JE VIENS, pourtant, fut un livre qui végétait depuis quelques mois sur ma pile à lire. On me l'avait offert mais je n'avais pas vraiment envie de m'y plonger malgré une presse plutôt dithyrambique. C'est d'ailleurs cette même presse qui m'a fait un peu reculer. Comme elle en dit souvent trop, je la parcours en diagonale... et mon oeil était tombé sur des phrases vantant la présence de fantômes dans l'histoire, dialoguant avec les personnages et tenant un assez grande importance. Mon sens cartésien, très très peu porté sur l'ésotérisme de bazar n'a fait qu'un tour et m'a fait regarder l'ouvrage avec l'envie d'un chat devant un bol de céleri rave. Et puis, un soir, un peu désoeuvré, j'ai ouvert le livre et j'ai lu le premier paragraphe. Et là, dès les premières lignes j'ai su que quelqu'un qui écrivait ce qui suit, ne pouvait pas me décevoir :
L'un des grands avantages de la négligence parentale, c'est qu'elle habitue les enfants à se tenir pour négligeables. Une fois adultes, ils auront pris le pli et seront d'un commerce aisé, faciles à satisfaire, contents d'un rien. A l'inverse, ceux qu'on aura élevés dans le sentiment trompeur qu'ils sont quelque chose multiplieront à l'infini les exigences affectives, s'offusqueront au moindre manquement et n'auront de cesse qu'ils ne vous pourrissent l'existence. Faites le test.
JE VIENS, c'est ce regard mordant sur nos vies, avec une touche d'empathie pour tous ceux qui le méritent et une plume acérée et habile qui sautille sur les mots, les situations avec un appétit féroce pour décrire les sentiments même les plus inavouables. Alors qu'importe qu'il y ait des fantômes, ce livre est pur bonheur de fantaisie, de construction, de style.
JE VIENS, sous ses allures légères, s'empare de sujets âpres comme le racisme ambiant dans toutes les couches sociales ou l'adoption comme mode de contentement et donc acte de consommation, mais aussi creuse un sillon narquois et réjouissant en décrivant la famille comme le nid de toutes les névroses ou l'enfer sur terre qu'est la vieillesse lorsqu'elle nous tombe dessus. Et malgré ce qui apparaître un handicap pour un lecteur qui souhaiterait se détendre face à notre monde, le roman emporte tout sur son passage, tel un fou du roi qui gratouille avec facétie.
JE VIENS ne se résume pas à son histoire de famille allumée mais possède un deuxième niveau de lecture tout aussi emballant, car jamais lourd, jamais prétentieux par rapport au lecteur qui ne posséderait pas les codes (au contraire même, partageuse, l'auteur se débrouille avec finesse pour justement enrichir celui qui ne les possède pas). Un jeu perpétuel ( et érotique) avec certains contes classiques ( ici, la belle au bois dormant et la chèvre de Mr Seguin) qui prennent un sens psychanalytique franchement marrant. Et puis d'autres références peuvent faire plaisir aux amateurs de clin d'oeil. J'en ai vu quelques unes mais je suis persuadé que le texte en recèle beaucoup, placées avec talent, pour ne jamais ralentir ni baisser le régime du récit.
JE VIENS a été un formidable moment de lecture, un de ceux dont on se dit après avoir tourné la dernière des 462 pages que compte ce livre : Zut, c'est déjà fini ! J'ai été happé par cet univers bourré d'imagination, ludique, caustique. Même si certains narrateurs sont franchement imbuvables ( Gladys, la mère végétarienne, bouddhiste, sans gluten, ayant essayé de rendre sa fille adoptive après un an d'adoption pour incompatibilité d'humeur ), l'écriture fluide et inventive d'Emmanuelle Bayamack-Tam balaie tout sur son passage pour notre plus grand plaisir.
JE VIENS est le plus merveilleux cadeau que j'ai eu en cette fin d'année 2015 par ailleurs si sinistre. C'est la promesse, que quoi il se passe et arrive, certains d'entre nous ont le don pour nous insuffler de l'énergie en offrant cet inestimable expérience d'une lecture qui nous enthousiasme et que l'on a envie de partager.