dimanche 29 mars 2015

Sauve qui peut Madrid ! de Kiko Herrero


Certains romans  m'arrivent dans les mains d'étrange façon. Celui-ci a été le fruit du hasard. En traînant sur les sites d'éditeurs à la recherche de nouveautés intéressantes, je suis tombé chez POL sur "Sauve qui peut Madrid!" qui tout de suite m'a fait penser à un ami amoureux de Madrid, malgré un titre radicalement opposé à son attachement à la capitale espagnole. Nous dînions ensemble quelques jours plus tard, j'avais ainsi un petit présent tout trouvé. Comme j'ai du mal à offrir un livre que je n'ai pas lu, j'en fis aussi l'acquisition .... Une chose est sûre, après sa lecture, il est certain que je l'offrirai de nouveau !
"Sauve qui peut Madrid !" ( écrit à l'espagnole ...mais je n'arrive pas à trouver un point d'exclamation à l'envers!) débute par une anecdote qui résume bien le livre. Une baleine morte, tirée par des boeufs et des hommes, traverse l'Espagne d'Ouest en Est pour être exposée dans un terrain vague à Madrid. Des gradins sont montés très vite mais la puanteur de la bête fera fuir les spectateurs, l'exposition tournant au désastre. Toute l'histoire récente de l'Espagne est dans ce souvenir d'enfance. Toute l'amertume de l'auteur envers sa ville natale aussi.
Grâce à cette entrée en matière toute métaphorique, le lecteur est tout de suite emporté dans l'enfance de l'auteur. Nous sommes dans les années 60, sous la dictature franquiste et, merveille de cet âge insouciant, malgré la pesanteur de cette société sous chape de plomb, il fut heureux. Père communiste et médecin, mère fantasque, soeurs originales furent la source d'une vie au terreau romanesque indéniable. En tirant le fil des souvenirs, Kiko Herrero ranime une Espagne qui, malgré l'ombre planante de Franco, conservait cet appétit de vivre dans le bruit, l'excès et les traditions bon enfant. Les nombreux interdits d'une éducation ultra stricte ne ternissent pas le tableau, le rendant, avec le recul, savoureux.
Composé de petits chapitres à l'apparence disparate, le livre pourtant ne laisse rien au hasard. Chaque détail, chaque anecdote apporte un élément dans cette fresque qui se révèle au final un magnifique portrait d'une Espagne et d'un Madrid aujourd'hui presque disparus. Bien sûr, l'ode à la serpillière espagnole est toujours d'actualité. Pas certain par contre que la madrilène d'aujourd'hui arbore le jour des rois mages sa plus belle "bata" (robe de chambre) pour déambuler dans le voisinage et boire du champagne. Mais ceci ne sont que de petites anecdotes façon carte postale humoristiques alors qu'au fil des pages en apparaissent d'autres, tout aussi significatives, de celles qui imprègnent durablement les esprits. Une visite sur le lieu de travail du père, chercheur en dératisation, avec ces chiens aux cordes vocales sectionnées et ce gorille en rut au fin fond des caves du laboratoire, est l'unique occasion de parler de ce régime franquiste,  avec sa population réduite au silence et le sexe caché, claquemuré, honni. Une excursion interdite dans un sanatorium abandonné préfigure déjà le destin de l'auteur, cet enfermement dans un Madrid de débauche qui a failli le perdre.
Kiko Herrero est né en 1962 et a donc connu cette effervescence qui succéda à la mort de Franco. Il vécut la Movida à l'âge de tous les dangers et ne les évita pas. Drogue, sexe, alcool furent son quotidien. Le roman n'en rajoute pas sur ce thème, se contentant, là aussi, de nous offrir de magnifiques chapitres à la symbolique frappante comme cette description d' " El Obelisco", jardin public pour mères et enfants le jour et lieu de drague la nuit, dont le symbole phallique planté en son milieu ne pouvait qu'exacerber les désirs longtemps refoulés des hommes. Dans un élan salutaire, il fuira cette capitale de tous les plaisirs et de toutes les folies pour vivre à Paris.
C'est difficile de rendre compte de la richesse de ce livre, à la fois empli de nostalgie, d'humour, de drame, de bonheur, composé de personnages attachants que la vie n'épargnera pas et écrit avec un regard plein de douceur et d'humilité, se permettant toutefois quelques fantaisies réjouissantes et surtout de faire sonner espagnol avec les mots du français. Le lecteur que je suis s'est coulé avec facilité dans ces souvenirs et s'est trouvé emporté dans un passé aujourd'hui bien révolu, parfois fellinien (je sais, il est italien mais tous ces estropiés, ces infirmes, ces foetus, ...) mais surtout admirablement recomposé par une plume sensible et honnête. L'ajout à la fin du roman de quelques chapitres contemporains, aux personnages au bout du rouleau, symbolise pudiquement l'état actuel de l'Espagne, pays que l'auteur a définitivement rangé au rayon des souvenirs mais ouvre surtout un champ plus complexe à ces souvenirs. Fuit-il réellement la ville qui ne sert en fait que de toile de fond ou bien les lambeaux d'une famille explosée ? Ce livre n'est-il pas au final le troublant appel au secours d'un homme que la vie n'a pas épargné et qui, au mitant de sa vie, voit resurgir un passé aux souvenirs ambivalents ?
PS : Pas sûr que ce livre épouse les idées de mon ami sur Madrid mais par contre qu'il comble son plaisir de lecteur, ça , j'en suis certain !

samedi 28 mars 2015

Oriana, une femme libre de Cristina de Stefano


Je l'avoue, je n'avais qu'un lointain souvenir d'Oriana Fallaci, me rappelant seulement l'avoir aperçue à l'époque sur le plateau d'Apostrophes pour un de ses romans  qui furent des best-sellers dans les années 70/80 mais que je n'avais pas lus. C'est donc vierge de toute connaissance que j'ai abordé cette biographie.
Ecrire une bonne biographie est un exercice compliqué. Comment rendre justice à une vie ? Quel point de vue adopter ? Narration critique ? Hagiographique ? Linéaire ? Transversale ?  S'effacer derrière son personnage ou fouiller pour lui faire dire ce qu'il a peut être caché ? Cristina de Stefano devant la personnalité d'Oriana Fallaci choisit la simplicité : de la naissance à la mort, en essayant d'être le plus objective possible, estimant que la vie absolument romanesque et fantastique de la plus grande journaliste italienne de son époque (et peut être mondiale) fera de toutes les façons la différence. Et elle a sans doute eu raison pour un lectorat découvrant ce personnage haut en couleur.
Au fil des pages, je n'ai pas arrêté de me dire : Quelle femme ! Quelle vie ! L'adolescente faisant de la résistance dans l'Italie fasciste, deviendra la journaliste mordante, intransigeante, courageuse, qui parcourra le monde et interviewera tous les grands hommes politiques de l'époque, des démocrates jusqu'aux plus infâmes des dictateurs. Elle fut aussi une reporter intrépide qui n'hésitait pas à aller au coeur des conflits, accompagner les soldats durant la guerre du Vietnam, mettre son nez au Liban ou en Israël. On lui devra de magnifiques portraits, pas toujours gentils, de stars en tout genre, un livre étonnant sur la conquête spatiale et des romans ou essais qui diviseront les lecteurs mais connaîtront un succès planétaire.
Elle fut une femme pour qui son sexe ne fut jamais un obstacle. Elle s'est imposée partout, à tous. Son maître mot fut COURAGE. Elle s'imposa comme journaliste dans un pays de machos sans vraiment avoir à utiliser de son charme pourtant évident.  Elle devint l'amie des astronautes américains qui emportèrent sa photo sur la lune ( ok, ce n'est pas du courage mais juste un hommage à sa personne). Elle dormit sans problème dans la jungle vietnamienne, seule femme au milieu de trois cents hommes. Elle fut blessée lors de certains conflits mais continua sans faillir son métier de reporter, rapportant au lecteur sa vérité, jamais déformée.
Elle n'eut pas que du courage physique. Elle fut la seule journaliste au monde à s'enfermer avec tout ce que l'univers compte d'hommes de pouvoir pour les cuisiner durant des heures avec des questions que personne n'osait leur poser. Elle demandera ainsi à Indira Gandhi, alors en conflit avec le Bangladesh, si cela ne la dérange pas de parler de guerre alors qu'elle a été éduquée à la non-violence ou à traiter d'idiot le dictateur haïtien Jean Claude Duvalier parce qu'il répondait à ses questions par la lecture de phrases toutes faites, écrites par un conseiller.
On découvre donc une femme fascinante et entière. Autant elle était une  redoutable journaliste autant, quand elle était amoureuse, pouvait être une carpette pour l'homme aimé. Mais quand elle avait usé sa passion jusqu'à la corde, elle coupait irrémédiablement les ponts à jamais. Elle n'a pas eu besoin d'être féministe, elle était l'incarnation même du féminisme parce qu'il était totalement naturel pour elle de faire tout, en totale liberté.
Décédée en 2006, elle laissera la trace d'une femme libre et insoumise. A relire certains de ses articles, on se dit que c'est une voix qui manque de nos jours car, personne, aucune femme, aucun homme aujourd'hui n'a repris le flambeau. Qui oserait demander au pape : "Que pensez-vous de l'inquisition ? " ou " Peut-on vous demander si vous avez été amoureux ? " ou "Pourquoi l'Eglise est-elle tant obsédée par le sexe ? ", questions qu'elle s'apprêtait à poser à Jean Paul II si celui-ci n'avait refusé l'interview ou à un Khomeini d'aujourd'hui : "Pourquoi il veut faire replonger son pays dans le Moyen-âge? ".
La biographie paraît bien sage par rapport à son sujet, et c'est un peu dommage. Mais l'auteur a  fait confiance à la puissance de la personnalité qu'elle fait revivre et elle a sans doute eu raison.
Quelle femme ! (Je le répète...)
Un récit à faire lire d'urgence à toutes les jeunes filles d'aujourd'hui en espérant que beaucoup s'en inspirent, le monde en a cruellement besoin. 

mercredi 25 mars 2015

A trois on y va de Jérôme Bonnell


Micha vit avec Charlotte. Ils s'aiment. Mélodie est l'amie de Charlotte, une amitié globale puisqu'elles font l'amour ensemble de temps en temps. Micha aime bien Mélodie jusqu'à ce qu'ils fassent aussi l'amour. Si vous avez bien suivi, Micha aime Mélodie et Charlotte, Charlotte aime Micha et Mélodie et Mélodie aime Charlotte et Micha. Si vous ne suivez pas, tout le même aime tout le monde mais tous ne le savent pas encore. De rendez-vous impromptus en rencontres inopinées, ces trois jeunes personnes vont jouer à un jeu de l'amour et de l'amour avec fraîcheur, grâce et un brin d'insolence.
Cette comédie romantique, flirtant avec le marivaudage, le comique de portes qui claquent et même un peu le burlesque, a la mérite d'être vraiment rafraîchissante. Légère comme le tissu soyeux des robes courtes d'été des deux héroïnes, l'histoire avance doucement, sans aucune vulgarité, creusant un sillon fin et sensible.
J'aime faire l'amour dit Mélodie... et prouve que l'amour se fiche du sexe, l'important étant que l'on soit en harmonie avec la personne désirée et aimée. Cependant, Jérôme Bonnell, en s'attachant plus à ce personnage, jeune avocate dans la vie, insère dans son film une once de réflexion, un questionnement du genre : "Est-ce que l'amour a besoin de lois? " La réponse du film pourrait être : "Non!" si l'on en reste sur le point de vue de Mélodie, qui si elle gère sa vie avec une totale liberté, se retrouve plus perdue face à son métier qui lui se réfugie derrière des codes bien précis.
Et le film, dans un dernier tiers faisant la part belle à cette trouple ( nouveau terme qui apparaît peu à peu dans les magazines branchés depuis quelques mois) que forment les trois personnages, paraît prendre le pari légèrement audacieux de l'amour à trois en toute quiétude. Hélas, l'audace va finir par retomber pour prendre une route plus conventionnelle, empêchant peut être "A trois on y va" d'aller vraiment jusqu'au bout de ses promesses, comme s'il y avait une loi non écrite qu'un discours un peu marginal soit encore trop dérangeant (pour les spectateurs de télévision, car France3 coproducteur de l'oeuvre, dont on pense sans doute qu'un esprit trop libertaire les perturberait).
Même si l'on peut regretter cette reculade finale, empêchant le film de marquer vraiment les esprits, il reste cependant un joli trio de jeunes comédiens convaincants. Félix Moati subit avec charme les assauts de ces deux dames, Sophie Verbeeck est très agréablement mystérieuse et Anaïs Demoustier est tout simplement épatante de liberté et de spontanéité. Je ne dirai jamais assez combien cette comédienne est tout bonnement la jeune perle du cinéma français actuel. Rien que pour eux mais aussi pour ce marivaudage charmant, on peut aller voir "A trois on y va", seul ou en groupe !


dimanche 22 mars 2015

Big eyes de Tim Burton


"Big eyes " le nouveau de ....de qui d'ailleurs?...je cherche ... ah oui, Tim Burton ...TIM BURTON !!! Non c'est impossible ! Impossible de pondre un tel téléfilm qui, si je n'avais pas été au cinéma, aurait été la victime impitoyable de la touche off de la télécommande.
Pour faire court, c'est un biopic autour du couple Keane dont le mari s'arroge la paternité des toiles peintes par sa femme. Comme ces enfants tristes aux yeux immenses et charbonneux rencontrent un succès phénoménal, bien entendu, la femme va finir par se réveiller et vouloir être reconnue.
On voit bien ce qui a pu intéresser Tim Burton là-dedans. Comme il avait défendu voici quelques années Ed Wood et ses nanars, les oeuvres kitchissimes de cette américaine encore vivante sont dans la droite ligne de cette obsession à défendre ces marginaux qui sont en butte contre les valeurs bourgeoises dominantes. Seulement le film manque sérieusement de peps , de mordant et d'inventivité. Le scénario, prévisible, se traîne, enfilant les scènes convenues comme l'artiste enchaînait les tableaux. Sans aucune surprise, on voit à l'écran s'agitait un Christoph Waltz insupportable de cabotinage et une Amy Adams choucroutée comme dans "Mad men", mais elle, dirigée comme dans une tragédie. Du coup, on a l'impression qu'ils ne jouent pas dans le même film. Une apparition de Terence Stamp, toujours aussi magnétique, réveille un peu le spectateur mais c'est de très courte durée. Alors, on s'ennuie ferme. On est tenté de regarder si on n'a pas des messages sur son téléphone, on risque un coup d'oeil à sa voisine pour voir si elle n'est pas endormie (oui, printemps du cinéma oblige, la salle était pleine) . On se dit qu'on a loupé quelque chose. Je me suis creusé l'esprit me demandant s'il pouvait y avoir un signifiant pour toutes ces scènes d'intérieur aux reflets aquatiques mais je n'en ai point trouvé. On en arrive même au point de se dire qu'il y a de jolies couleurs comme un spectateur des années 30 après des décennies de noir et blanc.
C'est donc joli. Il y a un plan au début qui évoque "Edward aux mains d'argent" avec sa banlieue bien rangée et la voiture qui file vers les collines, mais ici, aucun château enfermant un être extraordinaire, juste un couple d'américain ayant inventé une factory du pauvre. On pourrait y voir une critique de l'idée du beau dans l'art, mais Tim Burton l'évacue en deux scènes tristounettes. Des féministes y trouveront peut être un portrait de la femme américaine des années 50 essayant de se libérer du joug d'un mâle dominant, mais elles n'ont pas du voir "Mad men"... Alors que reste-t-il ? Rien ou pas grand chose.
Peut être gêné par son personnage principal encore vivante, le réalisateur de "Beetlejuice" ne réussit pas encore à nous proposer un film digne de sa maturité. Trop sage, trop lisse, il ne réussit que la mise en images d'une histoire proche d'une hagiographie. Mais, pour ce "Big eyes", j'ai un sérieux handicap : je trouve les tableaux du personnage principal horribles et cuculs. Par contre, il est sans doute certain que les amateurs de ces peintures forts nombreux aux States ont du se ruer en masse dans leur ciné... (Là je sens poindre les commentaires haineux fustigeant ma suffisance et mon manque d'empathie face à cet art populaire ...)




mercredi 18 mars 2015

Un homme idéal de Yann Gozlan


Mathieu, physique de déménageur est aussi écrivain... heu non...je me trompe ! Mathieu écrivain raté aux nombreux manuscrits refusés, a le physique de Pierre Niney et fait des déménagements pour pouvoir manger. Un peu feignasse sur les bords (on comprend qu'il soit fatigable...), ses collègues le relèguent aux basses besognes du genre porter un carton avec un transpalette ou remplir des sacs poubelles. C'est lors d'un de ces déménagements qu'il tombe sur un manuscrit tout enveloppé de cuir poussiéreux.
 Là, je fais une petite pause pour expliquer le pouvoir de la poussière au cinéma qui rend automatiquement un objet mystérieux voire sulfureux. Qu'importe l'endroit où la chose a été stockée, ici sous un tas de couvertures, la poussière, cette ignoble garce ou cette amie complice des scénaristes, réussit toujours à poser sa pellicule sur l'objet qui lancera une intrigue alambiquée. Oui, un dicton venue de la nuit des temps cinématographiques dit : Poussière à l'écran, scénario pas regardant. Certains ont parfois vaincu la maxime, mais ils sont peu nombreux. Yann Gozlan et ses complices n'ont hélas pas su passer le bon coup de plumeau...
Donc le jeune et frêle déménageur découvre un journal écrit magnifiquement par un soldat durant la guerre d'Algérie. Ayant appris que celui-ci n'avait aucune famille, et bien qu'hésitant, il décide de recopier le texte sur son ordi (Tiens pour une fois ce n'est pas un Mac, c'est rare au cinéma ! La firme à la pomme n'est plus ce qu'elle était, elle ne place plus du produit partout ? ) et l'envoie aux éditions du Cercle. Engouement immédiat pour ce roman intitulé "Sable noir", prix Renaudot, succès public, Mathieu devient la nouvelle coqueluche des lettres françaises.
Nous le retrouvons trois ans plus tard dans une somptueuse villa de la Côte d'Azur appartenant aux parents de sa ravissante fiancée (ça existe encore ce terme ?... Oui, fiancée, vu le milieu bourge/conservateur dans lequel il va évoluer.). Très amoureux, parfait en gendre écrivain reconnu, il cache cependant quelques désarrois, pas encore de la culpabilité pour son vol littéraire, mais plutôt quelques ennuis financiers. Mener une vie de star coûte cher surtout quand on n'est pas productif et que les à-valoir pour son deuxième roman, qui n'est toujours pas écrit, n'arrivent plus à payer les nombreuses dépenses. Pris à la gorge par son éditeur, tourmenté par son manque d'inspiration, il sera en plus la cible d'un maître chanteur à la mine patibulaire qui a malheureusement bien connu le soldat dont il a endossé les écrits... L'engrenage du thriller à rebondissements est parti !
On va oublier bien vite Patricia Highsmith et son "Mr Ripley" dont les références ont paru évidentes à une presse guère inspirée. Ce n'est pas parce qu'il y a un corps qui réapparaît sur la plage ou un jeune acteur torse nu de temps en temps avec un chino slim, que c'est tout suite "Plein soleil 2015"!
Nous en sommes loin. On assiste plutôt à un enchaînement de scènes sensées être de plus en plus angoissantes. Les ennuis ayant le don de s'accumuler à jet continu, le pauvre Mathieu n'a guère le temps de souffler, s'angoissant, suant, courant, nageant des kilomètres, volant, se mutilant, faisant un enfant et j'en passe et des plus rudes.
A l'écran tout cela est joliment filmé, un peu mollement parfois. Les seconds rôles existent peu, les situations, parfois invraisemblables, sont une compil du genre thriller psychologique et donc sans grande invention. Mais cependant le film arrive à nous intéresser grâce à une chose : Pierre Niney ! Oui, l'acteur fraîchement césarisé fait du bon boulot. Il est constamment à l'écran et est parfaitement crédible. Si on s'angoisse un peu, si l'on sursaute ou frémit de temps en temps, c'est uniquement pour lui tellement il vampirise le rôle. Ce n'est pas Mathieu l'écrivain qu'on voit à l'écran, c'est Niney et on a vraiment envie qu'il s'en sorte, bien qu'au fond il soit un salaud ! C'est assez troublant. N'est-ce pas le signe que nous détenons là une acteur d'une grande trempe, d'un grand talent et possédant une aura comme il y en a peu  ? Pierre Niney sera-t-il le Depardieu des années 2000 ? C'est drôle que je les compare, car physiquement, tout les sépare mais, comme son aîné, le jeune acteur a une présence très singulière qui, magnifiée par une caméra très bienveillante comme ici, lui confère instantanément un statut de star incontournable. Le public ne semble pas s'y tromper car il était fort nombreux à une séance de 18 h et de tout âge !
Faut-il aller voir "Un homme idéal " ? Si vous êtes uniquement amateur de polar, on peut faire l'impasse, mais si vous voulez admirer un acteur idéal , oui, courez-y !



lundi 16 mars 2015

Un an après d'Anne Wiazemsky



Evacuons de suite ce qui pourrait gêner certains lecteurs tatillons, un peu grincheux devant cet étalage de nantis. Oui, nous sommes dans la grande bourgeoisie qui allie culture et argent, celle qui ne touche presque pas le sol, qui ne fréquente que les élites et qui lorsqu'elle a envie de quelques jours sur la Méditerranée se fait prêter une villa immense avec domestiques par les Lazareff. Pour les plus jeunes rappelons que Pierre Lazareff dirigeait France Soir, sa femme le magazine Elle et comme l'action du livre se situe en 1968, vous pouvez bien imaginer le pouvoir sur la vie parisienne de ce couple. Il serait toutefois dommage de ne pas aller au delà de cette apparence car "Un an après " est un récit assez troublant.
Nous pénétrons donc un monde qui a pignon sur rue en littérature et dans le cinéma puisque Anne Wiazemski, l'auteure, est la petite fille de François Mauriac, à l'époque grand auteur nobellisé , académicien et dent dure du Figaro. Elle a vingt ans, débute une carrière au cinéma après un tournage avec Robert Bresson (raconté dans "Jeune fille") et une présence dans "Théorème" de Pasolini mais est surtout l'épouse de Jean Luc Godard, de 17 ans son aîné. Sa rencontre avec le cinéaste culte a été racontée dans "Une année studieuse" son précédent roman.
Dans ce nouvel ouvrage, Anne Wiazemsky se penche sur sa vie de couple et de jeune vedette dans cette année 68 si passionnante mais aussi sur  ces événements qui ont marqué un tournant certain dans la vie française. Habitant en plein coeur du quartier latin, elle se trouvera tout à la fois impliquée et témoin de la révolte. Ces deux thèmes du livre se côtoient avec bonheur et semblent suivre le même chemin. L'exaltation du début va petit à petit se voir ternie par les doutes ou comment un couple et une révolution vont sombrer et perdre toutes leurs illusions.
Je l'avoue, j'ai été épaté par l'écriture de ce roman. Les événements datent  d'il y a presque cinquante ans et pourtant, sous la plume d'Anne Wiazemsky, j'ai eu l'impression qu'ils dataient d'hier. Tout est tellement précis, tout semble tellement vrai que jamais on n'imagine le travail de tisseuse qui a dû avoir lieu pour arriver à ce résultat. C'est en cela que le livre n'est pas un simple recueil de souvenirs mais une recréation romanesque, un mélange sans doute de ce qui reste en mémoire et d'éléments recomposés.
Le résultat est passionnant. Mine de rien, on tourne les pages avec passion. On croise la fine fleur de l'intelligentsia, de ce qui composait l'élite pensante et d'avant garde de l'époque. On parle beaucoup de cinéma aussi (et comme j'aime ça, je buvais du petit lait). Et puis surtout, il y a un portrait inénarrable de Jean Luc Godard, boudeur, sentencieux, prêt à se fourvoyer dans les mouvements les plus utopiques pour rester dans le tempo de la révolution, tendre parfois, coléreux, chiant, imbuvable,  amoureux aussi. Il est à lui seul un vrai personnage de roman.
J'avais été plus réservé  pour "Une année studieuse", agacé peut être par un ton "jeune fille de bonne famille". Dans "Un an après", on le retrouve toujours mais il est tellement nuancé par un recul certain de l'auteur sur la jeune femme qu'elle a été, qu'au final, c'est l'histoire qui l'emporte haut la main.... pour notre plus grand plaisir. 

samedi 14 mars 2015

Crosswind, la croisée des vents de Martti Helde



Sûrement l'originalité de la semaine, voire du mois. Un film estonien, tourné dans un magnifique noir et blanc (mais y'a-t-il un film en noir et blanc sortant de nos jours qui ne soit pas qualifié de somptueux ? ) et utilisant un procédé jamais utilisé au cinéma. Une curiosité donc, formellement belle, émotionnelle, réparant un pan de l'histoire un peu oublié qu'est la déportation par Staline de milliers d'estoniens dans des camps en Sibérie.
L'histoire est de celles qui émeuvent ; un couple et leur fillette sont déportés par Staline dans un kolkhose.  Erna se trouvera séparée de son mari dont elle n'aura aucune nouvelle. Elle passera les maigres temps libres que lui laissent ses travaux de bûcheronnage, pour écrire des lettres racontant sa terrible existence de déportée.
Le film est de ceux qui étonnent. Tous les moments passés en Sibérie, sont des tableaux reconstitués avec des acteurs(?) figés et parmi lesquels une caméra se promène, illustrant avec force une voix off lisant les lettres. C'est beau, un peu lent. L'oeil a le temps de regarder qui tremblote dans le plan, qui cille des yeux. Les différents tableaux sont par ailleurs hyper bien construits, donnant à voir ou à apercevoir ce qu'Erna n'ose écrire, jamais redondants.
Le film est aussi de ceux qui peuvent lasser. Même si le propos est fort, même si cette mise en image est épatante d'insolite, le procédé a ses limites.  Cette caméra se déplaçant toujours à la même vitesse a des vertus soporifiques intenses. On a beau découvrir avec elle des plans tous plus beaux les uns que les autres, une heure vingt minutes de ce traitement peuvent avoir raison de l'état d'éveil d'un spectateur en petite forme. Et si l'éveil est de mise, au bout d'un moment l'esprit devient plus critique. Parfois on est ébahi par certaines postures de statues à la limite de l'équilibre qu'ont du tenir les figurants mais on est aussi dérangé par d'autres, plus forcées ou peu naturelles.  Le procédé montre alors son caractère trop systématique, gommant au final un peu de l'émotion que l'on devrait ressentir.
 Même si cette mise en scène, semblable à un Mme Tussaud chic et arty, peut lasser, elle surligne et rend un vibrant hommage à tous ces déportés que le film nomme "holocauste estonien". En leur mémoire mais aussi pour soutenir la création d'un jeune cinéaste qui arrive à transcender son manque de moyen en acte filmique inventif, "Crosswind, la croisée des vents" mérite d'être vu.



jeudi 12 mars 2015

The voices de Marjane Satrapi



Très loin de "Persépolis", Marjane Satrapi nous offre un film soit disant terrifiant et à mourir de rire. Il va falloir être honnête, "The voices", en voulant mélanger l'horreur et la comédie,  n'atteint jamais aucune des deux promesses sans toutefois démériter en terme d'originalité.
Dans une fabrique de baignoires, au logo rose flashy, travaille Jerry, un grand benêt pas mal de sa personne,  à l'air un peu niais. Il est gentil, heureux de vivre et apprécié par ses supérieurs. Jerry, c'est Kevin Reynolds, dont je me suis demandé (comme dans certains de ses précédents films) si niais était vraiment pour lui un rôle de composition.... Si c'est le cas, bravo ! Il est parfaitement crédible en ravi de la crèche. Très vite on va comprendre que Jerry est en réinsertion, que son cerveau est une sorte de bouillie infâme. Chez lui, il dialogue avec son gentil chien et son méchant chat.  Lorsqu'il va prendre un verre avec sa pimpante collègue de bureau dans un bar perdu, c'est pour la tuer sauvagement dans les bois puis pour l'empaqueter dans des Tupperwares. Comme la tête ne rentre pas dans les boîtes plastiques de petites dimensions, il la pose dans son réfrigérateur ce qui a  pour avantage de pouvoir continuer à faire la causette avec elle. Et la vie continue pour Jerry, toujours dragué par les minettes de la compta qui ne rêvent que prendre un verre avec lui...
Ca peut sembler un peu gore raconté comme cela mais pas trop. La caméra reste  pudique lorsque la violence s'invite, le regard vide de Jerry /Kevin Reynolds dédramatisant énormément les scènes. D'ailleurs, ce Jerry, tout psychopathe qu'il soit, on le trouve tout à fait sympathique au début et même après avoir transformé ses conquêtes en puzzles sanguinolants. On ne lui en veut presque pas, il est tellement malade ! C'est peut être une des limites du film. Il est trop gentil Jerry, trop beau aussi. On a l'impression que Marjane craque un peu pour lui. Et du coup, s'il fait sourire quand même, malgré ses couteaux et ses accès de violence, il ne fait jamais peur. Pour le film d'horreur, il faudra donc aller voir autre chose. Pour la comédie aussi car, hélas, tout est un peu poussif. Les scènes durent un poil trop longtemps, les dialogues peuvent parfois être savoureux, surtout ceux avec les animaux, mais comme le scénario avance de façon prévisible, l'intérêt n'est pas au maximum.
Alors on regarde cela sans trop de déplaisir, appréciant l'originalité de la production, les seconds rôles bien campés et peut être la performance de Kevin Reynolds en bellâtre à deux neurones. Ce n'est pas du tout déshonorant, juste un petit film assez sympa et un peu mal fichu mais qui a les capacités pour devenir culte, car il possède ce je ne sais quoi de barré qui peut au bout du compte faire toute la différence.



mercredi 11 mars 2015

La graine d'arc-en-ciel de Benoît Charlat


Le printemps arrive et les travaux de jardinage qui vont avec aussi. Votre petit bout va vous suivre, vouloir jouer avec tous vos outils (surtout ceux qui coupent ou qui peuvent piquer),  participer à la taille des rosiers, vous imiter quand vous traitez vos arbustes , poser mille questions. Pour satisfaire sa curiosité et son envie de jardiner (et peut être l'éloigner un peu) il va bien falloir qu'il s'adonne aux joies des plantations.
Il existe une millier d'albums plus ou moins réussis, plus ou moins pratiques, drôles ou pas, sur l'art de planter, semer. Avec "la graine d'arc-en-ciel" , Benoît Charlat offre un album original alliant pratique et poésie. Si ma mémoire est bonne, rien de semblable n'avait été proposé aux enfants dans ce genre depuis  "L'histoire du bonbon" d'Anaïs Vaugelade en 1995 qui s'adresse à des enfants plus âgés. Avec ce délicieux album, ce sont les enfants à partir de deux ans qui sont ciblés, âge de tous les émerveillements.
Nous avons donc ci-devant une sorte d'oiseau, coiffé d'un chapeau, chaussé de bottes et désirant faire pousser un arc-en-ciel ! Il a bien tous les instruments, la bonne technique et même, semble-t-il ou c'est le fruit de notre imagination,  une graine d'arc-en-ciel ! Cet oiseau est un brin naïf mais ses talents seront récompensés de la plus naturelle et poétique des manières...
Un album étonnamment simple, alliant premiers pas dans le jardinage et une poésie de l'imaginaire parfaitement perceptible pour les enfants à partir de deux ans. Et pour que que vous fassiez mettre en terre une graine semblable à celle du petit oiseau, que subtilement vous suggériez de bien observer ce qu'il se passe... vous pourrez vaquer à vos plantations en toute quiétude et commencer par ailleurs l'apprentissage du temps qui passe et la patience à votre bambin qui est peut être habitué à avoir tout tout de suite... (et éventuellement abordé la problématique de la chance, mais là, c'est peut être ambitieux !).



dimanche 8 mars 2015

Soumission de Michel Houellebecq



Je suis un lecteur assez inconditionnel de Michel Houellebecq, le romancier plus que le poète et le photographe. J'avoue que la polémique du mois de janvier dernier m'a fait reculer quant à la lecture de son dernier ouvrage. Le thème, l'hystérie qui a accompagné la sortie de "Soumission" et peut être, de manière totalement irraisonnée et idiote, l'image de clodo intello qu'il affiche, ont fait que je ne me suis pas précipité pour acheter ce roman. Et puis, une fois retombée le bazar médiatique, je n'ai pu résister. Je me suis plongé dans ce qui a éclipsé tant de parutions de ce début 2015 et, je l'avoue, j'ai été conquis. Bien plus prenant que "La  carte et le territoire" ou "La possibilité d'une île", on retrouve le Houellebecq d' "Extension du domaine de la lutte" et des "particules élémentaires" , celui qui propose une vision sans fard de nos sociétés.
Je le dis d'emblée, lire Houellebecq renvoie dans les cordes un nombre incalculable d'écrivains connus. Car en plus d'écrire magnifiquement, il a des idées (qui plaisent ou pas, mais qu'importe) et surtout il sait trousser un roman mêlant une intrigue avec un personnage central assez mou voire nihiliste, une vision très pointue de notre société et une évocation de Joris-Karl Huysmans sans jamais ennuyer le lecteur et je dirai même plus, en l'incitant à ne jamais lâcher son livre. 
Oui, "Soumission" a été pour moi un vrai "tourne pages", un réel plaisir de lecture. Sous des airs faciles, c'est terriblement stimulant à lire car composé de différentes strates qui offrent plusieurs niveaux de lecture. 
Il y a d"abord le narrateur, François, prof à la Sorbonne, spécialiste de Huysmans. Il subit sa vie plus qu'il ne la prend à bras le corps. Célibataire, ayant quelques aventures avec des étudiantes, il va bien vite se retrouver totalement seul et à la retraite à quarante quatre ans depuis que le partie islamiste d'un dénommé Ben Abbes est au pouvoir et a privatisé l'éminente faculté. N'ayant pas voulu devenir musulman et profitant de conditions financières exceptionnelles, il va vivre une vie de retraité prématuré entre maladies gênantes, coïts tarifés et sans envie avec quelques escorts girls trouvées sur le net et questionnements sur une possible foi. Ce personnage central se trouve pris dans une fable politique assez mordante dont le propos est l'islamisation d'une France totalement endormie par des élites et des médias s'inclinant devant ce pouvoir inédit. 
Mais le roman, malgré tout ce que l'on en a dit ne se résume pas non plus qu'à cette politique/fiction sensationnelle. C'est aussi, une biographie de Huysmans, auteur pointu et exigeant qui, se tourna vers la religion catholique dans la dernière partie de sa vie. Cette évocation n'est pas un hasard car le cheminement de l'écrivain et du prof de fac, leurs interrogations aussi, sont similaires à un siècle de distance. Ce propos qui peut sembler ardu, Houellebecq arrive à le placer au fil du récit de façon naturelle, passionnante, sans jamais ralentir l'action. 
Et puis, "Soumission" est aussi un petit précis sociologique de notre société française, en perte de repères, repliée sur elle-même. Au détour d'une phrase, dans des descriptions pas si anodines que ça, Michel Houellebecq griffe, égratigne, se moque gentiment, épingle une multitude petits travers qui donnent à son récit pourtant totalement fictionnel, une saveur particulière mais aussi le sentiment étrange que cet homme nous ausculte au plus profond de nous même, rendant sa fable au final plus inquiétante, voire un poil prophétique. 
Et c'est là où intervient la polémique, car il est difficile de ne pas se sentir interpelé par ce qui est écrit. Jouant avec nos peurs, nos illusions, nos croyances, Houellebecq titille son lecteur qui s'interroge, se débat ... On peut juger cela inepte car, comme dans toutes les fables, il y a des simplifications qui rendent la chose peu plausible ( non tous les français ne sont pas revenus de tout comme François le personnage central et ne courberont pas devant les propositions sexualo/financières du pouvoir islamiste, non, je ne pense pas que toutes les françaises porteront le voile sans moufter et subiront le mariage polygame sans manifester ), mais force est de reconnaître que la démonstration a de l'allure et que parfois on oublie que ce n'est qu'une fiction. 
Dérangeant mais brillant, passionnant mais peut être trop contemporain pour résister au temps ( qui dans 50 ans pourra resituer David Pujadas ou François Bayrou ?), formidablement écrit (avec un bémol pour la scène du barbecue), rondement mené, "Soumission" est bien le roman de cette rentrée de janvier. Michel Houellebecq, tout en douceur et sans l'ombre d'une quelconque islamophobie, livre un roman stimulant et foisonnant, ouvrant un champ immense à un débat qui ne fait que commencer. Qui dit mieux dans le roman français en ce moment ? 

samedi 7 mars 2015

Le cercle de Stefan Haupf


"Le cercle" qui donne le titre au film, est le nom d'une revue homosexuelle Suisse qui essayait de fédérer toute une communauté vivant cachée ou honteusement malgré une loi ne condamnant pas l'amour pour le même sexe. Nous sommes dans les années 50, et être gay restait une honte ou tout du moins la possibilité d'une vindicte de la société ou de la famille. Dans ce cadre là, nous suivons le destin de Ernst, professeur de français pas encore titularisé et de Robi, jeune coiffeur  rêvant d'une carrière de chanteur travesti. Ils vont s'aimer malgré leurs différences de milieu et les difficultés que représentaient à l'époque un amour que beaucoup considéraient contre nature.
Film éminemment sympathique, surtout par les temps qui courent, le discours tenu, évitant tout militantisme lourdingue, s'attarde plutôt à parler d'amour entre deux êtres. Le film  a les bonnes couleurs orangers qui siéent si bien à toute reconstitution d'époque. L'histoire hésitant entre romance et rappel historique se suit avec intérêt et émotion.
Cependant, on reste un peu sur notre faim car le dispositif employé par le réalisateur, à savoir le genre docu/fiction si prisé en télévision, annihile certains effets souhaités, Le film est entrecoupé d'interviews des vrais protagonistes de l'histoire, C'est touchant de les voir, vieillis mais toujours passionnants, de les entendre se rappeler ce passé qui les a marqués. Selon le spectateur que l'on est, on s'attache soit au documentaire et du coup la fiction s'en trouve affadie soit le contraire mais les témoignages réels empêchent l'empathie avec les acteurs qui, bien que convaincants, n'arrivent au final pas à l'emporter totalement sur l'émotion. Ce va et vient entre réalité d'aujourd'hui et fiction d'hier, ne fonctionne pas toujours très bien, donnant au film un caractère un peu trop banal.  Il permet toutefois de bien ancrer cette histoire dans une réalité historique, lui donnant un côté pédagogique toujours bon à prendre.
Les intentions sont évidemment bonnes et bien mises en images. Il est toujours nécessaire de rappeler aux jeunes générations que la petite liberté dont on joui actuellement est le fruit de luttes pas si lointaines et que la vigilance doit être de mise si l'on veut pouvoir les conserver. Ce film, joli hommage aux premiers gays mariés en Suisse, demeure un peu trop télévisuel pour emporter l'adhésion totale d'un spectateur de cinéma mais restera comme une parfaite reconstitution d'un combat pour lutter contre l'obscurantisme d'un monde noyé par des diktats sclérosants.



vendredi 6 mars 2015

Inherent vice de Paul Thomas Anderson


Cela me arrive rarement au cinéma, mais j'avoue que quasiment dès la première minute, un sentiment  d'ennui m'est tombé dessus et ne m'a jamais quitté des 2h30 que durent la projection. Le plan de départ, assez joli en soi m'a fait soupirer d'ennui, à cause de cette voix off  qui plombe tout de suite l'ambiance. Il faudra qu'on me dise l'intérêt, au cinéma, d'une voix off qui, pour moi, révèle une incapacité du metteur en scène à donner du sens à ses images. Certes, c'est monnaie courante lorsque l'on adapte à l'écran un roman foisonnant, surtout d'un auteur mythique comme Pynchon !
Cependant, on peut se demander l'utilité exacte de cette voix off puisque tout le film est un collage de scènes ainsi obscures les unes que les autres, où l'ajout continuel de nouveaux personnages et  d'actions  abandonnées très vite, nuisent grandement à une quelconque compréhension. Bien sûr, on arrive à percevoir que cette histoire de disparition de magnat de l'immobilier avec l'ancienne petite amie du héros principal, junkie détective, pourrait être la description de la chute du mouvement hippie, mais à aucun moment Paul Thomas Anderson arrive à nous intéresser. Les personnages se droguent gentiment devant une caméra on ne peut plus mollassonne. Quelques scènes filmées pour nous faire rire tombent à plat tellement elles sont plaquées de façon assez incohérentes dans un dispositif mi polar, mi film à thèse. Tout est représente de façon extraordinairement sage alors que la dope est de tous les plans. On parle aussi vaguement de sexe, Mais comme nous sommes dans un film américain,  nous avons droit à une scène de copulation assez ahurissante.  Dans une situation très cinématographique, c'est à dire alambiquée, nous apercevons  Joaquin Phoenix déboutonner son pantalon, pénétrer sa maîtresse et jouir en six secondes chrono. Le couple est  au comble de l'extase. Le spectateur moins car cela arrive au bout d'une longue de scène de dialogues dont on se contrefout. Du coup il a tout le loisir de bien observer l'écran et de se demander comment il est possible qu'ils arrivent à un tel orgasme dans une position aussi ahurissante.
Reste l'élément phare du film, celui autour duquel tourne la promo, l'acteur performer américain du moment, celui qui à chaque apparition compose un personnage singulier et étonnant: Joaquin Phoenix. Frisé, avec parfois des nouettes dans les cheveux, l'oeil finalement assez pétillant  malgré la drogue sensée être ingurgitée, il est, comme souvent, à la limite du cabotinage. Mais le film est tellement fumeux qu'au final il n'y a plus que lui qui nous empêche de nous endormir ou de sortir de la salle. Il dégage un côté si sympatoche que l'on a encore vaguement envie de savoir ce qu'il va devenir à la fin ... D'ailleurs, que devient-il? J'étais tellement content de voir enfin  apparaître le générique que j'ai déjà oublié!









jeudi 5 mars 2015

Tokyo fiancée de Stefan Liberski


Une jeune belge revient au Japon pour y vivre après y avoir vécu jusqu'à l'âge de cinq ans. Elle tombera amoureuse d'une jeune fils de famille à qui elle dispense quelques des cours de français. Le film la suit dans sa redécouverte du pays du soleil levant et évidemment dans cette idylle sur laquelle le scénario repose.
Comme mon résumé, "Tokyo fiancée " est léger, très léger. Trop léger ? Sans doute car cette adaptation un peu trop fidèle d'un roman d'Amélie Nothomb ne brille ni par sa profondeur ni par son originalité. L'histoire d'amour est gentillette, sans grande passion. L'histoire somnole un peu (les sushis étaient bourratifs). L'arrière-plan quand il ne ressemble pas à un reportage touristique sur le Japon entre modernité et tradition, ne nous montre que des personnages esquissés à gros traits (la copine jalouse et énervante, les parents peut être de la mafia, ...). L'intrigue avance mollement avec quelques clichés comme l'ascension de la montagne pour faire le point sur sa vie et trouver ce que l'on désire être réellement. La mise en scène très sage et un soupçon redondante, en rajoute dans le banal en utilisant une voix off qu'elle illustre par des tableaux japonais mettant en scène l'héroïne.
Et malgré tout cela, la vision du film n'est pas totalement désagréable. La douceur et la gentillesse que diffusent le film sont dues en grande partie à Pauline Etienne qui incarne Mme Nothomb jeune à l'écran. Elle est absolument délicieuse et craquante.  Un peu Binoche, un peu Jean Seberg, elle apporte au film toute sa fraîcheur. Hélas, elle n'a pas grand chose à défendre, se contentant de quelques mines mutines et de déplacements sautillants. Cela ne fait pas un film, mais j'avoue que grâce à elle, j'ai pris un tout petit plaisir à me balader dans ce Tokyo de carte postale et de roman rose.
Je pense que "Tokyo fiancée" pourra plaire à quelques adolescentes pas trop exigeantes sur l'action et amoureuses de manga et du Japon. Les fans de Pauline Etienne pourront l'admirer sous toutes ses coutures , mais sont-ils pour le moment si nombreux ? Sinon, je ne suis pas bien sûr que cette production mignonne mais franchement évitable, passionne grand monde.


mercredi 4 mars 2015

Le grand méchant renard de Benjamin Renner


Franchement qui aurait cru qu'en 2015, une bande dessinée avec des poules, un renard, un loup, quelques poussins, un lapin et un cochon, puisse être aussi enthousiasmante ? Et quelle idée a eu l'éditeur de lui accoler un bandeau sur lequel on peut lire : "Par le co-réalisateur d'Ernest et Célestine" ! Autant on peut trouver les aventures d'Ernest et Célestine un poil cucul la praline, autant cette histoire de renard devenant père de famille est une très fine et très pétillante histoire.
Tout ne reprenant les personnages familiers qui rôdent autour d'une basse-cour mais en redistribuant un tant soit peu les rôles, il parvient à brosser un tableau très humoristique de nos sociétés contemporaines. En gros, nous avons un pauvre renard qui n'effraye absolument personne et surtout pas les poules, présentées ici comme de rudes matrones éprises de liberté et à la forte personnalité. Jamais il ne parvient à en attraper une, se contentant, pour se nourrir, de navets offerts gentiment par le cochon et le lapin. Coaché par un loup féroce mais au fond compréhensif, il va essayer d'arriver à ses fins. Mais rien ne fonctionne et le renard doit se résoudre à voler des oeufs afin qu'il puisse dévorer les poussins qui en sortiront. Mais, le plan ne fonctionne pas comme prévu. Si les oeufs atterrissent bien dans le terrier du renard, l'éclosion de la couvée va lui faire endosser un rôle imprévu : celui de maman !
Il est évident qu'avec ce scénario un poil décalé qui peut être lu à plusieurs niveaux, le lecteur est aux anges. C'est plein d'un humour bonhomme mais piquant aussi. Les situations s'enchaînent avec bonheur, poussant le bouchon toujours plus loin et nous renvoyant dans des sphères aussi drôles que bien vues. L'éducation des poussins est une resucée poilante des livres de Laurence Pernoud et leur entrée à l'école  est un régal de causticité. Le dessin, aux tons d'aquarelles automnales est au diapason, vif et tendre.
"Le grand méchant renard" réussit l'exploit d'être un album qui enchantera de 7 à 77 ans. C'est le genre de bande dessinée que l'on peut offrir à tout le monde. On peut être certain que cela plaira aussi bien aux fous de comics qu'aux lecteurs de Houellebecq car dans chacun sommeille une âme d'enfant qui a été bercé par des histoires de poule et de renard. Sauf qu'ici, elles sont drôles puissance 10 !






mardi 3 mars 2015

La vie des gens d'Olivier Ducray



Lyon, sept heures du matin, un premier janvier. Les rues sont désertes. Un vent froid et humide fait voler les derniers confettis répandus quelques heures plus tôt par des fêtards qui viennent de sombrer dans leur lit. Les dernières feuilles mortes sont écrasées par une trottinette que soudain la caméra va suivre. Nous avons à peine le temps de nous apercevoir que la conductrice a l'air pressé, que déjà, l'engin roulant est dans un escalier, une clef ouvre une porte, et un "Bonjour, bonne année !" retentit, joyeux. Une vieille dame, encore en robe de chambre, ensommeillée, apparaît dans le cadre et notre sportive matinale commence à prodiguer des soins avec précision et bonhommie. Quelques mots plus tard ou un chocolat avalé, hop, la voilà repartie, enfourchant sa trottinette et pénétrant dans un nouvel appartement du troisième arrondissement de Lyon.
Le début du documentaire d'Olivier Ducray qu'il consacre au travail d'une infirmière libérale est une succession ininterrompue de visites chez de vieilles gens. Comme la professionnelle de santé que l'on suit est une vraie tornade de bonne humeur, nous n'avons guère le temps de souffler ni de bien intégrer visuellement toutes ces personnes. Nous sommes pris par le tourbillon de ses entrées et sorties, par tous ces échanges empreints de gentillesse, de tendresse mais aussi de bon sens. Françoise, l'infirmière est souvent la seule visite que ces personnes auront dans la journée. Elle est celle qui apporte le monde dans une vie de solitude où parfois seule la télé permet d'être relié à la réalité contemporaine. Elle est celle qui apporte aussi la gaieté, des mots de réconfort, de soutien, stimulant les uns, délirant avec d'autres, épaulant ceux qui lâchent prise, se transformant souvent en confidente. "La vie des gens" c'est à la fois le magnifique portrait d'une infirmière pour qui son métier est un mélange de soin mais surtout d'échanges attentifs, mais aussi un regard lucide, plein de tendresse sur l'isolement et la dépendance des personnes âgées.
Hou là, va-t-on me dire, pas envie d'aller voir ce que, de plus en plus, on ne essaie de ne pas voir ou d'oublier. Et vous aurez tort ! Le réalisateur , Olivier Ducray, a un vrai regard de cinéaste. En suivant Françoise, il pénètre au début dans les appartements du bout de la caméra, filmant pudiquement des objets disposés là, évoquant ainsi en quelques secondes toute une vie, puis s'attarde petit à petit, même après le départ de l'infirmière, captant un regard mélancolique disant toute cette solitude subie, une réflexion drôle ou complice aussi.
Réalisé sur une année, à raison de 3 ou 4 jours de tournage chaque mois, le temps, rythmé par les saisons, est ici une unité de mesure dont on perçoit toutes les nuances : le temps qui passe, le temps qui reste, le temps qui a filé trop vite, le temps qui ne passe pas tellement la solitude est pesante....
Tous ces hommes et toutes ces femmes qui savent que leur temps est compté, s'appuient sur l'infirmière. Ils savent bien qu'elle fera tout ce qu'il faut pour qu'il puisse au moins mourir chez eux, car c'est son désir aussi à elle. Sans pathos, sans jamais leur mentir sur leur sort, en étant concrète, mais magnifiquement humaine, elle va les accompagner avec force, humour et grande tendresse. Au fil du temps, ces personnes nous deviennent familières et je défie quiconque de ne pas y retrouver, qui un parent, qui un grand parent... L'effet miroir est aussi garanti, ayant sous les yeux le sort qui nous attend peut être. Malgré cela, on sort de la salle avec la délicieuse impression d'avoir rencontrer des personnes formidables. Bien sûr, Françoise, l'infirmière est une nature, un vrai personnage, une femme comme on aimerait en rencontrer plus tard, quand notre corps commencera à lâcher d'un peu partout. Mais toutes ces personnes âgées, aussi différentes soient-elles, s'invitent dans nos vies et par la grâce d'une caméra complice, deviennent eux aussi des familiers auxquels on s'attache.
Grâce à un humour omniprésent, "La vie des gens " est une vraie réussite. Il n'y a qu'au cinéma que l'on peut prendre le temps de vivre avec les gens de cette manière, avec douceur et sensibilité. Regardez l'affiche.Vous la trouvez jolie, réussie ? Alors le film vous passionnera car il est à son image !