Les barricades du titre sont celles que des étudiants lassés par une France endormie et sclérosée par un pouvoir d'un autre âge ont dressé par un beau mois de mai 1968. Le déjeuner quant à lui n'a rien à voir avec quelques merguez grillées sur un brasero improvisé dans un bidon devant une usine occupée par des ouvriers en colère, ni un pique-nique militant dans la cour de la Sorbonne. Pauline Dreyfus nous transporte dans un lieu bien plus original, bien à l'abri de toute revendication révolutionnaire et dont la clientèle plus habituée au champagne qu'au vin rouge en bouteilles étoilées, ( les moins de 50 ans ne peuvent comprendre cette allusion aux bouteilles de vin consignées qui accompagnaient les repas des prolos de l'époque) se croit à l'abri de ce monde si prompt à lancer des pavés ou retourner des Rolls sur le Boul' Mich'. Ce déjeuner se déroule dans un de ces palaces parisiens où une nuit coûte au minimum un mois de salaire de n'importe quel ouvrier de l'époque ( mais de la nôtre aussi !): L'hôtel Meurice qui se partage, s'arrache, se jalouse des résidents fortunés avec ses ennemis commerciaux que sont le Ritz ou le Georges V.
Comme au théâtre, nous nous retrouvons avec un lieu unique et une unité de temps bien précise : la journée du 22 mai 1968. Toute une galerie de personnages fragilisés par le situation explosive du moment va se croiser. Si la grève du personnel a heureusement été évitée, le sentiment révolutionnaire s'insinue au cœur des dorures, faisant ainsi voter une motion éliminant toute hiérarchie. Le directeur de l'établissement se retrouve à errer dans les couloirs feutrés, sans travail, sans droit à la parole et va vivre une journée bien particulière. Roland, ex chef du personnel, mais présentement membre quelconque de ce nouvel univers auto-géré, veille toutefois au bien-être d'une clientèle déboussolée par un personnel qui sent pousser les ailes de la liberté.
Mais ce 22 mai ne peut faire l'impasse sur un événement littéraire organisé chaque année par une de ces richissimes résidentes, aussi célèbre qu'excentrique : la milliardaire Florence Gould. Bien que piètre lectrice, elle a créé le prix Roger Nimier récompensant un premier roman avec un chèque au montant fort appétissant, remis lors d'un déjeuner prévu de longue date et réunissant la fleur plus que vieillissante de la littérature de l'époque. Hélas entre la grève des transports, la pénurie d'essence, la peur de se prendre un pavé sur le nez, la crainte de rencontrer un jeune débraillé aux cheveux longs, la venue des invités est compromise. Heureusement le Meurice dans ces chambres haut de gamme offre de possibles invités pour combler les trous, notamment un notaire au bord de la mort ou Salvador Dali et son épouse qui pourront ainsi profiter dde la conversation du gagnant de l'année, Patrick Modiano.
Une chose est certaine, pour peu que l'on goûte de l'histoire contemporaine, de littérature et de presse people, aucun ennui n'est a redouté à la lecture du troisième roman de Pauline Dreyfus. Ca pétille comme le champagne servi dans les salons confortables de l'hôtel, c'est espiègle comme une femme de chambre libérée du regard de son chef, mordant comme l'ocelot du peintre catalan qui rôde dans les couloirs à la recherche de proies.
Cependant derrière cette comédie humaine qui vire au vaudeville, se cache bien évidemment un discours un peu plus sérieux. Ces riches qui pensent être au bord du gouffre, certains que le prolétariat aura leur peau, vivent cette journée dans une ambiance cotonneuse de fin d'un monde fort bien recréée. L'auteur recentre cette risible tragédie vers un ailleurs plus politique, montrant une humanité travailleuse pas vraiment prête à cette pseudo liberté qui s'agite sous leur nez. Cette révolution aux apparences bienveillantes, avec ce doux parfum de bonheur au bout du chemin, laisse apparaître l'inévitable récupération par les nantis.
Et comme nous sommes quand même au cœur d'un roman léger, malicieux et rendant hommage aux figures littéraires, je vous laisse découvrir comment ce déjeuner sera les prémices d'une grande oeuvre. Avouez que pour 18 euros, prendre un repas dans un cinq étoiles, ce n'est pas cher et qu'il serait idiot de s'en priver !
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