Je viens de terminer "Maus" d'Art Spiegielman. J'ai enfin réparé cette impasse littéraire et je ne peux que souscrire à tout ce qui a été dit : c'est bien un chef d'oeuvre. Je n'ai rien à rajouter, tout est consigné pour l'éternité. C'est une somme incontournable, un témoignage bouleversant et original sur l'holocauste, un terrible devoir de mémoire à lire et à relire.
Je dis relire, car, comme tous les grands livres, "Maus" offrira à chaque relecture des éléments, des détails, des éclairages nouveaux ou nous ayant échappé la fois d'avant. Car ce n'est pas seulement le récit de l'extermination des juifs par les nazis mais c'est également une interrogation essentielle du poids de la Shoah sur la vie des survivants et de ses descendants.
Au delà de l'analyse que nous propose Art Spiegelman dans son album, cette première lecture enthousiasmante mais glaçante, m'a interpelé par rapport au personnage central, Vladek, le père du narrateur. Il est en quelque sorte le héros car il s'est toujours débrouillé pour sortir vivant des situations les plus terribles. Et cependant, il n'est pas sympathique, du moins je ne l'ai pas trouvé si attachant que ça même dans les pires moments. Il est, et son fils, l'auteur, le dit lui même, l'archétype du juif ou du moins ce que la propagande antisémite voulait qu'il soit : avare, obnubilé par l'argent, magouilleur, ayant un sens du commerce aigu, surtout quand c'est à son profit ou pour sa famille. Si vous rajoutez raciste, vous obtenez un personnage pas très reluisant. Et durant tout le récit, il ne l'est pas vraiment...
Riche avant guerre grâce à un bon mariage, Vladek peut acheter, corrompre des connaissances pour échapper à la gestapo. Il arrive avec son argent mais aussi par la ruse, à passer au travers des mailles du filet jusqu'à début 1944. Même quand il sera à Auschwitz, il saura se débrouiller pour être toujours du côté du moins pire, obtenant par son intelligence mais aussi son sens inné du commerce et des relations humaines, nourriture et faveurs. Formidable instinct de survie ...
C'est peut être un des éléments qui fait que ce livre est si brillant. Vladek, bien qu'héros ambigüe, n'arrive pas à atténuer l'horreur de l'holocauste. En utilisant les défauts supposés des juifs, Art Spiegelman, nous fait encore plus sentir l'ignominie de cette page plus que noire de notre Histoire parce que ce fut au-delà du pensable, de l'imaginable. Plus rien n'a d'importance face à de tels actes. Le peuple juif était nu, avec sa seule vérité et quelques fussent les défauts, les qualités de chacun, jamais rien ne pourra justifier de tels actes.
Quand après la guerre, Vladek s'enfermera dans l'aigreur, la suspicion et l'avarice, rendant la vie de ses proches infernale, planera toujours cette ambiguité. Est-ce le traumatisme des années noires qui a ainsi rendu cet homme si asocial ? Est-ce que son destin est vraiment exemplaire ? Et comment avancer dans la vie quand on a un tel père rescapé des camps et un frère mort que l'on n'a pas connu ?
Des questions multiples (et bien d'autres), des destins incroyables, une histoire hallucinante et un soupçon d'ambiguité, apanage de plein de chefs d'oeuvres, font que "Maus" est vraiment l'album BD qu'il faut avoir lu et que l'on garde pour le relire , régulièrement et toujours, pour ne jamais oublier.