Evacuons de suite ce qui pourrait gêner certains lecteurs tatillons, un peu grincheux devant cet étalage de nantis. Oui, nous sommes dans la grande bourgeoisie qui allie culture et argent, celle qui ne touche presque pas le sol, qui ne fréquente que les élites et qui lorsqu'elle a envie de quelques jours sur la Méditerranée se fait prêter une villa immense avec domestiques par les Lazareff. Pour les plus jeunes rappelons que Pierre Lazareff dirigeait France Soir, sa femme le magazine Elle et comme l'action du livre se situe en 1968, vous pouvez bien imaginer le pouvoir sur la vie parisienne de ce couple. Il serait toutefois dommage de ne pas aller au delà de cette apparence car "Un an après " est un récit assez troublant.
Nous pénétrons donc un monde qui a pignon sur rue en littérature et dans le cinéma puisque Anne Wiazemski, l'auteure, est la petite fille de François Mauriac, à l'époque grand auteur nobellisé , académicien et dent dure du Figaro. Elle a vingt ans, débute une carrière au cinéma après un tournage avec Robert Bresson (raconté dans "Jeune fille") et une présence dans "Théorème" de Pasolini mais est surtout l'épouse de Jean Luc Godard, de 17 ans son aîné. Sa rencontre avec le cinéaste culte a été racontée dans "Une année studieuse" son précédent roman.
Dans ce nouvel ouvrage, Anne Wiazemsky se penche sur sa vie de couple et de jeune vedette dans cette année 68 si passionnante mais aussi sur ces événements qui ont marqué un tournant certain dans la vie française. Habitant en plein coeur du quartier latin, elle se trouvera tout à la fois impliquée et témoin de la révolte. Ces deux thèmes du livre se côtoient avec bonheur et semblent suivre le même chemin. L'exaltation du début va petit à petit se voir ternie par les doutes ou comment un couple et une révolution vont sombrer et perdre toutes leurs illusions.
Je l'avoue, j'ai été épaté par l'écriture de ce roman. Les événements datent d'il y a presque cinquante ans et pourtant, sous la plume d'Anne Wiazemsky, j'ai eu l'impression qu'ils dataient d'hier. Tout est tellement précis, tout semble tellement vrai que jamais on n'imagine le travail de tisseuse qui a dû avoir lieu pour arriver à ce résultat. C'est en cela que le livre n'est pas un simple recueil de souvenirs mais une recréation romanesque, un mélange sans doute de ce qui reste en mémoire et d'éléments recomposés.
Le résultat est passionnant. Mine de rien, on tourne les pages avec passion. On croise la fine fleur de l'intelligentsia, de ce qui composait l'élite pensante et d'avant garde de l'époque. On parle beaucoup de cinéma aussi (et comme j'aime ça, je buvais du petit lait). Et puis surtout, il y a un portrait inénarrable de Jean Luc Godard, boudeur, sentencieux, prêt à se fourvoyer dans les mouvements les plus utopiques pour rester dans le tempo de la révolution, tendre parfois, coléreux, chiant, imbuvable, amoureux aussi. Il est à lui seul un vrai personnage de roman.
J'avais été plus réservé pour "Une année studieuse", agacé peut être par un ton "jeune fille de bonne famille". Dans "Un an après", on le retrouve toujours mais il est tellement nuancé par un recul certain de l'auteur sur la jeune femme qu'elle a été, qu'au final, c'est l'histoire qui l'emporte haut la main.... pour notre plus grand plaisir.
Pas envie de lire ce livre pour de bonnes et ou mauvaises raisons
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