mardi 31 octobre 2017

Ces jours qui disparaissent de Timothé Le Boucher



Il est grand temps pour moi de parler de mon coup de cœur BD de la rentrée....  Je ne suis pas le seul à avoir succombé au quatrième album de Timothé Le Boucher, puisque Télérama a mis TTT et, sincèrement, il me semble terriblement difficile de résister aux charmes de ce one shot .
En parler ? En parler !! Non, pour une fois je n'en dirai rien, car, si l'on veut pouvoir profiter pleinement de ce récit extraordinairement maîtrisé, il vaut mieux ne rien en savoir ! Et surtout, SURTOUT, ne lisez pas la quatrième de couverture qui raconte tout ! ( Mais qui a eu l'idée chez Glénat de concocter un tel résumé !?! Espérons que les lecteurs de BD n'ont pas le réflexe de leurs confrères lecteurs de romans de retourner systématiquement un ouvrage... Dans le cas qui nous intéresse ce n'est pas un résumé mais tout l'album quasiment qui est spoilé !).
Comment quand même donner envie de vous plonger dans ce récit ? ( Ce n'est pas ma bonne tête ou mon avis ( toujours pertinent) qui vous fera quitter toute affaire cessante votre série télé préférée pour vous ruer chez votre libraire). Disons, que lorsque vous aurez l'album en main, vous ne le lâcherez plus. L'histoire commence certes doucement mais va crescendo ( un peu comme une petite boule de neige lancée depuis le haut de la montagne qui arrive énorme dans la vallée). Et c'est à la fin que l'on s'aperçoit de l'absolue maîtrise narrative de son créateur. Sur un départ de comédie un poil fantastique ( genre, on échange de sexe, d'enveloppe corporelle tout en restant le même dans sa tête...mais je vous rassure, rien à voir avec le roman graphique qui nous intéresse), Timothé Le Boucher déroule une mécanique infernale d'événements et de péripéties, pour rendre son histoire imparable et un soupçon mystérieuse. Ce pas encore trentenaire, à la fois scénariste et dessinateur de surcroît, dévoile un talent qui émerveille ( et laisse augurer une suite prometteuse). En plus de son imagination sans borne et de son évident talent de conteur, ce jeune artiste, arrive à débarrasser son roman graphique des clichés habituels, restituant parfaitement  les contours d'une génération qui fait fi du genre et des codes hétéro/genrés ( encore énormément présents dans la bande dessinée !).  On y croisera donc des personnages aux relations ouvertes, une femme à barbe ( sans que cela soit étrange, admirez le tour de force !), une autre vivant en trouple ( pour ceux qui ignorent la définition de ce mot qui deviendra bientôt un marronnier dans nos news magazines, tapez-le dans Lilo ( un moteur de recherche plus alternatif que Google)). Et son dessin est au diapason, rond sans l'être, sensible et fort à la fois, rappelant parfois le manga mais aussi Alix de Jacques Martin ( regardez le héros sur la  couverture), épousant parfaitement son récit pour rendre l'ensemble totalement épatant.
Je l'avoue, et cela me réjouit, voir un jeune auteur nous offrir une œuvre d'une telle maîtrise fait chaud au cœur, et nous prouve que décidément en Bande Dessinée, l'avenir est plus que prometteur ! Un seul mot ( ou presque ) pour conclure : Lisez " Ces jours qui disparaissent ", il serait étonnant que vous le regrettiez ! ( et vous risquez de disparaître quelques heures tellement vous serez absorbé(e)s.)






dimanche 29 octobre 2017

Panique dans le 16e de Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon



Une petite promenade dans une zone de non-droit ( une no go zone comme le dit si bien  la chaîne US débile et débilitante Fox News) ça vous dit ? Un quartier ultra sensible, tellement replié sur lui même que peu de chaînes télés ou de journalistes osent y fourrer leur nez  tant la peur des représailles les tétanise. Un périmètre de plusieurs km2 où une grande délinquance sévit impunément, se riant des lois et de la morale. Un enfer légal où  9/10 des français n'ont aucune envie de vivre ( heu...si ils pourraient avoir envie mais il ne le peuvent pas !). Cet endroit se situe DANS notre capitale ( pas en banlieue !) et il s'agit du si protégé seizième arrondissement ( où se situent, pour les plus provinciaux de ceux qui me lisent, la maison de la radio, mais surtout les habitations de la plupart des plus fortunés des habitants de Paris ). Le 16ème, si l'on regarde une carte, est une sorte de zone protégée par des frontières naturelles comme la Seine d'un côté, le bois de Boulogne de l'autre et d'une avenue  mythique, les Champs Elysées. Dans ces quartiers, on a voté à 60 % pour François Fillon au premier tour de la dernière présidentielle et ne pas payer l'ISF vous fait regarder de travers par votre voisinage.
Mais voilà, que cette bolchévique de mairesse de Paris, cette sale gaucho d'Anne Hidalgo, accompagnée de quelques sbires biberonnés au marxisme, a décidé en mars 2016 d'implanter dans ce quartier un centre d'hébergement pour sans abris !!!! Les colliers de perles ont tressauté et on a avalé de travers le Romanée-Conti servi par cette adorable Juana ( émigrée équatorienne si servile et si peu onéreuse....elle accepte 500 euros mensuels au black pour 62 heures de travail hebdomadaire, une perle je vous dis !). La révolution a grondé dans les salons Empire et la colère s'est exprimée sans complexe lors d'une réunion d'information à la faculté d'Assas ( une université du secteur, très bien fréquentée car assez sélective...).
Les Pinçon-Charlot ont assisté à cette édifiante confrontation entre des élus de gauche et des habitants haineux, prêts à tout pour ne pas voir s'installer des pauvres qui, sans nul doute, voleraient et violeraient tout le monde jusqu'aux caniches abricot. Devant cette fronde bourgeoise, ils ont décidé d'éclairer notre lanterne en nous narrant la dure épopée de la Mairie de Paris pour l'installation de ce
centre d'accueil ainsi que de la replacer dans son contexte géographique, politique et sociologique.
Spécialisés dans l'étude de nos riches français, cette incursion dans le 16 ème leur est facile et leur permet encore une fois de démontrer la violence de cette grande bourgeoise envers les moins nantis, leur manque total de sens moral et leur soi-disant bon droit à cultiver un entre soi  auquel il ne faut pas toucher.
Le discours est connu, toujours réjouissant ( mais aussi révoltant ). Cette fois-ci, sans doute avec une envie d'être plus pédagogique qu'à l'habitude, le récit est clair, simple à lire et doublé par une bande dessinée ( excellent Etienne Lécroart) qui, même si elle est parfois redondante, apporte un peu d'humour dans cet univers qui prête de moins en moins à rire.
Je ne le dirai jamais assez , mais lire les époux Pinçon-Charlot devient de plus en plus indispensable et franchement, cette dernière livraison, sans conteste la plus accessible de toutes, continue à porter un éclairage cru sur ce monde des riches qui, au mépris de toute morale, nous nargue comme jamais.

Et je ne résiste pas au plaisir de vous proposer cette interview donnée par Monique Pinçon-Charlot sur Canal plus l'an dernier... devant le fameux centre d'accueil.




samedi 28 octobre 2017

Au revoir là-haut de Albert Dupontel


Pour adapter le roman de Pierre Lemaître, Albert Dupontel s'est hissé sur une grue pour prendre de la hauteur, sans doute pour ne pas contredire le "là-haut" du titre. Et c'est ainsi, que vue de cet engin, l'intrigue se trouve élaguée ( normal, on ne voit pas les détails lorsque l'on est perché) mais surtout, avec ses travellings dans tous les sens,  le film a parfois un côté montagnes russes de fête foraine, qui fonctionne finalement très bien avec l'univers baroque et lyrique adopté par la mise en scène.
L'adaptation faite par le réalisateur de " Neuf mois ferme"  reprend dans les grandes lignes cette belle amitié entre deux hommes d'un milieu différent mais soudée par les traces ineffaçables de rudes combats et d'une société qui les rejette. Le sel du film est bien sûr conservé, à savoir cette escroquerie aux monuments aux morts dans l'immédiate après guerre ( en 1919 pour ceux qui n'auraient pas lu le Goncourt 2013 et échappé à la promo tous azimuts du film) et surtout la présence d'un méchant à l'onctuosité perverse et glaciale. La réussite du film tient  pourtant sans doute plus aux écarts et à la façon dont le réalisateur/scénariste s'est emparé de l'histoire, que de sa fidélité à l'œuvre originale.
En tirant le récit vers son univers habituel, Albert Dupontel arrive à donner du burlesque et une vraie  causticité au récit, ( l'humour était déjà présent dans le roman) tout en lui donnant un aspect virevoltant comme le furent les années qui ont suivi la grande guerre. On appréciera un joli travail sur l'image, aux couleurs rappelant les autochromes de l'époque et une profusion de magnifiques masques que portent le personnage d'Edouard, tous s'intégrant parfaitement avec l'action.
Tout cela donne un grand film populaire dans le bon sens du terme, avec du rythme, de l'humour, des méchants, des bons pas si innocents que ça et de l'émotion. Les acteurs sont au diapason du projet. Laurent Lafitte incarne avec une gourmandise évidente un salaud intégral, Nahuel Perez Biscayart prouve une nouvelle fois qu'il est sans aucun doute la révélation de l'année ( après " 120 battements par minute" ), arrivant à donner une force de vie à son personnage masqué avec juste des mouvements du corps et son regard et Niels Arestrup épate encore une fois avec sa dureté sous laquelle se cache un cœur.
Production de luxe, "Au revoir là-haut " plaira à ceux qui n'ont pas lu le roman et épatera dans le bon sens ceux qui attendaient au tournant cette mise en images. Moins calibré que prévu, un peu foutraque mais sympathique, le film devrait se tailler un beau succès au box office ( ou alors c'est à désespérer des spectateurs).




vendredi 27 octobre 2017

Corps et âme de Ildiko Enyedi


Une jeune femme, blonde à l'apparence fragile, est embauchée, Maria,  comme contrôleuse de qualité dans l'usine que dirige Endre, cinquantenaire solitaire et se pensant maladroit à cause d'un bras inerte. Rien ne laisse supposer que ces deux là puissent un jour se rencontrer et vivre une histoire d'amour. Nous sommes au cinéma et tout est possible. Je vois les yeux se lever vers le ciel,en pensant qu'il s'agit encore d'une bluette style Harlequin ( tout les sépare mais ils vont s'aimer). Racontée comme je viens de le faire, c'est certain, sauf que, la cinéaste hongroise ( Caméra d'or à Cannes en 1989 mais également ours d'or au dernier festival de Berlin, le 3ème grand festival après Cannes et Venise) donne une force envoûtante à son sujet par la magie d'un scénario hyper travaillé et une mise en scène et en images particulièrement pertinente.
Maria et Endre, par le hasard d'un rendez vous chez une psychologue vont s'apercevoir qu'ils font chaque nuit un rêve identique, celui d'un cerf et d'une biche, complices et tendres, dans une forêt sous la neige, belles images bucoliques qui vont se heurter à d'autres images d'animaux, celles des bovins qui se rendent à l'usine où travaillent nos deux héros. Hé oui, l'histoire d'amour se déroule en partie dans un abattoir ! Et là, où certains auraient pu jouer atrocement sur ces deux versions de la vie animale, Ildiko Enyedi choisit de traiter cela par un hyper réalisme jamais voyeur, dont les plans au millimètre, souvent fixe, révèlent une force et une poésie fulgurante. La même exigence est employée pour la description de la rencontre de ses deux personnages, chacun avec son code couleur ( tons gris et froids pour Maria, au comportement autiste et maniaque, tons chauds pour Endre ) et une  utilisation des parois transparentes, symboles subtils de ce qui sépare ces deux êtres, chacun se débattant avec un monde intérieur les obligeant à un certain mutisme.
A l'écran, cela donne une histoire qui sort de la banalité, touchant très vite le spectateur qui ne peut que se laisser emporter par la destinée de ces deux être dont les rêves et la solitude vont finir par se rejoindre, où le sang sera sans doute la seule couleur que cet homme et cette femme vont réellement partager. Dans une magnifique mise en scène jamais lourdingue, d'une beauté hyperréaliste à couper le souffle, "Corps et âme " apparaît comme le conte moderne qu'il faut voir cette semaine.


Et je ne résiste pas au plaisir de vous rajouter un clip, avec la très jolie ballade de Laura Marling "What he wrote" qui joue un rôle assez important à la fin du film . 





mercredi 25 octobre 2017

traité des gestes de Charles Dantzig



Pour un traité ( si je reprends la définition de Wikipédia), ouvrage à but pédagogique qui traite de façon exhaustive un sujet, avoir une aussi jolie couverture, avec ce dessin aux teintes pastels et tout en rondeur, donne illico envie de s'y plonger, et donc de l'ouvrir, de casser délicatement du plat de la main le papier plus épais qui le recouvre et de découvrir son contenu. Je vous ferai grâce de ce geste cliché qui consiste à porter un doigt à sa bouche, de l'humecter subrepticement avec la langue pour revenir sur la première page afin de la tourner plus facilement, bien que lecteur compulsif, que je ne l'ai jamais fait. Ai-je écarquillé les yeux ( geste d'émerveillement, d'intérêt), froncé les sourcils ( geste d'ennui), tordu la bouche ( geste d'agacement), caressé mon nez ( geste interrogatif),  éprouvé légèrement le lobe de mon oreille ( geste de bien être) durant ma lecture ? Je ne vous le dirai pas, mais je vous laisserai le deviner.
Ce " traité des gestes" ( oui, sans majuscule à "traité", petite coquetterie bien inoffensive de l'auteur comme pour chacun des titres de chapitre de tous ses livres ) ne peut qu'intéresser le lecteur curieux. Avec pertinence, un humour parfois corrosif, une grande culture et un regard particulièrement aigu sur le comportement de nos contemporains ( mais aussi d'êtres, modèles, écrivains de l'antiquité jusqu'au siècle dernier), Charles Dantzig ausculte, dissèque, interprète, annote tous les mouvements  ou l'immobilité d'un corps (qui est en quelque sorte un geste négatif), tous ces gestes qui sont " le lien universel entre toutes les créatures du monde" . La promenade avec cet entomologiste du genre humain s'avère passionnante, même si parfois son érudition peut apparaître intimidante. Il a tout traqué, des mimiques de ses voisins de table au restaurant, aux rares descriptions de gestes dans la littérature depuis l'antiquité en passant par les expressions dans la peinture et la photographie, faisant des rapprochements, des corrélations donnant à son propos toute la profondeur nécessaire.
Mais ce qui pourrait passer pour un inventaire un peu rébarbatif , se révèle aussi, un portrait assez cinglant de notre époque autant friande d'images que de gestes. Impertinent quand il s'agit de décrypter les gestes des contemporains qu'il rencontre, Charles Dantzig, écrit sans ambages ce qu'il ressent, avec une fausse bonhommie réjouissante et un certain savoir-vivre ( ainsi, il cite des personnes sans doute connues de lui ou du public en leur octroyant des pseudonymes assez hilarants comme Rirou le Dauphin ou Vipère-Qui-Avale-Des-Couleuvres). Et puis, autre bon point ( ce que je fais maître d'école !), ce " traité des gestes" permet à Charles Dantzig de faire aussi un autoportrait plutôt sympathique de sa personne ( le contraire aurait pu paraître étonnant), mêlant sa vie à son essai, le rendant ainsi extraordinairement vivant et humain.  Moi qui n'avais jamais rien lu de lui, que je ne connaissais que comme un nom qui apparaissait régulièrement dans les pages " culture " des journaux, j'ai pu aussi me faire ainsi un petite idée du personnage.
"traité des gestes", dense catalogue de nos mouvements corporels les plus infimes, peut se lire d'une traite, certains lecteurs ayant la capacité à emmagasiner une foultitude d'anecdotes, de considérations et de raisonnements pointus. Personnellement, en plus de conseiller vivement cette lecture vraiment emballante, je pense qu'il est agréable de l'avoir à portée de main, pour grappiller selon sa fantaisie  un de ces nombreux et courts chapitres, chacun recelant une anecdote, une idée, une notation qui réjouit l'esprit. Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de la citation ( c'est un ouvrage qu'il faut lire avec un crayon près de soi ), une parmi des centaines possibles : " La coutume, se sont les draps jamais changés de l'hypocrisie." ( Vous voyez, cela va plus loin que le simple geste...)




The XX Fiction ( titre cité dans "traité des gestes " comme la bande son de la tendresse entre hommes...)

lundi 23 octobre 2017

Sucre noir de Miguel Bonnefoy


Le premier chapitre nous saisit comme un roman d'aventures a pu le faire lorsqu'enfant on se plongeait dans (pour moi) "L'île au trésor" ou ( pour mes enfants) dans "Harry Potter", une furieuse envie de dévorer la suite, tant l'entrée en matière nous emballe. Imaginez un (fameux) trois mâts, une frégate pour être exact, échouée sur la cime d'arbres dans une forêt d'Amérique du Sud suite ( on suppose) à une tempête à faire pâlir l'ouragan Irma. Nous sommes au 17 ème siècle et les cargaisons de la flotte de sa très gracieuse majesté ( mais c'était peut être à l'époque un gracieux roi) se composaient en plus de victuailles, d'or, de pierreries, d'œuvres d'art. Et ce qui devait arriver arriva, à force de vent de pluies, de bourrasques ( et de temps), le bateau finit sa course en s'engloutissant à tout jamais dans la mangrove. Dans la tête de tout bon lecteur qui se respecte, tilte dans son esprit le mot "Trésor !" ( mieux que le loto !). Et qui dit trésor dit recherche et donc aventures ! Le lecteur, n'a même pas le temps de se frotter les mains de plaisir ( pourquoi faire d'ailleurs, cela ne sert à rien dans la lecture), qu'il tourne la page et se retrouve 3 siècles plus tard dans une commune pauvre du Vénézuela, construite au-dessus de l'endroit du naufrage, sans doute par hasard. Nous faisons connaissance des Otero, cultivant chichement un lopin de terre. Ce couple sans histoire avait une fille ( non pas la belle Otero !), Serena ( la belle se prénommait Agustina , rien à voir !). Rêveuse, passionnée de botanique, elle utilisera la TSF pour essayer de se créer un avenir un peu plus radieux ( vous l'aurez compris nous sommes dans les années 30,  Facebook et Meetic ne sévissaient pas encore) en envoyant une annonce sibylline pour trouver un amoureux ( donc rien qui ressemble à : " JF sexy cherche mec jeune et bien membré pour plaisir immédiat"). La réponse se fait désirer et lorsqu'au bout d'une année ( le plaisir immédiat on ne connaissait pas à l'époque, on savait attendre...) se présenta un homme plutôt moche à la ferme, ce n'est pas en tant que futur amant qu'il a traversé des contrées ( que l'on devine vaguement hostiles) mais comme chercheur d'or, car, voyez-vous, malgré le manque flagrant de technologies au 20ème siècle, les affaires de trésors enfouis arrivent quand même à se faufiler au travers des années. Nous sommes au chapitre deux ....et je n'en dirai pas plus de l'histoire ( ce serait gâcher le plaisir du futur lecteur). Prenez votre pelle, votre chapeau et creusez .... heu non ...prenez vos lunettes ( si vous en avez besoin) et lisez !
"Sucre noir" s'avale cul sec ( comme le rhum produit par la suite sur cette ferme) . En plus des saveurs d'un récit qui nous met dans cet état enfantin où un bon roman d'aventures nous enflammait l'imaginaire, vous savourerez une écriture sensuelle et gourmande, mêlant alcool et épices, parfums des fleurs et tabac brun. Miguel Bonnefoy n'a pas son pareil pour trousser avec aisance et brio un roman à la fois palpitant, rapide et gourmand. ( Faut dire qu'à l'heure actuelle, sur ce créneau, ils ne sont pas nombreux à occuper le terrain). En presque 200 pages et deux générations, nous suivrons, entre deux verres de bon vieux rhum, la progression des personnages vers ce trésor, transformant petit à petit le récit en conte philosophique.... Et c'est peut être dans cette narration un peu rapide et à la morale un peu banale ( en gros, l'argent ne fait pas le bonheur) que le roman peut décevoir un petit peu ( moi, en tous les cas...). Mais ne boudons pas le plaisir de passer quelques heures avec la très bonne compagnie d'une jeune auteur prometteur et bourré d'imagination, dont le style à la simplicité efficace et charnelle ne pourra qu'enchanter tous les lecteurs, de l'exigeant au simplement avide de belles et bonnes histoires.

Et un tube vénézuélien pour accompagner cette chronique ...




dimanche 22 octobre 2017

La disparition de Karen Carpenter de Clovis Goux




En 2017 qui se souvient, à part quelques soixantenaires, du groupe "The Carpenters " ? Pourtant durant une décennie, juste après la vague hippie, slalomant entre les Rolling-Stones, les Pink Floyd et la vague disco, ils ont trusté les premières places des charts américains et ont vendu des albums par millions. Véritable bonne conscience d'une Amérique conservatrice rejetant tout ce qui était ou trop suggestif ou trop hard, les Carpenters ont rassuré cette frange de la population qui ne souhaitait pas sortir des rails dorés d'un système bien pensant. A contre courant des riffs de guitare d'un Keith Richards cocaïné ou des soupirs lascifs d'une Donna Summer, les chansons bien sages de ce groupe ( qui était en fait un duo composé d'un frère pianiste et d'une sœur chantante à la batterie) ont beaucoup séduit de par le monde, et notamment le président Nixon qui les a plusieurs fois invités à la Maison Blanche. 
Dans " La disparition de Karen Carpenters", Clovis Goux revient donc sur leur carrière qui s'est achevée en 1983 lors du décès de la chanteuse, souffrant depuis trop longtemps d'anorexie. 
Comme leur vie était presque aussi sage que leur discographie, l'auteur prend le temps de s'attarder avec brio sur l'époque, replaçant le groupe dans un contexte autrement plus mouvementé que leurs sirupeuses mélodies. ( C'était l'époque de Charles Manson gourou illuminé et assassin de Sharon Tate, de la guerre du Vietnam, ...). Cependant, leur carrière artistique ne sera pas laissée de côté, permettant au lecteur de pénétrer dans les coulisses d'une industrie phonographique faite pour engranger les dollars ou comment deux jeunes enfants de la classe moyenne, nés dans le Connecticut dans une famille plus que lambda, vont devenir des idoles. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce n'est pas vraiment  le vedettariat qui aura enfoncé Karen Carpenter dans la tombe, mais un mal plus profond, une  maladie mentale incontrôlable qui la faisait apparaître de plus en plus frêle au fil des années. Et pendant que la sœur se bourrait de Dulcolax ( médicament contre la constipation), le frère luttait contre l'insomnie, ingurgitant des kilos de somnifères. 
Le livre, pas vraiment un hommage de fan, reste très objectif, sans jugement excessif ni moqueur. Longtemps la cible de critiques pour leur côté fleur bleue et populaire, les Carpenters n'en demeurent pas moins un groupe qui a marqué son époque. Le timbre cristallin de Karen, quand on l'écoute aujourd'hui, nous repose un peu de ces voix actuelles survitaminées et en devient, après la lecture du livre, presque émouvant. 
Sans connaître ce groupe, "La disparition de Karen Carpenter" se lira  comme le récit fidèle et émouvant d'une trajectoire artistique mais aussi comme le portrait soigné de toute une décennie  qui fait encore rêver. 





samedi 21 octobre 2017

The square de Ruben Ostlund


Perplexe, je suis sorti perplexe de "The square". Laissons de côté les lauriers reçus à Cannes, on sait  ce critère très aléatoire. J'y ai retrouvé la même ambiance que dans le précédent film du réalisateur ( "Snow thérapy" en 2015 ), c'est à dire ces plans méticuleusement composés, un peu statiques mais d'une froideur toute nordique, cet humour grinçant, ce regard très désabusé sur nos contemporains et cette utilisation intrigante du hors plan . Assurément il y a une signature Ostlund, un univers.
Pour ce film-ci, on sent bien que Ruben Ostlund a décidé de passer à la vitesse supérieure ou plutôt avoue illico de plus grandes ambitions cinéphiliques. Tout d'abord, son discours qui jusqu'à présent se bornait à ausculter le couple, s'élargit vers la société toute entière. A partir du personnage d'un conservateur de musée d'art contemporain, imbu de lui même ( tant par le physique que par sa prétendue intelligence), le récit va nous brosser le portrait d'une humanité égoïste, incapable de s'intéresser à l'autre, dépendante des technologies nouvelles, obnubilées par le fric, ignorant l'altruisme. Le sujet, balancé dans le milieu de l'art contemporain, aurait pu être intéressant, caustique, cynique, percutant. Seulement le film se mord la queue et devient ce qu'il dénonce : une oeuvre ( d'art ?) pédante et sentencieuse. A vouloir épingler la médiocrité ambiante avec un discours parfois abscons, en allongeant tant les scènes qu'elles finissent par apparaître comme des sketches mis bout à bout, en les rendant parfois peu compréhensibles ( comme celle du préservatif à la chute naze), en surlignant le propos, en essayant d'être constamment  beau et original sans que cela serve réellement le propos, tout cela finit par laisser de marbre. Bien sûr, quelques passages font mouche ou intriguent agréablement ( comme cette séquence entre le héros et la journaliste piquée, placés devant un empilement de chaises vacillantes et où la bande son nous fait entendre des bruits sourds de tremblements et de chute ) mais, force est de reconnaître que le propos s'enfonce dans un ensemble hétérogène peu convaincant. Il finit même par devenir ce qui était critiqué dans une des premières scènes du film où, toujours cette même journaliste givrée interrogeait le conservateur du musée sur ses propos hermétiques mis sur son site internet : un film pompeux et verbeux, qui se regarde le nombril.



vendredi 20 octobre 2017

La belle et la meute de Kaouther Ben Hania


C'est une plongée dans la nuit tunisienne ( et par analogie dans toutes celles du monde musulman même si la Tunisie fait figure de phare dans cette lente et difficile voie vers la liberté ), une nuit réelle mais aussi très symbolique, celle dans laquelle vivent les femmes dans des pays où la tradition religieuse leur impose une perpétuelle obscurité.
Mariam, est jeune, pulpeuse, a envie de s'amuser comme toutes les jeunes filles de son âge. Pour la soirée qu'elle a organisée avec ses copines étudiantes, elle s'est habillée sagement mais un hasard de la vie lui fait enfiler une robe plutôt sexy. La soirée débute, cool et animée... Fin du plan séquence, qui sera le premier d'une suite de neuf. Ce découpage rythme le film, accentuant façon compte à rebours à l'envers, le cauchemar que vivra Mariam. Violée par des policiers sur une plage ( scène non filmée, la cinéaste manie l'ellipse avec  justesse ), et aidée par Youssef rencontré par hasard, elle va errer d'hôpital en commissariat et ressentir que la justice locale est plus portée à pencher du côté des bourreaux que de ses droits ( bien minimes pourtant dans une société ô combien machiste).
"La belle et la meute" par son sujet, par son militantisme courageux emporte évidemment l'adhésion et nous plonge avec un certain réalisme dans ce dédale kafkaïen que sont les institutions tunisiennes. Le spectateur suit avec empathie le combat de cette jeune femme forte et fragile à la fois, qui subit pressions mais surtout regards à la fois hostiles et méprisants des fonctionnaires masculins ( les quelques femmes qu'elle rencontre n'arrivent pas à se dégager de cette gangue trop solide et ne lui seront pas de vraies alliées). On oublie facilement quelques ficelles ou maladresses scénaristiques tant le récit semble essentiel et vital. On admire autant le courage de l'héroïne que celui de la réalisatrice tunisienne ( dont on espère une sortie du film dans son pays ) qui en plus filme tout cela avec un vrai talent de mise en scène.
Ce film tout en finesse, sans aucune exagération, qui a un autre moment aurait juste été un constat féministe mais assurément lointain pour nous occidentaux, prend, à l'heure du " #balancetonporc", un étrange écho. Son effet miroir nous rappelle que chez nous aussi, pour une femme ( voire un homme), aller dans un commissariat porter plainte contre des violeurs ( qui plus est policiers) s'expose sans nul doute à des jugements sexistes et machistes, voire une totale incompréhension ( on échappe peut être à la corruption ou au chantage familial). On ne se relève pas facilement  de millénaires de patriarcat. Une humoriste célèbre ( Sophia Aram) déclarait cette semaine avec justesse que les trois religions monothéistes étaient les premiers proxénètes d'un monde qu'elles ont offert  aux hommes, et donc les premières coupables de cette ségrégation de la moitié de notre humanité. La formidable dernière image du film, avec son utilisation gonflée du voile islamique porte tout l'espoir d'un monde qui n'a plus besoin de dogmes ancestraux pour aller de l'avant. Le combat sera rude, et peut être bien plus que celui de Mariam, figure désormais incontournable de cette lutte.


  

mercredi 11 octobre 2017

La science du cœur de Pierre Lapointe



On n'écoute jamais assez ce qui nous vient de chez nos cousins canadiens. Depuis quelques années nous arrivent des artistes franchement intéressants (  non pas Véronique Dicaire ou Garou mais plutôt Klô Pelgag, Ariane Moffatt, ...) et en chef de file Pierre Lapointe qui se pose depuis quelques temps comme un digne successeur de Gilles Vigneault ou Félix Leclerc, en version nettement plus contemporaine. On l'avait laissé en 2014 avec son album "Paris tristesse" une compil acoustique au piano de ses meilleures chansons, revisitant de manière sobre son répertoire qui prenait soudain une tonalité encore plus pertinente.
Et voilà que nous arrive "La science du cœur", album à la maturité évidente ( et on nous dit qu'il s'agit d'un premier d'une série de trois !). La première écoute donne l'impression que du passé, il a fait table rase. Finis les textes denses, les orchestrations lorgnant vers une pop/rock échevelée, bienvenus les mots limpides, l'acoustique simple et généreuse. Et franchement, sans renoncer à l'exigence et tout en gardant son univers, cet allègement dans la production donne un résultat d'une grande beauté. Les 11 morceaux de l'album serpentent en caressant nos oreilles. Les cordes et le piano enveloppent parfaitement des textes évidents et d'une grande subtilité. Bien sûr, Pierre Lapointe chante l'amour, la solitude, la séparation, l'insomnie, l'absence comme bon nombre de ses confrères sauf que cette fois-ci, en 2017, il assume complètement ses amours homosexuelles et vous savez quoi ? Ca coule normalement, comme une évidence, et il touche tout le monde car, les émois sentimentaux, quels qu'ils soient, sont bien tous les mêmes, surtout chantés dans leur réelle banalité. Alors du premier morceau "La science du cœur" dernier pont avec un passé de paroles alambiquées ( "La science du cœur est un objet d'abstraction propulsée") mais magnifique ouverture, jusqu'au dernier, le sublime et simplissime "Une lettre" ( sans doute un futur classique de la chanson francophone) , c'est une succession de titres tous plus finement ciselés les uns que les autres. Justesse et chaleur de la voix, arrangements soyeux ou voluptueux ou plus malicieusement rythmiques ( "Alphabet"), discrets clins d'œil à quelques artistes adorés ( Lou Reed dans "Sais-tu vraiment qui tu es ", Trenet dans "Un coeur", ...), textes inspirés et accessibles font que ce nouvel opus de Pierre Lapointe ne peut, ne doit pas passer inaperçu.
Et si "la science du cœur" devenait enfin l'album de la consécration de Pierre Lapointe ici en France ? ( les canadiens, eux, n'ont pas attendu pour en faire leur grand chanteur adulé).


lundi 9 octobre 2017

Le sens de la fête de Eric Toledano et Olivier Nakache



Que dire d'un film dont la seule remarque que l'on fait à sa sortie est : " Mouais, pas trop mal..." ? Ce qui veut donc dire que le film n'atteint pas des sommets... ni de nullité bien sûr, mais qui ne nous rend pas pour autant euphorique comme un spectateur de TF1 devant une performance de Valérie Damidot dans "Danse avec les stars". Non, j'ai regardé ce mariage filmé côté coulisse, avec un intérêt passant d'un sourire à l'écoute d'une jolie réplique bien lancée à un léger ennui lors des quelques tunnels qui jalonnent cette comédie chorale fleurant le déjà vu. On voit bien ce à quoi se sont appliqués les scénaristes et réalisateurs Nakache et Toledano : ils voulaient une mécanique de comédie hyper bien huilée comme un culturiste à l'élection de Mister Muscle. Sauf que tout cela sent quand même la gonflette aux vieux stéroïdes de bazar : on réunit des personnages archétypaux, avec le chanteur beauf, la cheftaine râleuse, le marié pointilleux, la mère bourge foldingue, le serveur fainéant, idiot ou timide ( on est dans une production française coûteuse, on ne lésine pas, on prend les trois !), le photographe minable, .... et en route pour une soirée de mariage qui va virer au cauchemar. Nous sommes dans le terrain ultra balisé de la comédie française avec toutefois un projet un peu plus ambitieux que le sujet de société que l'on nous assène assène habituellement ( autour du couple en général) mais qui hélas n'arrive pas à trouver un bon rythme. Gérer sur deux heures une multitude de protagonistes n'est guère aisé sauf à faire comme dans le film : soit ils n'évoluent pas et restent monolithiques, soit ils le font trop vite. Du coup, le film connaît quelques ralentissements, ou explicatifs ou trop faciles, sa mécanique se calquant au final sur cette réception connaissant pas mal de ratés. Comme la soirée décrite, le film arrive à se sauver en partie, grâce à une pléiade de très bons acteurs ( connus ou pas ).  Benjamin Lavernhe absolument épatant en marié à la fois exigeant, rasoir et poétique sort du lot mais Eye Haidara et Alban Ivanov ne déméritent pas et devraient, j'espère, inspirer d'autres metteurs en scène. Vincent Macaigne, Jean Paul Rouve, Jean-Pierre Bacri et Hélène Vincent font à la perfection ce qu'ils ont fait déjà tant de fois, permettant ainsi de ne pas effaroucher les spectateurs venus en chaussons.
Bien sûr règne sur le film la marque de fabrique des deux réalisateurs, à savoir cette folle énergie qu'ils mettent à nous prouver que les différences, qui au départ empêchent le vivre ensemble, finissent par se réunir lorsque les vraies difficultés arrivent. Je n'ai rien contre ce principe, loin de là, mais ce qui pouvait passer pour crédible avec deux personnages comme  dans de précédentes œuvres (Intouchables ou Samba), peine à vraiment convaincre ici avec deux cents personnes ( je me demande d'ailleurs si je ne vais pas, à l'instar du film,  diffuser de la musique Tamoul pour faire régner joie et convivialité lors ma prochaine fête entre amis !). Pas de surprise donc pour ce "Sens de la fête" qui reste un film pas désagréable mais ultra formaté. Selon son humeur, on ira se réjouir de cette soirée un peu ratée chez les bourges ou alors on se laissera bercer mollement devant cette énième comédie chorale franchement pas originale.


samedi 7 octobre 2017

Souvenirs de la marée basse de Chantal Thomas


Chantal, la narratrice du film ( et donc la romancière elle-même) nous parle de son enfance en bord de mer à Arcachon. Une enfance rêvée pour beaucoup et sans doute aussi pour cette petite fille qui profitera au maximum des joies de la plage et de cette ville balnéaire vivant une deuxième moitié du vingtième siècle sur les vestiges d'un passé glorieux. Nous la suivrons dans ces jeux estivaux, se faufilant sous les cabines en toile qui bordent le rivage et où se déshabillent les familles bourgeoises venant prendre le bon air, formant avec enfants d'estivants de redoutables bandes de sales gamins vivant de grandes aventures. Ces souvenirs d'enfance sont également l'occasion de se rappeler la silhouette longiligne et sportive de Jackie, cette mère décalée et obnubilée par la natation. Pendant que l'une fait ses longueurs dans l'océan ou soupire de lassitude devant la moindre tache domestique, l'autre profite au maximum de ses journées avec la plage et ses milles attraits. Deux vies qui auraient pu être se rejoindre dans un amour tendre et maternel mais qui n'ont au final que l'eau comme élément commun.
Dans une magnifique écriture, Chantal Thomas évoque avec une infinie délicatesse l'enfance d'une petite fille étourdie par la liberté offerte, occultant ainsi des parents distants et mal dans leur vie. Entre sable et rouleaux de l'océan, chacun vit sa vie en parallèle. Les adultes tiennent debout, silencieux  mais sans doute rongés de l'intérieur, permettant au final à une petite fille imaginative et espiègle de vivre pleinement sa vie d'enfant. Tout en douceur, l'auteure restitue magnifiquement les sensations maritimes qu'elle a engrangé et, devenue, adulte tourne son regard vers cette mère assez énigmatique par sa posture de sportive un peu autiste. La délicatesse qui court au fil des pages, rend ce roman précieux et un peu fragile comme une magnifique porcelaine ouvragée. Nous sommes loin des règlements de compte familiaux. Aucune aigreur ne transparaît, aucun conflit, aucune colère. Ces souvenirs sont comme la marée basse à Arcachon un jour d'été ensoleillé, avec juste une légère brise marine pour nous faire sentir bien et nous laisser regarder une mer presque étale. On se laisse couler dans une eau accueillante, on s'allonge avec confiance sur sa serviette éponge. Attention au risque d'assoupissement par trop de bienveillance, de gentillesse... Heureusement, la belle écriture ouvragée de Chantal Thomas nous évite cela... 

mercredi 4 octobre 2017

Happy end de Michael Haneke



En musique, quand un artiste atteint un âge vénérable ( mais est encore là pour assurer la promo), on fait une compil. Au cinéma, c'est un peu plus difficile voire impossible. Mais voilà que le multi palmisé Michael Haneke réussit le prodige de faire un film qui est une sorte de compil de tout son cinéma ( il n'y a peut être que "Funny games " qui n'est pas repris ). "Happy end" rassemble à peu près tous les thèmes fétiches du réalisateur. On retrouvera une construction assez ludique façon puzzle déjà expérimentée dans " 71 fragments d'une chronologie du hasard". A l'écran cela donne des scènes qui apparaissent étranges voire incompréhensibles et dont la solution nous sera révélée bien plus tard. Cela rend le film un peu obscur mais une fois terminé, on appréciera son côté joueur qui nous poursuit longtemps, révélant bien après la fin de la projection des liens entre les personnages pas toujours perçus sur le moment. C'est sans doute, cette construction subtile qui fait le vrai intérêt du film. Parce que sinon, ce tableau très noir d'une famille bourgeoise de Calais, n'est guère emballant. En lui injectant un peu de rapports sexuels tordus ( comme dans " La pianiste") via des captures d'écran d'ordinateur un peu longuettes, un filmage via un smartphone ( version modernisée de " Benny's vidéo" voire " Caché"), un discours autour de la fin de vie avec Jean-Louis Trintignant ( comme dans " Amour") , une enfant loin d'être innocente ( "Le ruban blanc"), des problèmes de communication ( "Code inconnu" ), ce groupe de riches au bord du naufrage peine toutefois à nous passionner réellement. Parfois comédie cynique, parfois portrait acerbe, le film pâtit de scène aux plans rallongés sans réelle nécessité et d'une fin assez lourdingue où l'irruption de migrants tombe complètement à plat.
Oui le film déçoit, à vouloir se citer ( se pasticher ? ) il s'égare un peu et sa plongée au soi-disant vitriol dans une bourgeoisie décadente, se révèle assez vite bien vaine, et faisant de "Happy end" un objet mineur dans une filmographie de haut vol.


mardi 3 octobre 2017

Un beau soleil intérieur de Claire Denis



A l'affiche Juliette Binoche, Gérard Depardieu, Josiane Balasko, Xavier Beauvois, Nicolas Duvauchelle, et plein d'autres, au scénario Christine Angot et derrière la caméra Claire Denis, une liste de noms à faire pâmer la critique. Ils ont tous le ticket pour faire saliver les professionnels comme Kate Moss découvrant une cacahuète dans son assiette, et ça n'a pas loupé, les critiques sont unanimes et font passer François Busnel pour un méchant démoniaque. Tous ont sorti leur dictionnaire des adjectifs dithyrambiques et aucun n'a été oublié !
Quand on est spectateur, on n'a pas le carnet de tickets. On apprécie souvent les acteurs présents, on peut même être admiratif d'une partie de l'œuvre de Mme Angot et avoir parfois été intéressé par quelques longs métrages de Mme Denis, mais nous n'avons aucune pression médiatico/cinématographico/parisienne. Et que découvre-t-on ?  Une chose boursouflée, tarte, mal écrite, ennuyeuse et totalement crétine.
Nous avons Isabelle, agacée dès le début du film par un amant qui met trop de temps à jouir. On la comprend, c'est gros porc doublé d'un sale con prétentieux. Que fait-il dans son lit ? On peut se le demander... Mais quand on regarde la façon dont est habillée Isabelle ( Juliette Binoche ) cinquantenaire en mini-jupe et cuissarde, on pense que c'est une pute, surtout que le gros bourrin est banquier... Mais non , Isabelle est juste divorcée, artiste peintre et très malheureuse. Elle est seule et recherche l'amour. Je ne sais pas quelle application elle a téléchargé sur son smartphone ni comment elle l'utilise, mais elle ne rencontre que des abrutis, comme cet acteur dont on perçoit très vite qu'il est barré mais avec qui elle couche ou cet éconduit aux propos où la jalousie flirte avec une conscience de classe abjecte. Et quand elle croise des mecs possibles, elle se débrouille pour que ça ne marche pas.
On voit bien que Claire Denis veut nous faire ressentir la difficulté de la femme cinquantenaire à retrouver l'amour, le tout dans une pseudo comédie légère. Comme nous sommes dans un cinéma intello, la narration fait fi de scènes intermédiaires, plaquant à la suite les rencontres. Pourquoi pas ? Il faut bien montrer que nous ne sommes pas dans une vulgaire comédie française. Sauf que rien ne fonctionne. Juliette Binoche a beau être vraiment très belle ( et l'on comprend qu'elle multiplie les rencontres), elle ne parvient pas à sauver cette succession de sketches aux dialogues d'une vertigineuse bêtise. Tous ces mots bafouillés, tronqués, dit entre deux sourires aux larmes ( qui finissent par agacer) et dont la plus petite phrase ferait fuir le moindre mec ou la moindre femme au cerveau fonctionnant correctement, sont soit boursouflés de suffisance, soit d'une vacuité sidérante, soit d'une pseudo ironie tellement énorme que le cousin Jean-Jacques faisant le pétomane à la communion de sa nièce passe pour un émule de Roland Barthes  dont on nous dit d'ailleurs que la réalisatrice a essayé de s'inspirer,  les héritiers du grand homme ayant vite retiré leur autorisation ( tu m'étonnes!). Au final, l'ennui gagne. Si l'on rit, c'est uniquement en entendant débiter les dialogues prétentieux et vides ( mais c'est peut être là que se situe la comédie). Et cerise sur le gâteau, nous sommes assommés par l'arrivée de notre Gégé national en médium dragueur mais ayant vraiment fumé la moquette, dans une interminable scène de fin qui est en même temps le générique ( tiens une originalité!).
Non, il ne fait pas beau cette semaine dans le cinéma d'auteur français, ne sortez pas de chez vous pour aller voir un film vain et prétentieux qui prend un peu trop les spectateurs pour des abrutis.



lundi 2 octobre 2017

Les hommes de Richard Morgiève


Sous cette couverture craquante, très années 50, véritable tableau d'Epinal d'une paternité rêvée, se cache un drôle de roman se déroulant dans les années 70. Nous faisons la connaissance de Mietek, petit gangster aussi beau que bon à faucher de belles bagnoles. Il se traîne un début de spleen existentiel, partagé entre une envie de se sortir de son milieu si facile de truand et un amour impossible pour une fille camée qui ne peut pas l'aimer. Et c'est en voyant dans un squatt au milieu de jeunes adultes défoncés une adorable petite fille ( mise au monde par la femme qui n' aucune envie de coucher avec lui)) que la vie va soudain prendre un sens. Il veut sauver cette petite fille, la protéger de ce monde en perdition. Nous le suivrons dans ce Paris d'après 68, aujourd'hui pas mal disparu.
Le projet de Richard Morgiève est clair comme de la bonne vodka : faire revivre un univers de truands à la façon des films de Gabin ou Ventura avec un héros aux allures de Delon et des dialogues un peu comme dans " Les tontons flingueurs". Si l'on s'en tient à cette évocation, le compte est bon. Tout y est dans les moindres détails : les vieilles bagnoles américaines, les bars parisiens minables, les putes au grand cœur, les petites frappes à sale gueule, les règlements de compte, le tout distillé à un rythme aussi désenchanté que son personnage principal. Pour l'atmosphère, rien à dire, c'est très réussi, on croit revoir un film de José Giovanni ( d'ailleurs abondamment évoqué dans le livre).
Par contre, si vous lisez ce roman au premier degré, vous risquez de tiquer sur le machisme puissance 10 du héros. Il sort de prison pour quelques petits méfaits qui l'ont privé de liberté pour vingt-huit mois. mais c'est un bon gars vous savez. Un peu comme les frappadingues qui commettent des attentats ces derniers mois, on pourrait dire de lui qu'il est un sacré bon voisin et charmant avec ça. Regardez comme il aime sa vieille voisine, qui est un peu sa maman et qu'il va aider au fil de sa déambulation parisienne. Et puis, il est beau mais beau ! Chaque fois qu'il rencontre une femme ( en fait il rencontre beaucoup de putes) elles sont littéralement folles de lui, lâchant tout pour lui donner un plaisir immédiat et lui remettre avec une joie non dissimulée de l'argent. Et quand il va chez des amis, il fait tellement frétiller les ovaires des femmes des copains qu'elles reçoivent les fesses à l'air avec l'espérance qu'il daignera se laisser faire. Pour compléter le tableau, il aime les bagnoles, les DS surtout et que, comble de bon goût, il a troqué ses santiagues pour de belles pompes anglaises de marque ! Mesdames , ne craqueriez-vous pas ? Non ? Vous voulez plus de virilité encore ?!?! Hé bien sachez que pour lutter contre son alcoolisme, il est capable de s'enfoncer un tournevis dans la main et de se recoudre avec du fil à gigot, la douleur lui faisant oublier sa bouteille de whisky ! C'est un peu trop ? Un pastiche ? Oui sans doute, une compilation de tout ce qui a traîné dans le cinéma et la littérature de ce genre durant des décennies. Au deuxième degré, on trouve cela plutôt drôle et bien vu . Mais hélas, le roman dans  sa deuxième partie, va prendre une direction plus psychologique, avec la rencontre avec une jolie droguée pourvue d'une adorable petite fille. Et tout d'un coup, le sérieux l'emporte sur le clin d'œil. En voulant nuancer son personnage et le faire basculer dans une paternité béate ( voire gnangnan), le roman se délite de plus en plus. Son rythme lymphatique que l'on trouvait sympa au départ, commence à suinter l'ennui et l'hommage vire au cliché. Plus Alain Delon, pas vraiment Lino Ventura, notre héros s'enfonce dans les rues parisiennes, et j'ai peiné à le suivre...