jeudi 31 janvier 2019

Festival Premiers Plans Angers 2019



Rien ne vaut le festival Premiers Plans d'Angers pour saisir l'air du temps saisit par des jeunes talents actuels qui font ici leurs premiers pas. 
Paradoxalement, le public, fort nombreux, se compose, en grande partie de troisième âge... gourmand, curieux mais aussi  vindicatif voire agressif envers quiconque veut s'installer sur les places qu'ils estiment les meilleures et qu'ils réservent pour leurs copains arrivant en retard ! 
Si en soirée, le public jeune est encore moins nombreux, ce n'est pas le cas en journée où, drivé par quelques profs surmenés ou stoïques, il emplit les salles, mettant de l'ambiance mais aussi croquant sans vergogne des chips durant les séances ou gloussant en choeur dès qu'un peu de nudité ou de sexe apparaît à l'écran. 
L'ambiance reste toutefois joyeuse malgré, il faut bien le dire, une sélection qui risque de mener au suicide quelques spectateurs dépressifs venus au festival pour se changer les idées. Qu'est-ce qu'ils sont pessimistes ces jeunes réalisateurs !!!  Pour le moment, à moitié festival,  pas un émule de Buster Keaton ou de Jerry Lewis en vue! On lorgne plus vers Haneke ou Tarkovski et donc vers la possibilité d'être surtout vu en festival, et si par bonheur un distributeur ou la presse s'emballe, peut être dans les salles. Malgré tout, la sélection se révèle de bon niveau, plombante, formellement pas bien originale mais avec une certaine qualité narrative. Les grands thèmes du moment sont là : L'immigration et ses multiples effets, présente dans au moins trois films ( dont  "Saf" du turc Ali Vatansever, âpre et prenant et l'étouffant et sans concession "Cutterhead"  du danois Rasmus Kloster Bro ), le harcèlement des femmes ( dans le réussi "Comme si de rien n'était " de l'allemande Eva Trobish), les méfaits de l'ultralibéralisme ( " Ceux qui travaillent" du Suisse Antoine Russbach). Les jeunes cinéastes européens donnent leur vision d'un monde qui bouge. Seule la réalisatrice russe Nataliia Meshchaninova avec le gadouilleux " Core the world" a irrité une bonne partie du public en présentant des écologistes dans le rôle des méchants, face aux bons chasseurs utilisant les animaux de façon assez bestiale. Ce film a au moins le mérite de nous présenter une autre vision de ce cinéma qui est loin d'être uniquement composé de réalisateurs " bien pensants" ( et souvent produit par l'Europe). Côté français, seuls deux films nous ont été présentés et bizarrement ayant le même point de départ : la sortie de prison d'un jeune adulte. Si " L'ENKAS" rate son objectif avec un scénario mal ficelé et des dialogues pas toujours audibles ( mais son réalisateur voulait donner un rythme hip hop!) le public semble s'être emballé pour l'étonnant "Les drapeaux de papier" du surprenant Nathan Ambrosioni, 19 ans ( chic nous avons notre Xavier Dolan !), qui, même s'il n'évite pas quelques facilités, surprend par sa maturité et par sa direction d'acteurs avec les éblouissants Noémie Merlant et Guillaume Gouix. Et, si j'en juge par les commentaires que n'arrêtent pas de s'échanger les festivaliers dans les files d'attente, le film roumain de Loana Iricaru "Lune de miel", sur le difficile parcours d'une romaine pour obtenir un Green Card aux USA, a, très justement, ému et séduit. 
A priori , on ne s'amuse pas beaucoup dans la salle un peu glaciale du Quai où se déroule cette année le festival , mais heureusement la musique d'Amadou et Mariam ( "Sabali") qui accompagne le clip de présentation chauffe de plus en plus le public avant la projection ! 




mercredi 30 janvier 2019

Pearl de Elsa Amiel


Derrière cette affiche girly, se camoufle un premier long-métrage étonnant ou tout du moins original. Elsa Amiel, la réalisatrice, fine jeune femme ( dans tous les sens du terme) plonge le spectateur dans un univers très rarement utilisé au cinéma : le monde du culturisme féminin. Il y a du gloss, des paillettes, des bikinis mais aussi des corps de jeunes femmes bodybuildées à l'extrême, des êtres aux apparences musculeuses qui n'arrivent pas à masquer une certaine masculinité ou tout du moins celle que l'on peut donner aux hommes puisque les biceps et autres pectoraux développés peuvent faire partie de la panoplie du mâle. Mais, quelque soit le genre, sous cette force apparente, se cachent des êtres souvent faibles, aux nombreuses fêlures tant narcissiques que psychologiques. En glissant sa caméra dans les coulisses d'un championnat de culturisme, la réalisatrice aurait pu se contenter d'une histoire proche du documentaire tant le déroulé des épreuves tient du suspens. De la préparation avec son entraîneur, à la fois gourou et "père" incestueux, en passant par les jalousies, les vacheries déstabilisantes et jusqu'au résultat, la caméra a de quoi capter. Seulement, Elsa Amiel désire porter sa réflexion plus loin, vers un sujet plus dérangeant qui a à voir avec le genre et qui interroge la maternité et son soi-disant instinct. En flanquant dans les jambes de son héroïne toute à son concours, un fils qu'elle n'a pas vu depuis des années, le scénario prend un relief différent. Sans jamais s'appesantir, la caméra nous donne vraiment à ressentir avec ces plans de cette femme hors norme ( regardez comme ce terme ressemble visuellement à hormones) prenant dans ses bras son petit garçon, voire même ceux du générique de début où ses muscles filmés au plus près de la peau pourraient très bien être ceux d'un homme. Nous sommes très loin des représentations, de la femme, de la maternité diffusées depuis des siècles. Il y a comme une perte de repère voulue, assumée, qui fonctionne très bien.
Ce premier film, sortant des sentiers battus, assez abouti ( avec une  gestion du temps et des espaces pas trop crédible lorsque Pearl sort du lieu de concours) étonne par son ambition, son regard. Elsa Amiel a des choses à dire, à montrer et pour une fois que ce n'est pas du narcissisme auto-biographique, ayez la curiosité d'aller à la rencontre de Pearl, vous devriez ne pas le regretter.


mardi 29 janvier 2019

Un certain Paul Darrigrand de Philippe Besson


Après "Arrête avec tes mensonges" , succès autant critique que public, Philippe Besson  continue à revenir sur ses amours anciennes et sur l'impact de  celles-ci sur sa création littéraire passée. Un bon  filon ? Peut être... 
C'est bien connu les amours se suivent et ne se ressemblent pas. On aimerait bien retrouver des sensations semblables, mais chaque être, chaque histoire, chaque peau est différente. Et pour les romans c'est exactement la même chose, ils se suivent mais les intensités diffèrent. Le Paul Darrigrand du titre, deuxième grand amour du narrateur et donc de l'auteur ( mais il faut se méfier avec ces écrivains qui ont l'imagination fertile), apparaît nettement moins attachant que son prédécesseur. Beau sans doute, marié ( ce qui donne de la complexité à l'histoire et rend cette passion également secrète), torturé à sa façon, plus toxique aussi, il ne respire pas l'empathie. Qu'importe puisque l'auteur en est raide dingue et surtout sous son emprise. 
Le récit se focalisera sur cette relation au travers du tamis de la mémoire, des souvenirs des sensations de l'époque et du regard plus introspectif d'aujourd'hui. Pas tout à fait original, un peu plus égocentré, ce nouvel opus touche nettement moins. Philippe Besson a beau avoir une plume agile avec des apparences de sincérité qui impressionnent, le récit emporte nettement moins. Pourtant on retrouve des ingrédients qui donnaient un vrai relief au précédent, la mort qui rôdait, le regard sur son oeuvre  ou la description très fine de la province du début des années 80. Cette fois-ci la mort possible est pour le narrateur. Elle occupe une grande place et nous éloigne de sa passion ( mais nous offre de très belles pages, notamment celle de la mort d'un patient en hôpital). Quant aux rappels de l'époque, ils nous sont asséner un peu lourdement, au détour d'un paragraphe, comme plaqués maladroitement par un décorateur peu inspiré. 
Toutefois, Philippe Besson parvient à retenir l'attention du lecteur. Son style fluide et son regard acéré procurent quand même quelques plaisirs de lecture, mais sans commune mesure avec l'émotion qu'il distillait avec aisance dans "Arrête avec tes mensonges". Le filon semble se tarir un peu.... 


jeudi 24 janvier 2019

Ce que font les gens normaux de Hartley Lin



Observons bien la couverture de ce magnifique roman graphique du canadien Hartley Lin. Nous y voyons deux jeunes filles. Une blonde, à l'allure plus affirmée, délurée peut être, c'est Vickie, comédienne débutante. La petite brune à ses côtés, plus sage, c'est Frances qui vient d'être embauchée comme juriste dans une énorme boîte d'avocats d'affaire. Elles sont colocs et amies. Toutes les deux ont une petite vingtaine et entrent dans la vie active. Elles regardent droits devant elles, l'une prête à dévorer sa vie, l'autre plus circonspecte, ses études ayant déjà bien formé son moule de petite main au service de l'entreprise. Cependant, comme tout un chacun, elles ont des rêves, des espoirs de vie intense ... Mais derrière elles, puissant, un cheval noir les surplombe, les domine, image de la société libérale qui n'attend que leur participation silencieuse. Oui ces deux jeunes filles sont les gens normaux d'aujourd'hui, celles du titre, celles, ceux que la machine entreprise broie sans ciller.
Aussi différentes sont ces deux amies, aussi similaires seront leurs débuts de carrière dans le monde du travail. Elles grimperont très vite vers les sommets. Si dans le milieu du spectacle les causes du succès restent subjectives, dans le milieu juridique, elles récompensent un travail d'une abnégation totale. Hartley Lin s'attache surtout à suivre Frances, petite femme  dans son impitoyable univers professionnel. Sous des apparences feutrées, de bon ton, la pression se vit au quotidien. L'entreprise est une dévoreuse de jeunes stagiaires qu'elle recrache très vite, ne gardant que les plus performants qui sont aussi ceux qui vont y consacrer leur vie ...pour être dégagés une fois bien pressés, souvent après la quarantaine. Le regard de l'auteur, impitoyable et férocement juste, tend vers une certaine douceur, une tendre empathie, à l'image de son dessin en noir et blanc, à la rondeur classique et chaleureuse. Les deux jeunes filles vont vraiment passer à l'âge adulte. Elles ont réussi dans leur métier ...mais sont enfermées dans un système qui nie leur personnalité. La question du choix les taraude. Elles sont heureuses d'avoir un bon travail ...mais à quel prix ? Auraient-elles pu dire non à un moment donné ? Pourront-elles dire non plus tard ou ce sera le système qui les rejettera sans ménagement une fois qu'elles seront devenues obsolètes dans le monde du travail ?
La lecture  de " Ce que font les gens"  agit sur le lecteur comme un miroir . C'est notre vie de fourmis laborieuses et surtout silencieuses qui nous est renvoyée et l'effroi de ce que nos enfants devront endurer. On ressort presque broyé de cette plongée au coeur d'un système dont l'humanité nous échappe. Et malgré le constat accablant que livre Hartley Lin, les deux héroïnes vraiment sympathiques et touchantes, apportent cette dose de douce lumière qui rend ce roman graphique extrêmement agréable à lire. 

lundi 21 janvier 2019

Partiellement nuageux de Antoine Choplin


Dans la horde de romans aux sujets les plus divers mais souvent faits pour en mettre plein la vue ou tout du moins le faire croire, " Partiellement nuageux"  joue sa partition, le nez dans les nuages mais surtout l'écriture au coeur d'un texte qui touche au plus profond par sa délicatesse et sa sensibilité. 
Nous sommes au Chili. Ernesto, observe le ciel mais ce jour là, il abandonne Walter ( c'est le nom de son télescope ) pour aller à Santiago négocier auprès de l'administration une pièce détachée  pour sa lunette astronomique. Il profite de son passage dans la capitale pour aller au musée de la Mémoire. Là, il peut regarder le portrait de Paulina dans la salle des disparus. C'est un premier nuage que pose l'auteur dans ce ciel pourtant plus limpide qu'ailleurs, un nuage que seuls perçoivent les rescapés d'une dictature... Et dans cette même salle, va apparaître une femme, qui elle aussi, sans doute, vient penser à un membre de sa famille. Ils vont échanger quelques mots anodins puis repartir chacun de leur côté. Pour ces deux êtres que l'on devine tout suite comme solitaires, ce moment s'insinuera dans leur vie jusqu'à se recroiser une deuxième fois et entamer une balade qui ouvrira d'autres horizons qui pourraient peut être éclaircir leur ciel encore partiellement nuageux. 
En 138 pages, faussement simples, Antoine Choplin distille un petit bonheur de lecture qui nous fait autant voyager qu'imaginer de grandioses paysages et découvrir une rencontre où chaque geste, chaque main qui se touche, nous apportent un flot d'émotions et de sensualité. Un chat qui se glisse entre les jambes et c'est la chaleur animale qui passe, une boîte de sardines étalées sur du pain de la veille fait figure de festin, une danse au milieu de statues Mapuche nous foudroie de désir, le vent, la mer, caressent et ébouriffent des sentiments qui ont du mal à s'exprimer, à naître. Et pourtant, les nuages stagnent inexorablement dans les esprits. Et pourtant, cet homme et cette femme ne vont cesser d'essayer de se découvrir parce que la vie finit par être un peu plus forte que le voile noir du passé. C'est limpide comme les cieux chiliens, sensuel comme la caresse du vent dans les cheveux, chaud comme le soleil qui réchauffe les corps après une nuit fraîche, simple comme une main qui s'accroche à un bras. C'est tout simplement... BEAU ! 

dimanche 20 janvier 2019

Comme à la guerre de Julien Blanc-Gras


Julien Blanc-Gras à l'aube de la quarantaine, âge où l'on bascule vers une autre portion de la vie, que certains, plus prosaïques, appellent passer au stade vieux con, se reproduit. Un petit garçon naît et avec lui, en plus des chamboulements inévitables dans une vie de couple, son regard, jusqu'à présent exercé à voir le monde ( c'est un écrivain-voyageur), s'ouvre sur sa vie. Quelques questions politico/philosophiques viennent le questionner. Les attentats de Paris en 2015 et le sentiment de guerre larvée résonnent dans sa tête. Est-ce bien raisonnable de faire naître un enfant dans un monde où potentiellement il devrait moins bien vivre que ses parents ? Et que lui transmet-on alors que des réflexes inconscients de peur affleurent dans le quotidien ? Et puis la vie continue, avec d'autres attentats, qui maintenant ébranlent toujours les êtres mais sans les étonner et un petit garçon qui grandit et qui suscite un émerveillement paternel de tous les instants. 
"Comme à la guerre" se présente un peu comme le journal de bord d'un père. On y trouve un humour  décalé qui démontre de façon sous-jacente que le mâle contemporain, plus proche de sa progéniture que les générations précédentes, plus attentionné, pétri de principes éducatifs ( Montessori, nouvelle papesse de l'éducation branchée) garde toutefois un certain recul. Tout ce qui concerne ce cheminement parental de l'élevage du garçon dans un 21 ème siècle urbain et traversé par une myriade de courants ou d'événements, s'avère très bien vu et superbement écrit. On pourra le relire dans 20 ou 30 ans , et on aura un magnifique portrait de ce que sont ces néo-bourgeois parisiens des années 2010 qui roulent en scooter, courent le monde et lorgnent vers un véganisme total. 
Cependant, et en voulant, à juste titre, faire un lien avec sa famille et notamment ses grands parents, il a inclus quelques chapitres comportant des extraits d'un journal tenu par un des ses grand-pères durant la guerre de 40 et les récits d'engagement de son autre aïeul durant la même période. Ici, l'humour contemporain fait place à un devoir de mémoire personnel et plus émouvant pour l'auteur que pour le lecteur. Les récits exhumés, assez factuels, même s'ils retracent des événements historiques, ont du mal à s'intégrer dans l'ensemble. Si Julien Blanc-Gras arrive à justifier ces passages en les reliant avec son journal, trace de sa vie pour son ( ses) descendant(s), le roman souffre un peu de ces tonalités un peu différentes. ( " Pour rendre hommage à celle de mes aïeux, je ne peux qu'offrir ce petit mausolée de papier, qui sera remis à la génération suivante.")
" Comme à la guerre",  bien que très marqué parisien branché, reste agréable à lire, et décrit parfaitement son époque de l'intérieur. Julien Gras-Blanc a donc gagné son pari : offrir un journal que son enfant aura plaisir à relire dans des décennies... et sans doute d'autres lecteurs qui retrouveront l'esprit si particulier de ces années du début du 21ème siècle. 

vendredi 18 janvier 2019

De l'autre côté du lac de Xavier Lapeyroux


Enfin un roman français sans héros dépressif ( quoique...), sans une résurgence nauséeuse de souvenirs d'enfance ( même si...), sans un adultère ( quoiqu'en y regardant bien...).
Enfin un roman français ambitieux dont le thème principal joue beaucoup avec la raison et où l'on change le code source ( pas certain que ce dernier indice soit réellement vendeur mais impossible d'en dire plus).
 Enfin un roman français à l'étrange atmosphère où la chaleur oppressante d'un été qui attend en vain l'orage, enfièvre Hermann, un personnage principal témoin d'événements étranges et qui donne la sensation de perdre aussi la tête.
Enfin un roman français qui assume d'être inclassable et qui déroule une histoire dont les apparences banales du départ vont petit à petit nous transporter dans des zones de plus en plus perturbantes.
Difficile de parler de ce roman sans en dire trop, sans en dévoiler la mécanique folle qui déstabilise petit à petit le lecteur. Pêle-mêle, il y est question d'un lac, d'une maison identique à celle du narrateur qui apparaît sur la rive opposée, d'adolescents qui disparaissent et d'autres qui trouvent refuge dans un centre d'accueil assez particulier, d'un jeune voisin tué par arme à feu, d'une ville écrasée par la chaleur, d'une épouse qui manque à l'appel, d'une fille de 16 ans qui se promène beaucoup, d'un père flippé qui voudrait tout maîtriser.
On plongera dans " De l'autre côté du lac"  non pas pour se rafraîchir mais pour se glisser dans une lecture dont on ne sait jamais où elle va nous mener. Sans grands effets ou macabres ou violents, le roman avance masqué. Ni réellement polar, ni réellement psychologique, écrit avec une fausse simplicité, il nous embarque d'un point A pour nous diriger sans heurt vers un point B étonnant. Et même si l'on a un peu de mal à cerner ce point B, la sensation d'avoir été mené dans un drôle de bateau ne quitte pas le lecteur une fois le livre refermé. C'est assez rare pour le souligner et peut être suffisant pour que vous ayez envie d'aller faire un tour du côté de ce lac où le rationnel et son contraire jouent une singulière partie...  

jeudi 17 janvier 2019

Avalanche Hôtel de Niko Tackian


Chez Calmann Lévy, on ne lésine pas sur les références pour le lancement du nouveau Niko Tackian, en passe de devenir l'Amélie Nothomb du polar puisqu'il semble publier avec la régularité d'un métronome la première semaine de janvier. Jason Bourne ( Ah bon !? ) et Stephen King ( pour l'hôtel sans doute) sont convoqués pour ce qui nous est présenté comme un "thriller hypnotique". Mouais... On voit bien que l'éditeur tente de ferrer un public beaucoup plus vaste.  Contrairement aux deux précédents opus de l'auteur,  les noirs et bruts " Toxique" et "Fantazmë" , Avalanche Hôtel" lorgne vers un polar plus proche de la tasse de thé dégusté dans le salon d'un grand hôtel que du shot de gin avalé dans un rade de Belleville.
Gage de radoucissement, l'action se situe en Suisse, au bord du lac Léman, à l'ombre de la maison Nestlé et de ses nombreux actionnaires. Du pays, on n'apercevra que des hameaux perdus et désertés, un cimetière oublié des hommes et un grand hôtel lui aussi à l'abandon. Rien de symbolique là-dedans, juste une façon de planter un décor voulu inquiétant. L'histoire démarre de façon vaguement onirique par le rêve du personnage principal, un jeune lieutenant de la police vaudoise. Une jeune fille disparue en 1980 dans un grand hôtel où il exerce la profession de vigile, se mêle avec une balade sous la neige sur une piste de bobsleigh et quelques personnages étranges. Evidemment, ce cauchemar ne sera pas anodin et deviendra obsédant quand la réalité de 2018 refera apparaître un portrait de la disparue des années 80 dans les mains d'une jeune fille inconnue retrouvée dans la montagne. Mais qui est-elle ? Qui sont-elles ? Et pourquoi ces rêves ? Trois questions auxquelles le roman ne manque pas de répondre...
Le thriller hypnotique promis ne tient pas tout à fait ses promesses. Nous avons plutôt affaire à un petit roman policier pas désagréable qui essaie maladroitement ( ou mécaniquement) de sortir un peu de l'ordinaire. L'intrigue mystérieuse essaie de jouer une musique scientifique en nous baladant dans les dernières recherches en matière de neurologie ( rassurez-vous, on ne s'y attarde pas trop) voire de physique quantique ( oh, un chouia, 4 lignes !). Le style, banal, se résume surtout à des descriptions factuelles tant pour le décor que pour les personnages. Le rythme est donné par de cours chapitres où, chaque fois il se passe heureusement un petit quelque chose sensé nous mettre en appétit. Mais malgré  une atmosphère de tempête de neige imminente et surtout un épais brouillard tenace, le lecteur voit très vite, dans les grandes lignes, ce qui va ressortir de cette enquête. La fin, assez prenante, aurait mérité que l'on s'attarde un peu plus sur l'impact créé dans la vie de certains personnages( mais sans doute pas dans le ton général du roman plus porté vers sur l'action que sur la psychologie) . Le tout se lit très facilement, un peu trop peut être pour laisser une forte impression.
Alors pour l'hypnotique de la chose, je pense qu'il vaut mieux lire autre chose, pour de la détente simple et pas prise de tête, on peut passer un moment à l'ombre de cet  " Avalanche Hôtel " . 


mardi 15 janvier 2019

Mes vies secrètes de Dominique Bona

Ca commence par une scène de naturisme un peu comme dans " Sérotonine"  ... puis continue par une évocation de photos de jeunes femmes ne cachant vraiment rien de leur intimité...  Diable ! Dominique Bona de l'académie française, romancière et surtout biographe, a-t-elle décidé de fendre l'habit vert en nous livrant les nombreux souvenirs de ses longues recherches dans l'univers de celles et ceux dont elle a évoqué la vie ? Rassurez-vous, après ce démarrage très dévêtu, la suite retrouve les allées gracieuses de l'élégance et de l'érudition qui font le sel de ses écrits.
Romain Gary, Berthe Morizot, les soeurs Hérédia, Gala, Camille et Paul Claudel, Stefan Sweig se retrouvent compilés dans cette évocation qui allie autant leur vie ( ici juste évoquée) que l'impact qu'ils ont eu sur l'auteure. Sans entrer réellement dans les coulisses de la création d'une biographie, " Mes vies secrètes"  conte avec délicatesse les émotions que Dominique Bona a ressenties pour cerner au mieux les personnages sur lesquels elle dirigeait son projecteur empli d'affection mais aussi de fine psychologie. Ces rencontres ont pu être, réelles, avec les descendants de ces personnalités, de papier ( travail d'archive) ou architecturales en visitant les maisons ou châteaux qui ont abrité les créations ou les amours de ces êtres souvent d'exception. Elle se plaît à noter qu'elle croisa certains plusieurs fois au gré des différentes biographies. Elle y voit un joli clin d'oeil de la vie... comme ceux d'une deuxième famille de papier qui se retrouve ainsi parfois réunie. Pour le lecteur, cette charmante bienveillance procure un joli moment de lecture, de bon ton, de bon goût. Toutefois, en filigrane, ne peut s'empêcher d'apparaître une certaine littérature de l'entre-soi.
Dominique Bona, dans ses biographies, a principalement narré les vies d'artistes de la première moitié du 20 ème siècle. Qu'ils soient peintres, sculpteurs ou écrivains, ils se sont tous plus ou moins croisés, aimés, épousés, trompés avec la soeur de l'un, le mari de l'autre.  Notre auteure, se plaît à retrouver quelques personnalités secondaires qui apparaissent dans plusieurs de ses biographies, parfois dans un lit en amant ou maîtresse, plus souvent dans un cercle mondain. Elle s'émerveille de ces retrouvailles, de ces petits liens que beaucoup entretenaient. Le lecteur perçoit surtout que ces riches créatifs ( pour la plupart) ne sortaient pas de leur milieu, habitaient tous dans le 16 ème et s'ils allaient à la campagne, c'était en groupes bien choisis puis bien cachés dans une grande demeure. Cette impression se renforce d'autant plus que dans la partie contemporaine de son récit où, Dominique Bona, en fille de bonne famille, raconte tout à fait innocemment ses amitiés avec pas mal d'écrivains bien introduits dans le milieu littéraire, Michel Mohrt, Jean-Marie Rouard, François Nourrissier, ...,  académiciens dont la production littéraire un peu poussiéreuse servit ( ou sert)  surtout à emplir les colonnes du Fig Mag. Une petite distance affleure, comme si le lecteur faisait intrusion dans un dîner où il n'était pas vraiment convié. Cependant, la belle écriture de Dominique Bona, le joli recul qu'elle a sur son travail et la douceur avec laquelle elle accepte d'entrebâiller ces monde feutrés et confortables, font que l'on passe, malgré tout, un agréable moment en remarquable compagnie. 

lundi 14 janvier 2019

Né d'aucune femme de Franck Bouysse


Ce titre un peu mystérieux qui pousse à la lecture, cache une histoire d'un romanesque absolu et bien noir. 
Dans une époque non précisée ( fin du 18 ème ?), un prêtre va entrer en possession du journal d'une femme écrit alors qu'elle était enfermée dans un asile d'aliénés. Il découvrira le tragique destin d'une dénommée Rose, vendue adolescente par son paysan de père à un hobereau à l'allure sinistre. De ce marchandage que l'on peut espérer d'un autre temps ( au moins dans nos contrées) découlera une vie sordide que Franck Bouysse va nous distiller avec la force tranquille d'un auteur habitué aux sombres récits. 
En s'affranchissant des codes du polar qu'il donnait à ses précédents romans, l'écrivain corrézien aborde frontalement le grand romanesque prompt à remuer profondément Margot ... et Léon , ne soyons pas sexiste ! On retrouve ça et là quelques sources d'inspiration qui vont de l'Angélique d'Anne et Serge Golon à la Rebecca de Daphnée du Maurier voire à la Jeanne d"Une vie" de Maupassant ( mais sans la portée sociologique et politique). Comme c'est un bon conteur, il sait trousser une histoire, y mettre des rebondissements, rendre une héroïne fortement empathique. Malgré cela, il n'est pas certain ce soit totalement réussi...
Le roman pâtit d'une construction à rebours qui rend toute la première partie totalement prévisible ( sauf pour les lecteurs naïfs ou récents qui n'imaginent pas une seconde le sort réservé à une pauvre fille placée chez des riches peu avenants). Heureusement, l'écriture musicale, poétique parfois, grave aussi, sensuelle, épousant les désarrois ou les espoirs de chacun, arrive à faire passer l'ensemble, même si l'on peut être étonné que cette Rose, très vaguement instruite, puisse écrire aussi bien. Mais le romanesque doit bien utiliser quelques ficelles, c'est le jeu...
La deuxième partie s'avère plus originale, alliant un soupçon de gore avec l'amour, aussi bien maternel que passionnel. La construction devient plus évidente puisqu'elle permet de placer un petit twist final ...hélas trop rapidement exploité pour se conclure de façon quasi enfantine. 
Si l'on sait occulter les ficelles d'un genre déjà beaucoup labouré, "Né d'aucune femme"  saura émouvoir un lectorat aimant les belles histoires tourmentées. Ce roman se hisse quand même au-dessus du lot de cette littérature romanesque grâce à son écriture ample, forte et inspirée par une héroïne au courage édifiant. 


dimanche 13 janvier 2019

Sérotonine de Michel Houellebecq



La grosse artillerie médiatique, accompagnée par un tirage record ( 320 000 exemplaires + 50 000 au bout d'une semaine) continue de donner à penser que Michel Houellebecq trône au-dessus de tout le monde dans la littérature française. Auteur volontiers polémique à l'image loin des codes ambiants, quasi chacun de ses écrits ( sauf ses poèmes qu'il n'arrive pas à imposer), de ses rôles au cinéma ou ses interviews créent un émoi médiatique inégalé. La sortie de "Sérotonine" n'échappe pas à la règle. Chaque chapelle intellectuelle y va de sa dithyrambe ou de sa démolition en règle, sa parka ou ses déclarations offrant à n'en pas douter des prises tellement multiples que l'on peut ferrailler dur tous azimuts. Mais quand on est un lecteur lambda, loin de ces querelles intestines, que penser de ce nouvel opus ? En cinq questions, tentons d'y répondre...

Ca raconte quoi "Sérotonine" ? 

Scripto sensu, c'est l'histoire d'un homme d'aujourd'hui, Florent-Claude Labrouste, 46 ans, contractuel au ministère de l'agriculture qui se penche sur sa vie. Il a connu des femmes, est en train de se séparer de sa dernière conquête et la prise du "Captorix", un anxiolytique qui l'aide à supporter une dépression, le prive de libido. Il va se retourner sur son passé, tenter de retrouver certaines femmes de sa vie mais aussi un ami qu'il a connu durant sa période étudiante. Cette trame pas vraiment originale mais quelque part très "houellebecquienne" de part son alliage dépression/sexe, sera l'occasion pour l'auteur de poser son regard sur notre monde globalisé d'aujourd'hui et d'en tirer des conséquences forcément sombres.

Michel Houellebecq est-il réactionnaire ? 

Son apparition en couverture de " Valeurs Actuelles"  contribue à accentuer le doute. Le roman n'en donne pas vraiment la réponse car Michel Houellebecq, vraiment finaud, jongle merveilleusement avec la bien-pensance. En prenant un personnage qui est loin de lui ressembler ( plus jeune, plus viril, plus beau), il évite le double ( même si la force de son personnage d'écrivain continue à hanter l'esprit du lecteur) et se permet jouer avec le politiquement correct, d'asséner des pensées qui pourraient passer pour extrêmes, de faire tenir à son Florent-Claude des propos que l'on écrit rarement dans une littérature française bien proprette et bien calibrée. Et pourtant, grâce à son talent d'écrivain, tout passe parce que son regard acéré, balaie notre époque comme personne ne sait le faire.

Michel Houellebecq est-il visionnaire ? 

C'est son autre marque de fabrique ou tout du moins, celle qu'on lui prête énormément. Il est certain qu'il saisit admirablement l'air du temps, qu'il perçoit les mouvements d'une société de plus en plus pressurisée par un monde aux mains des financiers. Obligatoirement, son récit va résonner, mais aussi faire raisonner, tant la multitude de sujets, d'avis, qu'il arrive à glisser sont de possibles éléments pour la discussion et l'analyse. Cependant, il n'a sans doute rien d'un prophète même si sa capacité extrême à saisir les mouvements du monde peuvent bluffer le lecteur. Pour preuve, ce fabuleux passage, écrit bien avant les gilets jaunes mais qui y fait obligatoirement penser, sur une révolte d'agriculteurs ou comment le désespoir peut conduire à la violence, mais aussi être différemment interprétée selon l'endroit où l'on se place. Et même si la fin du roman pose un questionnement inquiétant sur l'avenir de l'homme dans un monde dominé par l'économie, parler de visionnaire pour Michel Houellebecq paraît un peu facile.

Michel Houellebecq est-il un obsédé sexuel ? 

Et alors ? Il a bien le droit ! Bien sûr, "Sérotonine"  débute dans un centre naturiste, puis par la rencontre de deux jeunes filles aux formes obsédantes, ... marques de fabrique de l'auteur, dont il semble jouer ici durant le premier tiers du roman, histoire de donner raison à ses détracteurs ( qui peut être ne seront pas allés plus loin dans le livre). On trouvera aussi une partouze, de la zoophilie, pour monter un cran au dessus de l'habitude. Ce que l'on peut lui reprocher, c'est cette façon régulière de mettre en avant un personnage masculin, certes mal dans sa peau, mais misogyne, avec une vision très utilitaire de la femme ( en gros, c'est une chaudasse avec trois trous). Mais ici aussi, ce n'est durant que le premier tiers, car par la suite le roman se révélera autrement moins grivois, autrement plus nuancé.

"Sérotine", est-ce un bon roman ? 

La réponse est : OUI, sans aucune hésitation. Qui de nos jours, en France, peut écrire un roman tourne-pages ( oui, on le dévore) autour de personnages tous plus dépressifs les uns que les autres, tout en restant mordant, drôle, intelligent, en le truffant de notations (im)pertinentes sur nos vies, en invitant constamment le lecteur à la réflexion ? Il n'y en a qu'un et c'est Michel Houellebecq ! Et rien que pour cela, on comprend son succès ( même hors de nos frontières, surtout en Allemagne même si l'on s'interroge sur la portée internationale de certaines saillies sur des personnages très français comme Laurent Baffie, la box SFR ou Yves Simon). 

jeudi 10 janvier 2019

Alto Braco de Vanessa Bamberger



Après un premier roman réussi, "Principe de suspension", voici le second ouvrage de Vanessa Bamberger, plus ambitieux car brassant plusieurs sujets dont un politico/économique comme dans le précédent. Après avoir exploré le délitement des entreprises en France, voici maintenant un autre bien actuel : les errements de l'agriculture et plus précisément l'élevage raisonné des bovins. Attention, ce thème se trouve amalgamé avec d'autres, éminemment plus romanesques puisque démarrant avec la mort d'une grand-mère qu'il faut enterrer dans sa terre natale : l'Aubrac. L'héroïne parisienne va faire un retour inattendu parmi les vallées rocailleuses de ses ancêtres, où bien sûr se camouflent des secrets de famille, bien enfouis dans les têtes de personnages taiseux. En plus, cet air pur, ces prairies, ces clans qui se serrent les coudes ( jusque dans la capitale ) vont changer les perceptions de la narratrice qui va se voir de plus en plus tentée par un retour à la terre.
Hommage vibrant à l'Aubrac, sans doute aussi inspiré de l'histoire personnelle de l'auteure ( cf le médaillon de couverture lui appartenant), le roman ne manque ni de souffle ni d'inspiration. Cependant, il apparaît moins puissant que son premier, la multiplication des thèmes ayant parfois du mal à s'amalgamer. Si le discours écolo/social est bien amené et vraiment séduisant, les différents rebondissements des secrets de famille s'avèrent un tantinet complexes et ne se marient pas très bien avec cette continuelle envie de rendre hommage aux différents ( et magnifiques ) paysages locaux qui prennent parfois l'allure de guides touristiques un peu lourds. Du coup l'écriture a du mal à trouver une unité, hésitant entre le style sautillant de la parisienne un poil bobo et celui de la bonne romancière classique.
"Alto Braco" reste toutefois une lecture agréable, épousant autant l'air du temps que celui du passé et de par les thèmes abordés, devrait permettre à Vanessa Bamberger d'accroître son lectorat.

mercredi 9 janvier 2019

Saltimbanques de François Pieretti



Dépression, deuil, errance... sont les premiers mots qui viennent après la lecture de ce premier roman, mots qui, même s'ils correspondent vraiment à notre époque, ne sont quand même pas des plus vendeurs. Reconnaissons à François Pieretti le bon goût de ne pas sombrer dans une facilité mercantile. Reconnaissons-lui aussi, et il faut le dire, que son récit, malgré sa tonalité grisâtre, accroche tout de même le lecteur.
Nathan, presque trentenaire,  héros parisien solitaire, dont on s'accrochera aux déambulations plus que mélancoliques, retourne dans la petite ville de sa jeunesse pour les obsèques de son jeune frère qui n'est pour lui qu'une silhouette restée vague. Rongé par une envie de construire un portrait plus précis de ce jeune homme mort prématurément, il se rapprochera d'un groupe de jeune gens passionnés de jonglage et finira par créer quelques liens avec deux ou trois d'entre eux.
Roman du deuil, de la désillusion, mais aussi d'un mal de vivre contemporain que certains ont appelé "ultra moderne solitude", " Saltimbanques" , grâce à une écriture fluide qui n'essaie jamais de surjouer, distille une jolie musique à l'inspiration modianesque. Nathan semble échapper à la réalité, perdu à essayer de recomposer un passé qui lui a échappé et qui trouvera une sorte d'apothéose miroir dans un dernier tiers très émouvant au milieu des embruns bretons. Sa vie floue croisera d'autres êtres tout aussi désemparés que lui face à une existence qui leur glisse entre les doigts et dont ils n'ont pas la volonté de les refermer pour en retenir un tant soit peu de consistance. On pourrait sentir son attention glisser sur ces personnages un peu paumés mais c'est le contraire qui se produit, l'auteur arrivant à nous les rendre attachants et diablement romanesques. Une jolie prouesse pour un premier roman sur le fil du rasoir qui sait jouer une jolie petite musique des bleus de l'âme.

mardi 8 janvier 2019

Les invisibles de Louis-Julien Petit


On râle sur les comédies françaises qui manquent d'originalité et/ou d'envergure, mais cette semaine, on en tient une qu'il ne faut absolument pas rater. Certes il y a deux têtes d'affiche populaires ( Corine Masiero et Audrey Lamy) et même si elles sont totalement formidables toutes les deux, elles ne sont pas l'atout majeur du film. La réussite du troisième long-métrage de Louis-Julien Petit ( après le fantômatique " Carole Matthieu"  et le déjà militant " Discount" ) tient à un scénario impeccable qui ose s'affronter au réel et qui mixe magnifiquement actrices célèbres, vraies femmes à la dérive et comédie sociale qui fait franchement rire. Une prouesse, surtout quand on pense à un autre film sorti il y a peu, l'affligeant "Les bonnes intentions"... Très difficile de faire rire et réfléchir avec un thème autour des laissés- pour-compte de nos sociétés libérales.
Les invisibles du titre sont des femmes SDF qui voient leur refuge de jour fermé par une administration aussi tatillonne qu'incompétente à comprendre la détresse humaine. L'équipe encadrante doit réussir le challenge de réinsérer tout le monde en trois mois. Perdu pour perdu, avec de l'imagination, beaucoup de chaleur humaine et une bonne dose d'illégalité, elle va se battre jusqu'au bout pour essayer de sauver ces femmes.
Bourré d'idées autant sociales que scénaristiques ( les surnoms des actrices amatrices est une source de gags ), le film ne déroge jamais de sa ligne directrice claire, montrer sans aucun apitoiement la complexité de leur vie de grande précarité, de souffrances personnelles, de désert culturel ou affectif et tout ça en faisant rire !
Pari réussi pour le réalisateur qui livre ici un film admirable, qui réchauffe les coeurs. Alors on dira que c'est du cinéma, un milieu bourré de fric qui va s'en faire encore plus sur le dos de la pauvreté ( et en plus coproduit par Marc Ladreit de Lacharrière, celui de la revue des deux mondes qui paye très bien ses collaborateurs, même les moins productifs...)... Soyons bons spectateurs, et disons que l'argent des très riches peut parfois servir une jolie cause ( et montrer que le système manque  sérieusement d'équilibre !) . L'équipe du film a déjà fait beaucoup pour ces femmes, en fait peut être encore et surtout réussit à les rendre moins invisibles et à faire réfléchir intelligemment le public. C'est un vrai film social, et c'est si rare par les temps qui courent!



lundi 7 janvier 2019

Un beau voyou de Lucas Bernard


Quand c'est raté, c'est raté. Dans un déroulé un peu poussif, le spectateur entraperçoit ce que le réalisateur a voulu injecter dans un polar qu'il voulait vraisemblablement décalé et mystérieux. Mais tout est tellement survolé, jamais réellement approfondi tant son regard sur le temps qui passe ( autour du personnage de Charles Berling toujours au point mais qui compose avec une partition au final réduite), que sur la confrontation de la richesse et de la pauvreté ( tendance en ce moment mais ici anecdotique) voire autour des interrogations sur le goût en art. Alors on se contente de regarder cette histoire au scénario improbable ( le flic qui entre chez les gens juste en disant bonjour je suis de la police ). Le film ne parvient jamais à nous intéresser aux deux protagonistes principaux ( un policier au bord de la retraite et un jeune bourgeois qui cherche à ne laisser aucune trace) tant ils semblent jouer dans deux histoires différentes. Et quand arrive l'inévitable confrontation, elle tombe vite à plat.
Il ne serait par contre pas tout à fait raisonnable de snober ce long-métrage car il possède une petite perle qui risque de faire parler très bientôt d'elle : Jennifer Decker. Si le film n'est pas réussi, cette jeune et très jolie comédienne, parvient par sa forte présence ( et un rôle féminin entreprenant et pas du tout potiche, le seul bon point du scénario) à tirer son épingle du jeu. Pétillante, joliment libre, elle apporte au film ses meilleurs moments. Décidément, la Comédie Française ( oui, Jennifer Decker appartient à la noble institution!) reste vraiment une pépinière d'actrices ou d'acteurs formidables.
Donc, Pour Jennifer Decker ( on ne répétera jamais assez son nom), on peut aller voir ce beau voyou...


jeudi 3 janvier 2019

Premières vacances de Patrick Cassir



"Premières vacances", première comédie française 2019 d'une longue série puisque le rythme hebdomadaire des sorties ne s'arrêtera pas, donne-t-elle le "la" de l'année? ( Un "la" que l'on espère voir monter en gamme, mais faut pas trop rêver.)
Tout est résumé sur l'affiche ! Un film de couple en vacances...  Ici, un très jeune couple, puisqu'après une rencontre Tinder plutôt moins naze que d'autres et un coït rapide dans un escalier, Marion et Ben décident de passer une dizaine de jours en Bulgarie ! Alors va pour les Balkans, ça nous changera des sempiternels clubs avec buffets et piscines turquoises ( et gags surgelés). Regardez bien la photo des deux personnages, un poil crispés, pas franchement réjouis... serait-elle le miroir des spectateurs en salle ? ... En 2019, pour une première comédie, ne soyons pas trop vache ! Certes la partie vacances n'est pas des plus fines. Les bulgares prennent cher et les gags pipi/caca ( surtout caca) tiennent lieu d'inspiration centrale, tout du moins dans la première partie du périple. Bizarrement ( mais y-a-t-il un lien de cause à effet ? ), lorsque l'on abandonne cette thématique digestive, quand nos tourtereaux quittent des locations pour le moins spartiates pour retrouver le luxe estival, le film perd son rythme.
Cependant, malgré ces avatars hélas inhérents à la plupart de nos comédies hexagonales, force est de reconnaître que l'on ne s'ennuie pas trop grâce à l'abattage du couple vedette, Camille Chamoux et Jonathan Cohen, tous les deux parfaits tant dans la drôlerie que dans le romantisme... Par contre, on ne peut pas en dire autant des quelques vedettes du rire qui assurent des seconds rôles inexistants.  Vincent Dedienne, trois ligne et demi de dialogue, Jérémy Elkaïm, totalement fade, Camille Cottin qui arrive quand même à être drôle avec peu, jouent des utilités chics mais sans trop de saveur.
" Première vacances"  ne brille que par son couple vedette. Alors, on peut faire l'impasse mais, dans l'univers de la comédie; il y a et il y aura bien pire.





mercredi 2 janvier 2019

En attendant la neige de Christine Desrousseaux


L'intrigue n'a rien de bien attirant et annonce un roman pouvant sombrer dans la banalité. Une jeune femme part s'isoler dans un bled paumé du Jura, fuyant famille un poil toxique. Elle compte également guérir d'un traumatisme dû à un accident de voiture qui lui a fait perdre partiellement la mémoire mais également sa passagère de mère. Isolement, amnésie et en plus voisin ténébreux ( et donc séduisant), voici des grosses ficelles largement éprouvées depuis des décennies dans une littérature de détente qui peine à se renouveler surtout que va se rajouter le cadavre d'une jeune femme au fond d'un ravin.
Sur ces chemins déjà largement empruntés Christine Desrousseaux ne va pourtant pas démériter. Véra ( au moins un prénom plus vraiment à la mode) l'héroïne, deviendra au fil des pages une gentille et sympathique compagne de lecture, l'auteure jouant habilement avec le romanesque de la situation créée.  L'expérience de l'isolement fait partie de ces thèmes qui émoustille le lecteur. En mêlant sans esbroufe romance, mystère et une touche de personnages déjantés (dans ces contrées reculées se nichent quelques individus obsédés par les indiens et le chamanisme), les pages se tournent gentiment. Jamais on ne verse dans la très grosse ficelle, l'intrigue avançant habilement vers un final que l'on devine mais qui a le bon goût d'être bien troussé.
Dans le genre de roman de détente qui ne prend pas la tête, " En attendant la neige"  remplit vaillamment sa fonction. Ecrit efficacement et slalomant avec aisance au milieu de quelques clichés inhérents au genre, il permet de passer un moment agréable, bien à l'abri, quand, à l'extérieur, tombe la neige( mais plus sûrement la pluie en période de réchauffement climatique).

mardi 1 janvier 2019

Roma de Alfonso Cuaron


Chaque fois que sort un film de grand réalisateur de cinéma sur Netflix, cela fait les choux gras des pages culturelles des médias. Cela a démarré avec Bong Joon-ho ( "Okja"), continué avec les frères Coen ( "La ballade de Buster Scruggs"), films intéressants mais dont la vision chez soi sur un écran télé ( même bien dimensionné) n'a pas provoqué un sentiment d'extase. Cette fois-ci, avec "Roma" , Netflix pousse le curseur d'un cran puisque ce nouveau film d'Alfonso Cuaron a obtenu le Lion d'or au dernier festival de Venise. Le principal rival de Cannes créé la polémique en ne dédaignant pas les productions Netflix  qui risquent de changer à jamais la diffusion et donc le financement  d'oeuvres dites cinématographiques.
Avouons pour ceux qui pensent que le senor Cuaron n'a été que le réalisateur d'un épisode de Harry Potter et du spectaculaire mais non moins inénarrable " Gravity", la vision de ce petit dernier risque de les surprendre ( un peu comme un fan des Tuche se retrouvant devant " Hiroshima mon amour"). Le film est loin d'être hermétique mais se révèle très contemplatif et surtout jamais explicatif. Dans un magnifique noir et blanc ( c'est tellement chic le noir et blanc, ça sublime une oeuvre... peut être que le prochain Tuche ....), avec de larges plans, souvent des travellings, dans lesquels vit une famille bourgeoise mexicaine et sa domesticité, la caméra prend le temps de les regarder vivre. On s'intéressera surtout à Cléo, la jeune bonne, silencieuse, un peu à part mais pas spécialement maltraitée par ses patrons. Entre les maîtres et les valets, une sorte de bienveillance existe. Cependant, de part et d'autre la vie ne sera pas tendre et parallèlement chacun vivra une épreuve.
"Roma" , du nom du quartier de Mexico où se situe la maison, film autobiographique, reconstitue un épisode de l'enfance du réalisateur. Avec précision, sans aucune lourdeur,  le spectateur découvre l'atmosphère qui règne à la fois dans cette famille mais aussi dans une ville bouillonnante. Le récit laisse au spectateur le temps de se nourrir ou pas d'éléments importants ou pas, un chien, ses crottes, une fanfare, un mariage, une manifestation, des chiens partout tout le temps, des voitures...symboliques, des silences, des bribes de conversations et une multitudes de gestes pas si anodins que ça. Tout est proposé avec subtilité, finesse.
Le seul problème pour ce film, reste sa vision sur un écran de télévision. L'immersion y est moins intense, le plaisir et l'émotion moins grands sans doute, même si l'on perçoit sans mal la qualité de la réalisation et la finesse du projet. Ne pas le voir dans une vraie salle de cinéma restera un grand regret et laisse l'impression amère d'un film amputé.