dimanche 29 décembre 2019

La vérité de Hirokazu Kore-Eda


On imagine sans mal que cette coproduction franco-nippone relève plus d'un deal entre producteurs que de l'oeuvre mûrement réfléchie. Un palmé de Cannes, deux stars françaises quasi internationales ( trois, si on ajoute Ethan Hawke) et voilà un film bankable ! Grâce à Juliette Binoche, qui a beaucoup donné pour la promo, on sait que Hirokazu Kore-Eda ne parle pas français et que tout le monde a été dirigé en recourant aux services d'un(e) interprète ( et peut être en anglais). Comme le film fut tourné dans  la langue de Molière, on peut penser que le réalisateur possède une oreille ultra sensible...
Le résultat n'est sans doute pas du même niveau que les précédents longs-métrages du maître japonais, mais possède une petite musique personnelle qui peut plaire. Son premier atout, indubitablement, est l'interprétation de Catherine Deneuve. Dans ce film automnal ( et peut être accentué par la récente maladie de l'actrice), la fiction créée à partir de la vie d'une comédienne  japonaise semble vraiment taillé pour elle, voire par elle tellement tout sonne vrai dans sa bouche, dans ses gestes, sa démarche. Là, Kore-Eda joue subtilement avec le spectateur tout comme avec l'image de la star. C'est un drôle de jeu de la vérité où le possible, le faux, le vrai se mêlent avec malice. Rien que pour ce portrait et Deneuve, le film mérite d'être vu. Face à elle, Juliette Binoche est très bien comme d'habitude, malgré un traitement plus terne de son personnage, Ethan Hawke est là... pour ...on ne sait pas bien pourquoi car il joue les potiches. Les seconds rôles sont attachants ( Alain Libolt surtout mais aussi Manon Clavel dont la voix grave pourrait faire fureur très vite) et donnent un peu de punch à un film un poil anémique, desservi par un scénario dont le thème  rappelle " Sonate d'automne "  de Bergman ....mais sans la violence. Ici, mère et fille se lancent des vacheries sur un mode très feutré, y répondent avec le sourire et sans s'énerver une seconde.  Très nippon sans doute, reposant par rapport à un cinéma qui mise souvent sur la violence mais qui déroute un peu. Autre petit reproche. Kore-Eda, sans doute bien occupé par son écoute attentive de nos deux stars féminines ( qui ont dû y mettre beaucoup de leur talent), a oublié de peaufiner sa réalisation qui ne brille pas beaucoup, passant parfois pour un petit film de télévision.
Au final, le film restera pour la performance d'une Catherine Deneuve que l'on n'avait pas vu aussi impeccable depuis longtemps ( ok elle est plus facilement crédible que quand elle joue un juge pour enfant ou une ouvrière)  jouant, gourmande,  avec son image. Sinon, pas grand chose de nouveau dans cette coproduction...






vendredi 27 décembre 2019

Le lac aux oies sauvages de Diao Yinan


Ne vous fiez au titre évoquant un lieu sans doute idyllique, mais au tour de ce lac aux oies sauvages s'agitent une faune qui ne ressemble en rien à de gentils vacanciers prenant le soleil au bord de l'eau. Certes on trouvera quelques "baigneuses" ( avec grand chapeau blanc) mais elles sont là pour donner quelques plaisirs moyennant quelques yuans ( mais sans avaler ). Et les yuans ont une certaine importance ici, puisqu'ils se comptent par cent mille pour celui qui permettra l'arrestation d'un certain Zhou Zenong, malfrat ayant eu le malheur d'abattre un policier local lors d'un affrontement avec une bande rivale. Et comme nous sommes en Chine, on ne badine pas avec la moindre rébellion surtout quand celle-ci s'est frottée avec les forces de l'ordre. Donc, autour de ces eaux ( assez sombres) vont se croiser policiers (très très nombreux), malfrats des deux gangs locaux et deux jeunes femmes aux visages impassibles mais sans doute aux desseins pas si clairs que ça.
La clarté n'existe pas ici. Le film joue uniquement avec la nuit ( qu'éclairent des néons ou des produits lumineux clinquants  produits à la chaîne ) et la noirceur des sentiments de tous les protagonistes. Visuellement parlant, chaque plan est d'une cinématographie époustouflante, cadré avec une grâce certaine. Même un plan banal de deux personnes sur une barque ou courant dans une ruelle montre un talent de composition évident. Mais le scénario, trop ténu, au rythme nonchalant, voire prévisible, n'est pas à la hauteur. Malgré la beauté de l'ensemble, on peut trouver le temps long, se perdre face aux différents  personnages. On appréciera toutefois les petites annotations discrètes sur une réalité sociale chinoise assez glaçante ou sur l'importance des smartphones ou les quelques légères allusions à un cinéma populaire ( film de baston, de sabre) voire à Wong Kar Wai pour l'indolence et la précision.
Alors, si une belle balade policière bien sombre vous tente, si l'aspect plastique est plus important que l'action ou l'intrigue, ce "lac aux oies sauvages" vous plaira. Les amateurs d'action ou d'intrigues bien fichues resteront sur leur faim... ( de toute façon, l'oie sauvage, une fois cuite, c'est vraiment dur ! ) .


lundi 23 décembre 2019

Issue de secours de Fabienne Pascaud et Jean-Michel Ribes



Jean-Michel Ribes dirige le théâtre du Rond-Point à Paris depuis 2002.
Dans le théâtre du Rond-Point, il y a une jolie librairie Actes Sud.
Depuis quelques années, Fabienne Pascaud, directrice de la rédaction de Télérama, interview sur la scène du théâtre du Rond-Point les acteurs culturels du moment.
Cet automne paraît un beau livre de Fabienne Pascaud ( pour le texte) et de Jean-Michel Ribes édité chez Actes Sud...
Copinage ?  Compagnonnage ? Réseau amical ? Un peu de tout cela ( mais pas que...) nous permet donc de parcourir un demi-siècle du parcours inventif, drôle, irrévérencieux et iconoclaste du créateur ( entre autre) des " Fraises musclées", de " Palace" ou des "Brèves de comptoir". 
L'homme force la sympathie car créatif, mordant et libre. Le texte de la tintinnabulante Fabienne Pascaud ( il faut la voir, l'entendre, interviewer avec ses kilos de bracelets dorés autour de ses avant-bras...) déroule un tapis de louanges et de sympathie au metteur en scène. Il n'y a que la partie cinématographique qui échappe un peu aux dithyrambes d'un texte réellement admiratif ( difficile de faire autrement à part " Musée haut, Musée bas"). Le plus important reste évidemment la carrière théâtrale de Jean Michel Ribes ( celle de ses incursions à la télévision est également loin d'être négligeable) et le livre égrène un à un les spectacles qu'il a écrits, créés ou mis en scène, avec photos, petits textes et saillies de l'auteur ( verbales, je vous rassure). Les passionnés de l'artiste parcourront ces pages avec nostalgie et émotion, voyant surgir des ac-trices-teurs aimés, fidèles à l'homme de théâtre ( de Tonie Marshall à Chantal Neuwirth, de Roland Blanche à Ged Marlon). Ceux qui n'ont pas eu la chance de découvrir les spectacles s'accrocheront plus aux souvenirs qu'ils gardent de " Merci Bernard" ou de "Palace". 
Ce bel album, presque de famille, permet de (re)découvrir l'homme qui a consacré sa vie au théâtre contemporain ( Le Rond Point ne présente que des pièces d'auteurs vivants) mais aussi, un homme d'esprit dont les réparties sont un régal.  Elles sont innombrables dans le livre ( et pas que de Jean-Michel Ribes) et rendent la lecture fort ludique . Par exemple, face à des catholiques intégristes, venus crier au blasphème devant le théâtre ( et même menacer de mort !) à cause d'un spectacle de l'hispano-argentin Rodrigo Garcia, il leur rétorque : " Je ne vous empêche pas de croire, alors ne nous empêchez pas de penser!". Mais il était aussi capable de remarques plus artistiques : " Est-ce que les arbres étaient beaux avant que Corot les ait peints?"  ou définissant bien ses intentions :" Les gens se dérangent pour venir au théâtre, la moindre des choses c'est qu'on les dérange à notre tour.".
Au final, même si le texte évite l'intime et braque les projecteurs sur l'homme de spectacle, le directeur de troupe et de théâtre, l'écrivain, le créateur et l'humoriste cherchant toujours une issue de secours à ses angoisses, on ne peut qu'éprouver un réel sentiment d'admiration face à ce parcours hors norme. Ce bel album, qui s'adresse surtout aux passionnés de théâtre, apparaît comme un hommage vibrant et communicatif.
Merci aux éditions Actes Sud et à BABELIO pour la découverte de ce bel ouvrage. 

samedi 21 décembre 2019

The Lighthouse de Robert Eggers


On dit le cinéma américain, même l'indépendant, totalement formaté...pourtant, il existe une zone peuplée d'irréductibles réalisateurs qui résistent encore et toujours à l'uniformité. Cet espace de production se repère sous le sigle A24. Il regroupe quelques cinéastes qui proposent des longs-métrages assez barrés, ayant souvent bien assimilés les codes de l'horreur ou du fantastique pour mieux les détourner et les intégrer dans des fictions franchement originales. Ils se nomment Davis Robert Mitchell ( "Its Follows", "Under the Silver Lake"), Ari Aster ( et sa formidable deuxième proposition "Midsommar") ou Robert Eggers dont le second film, "The Lighthouse"  sort cette semaine sur les écrans. 
Sans doute plus hermétique que les numéros deux des ses confrères cités plus hauts, " The Lighthouse" n'en reste pas moins l'objet cinématographique le plus original que l'on puisse voir en ce moment. Dans un noir et blanc rappelant le naturalisme allemand d'un Murnau, à la fois sombre et charbonneux et dans un petit format coinçant, étouffant, les personnages comme dans un piège, le film, dont l'histoire se résume à l'affrontement de deux hommes alcoolisés bloqués dans un phare en pleine tempête, explore les zones d'ombres de cerveaux  qui sombrent dans la folie. Le récit essaie de jouer la carte du trouble, autant sexuel ( le phare comme symbole phallique, Robert Pattinson comme objet sensuel) que  scénaristique ( on se sait jamais trop si c'est un rêve, une réalité, les sensations déformées des personnages). Evidemment, on peut se sentir perdu, laissé au creux des rochers ( inconfortables car balayés par les assauts d'une terrible tempête), crispé par une bande musicale entre grincements et sirènes de bateau ou terrassé d'ennui par cet ouragan de symboles, de folie furieuse, de violence verbale ou physique mais le film possède deux atouts majeurs qui le sortent du lot. Les performances des deux acteurs sont impressionnantes, surtout celle de Robert Pattinson, incroyablement dément, perdu, bouillonnant d'une colère rentrée mais aussi la mise en scène, en images, nous offre des plans d'une beauté saisissante, transformant la violence ambiante en des tableaux à la poésie noire et dérangeante. Ne manquez pas, à la toute fin, deux plans sidérants de Bob Pattinson : l'un n'a rien à envier au "Cri" de Munch et l'autre que l'on pourrait appeler " Nu aux mouettes" ... Je dis "ne manquez pas", car, il faut l'avouer, ce séjour dans ce phare n'est ni une partie de plaisir, ni complètement réussi, ni totalement passionnant d'un point de vue narratif et peut engendrer l'ennui voire le sommeil ( oui, oui, malgré la fureur étalée à l'écran). Il faut juste le considérer comme l'oeuvre d'un artiste contemporain, aux visions particulières, qui réussit à créer un univers un peu hermétique à la beauté étrange mais qui offre des moments qui s'impriment à jamais dans le cerveau du spectateur. Et rien que pour ça, l'expérience peut se tenter. 




jeudi 19 décembre 2019

Manuel d'éducation punk /La magie de Noël de Miriam et Ezra Elia


Les fêtes de fin d'année approchent et il vous tarde qu'elles soient passées. Pourtant, il vous faudra bien sacrifier à quelques rites consuméristes ou religieux, tout le monde se sentant obligé de  participer à ce déluge de cadeaux, repas, décorations lumineuses et scintillantes et de fausse bienveillance pour célébrer ce non moins factice "Esprit de Noël". Sauf à avoir une réelle misanthropie, il est bien difficile d'échapper à cette tradition...
Pour mettre un grain de poivre à votre Noël, voici le livre idéal qui vous donnera un réel plaisir d'offrir et, selon à qui il sera destiné, une joie certaine de recevoir...heu ... peut être pas... Une chose est sûre, il s'intégrera sans mal aux conversations autour de la dinde entre Roman Polanski et la réforme des retraites, soit parce qu'il fera vraiment sourire et rire, soit parce qu'il scandalisera... Avouez que les deux options sont aguichantes ... non ?
Avant de vous précipiter dans une bonne librairie ( Attention, il peut être difficile à trouver ...), de quoi s'agit-il au juste ? Le livre se présente comme une méthode pour apprendre à lire ...donc destinée aux enfants... Pour vous donner une idée de la méthode, regardons la première double page.


Sur la page de droite, une jolie illustration très vintage, avec une maman souriante et ses deux enfants, un garçon et une fille qui lui donnent la main. Ils sont dans une rue enneigée et semblent aller faire du lèche-vitrine. Sur la page de gauche, une phrase, simple ( normal pour débuter) : " C'est Noël et nous sortons acheter des cadeaux". Banal me direz-vous, où est l'humour ? Patience ...  Arrêtons-nous toutefois sur cette première phrase qui grince quand même un peu. On sent que derrière le sourire de façade de cette maman se cache une progressiste qui refuse de faire croire au Père-Noël, sinon elle ferait ses achats toute seule... Là où ça se corse un peu, c'est en bas de page ( on voit mal sur la photo). Ca s'intitule : "nouveaux mots" ( donc le résumé de cette première leçon) et dessous on lit : crédit débit manie. Sentez-vous le sale esprit de Noël qui vient ? Le reste, je vous le laisse découvrir mais sachez que ça dézingue fortement. La mère est une révolutionnaire qui lit Naomie Klein, un peu bobo,  pleine de bonnes intentions ...qu'elle ne tient pas vraiment. Le Père-Noël est le prototype du mec libéral américain. Bible en main, il a ubérisé ses rennes et "diversifie son image pour mieux pour toucher une clientèle plus durable".... Humour ultra décapant qui déconstruit sérieusement le mythe des fêtes de Noël. C'est tout simplement réjouissant car, derrière l'humour et la dérision, se cache des abîmes de réflexions.
Ce petit livre, format poche, est le quatrième d'une série débutée en 2018 ( chez nous) mais en 2014 en Angleterre son pays d'origine. On pourra regretter le titre français, un peu lourdingue ( le mot punk, démodé désormais, s'allie mal avec le contenu et peut faire fuir) alors que l'édition originale joue la sobriété ( "We do Christmas"). Mais, avec un prix de 8 euros, voilà le cadeau idéal et économique pour un iconoclaste qui subit cette sirupeuse tradition de Noël.
Et pour le plaisir une autre photo...



mercredi 18 décembre 2019

Notre dame de Valérie Donzelli


Les amoureux de la cathédrale iront verser sans doute une larmichette nostalgique devant ce film qui a eu la chance pouvoir être tourné juste avant l'incendie. Ils s'y reconnaîtront peut être à un moment donné .... défendant l'intégrité historique du lieu face à l'outrecuidance d'une architecte moderniste.
Mais rassurez-vous, "Notre Dame" a le bon goût de ne pas tomber dans l'ampoulé ou le grandiloquent ...c'est même tout le contraire. Valérie Donzelli essaie de continuer à entretenir ce qui a pu faire son charme à ses débuts, cet esprit potache, un peu pied-de-nez mais empreint de poésie. Alors, elle s'autorise un peu tout, du rebondissement merveilleux aux acteurs qui poussent la chansonnette, une scène en 2D numérique à un arrière plan en proie aux dérèglements climatiques. L'histoire reste sympathique mais manque sérieusement de mordant. Certes on y trouve quelques clins d'oeil politiques mais toujours sur un mode gentil qui parfois frise ou le cliché ou l'optimisme facile. Le film se regarde avec plaisir, on s'y sent bien pour peu que l'on soit réceptif aux tentatives de sortir de la comédie formatée habituelle. On se laisse aller au jeu, porté par une bande de comédiens épatants ( Thomas Scimeca et Claude Perron en tête, cette dernière dans un numéro formidable d'avocate dingue) qui volent parfois la vedette à Valérie Donzelli, gentille mais un peu terne. On voit bien qu'elle a envie de donner une aura à son personnage un brin lunaire, mais il ne suffit pas d'une expression douce et de la même robe écossaise, pour créer un vrai personnage ... 
Si l'envie de revoir Notre dame entière, si la poésie et un peu d'absurde ne vous rebutent pas, si vous avez envie de supporter un cinéma qui tente l'originalité, "Notre Dame" est pour vous, pas un chef d'oeuvre mais un petit ovni, sans doute plus original que "Star wars", devant lequel on ne se sent pas si mal ! C'est déjà ça. 


lundi 16 décembre 2019

L'oeil du paon de Lilia Hassaine


La rentrée "Premier roman" de chez Gallimard, après le moyennement réussi Joffrine Donnadieu, persiste dans les récits bancals.
"L'oeil du paon", de la désormais chroniqueuse médiatique de l'émission "Quotidien", ne manque pourtant pas d'ambitions. Débutant dans une île de l'Adriatique, avec un père, Adonis, une fille, Héra et Titus, un paon, il lorgne vers la mythologie grecque et se dirige vers la tragédie, puisque le paon meurt dès les premières pages. Mais nous sommes au 21 ème siècle et Héra sera envoyée par son père découvrir le monde à Paris. Le récit initiatique s'engage... deuxième ambition, ici mâtinée d'une sorte de suspens psychologique puisque la jeune ( et forcément belle) Héra vivra chez une tante très froide, shootée au Lexomil et dont le mari est souvent absent.  Heureusement , le petit garçon du couple, Hugo ( comme Victor sans doute puisque le livre cherche à jouer les références...même si ici le clin d'oeil n'est pas certain) se prendra d'affection pour sa cousine. Mais le suspens psy fait long feu pour finalement s'intéresser à l'entrée de l'héroïne dans le monde de la jeunesse parisienne, toujours noctambule. A la suite de Gabriel ( l'instit d'Hugo), un véritable ange .... un peu ambigu quand même... Héra découvrira le monde dont le secret du mari de sa cousine qui la scandalisera beaucoup ( un rebondissement mal amené et encore plus mal utilisé), premier élément du thème de la deuxième moitié du roman : l'envers des apparences.
Certes tout cela est ambitieux mais assez mal construit et surtout écrit platement. Nous sommes plus près du gnangan d'Agnés Martin-Lugand que de l'intelligence d'une Annie Ernaux ou, plus proche générationnellement de l'auteure, d'une Leïla Slimani. Les clichés abondent, les rebondissements inattendus n'estomaquent que l'auteure car amenés dans grâce et, pour retomber sur ses pieds, brode un final tragique qui nous indiffère.
Parler des apparences, sujet actuel ô combien pertinent,  montrer les zones grises de chacun,  pouvaient faire un beau et bon roman. Hélas, les personnages restent trop stéréotypés pour être attachants ou nous surprendre, et au final indiffèrent... comme le roman d'ailleurs qui manque vraiment de verve et de profondeur. 

vendredi 13 décembre 2019

La vie invisible d'Euridice Gusmào de Karim Aïnouz


(Très beau) mélo pour Noël.

Le mélo est un genre qui se fait relativement rare sur les écrans, l'industrie cinématographique gagne plus avec de  l'évasion dans les bras de superhéros ( made in USA) ou du divertissement censé amuser ( comédies made in France). Le genre mélo a un peu vieilli, les larmes ne sont plus à la mode! Et voici que surgit, venu de très loin ( le Brésil) un mélo imparable et très réussi. 
"La vie invisible d'Euridice Gusmào" possède tous les codes du genre : des destins brisés ( ici de deux soeurs fusionnelles), des héroïnes qui subissent, des histoires d'amour malheureuses et surtout un final qui force les mouchoirs à sortir de la poche, la salle reniflant et sanglotant de conserve. Cependant, un mélo avec toute la panoplie des élément à émouvoir, ne fait pas nécessairement un bon film. Force est de reconnaître qu'ici, Karim Aïnouz, le réalisateur, déjoue avec subtilité les pièges du récit larmoyant en y instillant un réel discours sur le sort de la femme ( ici des années 50) face au patriarcat dominant. Que ce soit au Brésil ou ailleurs, la femme se soumettait à l'autorité du père puis du mari, gare à celles qui sortaient de ce schéma ( à l'instar de Guida...même si Euridice, bien dans le rang, morfle aussi, devenue invisible parce que cantonnée au foyer)! Le film donne à voir des moments que la jeune génération n'a pas dû connaître. Du viol marital lors de la nuit de noces au rideau de fer qui tombait devant les femmes lorsque un (mal) heureux événement était annoncé, tout est relaté avec force et finesse. Et grâce à son côté naturaliste très travaillé ( autant par l'image que par la bande son jouant sur l'amplification de certains bruits), le cinéaste ose beaucoup de choses ( des scènes de sexe assez crues), n'hésite pas à nous montrer un pénis en érection ou l'importance du bidet ( C'est quoi ça ? interroge la jeunesse)  dans la vie des femmes. Le récit aurait pu sombrer dans les clichés les plus niais, alors qu'il devient au fur et à mesure qu'il avance, subtilement politique tant il nous renvoie au Brésil d'aujourd'hui en proie à ces deux catastrophes que sont le gouvernement populiste de Bolsonaro épris du conservatisme le plus rance, plaidant un retour du patriarcat, aidé par les évangélistes dont le but principal est le gain. Si ce n'est quelques ralentis un peu too-much, le récit prend le temps de nous faire aimer ces héroïnes pour mieux nous amener à un final très émouvant dont la simplicité de la mise en scène se révèle diablement efficace pour faire jaillir les larmes. 
Alors, en décembre, plutôt que les engins spatiaux d'une énième resucée de quelques guerres des étoiles, plutôt qu'une reine des neiges mièvre à pleurer, choisissez une escale au Brésil ( A  Rio, elle aussi filmée loin des clichés) et les belles émotions d'un très joli mélo ...genre dont on dit qu'il refleurit en temps de crise... Comme nous sommes en crise, on risque d'en voir déferler beaucoup... Pourvu qu'ils soient tous de cette trempe là ! 



mardi 10 décembre 2019

Giono, furioso de Emmanuelle Lambert


A l'aube du cinquantième anniversaire de sa mort, Jean Giono, revient en force, pointant le nez d'un purgatoire littéraire dans lequel on le laissait un peu croupir. Le MUCEM de Marseille le célèbre avec une grande exposition  et sa commissaire, Emmanuelle Lambert, se voit décerner le Fémina 2019 du meilleur essai, pour son flamboyant ouvrage sur celui qui pâtit de l'image un peu fausse d'un écrivain provençal à la Pagnol.  
Se plonger dans "Giono, furioso", même si on ne connaît que peu l'auteur du " Hussard sur le toit" , c'est ressentir le mistral des mots qu'une auteure totalement inspirée, emportée par son admiration  vous offre avec passion. Et même si vous n'avez jamais posé vos yeux sur un roman de Giono, il serait étonnant qu'une fois cet essai refermé vous ne fonciez vous plonger dans "Un roi sans divertissement" ou "Un de Beaumugne", tellement la fougue et l'intense envie de partage qui émane du livre est communicative. Il faut dire qu'Emmanuelle Lambert, en plus d'être totalement passionnée par son sujet, envoie valser les conventions du genre. Son livre est un essai mais métissé d'une biographie et de tout un tas de considérations personnelles, parfois autour de l'air du temps qui donnent à un sujet que l'on aurait pu penser très académique, une légèreté formidable. Elle fouille les archives, lit tout ( et quand on voit la quantité des écrits, c'est une performance), interroge les  descendants, interpelle Giono, le sermonne, interprète sa production, glisse des anecdotes, se confronte à son passé ( autant l'enfance que la zone grise de l'occupation), à l'aigreur de son journal, ausculte sa sexualité...et de pages en pages nous le rend de plus en plus vivant, de plus en plus complexe, de plus en plus intéressant. Elle interroge aussi l'image qu'il véhicule, nous parle de celle qu'elle avait de lui avant qu'elle ne soit plongée dans la préparation de l'exposition et de ce livre... et nous engage à nous poser cette même question : "Et pour vous, c'est quoi Giono ? ". 
Oui, pour moi, c'est quoi Giono ? La question est intéressante, car , j'ai eu, jusqu'à peu, une image assez banale de cet auteur. Tout d'abord, je n'avais jamais lu Giono ! Au lycée, aucun prof ne me l'avait présenté ( pas même un extrait du Lagarde et Michard de l'époque) et ensuite, il fut victime des adaptations cinématographiques Pagnolesques, le rangeant dans mon esprit pour un écrivain provençal très académique ( comme le fut Pagnol). Et puis, les hasards de la vie font que l'ami de ma fille cadette se mette à écrire un mémoire sur Giono... Evidemment, ne l'ayant jamais lu, et pour pouvoir entretenir d'intéressantes conversations, j'ai, cet été, sur son conseil, ouvert " Un roi sans divertissement". Et donc, une après-midi d'août, sur une plage girondine, j'ai ouvert ce Folio qui m'a littéralement scotché sur le sable ! Oubliés l'Atlantique, les vagues et les touristes allemands jouant aux raquettes, j'ai été transporté dans un village perdu quelque part en Isère... Quel style, quel regard sur les hommes et surtout quelle modernité dans la construction et l'écriture ! Un choc, une découverte, qui fait pâlir la plupart de nos écrivains contemporains ! Voilà, j'avais ( mieux vaut tard que jamais ) rencontré un des grands auteurs français !
Et pour revenir à l'essai d'Emmanuelle Lambert, il est certain qu'il saura vous (re)conduire direct vers les ouvrages de Giono, car sa force de conviction, celle émanant d'une amoureuse et d'une passionnée qui sait être simple mais poétique, enflammée et littéraire, est hautement communicative. Les dames du Fémina ont décidément très bon goût ! 

lundi 9 décembre 2019

Merry Queermas

Il est fini le temps des chanteurs à minettes qui, en secret,  préféraient les minets. Je parle là d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, ni les moins de trente et quarante ans puisque mon esprit se rappelle les joyeuses années soixante-dix où des jeunes filles se pâmaient en écoutant Dave ou Patrick Juvet. Le commerce de la musique, libre à l'intérieur, restait nettement moins transparent niveau sexualité affirmée. Un demi-siècle plus tard, les choses ont enfin évolué et chanteurs et chanteuses parlent (pour la plupart) de leur sexualité. Ainsi, cette semaine, Hoshi, dont la marinière avait cartonné l'an dernier, nous fait un coming-out des plus militants avec ce titre ( bien dans la lignée de ses précédents), " Amour censure ( amour sincère)". Bien écrit, courageux, on espère pour elle qu'il rencontrera le même succès que son Tshirt rayé !


Cet esprit d'ouverture, cette transparence, à l'abord d'une nouvelle décennie, semble vraiment de mise dans cette nouvelle génération de chanteur(se)s. Prenons, Mélodie Lauret, comédienne mais désormais chanteuse, dont le premier EP " 23h28" vient de paraître. Sur le titre de l'album, elle nous offre un clip sans équivoque, histoire d'amour entre filles, slamée d'une jolie façon. 



Moins flagrant, mais tout aussi explicite, la chanteuse Billie Bird, avec sa belle voix grave ( quelques singles et un EP paru en 2018) nous offre cette semaine  aussi une très jolie reprise de "Sans contrefaçon" de la reine française du trouble sexuel, dont le clip se situe dans un karakoé à l'ambiance résolument queer. 


Le courage de la vérité ne serait-il que l'apanage des filles, que l'on sait plus courageuses au final ? Peut être... Mais, quelques garçons, à l'instar Emmanuel Moire ou de Bilal  Hassani il y a quelques mois, osent afficher leurs préférences...parfois de façon un peu outrée ( façon cage aux folles branchée) comme Igor Dewe, dont le nouveau titre " Using my body", explicite mais résolument  dansant, joue à fond la carte gay. 



Pierre Lapointe a toujours écrit des textes assez explicites quant à ses choix amoureux, mais jusqu'à présent, ses clips restaient assez sages. Cette semaine, il publie un clip franchement libéré de tout complexe sur le titre le plus dansant de son dernier album "Le monarque des Indes", chanson dont on sent bien la patte d'Albin de La Simone qui l'a produite... et comme d'habitude une merveille d'écriture et de composition ! 



Et pour terminer, parce que c'est Noël bientôt, Katy Perry ! Sympathisante gay, elle affirme très joliment son hétérosexualité ( il en faut aussi) en draguant ouvertement un Père-Noël dans son très coloré clip ( on sent qu'elle a les moyens elle !) qui vient d'être lancé sur le net ( on frisera sans doute le milliard de vues!) sur une chanson publiée l'an passé ( mais exclusivement sur Amazon) :"Cozy Little Chritsmas".




   

samedi 7 décembre 2019

It must be heaven de Elia Suleiman


Drôle de guerre

" It must be heaven",  film produit par une floppée de pays ( Qatar, Allemagne, Turquie, Canada, Palestine et, bien entendu, la France ) n'en demeure pas moins un film palestinien de part la nationalité de son réalisateur Elia Suleiman. Par contre, son regard si singulier, son sens de l'absurde ne sont peut être pas issus de quelques poétiques locales mais sans doute d'un esprit original qui confine à l'universel. 
C'est vrai que lorsque l'on parle de Palestine, on pense conflit, pays en guerre, comme le dit d'ailleurs un producteur rencontré au cours du film par le héros qui n'est autre que le réalisateur. Comme le scénario proposé n'est pas assez ancré dans cette réalité guerrière, il le refuse : pas assez vendeur !
Pourtant, sans l'ombre d'une violence ( sauf sous-jacente), avec une poésie infinie proche de l'absurde parfois, le film au final ne parle que de ça....de la guerre... En Palestine sous les traits d'un supposé voisin qui envahit le jardin du réalisateur... alors que si les militaires font leur boulot, c'est avec des envies autrement plus futiles. Puis, ailleurs, à Paris, musée dépeuplé mais envahi d'engins militaires ou de personnes en uniformes, on défile de façon martiale que ce soit sur les Champs Elysées ou sur les podiums de la fashion-week. Même dans des lieux plus calmes comme le jardin du Luxembourg, les chaises mises à disposition pourraient bien finir par devenir des prétextes de conflit. Ne parlons pas de New-York et de sa population armée et de ses policiers traquant un ange... 
Mais ce qui fait la force du film et sa très grande originalité, c'est sa mise en scène à nulle autre pareille. Elia Suleiman compose à l'écran un promeneur solitaire et observateur du monde. Il occupe  le centre de l'écran, dans une image au cadre précis et géométrique. Clown chapeauté aux mimiques minimes, il nous donne à regarder comme rarement. On se laisse aller à sa poésie, à sa drôlerie tendre mais non exempte d'une cruauté que l'on pourrait étrangement qualifier de douce. Son cinéma prend le temps de l'observation, surprend à chaque scène, impose ludiquement la réflexion, bien mieux que mille exposés ardus, prouve que parfois la guerre inspire la poésie. Et quand il revient chez lui, à Nazareth, face à cette jeunesse qui danse, est-ce de l'insouciance, un avenir auquel on peut espérer ou une façon d'évacuer la guerre ? On reste sur cette interrogation. 
Par contre, s'il y a une interrogation que l'on n'aura pas, c'est certainement celle que l'on tient là le film le plus doux, le plus original, le plus réussi de ce mois et qu'il est indispensable de voir. Quel plaisir de rencontrer un  créateur original, accessible ! 
PS : Pourquoi avoir gardé le titre en anglais ? C'était joli aussi en français : " Ca doit être le paradis"...






vendredi 6 décembre 2019

Made in Bangladesh de Rubaiyat Hossain


Bon pour l'empreinte carbone.

La France se targue d'être un des seuls pays au monde où l'accès à des cinématographies rares ou peu diffusées reste accessible au plus grand nombre. Cette affirmation est vraie en très grande partie. Ainsi, cette semaine pour peu que vous habitiez dans ou à proximité d'une ville française un peu importante, le bon cinéma d'art et essai du coin vous propose un film de Bangladesh, occasion rare de se payer un petit voyage d'une heure et demie à peu de frais ( c'est bon pour l'empreinte carbone et le compte en banque). De plus, s'intéresser à un récit sur le combat d'une femme contre une de ces abominables usines de textile de sinistre réputation, donne un net supplément d'âme militant. Donc " Made in Bangladesh", avec son dépaysement plein de belle et bonne conscience est la parfaite alternative à votre sortie cinéma de la semaine ( vous faisant snober avec raison l'épouvantable et vieillissant duo Bruel/Lucchini qui lorgne sur votre CB avec une insistance trop lourde pour être réellement honnête). 
Mais, le combat fort sympathique de cette jeune femme en voie de libération, future syndicaliste,  emporte-t-il pour autant une totale adhésion ? Tout d'abord, et désolé de casser le mythe de l'exotisme, mais le film n'est pas un pur produit bengali. En grande partie produit, écrit par la France ( avec une petite aide du Danemark et du Portugal), "Made in Bangladesh" reste le fruit d'une coproduction en très grande partie française ( qui, il faut l'avouer produit partout dans le monde...)  Reste toutefois la réalisatrice et les comédiens, vraiment du cru, tous portés par une histoire vraie ( le personnage dont on nous raconte le combat). Bien sûr nous plongerons dans un mode de vie vraiment bengali, avec ses croyances, ses rapports humains bien locaux et surtout les couleurs des vêtements chatoyants qui ensoleillent un quotidien pourtant bien sombre. De ce côté là, le voyage vaut vraiment le coup. Sinon, hélas, le film souffre d'un scénario prévisible, un peu sage qu'une réalisation tout aussi sage n'illustre qu'assez platement. Mais, un combat reste un combat pour nous occidentaux en recherche de sens, et le film fonctionne bien sur le public ( le festival d'Amiens lui a donné son prix le mois dernier), alors pourquoi se priver de ce voyage qui respecte la planète, même si on appréciera plus l'exotisme qu'un cinéma un peu planplan? 




mercredi 27 novembre 2019

Gloria Mundi de Robert Guédiguian


Le film a beau démarrer sur de belles images de la naissance d'un bébé ( la Gloria du titre), la suite prouvera que l'endroit et l'époque où l'on naît, s'il ne présage heureusement pas de l'avenir, risque d'être sérieusement déterminant. 
Le milieu chez Guédiguian, c'est toujours ce monde ouvrier, qui, depuis plus d'un quart de siècle qu'il l'ausculte, se trouve réellement changé à l'heure du macronisme. Les anciens, toujours actifs, renoncent peu à peu au combat ( à l'image du personnage de plus en plus désespéré de Sylvia, joué par Ariane Ascaride), les jeunes, eux, ont intégré le libéralisme le plus dur, soit en exploitant sans vergogne plus pauvre qu'eux, soit en sachant pertinent que le système ne les admet que dans une  marge bien entendu taillable et corvéable à merci (travaille pour des clopinettes, de façon précaire ou ubérisée et tais-toi !). Le constant est plus qu'amer, cinglant. Dès lors, le film se joue sur le mode de la tragédie et prend le spectateur aux tripes. 
Ce qui est fort dans le cinéma de Robert Guédiguian, encore une fois situé à Marseille mais dans des quartiers en proie à la modernisation ( de l'Estaque, lieu emblématique de beaucoup de ses films, on ne verra que le bandeau de direction d'un bus), c'est sans doute cette façon de distiller de l'émotion avec trois fois rien, des dialogues de tous les jours, des situations simplissimes mais tellement parlantes. Et si l'ancienne génération, digne, sobre, génère des larmes empreintes de nostalgie, l'actuelle sombre dans une violence aussi physique que structurelle, se cognant pour certains à un monde pour longtemps sans pitié. Le constat à l'écran fait aussi froid dans le dos que celui dressé il y a quelques semaines par Ken Loach ( "Sorry, we missed you"). Mais contrairement au réalisateur anglais, Robert Guédiguian choisit une narration plus romanesque, dont la musique ( notamment la magnifique " Pavane pour une infante défunte"  de Maurice Ravel) souligne et transporte cette histoire vers une tragédie qui ne permet plus que de porter l'espoir sur Gloria, le bébé du début, espoir qui apparaît bien fragile...
"Gloria Mundi " ( qui signifie : ainsi passe la gloire du monde...), film au réalisme militant nécessaire, porté par des acteurs exemplaires ( mention à Anaïs Demoustier, impressionnante et à Grégoire Leprince-Ringuet que l'on n'avait pas vu aussi convaincant depuis longtemps) ne pourra que vous secouer un peu plus ...et c'est tant mieux !
PS : Deux remarques toutefois, deux broutilles, qui dénotent un tout petit peu dans ce film pourtant sans reproche ( tant par le fond que par sa production coopérative si singulière dans le monde du cinéma). Elles concernent le personnage joué par Ariane Ascaride. On la voit avec un beau pantalon en laine, avec un pli parfait... Pourquoi pas ? On peut être technicienne de surface dans un hôpital et soigner sa mise. Seulement, on la voit passer sa nuit à travailler avec ce même pantalon et revenir au petit matin épuisée... mais avec son pantalon impeccable, pli parfait ... un détail me direz-vous... Mais accentué un peu plus tard par deux lignes de dialogues, ou la même Sylvia, se plaint de ne plus avoir du temps pour elle et de ne pouvoir aller chez la coiffeuse se faire faire les racines... alors qu'à l'écran Ariane Ascaride arbore une coupe parfaite,aussi impeccable que sa couleur... Là soudain, on sent que, quand même, nous sommes au cinéma... 

 

mardi 26 novembre 2019

Chanson douce de Lucie Borleteau


Les lecteurs du roman de Leïla Slimani risquent d'être déçus par l'adaptation proposée sur les écrans. Ce ne sera pas une première fois, tant s'attaquer à une oeuvre réussie, reste un véritable challenge. Il faut,  pour  réussir son coup, soit avoir une vision de grand cinéaste, soit maltraiter l'oeuvre pour mieux la recréer. Force est de reconnaître qu'ici nous n'avons aucun de ces deux éléments. Même si le premier film de Lucie Borleteau ( " Fidelio") , avait séduit, ce deuxième sent un peu trop la commande pour passer pour une oeuvre personnelle. Maïwenn et Jérémie Elkaïm, les scénaristes, n'ont pas plus brillé dans leur adaptation, préférant juste transformer le roman en une sorte de thriller domestique maladroit (Pour les lecteurs du roman, le début devient la fin... Vous comprendrez aisément que ce qui faisait l'intérêt et la force du livre se trouve évidemment escamotés pour devenir une histoire beaucoup plus banale et nettement moins dérangeante, sans doute par souci de rentabilité ). 
Imaginons un instant que nous n'ayons pas lu le roman. Que voit-on à l'écran ? Une Karin Viard, effectivement parfaite en nounou aussi rigide que border-line, qui s'agite beaucoup, passe dans un même plan de la bonne humour un poil déjantée à un regard qui fout les chocottes et vole sans problème la vedette au couple de bobos qui l'emploient ( à savoir Leïla Bekhti et Antoine Reinartz, gentils ). Les enfants, comme souvent, arrivent à être surprenants parce qu'innocents face à la star Viard. La sauce peine à monter par manque de rythme, le film hésitant dans sa première moitié entre la chronique familiale avec nourrice et la mise en place laborieuse d'éléments pour que le thriller devienne efficace par la suite. Et quand on sent le film devenir plus noir, la trame a du mal à se tendre, faute d'une histoire réellement convaincante. 
Ceux qui ont lu le Goncourt 2016, verront sans peine que l'on cherche à tout prix le  suspens psychologique, tout en essayant de glisser vaille que vaille un peu de la critique sociale présente dans le livre, l'assemblage, comme parfois dans le champagne, ne donnant pas un résultant bien convaincant. On a l'impression que les auteurs et les producteurs n'ont pas fait confiance aux spectateurs. A vouloir les faire frémir plutôt que réfléchir, ressentir, ils offrent, en plus d'un contresens du livre, un film au suspens assez plat qui ne vaut au final que par l'interprétation d'une Karin Viard un peu en roue libre. 


lundi 25 novembre 2019

Chroniques d'une station-service de Alexandre Labruffe



En art, la station service apparaît parfois dans les oeuvres contemporaines, symbole de solitude et de région perdue en peinture ( comme chez Edward Hopper). En photographie, elle représentera plus sûrement un capitalisme triomphant voire clinquant mais aussi viril ( le pistolet phallique qui crache l'énergie). Au cinéma, beaucoup plus exploitée, la station service sert de point de départ d'histoires de fuite, de voyages, de rencontre, ... En littérature, rares sont les romans qui ont pour décor ces dorénavant petits espaces commerciaux, ressemblant à de minis supérettes. Cette rentrée, grâce à Alexandre Labruffe, la station service accède désormais au panthéon des lieux romanesques. 
Après la lecture de  ce court mais très dense roman, il est certain que vous verrez d'un autre oeil ces mornes espaces surveillés par un non moins morne caissier. C'est qu'au delà les barres chocolatées, les bouteilles de sodas ou de liquide de refroidissement, il y a de la vie, surtout si le personnel possède le regard ( et l'imagination ) de Mr Labruffe. 
Certes le titre laisse à penser que nous avons droit à des chroniques, renvoyant à un genre pas trop aimé : les nouvelles. Il n'en est rien. Si l'ensemble se compose d'environ 200 paragraphes/pastilles numérotés, une histoire se tisse entre les mots, les remarques drôlatiques, les usagers de ce lieux et le narrateur, jeune trentenaire (?) en recherche d'amour et à l'esprit aussi curieux qu'observateur. Chaque petit texte s'avère ouvrir une porte, soit narrative, soit humoristique, soit philosophique. Et avec bonheur, petit à petit, cet espace si peu avenant ( surtout placé en périphérie parisienne du côté de Pantin) devient le théâtre d'intrigues diverses, mystérieuses, érotiques, sociales. Sans jamais se départir d'un humour bienveillant, Alexandre Labruffe mélange le gas-oil à Baudrillard, San-Antonio à Mad Max, un ami maltais à l'hojojutsu ( un genre de sport nippon mêlant karaté et bondage). Le mélange prend avec efficacité, on fait le plein d'humour et de plaisir de lecture. On quitte à regret la station tellement on passe un bon moment et l'on se dit que, vraiment, il y a encore en France de jeunes auteurs prometteurs, imaginatifs, à la plume alerte et inventive. C'est rassurant, tonifiant !




dimanche 24 novembre 2019

Masses critiques de Ronan Gouézec


Amis des mouettes rasant les trottoirs alors qu'un ciel gris menace, fans de cette Bretagne rude des bords de mer où quelques vieux chalutiers continuent désespérément leur va en vient dans un port envahi de bateaux industriels, lecteurs friands d'ambiances sombres où même un bon plat de crustacés ne parvient pas à faire oublier la noirceur d'âmes où mijotent de vieilles rancoeurs, amateurs de la noirceur à la Simenon et de radiographie de notre société à la Houellebecq ( qui aurait pris du bromure et enfilé un ciré jaune). " Masses critiques"  a énormément de chance de vous plaire. 
Cependant, bien que publié dans la collection noire des éditions du Rouergue, on ne retiendra que la couleur, l'intrigue n'étant au final que très peu policière ou criminelle. Donc, pour caricaturer, aucune belle jeune femme mystérieuse se morfondant dans une belle baraque aux lourds secrets, aucun flic fringant, cabossé, alcoolo ou séducteur, pas de serial killer sadique, bipolaire, machiavélique, aucun détective privé se distrayant de sa vie en EHPAD en enquêtant sur le voisinage ( en 2019 il ne reste plus que des seniors pour endosser ce rôle). 
Ronan Gouézec choisit  plutôt de nous entraîner dans le sillage de deux hommes au physique n'ayant pas le droit aux magazines de papier glacé, dont la rondeur sera proportionnelle à l'humidité ambiante, héros à l'empathie aussi forte pour le lecteur que leur amitié. A travers eux, dans les embruns glacés d'une côte bretonne, nous sera décrit un monde de moins en moins fraternel, où les humains n'ont même plus le travail pour donner un sens à leur vie de galère, où l'amitié viendra se fracasser à l'impitoyable noirceur de relations où l'argent, l'amour et la colère formeront un cocktail qui les entraîneront dans les abysses de la vengeance.
C'est noir, très noir...et humide, de cette humidité qui poisse, qui refroidit les coeurs autant que les corps. Alors, que rien ne laisse espérer une lumière, le roman accroche le lecteur grâce à une écriture précise et dense, restituant avec force et émotion cette atmosphère de bout du monde, de bout d'un monde, d'une amitié maltraitée. La magnifique écriture de Ronan Gouézec nous plonge dans une histoire terriblement humaine où, comme sur le bord d'une falaise, le vertige nous saisit.
Peut être pas franchement policier mais formidablement littéraire, "Masses critiques" nous offre un surprenant séjour breton !

samedi 23 novembre 2019

Le 39 ème FIFAM, festival international du film d'Amiens


Pendant que notre président allait au contact avec les ouvriers de Whirlpool, à quelques encablures de là, dans la bonne ville d'Amiens se déroulait le festival international du film. Cette 39ème édition, paraît-il à la recherche d'un second souffle,  semble avoir retrouvé une bonne partie de son peps passé si l'on en juge par la très jolie semaine qu'elle a offerte aux festivaliers. 
Ce festival qui questionne et nous montre le monde, programme  des cinématographies diverses voire rares ( cette année en compétition le Tibet, les Philippines,  toute la production de l'année du Soudan ( 2 films), le Mexique, la Colombie, le Ghana, le Bangladesh, la Tunisie, la Chine) mais accueille aussi la moins rare Brigitte Macron-Trogneux, enfant du pays. Si la femme du président a juste fait un petit coucou en passant, de nombreux invités sont venus présenter ou accompagner les oeuvres projetées, donnant un supplément d'âme à chaque séance. L'Espagne, pays invité, en plus de quelques danseurs de flamenco, une exposition et un large panel de leur production, passée (rétrospective Bunuel) ou présente ( Amenabar, de La Iglesia, ...) a offert des éventails aux spectateurs de la soirée de clôture. 
Mais ceci est anecdotique par rapport à ce que les spectateurs ont pu découvrir dans la semaine, un monde où les humains sont opprimés, corsetés par la religion ou les traditions ( thèmes récurrents à beaucoup de films) mais aussi par un capitalisme impitoyable (  fortement éclairé par une autre thématique du festival le travail, ( à Amiens : Trav'Aïe). Si l'on a peu ri devant la sélection officielle, ( hormis un ou deux courts-métrages ou jaune avec le documentaire  " Delphine et Carole, insoumuses" de Callisto Mc Nutty), reconnaissons-lui une vraie qualité dont le palmarès est le reflet. 
Si la plupart des prix sont allés à " Made in Bangladesh" de Rubalyat Hossain ( prix spécial, prix du public et un autre prix pour la diffusion dans les centres de vacances d'un gazier me semble-t-il), joli film classique d'une ouvrière voulant créer un syndicat dans une de ces immondes usines de confection, ce sera finalement le très beau film soudanais " Tu mourras à 20 ans"  de Amjad Abu Alala qui gagne le grand prix ou comment, avec une grande finesse de trait, nous suivons un jeune homme que des croyances versées dans le symbole ont programmé pour mourir à 20 ans. Le beau  film tibétain "Balloon"  a remporté le prix des lycéens, sans doute très marqués par cette histoire de préservatifs et de contrôle des naissances au pays des bouddhistes. Un regret quand même, que le fascinant film tunisien de Ala Edine Slim "Sortilège", qui fut la proposition la plus cinématographique et radicale du festival, reparte bredouille. 
Côté documentaires, l'étincelant "Poètes du ciel" du mexicain Emilio Maillé a ébloui tous les publics et a obtenu le Grand Prix. Et c'est le court-métrage tunisien " Brotherhood" de Meryam Joobeur  a fortement touché les jurys autant par sa mise en images que par le sujet sur un retour en Syrie. 
Vous l'aurez compris, nous avons beaucoup voyagé cette semaine, certes confortablement installés dans les salles impeccables de ce festival, mais tournés vers des univers que l'on rencontre peu et mis en images par des réalisateurs inconnus pour la plupart mais de talent ( et aussi très souvent coproduits par la France ! ). Et si vous rajoutez un accueil agréable, aucune bousculade pour entrer dans les salles, vous obtenez un joli festival de qualité qui mériterait un public plus nombreux. Espérons que cette 39 ème édition rayonnera pour donner envie d'aller le découvrir l'an prochain. Je vous y engage fortement. 


jeudi 21 novembre 2019

Les misérables de Ladj Ly


C'est annoncé, crié sur toutes les ondes, de toutes tendances, "Les misérables" est une énorme claque, un film qui secoue , qui remue ( jusqu'à notre président). Ce consensus nous enjoint à nous précipiter admirer l'oeuvre... Consensus dites-vous ? Etrange non? Surtout que l'on sait pertinemment que si un film secoue, les critiques s'enflamment, sont divisés... Ici,  cette unanimité ( hormis deux ou trois magazines à la marge) pose question. Et si "Les misérables" n'était qu'un produit ( n'oubliez pas qu'il sort de notre industrie cinématographique) super bien vendu et calibré pour plaire à tous sans qu'il ne dérange ? Voici 3 éléments qui dégonflent cette série B (comme baudruche) qui ne bouscule pas grand chose. 

1 " La haine" en plus fort entend-on...
Soyons sérieux. Si "La haine" fut un choc, c'est bien parce que derrière la caméra il y avait un réalisateur de talent, avec un scénario qui se tenait et un propos vraiment politique, tout ce qui manque à ses "Misérables". En presque 25 ans ( le film de Kassovitz est sorti en 1995), le monde a tourné et des films sur les banlieues, ses caïds, ses flics qui dérapent, on en a eu une palanquée. Ici, reconnaissons à Ladj Ly de bien connaître les lieux de l'intrigue ( il en est issu, contrairement à Kassovitz à qui, à l'époque, on avait reproché de parler depuis son milieu loin d'être banlieusard) et de nous les présenter sans fard mais sans misérabilisme non plus. Au milieu des tours de Montfermeil, il nous colle aux basques de trois flics de la BAC : le petit nouveau aux apparences trop tendres, le sale ripoux jusqu'à la moelle et un troisième, personnage sacrifié et peu brossé bien que ce soit par lui que la bavure arrive. ( Le scénario rappelle quand même "La haine").  La première partie n'étonne guère, empruntant un sentier bien balisé déjà vu. La caméra s'essaie à l'énergie mais son hésitation entre le doc façon BFM et l'attention ( la tension) au petit nouveau l'empêche de donner un sentiment de vraie mise en scène. L'histoire autour du vol d'un lionceau (?!) apparaît peu crédible ( mais permet de placer un petit discours écolo sur l'emploi des animaux dans un cirque, c'est bon coco, ils vont aimer ça les bobos!). Par contre, les forces opérant dans l'endroit ( police, "grands frères", indics, islamistes) sont représentées avec acuité. Cette mise en place, un peu scolaire nous amènera vers une deuxième partie plus tendue, suite à une bavure ( flash ball dans le visage d'un jeune ado taiseux mais assez rebelle) qui enflammera tout le monde...et un peu le film. 

2 Un grand film politique entend-on partout ...

Si dénoncer quelque chose, même de connu, de reconnu, est un acte politique,( de très moyenne portée avouons-le), le film toutefois ne cherche jamais à poser d'autres questions ( ou alors sur les marges). Il dresse encore une fois le constat de banlieues livrées à elles-mêmes où tout le monde, de la police aux habitants, des mafieux aux religieux, slalome au milieu de règles locales. "Les misérables" ( contrairement à "La haine") ne sort jamais de la cité et nous présente, au final, un univers clos, loin de nos villes plus embourgeoisées. Un joli doc, presque animalier, fait pour entraîner les commentaires flatteurs de ceux qui parlent dans les médias depuis leur fauteuil. "Oh la la la , les banlieues vont exploser, c'est affreux ! ". On vante le film, on le dit implacable et, en toute bonne conscience, le sentiment d'avoir prêcher de belles paroles et on file en week end dans le Perche, tout ça est finalement tellement loin de nous et bien circonscrit. Le film ne met rien en perspective, pose une ou deux  questions de chaîne info, calque un final ( violent) sur le film de Kassovitz et basta. Heu non, il devient politique juste à la fin, en citant une phrase de Victor Hugo qui montre du doigt ceux qui nous gouvernent... et ça suffit pour mettre en transe la France qui commente ! Dormez bonnes gens le cinéma commercial s'occupe de tout !

3 Le film représente la France aux Oscars !

Cela en impose non ? C'est donc un très très bon film! Peut être... En tous les cas, une belle opération commerciale à destination du public américain, qui nourrit de Fox news, ne sera pas perturbé et verra bien que la France n'est bien qu'une "NO GO ZONE". Il faut être basique pour ce public là ! 
" Les misérables" n'est au final qu'une série B pas trop mal fichue dans sa catégorie, avec son scénario banal, un rythme pas trop effréné, un très sympathique petit black à lunettes et surtout un propos tellement habituel qu'il ne mettra personne en révolution. Les misérables, qu'ils soient flics ou habitants des cités, le resteront hélas encore longtemps... 










mercredi 13 novembre 2019

C'est mon arbre d'Olivier Tallec


Le petit écureuil du nouveau très bel album d'Olivier Tallec, n'a pas de prénom. Il pourrait s'appeler Donald ou Viktor. Ce petit animal vit près de son arbre, un pin qui lui fournit de belles pommes. Il est heureux de posséder un tel garde à manger. Mais, si quelqu'un avait envie de venir manger quelques unes de ses pommes de pins ?!!! Pas possible ! Ce serait une catastrophe de mettre en commun ses trésors !!! ( surtout si on se prénomme Donald ou Emmanuel). Alors, il faut que tout le monde sache que cet arbre lui appartient, rien qu'à lui et surtout le protéger de tous ces autres hypothétiques qui seraient capables de venir s'y installer sous sa ramure. Les solutions existent, mais un grand portail, ce n'est pas suffisant, une palissade, bien trop fragile... L'idée, ce serait un mur, bien haut, pour que personne ne puisse le franchir....et très très long pour qu'aucun étranger ne puisse le contourner ....
La symbolique, évidente, du protectionnisme outrancier et imbécile, fonctionne ici à merveille pour se terminer par une planche sans texte qui ouvrira une autoroute de réflexions pour les jeunes lecteurs ( à partir de 4 ans mais jusqu'à 100 ans...on vit vieux de nos jours et l'on a tendance à tomber dans des clichés nauséabonds). Ce petit écureuil, à l'aspect tout mignon, merveilleusement mis en mouvement par Olivier Tallec, malgré ses idées protectionnistes, ne parvient pas à être détestable, juste ridicule. Et c'est là, où réside la réussite de cet album. Sans jamais alourdir son propos, en restant au niveau de l'enfant, l'auteur s'empare d'un sujet ô combien d'actualité et le traite avec subtilité, humour et malice. Si l'adulte perçoit le clin d'oeil, l'enfant lui pourra être amené à réfléchir sur la possession, sujet qu'il connaît bien , mais surtout sur quelques conséquences qu'elle peut engendrer. 
Et puis, cet album se met également au niveau de quelques uns de nos dirigeants, qui ont une culture de bidet ( et encore le bidet se défend pas mal à ce niveau là). Un album qu'ils pourraient lire... qui les amènerait, peut être, à enclencher un semblant de réflexion... On peut rêver... non ? On reste de grands enfants quelque part... 

lundi 11 novembre 2019

Histoire de France de Joffrine Donnadieu



Les amateurs d'Histoire , oui un un "h" majuscule, éviteront ce premier roman qui n'est en rien un court résumé du passé de notre pays puisque la "France" du titre est le prénom d'une assistante maternelle. Malgré tout, le titre peut toujours apparaître trompeur car il sera beaucoup moins question de cette femme que de Romy, la petite fille qu'elle garde.
Elle n'a pas du tout de chance Romy. Elle a neuf ans, elle habite Toul, la ville de Nadine Morano, dans une famille qui ne cultive pas l'épanouissement, avec une mère dépressive et un père qui boit ( peut être parce qu'il est militaire ). De temps en temps, quand sa maman est hospitalisée, France la garde. France aime beaucoup Romy. France joue beaucoup avec elle. France lui fait lécher de la chantilly sur ses gros seins. France lui introduit des Playmobil dans le sexe. France jouit de la nudité de la petite fille. France est pédophile et bien qu'elle ne gardera pas Romy longtemps, laissera évidemment une empreinte indélébile dans la tête, dans le corps de la petite fille qui bien sûr s'enfermera dans le silence.
Le roman nous conte le parcours de Romy depuis son passage chez France jusqu'à sa vie de jeune adulte. Le sujet est fort et s'empare d'un tabou avec cran ( non, il n'y a pas que des hommes pédophiles, surtout que les femmes ont beaucoup plus facilement accès aux enfants). Pour une entrée en littérature, Joffrine Donnadieu frappe fort... tout du moins par le thème énoncé, parce que le résultat apparaît plus mitigé.
Difficile de rester indifférent au livre, qui démarre fort crûment, à la lisière du voyeurisme. On s'attache évidemment à Romy, pauvre enfant livrée à elle-même, à ses démons. L'autrice nous fait ressentir les sentiments ambiguës qui s'entrechoquent dans la tête de la petite fille.
Une fois France, partie en Nouvelle-Calédonie pour suivre son mari, lui aussi militaire, la vie continue et Romy va grandir et se débattre avec les démons qui l'assaillent. Là, le roman, n'y va pas de main morte et rien ne sera épargné à Romy.  L'anorexie, la boulimie, le suicide, les scarifications, la prostitution, ... se succèdent comme dans un catalogue. On en arrive à se demander si ce n'est pas un peu trop, surtout que l'écriture, alignant elle aussi toute une panoplie de styles divers ( énumérations, mode d'emploi, ...) n'arrive pas à trouver la cohérence nécessaire pour que l'ensemble soit réellement crédible.
On reste un peu dubitatif sur cette tentative, qui hormis le thème fort de départ, finit par se perdre dans un trop plein de misérabilisme et une écriture qui manque sérieusement d'unité.

mardi 29 octobre 2019

Sorry We Missed You de Ken Loach


Un peu boudé à Cannes, une réputation de film pas marrant, " Sorry We Missed You" mérite pourtant vraiment d'être vu. Voici trois excellentes raisons pour se ruer en salle :

1) Embarqué dès les premières images

Est-ce la simplicité ( apparente) des premières scènes, ce quotidien qui nous saute au visage par sa crédibilité loin des sitcoms aux décors Ikéa ? Tout de suite, on plonge dans le quotidien d'une famille anglaise prolétaire : un papa, une maman, un garçon ado, une fille au sortir de l'enfance ? Ce quatuor idéal ( aux yeux de quelques rétrogrades de chez nous) ne boit pas, ne fume pas, vit petitement mais normalement. Les parents aiment leurs enfants même si ceux-ci, surtout le garçon, traversent une période plus difficile, la rébellion pointe parfois son nez. Et tout de suite, on sent que tout ça va dégénérer. Le père, déjà victime du libéralisme anglo saxon, pour se sortir d'emplois précaires, décide d'investir dans l'achat d'un camion et de devenir une sorte d'auto-entrepreneur dans la livraison de colis. Endettement, contrat un peu flou avec une boîte de réception de colis et déjà le spectateur est emporté dans une sorte de suspens social, mélange intime de soucis personnels et d'empathie avec des personnages qui pourraient nous ressembler.

2) Plus fort qu'un thriller, on reste cloué sur son siège durant 1h40 dans une salle au silence pesant qui en dit long. 

L'émotion, le stress qui nous accompagnent durant la projection ressemble à ce que l'on éprouve lors d'un excellent thriller voire d'un film d'horreur, sauf qu'ici, les éléments du suspens proviennent de situations quotidiennes simples. Chaque coup de fil, chaque scène au volant du camion, chaque chargement de colis peut amener la situation déjà précaire du personnage principal à basculer un peu plus. Et évidemment, le rouleur compresseur du système libéral ( ici l'ubérisation du travail) avance petit à petit, inexorablement. On tremble, on frémit d'autant plus que ce que l'on voit n'a rien d'effrayant si on le compare à un film d'horreur lambda mais nous empoigne très efficacement car ces situations peuvent arriver à un grand nombre d'entre nous qui ne faisons pas partie des nantis. Ken Loach, dont certains lui reprochent de faire toujours le même cinéma militant, avec des situations un peu trop tire-larmes, continue d'enfoncer le clou avec force et lucidité, liant le spectateur avec ses personnages pour mieux leur faire toucher une réalité infiniment plus horrifique (car réelle) que n'importe quel film d'épouvante.

3) Un film qui parle autant à nos tripes qu'à notre cerveau.

Evidemment, Ken Loach ne nous propose pas un cinéma de divertissement, joli à l'oeil, détendant. Mais avec des moyens simples et éprouvés, des situations à la réalité sidérante, il parvient, en plus de nous faire ronger nos ongles de stress, à nous dresser un portrait hautement lucide sur nos sociétés qui s'enfoncent dans le libéralisme le plus outrancier. De France, on peut penser que nous n'en sommes pas arriver tout à fait ce stade, certains remparts existent encore ...mais pour combien de temps ? On ressort du film moulu, essoré, avec en tête une dernière image fortement symbolique d'un prolétariat massacré, blessé qui file vers... un avenir sombre.
"Sorry We Missed You" est un film qui ne peut qu'impressionner durablement les  spectateurs et leur donner des éléments pour lutter contre les années noires qui se profilent à l'horizon. Les insensibles à cette situation restant peut être les fossoyeurs de demain, ceux qui ne voient pas que le libéralisme outrancier anéantira autant les hommes que la planète.





dimanche 27 octobre 2019

Terrible vertu de Ellen Feldman


C'est sans doute la vague Meetoo qui a poussé les éditions Cherche Midi à traduire pour la première fois en France,  l'autrice Ellen Feldman qui retrace la vie assez exaltante d'une figure mythique du combat féministe Margaret Sanger. 

Mais qui est Margaret Sanger  ?

Pour faire court, c'est la créatrice du Planning familial aux Etats Unis. Les débuts, timides, vous pensez bien, eurent lieu en 1916, quand Margaret Sanger, militante anarcho/socialiste décide d'ouvrir dans un local miteux de Brooklyn, une sorte de clinique pour informer les populations ouvrières ( donc pauvres) sur la contraception. A l'époque, en plus de salaires de misères, de taudis, les femmes avec une dizaine d'enfants ( viables car à ce nombre, il faut ajouter les fausses couches ) étaient monnaie courante. Elles mouraient plus d'épuisement que de vieillesse. Les hommes, évidemment étaient peut concernés et les dogmes religieux encourageaient ces naissances continuelles puisque dons de dieu. La clinique ne fit pas long feu ( quelques jours) et s'ensuivit un procès à rebondissements qui, par son jugement, allait faire jurisprudence. Pendant 50 années encore, Margaret Sanger allait militer, combattre, ouvrir des centres d'informations autour de la contraception et initier la création de la pilule contraceptive. Le roman d'Ellen Feldman, sous forme de pastilles chronologiques romancées, retrace sa vie. 

Une femme exemplaire cette Margaret Sanger ? 

Globalement, quand on se bat contre des idées machistes ( une femme à l'époque ne pouvait pas parler de sexe, de contraception, univers réservé à quelques médecins mâles), pour les femmes, quand, pour ces idées on subit procès, emprisonnements, humiliations, on reste admiratif de son courage, de sa ténacité. Le roman ne se prive pas de raconter ses combats, presque de façon hagiographique. Si vous rajoutez que dans une Amérique ultra puritaine, elle avait une vie sexuelle débridée, libre, pleine de jouissances, Margaret Sanger, aussi séduisante, séductrice qu'oratrice exaltée, ne peut être qu'une icône féministe. Certes, elle a pas mal sacrifié sa famille ( oui, elle était mariée et avait trois enfants), ce que le livre raconte en faisant prendre la parole à certains de ceux qui ont connu, subi, la volcanique Margaret ( amants, mari, enfants, soeur, ...). Cependant, on peut reprocher, entre autre, à ce roman d'avoir occulté quelques travers de la dame ( on ne peut pas, quand on combat, surtout à cette époque, avoir de bonnes idées sur tout). On ne saura rien sur ses tentations eugénistes, de ses contacts avec ses "confrères" nazis dans les années trentes, de son horreur de la masturbation ou de son rejet de l'avortement. Il ne restera en somme que la figure emblématique du combat pour la contraception. 

Le roman reste agréable à lire car écrit simplement. Il est toujours intéressant de mettre en avant le combat d'une femme pour un monde plus juste et plus égalitaire, surtout à notre époque! Cependant, malgré le personnage haut en couleur de Margaret Sanger, l'ensemble reste un peu trop sage, trop romanesque peut être...




mercredi 23 octobre 2019

Honoré et moi de Titiou Lecoq


... ou comment une autrice de talent explose le genre biographique. 

Une biographie de Balzac ? Bof... ( parole de lecteur )

C'est certain Honoré de Balzac traîne sa réputation d'auteur obligatoire ( mais seulement au programme du bac que depuis 1978!)   dont l'oeuvre a été ruinée par des générations de profs peu passionnants et pourvoyeurs de lecture obligatoire ( donc rasoir). Bien sûr, il existe de bons pédagogues qui ont su passionner et ouvrir les yeux ( aujourd'hui on dit " arracher les regards des écrans) de quelques collégiens ou lycéens, pour montrer la modernité des écrits de ce génie de la littérature mais combien avaient le talent de Titiou Lecoq ? Ouvrir son "Honoré et moi " peut sembler un défi ( pfff...une bio...) mais sachez que dès les premières lignes vous serez accroché pour ne plus lâcher l'ouvrage. A la fin ? Soit vous vous jetez sur " Le père Goriot" ou " La cousine Bette" , soit vous remerciez chaleureusement l'autrice en postant sur Instagram un selfie de vous hilare à côté de l'ouvrage... voire même les deux, car, vous avez eu quelques heures durant le sentiment, insensé de nos jours, d'apprendre des choses tout en vous amusant et d'avoir eu la sensation que l'on s'est aussi adressé à votre cerveau.

Titiou Lecoq ?! Biographe ?! Et pourquoi pas Karine Tuil écrivant de la bonne littérature ? 

La question est (im)pertinente et la réponse peut surprendre. Oui, l'ex blogueuse devenue essayiste humoristico/féministe peut se révéler une excellente biographe. C'est juste une question de talent ( que tout le monde ne possède pas) mais aussi de liberté. En s'emparant d'Honoré de Balzac, écrivain pour qui elle voue une réelle admiration, elle fait oeuvre de grande pédagogie. Avec une connaissance parfaite de ses écrits, de sa correspondance, de ses comptes ( oui les dépenses du cher Honoré sont une part très importante de sa vie), des portraits dressés par ses contemporains, Titiou Lecoq dresse un portrait précis, réaliste et passionnant de l'auteur de la "Comédie humaine". Mais, deux éléments font vraiment la différence avec les biographies déjà parues ( plus corsetées, plus académiques, plus universitaires), c'est l'humour constant et réjouissant qui court tout le long du texte ( même si parfois, emportée par son sujet et la vie trépidante du bonhomme, elle s'autorise à rester sérieuse) et un regard féministe qui remet intelligemment en perspective tous les personnages féminins importants ( mère, maîtresses) que croisent Balzac, ainsi que ceux qu'il a créé dans son oeuvre. Cela donne au final, un texte virevoltant, passionnant et surtout très agréable à lire.
Alors sans complexe ( heureusement), appliquant dans un format infiniment plus long les recettes des pastilles humoristiques d'Arte "Tout est vrai ou presque" dont elle est une des scénaristes, Titiou Lecoq révèle une face plus sérieuse de sa personnalité, tout en conservant un décalage humoristique qui déboutonne avec finesse un genre trop souvent compassé. C'est tellement réussi, que si des élèves peu motivés tombaient sur cet ouvrage, ils épateraient leurs profs par leur connaissance et verraient dans Balzac, l'un des précurseurs des séries qu'ils affectionnent tant sur Netflix.


dimanche 20 octobre 2019

Ne t'enfuis plus de Harlan Coben


Auteur ( trop?) prolifique, que vaut son dernier opus ? Après avoir refermé la dernière page et vu apparaître son visage, plein cadre, en quatrième de couverture, un sourire énigmatique aux lèvres, on se dit que la lecture de cette intrigue bien emberlificotée fut agréable et réserva des surprises jusqu'à la fin. De là à être emballé...

Intrigue bien emberlificotée.

Comment tenir un lecteur en haleine ? La recette est simple, en lui proposant deux intrigues parallèles dont on perçoit mal au départ ce qui peut bien les relier. Le but du romancier étant d'éclairer petit à petit le récit pour arriver jusqu'à un suspens final, plus ou moins long, qui apportera la réponse à toutes les questions. Et si l'auteur est ingénieux, il finira avec un petit twist final qui en bouche un dernier coin au lecteur. 
"Ne t'enfuis pas" tient ce schéma jusqu'à la dernière page. Harlan Coben, en bon faiseur, respecte la recette, même si les ingrédients ne sont ni de première fraîcheur, ni d'une folle originalité. Donc, à partir de l'histoire d'un cadre sup cherchant sa fille disparue et junkie, il tresse une histoire à base de secrets de famille, de généalogie, de secte, avec un soupçon de violence, quelques meurtres, un peu de technologie, une privée, un flic et un squat sinistre dans le Bronx. On suit l'ensemble avec plaisir, chaque fin de chapitre se débrouillant pour se terminer par un rebondissement qui donne envie de continuer. 

Lecture agréable.

Simple, efficace, l'écriture ne perd pas de temps en circonvolutions inutiles, l'intrigue et le plaisir avant tout. Cependant, on peut noter qu'Harlan Coben cherche aussi à faire passer quelques idées personnelles, et, mine de rien, au détour d'une conversation, d'une arrivée dans un lieu, d'un passage dans un métro, balance pas de mal de piques aux religions et à ceux qui croient et qui font croire ou sur la vie, sur notre regard face aux sdf et autres sentiments quant à nos vies modernes de blancs nantis. Cela donne à ce thriller une note plus plaisante, plus piquante, peut être pour rendre moins anodine, cette machinerie romanesque bien huilée, trop formatée. 

Des surprises jusqu'à la fin. 

40 chapitres ( plus un épilogue), donc 40 rebondissements, plus un ultime dans l'épilogue, Harlan Coben n'a pas lésiné pour captiver le lecteur. Mais c'est l'avantage d'avoir une intrigue bien obscure, elle permet, pour arriver à son dénouement, moultes détours, hasards, découvertes étonnantes ( merci la technologie, les hackers). Mais l'accumulation est dangereuse, et peut parfois apparaître un peu too much. Ici, menée habilement, la succession  de surprises passe bien, même si le twist final ( et les quelques révélations qui le précèdent) tire un peu sur la grosse ficelle. 
Au final, Harlan Coben , en appliquant des formules bien éprouvées, ne surprend pas réellement mais permet de passer un moment de lecture pas désagréable. Travail d'un bon faiseur, produit fini pas trop décevant, "Ne t'enfuis plus" plaira...