jeudi 31 décembre 2015

Je viens d'Emmanuelle Bayamack-Tam


JE VIENS vient ( ça me rappelle une chanson !) de me procurer un plaisir énorme, celui de découvrir un auteur qui entrera dorénavant dans le peloton de ceux que je suivrai à jamais ! Je sais bien qu'il ne faut jamais dire jamais, mais la lecture du dernier roman d'Emmanuelle Bayamack-Tam est de celles qui vous font tout oublier autour de vous et vous rend addict total à un univers, une écriture.
JE VIENS, pourtant, fut un livre qui végétait depuis quelques mois sur ma pile à lire. On me l'avait offert mais je n'avais pas vraiment envie de m'y plonger malgré une presse plutôt dithyrambique. C'est d'ailleurs cette même presse qui m'a fait un peu reculer. Comme elle en dit souvent trop, je la parcours en diagonale... et mon oeil était tombé sur des phrases vantant la présence de fantômes dans l'histoire, dialoguant avec les personnages et tenant un assez grande importance. Mon sens cartésien, très très peu porté sur l'ésotérisme de bazar n'a fait qu'un tour et m'a fait regarder l'ouvrage avec l'envie d'un chat devant un bol de céleri rave. Et puis, un soir, un peu désoeuvré, j'ai ouvert le livre et j'ai lu le premier paragraphe. Et là, dès les premières lignes j'ai su que quelqu'un qui écrivait ce qui suit, ne pouvait pas me décevoir :
L'un des grands avantages de la négligence parentale, c'est qu'elle habitue les enfants à se tenir pour négligeables. Une fois adultes, ils auront pris le pli et seront d'un commerce aisé, faciles à satisfaire, contents d'un rien. A l'inverse, ceux qu'on aura élevés dans le sentiment trompeur qu'ils sont quelque chose multiplieront à l'infini les exigences affectives, s'offusqueront au moindre manquement et n'auront de cesse qu'ils ne vous pourrissent l'existence. Faites le test. 
JE VIENS, c'est ce regard mordant sur nos vies, avec une touche d'empathie pour tous ceux qui le méritent et une plume acérée et habile qui sautille sur les mots, les situations avec un appétit féroce pour décrire les sentiments même les plus inavouables. Alors qu'importe qu'il y ait des fantômes, ce livre est pur bonheur de fantaisie, de construction, de style.
JE VIENS, sous ses allures légères, s'empare de sujets âpres comme le racisme ambiant dans toutes les couches sociales ou l'adoption comme mode de contentement et donc acte de consommation, mais aussi creuse un sillon narquois et réjouissant en décrivant la famille comme le nid de toutes les névroses ou l'enfer sur terre qu'est la vieillesse lorsqu'elle nous tombe dessus. Et malgré ce qui apparaître un handicap pour un lecteur qui souhaiterait se détendre face à notre monde, le roman emporte tout sur son passage, tel un fou du roi qui gratouille avec facétie.
JE VIENS ne se résume pas à son histoire de famille allumée mais possède un deuxième niveau de lecture tout aussi emballant, car jamais lourd, jamais prétentieux par rapport au lecteur qui ne posséderait pas les codes (au contraire même, partageuse, l'auteur se débrouille avec finesse pour justement enrichir celui qui ne les possède pas). Un jeu perpétuel ( et érotique) avec certains contes classiques ( ici, la belle au bois dormant et la chèvre de Mr Seguin) qui prennent un sens psychanalytique franchement marrant. Et puis d'autres références peuvent faire plaisir aux amateurs de clin d'oeil. J'en ai vu quelques unes mais je suis persuadé que le texte en recèle beaucoup, placées avec talent, pour ne jamais ralentir ni baisser le régime du récit.
JE VIENS a été un formidable moment de lecture, un de ceux dont on se dit après avoir tourné la dernière des 462 pages que compte ce livre : Zut, c'est déjà fini ! J'ai été happé par cet univers bourré d'imagination, ludique, caustique. Même si certains narrateurs sont franchement imbuvables ( Gladys, la mère végétarienne, bouddhiste, sans gluten, ayant essayé de rendre sa fille adoptive après un an d'adoption pour incompatibilité d'humeur ), l'écriture fluide et inventive d'Emmanuelle Bayamack-Tam balaie tout sur son passage pour notre plus grand plaisir.
JE VIENS est le plus merveilleux cadeau que j'ai eu en cette fin d'année 2015 par ailleurs si sinistre. C'est la promesse, que quoi il se passe et arrive, certains d'entre nous ont le don pour nous insuffler de l'énergie en offrant cet inestimable expérience d'une lecture qui nous enthousiasme et que l'on a  envie de partager. 

vendredi 25 décembre 2015

La présidente de François Durpaire et Farid Boudjellal




Paru avant les élections régionales qui a vu s'ancrer de façon encore plus sensible le vote FN dans l'électorat français, " La présidente" est sans doute le roman graphique qui a su faire le plus parler de lui ces dernières semaines. Le sujet est accrocheur et l'envie de s'y plonger grande, surtout si l'on a envie de se faire peur ( et depuis quelques temps, on a l'impression que l'on aime bien jouer à ce drôle de jeu ). Ecrit par un prof  spécialiste des différences culturelles ( François Durpaire) et d'un dessinateur BD dont le nom pourrait donner des idées aux membres du partie bleu marine ( Farid Boudjellal), " La présidente " est une politique fiction qui imagine l'arrivée de Le Pen fille au pouvoir.
La première partie nous glace littéralement les sangs tellement tout semble vrai, plausible. De l'enchaînement des faits jusqu'aux déclarations des politiques le soir de l'élection, le récit nous plonge dans cette possibilité cauchemardesque. On s'y croirait... Le futur noir est là, sous nos yeux et j'ai presque eu l'impression de le vivre réellement. Puis le pouvoir fascisant se met en place. On sourit ( jaune) de voir Gérard Longuet premier ministre ou Nadine Morano ministre d'un gouvernement aux allures disparates mais surtout effrayant de personnalités vides ou aux idées courtes. Le roman avance tel un rouleau compresseur. Intérieurement, le lecteur entre en résistance, comme la petite bande de personnages représentant la société civile qui essaie de lutter de tous les moyens. Les premières mesures mises en place comme la politique contre l'immigration et la préférence nationale nous sidèrent car rien de ce qui est décrit n'est impossible.
Puis, le roman devient plus économique, plus explicatif lorsqu'il aborde l'abandon de l'euro pour le franc. Infiniment moins romanesque, malgré une mise en page essayant d'alléger l'aspect pédagogique, " La présidente" peine à conserver intact l'intérêt du début, même si l'une des mesures phares du parti d'extrême droite mérite un vrai décryptage. Le récit passionne un peu moins. La bande de résistants au régime du début n'arrive pas non plus à nous captiver totalement. Malgré quelques moments forts en émotion ( l'expulsion de Fati ), face au bulldozer Marine et à son programme d'effondrement de la France, ils ne font pas trop le poids.
Comme l'indique le petit sticker collé sur la couverture, " Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas..." , cette politique fiction glaçante est bienvenue. Malgré une dernière partie un peu moins accrocheuse ,  cela reste une bande dessinée de salubrité publique. Le problème habituel reste le même... Elle n'arrivera à toucher que les convaincus mais sans doute pas cette frange de la population, désorientée, laissée au bord de la route par tout notre système mais de plus en plus habituée, grâce à certain médias, à tomber dans les propos les plus simplistes et faciles...
En creux, " la présidente" nous dit qu'il est plus que temps de retrousser les manches pour éviter cette peste brune qui est à nos portes. C'est un joli message. Saurons-nous l'entendre? L'album dit que non .... Prouvons-lui qu'il a tort !




jeudi 24 décembre 2015

L'étreinte du serpent de Ciro Guerra


"Le rêve amazonien " annoncé sur la très belle affiche de "L'étreinte du serpent" me renvoie direct à tous ces récits qui faisaient gamberger tous les enfants et adolescents jusqu'aux années soixante-dix. ( du siècle précédent). Un voyage hors du commun, à la découverte de terres souvent inconnues et peuplées de tribu pas toujours accueillantes, s'offrait à nous au travers de ces épopées, où se mêlaient exotisme, aventure mais aussi un zeste de colonialisme et de supériorité occidentale. Oui, j'ai rêvé sur ces héros où le courage et l'abnégation camouflaient une envie de domination que je ne percevais pas à l'époque.Quoi de plus normal dans l'esprit d'un enfant que cette envie d'importer  notre bonne et belle culture (imposer irait mieux, mais les récits étaient écrits de façon hagiographique) ? Il ne doit plus y avoir de contrées inconnues, la plupart des  tribus ont connu un destin tragique et celles qui ont la chance d'avoir encore quelques représentants sont en grande partie pourries par notre société de consommation.
"L'étreinte du serpent" s'empare effectivement de cette mythologie et nous plonge, nous spectateurs du 21ème siècle dans une époque révolue. Nous sommes dans les années 1900, Théo, un ethnologue allemand a rencontré un indien aux pouvoirs chamaniques et a eu connaissance de l'existence d'une plante sacrée aux pouvoirs infinie : la yakruna. Il va la dessiner, la décrire dans son carnet de voyages, mais mourra emporté par une fièvre particulièrement sévère dans ces contrées. Une bonne trentaine d'années plus tard, un autre scientifique , américain celui-là, se lancera sur la trace de ce chamane et de cette fleur si rare. C'est son périple et la rencontre avec ce chamane, toujours en vie, que nous conte le film, mêlant les deux expéditions pour mieux nous faire ressentir la difficulté qu'ont ces deux mondes à se rencontrer et à échanger.
Avec une image  noir et blanc magnifique ( mais ne dit-on pas toujours cela quand un film adopte ce procédé? ), nous naviguons dans cette forêt amazonienne, oppressante, magnifique mais déjà souillée par les occidentaux. La récolte du caoutchouc a rendu fou les hommes, les a armé de fusils, leur a fourni de l'alcool, leur a offert tout ce que l'occident à de pire y compris sa religion catholique, aveuglant jusqu'à la violence, voire la folie cannibale la plus insoutenable, ses prêtres avides d'évangélisation. Les rapports entre les explorateurs et le chaman ne sont pas simples, les uns étant sûrs de leur savoir et de leur sciences, l'autre persuadé que l'échange réel, entre les deux cultures est essentiel, chacun pouvant apporter à l'autre quelques savoirs inconnus mais essentiels pour vivre sur cette terre.
Le discours n'est pas vraiment écologique mais plus philosophique, amenant le spectateur à se questionner, voire se perdre dans cet univers clos et luxuriant. On est impressionné par la forte présence du comédien (?) qui incarne le chaman, dont le regard nous scrute au plus profond. On bascule lentement dans un univers insoupçonné. Le chamanisme n'est pas ma tasse de thé, mais Ciro Guerra, parvient, grâce à son récit imbriquant deux époques et à un scénario des plus intuitifs, à me faire accepter en douceur, le temps du film,  une possibilité d'un au-delà cosmique.... Ce n'était pas gagné avec un sceptique comme moi ! Pari réussi pour "L'étreinte du serpent" aussi exigeant que beau plastiquement.



mercredi 23 décembre 2015

Amours de Léonor de Récondo


Je ne vous dirai rien sur ce livre ! Non, rien ou presque... car cela gâcherait le plaisir de la découverte. J'ai eu la chance de m'y plonger sur les conseils d'une amie sans qu'elle ne m'en dise rien ou si peu, juste une affirmation du genre :"Tu verras, c'est très bien !". Avouez que l'argument n'est pas des plus vendeurs...mais, les amis connaissant bien mes goûts, j'ai tendance à leur faire confiance.
Alors regardons la couverture de l'ouvrage, et rêvons...Tout d'abord, sur fond bleu se détache le nom de l'auteure qui peut évoquer le pseudo un poil romanesque d'une dame, peut être d'origine portugaise,  mais aimant sans doute rêver, alanguie dans un hamac, vêtue d'une robe blanche légère en voile de coton à de tendres histoires d'amour. Mais cela peut tout aussi bien receler une authentique noble dont la famille a essuyé quelques revers de fortune et qui, d'une plume légère mais plongée dans un mélange d'encre et d'acide, règle quelques comptes avec les usages empesés d'une bourgeoisie n'aimant pas révéler ses petits secrets. Assurément, ce nom un peu baroque annonce une certaine intensité romanesque.
Sur son fond orange, "AMOURS" s'accroche à notre rétine et c'est son pluriel qui, bien sûr, nous titille l'esprit. Qu'est-ce à dire ? Sera-t-il question de quelque héroïne, découvrant que son corps peut être la source de multiples plaisirs et que sa vie lui donnera l'opportunité de multiplier les partenaires pour mieux faire le tour de la question ? Ou alors, sera-ce le tableau plus contrasté d'amours, moins nombreuses, mais dont la dureté ou la douceur ou la particularité pour l'époque dans lesquelles elles se déroulent, seront le ferment d'un récit aussi initiateur que destructeur ? Est-ce que cela cache un texte érotique flamboyant ou un mélodrame soigné et inspiré ou les deux à la fois ? Il est certain qu'avec un tel titre, beaucoup de lecteurs peuvent se sentir concernés.
En bas, plus discret, le nom de l'éditeur qui n'inspire que respect car il est synonyme d'artisan talentueux, respectant et la littérature et les lecteurs, en proposant depuis des années un catalogue des plus exigeants.
Alors, il ne vous reste qu'une chose à faire : ouvrir le livre et vous plonger dedans. Comme moi vous serez happé(e)(s) par le style léger, précis et infiniment  romanesque de Léonor de Récondo. Composé de courts chapitres qui donnent à votre lecture un côté haletant, vous tournez les pages sans vous en rendre compte et vous serez à la fois intrigué(e)(s), ému(e)(s), révolté(e)(s), mais assurément conquis, "Amours" est le genre de roman que l'on prête, offre et recommande à tout son entourage.




lundi 21 décembre 2015

Le coeur du problème de Christian Oster



Qu'aurai-je fait si comme Simon, le narrateur du "Coeur du problème", j'avais découvert en rentrant chez moi, le corps d'un homme inconnu, mort au milieu de mon salon ? J'aurai eu peur sans doute, me serait affolé, peut être aurai-je directement appelé la police... mais il est évident que j'aurai aussi parcouru les pièces de la maison pour vérifier s'il n'y avait pas un autre cadavre, voire un membre de ma famille en danger. Et si comme le Simon du roman, j'avais découvert mon épouse dans son bain, vivante mais mutique... je me serai surement inquiété, peut être même énervé pour la faire parler et demander des explications. Et si elle m'avait dit en sortant du bain, qu'elle faisait sa valise et se barrait sans autre explication, j'aurai été perplexe et sans doute furax de me retrouver avec un mort sur les bras... sans doute un amant,... enfin ex...
Simon, lui, accuse le coup, puis se débarrasse du corps en le fourrant dans le coffre de sa voiture, pour finir par l'enterrer dans son potager, sous un grand carré de tomates qu'il prend soin de replanter par-dessus... Et la vie suit son cours... Enfin pas tout à fait, car ce genre d'incident laisse des traces, s'insinue dans le cerveau. Entre questionnements sur la suite à donner à ces faits, sur son couple défait, sur le temps qui passe, sur la vieillesse qui approche et l'apparition un peu inquiétante d'un gendarme à la retraite qui va s'immiscer dans la vie de Simon, sa nouvelle vie de célibataire n'est pas vraiment un long fleuve tranquille.
Je l'avoue le nouveau roman de Christian m'a happé dès le début car en plus de cette intrigue paradoxale, il y a une écriture qui folâtre dans les méandres du cerveau du narrateur, mêlant angoisse et humour. On marche avec lui, on creuse une fosse avec lui, on se demande si on va prendre un café dans la chambre ou dans la cuisine, on réfléchit avec lui. L'intrigue est aussi angoissante qu'au bon vieux temps de Patricia Highsmith, prenant à la romancière cette façon si british de supporter avec flegme certains événements sordides jusqu'à les rendre bien tordus. Mais là où Oster met son empreinte, c'est par cette façon très particulière de raconter le quotidien avec un certain détachement, véritable miroir de nos errances et nos doutes intérieurs. En maniant le banal, le factuel et le dérisoire avec une bonne dose de dérision, le récit en devient presque cocasse, drôle assurément et diaboliquement efficace pour peu que l'on se laisse aller à divaguer avec lui.
Car, il faut le dire, le roman ne prend pas les chemins que l'on pense, oscillant entre polar et petite intrigue amoureuse, empruntant parfois des directions particulières, pour peut être finir par de perdre un petit peu sur la fin ...qui m'a laissé un peu sur ma faim. Toutefois, le plaisir de lecture fut réel, le ton décalé de Christian Oster a su m'accrocher et m'a fait fait passer une très belle journée !

dimanche 20 décembre 2015

Le grand jeu de Nicolas Pariser


Oui c'est un film qui ressemble à certains longs métrages des années 70, où  la politique et les enjeux du pouvoir étaient le lieu des pires turpitudes, complots et autres affaires d'état édifiantes qui nous faisaient, au pire, naître des doutes sur notre légendaire démocratie, au mieux, intégrer derechef un partie d'extrême gauche (ou le contraire). Dans notre 21 ème siècle, les thrillers politico-édifiants ne sont pas légion et c'est sans doute pour cela que la presse tressaute de joie derrière son Mac en écrivant des papiers élogieux.
Derrière le mien (de Mac), c'est moins la joie, même si le genre est de celui qui m'attire en salle. Je sais bien que pour un premier film s'emparer d'un sujet mixant l'affaire Boulin et celle de Tarnac est gonflé et signe que le jeune cinéma français bouillonne de projets moins convenus. Si en plus, comme ici, on soigne l'écriture des dialogues, on est en droit d'espérer un film qui tienne la route et l'haleine. Sauf, que le résultat est moins convaincant que prévu, la faute principalement à un scénario bancal et un peu obscur parfois.
Ca démarre sur les chapeaux de roue, de nuit pour le côté mystérieux, un homme se fait expulser (?) par ce qui semble être des policiers. Puis nous nous retrouvons dans une soirée chic, sur une terrasse où André Dussolier, une sorte d'éminence grise de la république, aborde Melvil Poupaud en le questionnant de façon insistante et finit par lui extorquer son numéro de téléphone. On ne sait pas trop où ça va et c'est bien, notre intérêt est décuplé. Puis nous retrouvons Melvil, dans sa chambre de bonne minable. Depuis qu'il a été un romancier prometteur, sa vie n'a fait que lorgner vers le déclin. Il n'a plus rien écrit depuis 10 ans, sa femme l'a quitté et il n'a aucun boulot. Après avoir  enfilé une chemise pas trop crasseuse et un beau manteau en poil de chameau, le voilà traînant dans une librairie où l'on aperçoit un livre de mec menotté du début. Mais l'essentiel est dans l'abordage d'une jeune étudiante par un Melvil assez dragueur, occasion un peu lourde et tirée par les cheveux pour nous donner quelques indications sur son personnage. Puis le film s'emballe. Dussolier prend contact avec Melvil et lui propose d'écrire un brûlot pour faire tomber le ministre de l'intérieur. Le livre sort et fait trembler le sommet de l'état. Des tractations commencent. Un groupuscule d'intellos maniant des idées d'extrême-gauche va sûrement être arrêté.
Cela a du s'emballer trop vite, j'ai peiné à saisir le pourquoi de la chose mais ce n'est pas grave, Melvil risque sa vie et là, ça ne rigole pas. Dussolier aussi est  proche du cercueil, mais le scénar s'en fout, on l'abandonne au profit d'une historiette d'amour bavarde entre Melvil et une membre du groupe extrêmiste. Ils bavardent beaucoup (trop pour certains), déployant des idées sur l'engagement avec des termes choisis. Normal, ce sont des intellos, littéraires et artistes de surcroît. Et là, dans cette deuxième partie, le scénar a le pied sur la pédale de frein. On traîne à la campagne et ce n'est pas avec une course poursuite mollassonne et ratée (cinématographiquement parlant) que l'intérêt repart.  Et je ne parlerai pas de la conclusion assez obscure elle aussi (bien que se passant de jour) qui laisse un peu perplexe.
Ok, le sujet est couillu pour un premier film. Et si on peut lui accorder un sens des dialogues certain, le tout reste pas très convaincant, un peu brouillon mais prometteur. C'est sans doute pour cela que Nicolas Pariser, auteur et réalisateur, a obtenu le Louis Delluc du premier film...

samedi 19 décembre 2015

La maison de l'architecte polonais et de sa femme algérienne restée au pays de Jacques Bablon et Edith Chambon


Abandonnés par leur père décédé, puis par leur mère partie en Algérie soigner sa génitrice mais jamais revenue, six enfants, déjà grands, sont condamnés à vivre (survivre ) comme ils le peuvent dans une maison autrefois contemporaine mais qui commence à montrer des signes de décrépitude. 
" La maison de l'architecte polonais et de sa femme algérienne restée au pays " se présente sous la forme de petites chroniques, de moments de vie de cette fratrie atypique. Bien qu'ils soient frères et soeurs, certains sont blonds à l'image de leur père, d'autres, ayant hérité des gènes de leur mère, plus typés méditerranéens. 
Comme nous plongeons de plein pied dans leur vie, sans trop de préambules, j'ai eu du mal à bien les distinguer tous et la lecture m'a, au début, un peu résisté. Puis petit à petit, le charme opère, la chronique s'installe doucement, brassant avec finesse, filiation et racisme ambiant, démerde et solidarité, choc des cultures. Sans jamais appuyer le trait, en privilégiant des moments simples de cette vie pas ordinaire, les auteurs arrivent à rendre ce quotidien précaire assez prenant sans toutefois parvenir à m'enthousiasmer. La construction un peu brouillonne et une fin un peu mélodramatique y sont sans doute pour beaucoup. 
Mais si charme il y a, c'est sans doute grâce à l'omniprésence de cette maison, autant dans le dessin que dans le scénario. Au travers de ses larges panneaux vitrés ( " La lumière du jour à voir avec le bonheur"), pentes inclinées dont les lignes obliques viennent souvent strier l'espace du dessin comme les signes intangibles d'un passé qu'on ne peut fuir, cette habitation parvient à être le personnage principal, à la fois nid protecteur pour ses enfants délaissés mais aussi source de désillusions et de délitement du lien social. Constamment dans les pensées de ces jeunes ou futurs jeunes adultes, elle occupe leur esprit comme la preuve absolue de leurs racines et monument décati à la gloire de leurs parents. 
Alors que le quotidien  des personnages est assez critique, leur avenir plus qu'incertain malgré un sens certain de la débrouille ou de leur envie de s'en sortir par toutes sortes de moyens ( de l'école jusqu'à des pratiques plus prohibées), le dessin, lui, traduit cette volonté farouche et tonique de croire en la vie en faisant éclater les couleurs, même dans l'adversité. C'est aussi joyeux que leurs soirées familiales aussi pétant de vie que leur foi en l'avenir. 
Malgré les quelques bémols signalés plus haut, " La maison de l'architecte polonais et de sa femme algérienne restée au pays " arrive à convaincre en partageant avec fougue et sensibilité cette tranche de vie aussi bordélique que bourrée de solidarité et d'ingéniosité. A coup sûr une BD aussi atypique que les personnages décrits. 







Roman lu dans le cadre de "Masse critique" du site Babelio, le site de tous les  lecteurs. 

jeudi 17 décembre 2015

Le goût des merveilles d'Eric Besnard


J'en sors. Le titre n'est pas trompeur, ce film a un petit goût de merveilleux. Pas un grand film c'est certain, mais un petit bijou qui fait du bien en cette période morose. Un scénario et des dialogues originaux, du soleil, une nature magnifique, des produits bios et surtout, surtout, deux comédiens au-delà de tous les adjectifs : Benjamin Lavernhe, étonnant et Virginie Efira qui rayonne comme jamais!
Mon avis plus long, un peu plus tard !
C'est ce que j'ai écrit en sortant de la projection. Une nuit de sommeil et une journée de travail plus tard, il reste le souvenir d'un film très gracieux qui fait bien et dont on ressort tout joyeux. Vous allez croire qu'un peu de soleil printanier provençal, des fleurs et des fruits, quelques bons sentiments suffisent à mon bonheur de spectateur. Je ne le pense pas et je trouve que dans ce film là, il y a beaucoup plus. Certes on peut y trouver deux trois longueurs ou scènes un peu ratées, mais ce n'est que broutilles par rapport au souffle de réconfort qui nous caresse durant 1h40. Oui, on peut faire vivre à l'écran une histoire improbable entre une jolie veuve qui reprend l'exploitation fruitière de son mari et un homme souffrant du syndrome d'Asperger ( un genre d'autisme mais avec fonctions intellectuelles hors normes, genre Rain Man). Oui, on peut faire un film bienveillant ( le mot est à la mode) sans tomber dans la mièvrerie. Oui, on peut encore filmer une comédie romantique en surprenant le spectateur. Pour tout cela, il faut deux ingrédients indispensables : un scénario et des dialogues bien fichus et des acteurs parfaits. Eric Besnard a écrit, trouvé et filmé tout cela... un moment de grâce sans doute qui rayonne littéralement pendant toute la projection.
Le film est porté par deux comédiens magnifiques. Tout d'abord Benjamin Lavernhe est étonnant et émouvant dans le rôle de cet homme solitaire et différent. Il a su lui donner un aspect aussi lunaire que carré, inventant une gestuelle étrange et géométrique, assurément inédite et marquante. Après Guillaume Gallienne, Pierre Niney et Loïc Corbery, la comédie française recèle vraiment une pépinière d'acteurs vraiment talentueux !
Face à lui, et illuminant littéralement l'écran, la solaire et magnifique Virginie Efira, avec une simplicité, une douceur et une fraîcheur plus que convaincante, apporte la touche romantique adéquate. Cette actrice a un don de rendre simple et belle la moindre de ses scènes, habitant le film avec un naturel et une grâce absolument parfaits. De film en film, elle est de plus en plus éclatante de beauté et de talent. (Là, je pense que vous sentez que Virginie Efira m'a vraiment subjugué !)
Il y a d'autres belles choses dans le film: Benjamin Lavernhe caressant la nature resplendissante de cette Provence ensoleillée, les dialogues pince sans rire qu'il débite avec candeur et fermeté et puis une utilisation des gommettes ( oui, ces pastilles colorées que vous évitez de laisser à vos enfants sans surveillance...) qui vous les feront dorénavant regarder d'un oeil nouveau.
Alors en cette fin d'automne bien triste, allez au cinéma prendre une bouffée d'air pur et de simplicité sans mièvrerie, allez admirer des comédiens épatants, allez voir un cinéma français de qualité qui saura vous faire passer un agréable moment sans aucune vulgarité ni facilité, allez goûter ces merveilles ( ce sont des petits gâteaux frits), elles nous offrent l'assurance d'un possible bonheur !


mercredi 16 décembre 2015

La patiente de Jean-Philippe Mégnin


Une relation ambiguë, étrange, perverse qui vous secouera.
« C'est dès le premier échange de regards que j'ai compris que ce ne serait pas une patiente ordinaire. »
Des personnages, beaux, sexys, qui vous feront rêver (et en plus ils sont riches, intelligents et vivent dans de beaux quartiers parisiens, la rive gauche pour être précis, fréquentent l'opéra, les vernissages et sans doute le Bon Marché).
«  Il jouait en permanence de la séduction, et je ressentais une sorte de fierté obscure à voir dans l'attitude de ses interlocuteurs opérer son charme, ... »
Un ambiance étrange et oppressante vous enveloppera durant les quelques 126 pages de ce petit roman que vous ne pourrez lâcher.
« Elle...debout, en montrant du doigt le portrait noir et blanc dans son cadre, posé en biais près du téléphone, m'a foudroyé.
- C'est David qui me l'a dit. »
Une ambiance sexuelle bien sûr, de celle dont on ne perçoit pas immédiatement l'enjeu, ni la perversité.
«  Je n'ai pas compris tout de suite la nature de l'attirance que j'ai éprouvée pour ce garçon. »
Et du mystère, diffus, qui s'instille petit à petit pour créer une atmosphère lourde et angoissante et déclenchant des questions du style: Que me veut-elle ? Qui est-il réellement ?
«  J'ai réalisé ce jour-là qu'on ne possède de l'autre que ce qu'il veut bien nous montrer : moi qui croyait bien commencer à le cerner, j'ai découvert un autre David, un inconnu. »
Et le roman file, distillant petit à petit des indices qui nous mèneront vers une vérité que l'on ne soupçonnait pas.
«  Il pointa son doigt sur ma poitrine dénudée et me cracha au visage, me dardant de ses yeux de félin :
- Je suis son père ! »
Non, ce passage n'est pas dans le livre. Vous ne croyez tout de même pas que je vais vous dévoiler un quart du dixième des rebondissements de cette histoire? !! Je préfère vous laisser découvrir ce petit roman bien écrit qui n'a toutefois pas l'ambiance d'un thriller ni d'un suspens insoutenable, mais l'élégance et la précision d'un petit orfèvre en psychologie.
A déguster donc pour combler un de ces moments suspendus de l'existence que sont ces plages d'attente durant un court trajet en train ou, histoire d'être en parfaite harmonie, lorsque vous patientez trop longuement dans la salle d'attente d'un médecin.

mardi 15 décembre 2015

Béliers de Grímur Hákonarson

Je suis un bélier. J'habite le fin fond de l'Islande, dans une vallée isolée et battue par les vents venant du pôle. Mon berger est sympa. Il me bichonne, me protège, me câline. En plus de me fournir tout un troupeau de brebis que j'honore toujours avec succès, tous les ans,il me transporte dans une salle des fêtes où, avec d'autres copains béliers, on nous admire touit en se faisant tâter par une rude mais charmante vétérinaire. Cette année encore, j'étais à côté de Sproti, mon voisin de champ (mais des barbelés nous séparent). Si nos bergers respectifs ne s'entendent pas du tout, voire se font la gueule depuis la nuit des temps bien qu'ils soient frères, nous on est rudement copains. Cette année, il semblerait qu'il ait gagné cet horrible bout de bois dont je me demande bien à quoi il peut bien servir. Son maître était super content, le mien beaucoup moins, mais il m'a quand même donné quelques caresses supplémentaires en me ramenant dans ma bergerie. Je l'ai cependant entendu marmonner dans sa barbe des mots pas sympas. Il trouvait injuste la victoire de mon copain.
Le lendemain, il s'est passé un drôle de truc. Mon berger m'a sorti vite fait de mon abri pour m'enfermer dans un petit enclos qu'il avait fabriqué à la hâte dans la cave de sa maison. Heureusement, je n'étais pas seul, il a aussi amené quelques unes de mes amies brebis. A peine arrivés, au-dessus de nos têtes, on a entendu des coups secs et forts, accompagnés de cris de de nos copines. Puis ce fut un long silence. Je me demande même si je n'ai pas entendu sangloter mon berger....
Je suis resté de longues journées à manger du foin dans ce petit espace. On se demandait ce qu'il pouvait bien se passer au-dessus de nos têtes,... toutes ces visites, toutes ces discussions et cette radio qui parfois fonctionnait au maximum....
Puis, très longtemps après, on m'a fait grimper dans une drôle de bétaillère avec des ailes. On m'a enfermé dans le noir dans ce qu'un gars a appelé une soute. J'ai eu peur et froid malgré ma laine d'hiver que l'on ne m'avait pas tondue. Puis, j'ai revu le soleil ! Eclatant le soleil, surtout qu'il était mêlé avec les éclairs de boîtes noires tenues par des bergers habillés de la même couleur et qui criaient mon nom. Avec moi, il y avait plein de gens et mon berger qui avait bien changé. Rasé de près, avec un costume qui le faisait ressembler à un pingouin ( il y en a en photo sur le calendrier que le facteur apporte tous les ans et que mon maître place au dessous de mon box), il était drôlement beau ! Il paraît que, dans cet endroit où il y avait un tapis rouge, lui aussi a eu un prix, une histoire de regard certain je crois...
L'autre soir, je suis allé dans une grande bergerie, bizarrement aménagée avec des fauteuils rouges. Il y avait une foule de personnes, peut être des vétérinaires car ils étaient sacrément bien habillés, ils n'avaient ni salopettes, ni bottes. Ils ont regardé un truc qui bougeait et où on me voyait. Il ont un peu ri au début, puis ils se sont tus et pour finir certains ont retenus quelques sanglots. En sortant, en troupeau, ils m'ont caressé gentiment en me remerciant pour le joli film qu'ils venaient de voir.
C'est quoi un joli film ? 



lundi 14 décembre 2015

Les désorientés d'Amin Maalouf

Mourad est sur le point de mourir. Sa longue maladie comme on dit pudiquement pour ne point affoler, ne lui accorde que quelques heures. Tania, son épouse, téléphone à Adam, vieil ami avec lequel il est en froid depuis des décennies, pour qu'il accoure à son chevet. Le problème est que le mourant est au Liban et l'ami à Paris. Foin de la brouille et au nom d'une grande amitié lors de leurs études universitaires, Adam sautera dans le premier avion mais arrivera trop tard. Cependant, après vingt-cinq d'exil, il retrouvera son pays de naissance et quelques amis restés sur place malgré les nombreux conflits qui ont mis le pays à feu et à sang. Le passé remontera à la surface, un ancien amour platonique l'hébergera dans son hôtel de luxe et l'envie de réunir ce qui fut une bande unie et soudée lorsqu'il était étudiant deviendra une quasi obsession. Se concentrant sur les hommes et les femmes qui furent les témoins d'une jeunesse encore insouciante, Adam se questionnera sur sa vie, celle de son pays d'origine ainsi que du monde actuel, tout aussi désorienté que le sont les ces quasis cinquantenaires dont le repentir, le remord se mêlent à un féroce appétit de vivre.
Sur le thème lambda des retrouvailles d'une bande d'amis, Amin Maalouf laisse un peu de côté le passé de ses personnages et bâtit une intrigue qui lui permet de laisser libre cours à sa pensée et de nous faire profiter de ses pensées d'homme moderne réfléchi. Il nous adresse ainsi un message d'intellectuel bienveillant mais lucide. Tous les grands débats actuels y sont passés en revue, du siècle du retour du religieux mais aussi de ses extrémistes aux errances politiques du siècle dernier qui mènent au désarroi actuel. Mais on y trouve aussi une réflexion plus philosophique sur l'exil, le sentiment de culpabilité, la fidélité, la trahison ou ce que deviennent les idéaux de jeunesse ainsi qu'une réflexion historique sur le monde arabe, pertinente et éclairée.
Avec autant de thèmes développés, on peut craindre une lecture ardue, mais il n'en est rien, ça se lit aussi bien que du Eric-Emmanuel Schmidt. L'écriture est simple, aisée, facile. On rend donc grâce à Amin Maalouf de nous faire profiter de sa réflexion sans jouer les prétentieux ni les flagorneurs. Pour tout cela « Les désorientés » » est une lecture chaudement recommandée car de celles qui ont un contenu qui enrichit le lecteur.
Cependant, je mettrai plusieurs bémols. Autant la richesse du fond et du propos est lumineuse, autant la construction du roman m'a semblé un peu plus aléatoire. Je passerai sur le mix mi-récit, mi-journal, qui finit par prendre son sens à la fin, pour regretter quelques facilités de narration, notamment des ficelles un peu grosses parfois pour faire avancer l'action, donnant au récit un côté pâtisserie orientale trop sucrée. Alors que le propos est des plus convaincants, les personnages, eux, le sont nettement moins. Assez monolithiques, bizarrement sans trop de fond psychologique, répondant plutôt à une fonction bien définie ( le juif, le musulman, le chrétien, l'incroyant, l'extrémiste, la douce femme ouverte ) ils ont tous un point commun : ils ont réussi dans la vie et sont tous, à des degrés différents, des nantis. Parfois, lors de la lecture, j'ai regretté ce parti-pris qui donne au livre un côté simplificateur, en totale opposition avec l'étendue du questionnement proposé. Du coup, on s'intéresse moins à l'histoire qu'à ce qu'elle va pouvoir nous proposer comme éléments de réflexion sur notre monde. Ils sont nombreux évidemment mais ne sont quand même pas la partie la plus importante qui elle se résume à savoir comment Adam va réussir à réunir tous ses anciens amis perdus de vue. Et lorsqu'ils seront enfin réunis, et que passe soudain dans le roman un esprit de liberté et d'humour, de presque vraie vie je dirai, l'auteur nous prive de ces retrouvailles en plaquant une fin inattendue et brutale qui nous laisse sur notre faim.
«  Les désorientés », à cause de quelques facilités narratives, n'arrive pas toujours à se hisser au niveau de son propos, pourtant de haute tenue. Il reste cependant un roman à l'intérêt certain dont les pages se tourneront facilement mais, et c'est là où il se démarque du best-seller formaté habituel, il laisse un souvenir de profondeur et d'enrichissement personnel indéniable.

mercredi 9 décembre 2015

L'arbre à gâteaux d'Etsuko Watanabe


Je l'avoue, quand j'aime un album, c'est le plus souvent grâce à la parfaite symbiose entre un texte inspiré et une illustration jamais redondante. "L'arbre à gâteaux" ne répond pas vraiment à ces critères habituels et pourtant, j'ai flashé sur ce très grand format qui, il faut bien le dire, en met plein les yeux. 
Faisons un sort à l'histoire, pas inintéressante, un peu longuette même, possédant un caractère très enfantin, à savoir, une succession d'événements extraordinaires qui semblent sortis tout droit du cerveau imaginatif d'une mouflette endiablée mais tirant sur le genre "marabout, bout de ficelle". La rêveuse Jeanne va vivre d'incroyables aventures à la recherche de l'arbre à gâteaux qui peut exaucer un voeu. Elle traversera des paysages extraordinaires tout en rencontrant des personnages hallucinants. Un texte minimal, un peu plat ,accompagne la petite fille dans son périple. Ce n'est nullement grâce à lui que cet album nous accroche. 
La couverture peut passer pour aguicheuse avec son ajout de brillance comme dans ces parutions à base de poneys, de dauphins ou de dinosaures qui attirent irrémédiablement les enfants sur certains étalages. Seulement utilisée en présentation,  la couleur argentée reste toutefois discrète et sa guirlande pâtissière bien alléchante. Et l'on ouvre l'album.... Et soudain s'étale devant nos yeux ébahis un océan limpide qu'un léger clapotis rend quasi réel. On comprend alors que l'artiste japonaise Etsuko Watanabe va nous embarquer dans un monde de couleur et de beauté, utilisant ce très grand format à bon escient et uniquement sur double page. Les couleurs éclatent (ou pas, car parfois des camaïeux sombres rendent l'atmosphère inquiétante). On suit avec ravissement la petite Jeanne et son nounours bleu, les yeux écarquillés, impressionnés par la dynamique et la beauté des illustrations, pourtant assez classiques, mais d'où se dégage  un irrésistible charme enfantin. J'ai même entendu lors de plusieurs lectures de cet album des petits cris d'ébahissement, des "oooooooh!!!" notamment...
Alors qu'importe que le texte se roule dans une banalité un peu pesante sur 64 pages ( oui, l'ouvrage est long ! ), l'univers créé est de ceux qui donnent envie de dessiner, de rêver et surtout d'y revenir. Je suis persuadé que vous et votre enfant y retournerez à plusieurs reprises dans cet arbre à gâteaux. On ne renonce pas si facilement à ce plaisir des yeux qui stimule l'imagination et qui est une véritable plongée dans un univers lyrique et chaud, fleurant bon l'enfance. 
"L'arbre à gâteaux" peut se déguster à partir de 4 ans mais s'appréciera énormément, je pense, chez les gros rêveurs de 6 ans.  



mardi 8 décembre 2015

L'après-midi d'une fée d'André Bouchard


Attention, c'est une histoire de fée avec une petite fille en héroïne, mais ce n'est pas pour cela que cet album ne doit pas être lu aux petits garçons ! Il illustre un proverbe célèbre (que je ne dévoilerai pas ici pour ne pas déflorer la fin) et est donc totalement indispensable pour asseoir de façon intelligente et rigolote un début de culture classique.
Margot et Hortense sont copines. L'une est aussi blonde que l'autre est brune. Margot est une enfant gâtée, elle a reçu en cadeau un costume de fée avec baguette. C'est dans le parc de la ville, rempli de promeneurs souvent avec un portable greffé à l'oreille, que cette nouvelle fée va exercer ses pouvoirs. Dressant sa baguette magique telle la marraine de Cendrillon, elle décide de transformer une chaise en citrouille... Et ça marche !!! Ebahie et soudain toute enfiévrée de ce nouveau pouvoir, elle va continuer à abuser de la magie. Pas tout à fait à l'aise dans le maniement des formules ou de sa baguette, les résultats suivants ne sont pas irréprochables mais qu'importe, la frénésie de tout transformer l'emporte jusqu'à ce que, pour une petite brouille, Margot transforme sa copine en crapaud. Pétrie de remords en voyant sa copine si mignonne devenue aussi disgracieuse, elle va essayer de la faire redevenir comme avant ...mais sans résultat ! Affolement de la petite fille, qui va devoir se résoudre à la ramener à ses parents sous la forme d'un batracien...
Voici un album totalement réussi, qui allie une histoire simple, drôle, rigolote, avec du suspens, une chute intelligente qui ouvre la réflexion des enfants et de magnifiques illustrations d'une grande finesse. On appréciera le grand format merveilleusement exploité par André Bouchard, donnant bien plus à voir que l'histoire pourrait le laisser penser et l'utilisant à bon escient pour mieux faire ressentir aux enfants les émotions de Margot. J'ai apprécié ce subtil mélange de noir et blanc et de couleurs, permettant au regard de ne rien laisser de côté, enrichissant ainsi ce récit d'une ribambelle de personnages croqués avec soin et non sans humour.
Aussi drôle que vivement mené, "L'après-midi d'une fée" ravira les enfants épris de merveilleux et de suspens (car oui, il y en a !) et leur ouvrira un champ de réflexion assez intense pour peu qu'un parent bienveillant leur indique la route. Idéal pour débuter en philosophie ....
Cet album édité au seuil jeunesse est recommandé dès  4 ans.

 




lundi 7 décembre 2015

Mia madre de Nanni Moretti


J'ai un problème avec Nanni Moretti. Jusqu'à présent aucun de ses films ne m'a réellement emballé...non, même pas "la chambre du fils".  Son cinéma me parle peu, pour ne pas dire du tout. Je le trouve planplan , avec des idées, des thématiques intéressantes certes, mais rien qui ne m'attendrisse, me fasse sourire ou que j'entre en empathie avec sa vision du monde. Beaucoup y trouvent de jolis plans, de grandes envolées, des cheminements intelligents...moi, je ne vois rien, ne ressens rien ou presque, sauf une esthétique proche du téléfilm.
Cette semaine, l'accueil dithyrambique fait par les critiques à "Mia madre"  m'a convaincu de prendre deux cafés ( non, je ne vais pas au-delà au niveau drogue), d'acheter mon billet avec la ferme intention de me laisser aller... Même si le film, rentré bredouille de Cannes où pourtant, tout ce que l'on a vu jusqu'à présent démontre que prendre place dans le palmarès ne devait guère être difficile, je pensais que cette fois-ci j'allais pouvoir m'esbaudir devant la dernière oeuvre d'un des grands maîtres actuels du cinéma italien.
Ca débute très sobrement par un court générique sur fond noir, accompagné de quelques notes de piano graves. Le ton est donné. On ne va pas se marrer. Le film nous embarque à la suite de Margherita, femme mûre italienne à la mine pensive, puis triste, puis perdue, puis franchement au bord de se foutre en l'air. Il faut dire que la pauvre cumule les ennuis : elle largue son amant, sa mère est hospitalisée puis mourante, sa fille ado fait sa crise ...enfin...petite la crise puisqu'elle se résume au fait qu'elle ne veut pas apprendre son latin. Pour moi pas trop grave, mais en Italie sans doute très important surtout que c'était la matière qu'enseignait avec brio la mamy grabataire. Pour couronner le tout, elle a un frère passablement irritant car parfait d'attention, de commisération, de gentillesse. Cette perfection lui donne l'impression d'être aussi intéressante qu'une courgette abandonnée au fond de la remorque d'un  36 tonnes.
Le pathos est là, merveilleusement porté par Margherita Buy, absolument parfaite de bout en bout. On peut vraiment noter sa performance surtout au milieu d'un scénario qui prend le spectateur en otage, essayant de le faire larmoyer autour du thème de la perte d'une mère ( et en extrapolant de la culture classique). Le film navigue dans les zones troubles des bons sentiments, hésitant à s'emparer de la réalité en proposant des scènes rêvées, quelques flash-backs poussifs, parfois des scènes tout en  pudeur ( l'annonce de la mort) mais souvent avec de la guimauve suintant au bord du cadre. Tout le monde est formidable ou au fond  gentil. La dépressive est en fait une brave fille qui s'interroge trop, la mère une femme formidable, une prof adorée, une mamy drôle et copine. Voilà au moins une famille italienne hors des clichés habituels, pas gueularde pour deux sous. On pourrait, à la rigueur, se laisser prendre par cette forte dose de gentillesse mais Nanni Moretti lui a intercalé une deuxième histoire sur le tournage d'un film tout aussi improbable, dont les scènes sont aussi réalistes que la cafète dans "Hélène et les garçons" et rendues totalement insupportables par le cabotinage de John Turturro dans un rôle qui enfile les clichés. Quelle drôle d'idée ! Est-ce une envie d'aération au milieu de cette tristesse ambiante ? Une histoire bassement matérielle de production visant plus de ventes à l'international ?  Quand même pas ?!
Comme d'habitude, je n'ai rien ressenti à la vision de "Mia madre", film bancal, perdu dans cette poisse sucrée et cette meringue soi-disant burlesque. Il ne me restera que la présence subtile de Margherita Buy qui arrive à être impériale dans son rôle. Décidemment, Moretti n'est pas un réalisateur pour moi, son film sur la perte, m'a totalement éloigné de son cinéma.



mercredi 2 décembre 2015

Marguerite et Julien de Valérie Donzelli


C'est avec curiosité que je m'en suis allé découvrir "Marguerite et Julien " après le foutraque mais sympathique "Main dans la main". A l'issue de sa projection cannoise, les critiques ont jeté violemment film et réalisatrice dans la catégorie des nanards de l'année. Mon petit doigt me disait qu'il devait y avoir quand même anguille sous roche, on n'arrive pas  en sélection officielle du plus grand festival du monde par hasard !
Premier constat, totalement personnel, " Marguerite et Julien " était tout à fait sa place à Cannes et n'avait pas à avoir des complexes dans une sélection en demi-teinte, mais mettant en valeur des cinéastes qui cherchaient (pas toujours de façon convaincante) de nouvelles façons de transposer leurs idées au cinéma.
Et le cinéma qui essaie de sortir des sentiers battus, il est bien dans ce film à la fois romantique, déglingué, vibrant, mal fichu, original et imprégné d'enfance. Sur la base d'un fait divers du 17ème siècle, restituant la passion incestueuse d'un frère et d'une soeur issus d'une noble famille normande, le récit prend très vite une allure de conte intemporel très agréable à l'oeil car bourré d'anachronismes. Cette singularité qui peut agacer certains spectateurs trop rationnels, se révèle pourtant une très belle idée de mise en scène, mettant ainsi en distance le sujet casse-gueule et délicat de l'inceste ( moins que dans "Peau d'âne" de Demy qui l'avait pas mal dilué avec son côté pop et chantant). Car, malgré les déclarations de Valérie Donzelli qui semble minimiser le sujet de l'inceste dans les interviews qu'elle donne, préférant parler de passion irrémédiable, c'est bien cela qui est au coeur du film et qui vaudra aux personnages ce tragique destin. Marguerite et Julien sont touchants, on les suit avec plaisir mais on n'arrive pas toutefois à se projeter en eux, tabou sociétal oblige. Ils sont à la fois de chair et de chiffon, marionnettes d'une histoire qui dépasse tout le monde et qui vivent à l'écran comme les héros d'un jeu inventé par des enfants. Cette part enfantine est prégnante dans le film, des petites filles dans un dortoir écoutant l'histoire comme des groupies( mauvaise idée abandonnée à mi-chemin) jusqu'à la façon de bouger, courir, sauter, sans beaucoup parler des deux comédiens donnant à cet inceste une part d'innocence qui là aussi peut déranger. Mais, Valérie Donzelli slalome ludiquement parmi les écueils d'un thème scabreux en imposant des images originales, décalées, comme l'immobilisme des personnages en début de scènes, ou une sorte de reportage photo pour symboliser la violence d'une arrestation. C'est en partie avec cette inventivité, cette désinvolture qu'elle surprend et accroche l'intérêt. L'image est accrocheuse, admirablement composée mais aussi chargée de références (inconscientes dixit Valérie D.) pour le plaisir des cinéphiles. J'ai parlé de Jacques Demy bien sûr pour les nombreuses références à "Peau d'âne" puisqu'en plus des hélicoptères, des fenêtres rouge vif du château, il se trouve qu'Anaïs Demoustier a le même âge que Deneuve lors du tournage du conte de Perrault. ( Il n'est pas certain que "Marguerite et Julien" ait la même importance dans sa carrière malgré sa vibrante prestation... ) Mais on y trouve aussi un pull qui rappelle fortement celui porté par Jean Marais dans "L'éternel retour" (pour la symbolique de la légende sans doute) ou la même vivacité de la comédienne principale dans les scènes du début qui rappelle toujours Deneuve mais dans "La vie de château " de Rappeneau.
Le film ne parvient pas tout à fait à convaincre à cause sans doute d'un trop plein d'idées pas toujours abouties ou faisant l'effet d'un enchaînement pas toujours harmonieux et cohérent. Mais Valérie Donzelli a de l'audace et de la sincérité. Elle s'est laissée aller sans peur (mais avec des reproches visiblement) et s'est permis de sortir des sujets formatés réalisés comme pour passer sur TF1 à 20h40. J'aime être surpris au cinéma et là, je l'ai été ! Même si pas totalement réussi, même si l'inceste y est traité de façon peu conventionnelle (mais pas de façon choquante), "Marguerite et Julien" a la grâce des films qui ne rentrent dans aucune case...et pour moi c'est une qualité qui vaut bien une sélection à Cannes et l'attention du public.




mardi 1 décembre 2015

Ixcanul de Jayro Bustamante


Ixcanul est un volcan guatemaltèque situé dans un endroit isolé du pays (et pour cause). A son pied vivent quelques paysans mayas, métayers exploités par des un peu moins pauvres qu'eux. Ils cultivent du café, voire du maïs, sur des terres ingrates ou infestées de serpents. Les quelques familles implantées dans ce secteur déshérité travaillent dur et s'entassent  dans des constructions spartiates très précaires. La vie est rythmée par les travaux des champs et quelques offrandes au volcan, dieu local autant vénéré par la crainte qu'il inspire que par la supposé force qu'il peut produire. Maria, taciturne jeune fille, vit avec  ses parents au milieu de ce nulle part et rêve d'évasion, de grande ville, de modernité sans doute. La seule possibilité qui s'offre à elle se nomme El Pepe , jeune ouvrier qui a l'intention de fuir en Amérique.  Séduite sans doute par cette promesse d'aventure, elle va s'attacher à ce jeune homme, l'aimer, alors qu'elle est promise à un autre d'une classe sociale légèrement supérieure à la sienne. Les corps étant faibles sous toutes les latitudes, elle se donnera à Pepe et évidemment tombera enceinte ce qui ne va pas arranger les choses aux yeux de sa future belle famille. Commencera pour Maria un long chemin pour entre envie de liberté et résignation devant la perfidie de la vie.
"Ixcanul" est un joli plaidoyer féministe assez contemplatif, trop parfois avec ses scènes un poil rallongées qui n'apportent au final qu'une assez grosse insistance sur l'ennui de vivre dans cette contrée pauvre. Les plans sont beaux, mettant en valeur une nature rude et assez hostile.  Maria, l'héroïne, est à l'image du décor, taiseuse et taciturne, attachante mais un peu en distance avec le spectateur. La  mise en scène, entre documentaire et fiction, m'a paru trop hésiter entre les deux genres et du coup  empêcher une totale empathie avec le personnage. Mais le portrait de cette femme au regard tragique se trouve soudain sublimé par un rebondissement final qui en dit long sur la misère humaine dans ce bas monde, nous faisant reconsidérer les images du début avec un autre regard.
Il est toujours intéressant de se plonger dans des cinématographies peu présentes sur les écrans ( ici ce film en provenance du Guatemala est produit en partie par la France), c'est une richesse qu'il nous faut préserver. Nous avons la chance d'avoir des fenêtres sur le monde, il faut les ouvrir pour prendre la température de la planète. Ici, les nouvelles ne sont pas meilleures qu'ailleurs mais l'on sait qu'au final, les combats sont les mêmes pour tous...




dimanche 29 novembre 2015

N'oublie pas mon petit soulier de Gabriel Katz


A l'instar du secteur jeunesse où le thème de Noël est très vendeur, le polar, lui aussi, dans une moindre mesure, a souvent sacrifié aux titres de saison parfumés au sapin devant lequel parfois titube un bonhomme en rouge (sang?), pas toujours bon enfant. De " L'assassinat du Père-Noël" en passant par  "Le Noël d'Hercule Poirot" et jusqu'aux "Christmas suspens" de la fille Higgins-Clark, le monde de l'édition aime à mélanger dinde aux marrons et coups de revolvers. Cette année, les éditions du Masque ne faillissent pas à tradition et nous proposent ce "N'oublie pas mon petit soulier", dont le lancement en fanfare, avec clip façon bande annonce,  laisse à penser qu'ils en espèrent beaucoup.
Mais que se cache-t-il réellement sous cette couverture attrayante ? Ce stiletto façon "Le diable s'habille en Prada" annonce -t-il un récit drôle et endiablé, visant un lectorat plutôt féminin ? Mais ces balles assorties et la fragilité de cette boule prête à exploser sous ce talon impitoyable mâtinent-elles l'ensemble d'une touche de noir ? En tous les cas, bravo pour l'équipe marketing/photo, ils ont réussi une couverture qui accroche l'oeil ! Et bravo à Gabriel Katz, l'auteur, pour m'avoir fait dévorer ses presque 300 pages en une soirée !
Il n'y a pas tromperie sur la marchandise, l'intérieur est tout aussi clinquant que l'emballage ! Tous les ingrédients sont réunis pour faire passer un très bon moment. C'est léger comme un film de Philippe de Broca, époque "On a volé la cuisse de Jupiter" . Ca file à cent à l'heure avec un rebondissement à chaque chapitre. Ca nous fait voyager de Paris à Bangkok via Charleville-Mézières (mais si c'est exotique les Ardennes en hiver!). L'intrigue mêle amour et mafia albanaise (la sicilienne, repère de Bisounours,  étant trop gentille ). Le personnage principal, séducteur totalement dépassé par les événements, se trouve acoquiné avec des acolytes de comédie comme une riche fille sexy et effrontée, un garde du corps dont le mot amabilité a disparu de son vocabulaire ou un agent secret à la supériorité évidente et donnant au récit une fantaisie et un humour qui ont le bon goût de ne jamais s'arrêter de la première à la dernière page.
Bien sûr ce n'est ni le polar du siècle, ni plus original du moment, mais qu'est-ce que j'ai passé un bon moment ! C'est un vrai "tourne-pages", efficace, facile à lire sans jamais être ennuyeux, d'une drôlerie constante qui ne joue jamais sur la facilité.
Pour terminer dans la thématique de fête de fin d'année et son casse-tête des cadeaux à faire, pensez à noter les références de ce polar dans vos tablettes. Il fera un formidable présent pour tous les amateurs de polars et même les moins fanas. Et quand viendra l'heure de chercher un p...de truc à offrir à votre cousin que vous ne voyez qu'une fois l'an ou à votre belle-soeur qui a déjà tout et même plus, sachez que vous tenez là l'idée parfaite, pas trop onéreuse, de bon aloi (c'est un livre quand même, c'est classe sous le sapin, non ? ) et qui sera au final ( quand la personne, ayant un creux dans sa vie, se tournera vers ce livre qui traînait là depuis quelques semaines) une très agréable surprise. Un polar bien ficelé et rigolo est un cadeau qui fait plaisir et ce "N'oublie pas mon petit soulier" en est le plus parfait exemple !


jeudi 26 novembre 2015

21 nuits avec Pattie d'Arnaud et Jean-Marie Larrieu



La promo de dernier opus des frères Larrieu dispose de trois bandes annonces mettant chacune en avant un des personnages principaux. Dans les cinémas dans lesquels je me rends, je n'ai étrangement eu l'occasion de voir que celle tournant autour de la Pattie du titre, interprétée par Karin Viard, quarantenaire décomplexée, parlant de ses nombreuses aventures sexuelles avec une verdeur et une sincérité réjouissantes, donnant au film une connotation de film érotique franchement assumé. Les deux autres teasers ( découverts sur le net), même s'ils mettent encore en avant la truculence de Pattie, brouillent un peu les pistes en dirigeant le projecteur sur Caroline (Isabelle Carré) qui semble bien inquiète après la disparition du corps de sa défunte mère  et de Jean ( André Dussollier ) s'énervant après quelqu'un de vraisemblablement nécrophile. Eros et thanatos encore une fois réunis  dans ce qui est vendu comme une comédie grivoise et légère et qui se révèle au final comme une joyeuse compilation de ce qui a fait (ou pas) le charme des précédents films des réalisateurs. La partie polar (comme dans L'amour est un crime parfait ) est assurée par la vague enquête autour de cette défunte disparue mais ne prend jamais le pas sur un fond plus psychologique autour du sexe, du plaisir et de la libido perdue et sur une note beaucoup plus épicée et rare au cinéma qu'est la nécrophilie ( comme ils avaient traité de l'échangisme dans "Peindre ou faire l'amour").
Mais nous sommes chez les frères Larrieu. Ils aiment traiter de sujets lestes et parfois un peu scabreux mais dans un dispositif mi naturaliste, mi fantastique qui déroutera sans doute les amateurs de comédies franchouillardes qu'une Karin Viard évoquant, sur tous les médias,une bite au fond de sa chatte, peut induire en erreur. Oui, on parle de sexe dans leur dernier film mais uniquement de façon orale...je veux dire par là qu'il n'y a que des mots pour le mettre en branle, les images sont réservées à l'imagination du spectateur. Et quand on aborde la nécrophilie, c'est souvent par le biais de l'humour et surtout de textes littéraires. La comédie à l'aspect facile des bandes annonces, vire bien au film d'auteur, avec quelques jokes pour les cinéphiles comme ces références aux fantômes ou à des animaux mystérieux rôdant dans les forêts d'Apichatpong Weerasethakul.
Cependant, on y retrouve ce qui fait habituellement la toile de fond des films des Larrieu : la nature lumineuse, accueillante dans laquelle évoluent des hommes et des femmes aux corps libres et à la sexualité simple et naturelle. Seul le personnage principal, Caroline, parisienne perdue dans ce village de l'Aude, sorte de Bécassine frigide va se cogner au contacts de tous ces gens à la sensualité si cordiale. Elle est un peu le regard du spectateur. Elle écarquille les yeux, n'en croit pas ses oreilles. Mais si comme elle vous acceptez de vous laisser aller à l'hédonisme ambiant, vous aimerez ce film un peu hors norme, sinon, vous risquez soit d'être un poil choqué (et pourtant Madame Figaro est partenaire de la chose !), soit perdre pied dans cet univers à nul autre pareil.
Magnifiant un  casting 4 étoiles (où Denis Lavant confirme après "Holly motors" qu'il est une bête de sexe), l'image est absolument superbe. Chaque plan, jamais ostentatoire, est d'une lumineuse beauté et en parfaite harmonie avec le monde décrit par les frères Larrieu, finalisant de son bel écrin ce film tout simplement fait pour le bonheur.



mardi 24 novembre 2015

La peau de Bax d'Alex van Warmerdam


Des marécages, un tueur à gages, de la dope, tout pour faire un polar bien noir, bien sombre, "La peau de Bax" se présente comme un énième resucée d'un film à l'univers bien balisé, sauf, que les marécages ne sont pas en Louisiane mais aux Pays Bas et que le réalisateur Alex van Warmerdam a décidé de jouer avec les codes du genre.
Le tueur néerlandais est un époux charmant, pourvu d'une compagne adorable et de deux fillettes à croquer. Mais le métier est difficile. Alors qu'il  avait décidé prendre sa journée, Schneider se voit obligé par son patron d'aller descendre un romancier alcoolo vivant au milieu des marécages. La fête d'anniversaire de sa cadette n'est pas compromise, abattre un écrivain un peu ermite n'est qu'une formalité qui ne demande ni temps ni grands moyens. Ca c'est sur le papier car dans la réalité, l'affaire va se révéler autrement plus coriace. Entre l'irruption d'une femme que son amant veut liquider et la famille sérieusement névrosée de l'écrivain qui débarque sans crier gare, le coup de pétard se trouve soudain bien difficile à placer.
Situé en plein été, par une journée ensoleillée le film donne déjà une première claque au genre. Non, pas de cieux grisâtres donnant  une atmosphère poisseuse et sinistre, pas de glauques demeures où la crasse y est une seconde peau mais une jolie petite cabane design à l'intérieur soigné et déco. Même les personnages sont tirés à quatre épingles et n'arborent pas une chemise fripée ou un pantalon informe qui feraient s'évanouir d'effroi la moindre machine à laver. Ce soin décalé apporté aux décors et aux costumes donne au film une allure propre et nette, accentuée par une mise en scène assez stylisée, avec de beaux cadrages proches de la peinture (contemporaine). La deuxième pichenette donnée au genre se situe dans le scénario, qui, même s'il utilise peut être un peu trop les apparitions fortuites de personnages, va toujours là où on ne l'attend pas, réservant des surprises à un rythme soutenu et maniant humour et dérision avec finesse.
J'ai pris une plaisir évident à vouloir "La peau de Bax", j'ai ri, j'ai frémi même, car un marécage reste un marécage, un danger peu surgir n'importe quand de derrière ces plantes luxuriantes. Totalement efficace, ce film néerlandais est une gâterie un peu noire mais réjouissante qu'une affiche un peu convenue ne devrait pas pénaliser pour peu que la curiosité (qui n'est pas un vilain défaut au cinéma et même ailleurs) vous pousse dans ses eaux inquiétantes.





dimanche 22 novembre 2015

El club de Pablo Larrain


Si vous projetez quelques vacances au Chili, pas sûr que la vision du magnifique " Le bouton de nacre" de Patricio Guzman sur les différents génocides qui ont secoué ce pays associée à celle de "El club" cette semaine vous fassent foncer dans la première agence de voyages venue.
Pourtant, le film de Pablo Larrain se situe dans ce qu'il semble être une petite station balnéaire. Il démarre sur une plage de sable plutôt noirâtre ( pas terrible pour étendre sa serviette ) où un homme joue avec un chien... Le temps est gris, l'image brumeuse sans que l'on sache vraiment s'il s'agit d'un brouillard naturel ou de filtres ad hoc ( en fait, des filtres utilisés dans de vieux films soviétiques). Bref, c'est déjà un peu glauque et la suite ne va pas infirmer cette première scène puisque nous voilà au sommet d'une colline où un groupe d'hommes à la mise sans âge et sans goût, observe à la jumelle une course de lévriers dans laquelle on reconnaît le chien de la plage, cornaqué cette fois-ci par une dame en sweat Gap. Le chien ayant remporté la course, nous retrouvons ce groupe autour d'une table, dînant presque en silence. J'ai pensé être parti pour un de ces polars où des marginaux vont subsister et se battre avec d'autres amateurs tout aussi à l'écart via de minables courses de clébards. Grossière erreur !  La suite va nous apprendre que ces hommes sont d'anciens prêtres mis à l'écart et que le Vatican soustrait à la justice des hommes même s'ils ont commis des actes répréhensibles (pédophilie, trafic d'enfants, ...). En gros, l'Amérique du sud en plus d'avoir été un repaire d'anciens nazis, est également spécialisée dans l'organisation de colos de vacances à vie pour les brebis galeuses de l'église catholique romaine.
Ce petit monde vit à l'écart, faisant quand même profil bas. L'arrivée d'un nouveau prêtre délinquant va bouleverser cette tranquillité. Le père Lazcano pensait se mettre au vert au bord de l'eau, mais c'est sans compter sur le hasard qui le met face à face avec un sdf qui n'est autre qu'une de ses anciennes victimes. Ce dernier hurle dans la rue, à qui veut l'entendre et avec les détails les plus crus, ce que le prêtre lui a fait subir. Devant ce déballage, l'ancien curé se tire une balle dans la tête. Branle bas de combat dans l'église chilienne et le Vatican. On dépêche vite fait un démineur de situations tendues, à savoir le jeune et beau père Garcia chargé de fermer cette maison...
Tout est malaise dans ce film! De ces prêtres qui n'ont aucun remord sur leurs actes à l'image constamment grise qui les enveloppe dans une brume sinistre. Même l'émissaire du Vatican est ambiguë à souhait, à la fois menaçant et séducteur, jamais on n'imagine où il veut en venir. Le film  arrive à semer le trouble dans l'esprit du spectateur, arrivant à créer une vague compassion avec le personnage du père Vidal tellement attaché à son chien. C'est sans doute pour cela que Pablo Larrain  arrive à éviter les écueils d'un trop grand moralisme démonstratif qu'un pareil sujet pouvait dresser. Le propos reste de toutes les façons sans équivoque. Sa position sur l'église catholique, extraordinairement retorse quand il s'agit de camoufler ses méfaits, utilisant avec des airs angéliques et pieux les pires exactions pour mieux retomber sur ses pattes, est ici montré sans concession. Cependant, cette plongée est si sombre, si pathétique, si tragique mais aussi si dégueulasse, si ignoble, que l'on en ressort les idées aussi grises que le sable de cette plage où ces religieux vivent toujours avec leurs prières à un dieu qui les protège des hommes et de leur justice.





samedi 21 novembre 2015

L'hermine de Christian Vincent



Michel Racine est grippé. Il est seul dans une chambre d'hôtel, il révise un dossier puis, avec sa petite valise à roulette et le nez qui coule, file vers son lieu de travail. Michel est le président redouté voire détesté de la cour d'assises de Saint Omer. Ce jour là s'ouvre un procès pour infanticide. Un jeune papa aurait tué son bébé trop criard à coups de rangers. Commence la valse des robes des juges, des apartés autour de l'affaire, des ragots sur le président. Tout se met en place petit à petit, chacun prend ses marques, un par un, les jurés tirés au sort s'assoient de part et d'autre des différents juges. Et furtivement, dans le regard pourtant implacable du président passe une lueur inhabituelle à l'appel d'une jurée d'origine danoise qui semble partager aussi ce trouble lorsqu'elle rejoint sa place. Le procès débute, théâtre d'un défilé de figures locales qui ne semblent pas en mesurer l'enjeu . Lors d'une interruption d'audience, Michel Racine envoie un sms à la beauté danoise, lui proposant de prendre un verre après l'audience.... Il la connaissait donc !
Que dire de "L'hermine" ? C'est le genre de film, très "qualité France", sur lequel se jetteront les lecteurs de "Notre temps" et les spectateurs de "Télématin". Ils passeront un très agréable moment à admirer la prestation toute en retenue de Fabrice Luchini et la beauté solaire de Sidse Babett Knudsen. Ils suivront avec attention ce procès, en tiquant peut être devant la présence un poil méprisante de témoins très typés Nord de la France à la limite du cliché, mais qu'une habile mise en scène arrive à faire vite oublier. Ils copineront avec les jurés, pas exempts de clichés eux non plus,comme s'il fallait à tout prix par leur intermédiaire, donner un petit témoignage de la France d'en bas.Ils retrouveront avec plaisir dans cette bande, Corinne Masiero , toujours impeccable mais dans son registre habituel de brave fille gueularde et populaire, Mais ils seront peut être comme moi en sortant de la salle et diront : "Et alors?". Si l'heure et demie passe très agréablement, la sensation de joli film est prégnante mais sans pour autant avoir rempli complètement son office. C'est soigné, bien joué, mais j'ai eu du mal à voir où tout cela voulait en venir. Certes on y trouve un regard pertinent sur le milieu judiciaire ou un délicat portrait autour d'un homme aux apparences glaciales qui cache tout au fond de lui un coeur tendre, mais sans que tout cela nous remue outre mesure. La joliesse de l'ensemble est plaisante, mais n'engendre aucune réelle réflexion comme si elle avait anesthésié l'esprit du spectateur en l'enveloppant dans une douce torpeur cinématographique. 


lundi 16 novembre 2015

Y a-t-il un chien dans ce livre ? de Viviane Schwarz


Un chien, des chats et un titre en forme de questions qui laisse sous entendre un album-jeu du genre  " trouver Charlie". L'album de Viviane Schwarz est bien évidemment ludique avec ses astucieux rabats que les enfants adorent soulever (dans cet album mais dans tous les autres car c'est inné ce plaisir de jouer avec la curiosité ) mais il va bien au-delà de cet aspect récréatif.
Au départ nous avons trois chats, trois minous appelés Mini, Lunatic et André. Ils nous accueillent à l'ouverture de l'album et s'adressent joyeusement à nous. Mais très vite leur odorat ultra développé détecte une présence indésirée. Ne serai-ce pas un chien ? !!! Horreur ! Un chien, c'est voleur, c'est sale, ça pue, c'est méchant, bref, les chats les détestent. Ils vont tout faire pour ne pas le rencontrer. Il n'y a que Mini qui lui, plus curieux, plus ouvert aussi  a envie de faire connaissance, lui caresser son poil qui a l'air aussi doux que le sien. Le chien lui, a envie de jouer avec ces drôles d'animaux. C'est finalement Mini, le petit chat qui établira le contact. Et là, le plaisir de la rencontre, de la découverte,  sera total. Mais le chien disparaît... Où est-il passé ? Que lui est-il arrivé ? Aurait-il été reconduit à la frontière ? Non, ce n'est pas dans le livre mais cela aurait pu y être car l'album traite avec beaucoup de malice du problème de la différence raciale. Tout y est pour faire la bonne leçon de morale de nouveau en vogue, mais c'est avant tout drôle, très intuitif, très simplement mené, jamais lourdingue ou lourdement bien pensant. Le but est d'abord d'amuser l'enfant même si le  sous texte suggéré permet d'aborder de façon calme et imagée les thèmes de la peur de l'étranger, de la richesse qu'apporte la main tendue vers un autre différent de soi.
"Y a-t-il un chien dans ce livre ?" est un  petit bijou bien utile dans notre époque de rejet, un album qu'il faut accueillir, raconter encore et encore pour que les yeux s'ouvrent sur ce monde mouvant qui devra accueillir des êtres dont la supposée différence n'est que le fruit de réflexes identitaires dont on voudrait bien se débarrasser.
Fortement conseillé pour les enfants de 3 à 5 ans.

dimanche 15 novembre 2015

Les gens dans l'enveloppe d'Isabelle Monnin et Alex Beaupain


Le projet de ce roman avait tout pour m'emballer. Du romanesque dans tous les sens du terme avec création d'un roman à partir de photos personnelles achetées chez un brocanteur sur le net et l'enquête pour retrouver ces inspirateurs anonymes. Cerise sur la gâteau, ce roman est accompagné d'un CD de 10 chansons écrites par Alex Beaupain. Que du bonheur en perspective surtout que j'avais beaucoup aimé le précédent roman d'Isabelle Monnin ( Daffodil silver) et le dernier album du chanteur.
Et j'ai été emballé ....contrairement à ce que pouvait laisser entendre mon introduction !
Il me faut l'avouer, j'ai été un tout petit peu déçu par le début du livre car je ne m'attendais pas à plonger illico dans l'histoire inventée, sans doute trop attiré par le descriptif de cette démarche originale. Situé dans une province profonde et à la réalité très naturaliste, le récit tourne autour du départ d'une mère avec son amant,  laissant une petite fille, Laurence, seule avec son père et ses grands-parents. C'est joliment troussé, avec un discret hommage à toutes ses vies anonymes tout aussi porteuses de dramaturgie que d'autres, plus aisées et/ou plus parisiennes. J'ai apprécié la plume sensible d'Isabelle Monnin mais il me tardait de plonger au coeur de cette idée originale, car comme beaucoup de monde sans doute, assis à la terrasse d'un bar, j'ai souvent imaginé des vies en observant des passants ou des voisins de table ou inventé une anecdote, inspirée par une photo trouvée au fond d'une caisse lors d'un bric à brac. Lorsque se présente un roman qui reprend ces petits moments créatifs d'une vie de rêveur, on ne peut que dévorer avec curiosité ce qui va suivre.
Dans cette deuxième partie du livre, plus documentaire, nous suivons l'auteure dans sa recherche des personnages réels qu'elle finira par débusquer pas loin de la commune de son enfance. Après m'être un peu perdu dans la généalogie de cette famille ( les prénoms inventés se heurtant aux vrais ), l'enquête s'attache à Michel, le père de Laurence, personnage touchant et sensible, dont l'histoire au final pas si éloignée de celle inventée, devient vraiment émouvante. Isabelle Monnin n'hésite pas à se mettre en scène, nous faisant partager avec beaucoup de pudeur l'émotion qu'elle éprouve à voir vivre devant elle les personnes des photos. Elle comprend avec une infinie délicatesse le séisme intérieur que peut déclencher sa venue au milieu d'une vie aux apparences anodines. Son regard empli de tendresse pour ces gens lui rappelant sa propre famille est un magnifique hommage aux gens simples. L'émotion est palpable sur toute la dernière partie du livre, émotion simple mais vraie.
Evidemment quand j'ai refermé "Les gens dans l'enveloppe", j'étais sous le charme de cette jolie aventure. Il ne me restait qu'à écouter les chansons d'Alex Beaupain.
Je l'avoue, je l'avais écouté sitôt le roman acheté et j'avais été assez déçu. A tort, car, après lecture, écouter ces chansons inspirées de l'histoire de ces gens et entendre leurs vraies voix donne à ce disque une intensité soudaine qui provoque là aussi une vraie émotion. Les chansons prennent un sacré relief. On reconnaît la patte de Mr Beaupain et depuis quelques jours deux titres passent en boucle : le rythmé "Couper les virages" et le splendide "Mon cher ",  simplement mais élégamment interprétés par Clotide Hesme.
Alex Beaupain interprète ici "Couper les virages" dans une version plus lente. 


D'un projet original et ludique, Isabelle Monnin a concocté une oeuvre globale, émouvante qui  emportera sans doute les lecteurs sensibles dans des zones qu'il faudrait flatter plus souvent :   la pudeur et l'humanité.

samedi 14 novembre 2015

13 novembre, tristesse


Jour de grande tristesse, jour où l'humanité révèle encore un peu plus son inhumanité, jour où soudain le consensus national semble se réveiller encore une fois, jour où le chagrin et l'empathie l'emportent encore mais jour où l'on sent poindre les premiers propos nauséeux, récupérateurs, mercantiles et bassement matériels, jour où l'on sent bien qu'à force d'avoir vécu repliés sur nous même, égocentrés, les enjeux véritables échappent encore à beaucoup.
Rêvons d'un sursaut citoyen et mondial face au crime le plus lâche. Rêvons que cette guerre d'un nouveau genre ne nous amène pas vers le chaos.
Je ne fais pas le malin aujourd'hui, mais dès demain, je recommence, la tête haute, le coeur fier, je continuerai à écrire sur tout ce dont j'ai envie parce la connerie, la barbarie ne m'empêcheront pas de sortir, de voir, d'entendre, de donner à partager. Cette liberté là m'est chère, c'est notre ADN, et s'il faut en mourir, au moins ce sera pour une cause qui en vaut la peine.
Soyons fier de notre culture, partageons là, rêvons qu'elle puisse être un vecteur pour que le monde aille mieux, un élément d'ouverture d'esprit et de tolérance et le ferment de jours meilleurs.
Et encore une fois merci à Mr Chaplin pour son film qui a inspiré et inspirera encore beaucoup, je l'espère, des oeuvres qui enthousiasmeront le monde.

jeudi 12 novembre 2015

Le fils de Saul de Laszlo Nemes


"Le fils de Saul" arrive sur les écrans auréolé d'un grand prix à Cannes, d'une cohorte d'articles questionnant sur la représentation de l'irreprésentable, ainsi qu'un vague début de polémique lancé le jour de sa sortie par le journal Libération. Il faut sans doute tout cela pour amener les spectateurs voir durant presque deux heures un prisonnier juif enrôlé de force pour aider les nazis au remplissage et au nettoyage des chambres à gaz découvrant parmi les cadavres un jeune garçon survivant...
Sur ce sujet peu anodin dans un lieu encore moins anodin, il est difficile de rester de marbre. Après le choc de la projection, le film chemine en nous, des questions remontent, se mêlent au ressenti.
L'oeuvre est riche, forte. Pour moi il y a deux films intimement  imbriqués. Tout d'abord, l'histoire qui se déroule au premier plan, celle de Saul, personnage mystérieux,  qui s'accapare du cadavre d'un garçonnet ayant inexplicablement réchappé de la chambre à gaz mais qui mourra un peu plus tard dans les  mains d'un médecin. Il dit reconnaître son fils et n'a plus qu'une obsession, enterrer dignement cet enfant selon la tradition juive. Pour cela, il lui faut trouver un rabbin. Sa quête sera la trame du film. Son regard ferme dans lequel on lit toute l'obsession de cet homme à essayer de faire l'impossible au milieu de ce chaos, ne quittera pas l'écran, traqué par une caméra le filmant le plus serré possible. Saul, au milieu d'une mutinerie qui se fomente, choisit une révolte radicalement différente, toute empreinte de religiosité.
Ensuite, il y a un deuxième film, qui se déroule en arrière plan souvent dans le flou. C'est la représentation de la solution finale choisie par les nazis, de l'arrivée dans un vestiaire où l'on fait se mettre nus des centaines de juifs, que l'on pousse dans une chambre à gaz, que l'on ressort en les traînant par terre avant de les brûler soit dans des bûchers soit dans un four crématoire. Cette représentation que l'on pensait impossible, irregardable, est pourtant très fortement présente, surtout illustrée par les bruits de portes que l'on ferme, de corps que l'on moleste, de cris, de hurlements, de coups sur des portes métalliques, d'ordres aboyés... et des images que l'on devine mais qui ont une portée glaçante ( c'est un faible mot). Cette toile de fond nous montre que ces camps de concentration étaient conçus comme des usines de mort et n'avaient qu'un but : la productivité ! Nous sommes au coeur du génocide, tétanisés par ce spectacle qui, par la pudeur d'une caméra et d'un réalisateur sacrément virtuose, n'est jamais abject et encore moins voyeur.
Au milieu de cette folie meurtrière, l'histoire de Saul, petite histoire au milieu de la grande, a peiné à réellement soutenir mon attention, sans doute parce que je ne suis pas très sensible aux élans mystiques même si ici, c'est un des chemins possibles  pour ce personnage, dans cette situation. Cependant, le procédé de mise en scène consistant à ne suivre que le visage de cet homme transcendé par son devoir de conscience et sans doute par une voix intérieure qui le guide, se révèle aussi sophistiqué qu'intelligent, aussi puissant qu'éprouvant. Nous sommes emportés avec lui dans cette hystérie collective où l'on ne pouvait que choisir entre la mort et la mort. Le visage de Géza Röhrig, formidable acteur, nous hantera longtemps mais bien moins que cette rigoureuse et surtout irréprochable représentation, sûrement proche de l'insoutenable vérité de ces camps de la mort.
Je ne sais pas si c'est un grand film, mais certainement une oeuvre qui secoue, qui doit être vue pour son impeccable mise en scène mais surtout pour que jamais on oublie cette horreur.