L'Amérique du Nord, bien pensante, celle des blancs pétris d'une vraie morale capitalo/religieuse sert ce cadre à cette histoire noire, troussée avec habileté par Ron Rash.
Tout ronronnait comme il se devait pour les deux frères Bill et Eugène. A l'aune des valeurs américaines, le premier, chirurgien reconnu, jouissait d'une vie enviable que son statut professionnel ( et l'argent qu'il en retire) lui offrait. Le deuxième, tout aussi brillant, mais sans doute plus porté sur l'introspection, a quitté son emploi de professeur de littérature et plongé dans l'alcool suite au départ de sa femme et de sa fille. Tout est donc à sa juste place dans cette Amérique où la pugnacité et l'esprit d'entreprise sont toujours récompensés ( sous le regard de Dieu...).
Mais voilà que l'on découvre dans le comté de Sylva en Caroline du Nord où ils résident, des ossements humains appartenant à une certaine Ligéia ayant disparu voici presque cinquante ans. Or, les deux frères, durant l'été 1969, alors au bord de l'âge adulte, ont côtoyé cette jeune fille. A l'époque, elle symbolisait à leurs yeux de ploucs bien loin des mouvements beatniks, l'intrusion d'une liberté inespérée associée à une approche de la sexualité. Et avec ces bouts d'os, resurgit soudain un passé enfoui, une histoire entre les deux frères jamais élucidée, un rivalité jamais éteinte.
Aux frontières très ténues du polar noir et du roman psychologique, Ron Rash signe ici un roman parfaitement maîtrisé et passionnant. Comme Eugène, le narrateur, nous avons envie de savoir ce qui s'est réellement passé durant cet été 1969, au bord de cette rivière, dans ce recoin rocheux à l'abri des regards. Quel a été le rôle exact de Bill dans la disparition de cette jeune fille délurée ? Mêlant avec une parfaite maîtrise présent et passé, le lecteur passe petit à petit derrière cette vitrine trop clinquante d'une vie provinciale si brillante, découvrant le fond sombre des âmes qu'une éducation ultra moralisatrice formate jusqu'à l'abjection. Cette rivalité fraternelle vire au drame shakespearien moderne au milieu des Appalaches.
Aussi rondement mené que précis dans l'analyse psychologique de personnages tourmentés, "Par le vent pleuré" confirme que Ron Rash se place vraiment dans le peloton de tête des romanciers américains actuels, sondant avec acuité l'âme de ses concitoyens qui semblent vaciller vers le doute.
Et bien c'est réussi, on a qu'une envie... c'est de savoir ce qui s'est passé durant ce fameux été 69!!(encore une fois, ne pas se fier à la couverture, que j'avais fuie)
RépondreSupprimerEntièrement d'accord !
RépondreSupprimerSombre et percutant comme j'aime. Enfin un roman coup de coeur pour cette rentrée...Merci!
RépondreSupprimer