Derrière ce titre d'essai politique, se cache un premier roman ( mais est-ce vraiment un roman? ) qui, pour moi, fait l'effet d'une bombe. En peignant le portrait de sa mère, Jeannine, 65 ans, prof d'anglais à la retraite et vivant à Rezé (Loire Atlantique), rien d'explosif apparemment. Et pourtant, au fil des pages, naît une écrivaine, une vraie et, j'en prend le pari, une future grande !
Le sujet, labouré mille fois par tant d'autres et avec talent ou pas, n'a rien de bien attrayant au départ. Jeannine est une mère lambda, pas une tyrannique, pas une toxique, pas une foldingue ni une figure maternelle nimbée d'amour pour sa progéniture, ni une pauvre femme humiliée qui souffre en silence. Jeannine ne possède aucun de ces éléments qui donnent un relief touchant à un récit. Elle est, comme beaucoup de mère, attachée à sa fille unique tout autant qu'à sa liberté, prévisible dans ses points de vue, trop parfois, agaçant normalement son entourage de ses histoires trop ressassées et de ses petites habitudes qui peuvent devenir insupportables. C'est sur ce terreau aux apparences bien anodines, que Blandine Rinkel va poser son regard et nous faire rencontrer une femme, qui comme tout humain de par le monde possède une histoire, une vie qui mérite d'être racontée. Oui Jeannine fait ses courses chez Lidl, vit seule dans une grande maison, promène un chihuahua et adore manger des crêpes avec une bolée de cidre, réflexe atavique breton. Derrière cette apparente banalité, se cache aussi une femme libre. De ses courses dans ce hard discount, elle en ramène des biscuits qu'elle partage avec des inconnus rencontrés dans sa petite ville, surtout étrangers et dans le désespoir. Dans sa grande maison, elle a aménagé un petit appartement qu'elle loue sans façon ni bail de vendeur de sommeil, à des marginaux de tout poil. De ses promenades avec son chien, elle rapporte, en plus de quelques désespérés, les histoires qu'elle invente en regardant les gens qu'elle croise, repérant mieux que personne une beauté pas toujours visible par qui a du mal à se soucier de son voisin. De sa gourmandise pour les crêpes, elle en fait un instrument de réconfort pour tous ceux dans le besoin qu'elle accueille simplement dans sa cuisine repeinte en rose lorsqu'elle dû renoncer aux voyages.
La simplicité n'est évidemment qu'apparente. La vie de Jeannine recèle une infinité de petits récits, de petites anecdotes que l'auteure ne manque pas de partager avec son lecteur. Le récit sautille comme cette dame lorsqu'elle court accueillir des marins étrangers au sein d'une association d'aide bénévole.
Seulement, le livre ne se résume pas à une succession de petits faits croquignolets, Blandine Rinkel va bien au-delà. Avec une écriture fine et d'une précision sociologique ( j'ose le mot même si certains peuvent y sentir un peu de lourdeur), avec un recul impressionnant, le portrait devient d'une précision quasi entomologique et l'ont est troublé par l'extrême sensibilité qui se dégage de ce texte.
Eliminant tous les bons et mauvais sentiments faciles que peuvent véhiculer ce genre d'évocation, nous découvrons ému, une femme d'une humanité réelle et une fille, qui en la décrivant sans concession, lui adresse une magnifique ... non pas déclaration d'amour (quoique)... mais l'extrême beauté d'un texte intelligent et tendre qui par son regard précis la porte bien au-delà d'un simple portrait de mère.
"L'abandon des prétentions" devient sous la plume de son auteure, la représentation parfaite d'un membre de cette classe moyenne si difficile à définir, un membre qui " ne pourrait jamais être l'égale de ses modèles" mais qui possède un " penchant pour la liberté qu'offre l'abandon des prétentions." Et en cela, ce premier roman magnifique devient aussi un livre politique.
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