mercredi 30 avril 2014

Correspondance 1910-1919 Romain Rolland Stefan Zweig

En 1910 quand débute la correspondance entre Stefan Zweig, jeune auteur autrichien pas encore reconnu  et Romain Rolland, plus âgé et surtout figure majeure du monde littéraire parisien, il ne s'agissait que de lettres très révérencieuses, le cadet vouant une admiration sans bornes à son glorieux aîné. Strictement intellectuelle et portant autour des diverses publications de chacun ou de leurs amis, cette correspondance va littéralement prendre son envol au début de la guerre; Alors que Romain Rolland part en Suisse pour oeuvrer plus tranquillement à développer un pacifisme européen, position qui le voit honni par une presse française très patriotique et va-t-en guerre, de droite comme de gauche, Zweig, en attente d'une affectation militaire, s'essaie à démonter tous les mensonges qui attisent la haine entre la France et l'Allemagne ainsi que leur alliés. Pas toujours en accord autour de certains détails, ils sauront passer outre la haine et développer ensemble une idée pacifiste de réunion des peuples européens. Leurs échanges passeront du cérémonieux au profond et se révéleront porteur d'une très grande fraternité.
La lecture de cette correspondance fut au départ un peu laborieuse, très fonctionnelle, au service des intérêts de chacun. Zweig en promouvant les textes de Rolland en Allemagne, lui permet d'approcher un futur prix Nobel de littérature et ainsi  s'attirer ses bonnes grâces , lui permettant sans doute de s'introduire plus aisément dans ce cercle fermé des grands esprits qui comptent à l'époque. Mais quand la guerre arrive, que les divergences apparaissent, les propos deviennent soudain plus profonds et leurs envies de paix entre les peuples prend le dessus. S'épaulant l'un l'autre quand les difficultés surviennent, ils vont faire germer l'idée d'une Europe qui ne verra le jour que des décennies plus tard. Même si parfois ils échangent autour de personnes un peu inconnues de nos jours, d'événements oubliés ou d'articles de journaux (dont les notes en bas de pages nous résument habilement la teneur), rendant la lecture moins aisée, la qualité de leur écriture, leur indépendance d'esprit au milieu de la tourmente et leur côté visionnaire force le respect et attise l'intérêt. Purement sur le terrain du débat d'idées, très rarement dans l'intime, ces lettres sont étonnantes. Elles illustrent parfaitement ce que pouvait être une vie d'intellectuel à cette époque. Passionnés, se sentant au dessus de la mêlée mais certains que leurs idées rejailliront un tant soit peu sur le monde, ils tissent la trame d'une humanité meilleure.
Malgré l'absence d'intimité de cette correspondance, on retrouve toutefois en filigrane le Stefan Zweig en proie au doute. On sent la dépression qui l'emportera, le gagner. Ses lettres sont plus longues, plus fiévreuses que celles de son maître, plus conventionnel peut être mais dont les idées sont sans doute plus tranchées et posées. Au fil des pages, toutes admirablement écrites, véritable mine de belles citations, le lecteur voit se créer cette amitié intellectuelle qui a su échapper au patriotisme imbécile, tout en oeuvrant pour un monde meilleur. C'est totalement fascinant mais surtout étonnamment contemporain. Il est bon de les lire aujourd'hui, alors que le monde se déchire encore et toujours plus. Il m'est rassurant de penser que, vraisemblablement, aujourd'hui, quelques grands esprits travaillent, avec clairvoyance, à la fraternité sur notre planète. Le souci est que s'il faut qu'on ne les lise ou les entende que dans 100 ans, la machine de guerre qui semble avancer perfidement jour après jour, risque de s'emballer.
Ce premier tome de la correspondance de ces deux grands esprits, la fraternité des peuples chevillée au corps, est sûrement l'un des meilleurs exemples à proposer en cette période de commémoration de la boucherie que fut cette guerre 14/18. La lecture peur sembler difficile, mais les mots, la clairvoyance des deux auteurs et leurs convictions réchauffent l'esprit qui en a bien besoin en ce moment !



lundi 28 avril 2014

La nueve de Paco Roca


Un sacré pavé historique que ce nouveau roman graphique de l'espagnol Paco Roca ! 336 pages sur le récit de la reconversion forcée de républicains espagnols exilés, en soldats de la deuxième DB du maréchal Leclerc dans la division baptisée "La nueve" et qui sera la première à entrer dans Paris le 24 août 1944. Le général de Gaulle les a snobés, l'histoire les a gommés mais pourtant, les premiers libérateurs de notre capitale ce sont bien eux, cette poignée d'anti fascistes espagnols.
Formidablement documenté, le récit englobe cinq années d'errance composées de camps de travail vichystes, d'entraînement, de combats militaires ou idéologiques. Le courage, l'énergie du groupe d'hommes que l'auteur choisit de suivre sont de celles qui font l'étoffe des héros. Seulement, l'anonymat dans lequel les ont plongés un patriotisme français peu reconnaissant envers tous les étrangers qui se sont pourtant battus pour libérer notre pays, pousse Paco Roca à les mettre à l'honneur. En retrouvant un des derniers survivants de cette division et en intégrant dans le récit cette rencontre, l'album, qui n'aurait pu être que la narration classique d'un fait historique, devient soudain bien plus attachant. Cette alternance passé/présent, procédé connu mais toujours efficace quand il est utilisé à bon escient, permet de vivre cette épopée à hauteur d'hommes. Au récit complexe des années de combats, alterne la vie recluse d'un vieillard qui soudain accepte de se replonger dans un passé enfoui depuis bien longtemps mais toujours présent  dans les méandres de sa mémoire. Son quotidien, son amitié rude avec un jeune voisin, ses rapports bougons puis reconnaissants avec le jeune auteur qui l'interroge, sont le parfait contrepoint de la description historique minutieuse, non dénuée de détails personnels.
Le dessin de Paco Roca est clair, simple, réaliste mais duquel émane une grande tendresse malgré les chars d'assaut ou autre engins militaires. Je me suis laissé porter par cette histoire qui, dans sa dernière partie se révélera très émouvante.
Cet album est un très bel hommage à ces hommes qui ont donné leur vie à combattre un idéal anti-fasciste quelque soit le drapeau puis qui ont été grugés par les stratégies de quelques uns. Leur certitude de libérer, après la France, leur pays du joug de Franco n'a pu aboutir faute à l'époque qui avait plus peur d'un gouvernement communiste que d'un petit dictateur fasciste. Une sacrée leçon d'histoire présentée d'une façon simple, lisible et passionnante.


samedi 26 avril 2014

Dans la cour de Pierre Salvadori


J'ai bien peur que l'horrible manteau vert que porte Catherine Deneuve dans ce film ne soit un frein à sa carrière en salle. J'entends d'ici les spectateurs cherchant quelque chose à se mettre sous les yeux lors d'un morne week end, dire en voyant l'affiche et surtout la photo qui traîne dans tous les magazines : "Pfff Deneuve qui essaie de faire peuple a accepté de porter une fringue de chez H&M ! Pas crédible ! " Ceux qui savent que l'habit ne fait pas forcément le film iront jusqu'à lire le résumé et y trouveront les mots " dépression" ou " fissure", termes guère engageant pour un film réalisé par un spécialiste de la comédie. Et puis le visage désabusé, au bord du suicide de Gustave Kervern n'inspire pas vraiment non plus l'hilarité et laisse sous entendre un de ces films neurasthéniques qui sont une des spécialités du cinéma français. De prime abord, ce film n'a pas grand chose d'attirant, aucun élément vendeur, sauf peut être Catherine Deneuve mais l'effet est annihilé pour cause de tenue vestimentaire improbable.
Il faudra donc un tout petit peu de courage ou de curiosité pour découvrir que "Dans la cour" est un film vraiment épatant. Après avoir lorgné vers les comédies façon Lubitsch, Pierre Salvadori revient vers un cinéma moins huilé, mais peut être tout aussi codé, le film choral. En plaçant sa caméra dans une cour d'immeuble plutôt moche, enfermant ses personnages dans un lieu clos, il réussit à nous étonner puis à nous émouvoir et au final, nous faire oublier l'horrible fripe de Mme Deneuve. Tout ce qui passait pour être sur le papier, cliché  (les voisins un rien fêlés) ou improbable (Catherine Deneuve en femme lambda) ou lourdement symbolique (la fissure qui risque de faire écrouler l'immeuble) devient ici délicat, décalé, drôle ou tendre. Chaque scène offre un moment inattendu, jamais surjoué et toujours en rapport avec le thème central du film : la fragilité et cette solitude omniprésente chez nos contemporains. De l'employée de pôle emploi au bord des larmes au voisin architecte hyper stressé, tous sont au bord de sombrer, il suffirait d'un détail pour que tout bascule, comme le personnage de Catherine Deneuve et sa fissure dans son appartement. La réalité est complice de leur petite folie mais se révèle une alliée bien sournoise.
Ce sont ces moments fragiles que capte si bien la caméra de Pierre Salvadori, tout en nuance, sans jamais appuyer son propos, il rend ses personnages, totalement humains et touchants. Toujours entre sourire et tristesse, le film dégage un très agréable parfum d'humanité. On se prend à aimer le personnage d'Antoine, pourtant guère expressif, mais sa solitude et son regard de pauvre ours abandonné se raccrochant à cette femme à la dérive, nous renvoie notre propre fragilité.
Un très joli film donc, qui réussit la prouesse de nous faire oublier au final Catherine Deneuve, pour ne voir que son personnage de Mathilde. Une sacrée performance de la comédienne, du réalisateur et peut être de l'horrible manteau vert !




lundi 21 avril 2014

Printemps de Rachid Boudjedra


Si l'on se réfère à la quatrième ce couverture du dernier roman (?) de Rachid Boudjedra, on a l'impression que nous allons découvrir une oeuvre violente, engagée. C'est effectivement le cas mais le lecteur doit savoir que, tout de même, nous sommes très loin du roman traditionnel.
Il y a bien une héroïne, Teldj (Neige), belle ex sportive de haut niveau, enseignant la littérature érotique arabe à la fac d'Alger. Elle est homosexuelle et marquée par un passé violent, un viol à sept ans et sa mère décapitée par des islamistes. Elle vit à Alger dans un appartement avec balcon qui a vue sur un deuxième balcon où habite une jeune et belle espagnole Nueve (Neige), elle aussi attirée par la gent féminine. De toutes ces coïncidences va naître une liaison intense et violente entre les deux femmes. La partie romanesque se résume à cela et est noyée par une avalanche de considérations politiques, historiques, religieuses des plus virulentes et âpres. Rachid Boudjedra voue une haine sans limite aux régimes islamistes et notamment wahhabite d'Arabie Saoudite. Il s'interroge aussi sur les fameux printemps arabes, terme inventé de toute pièce par la presse occidentale pour masquer la réalité et de toute les façons totalement faux aux yeux de l'auteur puisque ces mouvements ont débuté en hiver. Il met également en perspective l'histoire de l'Algérie , revient sur ses multiples remous révolutionnaires, sanglants, peu glorieux, critique (un peu) ses dirigeants actuels et nous parle aussi, en creux de son amour pour Alger, cette ville qui peut rayonner sous le soleil comme être le théâtre d'ignobles assassinats.
La maison Grasset au dos du livre ne cache pas que "Printemps" est un cri d'alarme et de révolte. Oui l'homme, l'écrivain, est révolté, cela se sent. Cependant, malgré le bien-fondé de cette colère, la façon dont elle nous est assénée se révèle à la longue un peu pénible. Revenant sans cesse sur les mêmes faits jusqu'à plus soif, le lecteur que je suis a, au bout d'un moment,  décroché et terminé péniblement sa lecture. Obsessionnel sur certains événements qui nous sont psalmodiés comme une prière, prière pour ne pas oublier qui nous sommes, d'où l'on vient et combien le monde est cruel, le romancier a fini par me lasser à force de redites. Heureusement, çà et là, restent des passages d'une force inouïe mais noyés dans cette hargne répétitive. Ils ne sont que quelques rares perles au milieu d'un discours qui finit par être dérangeant, non pas par le propos évidemment sincère, mais par cette obsession du complot qui se faufile au milieu de tous les événements décrits.
Sentiment mitigé pour ce "Printemps" à la parole évidemment rendue furieuse par un monde fanatique, analphabète, pétri de libéralisme, à la violence sourde et inquiétante, mais dont l'écriture obsessionnelle bien que légitime, pour les mêmes drames, finit par plonger le lecteur dans un certain ennui.

dimanche 20 avril 2014

Tom à la ferme de Xavier Dolan


Xavier Dolan est un cinéaste brillant, c'est indéniable. Son nouveau film prouve qu'il peut proposer autre chose que du drame sentimental à forte connotation autobiographique. En s'appuyant sur une pièce de théâtre et en lorgnant vers le thriller, il élargit son champ d'action sans parvenir toutefois à maîtriser son énergie de jeune talent fou.
Malgré un titre enfantin, nous sommes loin  de l'univers éthéré de "Martine à la ferme", la tendance ici étant quand même d'envoyer valdinguer les idées toutes faites. Dans un univers agricole québécois profond, Tom, jeune homme à la chevelure péroxydée, se rend aux obsèques de son amant. Désireux de rencontrer la famille, il va finir par y séjourner, contraint par Francis, le frère du défunt et sous le regard avide de détails d'une mère refusant de voir la vérité. Les rapports de Tom avec Francis, totalement névrosé et la violence sous la peau, seront des plus troubles entre attirance et répulsion. L'atmosphère, empuantie par des tombereaux de non-dits, deviendra lourde et angoissante.
Toujours travaillé par la question sexuelle, Xavier Dolan s'essaie cette fois-ci au film psychologique façon Hitchcock, qui est ici abondamment cité au fil des scènes. Je ne sais pas encore s'il a vraiment un style, mais on peut déjà lui reconnaître, ce que certains appellent déjà des tics, un tendance gonflée de faire surgir des scènes ahurissantes ou étonnantes ou décalée, utilisant avec brio tout ce que bon lui semble, se démarquant ainsi totalement des maîtres auxquels il fait référence. Ici, on appréciera la musique des funérailles, sorte de mélodie pop sucrée pour karaoké ou l'ébouriffante scène de tango aux dialogues acides. Cela donne à ses films un côté foutraque mais je lui reconnais le grand talent d'arriver à faire passer ces flashes d'originalité sans que l'on sourit ni se moque, apportant toujours des éléments intéressants aux personnages.
Cependant, toute brillante soit la mise en scène, le film peine un tout petit peu à convaincre dans la deuxième moitié, dès qu'arrive Sarah, la fille de la photocopieuse sensée être la fiancée du mort. Je passerai sur l'allure Bonnie Tyler du personnage (Xavier Dolan, en plus de la réalisation, de l'interprétation, du scénario,  est aussi aux costumes et ce n'est peut être pas ce qu'il fait de mieux) pour tiquer sur le soudain manque de cohérence que prend le récit. En plus de cette venue peu crédible, le personnage de Tom est atteint du fameux syndrome de Stockholm, revirement scénaristique assez improbable qui soudain, enfonce le spectateur dans l'incompréhension. Le film ne sombre pas pour autant dans l'insignifiance, le réalisateur multipliant les scènes fortes qui amèneront le spectateur jusqu'au dénouement.
Oeuvre vraisemblablement de transition, "Tom à la ferme" confirme que le prodige du cinéma canadien est un cinéaste sur lequel il va falloir compter (et pas plus tard que dans 3 semaines puisque son nouveau film est en sélection officielle à Cannes). Ce thriller psychologique est de belle facture mais peut être aurait-il eu fallu plus travailler le scénario, en se démarquant un peu plus de la pièce de théâtre duquel il est tiré.



samedi 19 avril 2014

Les vieux fourneaux de Wilfrid Lupano et Paul Cauuet


Wilfrid Lupano a encore frappé ! Avec Paul Cauuet au dessin, il entame une nouvelle série des plus alléchantes si l'on en juge par ce premier tome des "vieux fourneaux" sous-titré " Ceux qui restent".
Ceux qui restent, ce sont trois septuagénaires que l'on découvrira vite indignes. Amis depuis l'enfance, ils se retrouvent aux obsèques de Lucette, l'épouse d'Antoine, un ancien employé des laboratoires pharmaceutiques GARAN-SERVIER  (ça rappelle quelque chose....).Emile et Pierrot, tout aussi délabrés par l'âge et pas la vie, gardent tout de même une certaine verdeur d'esprit. Ronchons, pratiquant un humour vachard, ils continuent de profiter de la vie avec leurs pauvres moyens. Nostalgiques de leur jeunes années, militants jusqu'au bout des ongles en souvenirs de leur passé très soixante-huitard, ils ont traversé les années d'après-guerre avec appétit et détermination.
Après la lecture d'une lettre de la défunte, Antoine va connaître une montée d'adrénaline. Au volant de sa vieille bagnole, il va foncer vers la Toscane, cherchant à venger un honneur d'un autre âge. Poursuivi par ses deux amis, eux mêmes accompagnés de Sophie, petite fille du veuf, enceinte de sept mois, le périple ne sera pas de tout repos...
Le récit des aventures de ces papys presque flingueurs est un régal ! Emaillée de dialogues dignes d'Audiard, l'histoire avance à grands pas, tout en n'oubliant pas de donner de la profondeur  aux personnages. Totalement ancrée dans le présent, le récit mêle habilement les parcours individuels de chacun ainsi que le choc des générations ou comment l'esprit de 68 peut encore donner un sens à des vies que la société de consommation a essayé de rendre d'une individualité affligeante. Et dans les paysages toscans, l'aventure prend une drôle de tournure, laissant augurer une suite que l'on espère découvrir très vite.
Avec cet album et après le formidable " singe d'Hartlepool",  il est maintenant certain que Wilfrid Lupano est LE scénariste à suivre, celui qui, dorénavant, risque de devenir un label de qualité absolu. Paul Cauuet, en osmose avec le sujet, délivre un dessin narquois et mordant, mais en évitant la caricature et en rendant encore plus attachants des héros pourtant très bien servis par le scénario.
Même si la couverture manque de punch, le contenu de l'album est vraiment réjouissant et prouve une fois de plus que la BD sait s'emparer avec talent de sujets et de personnages délaissés par le cinéma ou la littérature. Qui aurait misé un dollar sur trois vieux rabougris pas glamours pour deux sous, en proie à une vengeance passionnelle sur un autre vieux atteint d'Alzheimer ? Cela ne vous tente pas ? Vous avez tort car en faisant l'impasse sur cet album, vous vous privez d'un grand moment d'aventures humoristiques et tendres. Trouvez-moi une roman ou un film qui est capable de glisser une scène d"anthologie où un groupe de grosses vieilles dames se fait notamment traiter de "pire génération de l'histoire de l'humanité" sans que cela soit interprété comme du racisme anti vieux .
Un album indispensable je vous dis ! Et si j'avais les moyens, je vous le rembourserai si cela ne vous plaisait pas.... mais faut pas rêver, mon blog ne me rapportant rien, va falloir me faire confiance ...





jeudi 17 avril 2014

Une promesse de Patrice Leconte


Un ami me disait que l'idéal pour découvrir un film était d'arriver vierge de tout commentaire ou  interview dans la salle de cinéma. Difficile par les temps qui courent...où il faudrait vivre alors sans télé, radio, internet et magazines pour échapper au rouleau compresseur de la promotion. Et pourtant, parti pour visionner "Tom à la ferme" dans mon cinéma préféré, un problème de distribution annulant sa projection, je suis allé voir "Une promesse" dont je ne savais rien de plus que ce que montrait l'affiche, fort belle. Le nom de Patrice Leconte étant loin d'être un repoussoir, c'est donc avec curiosité que j'ai attendu que les lumières s'éteignent.
Adapté d'une nouvelle de Stefan Zweig, le film nous plonge en 1912 dans l'univers très compassé d'un riche industriel vieillissant, de sa jeune épouse et de leur jeune enfant. De santé fragile, le vieux patron engage un secrétaire particulier qu'il installe à demeure afin de pouvoir travailler plus tranquillement. Evidemment, le secrétaire et la jeune épouse vont se côtoyer, se frôler, s'apprécier, s'aimer...
Ce triangle amoureux est filmé avec grâce par Patrice Leconte. Il ne manque aucun bouton de guêtre, aucune voilette, même pas une porcelaine de Saxe à cette reconstitution minutieuse de l'univers de cette grande bourgeoisie allemande. Si la toile de fond historique est juste esquissée, la réalisation s'attarde sur les trois protagonistes,cherchant à donner du signifiant au moindre regard, à chaque demi-sourire, à faire ressentir la passion ou la jalousie qui nouent les personnages. C'est pas mal fait, mais finalement pas vraiment passionnant. Entre le convenu des situations, assez prévisibles, qui s'écoulent lentement, sans l'ombre d'une fièvre et le couple pas vraiment assorti des deux acteurs principaux, le film peine à séduire. Richard Madden (issu de la fameuse série "Games of thrones") n'est guère convaincant en amoureux transit, son manque d'expression flagrant étant de ceux qui enlèvent pas mal de pouvoir de séduction. Rebecca Hall s'en sort beaucoup mieux, jonglant habilement entre bourgeoise hautaine et femme séduite. Je reconnais par contre que le fait que les deux acteurs soient  peu connus, du moins de ma part, apporte une certaine fraîcheur au film et une vague capacité d'identification. Malgré une image délicate, jouant sur les profondeurs de champ, cadrant les interprètes au plus près, " Une promesse" reste un film très académique et peut être trop fidèle à la nouvelle (sauf la fin plus rose...). A vouloir trop respecter cet univers, on a parfois l'impression que la reconstitution minutieuse nuit à sa portée. C'est joli, ça prend le temps de regarder les personnages vivre mais cela n'a pas plus d'intérêt qu'un bon téléfilm d'Arte.
A recommander pour les amoureux de Zweig bien sûr, mais aussi de Jane Austen et de tous les films en costume qui parlent d'amour et aussi pour ceux pour qui le cinéma c'est avant tout une jolie petite histoire romantique avec de belles images, propres à ne pas bousculer le spectateur.


lundi 14 avril 2014

Moderne Olympia de Catherine Meurisse


Chez Futuropolis on aime les partenariats avec les grands musées français. Après "Le chien qui louche" d'Etienne Davodeau en association avec le Louvre, voici "Moderne Olympia" de Catherine Meurisse patronné par le musée d'Orsay. Je vois bien le challenge qu'a du proposer l'éditeur à la créatrice du très réussi "Pont des Arts" chez Sarbacane : " Tu as carte blanche ma chérie, tu fais ce que tu veux, mais débrouille-toi pour que le max de tableaux du musée y figurent !"
Alors le cerveau créatif de Mme Meurisse a tourné à plein régime et en est sorti l'album le plus réjouissant de ce début d'année. Même chez Futuropolis ils n'en sont pas revenus puisqu'ils annoncent fièrement que c'est l'album plus drôle qu'ils n'aient jamais publié. Il va m'être difficile de dire le contraire. Visualisez Olympia, la créature dénudée peinte par Manet en 1863 et imaginez que c'est une starlette, une de ces nombreuses créatures qui souhaitent réussir dans la peinture, poser pour les plus grands peintres. Au départ, elle court le cachet faisant de la figuration dans un coin de tableau, comme cette porteuse de couscous dans "Le cheikh" de Chassériau, toujours dans l'ombre de Vénus, la star du moment, beauté insupportable mais vedette de toutes les toiles de l'époque. Mais un vent de nouveauté va souffler sur la peinture. Finis les tableaux grandioses reconstitués en intérieur, la mode est aux toiles peintes en extérieur comme "Impression, soleil levant" de Monet. Olympia tient-elle sa chance de passer au premier plan ? 
Sur un scénario décalqué sur "Chantons sous la pluie", assimilant la peinture de la fin du 19éme comme une sorte d'Hollywood des années 20 et dont l'arrivée de l'impressionnisme va bouleverser la donne, comme le parlant le fit avec le muet, Catherine Meurisse nous offre une histoire délirante et pourtant hautement pédagogique. Ou comment sous le couvert de l'absurde et avec un humour déjanté, nous raconter plusieurs décennies de peinture française. Et performance suprême, jamais fait en BD, son histoire est aussi une vraie comédie musicale, s'offrant le luxe de pasticher quelques moments cultes du cinéma chantant et dansant. ( avec cet élégant couplet : 
N'importe qu'elle actrice te le dira
Pour faire la une de Télérama
Sur ton CV souligne "forniqua".)
Bourré de gags (Ah le running gag avec le fifre !), irrévérencieux, avec un dessin qui fait songer parfois à Wolinski (et pas seulement parce qu'Olympia est nue de la première à la dernière page), "Moderne Olympia" est un album à la folie enthousiasmante, une oeuvre qui démontre que l'on peut apprendre des foules de choses en se gondolant de rire de page en page. Il m'a fait parfois penser à l'univers déjanté des meilleurs films de Bertrand Blier, celui qui s'amusait à démonter avec bonheur les codes des scénarios et de la narration. Sa lecture fut pour moi un bonheur total et devient mon premier coup de coeur BD de 2014 ! 






dimanche 13 avril 2014

Suneung de Shin Su-won


Bienvenue en Corée du Sud et surtout dans son infernal système scolaire qui broie les élèves et les pousse bien souvent au désespoir voire au suicide.
June, jeune lycéen pauvre mais brillant, intègre un de ces lycées d'excellence où règne la compétition et l'humiliation et qui préparent ses élèves au Suneung, leur bac local pourvu là-bas d'un statut à nul autre pareil. Si chez nous obtenir le bac suffit bien souvent au bonheur de nos lycéens (les pauvres crédules ), en Corée, il est l'occasion de classer les candidats. Aux meilleurs, les meilleures universités, les meilleurs emplois,...aux autres, le reste. Du coup, le pauvre June s'aperçoit que sans des cours à 700 euros l'unité que prennent les plus aisés mais aussi les plus brillants condisciples de sa classe, il ne pourra jamais intégrer l'université d'astronomie qu'il vise. Comme il est curieux, il va s'apercevoir qu'un groupe d'étude secret se réunit dans les caves de l'établissement et ont des agissements pour le moins dangereux mais dont le but est l'accession aux premières places.
Présenté ainsi, je donne l'impression que le film est assez linéaire et est quelque part une dénonciation de ce système ultra élitiste, alors que ce n'est pas vraiment le cas. Débutant par la découverte du corps d'un lycéen, le film va d'abord suivre l'enquête de police qu'il abandonne très vite pour s'intéresser au parcours (en flash back) de June et son implication dans ce meurtre ainsi qu'à une prise d'otages au suspens lourdement mené. La condamnation de cet élitisme, un soupçon immoral, reste seulement en toile de fond.

Le film pâtit un peu de cette construction dont le manque d'unité dans la réalisation rend le tout un peu bancal. Les scènes ultra réalistes du meurtre détonnent avec le reste du film assez plat et faussement créatif. Les nombreux plans du début, un peu vertigineux s'effacent très vite pour des cadrages plus ordinaires sans raison apparente.
Au final, le film laisse une impression mitigée de demi-réussite (j'aime voir le verre à moitié plein, plus qu'à moitié vide). On ne s'ennuie pas vraiment, mais on regarde tout ça sans être réellement passionné. On ressort du film en priant tout de même que les conseillers techniques du ministère de l'Education Nationale, devant nos résultats lamentables aux tests PISA, ne nous pondent pas une énième réforme inspirée de ce système, certes performant, mais terriblement angoissant (et au libéralisme poussé à l'extrême!).



samedi 12 avril 2014

Sans télé on ressent davantage le froid de Titiou Lecoq


Honnêtement, c'est sur un coup de blues que j'ai acheté le nouveau roman de Titiou Lecoq. Je voulais me détendre un peu, ne pas me plonger dans un drame libanais (c'est fou ce printemps ce qu'il a pu sortir comme romans se déroulant à Beyrouth!) ni passer un moment dans les tranchées de la guerre 14/18. Plutôt que de continuer à creuser le trou de la sécu à coup de Prozac (non,rassurez-vous, je n'en suis pas encore à ce stade) et comme j'ai encore la chance d'avoir un peu de liquide ( c'était Lecoq ou les Seychelles.... un rapide coup d'oeil sur mes comptes m'ont fait rapidement opter pour la première), j'ai donc succombé à l'achat de cette oeuvre. 
Force est de constater que l'effet fut souverain, j'ai passé un très agréable moment en compagnie de Titiou et de ses emmerdes (et quelques amours aussi). Pourtant, rien n'est original là dedans. Une trentenaire, la morve au nez parce qu'elle vient de se faire larguer, nous distille sa vie de débrouille, de coups foireux et de tracas ménagers. On a déjà lu ça cent fois. Nicole de Buron en faisait son beurre dans les années 70/80 (mais qui se souvient d'elle ? ), puis dans la foulée de Bridget Jones, tout le monde s'y est mis avec plutôt moins de bonheur (pour la littérature, pas pour le monde de l'édition qui a flairé le filon). Difficile donc de faire du neuf avec une recette vieille comme une chanson de Cookie Dingler. Et pourtant, j'ai marché. Il faut dire que Madame Lecoq (on ne dit plus mademoiselle...) a de l'abattage ! La plume plus qu'alerte, l'humour en bandoulière, la remarque qui fait mouche dix fois par page, on ne peut pas dire qu'elle ait lésiné sur la drôlerie. Ce qui fait la différence, c'est qu'elle a un vrai regard sur le monde qui l'entoure et des avis bien tranchés sur tout. Elle fonce dans le tas, gratte où ça fait mal, se moque de la bienséance et au final décrit le monde de ce siècle débutant aussi bien qu'un sociologue, l'humour en plus. Dans trente ans, on pourra se pencher sur "Sans télé on ressent davantage le froid" pour étudier ce qu'était une parisienne (un peu branchée je vous l'accorde) aux alentours des années 2010. On s'apercevra alors qu'elle est relativement libre malgré son manque d'argent dû à une conjoncture difficile, qu'elle baise d'abord et qu'elle drague ensuite quand le coït est à la hauteur de ses envies. Qu'elle aime autant les chats que les têtards.... ah oui, le têtard, c'est un bébé, mais n'est ce pas un peu pareil, ils arrivent tous les deux un peu par hasard. Que la maternité ne ressemble nullement à un livre de Mme Pernoud ( on le savait déjà sauf qu'ici le dézingage du soit disant plus beau moment de la vie est une totale réussite ). Que finalement la déferlante de films pornos sur le net n'a pas tant que ça changé le comportement sexuel des français ( que celle qui a fait un plan à trois avec deux mecs lève le doigt !... oui, Mme Lecoq n'hésite pas à explorer ce que d'autres consoeurs occultent pudiquement). 
Je sais bien que l'on me rétorquera que ce livre n'est pas vraiment un roman, qu'il ressemble parfois à une compilation de chroniques et alors ? J'ai ri, c'est le principal. Et contrairement à beaucoup de romans dits comiques (et je ne parle pas des films !) qui démarrent au quart de tour pour mieux nous appâter et nous abandonnent finalement au premier tiers, celui-ci ne fléchit jamais. C'est drôle de bout en bout, c'est tout ce que je demandais à ce livre qui n'avait pour but que de me faire passer un bon moment. Il y a réussi pleinement. Alors, que  Madame Lecoq en soit ici grandement remerciée !

vendredi 11 avril 2014

le 1

Ce printemps si avance et si agréable se voit doubler cette année d'une incroyable naissance. Mercredi, un nouvel hebdomadaire est sorti dans toutes les maisons de la presse de France ! A l'heure où la presse se meurt à petit feu, il existe encore quelques fous ou quelques financiers courageux pour oser lancer de l'information écrite sur du papier ! Ce magazine s'appelle " le 1 " et est conçu par deux anciens rédacteurs en chef du Monde.
Le concept est voulu original : inventer un journal comme il n'en existe aucun de par le monde dixit les concepteurs. Pour la forme c'est gagné, ça ne ressemble à aucun autre. C'est un magazine qui se déplie. Au départ, vous avez un format magazine normal sur 4 pages, vous dépliez et vous vous retrouvez avec deux pages format "Libération" pour vous dépliez encore et vous avez entre les mains deux autres pages d'un journal type grand quotidien ( "Le Maine Libre" dans ma région, "L'équipe" pour les sportifs) et si vous le laissez déplié vous avez une sorte de poster informatif et ultra chic qui, punaisé dans vos toilettes, sera du plus bel effet. Imaginez la surprise de vos invités quand ils verront cette semaine que vos commodités s'ornent de 3 belles photos de Raymond Depardon, entourées de textes signés Andreï Makine, Costa Gavras ou Angelin Preljocaj, répondant au titre : Ils ont rêvé la France. Classieux non ? Et pour peu que vos amis soient curieux, soit ils passent un long moment à lire oubliant les brillantes conversations de votre dîner, soit ils se précipitent chez leur marchand de journaux sitôt sortis, voulant eux aussi adopter cette irrésistible nouvelle tendance déco.
Mais "Le 1" n'est pas uniquement un objet design, c'est aussi, selon ses créateurs, un objet culturel. Pas un journal d'informations, un journal de questionnements. Chaque semaine, il posera une question et demandera à des pointures des sciences, de la philosophie, du monde culturel de donner leur éclairage. Le lecteur pourra ainsi grappiller son opinion à l'aune de ces grands esprits.
Ainsi la question est : La France fait-elle encore rêver ? Ont été convoqués à disserter J M G Le Clézio ou Tahar Ben Jelloun, auteurs de langue française mais dont les origines étrangères donnent à leurs propos une regard plus personnel. Alors j'ai lu, tous ces témoignages. Il n'en ressort rien de bien original. Il semblerait que dans le monde intellectuel, nous continuons de briller un petit peu, que notre pays offre encore aux étrangers des images de liberté propre à faire rêver. Mais courent quand même au fil des témoignages, des idées d'électrochocs pour notre société bien affaiblie...
Bien qu'aucun de ces témoignages ou avis ne m'ait littéralement emballé, emporté, enfiévré, il est évident que je continuerai à lire chaque semaine ce journal qui nous propose de nous faire réfléchir sans lourdeur. Je suis sûr que ce journal  trouvera sa vitesse de croisière, que son aura attirera de plus en plus de plumes pertinentes. La seule question qui reste en suspend : Y aura-t-il 30 000 personnes en France pour l'acheter régulièrement ( point de rentabilité) ? Si la France fait toujours rêver, alors rêvons qu'ils existent, ce serait une très bonne nouvelle.
Alors, pour 2.80 euros ne vous privez pas du  plaisir de la lecture d'un journal intelligent !

mardi 8 avril 2014

L'hexamètre de Quintilien d'Elisa Vix


"L'hexamètre de Quintilien" est un questionnaire employé par les journalistes pour cerner un événement. Qui ? Où ? Quoi ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? en sont les interrogations élémentaires. Je vais légèrement le détourner de sa fonction en l'utilisant pour vous parler de ce polar au titre étrange, paru chez "Rouergue noir".
QUI ? Cette question je l'applique à l'auteure, Elisa Vix. Je n'avais jamais rien lu d'elle malgré quelques polars déjà publiés et, pour certains, adaptés pour la télévision.
OU ? Le nouvel ouvrage d'Elisa Vix est planté dans un décor urbain, une petite résidence de quatre appartements, peut être en région parisienne ....mais, j'ai beau parcourir à nouveau le livre, j'avoue ne pas avoir enregistré ce détail (sans importance pour l'histoire).
QUOI ? Un horrible meurtre. Des éboueurs retrouvent par le plus grand des hasards un bébé de six mois dans un sac poubelle. Il a le visage atrocement déformé par des coups.
QUAND ? Un sale matin, sous le regard d'une jeune journaliste free lance recherchant à placer quelques articles pour renflouer son compte en banque et d'un médecin, veuf inconsolable, élevant seul un fils ado particulièrement ingrat.
COMMENT ? Yanis , le bébé de Leila, jeune mère célibataire, a été massacré avec un marteau, outil appartenant à Marco, un des habitants de l'immeuble, bogosse gérant un Apple store.
COMBIEN ? Difficile de répondre à cette question. Le nombre exact de coups de marteau n'est pas révélé mais, dans le roman, il n'y a qu'un meurtre.
POURQUOI ? C'est la grande question du livre. Lucie, la journaliste, va développer la thèse de la misère et de l'enfermement social dans un article qu'elle réussit à faire publier dans Libération et intitulé "Moi Lila K., infanticide. Cependant, la vérité est tout autre...
A cet hexamètre de Quintilien (c'est un pédagogue latin du premier siècle après J. C.), je rajoute la question du lecteur :
ALORS ? C'est comment ?
C'est agréable à lire bien que pas tout à fait noir. Gris dirai-je, car, après un départ plutôt glacial, l'enquête est vite expédiée et le roman prend des chemins de traverse, s'intéressant à la vie des personnages de l'immeuble, leurs rencontres, leurs échanges, leur vie. L'auteure les observe, nous dresse un petit portrait sympathique de gens s'adaptant à notre société de loisir et de plaisir, psychologise un peu pour mieux nous conduire insidieusement vers un coup de théâtre final.
Sélectionné comme finaliste pour le prix des maisons de la presse, "L'hexamètre de Quintilien" a tous les atouts pour l'emporter. Bien écrit, mais sans trop d'effets de manches stylistiques, un peu d'humour, des personnages attachants, flirtant quelque fois avec les clichés ( le veuf inconsolable au bord de craquer pour la jolie voisine, l'ado rebelle, le dragueur infâme, la flic moche et bourrue mais au grand coeur), on retrouve les ingrédients gagnants des précédents lauréats. Le récit est conçu comme un bon tourne-pages et ne faillit pas à sa tâche. Ce n'est pas le polar de l'année mais l'on passe un bon moment et c'est déjà ça comme disait Souchon...


dimanche 6 avril 2014

Rikiki terrible pirate des mers de Marianne Barcilon


Votre fille adorée, voire votre garçon, adore les histoires de pirate ? Elle devrait adorer celle-ci que nous propose Marianne Barcilon aux éditions Kaléidoscope.
Imaginez que Monsieur et Madame Pirate (Rikita fleur de Java et Cap'taine Grabuge) se reproduisent et donnent naissance à un bébé pirate, teigneux comme le veut la tradition et surtout aux cordes vocales surdimensionnées. Trouver une nourrice n'aurait pas été facile, si mamie Bouillabaisse, vraisemblablement en retraite de piraterie, n'en avait accepté la garde pendant que les parents sillonnent les mers. Mais bébé pirate a déjà le métier dans le sang et embarque subrepticement dans le bateau de ses géniteurs. Il veut les aider à récupérer la mouette pygmée aux oeufs d'or détenue par l'affreux Barbe Noire. Et il aura raison, sa voix perçante et sa petite taille auront raison du terrible pirate.
Dans le créneau qui plaît bien aux enfants : on a toujours besoin d'un plus petit que soi, "Rikiki" devrait enchanter toutes les filles et les garçons qui aiment les aventures. L'imagerie de la piraterie y est entièrement réunie dans de superbes et hilarantes  illustrations genre "parchemin pour carte au trésor". Rikiki est craquant et juste méchant comme il faut. Il est entouré de parents vraisemblablement issus du haut du panier des pirates, ce qui n'est pas le cas de l'équipage embarqué qui a la trogne patibulaire. C'est beau et drôle à la fois. En tant qu'adulte, l'histoire est un peu tirée par les cheveux mais je n'ai pas l'âge de la cible visée qui est atteinte en plein dans le mille.
Très bel album sur le thème de la piraterie et accessoirement des bienfaits d'un bébé hurleur. A offrir donc aux enfants épris d'aventures de flibustiers mais aussi  aux parents dont les nuits sont anéanties par les pleurs d'un bébé aux cris stridents. Cela leur démontrera que cela peut servir, surtout si l'on est aventuriers (bon, OK, pas sûr que cela serve beaucoup de nos jours, même aux pirates informatiques !).



jeudi 3 avril 2014

Le pain nu de Mohamed Choukri


Je connaissais de nom Mohamed Choukri mais, je l'avoue, rien de son oeuvre. Un ami, qui a été profondément marqué par " Le pain nu", me l'a chaudement conseillé sans me divulguer quoique ce soit. Par curiosité,  je me suis plongé dans ce livre culte (dixit la quatrième de couverture) sans aucun à priori, sauf peut être l'idée de découvrir une chef d'oeuvre.
Ce n'est pas un roman mais le récit autobiographique d'un enfant puis d'un adolescent pauvre dans le Maroc des années 40/50. Famine, exil, père ultra violent, délinquance, sexe, drogue, l'alcool, l'errance composent l'essentiel de la vie du jeune Mohamed. Le récit nous le présente au moment où son père tue son frère après une correction trop violente. S'en suivra une longue descente dans les bas fonds, alternance de rapines, de violence et de percées plus ensoleillées pour mieux retomber dans le chaos.
Cette jeunesse absolument terrifiante, dans ce texte brut peut, c'est certain, marquer les esprits. Tous les ingrédient y sont pour y éprouver répulsion, horreur, pitié. Cependant, même si j'ai lu avec attention ce récit, son intérêt n'est peut être pas du tout littéraire. Malgré une traduction de Tahar Ben Jelloun, dont j'ai cru percevoir l'empreinte notamment dans les scènes sexuelles, la description très factuelle des événements et des dialogues sans grand intérêt, ne m'ont pas permis de ressentir grand chose. Sans l'appui d'une vraie écriture, ces événements, aussi terribles soient-ils, n'ont guère eu d'impact sur moi. Ils m'ont paru n'être qu'une accumulation simple, sans véritable saveur et qui, mise en regard avec la multitude d'autres souvenirs de même type, pour certains plus littéraires, ne supportent pas vraiment la comparaison. Le plus marquant reste surement cette violence latente qui sourd  partout dans le livre, violence de ceux qui vivent dans le dénuement et qui ne possèdent que peu de mots pour l'exprimer.
L'intérêt de ce livre est, je pense, de le remettre dans son historicité. Paru en anglais dans les années 70 (avec une traduction de Paul Bowles, véritable sésame pour les branchés), puis au début des années 80 en français, son propos a du surprendre et évidemment choquer. La violence faite aux femmes et aux enfants au Maroc y est décrite sans détour, sans pudeur, sans jugement aussi, comme normale dans ces années 40/50. L'usage de la drogue, et dès le plus jeune âge, y est présentée comme banale et totalement libre. Et que dire de la description de la sexualité qui taraude le jeune héros ? Elle est présente partout dans le livre, mais très loin de la représentation cliché d'une ode au sensuel dans les vapeurs embrumées d'un quelconque hammam oriental. Ici, les hommes ne cherchent qu'à satisfaire leurs plaisirs rapidement, bestialement mais quelquefois amoureusement. Les femmes sont souvent dans ou au bord d'entrer au bordel ou tout du moins brûlantes de sensualité. Au milieu de la satisfaction de tous ces plaisirs, la religion arrive encore à se faire une petite place, mais avec pour seule fonction de continuer à perpétuer quelques traditions ancestrales parfois idiotes. On comprend donc pourquoi ce livre fut interdit jusqu'au début du 21ème siècle dans les pays du Maghreb, acquit ainsi un caractère sulfureux et donc une aura de livre culte.
Au regard de ce parcours, il est évident que "Le pain nu" est un livre qui a fait date, qui a marqué son époque par l'extrême trivialité de son propos et qu'il aurait peut être fallu que j'ai cela en tête au moment de ma lecture. Hélas, le style très pauvre de l'ensemble n'arrive pas, à mon avis, à transcender le propos et lui donner le caractère d'une véritable oeuvre littéraire. Reste un document édifiant sur la vie des pauvres au Maroc dans les années 50.
PS : Bien sûr, l'ami qui m'a conseillé ce livre a réagi. Lisez son avis dans les commentaires, ça lance le débat !



mardi 1 avril 2014

La petite foule de Christine Angot


Christine Angot est sortie de chez elle, s'est perdue dans la foule et a rencontré quelques uns de ses contemporains. Ne ruminant plus son inceste, laissant de côté ses amants célèbres ou procéduriers, elle a levé le nez pour observer ce qui se passe autour d'elle. Le résultat est cette "Petite foule", recueil de petites nouvelles, petites pastilles parfois, moments volés dans le quotidien de personnes croisées.
Le savoir-faire de Christine Angot saute aux yeux dès les premières pages. Elle sait écrire, et en très bonne écrivaine, plante un décor ou une atmosphère en deux ou trois lignes. Jouant subtilement avec l'universalité des situations proposées, son regard ne manque pas d'acuité, saisit les doutes et les failles des personnages décrits. J'ai tout d'abord été séduit par cette approche à la fois minimaliste mais aussi hyperréaliste, qui est, pour l'auteure, sa marque de fabrique. Les cent premières pages ont été dévorées avec gourmandise, comme on avale sans réfléchir tous les chocolats d'une boîte, les uns après les autres. Mais au bout d'un moment , j'ai été rassasié. Le livre a été un peu abandonné pour n'y revenir que pour grappiller, au gré de mon temps ou de mes envies, quelques uns de ces instantanés.
Malgré la virtuosité stylistique et de la précision du trait, l'intérêt a faibli sensiblement. Le propos a commencé à me sembler un peu vain, la faute essentiellement à l'absence de chute à ces petites scénettes qui, du coup glissent (bien) mais sans laisser de traces.
Quel est, au final, le projet de Christine Angot ? Donner une autre image d'elle même, plus sensible, moins froide, moins coupante ? Ou bien présenter le monde tel qu'il est, par petites touches pointillistes, esquissant ainsi un portrait de notre société un peu subjectif et donc incomplet ? Je pencherai personnellement pour une poursuite de son travail d'écrivaine entamé avec l'autofiction qui a fait sa notoriété, mais qu'elle élargit ici à l'humanité qu'elle croise. Et comme on a toujours du mal à fuir son milieu, même s'il y a des incursions dans le quotidien des gens simples, elle propose bon nombre de situations issues de groupes favorisés intellectuellement et culturellement. Le vécu de Christine Angot resurgit au détour d'un cocktail ou d'un dîner en ville (les vrais, ceux qui regroupent psys en vogue, acteurs, metteurs en scènes, écrivains, ...)
Au final, après avoir été emballé par les premières pages, le procédé de cette enfilade de petites nouvelles a fini par perdre de la saveur au fil de la lecture. C'est écrit avec précision comme toujours, mais l'intérêt faiblit par cette volonté manifeste de ne pas vouloir terminer de façon virtuose chaque portrait. "La petite foule" ne forme qu'un tableau bien esquissé mais manquant sérieusement de panache pour arriver à enthousiasmer le lecteur.