames à serre-têtes et jupes plissées ont été jetées à la rue par un gouvernement ignoble qui ose aller contre leur soi-disant idées bien-pensantes camouflant bien souvent des actions nettement moins catholiques, sort un petit roman rigolo sur une famille versaillaise. Attention, quand l'auteur Thierry des Ouches parle de famille versaillaise, il s'agit bien sûr de celles qui ont maison bourgeoise sur rue avec enfants en smocks et la messe du dimanche en sautoir, pas de celles reléguées dans quelques bas quartiers.
Mme de La Brochette, veuve à la blondeur aussi entretenue que sa ligne impeccable, règne sur sa petite famille de 4 enfants. Sûre de son pouvoir, de son aura, de son bon goût, elle arbore l'image d'une femme épanouie dont la famille est aussi impeccable que ses tailleurs et ses trois rangs de fausses perles. Ses enfants ont merveilleusement réussi leur vie. Sa fille unique a abandonné de brillantes études pour être l'épouse dévouée d'un hyper cadre à Bercy. Louis, son fils préféré est beau, intelligent, formaté par HEC et va épouser une créature ravissante (heureusement qu'elle a un physique car le reste est moins reluisant, ni famille digne de ce nom, ni intelligence). Pierre, son deuxième, est prêtre, un must dans une paroisse comme Versailles (bon, c'est en fait Saint Germain en Laye, mais c'est kif kif bourricot!). Ah oui, il y a un troisième... Bon, on va dire vite fait qu'il n'est pas fait pour les études, qu'il dénote un peu sur les photos de famille car tout en rondeur alors que le reste de la troupe arbore une silhouette digne de leur rang. Pourtant, c'est ce dernier qui va raconter la famille. Il va profiter de la réunion pascale autour d'un gigot d'agneau/flageolet pour annoncer une nouvelle qui risque de leur donner quelques aigreurs d'estomac. Il a trouvé sa voie et va embrasser la profession de boucher ! Les fausses perles tremblotent sur des poitrines estomaquées. Les serre-têtes vacillent au-dessus des cerveaux qui se demandent déjà comment on va pouvoir glorifier auprès des amis ce revers de bien mauvais goût. La partie féminine va avoir des migraines. La partie masculine, moins sujette à la vitrine, s'en fout un peu...
Photographe de renommée internationale, Thierry des Ouches s'essaie au roman et dans la description d'un milieu qu'il semble bien connaître et peut être empreint de souvenirs personnels. Ca démarre comme un règlement de compte sur ces familles dont les codes vestimentaires et la vie en société n'est qu'un vernis caricatural, cachant certaines vilaines choses. Ce n'est pas nouveau mais c'est agréable à lire. Quand le roman ensuite aborde la vie idyllique du couple dans sa boucherie/charcuterie à Parthenay, le ton est plus convenu. Si l'auteur dézingue les traditions bourgeoises, il défend par contre les traditions culinaires et régionales de notre pays en route vers une uniformisation gustative. De l'incisif on passe aux rondeurs appétissantes mais un peu compassées de la bonne bouffe, comme si une convention éliminée en apportait une nouvelle. Puis le roman se termine en famille, qui, après les épreuves diverses que la nouvelle génération lui a fait subir, colmate comme elle peut la vraie vie qui essaie de s'infiltrer en son sein.
C'est agréable à lire mais pas complètement réussi. Les différentes ruptures de ton, voire de style,  entre chaque partie donnent un ensemble un peu brinquebalant. On sent, aussi bien que dans ce qui est raconté que dans la façon dont c'est fait, que quoique l'on fasse, les réflexes de classe et d'éducation ont du mal à disparaître. On a beau jeter aux orties certaines conventions, elles apparaissent sous d'autres formes.  Une prise de conscience salutaire de la réalité leur donne une forme nouvelle. La couche de vernis est très épaisse et ne s'élimine pas du premier coup. 

lundi 3 février 2014

Max Winson de Jérémie Moreau

Max Winson est un méga super champion de tennis. Un presque surhomme, puisqu'il n'a perdu aucun match depuis sept ans, n'accordant que rarement un jeu à ses rivaux. Richissime à 23 ans, son business marche fort bien pour lui, merci. Mais l'allure de cet enfant qui a grandi trop vite, cet air sans émotion d'où émane une étrange douceur, sont le résultat d'un entrainement implacable prodigué par son tyrannique de père, vieillard anguleux frisant la crise cardiaque à chaque match. Et soudain, après une énième victoire et un infarctus, son père doit laisser sa place d'entraîneur. Pour lui succéder, un casting est organisé et le choix de Max se porte sur un étrange personnage à la face de clown qui lui promet un travail inédit sur les impondérables...
Vous n"aimez pas le tennis (ou même le sport en général )? Cet album est fait pour vous. Vous êtes un lecteur quotidien de l'Equipe ? Il est également fait pour vous car c'est une pure merveille !
En fait, ça se déroule dans le milieu sportif pour mieux développer un formidable récit qui nous tient en haleine et où se mêlent tout une palette de réflexions sur la domination, la culpabilité, sur l'humanité tout court ! Car le propos ici, en plus d'être passionnant, est aussi et surtout de faire réfléchir le lecteur. De l'environnement toxique de l'athlète (père mais aussi attachée de presse énervée), à l'étude psychologique de Max, aussi sensible dans la vie qu'il est implacable avec sa raquette, en passant par une description économico/politique du monde actuel, tout fait sens et nourrit de façon remarquable une intrigue haletante, qui se dévore avec passion.
L'auteur précise dans ses remerciements qu'il a eu accès au logiciel scénaristique interne d'un dénommé Wilfrid et surtout à sa fonction "détection et correction de nuisibles à la fluidité de l'histoire".... C'est donc ça son secret ! Belle découverte! Quand on lit le produit fini, on se dit qu'il pourrait le proposer à pas de ses collègues scénaristes ou écrivains... Et quand il rajoute que cet album est un hommage à Albert Jacquard " dont la pensée sert de pilier au propos sous-jacent de cette BD", on est pas loin de penser que l'on tient là un des premiers sommets de l'année en matière de roman graphique. L'an dernier, Le singe de Hartlepool du même Jérémie Moreau pour le dessin (mais du dénommé Wilfrid Lupano au scénar, celui de la machine je suppose...) était déjà une belle réussite qu'il faudrait faire lire et relire, surtout en ce moment où certains gobent les pires sornettes...  Max Winson, dont c'est le premier tome, ne fait que confirmer que l'on tient là un nouvel grand auteur. Certains pourraient être rebutés au premier abord par le dessin, bien différent de sa précédente production. Qu'ils passent outre ! Dès les premières pages, on oublie et l'on est emporté par le récit dont le découpage incisif, avec ses cases éclatées et anguleuses, sert admirablement le propos.
J'ai refermé "Max Winson 1. La tyrannie", totalement bluffé. C'est un manga, c'est vrai, mais dont le projet est à la fois de passionner sans fléchir tout en faisant réfléchir son lecteur. C'est vraiment gagné et j'ai bien peur que Jérémie Moreau devienne le Max Winson de la BD. C'est la meilleure chose qui puisse nous arriver !






dimanche 2 février 2014

Tonnerre de Guillaume Brac



Le film démarre dans une pièce sans âge, à la tapisserie aux médaillons qui fleurent bon la province et les vieilles habitudes. Un homme, la trentaine visiblement adolescente, des cheveux longs encadrant une calvitie un peu précoce, joue de la guitare basse en chantonnant. C'est Maxime, vague chanteur rocker, ayant obtenu un petit succès critique lors de la sortie de son premier album, qui vient se ressourcer et trouver l'inspiration pour une prochaine production. Il retrouve son père ( Bernard Menez, très bien ), retraité au passé d'homme à femmes et au présent encore dragueur et sa petite maison provinciale sans âge et simple. Lors d'une interview pour un quotidien local, il rencontre une très jeune journaliste, Mélodie (Solène Rigot, très bien aussi, aperçue il y a peu dans Lulu, femme nue). Le courant passant pas mal entre eux, une liaison s'engage et semble partie pour durer malgré quelques hésitations. Mais lors d'un déplacement de trois jours, la jeune fille ne donne plus de nouvelles...
La veine très naturaliste de ce film lui donne un petit côté "film d'auteur fauché" mais la présence de Vincent Macaigne, LE comédien incontournable du nouveau cinéma français, apporte à "Tonnerre" un statut de "film d'auteur nouvelle nouvelle vague" pas négligeable. J'ai l'impression que sans lui, le film n'aurait pas suscité un tel intérêt critique (comme d'ailleurs "La fille du 14 juillet" ou " La bataille de Solférino" qui sont devenus les deux meilleurs films français de 2013 selon les commentaires des bilans de fin d'année). C'est vrai que lui aussi est très bien, oscillant entre un attardé au regard un peu lunaire et un jaloux à la violence latente. Cependant, "Tonnerre" reste un petit film dont l'intérêt est plus dans la manière dont il appréhende le réel, façon chronique documentaire, que dans son histoire dont le développement en deux parties aux tonalités un peu différentes, donne au projet un côté un peu bancal. Il nous montre une France régionale, un peu triste, vaguement réveillée par quelques technologies innovantes mais recroquevillée sur elle même, loin du clinquant de la ville. On y vit, on aime toujours très fort, mais surement de plus en plus difficilement comme le montre cette scène très émouvante chez le viticulteur ayant pensé au suicide.
Bien joué, attachant, "Tonnerre" est le genre de film qu'il est important de voir sur nos écrans, la représentation de la simplicité et de l'authentique par un cinéaste ayant un vrai regard étant toujours porteuse d'intérêt. Toutefois, je comprends que cette esthétique un peu pauvrette n'attire pas les foules. Pas glamour pour deux sous et évitant toute surenchère émotionnelle, le premier long métrage de Guillaume Brac est le récit sans tapage d'une histoire d'amour qui peut finir mal. Bien servi par de bons comédiens, il distille sa petite musique sans pour autant nous transporter totalement, la greffe fiction cinématographique et naturalisme ayant par moment un peu de mal à prendre.


samedi 1 février 2014

Le muret de Fraipont et Bailly


Loin des histoires haletantes, à mille lieues de leurs productions habituelles (Petit poilu notamment, pour ne parler que de la plus connue), Céline Frépont et Pierre Bailly, nous proposent une plongée très intimiste dans l'adolescence. A coup sûr, cet album est une nouvelle pierre à ajouter à cet édifice pourtant déjà joliment pourvu en oeuvres intéressantes qu'est la description de ce passage de l'enfance à l'âge adulte.
Rosie, 13 ans, se retrouve toute seule à la maison. Fille unique, sa mère est partie rejoindre un homme à Dubaï et son père très peu présent, souvent en déplacement, semble se réfugier dans son travail. Par ennui, malgré une amie assez proche qui bientôt la laissera tomber, elle découvre, à défaut de chaleur humaine, la sensation agréable de l'alcool, chaleur immédiate d'un accès facile. Et à force traîner son mal être, elle finira par rencontrer un jeune homme qui lui donnera un semblant d'estime et d'écoute. Passionné de musique mais aussi de vente de produits illicites, elle vivra auprès de lui quelques moments de partages ....
Histoire somme toute banale d'une dérive adolescente, "Le muret" parvient à attraper le lecteur et à ne pas le lâcher. Le récit tout en douceur, sans aucun jugement, tisse sa trame délicate, sans aucune surenchère mais avec une attention toute particulière à son héroïne. On la suit, on l'observe, on l'écoute, on découvre les vertus euphorisantes et chaleureuses du whisky, on ressent les vibrations apportées par les Ramones ou les Sonic Youth, on épouse petit à petit son mal être. Et le récit devient suspens, car moi, lecteur, je n'ai pas envie qu'elle plonge, Rosie. Je veux bien l'accompagner sur ce muret où elle noie son chagrin mais aussi où elle rencontre la vie et ses tentations faciles, mais je n'ai aucune envie qu'elle passe totalement de l'autre côté. Ce muret devient, en filigrane, le symbole du passage : basculera-t-elle ou pas ?
Parfaitement accompagnée par un dessin d'un noir et blanc profond de Pierre Bailly, qui n'est pas sans rappeler celui de Bastien Vivès, l'histoire navigue dans les eaux troubles de l'indécision, où les silences et la rupture du dialogue entre les générations sont les principaux ingrédients de la dérive. Heureusement, comme dans toute réalité, il existe des moments, des personnes, plus ou moins lumineux, qui, pour peu qu'on s'en saisisse, peuvent changer le cours des choses. Mais Rosie, toute enfermée dans sa solitude, son désarroi, saura-t-elle les voir ? Les saisir ?
C'est tout l'enjeu de ce récit, qui, appréhende avec une formidable acuité, cet âge de fragilité qu'est l'adolescence, terreau de toutes les expériences qui enracinent toute une vie. Une jolie réussite !