mercredi 30 avril 2014

Correspondance 1910-1919 Romain Rolland Stefan Zweig

En 1910 quand débute la correspondance entre Stefan Zweig, jeune auteur autrichien pas encore reconnu  et Romain Rolland, plus âgé et surtout figure majeure du monde littéraire parisien, il ne s'agissait que de lettres très révérencieuses, le cadet vouant une admiration sans bornes à son glorieux aîné. Strictement intellectuelle et portant autour des diverses publications de chacun ou de leurs amis, cette correspondance va littéralement prendre son envol au début de la guerre; Alors que Romain Rolland part en Suisse pour oeuvrer plus tranquillement à développer un pacifisme européen, position qui le voit honni par une presse française très patriotique et va-t-en guerre, de droite comme de gauche, Zweig, en attente d'une affectation militaire, s'essaie à démonter tous les mensonges qui attisent la haine entre la France et l'Allemagne ainsi que leur alliés. Pas toujours en accord autour de certains détails, ils sauront passer outre la haine et développer ensemble une idée pacifiste de réunion des peuples européens. Leurs échanges passeront du cérémonieux au profond et se révéleront porteur d'une très grande fraternité.
La lecture de cette correspondance fut au départ un peu laborieuse, très fonctionnelle, au service des intérêts de chacun. Zweig en promouvant les textes de Rolland en Allemagne, lui permet d'approcher un futur prix Nobel de littérature et ainsi  s'attirer ses bonnes grâces , lui permettant sans doute de s'introduire plus aisément dans ce cercle fermé des grands esprits qui comptent à l'époque. Mais quand la guerre arrive, que les divergences apparaissent, les propos deviennent soudain plus profonds et leurs envies de paix entre les peuples prend le dessus. S'épaulant l'un l'autre quand les difficultés surviennent, ils vont faire germer l'idée d'une Europe qui ne verra le jour que des décennies plus tard. Même si parfois ils échangent autour de personnes un peu inconnues de nos jours, d'événements oubliés ou d'articles de journaux (dont les notes en bas de pages nous résument habilement la teneur), rendant la lecture moins aisée, la qualité de leur écriture, leur indépendance d'esprit au milieu de la tourmente et leur côté visionnaire force le respect et attise l'intérêt. Purement sur le terrain du débat d'idées, très rarement dans l'intime, ces lettres sont étonnantes. Elles illustrent parfaitement ce que pouvait être une vie d'intellectuel à cette époque. Passionnés, se sentant au dessus de la mêlée mais certains que leurs idées rejailliront un tant soit peu sur le monde, ils tissent la trame d'une humanité meilleure.
Malgré l'absence d'intimité de cette correspondance, on retrouve toutefois en filigrane le Stefan Zweig en proie au doute. On sent la dépression qui l'emportera, le gagner. Ses lettres sont plus longues, plus fiévreuses que celles de son maître, plus conventionnel peut être mais dont les idées sont sans doute plus tranchées et posées. Au fil des pages, toutes admirablement écrites, véritable mine de belles citations, le lecteur voit se créer cette amitié intellectuelle qui a su échapper au patriotisme imbécile, tout en oeuvrant pour un monde meilleur. C'est totalement fascinant mais surtout étonnamment contemporain. Il est bon de les lire aujourd'hui, alors que le monde se déchire encore et toujours plus. Il m'est rassurant de penser que, vraisemblablement, aujourd'hui, quelques grands esprits travaillent, avec clairvoyance, à la fraternité sur notre planète. Le souci est que s'il faut qu'on ne les lise ou les entende que dans 100 ans, la machine de guerre qui semble avancer perfidement jour après jour, risque de s'emballer.
Ce premier tome de la correspondance de ces deux grands esprits, la fraternité des peuples chevillée au corps, est sûrement l'un des meilleurs exemples à proposer en cette période de commémoration de la boucherie que fut cette guerre 14/18. La lecture peur sembler difficile, mais les mots, la clairvoyance des deux auteurs et leurs convictions réchauffent l'esprit qui en a bien besoin en ce moment !



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