mardi 25 février 2014

Feu pour feu de Carole Zalberg


Après " A défaut d'Amérique ", Carole Zalberg nous revient avec un très court texte diablement inspiré. C"est le cinglant monologue d'un pére  réchappé  d'un charnier en Afrique. Il raconte son périple pour venir jusqu'à chez nous, accompagné de sa fille encore tout bébé. La traque dans son pays, la traversée de la mer, l'arrivée dans un centre de rétention puis son installation en France, pays étranger. 
Un parcours classique donc, souvent raconté ailleurs. Mais ici, l'écriture toute en intensité, transcende le récit. Derrière les mots choisis qui disent l'amour de cet homme pour son bébé et sa force pour vaincre son terrible sort, il y a le concret qui est éludé, sous entendu. Les mots, les phrases de Carole Zalberg ont une force évocatrice puissante, notre connaissance de cette immigration, les images que l'on a pu nous en montrer ailleurs comblant très bien les vides du récit. On imagine  le Rwanda, Lampedusa...
Ce qui aurait pu être seulement un long cheminement vers un ailleurs censément plus beau se double ici d'un deuxième récit, enchâssé dans le premier et qui correspond à la voix du bébé devenu une adolescente rebelle ayant occasionné un incendie dans un immeuble pour un motif totalement crétin.
Entre la langue employée par le père tout en amour et en dignité et celle, pauvre et vulgaire de sa fille, le texte prend une ampleur inattendue. La tragédie du génocide, des souffrances des migrants ont forgé au père une stature, une humilité et une conscience qu'hélas il n'a pu transmettre à sa fille, enfant livrée à elle même dans une banlieue sordide. Son pays d'accueil ayant été  incapable de lui apprendre autre chose que le rejet et l'isolement aussi bien culturel que social. 
Ce petit roman vous transperce comme une évidence, constat impitoyable d'un monde qui n'est pas fait pour tout le monde, où la barbarie sous toutes ses formes guette les plus faibles. De la violence physique de son pays de départ à la violence morale et quotidienne dans son pays d'exil, cet homme, pourtant honnête et courageux, voit ses pauvres espérances d'une toute petite vie meilleure anéanties par des sociétés pleines de préjugées et d'indifférence. 70 pages suffisent à une formidable écrivaine pour exprimer les plaies béantes d'un monde de plus en plus fou. 

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