mercredi 15 mars 2023

Indocile de Dana Spiotta

 


Samantha, 53 ans, se retrouve, après l’élection de Donald Trump en 2017, un peu dépressive face à l’avenir du pays mais aussi ménopausée. Elle flashe sur une maison année 20 dans un quartier en voie de gentrification, l’achète, quitte son mari et sa fille et s’installe dans sa nouvelle acquisition. Grâce à internet, elle se  trouve de nouvelles amies mais sa fille ne veut plus lui parler et sa mère va bientôt mourir.

Le projet de Dana Spiotta est de dresser le portrait féministe d’une femme qui ne veut plus être mise à l’écart parce que ménopausée. Elle a envie d’une nouvelle vie et s’en donne les moyens en quittant un mari pourtant assez sympathique et même encore amoureux. 

Très vite, on comprend que tout cela n’est qu’un prétexte pour décrire surtout les maux d’une ville américaine moyenne ( Ici Syracuse dans l’état de New-York) : les quartiers laissés à l’abandon mais dont la gentrification progressive pousse petit à petit les zones de violence un peu plus loin, l’insécurité, les violences policières surtout sur les populations noires,  mais aussi des thèmes plus marginaux ses musées poussiéreux aux contenus douteux ou la lente progression du wokisme qui met en ébullition les têtes de ses nouvelles amies féministes. 

L’histoire personnelle de Samantha, l’héroïne, n’a pas un intérêt particulier, voguant gentiment vers une fin un peu sirupeuse. Les autres nombreux éléments plus politiques ou sociologiques tombent parfois un peu à plat et ne s’intègrent pas trop bien au récit. Dana Spiotta essaie d’alléger tout cela avec une vague note d’humour et quelques observations pas trop mal vues mais n’arrive pas à rendre l’ensemble vraiment cohérent ni même passionnant.



Histoire des préjugés sous la direction de Jeanne Guérout et Xavier Mauduit






Dans cette époque ou les  fake-news s’associent aux préjugés pour continuer à diviser une humanité qui devrait plutôt s’unir pour mieux vivre, se poser quelques heures pour la lecture de cette passionnante compilation d’opinions préconçues, leurs origines et leur permanence au fil du temps, est un vrai moment de plaisir ( oui, bien plus que de la littérature feel-good qui n’est qu’un shoot de sucrerie). 

Lire les nombreux historiens, spécialistes divers qui  se sont penchés sur des affirmations aussi variées que “ Un homme ça ne pleure pas “ ou “ Les noirs sentent fort et les blancs sentent la mort” ( prises au hasard parmi les 56 préjugés traités), c’est faire une plongée saisissante sur comment les hommes, aidés souvent par des scientifiques, des politiques, des religieux, ont pu s’approprier de fausses idées et comment, souvent par bêtise, ignorance, manque d’instruction, elles ont perduré et divisé les hommes. Les préjugés, véhiculant la plupart du temps un racisme rampant ( de la femme aux juifs en passant par les roux ou les chinois), ont ainsi, au fil des siècles ou des décennies, irrigué sournoisement certaines pensées et se sont ainsi ancrées dans bien des esprits. Nous avons confirmation que l’Histoire a été triturée de façon à complaire à une époque ou à satisfaire quelques idéologies douteuses ( on n’en est pas étonné). 

Au gré de sa fantaisie, de ses envies, le lecteur peut papillonner à l’intérieur de cet essai, qui se compose de chapitres pas trop longs. Le seul petit bémol est que, comme ils sont rédigés par différents spécialistes, certains sont plus attrayants que d’autres, tout le monde n’ayant pas la même faculté de vulgarisation ni la même verve.

 

 

mardi 28 février 2023

Les manquants de Marie-Eve Lacasse


 Ce récit à trois voix, au fur et à mesure de sa lecture ne manque pas de surprendre. Au départ, un mari disparaît sans laisser de trace et son épouse nous raconte son attente. On se doute que l'on va replonger dans un passé explicatif. Sauf que Marie-Eve Lacasse a d'autres idées derrière la tête. Avec habileté, elle joue avec l'interrogation du lecteur qui va, classiquement, chercher à  savoir où a bien pu passer le mari mais tout de suite installer une atmosphère particulière. Mais à qui parlent donc Claire ( la femme délaissée) et ses deux amies ? On le saura assez vite mais pas de façon à répondre pleinement à notre questionnement surtout que vient se greffer un endroit, la Commune,  qui continue à entretenir un certain mystère qui va même en s'épaississant à mesure que les personnalités des trois femmes se révèlent. 

Des interrogations, du mystère, mais ce n'est pas un polar, plutôt un roman de société qui va développer des thèmes actuels importants avec, en premier lieu, la place des femmes, celle qui leur est assignée, celle qu'elles désirent prendre et celle qu'elles vont créer tout en intégrant un questionnement sur l'écologie, les réseaux sociaux, les sans-papiers, et tout cela sans que cela ne soit jamais pesant ni même plaqué là parce que cela doit être actuel. 
"Les manquants", ( utilisé dans le sens viticole, c'est à dire le cep de vigne mort et non remplacé) , sans être un roman exceptionnel, possède de nombreux atouts pour vous faire passer un moment aussi agréable que réflexif.... en ce moment, ce n'est pas si courant...

samedi 25 février 2023

The Fabelmans de Steven Spielberg


Maintenant que les critiques ne font guère remplir les salles quand ils s'enflamment pour des films difficiles et profonds, leur nouveau petit pouvoir est celui de faire courir les spectateurs voir les grosses productions de réalisateurs connus qui ont essuyé des échecs cuisants aux USA. Nous avons eu le cas "Babylon" le mois dernier et voici maintenant "The Fabelmans" film soi-disant orgasmique si l'on en croit les dithyrambes qui emplissent presse et commentaires cette semaine. Ces cris de jouissance, après avoir vu l'oeuvre, s'expliquent uniquement pour honorer de ses bons et loyaux services  un cinéaste senior qui a rempli les salles durant des décennies et pour le petit jeu de piste cinéphilique auquel on peut jouer durant les 2h30  ( mais là, il faut aimer chercher des références et connaître son Spielberg sur le bout des doigts). A part cela, difficile dans ce mélo vaniteux sans profondeur de trouver plus qu'un vague intérêt, le même que celui que l'on jette sur une série B ou téléfilms aux sujets mille fois vus. 

Le film se divise en trois parties. la première se concentre sur l'enfance du génie qui découvre le cinéma devant " Le plus grand chapiteau du monde" et un accident de train qui va lui éveiller sa créativité. Cela peut être plutôt sympa, parfois avec quelques jolies trouvailles mais comme souvent chez Spielberg, c'est très bavard ( épouvantable longue scène inutile avec un oncle Boris), très appuyé car, là encore c'est une autre caractéristique de son cinéma, on mâche bien la compréhension en surlignant tout pour être sûr que l'évident mangeur de pop-corn que nous sommes comprenne bien. 

Ensuite, nous avons une deuxième partie plutôt consacrée à sa mère, personnage rendu flou par un scénario qui n'arrive jamais à lui donner de la consistance ( jouer du piano, être amoureuse de l'ami de la famille ne suffit pas à donner du relief) et accentué par  l'interprétation très monolithique d'une Michelle Williams dont le jeu se résume à porter un carré blond et du rouge à lèvre. Là aussi, tous les effets qui auraient pu être intéressants sont surjoués ( notamment par une musique sirupeuse), bien appuyés ( on a compris que la caméra, surtout celle d'un futur génie, vole la vérité ! Pas besoin de le préciser trois ou quatre fois !) 

Et enfin, le film se termine par ce qu'il y a de pire, un teen movie franchement pas inspiré, aux ressorts dramatiques totalement à côté de la plaque que l'on pense scénarisé et mis en scène par un tâcheron sans talent. Une  scène ridicule, psychologiquement totalement à côté de la plaque, qui plus est bavarde, enfonce le clou avec le beau mec antisémite et harceleur, dégoulinant de larmes suite au film de fin de saison du futur petit génie du cinéma, qui ne comprend pas qu'il puisse être ainsi magnifié, lui si méchant, alors que le spectateur a vu plutôt une sorte de clip assez ambiguë, tendance homo. Si vous n'êtes pas endormi, déjà sorti vous pourrez admirer un caméo de luxe ( qui ravit la critique), celui de David Lynch interprétant John Ford. La scène clôt ce film suffisant par, peut être, le seul clin d'oeil un peu drôle....mais totalement dispensable .... comme le reste.... 




 

mercredi 22 février 2023

Les mots nus de Rouda


 Avec un petit côté à la Annie Ernaux des "Les années", le rappeur et slameur Rouda nous conte la vie de Ben un jeune de quartier ( comme on dit quand celui-ci habite dans le 9. 3.). L'écriture vive file aussi bien la métaphore que le choc des mots. On ne s'ennuie pas une seconde dans ce portrait qui remet un peu de notre Histoire récente dans celle, plus petite, de Ben. L'auteur casse quelques clichés du petit jeune de banlieue qui n'habite pas forcément dans une tour, n'est pas obligatoirement issu de l'immigration, traficote un tout petit peu ( faut bien survivre dans un monde libéral qui vous laisse en marge ) mais sait le pouvoir de l'instruction et de la culture. Et quand il passe par la case prison, on oublie vite "Le prophète" d'Audiard... 

Donc, bien écrit, affranchi des clichés inhérents au genre et porteur d'un message qui pourrait se résumer à : "Faites gaffe la banlieue est une cocotte-minute prête à exploser" ( du coup beaucoup moins original). Pourquoi, alors, en refermant ce premier on se prend à penser qu'il y manque quelque chose pour qu'il soit vraiment enthousiasmant? Sans doute le roman ne met pas assez l'accent sur l'aspect politique de la banlieue. Ben le héros veut faire changer les choses par une radicalité sans violence, conçoit un plan qu'il doit autant à son enthousiasme, qu'à son intelligence, sa culture et à quelques amis qui, eux, ont réussi à intégrer parfaitement le système. Cependant, les causes profondes cette colère ne sont  jamais réellement explicitées, plutôt suggérées. Le roman n'arrive pas à rendre palpable que cette révolte, fruit d'une intense réflexion, elle même issue d'une bonne instruction, n'est vouée à l'échec que par la volonté d'un pouvoir qui ne veut en aucun cas que le savoir soit à la portée de tous. On reste autour d'un rêve de mots bien écrits, mais la puissance des mots de quelques uns  n'est pas grand chose face au pouvoir libéral. Reste donc un roman agréable à lire, tonique mais peut être un peu trop timide dans ses affirmations. 


lundi 20 février 2023

La dernière maison avant les bois de Catriona Ward


Le point de départ de ce polar psychologique est banal. Une dizaine d'années après la disparition de sa petite soeur Lauren jamais retrouvée, Dee n'entend pas en rester là et se lance à recherche. Ce qui sera moins banal, sera la façon dont l'histoire nous sera racontée même si le procédé de voix différentes n'est pas non plus d'une folle originalité. Ces voix, celle de Dee évidemment, planquée dans une maison au bord d'une forêt et surveillant une autre maison, celle de Ted, suspect jamais inquiété, sera la deuxième voix que complétera une troisième, celle d'Olivia, la chatte de Ted, nous plongeront au plus profond des pensées de protagonistes qui vont devenir de plus en plus complexes au fur et à mesure du récit. 
L'autrice prend le temps de décrire ce petit monde, distillant des éléments signifiants ou étranges au compte goutte. On avance doucement dans une intrigue qui apparaît classique, voire peut être prévisible. Sauf, que Catriona Ward a une idée derrière la tête car elle possède un dénouement qu'elle pense pêchu et surprenant. Assez vite, elle va jouer avec son lecteur, jouant de zones grises des narrateurs et brouillant de plus en plus les pistes. Toujours sans se presser, faisant monter très ( trop?) lentement la tension, l'histoire prend petit à petit un côté vaguement fantastique, un poil déroutant pour un lecteur de polar lambda et finir par  arriver à un point où tout semble se mélanger et où tout s'embrouille. Et là, ça passe ou ça casse. Soit on continue sa lecture pensant bien que tout cela retombera sur ses pieds soit on pense que la romancière a fumé la moquette en prenant un virage vraiment barré et on laisse tomber ( ou on découvre la fin en diagonale). 
Sans rien dévoiler et quelque soit le mode de lecture choisi, disons que le dénouement surprenant tombe un peu à plat. Même si tout redevient logique et expliqué, le twist final, même si vaguement original, reste quand même bateau et donc décevant. 
Bien écrit ( donc bien traduit), "La dernière maison avant les bois" propose une galerie de personnages très fouillés, psychologiquement passionnants mais pâtit d'une montée de mayonnaise assez lente et d'une telle confiance en un final qui va plaire aux lecteurs, que l'intrigue fanfaronne de trop de détails tout en semblant dire constamment  aux lecteurs : "Vous allez voir, ce que vous allez voir !". A trop promettre... 



 

dimanche 19 février 2023

La femme de Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov


Une jeune musicienne russe de la fin du 19 ème croise Tchaïkovki dans une soirée et, âme totalement romanesque, se dit : je l'aime ! Quand on est une oie blanche comme elle, l'amour est un sentiment romantique bien loin de la réalité. Antonina, exaltée, va tomber à pic pour le grand musicien en pleine ascension. En acceptant de l'épouser ( faut dire qu'elle l'a tanné plus que de raison) il s'achète ainsi une vitrine sociale et ainsi plus ou moins camoufler son goût exclusif pour les jeunes hommes. Entre une qui s'aperçoit que l'amour peut également être physique et l'autre qui vomit dès qu'elle approche, disons que le mariage bat de l'aîle. 
C'est à partir de cette trame que Kirill Serebrennikov va broder un film dont on peut chercher ce qui peut bien l'intéresser là-dedans. Ce n'est pas du tout un portrait féministe comme le carton de départ peut espérer le faire croire. Jamais nous ne sommes touchés par son héroïne, assez malmenée et dans sa réalité et par le réalisateur qui ne la rend jamais attachante. Ce n'est pas non plus un portrait du musicien car, Tchaïkovski n'est ici qu'un prétexte juste en arrière-plan ni un vague plaidoyer pour que l'on vive sans détours son homosexualité en Russie. 
L'intérêt du film réside sans conteste dans la façon dont le réalisateur s'empare de cette histoire pour en faire un sommet de lyrisme avec une mise en scène flamboyante, virtuose, tragique, livrant des plans sophistiqués, sinueux, virevoltants, magnifiquement cadrés, jouant sur la lumière et la noirceur. L'oeil ne s'ennuie jamais tant il est sollicité de toute part ( trop peut être que cela peut finir par apparaître amphigourique ? ). Pour le spectateur, ça passe ou ça casse. Evidemment on ne peut s'empêcher, époque oblige, d'y voir une symbolique qui n'y est peut être pas. Et si Antonina était une version féminine de Vladimir Poutine, voulant quelque chose qui ne lui appartient pas, ne lui appartiendra jamais et sombrant dans la folie la plus noire ? Dans cette vision là, les scènes avec tous ces jeunes mecs à poil dont Antonina/Vladimir tâte le sexe ou danse avec  sont sans doute un pied-de-nez... mais plus sûrement la mise en images des fantasmes du réalisateur. 
Quoiqu'il en soit, "La femme de Tchaïkovski" ne laissera personne indifférent et c'est déjà l'essentiel. Sans doute un film prétexte pour se laisser aller à un cinéma inspiré mais aussi un peu grandiloquent, qui peut trouver autant d'amateurs que de détracteurs, une sorte de condensé de cette "âme russe". 

 

vendredi 17 février 2023

Le lac au miroir de Odile Lefranc


La couverture peut induire en erreur le lecteur persuadé de trouver un certain dépaysement dans quelques jungles peuplées de tribus aussi inconnues d'attirantes qu'une romancière aurait pris plaisir à lui décrire. Cet exotisme, on ne le retrouvera que dans l'évocation des tableaux de Walter Spies ( peintre allemand assez méconnu du siècle dernier et aux oeuvres proches de celles du Douanier-Rousseau) qui seront au coeur d'une histoire qui va réunir une fille venant de perdre une mère perdue de vue depuis 20 ans et le passé trouble de cette dernière. 
C'est un premier roman, cela se sent un peu au début, avec une mise en place hésitante et pas complètement convaincante avec son côté souvenirs de vacances aux allures de petite comédie suivie par l'évocation de la vie de ce peintre allemand. Puis, on se laisse prendre par une histoire se densifiant au fur et à mesure que l'héroïne ( qui a la bonne idée de ne pas être à caractère obligatoirement empathique) se pose des questions sur le passé ténébreux après lequel elle enquête. L'autre bonne idée est de ne pas alourdir le roman avec la vie de Walter Spies qui, bien qu'entremêlée au récit, joue plutôt les respirations bienvenues. 
Sans être un grand roman, "Le lac au miroir" séduit par une écriture simple mais déterminée à divertir simplement mais assez intelligemment le lecteur. On a de l'intérêt pour ces portes closes qu'une femme,  elle même renfermée, essaie d'entrouvrir pour avancer dans sa vie. Et même si la fin vire à un vague feel-good, on passe un moment agréable à voyager entre Paris, Dresde et Bali. 

 

mardi 14 février 2023

Tortues de Bruno Pelegrino


Est-ce un roman ? Un recueil de nouvelles ? Une autobiographie ? Un essai sur la mémoire, les souvenirs si fugitifs? Un peu tout cela et ce sont toutes ses formes si diverses qui font de "Tortues" un livre étonnant. 
Bruno Pellegrino nous parle de ses obsessions pour les vieilles choses, objets, archives, vieilles dames, de son envie de vouloir conserver des traces du passé, essentielles, et ce, dès l'enfance, sous la forme d'un tiroir où il avait rangé tout ce qui lui semblait important et qu'il emporterait si jamais sa maison brûlait. 
De cette fixette enfantine et de sa passion pour la littérature ( aussi bien la grande que la plus anonyme) il va en faire le sel de sa vie, étant appelé à mettre de l'ordre dans la paperasse d'une écrivaine décédée ou en se lançant sur les traces d'une obscure poétesse Suisse voire se faufilant avec autant de naïveté que de pugnacité chez la veuve de Friedrich Dürrenmatt. 
Cela pourrait sembler poussiéreux, poseur, intello, un peu savant, voire ratiocineur alors que c'est tout le contraire. Bruno Pellegrino possède trois choses essentielles pour un écrivain ( que beaucoup n'ont hélas pas) : un réel talent d'écriture, dans un style impeccable aussi ample que vraiment lisible, un vrai regard singulier sur la vie et le monde et surtout le pouvoir de créer un livre bourré de... il n'y a pas d'autre mot...  charme. Il y a du Modiano ( et j'ose le dire, en mieux) dans cette volonté de retenir des détails, des atmosphères du passé et là où il se différencie du maître, c'est que lui, en filigrane, il esquisse avec subtilité son autoportrait sans que ce soit jamais m'as-tu-vu, s'effaçant sans jamais disparaître dans les portraits qu'il dresse des autres personnages qu'il met en valeur. Il y a dans ces textes une très belle sensibilité, une poésie qui n'exclue pas la dérision, une attention aux êtres et aux choses disparues jamais sinistre, une authentique empathie, ... bref un vrai et grand charme littéraire. Pour moi, un coup de coeur et une vraie découverte. 
Bruno Pellegrino écrit : " ... Observer des vies passées, m'aide à m'orienter dans la mienne" et l'on peut dire que lire ces vies passées ( et présentes) aide à embellir la mienne. 



 

lundi 13 février 2023

Trois femmes disparaisSent d'Hélène Frappat


Ces trois femmes du titre n'ont nullement disparu au sens premier du terme pour le moment puisqu'il s'agit d'une lignée de stars de cinéma : l Tippi Hedren,  Mélanie Griffith et Dakota Johnson. Seulement chacune d'elles ( enfin surtout les deux premières) ont été malmenées par Hollywood jusqu'à disparaître des radars. 
Hélène Frappat nous raconte leurs destinées, assez incroyables. Tippi Hedren fut achetée pour 4 ans par Alfred Hitchcock (à partir du tournage des "oiseaux") et fut une poupée blonde à sa merci durant toutes ces années. Mélanie Griffith, fille de Tippi, fut la vedette d'un film dément dont le tournage dura une dizaine d'années au milieu d'une vraie meute de lions, le tout sans trucage. Quant à Dakota, fille de Mélanie, elle aussi fut connue mondialement pour son interprétation dans "50 nuances de grey" , film vantant le plaisir des rapports sexuels violents et dominants. 
Avec un tel matériau, il y avait de quoi écrire un roman biographique étonnant, simple. Hélène Frappat a choisi une autre façon de raconter tout cela, disons beaucoup moins linéaire. Tout d'abord, elle est devenue un personnage de son livre, se donnant le rôle d'une inspectrice qui va observer la vie de ces trois femmes et y dénicher des indices pour mettre en évidence que leurs trois vies sont scellées à jamais par des détails ou des éléments qui ont tendance à se répéter, la violence toujours présente, les griffes des oiseaux et des lions entre autre et surtout. Donc tout se mélange un peu, les actrices, l'autrice, la mère de l'autrice. Je ne suis pas certain que cette idée d'inspectrice à la Columbo soit une réelle bonne idée. Pour le lecteur cinéphile ( oui, il faut l'être un peu pour se plonger dans ce texte), cela peut apparaître comme un plaisant jeu/enquête qui cherche à faire le malin et à sortir des sentiers battus de la banale biographie. Pour le lecteur lambda, il n'est pas certain que cette plongée psychanalytique un peu tarasbicotée fasse le job. A chercher la petite bête, le petit détail signifiant, on finit toujours par le trouver même si cela semble un poil tiré par les cheveux et franchement, on y pense parfois... 



 

vendredi 10 février 2023

La grande magie de Noémie Lvovsky


Sur le papier, il y a tout ce qu'il faut et même un peu plus pour offrir une comédie joyeuse, divertissante, originale et pas idiote. L'affiche aligne la crème des acteurs, certes un poil zonant dans l'art et essai mais la plupart du temps excellents et annonce également l'adaptation d'une pièce de théâtre italienne fameuse ( dans son pays) explorant le thème de l'imaginaire. Pour couronner le tout, la bande originale du film a été confiée à un groupe ayant le vent en poupe : Feu!Chatterton. 
Sur l'écran ( et vue l'introduction) vous avez déjà deviné qu'il en est vraiment autrement. Le film est a l'image de la roulotte de saltimbanque conduite par  Sergi Lopez, cahotique. Entre des scènes de pures comédies aux allures vieillottes et une imagerie d'un autre âge recomposée sans grâce, s'intercalent des scènes chantées et dansées (La bande annonce, connaissant le peu d'appétit du public français pour la comédie musicale, s'était bien gardée d'en faire état). On y perçoit bien un discret hommage à la magie enfantine que procuraient les spectacles ambulants autrefois ( mais qui en 2023 les a connus?) ainsi que l'envie de donner autant de rêve que de profondeur et d'émotion. Sauf que rien ne fonctionne. La musique, les chansons et les parties dansées sont pathétiquement nulles, sans aucune magie même pas celle d'une fragilité qu'auraient pu engendrer les voix hésitantes et les pas maladroits des acteurs non doublés. Il est certain que les compositions de Feu ! Chatterton resteront comme le premier vrai faux pas de leur jeune carrière. Les comédiens font ce qu'ils peuvent, pas trop mal pour certains.... mais, honnêtement on se dit que la présence (rapide) de Rebecca Marder sert à faire baisser l'âge moyen de la distribution et celle ( en arrière -plan) de Damien Bonnard a lui fournir un cachet pour finir son mois. Alors on regarde tout le monde s'agiter ( beaucoup), vociférer, jouer du jupon, l'oeil morne car personne ne semble croire au bien fondé de cette entreprise. 
Dire qu'il n'y a aucune magie dans ce film est sans doute très facile, la seule que l'on puisse y déceler est celle que des producteurs aient pu trouver de l'argent pour ça. Ah c'est vrai, l'argent magique existe parfois.... 

 

jeudi 9 février 2023

L'indélicatesse de Erik Martiny


Ca démarre de façon assez originale par la consultation détaillée qu'un dermatologue effectue sur une pulpeuse mais hypocondriaque jeune femme. Puis, ça continue sur une autre consultation, moins sensuelle, autour d'un psoriasis envahissant sur un cinquantenaire peu gracieux. Puis nous sortons du cabinet du médecin et l'on se rendra compte que cette introduction médicale n'aura guère d'importance par la suite qui sera centrée sur l'arrivée d'un l'héritage assez particulier, en l'occurrence un vieux pistolet de la police allemande des années trente. 
Cette arme à feu va déstabiliser notre médecin qui va commettre un acte apparemment fou voire irréparable.... C'est tout du moins ce que nous promet le récit qui est adressé aux enfants du dermato, en laissant planer assez lourdement un dénouement  extraordinaire. Sauf qu'avant d'en arriver là, l'auteur s'égare dans des chemins de traverse, citant quelques auteurs aimés, blablatant sur le manque de descriptions des visages dans le roman contemporain et d'autres considérations parallèles. On sent alors poindre un doute car à trop promettre et à lambiner ainsi, en plus de distiller un léger ennui, on redoute la déception finale ....ce qui ne manquera pas d'arriver. Même si le dernier quart s'avère un poil plus réussi que le reste car ayant un petit côté polar pas mal fichu, le tout retombe quand même comme un soufflet laisser trop longtemps au four. On ne voit pas bien le but de cette histoire ni les intentions réelles de l'auteur. Polar ? Roman psychologique? Essai sur la solitude ( du couple et/ou d'un homme ), un peu de tout cela sans doute, mais force est de constater que l'ensemble manque sérieusement de liant et de charme. Dommage....
 

mercredi 8 février 2023

Un vrai dépaysement de Clément Bénech




 Si le dépaysement du titre peut se comprendre pour le jeune héros idéaliste du roman, parachuté tout droit de son Bordeaux bourgeois dans un gros bourg auvergnat, pour le lecteur, c'est une autre histoire, puisqu'il se retrouve soudain face à un récit lu des dizaines de fois ...mais il y a quarante ans.
Bien sûr, un lecteur trentenaire, n'a pas connu ces nombreux romans ( nommés bien souvent "de terroir") qui mettent en scène un(e) jeune enseignant(e) parachuté(e) dans une campagne profonde et qui va devoir, pour mettre en pratique sa pédagogie, lutter contre les habitudes de villageois encore sous l'emprise idéologique d'un curé ou l'extrême méfiance d'une population face à une jeune personne instruite. Depuis la loi de Jules Ferry de 1882, la littérature s'est emparée sans discontinuer durant tout le 20 éme siècle dernier de ce sujet pour garnir les étals des libraires,  de  "La gloire de mon père " de Marcel Pagnol  au "Le tour du doigt" de Jean Anglade, entre autres mais aussi d'un best-seller des années 70 "La soupe aux herbes sauvages" d'Emilie Carles qui, bien qu'étant un livre de souvenirs, raconte, comme dans le nouveau Clément Bénech, l'arrivée d'une jeune enseignante dans un village paumé et dans lequel elle va appliquer une pédagogie toute nouvelle et révolutionnaire, non pas Montessori ( les bobos n'existaient pas encore pour croire qu'il s'agit d'une vraie pédagogie)  ) mais celle, bien plus originale de Célestin Freinet. 
En 2023, le héros d'"Un vrai dépaysement" a été vaguement modernisé ( pas son nom puisque portant un patronyme très roman de gare des années 30 : Romain d'Astéries) et là où les auteurs d'avant préféraient un ton plus docte voire un poil dramatique, Clément Bénech lui choisit un ton plus sarcastique, plus humoristique pour nous trousser un roman d'un autre âge. 
Il est très difficile de croire à son jeune bourgeois, devenu enseignant par idéalisme, bourré d'idées de pédagogies nouvelles qui n'en sont pas car datant d'un autre âge ( époque années 70) et difficilement applicables dans le contexte actuel même face à des élèves de région reculée. Il est tellement insupportable dans sa naïveté que l'on entre tout de suite en empathie avec ce qui est son ennemie ( la principale du collège), personnage haut en couleurs et à qui l'auteur réserve des dialogues cinglants assez jubilatoires. 
Le reste de l'intrigue relève du roman banal, avec happy end évidemment. 
Dans cet univers de clichés, certains trouveront peut être un moment de lecture agréable car très facile. Les autres seront surpris qu'un jeune auteur que l'on dit prometteur et dans le vent puisse écrire un roman aussi vieillot et aussi daté. 

vendredi 3 février 2023

Un petit frère de Léonor Serraille


Raconter la vie d'une femme ( mais aussi de ses deux fils ) sur 30 ans, est un pari risqué au cinéma. Si en plus cette femme nous la croisons arrivant de Côte d'Ivoire et essayant de s'insérer dans une société française pas des plus formidablement accueillante, on sent le film social, peut être donneur de leçon, pointer le bout de son nez. Le résultat est tout autre, bien plus universel et sensible, car derrière la caméra, Léonor Serraille est une vraie cinéaste. Divisé en trois parties, le film, dans son premier volet, accroche tout de suite le spectateur par le naturel et la grâce de sa mise en scène, qui pose sans cliché, sans pathos , les espoirs d'une mère sacrément libre dans sa tête et voulant à tout prix le meilleur au moins pour ses enfants. On reste baba devant la fraîcheur et la spontanéité des rapports des personnages bouleversants de vérité. Les deux parties suivantes vont s'attarder à suivre les deux enfants devenus grands. L'aîné d'abord, toujours formidable Stéphane Bak, puis le petit frère, tout aussi formidable Ahmed Sylla. Si la seconde partie peine à être réellement convaincante, sans doute par un problème de scénario qui n'arrive pas à retrouver la spontanéité des situations de la première partie, le dernier tiers rattrape heureusement l'ensemble et termine avec émotion ce beau film de famille et ce subtil portrait de femme, de mère, magnifiquement interprété par Annabelle Lengronne. 
Loin des clichés misérabilistes que l'on pouvait craindre, "Un petit frère" emporte l'adhésion grâce à sa finesse et à une direction d'acteurs parfaite, prouvant que le talent du cinéma français se trouve vraiment dans ses films dits du " milieu" ou "art et essai", talent parce qu'il sait émouvoir et intéresser tout à la fois. 

 

jeudi 2 février 2023

Aftersun de Charlotte Wells


Remarqué à la semaine de la critique à Cannes, primé au festival de Deauville, prix d'interprétation pour Frankie Corio au récent Premiers Plans d'Angers, "Aftersun", parfait film de festival, tente sa chance sur les écrans. 
Qui dit film de festival dit film art et essai, véritable contre programmation face à la sortie d'Astérix mais aussi, film moins accessible. Petite recommandation à qui aurait envie d'aller voir de quoi retournent ces vacances d'une enfant de 11 ans avec son père récemment divorcé, soyez patients ! En effet, le premier film de Charlotte Wells se révèle abrupt dans sa façon de filmer ( vidéo, cadrages compliqués, décentrés, tremblotants, séquences énigmatiques). Le premier tiers, si l'on ne s'accroche pas, peut perdre irrémédiablement ses spectateurs qui ne voit pas l'intérêt de ces séquences de vacances apparemment banales. On ne voit pas du tout où veut en venir la réalisatrice et rien n'est fait pour nous mettre sur la piste. Puis, petit à petit, le charme commence à agir lorsque l'on repère que le personnage à suivre est bien le père et non pas, comme habituellement, la gamine. C'est lui le personnage le plus touchant le plus sensible. Et ce n'est que dans le dernier tiers que l'on comprend ce que représentaient ces quelques séquences énigmatiques du début avec une adulte inconnue et que l'émotion monte. 
On peut dire que le montage et le filmage sont trop chichiteux, peut être prétentieux dans leur volonté de vouloir épater, mais force est de constater qu'au final ça finit par fonctionner. Certes quelques coupes, surtout au début, auraient été bénéfiques au film, mais faire surgir de la banalité de (fausses) vidéos de vacances une telle émotion, laisse penser que Charlotte Wells a un certain talent que l'on suivra avec curiosité et envie dans  ses prochaines oeuvres. 

 

mercredi 1 février 2023

Un jour, ma fille a disparu dans la nuit de mon cerveau de Stéphanie Kalfon



Le titre assez explicite résume assez bien le point de départ de ce roman. La petite fille disparaît bien au début de l'histoire mais pour être vite retrouvée. Cependant cela déclenche chez la mère la certitude que l'enfant qui revient à la maison est une copie de l'originale. Sur cette trame de départ qui peut apparaître improbable, Stéphanie Kalfon tisse un récit habile, accrocheur, mêlant psychologie et un brin de mystère. Les pages se tournent rapidement grâce à de courts chapitres qui apportent à chaque fois des éléments qui vont alimenter le désarroi du lecteur. Folie? Réalité ? Plein de questions finissent par tourner dans la tête comme dans celles des 3 personnages principaux. La narratrice, la mère, est sans doute la mieux campée, la plus crédible parce que complexe, tordue, émouvante... Le père, moins défini psychologiquement, un peu en retrait, semble manquer de discernement et de relief. La petite fille, sans doute le maillon faible de cette histoire malgré qu'elle soit le centre de toutes les attentions, est difficilement crédible. Elle a huit ans, lance des réflexions d'ados, a des raisonnements, des remarques ou des comportement de quasi adulte et pâtit de détails peu crédibles de la part de l'auteur. Ainsi elle a des devoirs d'école à faire le soir, des équations à une inconnue (!!///mais peut être est-elle HPI, ce qui expliquerait ses saillies si censées) ou garde dans sa poche sa carte vitale (!?, Stéphanie Kalfon ne doit pas avoir d'enfant... ce qui pose une autre question, on relit chez Verticales ? ) 
Hormis ces petits détails ( mais qui font grincer à la lecture) le roman reste agréable surtout si l'on aime les récits psychologiques. 

 

mardi 31 janvier 2023

La montagne de Thomas Salvador

 Le deuxième long-métrage de Thomas Salvador qui troque l'eau du premier ("Vincent n'a pas d'écailles" pour une version plus froide ( la neige), ne diffère guère. Même personnage taiseux mais sympathique, même langueur ( longueur?) à admirer la nature ( ici la montagne magnifiquement filmée), même passage à quelque chose d'un peu fantastique. Alors, me demanderez-vous, rien de neuf dans ce second film ? On ne peut pas dire cela. Si la narration et le le synopsis sont quasi sur le même schéma, la mise en image est nettement plus soignée, spectaculaire même. On peut regretter cependant qu'il ait gardé la lenteur et la contemplation, sans doute pour venir en contrepoint du "tout tout de suite " actuel, mais, avouons-le, quelques coupes dans la première partie aurait donné un rythme moins nonchalant au film ( surtout qu'il dure plus de deux heures). Je ne dirai rien de la deuxième partie pour ne pas la déflorer, sur le même tempo que le reste du film ( au moins, une belle unité), pour peu que l'on ait gardé son âme d'enfant, elle provoque par sa douce poésie un très bel effet de surprise, d'étonnement. Il est évident que c'est effectivement cette longue et minutieuse  introduction du sujet qui permet l'émerveillement. Pour le coup, si l'on se laisse porter par les nombreuses balades du héros, voire émouvoir par la très linéaire et peu originale histoire d'amour qui se noue elle aussi lentement avec le personnage de Louise Bourgouin, on peut ressortir du film avec des étoiles dans les yeux. Mais comme je le disais plus haut, tout se mérite, il faut avoir la patience des contemplatifs. Malgré tout, on retire autant de sérénité que de beauté de ce deuxième long de Thomas Salvador, assorti d'un joli message très actuel, écologique et plaisant sur la nécessité de ralentir nos vies et de regarder le merveilleux autour de nous. 

lundi 30 janvier 2023

Tàr de Todd Field


 Après "Babylon" la semaine dernière, sort "Tàr"  une nouvelle machine à Oscars ( Cate Blanchett est archi favorite), oeuvre se situant à l'exact opposé dans le champ cinématographique. Autant le film de Damien Chazelle tente d'agripper le public façon fast food avec une succession de scènes faites pour l'épate immédiate mais sans rien pour l'esprit, autant celui de Todd Field prend le chemin inverse en n'étant jamais sympathique, jamais facile et cherchant plus à parler au cerveau. 

 "Tàr" débute comme un film bavard et intello puisque le personnage de Cate Blanchett, cheffe d'orchestre de classe internationale, répond à une longue interview sur la musique puis continue par un cours de direction d'orchestre devant des élèves obligés d'approuver ses nombreuses saillies pas toujours aimables. Les amateurs d'action sont déjà largués, les autres, qu'une presse dithyrambique a arraché à Netflix, commencent à se poser quelques questions... et ils n'ont pas fini de s'en poser. En effet, le film va nous raconter comment cette machine parfaitement huilée, maîtrisant tout avec hauteur et froideur, va petit à petit se dérégler. Dans des décors modernes, froids et impersonnel qui répondent au visage aussi froid de l'actrice ( mais où l'on va vite déceler quelques tics, rictus ) l'histoire va s'emballer petit à petit. Seulement, là où d'autres réalisateurs auraient expliquer tout de A à Z de façon didactique, Todd Field parie sur l'intelligence du spectateur, sa curiosité et, parsemant la chute de cette femme d'ellipses, d'éléments troublants ou un poil étranges, il amène le spectateur  à se poser des questions auxquelles il ne donne apparemment pas la réponse. On sort de la salle plein d'interrogations et le film trotte dans nos têtes. 

Evidemment, on est totalement épaté par l'interprétation magistrale de Cate Blanchett, ultra crédible en cheffe d'orchestre. A elle toute seule elle emplit l'écran et double le plaisir d'une mise en scène certes volontairement  elliptique mais virtuose. C'est du vrai, du grand cinéma fait pour le plaisir de la réflexion, une oeuvre mystérieuse qui donne envie d'être revu car il est certain que l'on y découvrira des éléments qui nous avaient échappé à la première vision. 



vendredi 27 janvier 2023

Festival 2023 Premiers Plans d'Angers (2)

 


Cela est désormais habituel dans les (grands) festivals, les sections dites parallèles recueillent  les petites pépites. Créée il y peu, la section "Diagonales" du festival Premiers Plans d'Angers a accueilli cette année les longs-métrages les plus intéressants, laissant à la compétition dérouler l'habituel cinéma psychologisant. Ainsi après l'envoûtant "Unrest", deux documentaires venus de l'Est ( mais produits par plein de pays européens ) nous ont enchantés. La salle était comble pour le documentaire ukrainien de Igor Ivanko "Fragile Memory", sans doute l'effet guerre ayant joué. Pourtant, le film n'allait pas vraiment vers une évocation de l'actualité ( ou à l'extrême marge) mais explorait de façon fort touchante le thème de la mémoire à travers le portrait du grand-père du réalisateur ancien grand chef opérateur de cinéma. A partir de pellicules endommagées retrouvées dans un hangar, le petit fils va partir à la recherche de tout ce que ce grand-père a filmé durant toute sa vie. Et quand l'un fait resurgir la mémoire du passé, celle du vieil homme s'estompe de plus en plus. Délicat, juste, passionnant, sans doute le film plus émouvant de ce festival. 

Un peu plus à l'Est, en Russie donc, la réalisatrice Marusya Syroechkovskaya nous a proposé son "How to Save a Dead Friend" avec précaution. Exilée en Tchéquie et en Israël, fuyant le régime de Poutine, elle comprenait bien que, vues les circonstances, on n'avait peut être pas envie de nous apitoyer sur son personnage principal, moscovite de banlieue, drogué et dans l'autodestruction. Ce montage de vidéos prises durant toutes les années où la réalisatrice a vécu avec ce jeune homme dépressif ne va sans doute qu'accentuer les clichés que nous avons sur une jeunesse russe en plein désarroi et noyant son mal être dans l'alcool et la drogue. Cependant, avec ces scènes filmées à l'arrache, mais montées très efficacement, la réalisatrice nous plonge au coeur d'une vie russe sans aucun fard et parvient à rendre un très bel hommage à cet homme qu'un pays plongé dans la noirceur a poussé vers la mort. 

Dans la compétition officielle, des films plus consensuels essayaient de défendre leur petite musique autour de thèmes rabâchés. "Tengo suenos electricos" de Valentina Maurel  ( Belgique/France/Costa-Rica) nous narrait les affres d'une adolescente partagée entre ses parents divorcés et assez toxiques. Un peu répétitif, le film n'arrive jamais à s'extraire de son côté naturaliste, filmé comme un quasi documentaire, préférant allonger inutilement certaines scènes au détriment d'un réel point de vue. "Suro" de l'espagnol Mikel Gurrea, s'il bénéficie d'une belle mise en scène ample, hésite constamment entre le drame social voire le conte écologiste pour finir par choisir la beaucoup plus convenue crise du couple ou comment les épreuves vont peut être nous rabibocher. L'allemande Annika Pinske avec " Talking About the Weather", très inspirée d'Annie Ernaux, nous parle de honte sociale, de transfuge de classe, doublés en Allemagne par cette encore séparation entre Est/Ouest. C'est sensible, parsemé de petites scènes piquantes mais ne parvient pourtant pas à complètement emporter l'adhésion peut être à cause de cette volonté à vouloir faire à tout prix art et essai en prolongeant ( oui, ici encore) des séquences avec le sentiment qu'il faut qu'on lise le désarroi sur le visage de l'héroïne alors que tout était dit et bien reçu lors de la scène. "Tigru" du roumain Andréi Tanase s'essaie à l'originalité en mêlant une chasse au tigre dans les rues d'une ville roumaine et un couple en crise. Et qui emporte le morceau du thème le plus présent ? Le couple, hélas... Enfin, et c'est peut être le meilleur de cette dernière salve, "Chien de la casse" du français Jean-Baptiste Durand, a ému et enthousiasmé la salle. Partant pour être encore une histoire vue et revue autour d'une amitié très fraternelle entre deux jeunes un peu paumés, le film réussit très vite a sortir des sentiers battus avec un personnage principal surprenant et en distillant une jolie musique décalée. Le film tient surtout par la formidable interprétation de Raphaël Quenard à la fois drôle, agaçant et touchant qui a la chance d'avoir de bons dialogues à jouer. 

Difficile de pronostiquer quelques résultats, mais Félix Moati ( membre du jury long-métrage) est remercié dans le générique de "Chien de la casse" ( qui ne démérite pas loin de là).... Sinon, comme d'habitude, le festival Premiers Plans continue à offrir aux cinéphiles et au public une remarquable programmation éclectique, apportant son lot de vedettes de Sandrine Kiberlain à.... François Hollande ( il accompagnait Julie Gayet) et son quota de belles découvertes. A l'année prochaine ! 



mercredi 25 janvier 2023

35ème festival Premiers Plans d'Angers


Si l'on regarde en journée les spectateurs des salles ( quasi toutes archi pleines) du festival Premiers Plans, le CNC doit sourire de satisfaction, on compte 75% de jeunes de moins de 20 ans ( merci les profs des lycées et autres écoles de cinéma de France et de Navarre) et 25 % de retraités ( ils ont du temps et encore de l'argent). Ce mix générationnel donne une ambiance unique à ce festival, on tape des mains très forts sur la bande annonce du festival, on rit plus bruyamment quand il faut rire, on hurle carrément quand on a peur ( réveillant ainsi quelques têtes grises) et surtout, on donne haut et fort son avis en sortant des projections. Ainsi, après le cultissime "Vertigo" d'Hitchcock, nombre de lycéens clamaient s'être ennuyé, trouvant ça trop long ou l'intrigue invraisemblable, se moquant de la bien-pensance cinéphilique de leurs profs ( qui allaient sans doute recadrer tout ça bientôt). Ce sont également les mêmes qui ont porté aux nues un court-métrage grec ( "Under the Lake" de Thanasis Trouboukis) minimaliste et très "regarde mon plan fixe de bout de bois sous la pluie comme il procure une émotion" ( très en vogue dans les écoles de cinéma) prouvant ainsi que non, ils ne sont pas tous accros aux films montés comme des clips. 
Mais si tout le monde se déplace en foule à Angers, c'est bien pour découvrir de nouveaux talents. Comme d'habitude la sélection est pointue, éclectique, variée, donnant ainsi, comme chaque année, un panorama très intéressant de la jeune création cinématographique. 
Dans la sélection officielle, nous en sommes à mi-parcours et, si le cru n'a sans doute pas encore donné tout son arôme, laissant espérer encore une vraie révélation, reconnaissons que les 5 films présentés ne déméritent pas. Tous font preuve d'une belle technicité, d'une jolie maîtrise mais labourent toujours un peu trop des sujets autobiographiques ou déjà maintes fois traités. Ainsi la fraternité ( ici littérale entre deux frères) est le sujet de "Chevalier noir" film franco/irano/allemand de Emad Aleebrahim-Dehkordi et "Nos cérémonies " du français  Simon Rieth. Si le premier pêche par un scénario assez convenu que n'arrive pas à masquer une jolie mise en scène, le second, lui, retient l'attention par une idée scénaristique originale, une image travaillée mais n'échappe pas à quelques longueurs inutiles. On nous a parlé aussi de bobos trentenaires madrilènes et de leurs amours dans "Ramona" de l'espagnole Andréa Bagney, hommage appuyé à Rohmer ( en plus pêchu) ou à Mouret ( plus énervé), film bavard donc et qui tient grâce à la tchatche de son actrice principale Lourdes Hernandez. Un poil plus politique et réussi, le film français "Fifi" de Jeanne Aslan et Paul Saintillan, s'attaque avec beaucoup de justesse, de sensibilité et d'humour aux différences de classe et tire son épingle du jeu grâce à un bon scénario et  à ses deux comédiens Céleste Brunnquell et surtout Quentin Dolmaire qui livre une interprétation qui devrait faire date dans sa carrière. Mais pour le moment, le film qui a le plus impressionné est sans doute "Aftersun" de l'anglaise Charlotte Wells, qui contrairement à ses autres confrères en compétition a choisi une narration plus personnelle et moins classique, parvenant avec un cinéma fait de petits détails à dresser le portrait magnifique d'un jeune père divorcé en vacances en Turquie avec sa fille de 11 ans. Même si le film souffre d'un quart d'heure de trop ( en retardant l'arrivée du film dans son vrai sujet), l'émotion était là, forte, et les chemins pris pour y amener le spectateur franchement originaux. Du vrai cinéma créatif !
Cependant, c'est dans la compétition parallèle intitulée "Diagonales" que l'on a découvert sans doute le film le plus enthousiasmant de ce début de festival. Non, ce n'est pas "Astrakan" du français David Depesseville, film autour de violences familiales qui pâtit d'un scénario mal fichu que la mise en scène tellement classique n'arrive pas à faire oublier mais bien le film Suisse de Cyril Schaublin "Unrest" . Attention, nous ne sommes pas dans un film mainstream, mais bien dans une oeuvre comme en voit rarement sur les écrans. Le réalisateur nous conte la vie d'une poche d'anarchistes dans un village Suisse au 19 ème siècle et  que l'industrie horlogère qui emploie cette population essaie de pousser vers une économie ultra libérale inspirée du taylorisme. Dit de cette façon on pense film politique rude. Politique oui, mais avec une mise en scène extraordinaire, des cadrages d'une beauté hallucinante et le tout avec une douceur Suisse étonnante. Un film qui vous grandit, vous fait réfléchir et vous fait aimer le cinéma ! 
Quelques mots des courts-métrages en compétition : les jeunes réalisateurs français sélectionnés se montrent très narratifs et classiques. Dans le lot une pépite pleine de charme, alliant sens de la mise en scène, du dialogue et deux jeunes comédiens qui créent un duo de comédie assez inédit à l'écran. Je parle de "Ville éternelle" de Garance Kim qui, s'il n'obtient rien à ce festival, serait une grosse injustice. Côté courts-métrages étrangers ( pas encore tous projetés) le documentaire anglais "Haulout" réalisé par Evgenia Arbugaeva et Maxim Arbugaev sur l'échouage de milliers de morses en Sibérie a fait très forte impression. 


"Unrest" sortira en France le 12 avril prochain sous le titre "Désordres". 

 

dimanche 22 janvier 2023

A qui la faute de Ragnar Jonasson


Jusqu'à présent Ragnar Jonasson se contentait d'écrire des petits polars sans prétention, avec jeune policier sympa dont on suivait la vie autant que ses enquêtes juste originales ou exotiques parce que se déroulant en Islande ( et, ce, malgré cette déferlante islandaise dans le domaine du roman policier). C'était simple, pas compliqué, pas effrayant, juste agréable comme roman de détente, une sorte de cosy mystery venant du froid. 
Avec ce nouveau one shot sans héros récurrent, Ragnar Jonasson s'essaie au huis clos entre amis qui dégénère. Force est de constater que le résultat laisse très sceptique et démontre ses limites en tant qu'auteur de polar inspiré. On y retrouve les ingrédients habituels, à savoir des amis partis pour un week-end cool qui se retrouvent coincés par un blizzard imprévu. Evidemment de  vieilles histoires passées vont resurgir et rendre l'atmosphère lourde, très lourde... Sauf qu'ici, rien ne fonctionne vraiment, ni les personnages étrangement peu sympathiques et assez flous, ni les pseudos rebondissements sensés nous faire frémir, très vite fort mal engagés avec un premier effet soit disant horrifique mais surtout improbable. Dès lors le scepticisme gagne le lecteur, ne le quittera jamais et le suspens prévu tourne court. On arrive à péniblement à la fin en ayant la fâcheuse impression que Ragnar Jonasson est peut être sympathique, mais reste un auteur assez moyen. Sur la couverture, habile, The Times se demande s'il est le meilleur auteur de romans policiers de notre époque. La réponse est volontairement laissée en suspens et la réponse après la lecture de cet opus, est sans équivoque : non ! 
 

samedi 21 janvier 2023

Babylon de Damien Chazelle


 "Babylon", est un film assez schizophrène. Alors qu'il essaie durant plus de trois heures de montrer toute la magie du cinéma, avec un réalisateur jouant d'une caméra virevoltant dans des décors pharaoniques, enchaînant des scènes conçues pour en foutre plein la vue, l'unique et seul message qui ressort de ce maelström d'images, est que le cinéma est fini, fichu, kapout.  Godard disait la même chose il y a quelques années sous la forme d'une sorte de projection diapos beaucoup moins onéreuse ( "Le livre d'images"), certes plus hermétique ( pour ne pas dire rasoir) et qui d'ailleurs inspire Damien Chazelle puisque une des dernières séquences du film ( son unique message donc) s'en inspire grandement.  

Avant ce triste constat, le film reprend le thème principal de chefs d'oeuvre comme "Chantons sous la pluie" ou "Boulevard du crépuscule", la période charnière que fut le passage du muet au parlant. De ce qui est considéré comme un âge d'or, le film en compile tous les excès dans deux longues séquences survoltées, véritables vitrines du film. La vitrine est clinquante, forcément creuse puisqu'ici cette évocation n'a que pour but de montrer la maestria du metteur en scène. On ne s'ennuie pas mais le côté petit génie jouant des drones, des steadicams et du montage clipesque (même s'il se calme dans la deuxième partie du film) laisse entrevoir que malgré les évocations des célébrités de l'époque ( et pas que les acteurs !), il n'y a que la démesure qui fait office de cinéma. Et quand le filme plonge dans les entrailles de l'enfer, la symbolique démonstrative et appuyée finit de rendre l'ensemble pas des plus profonds. 

On notera que le film permet encore une fois à Brad Pitt d'incarner un rôle à possible Oscar. Si Margot Robbie est impeccable dans la démesure, son physique très actuel est parfaitement anachronique dans les années 30. Si je devais faire un comparatif avec le fadasse précédent film de Damien Chazelle ( "La la Land" ), je dirai en progrès. 

jeudi 19 janvier 2023

Marées de Sara Freeman


 Disons-le d’emblée, cette histoire de femme venue de nulle part et qui semble fuir un passé forcément terrible ou traumatisant n’est pas d’une grande originalité. On a déjà lu cela cent fois et pourtant, ici, cela fonctionne très bien. Sara Freeman arrive à imposer très vite  une  belle atmosphère mélancolique. Son héroïne, tour à tour triste, effrontée, perdue, aimante, discrète ou farouche, échappe aux clichés. L’empathie est là, on dort avec elle dans ce grenier obligatoirement pas des plus confortable, on ressent le vent qui annonce l’hiver, on s'imprègne de cette atmosphère de station balnéaire délestée de touristes qui va si bien avec l'humeur de l'héroïne. Même si on ne la comprend pas toujours, on accepte ses petites colères comme ses coups de blues, on la suit avec empathie en espérant un possible redoux pour sa vie si triste. L’histoire d’amour naissante avec son employeur donne l'onde de chaleur espérée. Mais comme la marée du titre, on craint qu'après la plénitude vienne le reflux....

Ce premier roman ( salué par la critique nord-américaine), possède une douce musique, une façon très gracieuse et habile de poser des mots simples sur toute une palette d'émotions. Avec un montage en courts paragraphes, comme une peinture pointilliste, il dresse le portrait très sensible d'une femme à la dérive et parvient à émouvoir et retenir l'attention avec finalement peu de choses. C'est de la dentelle et, assurément, Sara Freeman s'avère une très habile dentellière.


mardi 17 janvier 2023

Oiseaux de passage de Fernando Aramburu


Dès la lecture du premier des 12 chapitres que compte le nouveau roman de Fernando Aramburu ( connu pour "Patria" en 2018), l'impression de lire le grand livre d'un grand écrivain est immédiate et cette impression ne nous quitte jamais durant plus de 600 pages ( oui, c'est gros, c'est lourd car un grand format de chez Actes-Sud, c'est dense mais, c'est tellement prenant que l'on oublie tout de suite ce qui peut apparaître comme un frein à lecture). 
Là où l'on reconnaît le talent d'un grand écrivain, c'est comment avec un sujet peu vendeur ( les derniers mois d'un cinquantenaire madrilène, divorcé et vivant seul avec son chien), en quelques lignes, il attrape son lecteur pour ne jamais le lâcher. Toni, le personnage principal et narrateur, a beau être misogyne, pas réellement sympathique, râleur, un peu vieux con, sexuellement insatisfait, perdu dans un monde moderne qui le dépasse, jamais on n'a envie de l'abandonner, ni même de lui tordre le cou. La plume d'Aramburu sait le rendre profondément humain et lui donner un vrai regard, une intensité réelle, un savant mélange d'humour grinçant, de cynisme, de désarroi. Nous sommes, pour situer l'esprit du roman, avec une sorte de personnage à la Houellebecq ( mais de ses débuts, du temps où il était encore fréquentable) qui va nous faire observer avec encore beaucoup plus d'aisance et d'intelligence décapante que l'auteur français, une réalité contemporaine à la multiplicité désarçonnante. Sans beaucoup de péripéties, mais avec un sens du détail, de la construction dramatique formidable et l'ajout de quelques personnages secondaires particulièrement bien vus ( une ex-femme détestée, un ami tout aussi perdu que lui, un fils pas tout à fait fini,  une ancienne fiancée collante et une poupée en silicone), "Oiseaux de passage" passionne, divertit, surprend comme peu de romans actuels arrivent à le faire et arrive surtout à ne jamais être moralisateur ou donneur de leçon. Comme tous les très bons livres, on en ressort heureux parce que l'on a été bousculé, dérangé, ému, étonné, amusé mais pourvu désormais d'une vision du monde un poil enrichie. Un grand roman vous dis-je § 

 

Brancusi contre Etats-Unis de Arnaud Nebbache



L'album s'ouvre par une plongée dans l'atelier de Rodin dans lequel le jeune Brancusi joue les arpètes. Chez ce maître de la sculpture classique il y est toutefois question d'espace, d'air sculpté par l'oeuvre... réflexions qui trouveront écho des années plus tard quand Brancusi présentera ses oeuvres si éloignées en apparence des celles de son formateur.
L'album raconte la controverse qu'a provoqué aux Etats Unis en 1927 "L'oiseau" de ( donc) Brancusi , sculpture résolument moderne, quasi abstraite et marquant ( avec quelques autres ) le passage de cet art dans l'abstraction. Le procès intenté par Brancusi aux USA pour que son oeuvre ne soit pas considérée comme un simple objet manufacturé ( et donc sujette à une taxe) est donc le thème principal et totalement passionnant de ce roman graphique. Les débats sont relatés ici avec une grande clarté et un souci quasi pédagogique, projetant le lecteur sans qu'il s'en rende compte dans un univers de réflexions intenses, au coeur de l'éternel débat des classiques et des modernes. Mais l'album ne s'arrête pas là et suit aussi la vie de Brancusi, ses interrogations sur l'essence même de travail et des recherches de ses confrères qui, à la même époque révolutionnaient leur domaine de compétence ( Duchamp, Calder, Jean Prouvé, ...). Autant dire, qu'en quelques pages cet album synthétise avec bonheur toute une période d'intense créativité mais aussi de questionnements sur l'art autant chez les artistes que pour le public. Et si, personnellement, certaines planches très, trop stylisées, m'ont paru manquer de lisibilité, la palette de couleurs choisie, le dessin quand même très inspiré, résolument moderne, rend un très bel hommage à cet artiste et confère à cet album une grâce et une originalité qui complètent à merveille son propos.
Sans doute un des plus beaux albums de ce début d'année.


 

dimanche 8 janvier 2023

Joyland de Sahim Sadiq


Qui aurait pu imaginer qu'un premier film venant du Pakistan ( !!!)  puisse infliger une telle claque aux centaines de films déferlant sur nos écrans depuis des mois et à nous spectateurs français ? "Joyland" s'annonce d'ors et déjà comme un grand film qui fera date. Ici, tout est réussi, image, interprétation, regard de cinéaste et surtout scénario. Quelle audace, quelle liberté, quelle intelligence ! 
Le film a été vendu comme un peu sulfureux, en mettant en avant la relation d'une homme marié et d'une trans. Comme toute publicité, cela est trompeur, car dans le film, ce n'est pas le vrai sujet. Sa force vient en partie du fait que cette relation est présentée comme normale. Le héros tombe amoureux et qu'importe la personne. Cela aurait pu être une autre femme, un homme, ici c'est une trans, point final. L'enjeu du film se situe ailleurs, dans la place des hommes dans cette société éminemment patriarcale. Là, Sahim Sadiq, déploie son talent, de scénariste, de réalisateur ( d'auteur donc) en se montrant on ne peut plus ouvert. Le sujet se prêtait à quelques personnages méchamment caricaturaux, jamais c'est le cas ici. Chacun à droit à un regard on ne peut plus juste, avec ses certitudes mais aussi les failles qui vont s'entrouvrir durant cette histoire.  Tous les personnages sont magnifiquement filmés et interprétés, en douceur, mais également en profondeur, avec une élégance de mise en scène remarquable. 
La maîtrise d'un scénario dont l'intensité va crescendo, happe le spectateur durant deux heures ( même si, par-ci par-là, quelques petites longueurs peuvent apparaître) et donne une vraie leçon à toute ces productions inabouties que l'on voit habituellement. Un des très  grands films de 2022 ( puisque sortie fin décembre). 


 

Cet été là d'Eric Lartigau


Déjà amorcé avec son précédent film, Eric Lartigau continue sur la veine douce et tendre. Il quitte le monde du quinqua déboussolé pour s'intéresser à deux jeunes pré-ados en vacances dans les Landes. Cela n'a aucun mal à être plus réussi que "#jesuislà, sans pour autant atteindre des sommets. C'est délicat, il y a un essai d'originalité dans la mise en scène, dans la narration, mais tout cela reste ténu, charmant mais un peu léger. Les deux petites filles font le job et alignent avec assurance quelques dialogues sur le sexe avec ce bagout qu'ont les enfants quand ils disent des âneries en étant certains de détenir la vérité. Par contre on a un peu de peine pour le reste du casting quatre étoiles qui essaie d'exister en arrière-plan ( Chiara Mastroianni, Angela Molina, ...). On se dit qu'après "L'année du requin"  Marina Foïs a pris goût aux vacances dans les Landes et que Gaël Garcia Bernal a un peu forci ( pour dire comme l'esprit s'égare durant la projection). C'est mignon, un poil nostalgique, pas convaincant mais assez sympathique pour ne pas avoir envie d'en dire trop de mal. Si vous avez la nostalgie de vos vacances sur les plages landaises, vous pouvez y aller .... 

 

Les survivants de Guillaume Renusson



On aimerait aimer ce premier film qui nous raconte une histoire de migrants... Le sujet est porteur de toute l'humanité possible. Hélas, les bonnes intentions se heurtent à un scénario mal fichu qui ne sait où donner de la tête. C'est beaucoup de choses à la fois, entre le portrait d'un homme récemment veuf confronté à un monde disons très mouvant, un "survival" dans la neige avec toutes les ficelles scénaristiques qu'il implique et ici franchement grosses, un thriller assez violent avec des méchants extrêmement caricaturaux et peu crédibles et une histoire entre un homme et une femme que tout sépare. Bien sûr, on peut grappiller ici ou là des scènes bien fichues ( les bagarres, très pros, les moments psychologiques plutôt bien vus) mais l'ensemble ne se coordonne pas vraiment. Reste alors la prestation de Denis Menochet, toujours impressionnant, mais dans un registre qu'il a déjà beaucoup joué. Pas certain que cela suffise à sauver ce film.... 
 

Venez voir de Jonas Trueba

 


Le titre est une invitation mais, il faut l'avouer, y répondre vous engage à ouvrir l'oeil ...et le bon... Vous ne serez pas devant "Avatar" ( c'est beaucoup moins long et autrement moins prémâché, prédigéré), car contrairement à son homologue américain,  c'est à votre esprit critique et sensible qu'il s'adresse. 
 Le film ressemble à du Rohmer ou du Mouret à cause des dialogues entre bobos mais sans le côté intello du premier et sans la fantaisie du second. C'est juste la vie de trentenaires madrilènes qui nous est montrée où tout se joue, se trouve, dans les silences, les gestes, les objets, les petits détails. Cela peut sembler simpliste, facile, rasoir, mais pas du tout. C'est tout aussi fin que la plus belle des dentelles, magnifiquement interprété et, je pense, un très bel hommage à un autre cinéaste du détail,  Abbas Kiarostami auquel Jonas Trueba emprunte la fin du "Le goût de la cerise" pour continuer à nous faire réfléchir et gamberger. L'actuel cinéma espagnol n'a pas fini de nous surprendre... et nous passionner !