samedi 28 août 2021

La terre des hommes de Naël Malandrin


 Pour arriver à avoir un bon film, il faut avoir un brelan composé d'un bon scénario, de bons comédiens et d'un bon réalisateur.  Pour son deuxième film, Naël Malandrin, possède ce brelan et prouve qu'il est désormais un metteur en scène ( et scénariste) sur lequel il va falloir compter. 

Sur un sujet et un arrière-plan social casse-gueules, à savoir, le viol d'une jeune agricultrice qui se bat pour sauver la ferme de son père, on pouvait s'attendre à quelques clichés. Sauf que quand on est un auteur, on sait que le plus intéressant n'est pas l'évidence, ni la facilité, mais bien bien l'exploration d'un monde empli de zones grises. Le film saisit parfaitement toutes les ambigüités d'une histoire d'hommes dans lequel se glisse une jeune femme, qui va se confronter à une réalité où la fragilité d'un instant va tout faire basculer, mêlant intime et vie publique, intérêts et politique locale. "La terre des hommes"  avance comme un thriller sans jamais tomber dans le simplisme, ni le manichéen. 

Pour mettre encore plus en évidence ce discours très subtil, Naël Malandrin a su trouver une comédienne à la hauteur de cet enjeu : la plus que talentueuse Diane Rouxel. Déjà très remarquée dans quelques films de haute tenue ( "Les garçons sauvages" ou "Marche ou crève"), elle confirme ici son exceptionnelle présence et son interprétation exceptionnelle, où une caméra, souvent dans de longs travellings nerveux, ne quittant quasiment jamais son visage, permet de faire ressentir comme rarement tous les tourments de cette jeune femme. Cette comédienne est capable de tout et surtout du meilleur ( comme à chaque fois). 

Le film se regarde comme un très subtil thriller psychologique, sans l'ombre d'un temps mort et avec une intelligence scénaristique exemplaire. S'il y a un film à ne pas rater cette semaine, c'est bien celui-là.

PS : quand on regarde les génériques jusqu'au bout, on lit de petits détails qui parfois nous interpellent. Ainsi, si la production remercie à juste titre la maison Aigle ( les agriculteurs sont en bottes) on y lit aussi Agnès B. Serait-ce pour le tshirt kaki déformé que porte durant tout le film Diane Rouxel ? Si c'est le cas, bravo, il semble sorti de chez Kiabi en solde....  ( Plus certainement un mécénat de la dame très portée sur l'artistique....mais allez savoir ... ) 



jeudi 26 août 2021

France de Bruno Dumont


 Difficile de sortir totalement emballé du dernier film de Bruno Dumont. Le réalisateur, comme souvent, prend le spectateur à rebrousse-poil, en présentant un film étrangement construit, filmé, pas sympathique. La  promo se fait autour du thème du journalisme trash façon Cnews, mais ce n'est pas forcément ce qui est le mieux exploité dans le film, la vision cynique qui s'en dégage ne fleure pas beaucoup la finesse ( peut être parce qu'à l'aune de nos télévisions). Accompagnée d'une conseillère sans morale ( Blanche Gardin, en roue libre, et exactement comme dans ses spectacles comme si elle ne pouvait pas jouer autre chose), France de Meurs, ( Léa Seydoux de tous les plans, ( mal) habillée en Vuitton,  est la reine des médias grâce à sa façon de se mettre en scène autant sur un plateau télé que dans des reportages sur des zones de guerre façonnés selon une image bien précise. La démonstration s'éternise, voire se répète, le tout filmé avec un manque de moyen évident. Les zones de guerre semblent tournées dans quelques ruines du sud de la France, le plateau télé fait pauvret et Léa Seydoux peinant à être vraiment crédible en animatrice  achève de rendre cette partie pas vraiment passionnante. 

Ce qui peut retenir l'attention, serait plutôt le cheminement de cette héroïne franchement antipathique qui, en plus de souffrant de cette célébrité qui force aux soirées ennuyeuses parmi les riches de ce monde et aux sourires face à des portables friands de selfies, prend son pseudo professionnalisme en pleine figure et commence à mal le vivre. On oubliera vite l'histoire du jeune homme renversé ( et l'effarante maison de ses parents au chômage ....où l'on se dit que les gens de cinéma n'ont aucune idée des logements de la France d'en bas) et on regardera donc ( beaucoup, beaucoup) pleurer Léa Seydoux, partant vers une sorte de chemin de croix médiatique ( thématique chère à Bruno Dumont). On se demande si le réalisateur va arriver à faire l'acrobate de génie et finir par nous la rendre sympathique. Sans révéler la fin, la morale ( pas certain que ce soit le terme approprié) du film restera désespérante et donne ainsi une certaine allure à l'ensemble.  Pour l'anecdote, on trouvera comme d'habitude quelques tronches originales, une musique composée par Christophe juste avant sa mort ( un peu grandiloquente), Benjamin Biolay qui essaie de jouer encore une fois un mari potiche mais surtout une façon très originale de filmer les personnages dans une voiture, plans surprenants jusqu'à un accident monté comme un film publicitaire. 

"France", même si pas vraiment convaincant, peut être un poil trop long, mérite cependant le coup d'oeil, sans doute parce jouant sur tellement de tableaux, parfois contradictoires ou too much, qu'il finit par être original... façon nanar improbable. 


 

dimanche 22 août 2021

Les fantasmes de David et Stéphane Foenkinos


 On ressort du film la tête vide. Vide, non pas parce que l'on a tout oublié de sa vie de tous les jours, mais vide car aucun neurone ( peut être deux quand même) n'a fonctionné durant l'heure quarante que dure cette succession de sketches tous bâtis sur le même modèle. On a vu des images, des acteurs bouger, cachetonner pitoyablement. Et sinon rien, le néant. Des idées d'une platitude même pas étonnante, pas de mise en scène, des comédiens peu inspirés ( sauf peut être Céline Sallette qui arrive à être bien alors qu'un Nicolas Bedos nullissime lui donne la réplique ...et Karin Viard qui peut offrir un semblant de rythme même quand il n'y en a pas dans le scénario). Sinon, y'a rien. C'est sensé parler de fantasmes .... il y en a ....mais même dans les années 70 on les aurait trouvés sans intérêt. C'est jamais mordant, jamais grinçant, et surtout jamais sexy car finalement puritain à l'extrême. C'est filmé à la truelle et surtout pour pouvoir passer bientôt à 21 h à la télévision. Du coup pas la peine de se déplacer , mais pas la peine non plus de penser le  regarder quand il passera sur le petit écran. 



samedi 21 août 2021

Drive my car de Ryusuke Hamaguchi


 "Drive my car" , tiré d'une nouvelle d'une cinquantaine de pages d'Haruki Murakami, a obtenu le prix du scénario au dernier festival de Cannes, sans doute pour avoir réussi à transformer ce court récit en film de 3 heures. 

Pourtant, en regardant le film, on peut se poser la question quant à l'attribution de cette récompense, celui de la mise en scène lui serait allé comme un gant, tant le film en impose par son impeccable et magnifique mise en espace mais pas pour son scénario, manquant de rythme et virant parfois à une certaine redondance. 

De la matière, il y en a, ce n'est pas uniquement une question de rapprochement entre le metteur en scène héros du film et sa conductrice, loin de là. Yosuke Kafuku s'il doit accepter de se laisser conduire, se débat avec un certain nombre de problèmes personnels, qui vont du deuil à faire et de sa fille et de sa femme, doublé d'un certain sentiment de jalousie voire de vengeance. Cela occupe bien la première moitié du film, la conductrice n'étant qu'une présence... Et comme le scénario développe d'autres pistes très annexes, rigolotes sur le papier ( et moins à l'écran) comme les histoires inventées par l'épouse lorsqu'elle atteint l'orgasme, longuement, très longuement évoquées par deux fois, le film traîne un peu la patte. 

Et puis, il y a "Oncle Vania" de Tchekhov... mis en scène dans un théâtre à Hiroshima ( visez le clin d'oeil subtil... ville au passé mortel et donc elle aussi dans la résilience...). Cela pourrait être totalement anecdotique, sauf que l'on bouffe du Tchekhov jusqu'à plus soif. On entend les répliques diffusées par l'autoradio de la jolie Saab rouge, qui roule quand même beaucoup à l'écran, passe longuement des tunnels ( peut être en référence à ces longs tunnels tchekhoviens), sillonne tout aussi longuement des autoroutes. Et comme si cela ne suffisait pas, on assiste à la lecture de la pièce par les comédiens ( avec pour seule originalité, de taille sans doute, mais assez anecdotique au demeurant, une actrice sourde jouant en langue des signes)  ainsi qu'aux répétitions ... puis à la représentation. Evidemment, les répliques font références à l'état d'âme des protagonistes, un peu elliptiquement au début, puis plus franchement, puis de façon plus insistante, pour finir par agacer complètement. 

Et c'est ainsi, que l'on sent vraiment passer les trois heures. Le film, est magnifiquement filmé c'est une évidence. La caméra est là où il faut, restant à bonne distance des personnages, attrapant le moindre regard, geste, la plus petite émotion. Mais pourquoi noyer ce récit qui aurait pu être bien plus prenant dans ce pseudo intellectualisme de bazar ( Tchekhov, c'est vachement chic et imparable et couplé avec la lenteur de longs plans contemplatifs, la jouissance n'est pas loin) ? Remonté, en version light, avec une heure de moins et en renvoyant ce bon vieil Anton dans sa cerisaie, le film gagnerait certainement en émotion. "Drive my car" reste toutefois un film à voir, car il y a vrai cinéma qui se déploie là-dedans, sans pour autant convaincre complètement, peut être jouant un peu trop sur le côté film de festival un poil rasoir... 



vendredi 20 août 2021

La rivière de Peter Heller


 Deux gentils gars, bien américains ( propres sur eux, sportifs et...armés), réalisent un de leur rêve en descendant dans le Nord du continent américain la rivière Maskwa ( pour les néophytes, on se fait déposer en hydravion  très loin dans le grand Nord et l'on redescend tout cela durant trois semaines en ne rencontrant quasi personne à part quelques caribous, avec de la chance des ours, quelques rapides bien sûr voire des chutes vertigineuses). Ils sont entraînés, habitués à naviguer  tous les deux. Cette descente n'est pas leur premier périple. 

Le roman débute bucoliquement, lentement, au gré de leur navigation, sereine et disciplinée. On sent que l'auteur manie le canoë avec virtuosité car aucun geste technique ne nous sera épargné. Parfois, on a l'impression de lire un développement littéraire du Vieux Campeur sur le matériel nécessaire à une expédition en rivière en mode survie. Bien sûr entre deux descriptions de matériel de pêche ou de technique pour attraper du poisson, l'intrigue se noue petit à petit.  Les rares rencontres humaines qu'ils font mettent la puce à l'oreille et justifient d'avoir eu la bonne idée d'avoir embarqué des flingues. On se dit très vite que l'on va avoir droit à une resucée de "Délivrance", ce qui ne manque pas d'arriver. Pour couronner le tout, et pour quand même redonner du contemporain ( aux allures faussement écologiques) à  cette histoire, un gigantesque incendie ravage le secteur... 

Même si le canoë file dans quelques rapides, le lecteur, lui, sautille d'un moment de tension à une description un peu répétitive de pêche à la mouche, qui casse le rythme de l'aventure. A vouloir marier, le récit d'aventure, à l'intrigue psychologique sur l'amitié de ces deux jeunes hommes, au suspens et à la catastrophe naturelle, Peter Heller, n'arrive à être convaincant nulle part ( surtout avec une fin en accéléré et un dernier chapitre larmoyant un peu facile). Il reste cependant que l'on va jusqu'au bout de l'aventure, malgré les grosses ficelles et les thèmes trop facilement escamotés.


mercredi 18 août 2021

Bac Nord de Cédric Jimenez


 

Marseille, ses flics ripoux ( mais jusqu'à quel point et pourquoi ?), ses trafics de drogue et ses quartiers Nord de sinistre réputation. Avec cette toile de fond, Cedric Jimenez signe un film d'action ultra testostéroné  qui ne peut laisser indifférent. 

Le film, tiré de faits réels ( non jugés au moment du tournage) semble prendre parti pour ces flics ayant franchi la ligne blanche qui les sépare des voyous, ce qui, en ces temps de suspicion extrême envers notre police, le rend, pour certains,  peu fréquentable. Le jugement au printemps dernier, semble donner en grande partie raison au postulat du scénario... 

Mais ce qui rend "Bac Nord" très recommandable, c'est que c'est du vrai, du bon cinéma d'action. En jouant autant l'étiquette politique que polar, le film nous scotche au siège. Frénétique, rapide, réaliste, il avance comme un vrai film d'action à l'américaine. Le trio d'acteurs , très mâles, très machos, prend évidemment toute la place ( Adèle Exarchopoulos joue les utilités) mais au service d'une histoire qui démontre combien notre société est malade de partout. Le film avance, de plus en plus frénétique, la tension monte pour se terminer par une scène hallucinante d'attaque dans les cités de Marseille et qui met au tapis, par KO cinématographique, un film quasi sur le même thème, du très ( trop) célébré, "Les misérables". Ici, nous avons du vrai cinéma, filmé avec une intensité comme rarement vu chez un réalisateur français et qui, en plus, ose ne pas faire l'impasse sur un sujet de société. 




Rouge de Farid Bentoumi


 

Dans la lignée très américaine d'"Erin Brokovitch" ou plus près de nous "Dark Waters", voici enfin un film français dénonçant quelques bévues industrielles, ici une usine chimique dans la région grenobloise. C'est rare, donc à saluer. Même s'il ne supporte pas tout à fait la comparaison avec ses cousins d'outre Atlantique, "Rouge" remplit le cahier des charges à savoir, nous tenir en haleine sans faiblir et nous indigner ...le temps du film et sur le chemin du retour. 

On appréciera un scénario fort bien écrit qui installe l'histoire avec une grande finesse. Les acteurs sont tous impeccables de Zita Hanrot à Olivier Gourmet ( qui, s'il continue à interpréter des salauds onctueux risque l'amalgame); On suit l'histoire sans s'ennuyer une seconde. On regrettera toutefois une fin un peu abrupte qui, contrairement aux américains n'ose pas aller sur le terrain judiciaire et/ou politique et le spectateur ne saura rien des suites de cette affaire ( qui, à la décharge du réalisateur/scénariste, étaient toujours en cours au moment du tournage du film... inspiré du scandale des boues rouges de Gardanne qui semble s'être ( provisoirement ) terminé en juin 2021!).

"Rouge", film dossier sur nos industries chimiques polluantes, permet de passer un moment mêlant intensité et indignation... pas certain toutefois qu'il reste dans les esprits bien longtemps. Trop sage peut être...



mardi 17 août 2021

Passion simple de Danielle Arbid


Adapter ce récit d'Annie Ernaux relevait du défi quasi impossible. Et à l'écran, malgré toute la bonne volonté de Danielle Arbid à tirer les quelques bribes d'intrigue qui affleurait dans le livre constitué uniquement des impressions de l'auteur sur une relation passionnelle, force est de reconnaître que l'on s'ennuie pas mal. On ne sent pas à l'écran la passion charnelle entre les deux interprètes condamnés à de nombreuses scènes de sexe ultra chorégraphiées de façon à ne choquer personne, jouant sur le gros plan et enlevant sans doute toute intensité aux étreintes.  Laëtitia Dosch semble un peu empruntée dans son rôle, peut être parce que face à elle, l'amant russe fait pâle figure et n'est pas un partenaire hors pair. Alors on regarde tout cela, l'ennui en bandoulière, voyant bien les efforts de la réalisatrice à essayer de nous faire partager la passion dévorante qui envahit son héroïne, déambulant dans des villes, scrutant son portable ( en 1992 date de sortie du livre, il n'y en avait pas) , élevant son enfant, l'esprit ailleurs, fixé sur un futur rendez-vous. Mais rien n'y fait, la traduction en images de cette passion qui a conduit l'auteure jusqu'à l'absence de dignité peine à convaincre. Il vaut mieux relire " passion simple", 76 pages de vrai littérature ! 



 

lundi 16 août 2021

OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire de Nicolas Bedos


 La presse, toujours très gentille, surtout avec les films supposés remplir les salles, nous l'avait pourtant dit à mots couverts, ce troisième opus tant attendu des nouvelles aventures d'OSS 117 est sans doute le moins bon de la série  ( mais très sympa quand même). En fait, dans cette gentillesse toute servile ( il s'agit de préserver au mieux le secteur du cinéma), il faut lire qu'"Alerte rouge en Afrique noire" se révèle être un authentique navet sur toute la ligne, de l'affiche jusqu'au générique de fin. 

C'est très difficile de taper sur une ambulance, et ici, elle est déjà bien amochée. Rien ne fonctionne dans cette resucée absolument mollassonne des deux formidables aventures précédentes d'OSS 117 revisitées par Michel Hazanavicius. Tout y est lourd, lourdingue même, appuyé, sans inspiration. C'est l'exercice pesant d'un scénariste et d'un réalisateur peu emballés par la commande d'un grand studio. On sent  que la dynamique qui avait conduit au succès des précédents ( 2006 et 2009) s'est envolée. Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts de l'humour et notre perception sur les propos racistes et homophobes ( certes décalés), le fond de commerce  de la série, a un poil évolué. On sent bien que les auteurs/réalisateurs ne savent pas comment manier ces changements. Vous rajoutez une histoire de maintien de président despote pas vraiment exploitée doublée d'une rivalité entre deux générations d'espions peu originale, et vous obtenez cette petite catastrophe artistique achevée par  la réalisation sans talent de Nicolas Bedos.  Il ne reste que la présence de Jean Dujardin, qui arrive à ne pas être ridicule malgré l'accumulation de vannes tombant à l'eau, voire, celle, de Pierre Niney, qui parvient lui aussi à réchapper ( on ne sait comment, son talent sans doute) de ce naufrage. 

Poussif, sans rythme, mal filmé, il vaudra mieux attendre des jours meilleurs pour rire au cinéma ( ça va arriver vite, des comédies réussies sortent bientôt). En attendant, vaut mieux revoir les bons OSS 117 et éviter ( comme pour les Bronzés) cet opus inutile. 




jeudi 12 août 2021

Rencontres Photographiques Arles 2021

 


Après une année blanche, un changement de directeur et quelques mesures un peu restrictives dues au Covid ( c'est féminin paraît-il comme souvent les noms des calamités, mais je préfère garder le masculin...), les 52 èmes Rencontres Photographiques d'Arles "prennent le pouls de l'état du monde" (dixit le petit plan/programme distribué aux festivaliers). Donc, et cette fois-ci selon le catalogue des rencontres, les visiteurs s'intéresseront à un lot d'expositions intitulé "Identités/fluidités", en gros les questions de genre, de représentation de la population noire ou étrangère dans l'art comme dans la vie de tous les jours voire de la création en période d'isolement ( actualité pandémie oblige), un autre lot au titre "Atlas" qui nous parle du monde, un volet plus historique appelé "Relectures" et un dernier, "Emergences" pour tout ce qui est plus créatif et nouveau ( auxquels vont s'ajouter un très joli hommage au photographe de plateau Raymond Cauchetier et tout un pan consacré aux livres publiés autour de la photo avec une exposition/hommage à la revue Neuf ( 1950-1953) créée par Robert Delpire ( et qui vient d'être rééditée sous la forme d'un coffret contenant tous les numéros parus). 

Même si le nombre des expositions est un peu réduit par rapport à l'habitude, le visiteur pourra en trouver qui le passionneront....ou l'agaceront. Force est de constater que c'est bien joli de partager tout cela en grands chapitres, mais les thèmes récurrents de l'époque se retrouvent partout ( quoique meetoo ou la pandémie n'apparaissent que très peu). Ainsi la question de genre, principalement abordée par "Masculinités", infuse beaucoup d'autres expositions ( et parfois de façon plus pertinente voire impertinente), tout comme la problématique de la population noire. C'est sans doute ce qu'il y a de plus stimulant que cette capillarité entre les oeuvres qui permet de rester en éveil, de faire des recoupements, de discerner tous ces courants inspirants et les différentes manières de les aborder. 

C'est ce qu'essaie de nous proposer l'exposition fort médiatisée " Masculinités" ( conçue en premier lieu par et pour le Barbican Center à Londres et déjà exposée à Berlin en 2020) avec son regroupement d'une cinquantaine d'artistes, sauf que l'ensemble apparaît un peu disparate, quelquefois tiré par les cheveux, s'éloignant parfois du sujet ou cherchant à se  raccrocher inutilement à l'actualité (Black Live Matter). Entre frustration de ne pas en voir plus d'un artiste ( souvent représenté par deux ou trois photos extraits d'une série plus importante) ), interrogations face à la présence d'autres dont les clichés semblent un peu éloignés du sujet mais rattrapés par un cartel qui file avec emphase la métaphore( L'excellentissime Masahisa Fukase, mais dont les fameux portraits de famille dévoyés n'ont guère de rapport  ou Aneta Bartos et ses autoportraits avec père) ), l'exposition déçoit un peu. Certes, l'ensemble en jette, arrive bien sûr à illustrer que l'on ne naît pas homme mais qu'on le devient, que cette construction sociétale varie selon les continents mais l'ensemble laisse une sensation de manque surtout que l'on a rencontré ou rencontrera plus tard dans les Rencontres des artistes qui illustrent aussi bien, voire mieux, ce propos ( Pieter Hugo, Daniel Obasi ou Andrzej Steinbach). Et que dire de l'atmosphère quasi polaire du lieu d'exposition?  20 degrés pour un visiteur en short et en débardeur arrivant de l'extérieur où il fait au moins trente degrés, c'est l'assurance de finir l'expo au pas de course. Ici, quelque soit le genre, les musclés comme les chétifs, on n'a qu'une envie :  sortir  avec la ferme intention de se réchauffer très vite ( mais qui programme la clim ? ). 

Je ne détaillerai pas chaque exposition, mais dirai que si vous passez par Arles, il y a quand même des incontournables à ne rater sous aucun prétexte : 

Vous serez fascinés ( entre autre) par l'art du portrait du Sud africain Pieter Hugo, dont les modèles vous regardant droit dans les yeux ne pourront que vous impressionner. Vous éprouverez une admiration sans borne pour cette jeunesse soudanaise qui a lutté ( et lutte) pour sortir de toutes les dictatures qu'elle subit ( politique, militaire et religieuse) avec cette magnifique exposition "Thawra ! Révolution!". Vous pourrez redécouvrir l'oeuvre de Sabine Weiss ( même si là aussi, on ressort frustré de ne pas en voir plus, notamment son travail dans la publicité),  voyager dans l'Orient Express et Cie,  se plonger dans ( même si pas amateur) l'histoire très musicale mais aussi très politique de la revue Jazz Magazine, découvrir une Corée du Nord comme on l'imagine mais surjouée avec talent par Stéphane Gladieu, être ému par l'installation de Polaroïds d'Anton Kusters, être impressionné par le travail ( récompensé ) de la jeune Almuneda Romero ou en prendre plein les yeux par les photographes de l'exposition "The New Black Vanguard" qui nous suggère combien l'avenir vient sans conteste de l'Afrique. 

On pourra être par contre décontenancé par certaines propositions, plus avant-gardistes sans doute. Les habitués d'Arles qui filent s'éblouir habituellement à l'église des frères Prêcheurs risquent d'être surpris par la présence en ce lieu des Prix découverte Louis Roederer récompensant de jeunes photographes dont le travail présenté ici, laisse un poil circonspect tant l'idée de départ semble bonne mais le résultat un peu hermétique ou guère convaincant ( et ce ne sont pas les cartels, souvent abscons, qui aident à apprécier l'ensemble, laissant l'impression qu'à partir d'une vague idée, on tire un fil volontiers pompeux qui finit par ne laisser que percevoir la vacuité du propos). On me rétorquera que le public des Rencontres est bourgeois et pas mal bobo, dont attiré par l'art, mais quand on l'observe déambuler dans ces endroits, un sur quatre lit le cartel, et 95%  ont le regard qui glisse de façon désabusé sur les clichés présentés. Pas certains que cette jeunesse créatrice attire complètement l'attention. 

Pour donner un exemple de la façon dont on magnifie quelques clichés, voici un exemple tiré d'une exposition assez tartignole, fourre-tout,  que l'on s'est cru obligé de nous imposer, pandémie oblige : "Puisqu'il fallait tout repenser" ( le pouvoir de l'art en période d'isolement ). C'est un regroupement d'oeuvres de photographes ou vidéastes divers et variés, là aussi représentés par deux ou trois photos, raccrochées comme on a pu avec le titre de l'expo. Les cartels, pour qui aime le second degré, sont sûrement le meilleur de cette exposition. Verbeux à l'extrême, parfois incompréhensibles à force de touiller verbiage et concept, plus on avance, plus on rigole ( par contre on fait grise-mine devant la plupart des photos ). En voici un exemple. J'ai choisi le plus lisible ... 


Voici une photo de l'artiste Marcos Lopez, présentée avec sa version noir et blanc ( en plus petit format ). Celle-ci est colorisée, peinte à la main sans doute. Rien d'autre n'est présenté de l'artiste... On notera combien elle entre dans le thème de l'exposition ( voir plus haut) . On lit sur le cartel ( entre autre) : "L'horreur du vide baroque, interprétée par Lopez, rend compte d'une culture périphérique dévastée par les effets du capitalisme hégémonique et de la domination instaurée par l'occident.... On y perçoit les échos d'une longue tradition qui va du muralisme mexicain jusqu'à la photographie documentaire, au cinéma politique, à l'appropriation, à la juxtaposition de citations sur la photographie et au dialogue entre peinture, photographie et modèle. " Comme quoi, un portrait de dame avec fleurs, engendre parfois la masturbation. Cet exemple est sans doute le plus lisible, le plus simple, le moins alambiqué de tous les cartels de cette exposition ( et de quelques autres).  

Ceci dit, il ne faudrait pas que cela vous décourage à visiter ces Rencontres Photographiques qui restent un vrai temps fort de la vie artistique et culturelle française, tant la diversité des oeuvres présentées est grande et pouvant s'adresser à de multiples publics. Certes, l'art reste encore l'affaire de quelques uns et ce n'est pas en employant à profusion un verbiage forcément clivant que l'on va pouvoir s'ouvrir au plus grand nombre. Cependant, les Rencontres Photographiques peuvent offrir à quiconque un vrai moment d'éblouissement et c'est ça qui les rend irremplaçables.