vendredi 30 mai 2014

Sagan 1954 d'Anne Berest


Depuis sa disparation voici bientôt 10 ans , Françoise Sagan n'a guère quitté les rayons des librairies. En plus de ses oeuvres que son fils réédite, bon nombre de biographies sont venues entretenir le mythe de celle qui a marqué son époque, plus peut être par sa vie romanesque que par ses écrits.
Anne Berest avec "Sagan 1954" apporte une nouvelle contribution au rayon déjà bien fourni des hagiographies. En choisissant un angle un peu différent, celui de la possession au delà du temps de la célèbre auteure sur une jeune femme d'aujourd'hui, le livre échappe aux catégories. Essai ? Autofiction ? Roman ? Biographie ? Un peu tout cela mais aussi une bien jolie évocation.
En replaçant la romancière dans son année 1954, année cruciale, où la jeune Françoise Quoirez va déposer son manuscrit chez trois éditeurs et dont, Julliard, le premier à réagir, va faire d'elle une star de la littérature, Anne Berest circonscrit l'intrigue dans cet entre-deux où se jouent tous les possibles. C'est tout d'abord le portrait d'une époque guindée, où les jeunes filles s'habillaient comme leurs mères mais où les premiers sex-symboles apparaissaient ( Bardot pointait son nez mutin, Marlon Brandon n'avait qu'un tee shirt blanc sous son blouson de cuir ), C'est surtout un vibrant hommage à celle qui, à travers le temps, continue à nourrir l'imaginaire d'une nouvelle génération d'écrivaine, cherchant à travers elle les clés, mais aussi la force, d'écrire pour vivre.
Aux éléments biographiques, Anne Berest s'amuse à inventer,avec beaucoup de respect, des dialogues où des situations que Sagan aurait pu vivre à l'époque mais glisse aussi dans le récit des éléments personnels de sa propre vie. Elle se sépare de son mari, éprouve quelques difficultés à écrire son roman, doute, cherche dans son quotidien des moteurs qui pourraient la faire avancer dans son écriture. Ce n'est peut être pas ce que je préfère dans le livre, car la figure emblématique de Sagan s'impose avec force face à la jeune femme actuelle. Elle a beau lui insuffler forces et signes de connivence, Sagan est tellement romanesque, même à ses débuts, qu'elle affadit tout ce qui l'approche et hélas un peu trop les petites histoires d'Anne Berest, rendant le livre un peu bancal.
Cependant, une belle écriture fluide, presque saganesque, offre une lecture agréable pour tous les amoureux du personnage Sagan et nous replonge avec nostalgie dans cette époque où les premiers bastions de la bien pensance furent allègrement mis à mal par quelques jeunes filles atypiques.

Merci à Babelio et aux éditions Stock de m'avoir permis de découvrir ce livre.
 Roman  lu dans le cadre de "Masse critique " du site Babelio.

lundi 26 mai 2014

Le roman de Louise d'Henri Gougaud



Le titre dit bien ce que l'on va trouver durant les 240 pages du livre : un roman. Henri Gougaud ne travestit pas la réalité de la vie de cette infatigable militante, il l'enjolive de son impeccable écriture, rendant ce parcours de combattante incroyablement vivant.
De l'enfance de Louise Michel, élevée dans un château au fin fond de la Haute Marne par des bourgeois au grand coeur, alors qu'elle n'est que le fruit d'une liaison de sa mère servante avec un des fils de la maison, à sa vie en Nouvelle Calédonie, l'auteur suit pas à pas ce parcours hors norme. Femme volontaire, éprise d'indépendance et ayant cette soif d'absolu qui la fait passer pour une femme exaltée, celle qui a donné son nom à tant d'établissements scolaires nous est présentée comme une personnalité hors norme. Toute sa vie a été entièrement dévouée aux autres, aux plus pauvres surtout, aux opprimés. Symbole de la résistance et de la fidélité à ses idées de justice et de solidarité, elle est vraiment la figure incontournable des causes justes.
Henri Gougaud, tout en truffant son récit de petits détails historiques ou sociologiques, rend hommage à cette femme de la plus jolie des manières, en nous la rendant la plus vivante et la plus juste possible. Même si sa vie a été uniquement guidée par la révolte contre un monde injuste, laissant de côté une vie plus personnelle pour ne se consacrer qu'au bien être des démunis, l'auteur sait trouver les mots pour que le lecteur l'accompagne dans ses nombreux combats. On est emporté avec elle, on sent les balles et les sabres de la Commune nous effleurer, le vent souffler dans nos cheveux quand un vieux rafiot l'emporte en exil, les condamnations nous révolter.
Lire en 2014  le parcours hors norme de cette femme, est troublant car on aimerait qu'apparaisse aujourd'hui un être de cette trempe qui sache soulever les foules et les gens simples avec des idées sans aucun relent d'opportunisme, de racisme et de division. Mais il est bien loin le temps des cerises et inquiétant que nos sociétés, pourtant si peu égalitaires, ne puisse faire jaillir au moins un personnage sachant redonner de l'espoir et surtout l'envie de combattre ce mal rampant qui s'insinue un peu plus chaque jour dans nos vies.


jeudi 22 mai 2014

Deux jours et une nuit de Luc et Jean Pierre Dardenne


Il y a du soleil dorénavant dans le cinéma des frères Dardenne, mais il ne brille que dans le ciel et est loin de rendre la misère plus belle. Sandra, l'héroïne du film n'est pas misérable loin de là. Ouvrière dans une petite entreprise de panneaux solaires et avec son mari cuisinier dans une cafétéria, ils vivent dans un petite maison qu'ils viennent d'acheter. Mais quand suite à une négociation, elle devient l'objet d'une transaction ignoble (soit elle est virée et ses collègues restants empochent une prime de 1000 euros ou elle reste, mais personne ne touche rien), la précarité, la misère sont sur le point de la rattraper. Au moment où le film démarre, le choix est fait, ses collègues ont choisi la prime. Elle va tenter durant un week end de les convaincre un à un de renoncer à leur argent pour qu'elle puisse ne pas perdre son travail.
A part le point de départ que je trouve moyennement crédible, le film est une petite merveille de mise en scène. Alors que tout peut paraître répétitif, Sandra sonne inlassablement aux portes, débite le même discours, l'intensité augmente de scène en scène. Chaque coup de sonnette fait apparaître un personnage, un ouvrier. En quelques secondes, quelques mots aux apparences anodines et des plans d'une efficacité redoutable, une situation nous saute à la figure, épinglant subtilement un aspect de ce que tout le monde appelle désormais la fracture sociale. Et se succède ainsi, des hommes, des femmes, englués dans un quotidien morne, où un euro est un euro, aux prises avec un société qui les utilisent encore mais les a déjà relégués à la marge. La casse lente du monde ouvrier nous est présentée avec une telle subtilité qu'insidieusement l'émotion monte d'un cran à chaque nouvelle rencontre. Si le scénario impeccable et la mise en scène jouant parfaitement avec nos nerfs comme dans tout bon thriller sont d'une efficacité indéniable, Marion Cotillard, est, elle aussi, pour beaucoup dans la réussite de ce film. C'est bien simple, alors que je ne suis pas très fan de l'actrice, force m'est de reconnaître qu'elle est absolument sensationnelle. Débarrassée de ses oripeaux de star griffés Dior, elle est Sandra sans aucune équivoque. Tour à tour vibrante, angoissée, pugnace, désespérée, elle incarne parfaitement l'ouvrière licenciée et fait totalement oublier la star internationale. Un prix d'interprétation féminine peut lui être remis sans l'ombre d'une contestation.
Passionnant portrait d'une femme aux prises avec un  libéralisme outrancier, "Deux jours et une nuit "  est également celui d'une ouvrière qui voit disparaître toute une classe sociale, victime d'un système qui a tous les moyens pour casser la solidarité qui devrait unir les êtres. Malgré le soleil qui brille en permanence durant ces deux jours, il n'y en a de moins en moins dans les coeurs et les têtes. Quelques uns résistent encore parce qu'ils ont pu sauvegarder un peu d'humanité dans un coin de leur tête. Sandra est de ceux là mais pour combien de temps encore ?
Ce nouvel opus des frères Dardenne est à voir absolument car plus qu'un témoignage, il est également la parfaite illustration de ce que le cinéma peut donner de meilleur en ce moment. Inspiré, remarquablement écrit et interprété, il véhicule une humanité sans ambiguïté, une profondeur d'âme sans égale et un respect absolu tant pour ses personnages que pour les spectateurs. Du grand cinéma qui vous prend aux tripes. Il serait idiot de s'en priver et de faire l'impasse.




mercredi 21 mai 2014

Mon père ce héron de Jul


Deuxième album de "bande dessinée pour enfants" des éditions Rue de Sèvres, "Mon père ce héron" est comme le premier un coup d'édition. Je m'explique. Comme l'effroyable "Les Tchouks" dont je vous ai parlé l'autre jour, on a été débaucher un auteur adulte à succès, ici l'humoriste Jul ( Kérascoët pour "Les tchouks" ). Bonne idée sur le papier, moins convaincu, par contre, par le résultat....
L'histoire se passe autour d'une mare où des grenouilles bavardent. Complètement mythomanes et surtout joueuses, elles fanfaronnent autour de supposées activités de leur géniteur. Toutes rivalisent d'invention pour clouer le bec (heu pour les grenouilles?...) aux copines. L'un est animateur télé et préposé à la météo, un autre toréador ou styliste en grenouillère, jusqu'à ce qu'une, plus futée lâche que son pire est un héron ! Le héron, l'ennemi juré des grenouilles, ne tardera pas à s'emparer de cette menteuse pour son déjeuner. Je ne raconte pas la suite, joyeux mélange d'humour avec un soupçon d'écologie.
Avec mes yeux d'adulte, j'ai bien ri à la lecture de cet album. Cependant, il m'a semblé évident que la cible des enfants autour de 6 ans était ratée. Si je me marre devant un Karl Lagerfeld grenouille (le père styliste de mode ) , en revanche, je suis nettement moins sûr que l'enfant ait la référence (tout comme la définition du terme grenouillère....). Comme l'histoire grouille de ces sortes de clin d'oeil, fonctionnant bien auprès des parents, j'ai testé l'album auprès d'enfants de 5/6 ans, favorisés socialement. (La cible exacte de l'éditeur ). S'ils ont bien perçu que l'album se voulait rigolo, s'ils ont aimé le dessin des grenouilles, très expressives et vraiment hilarantes, les nombreuses références qui font le sel de cet album leur sont parfaitement passées au-dessus de la tête. Normal, je pense. L'univers des enfants d'aujourd'hui a bien d'autres références que celles d'un couturier allemand collet-monté ou d'une grenouille dans un bocal....
On ne s'improvise pas auteur pour la jeunesse. Ce n'est pas parce qu'il y a plein de rainettes craquantes et à l'humour ironique sur toutes les pages, qu'un album est réussi. Mais comme ce sont les parents qui détiennent la carte bleue, ce sont eux les vraies cibles de l'éditeur. A ce jeu là, je ne suis pas sûr que les enfants soient gagnants... Et puis ultime coup de griffe,quelques bulles sortant de la bouche des animaux font elles pour autant une bande dessinée ? Pour moi, c'est juste un album jeunesse... Par contre, il est indéniable que celui-ci m'a fait marrer, c'est déjà ça ....


dimanche 18 mai 2014

Welcome to New York d'Abel Ferrara


J'ai testé le nouveau modèle économique pour le cinéma lancé hier à 21 h  par Mr Maraval. J'ai acheté en VOD (Vidéo à la Demande) le nouveau film d'Abel Ferrara sur l'affaire DSK "Welcome to New York", qui n'a pas droit au circuit traditionnel des salles. J'ai prouvé en l'achetant pour le visionner dans mon salon,que le système était peut être viable, ou, tout du moins, qu'il y avait une clientèle potentielle. 
J'avertis ici Mr Maraval qu'il serait étonnant que je renouvelle l'expérience. Sans parler déjà de la qualité du film proposé, j'avoue que je préfère le grand écran dans le noir d'une salle de cinéma pour découvrir une oeuvre, seul face au film. Chez moi, malgré un téléviseur grand écran, un rien vient vous distraire, du chat qui se love sur vos genoux, au téléphone qui veut vous vendre une cuisine ou au voisin qui n'a plus de beurre pour accompagner ses spaghettis. Et puis découvrir un long métrage en salle avec d'autres personnes qui réagissent autour de vous est une expérience difficilement remplaçable. Donc, Mr Maraval, les prochains films que je verrai ce sera en salle ! Même un navet aura plus de relief !
Pour revenir à nos moutons, " Welcome to New York", malgré un lancement tonitruant à base de scandales et de polémiques, possède un handicap de poids : Gérard Depardieu ! Non, je plaisante, son vrai handicap, c'est son histoire que tout le monde connaît de A à Z. Il faut donc que le film soit sacrément original, développe un point de vue particulièrement pertinent pour qu'il puisse nous passionner. 
Hélas, le film de Mr Ferrara ne possède rien de tout cela. C'est même le contraire ! Il se dégage de ce film un parfum nauséabond de bâclage et de je m'en foutisme qui le rend, pas scandaleux ce serait lui faire trop d'honneurs, mais à ranger dans la catégorie "daube de l'année". 
Le film débute par un prologue intrigant. On assiste à une interview de Depardieu nous donnant son avis sur l'affaire DSK et sur son désintérêt pour les hommes politiques. Panique du spectateur que je suis, maniement énervé de la zappette. Zut, j'ai mis les bonus ! Mais où est donc le film?  Quelques manipulations hystériques plus loin, je m'aperçois que c'est bien le film puisque voilà le générique !
L'histoire débute par de longues scènes avec des putes qui sucent allègrement notre Gégé national (enfin Déveraux alias DSK mais on a du mal à voir quelqu'un d'autre que l'acteur) qui jouit en poussant de drôles de hululements. Et quand la première vague de prostituées quitte l'hôtel, arrivent aussi sec une nouvelle bande pour de nouvelles scènes complaisantes, glauques et vulgaires.  On sent que le réalisateur s'est bien fait plaisir.... Puis enfin, la femme de chambre entre dans la chambre dévastée de  GégéDSKdéveraux, et, dans une scène au ridicule fini, se fait donc violenter par l'érotomane français. Suivent les épisodes archi connus de cette affaire. Le film passe finalement assez vite sur l'enchaînement des faits, s'attardant juste sur une fouille au corps de GégéDSKdéveraux, nous exhibant la nudité callipyge de l'acteur, seul moment assez touchant.
Puis nous nous enfonçons dans un long face à face de l'homme politique et de sa riche épouse. En plus d'être mal joué, les dialogues sont d'une débilité sans nom et déversent, c'est vrai, des propos aux relents antisémites. En plus d'être rasoir, le film sombre inexorablement dans le néant, un néant dans lequel il aurait dû rester. 
"Welcome in New York" est un film moche sur tous les plans : laideur de l'image, du propos, du jeu des acteurs et surtout laideur du projet, de la conception à la distribution, surfant sur une vague voyeuriste et mercantile des plus puantes. A fuir !




vendredi 16 mai 2014

La chambre bleue de Mathieu Amalric


C'est un film étrange. En sortant de la salle, on est un peu déçu, et puis, il s'insinue en vous au fil des heures. Des images réapparaissent furtivement dans votre mémoire, continuant à vous intriguer, vous poursuivre. 
L'histoire est classique. Des amants dans un hôtel se retrouvent pour faire l'amour. Mariés tous les deux, ils vivent cette passion charnelle avec frénésie. Mais la mort de l'époux de l'une puis de l'épouse de l'autre va gripper cette belle harmonie. Qui a tué ? Sont-ce des amants diaboliques ? L'un a-t-il manipulé l'autre ? 
Intrigue classique, peut être un peu datée pour se dérouler de nos jours. (Aujourd'hui, on se débarrasse d'un conjoint par le divorce ou alors l'amour rend fou mais dans ce cas là, on trucide tout le monde, enfants compris !) Je l'avoue, en regardant les premières scènes, j'ai eu l'impression que Mathieu Amalric, mettait en scène de façon un peu narcissique et un brin exhibitionniste sa relation avec sa compagne à la ville et partenaire ici. Ils ont de beaux corps qu'ils exposent sans trop de pudeur mais avec une image soignée. La sensualité est là et sert évidemment le film. Puis l'histoire prend une autre allure. L'enquête commence, menée par un juge prenant de plein fouet cette passion qui l'interroge plus en profondeur qu'il n'y paraît, mais nourrie à l'écran par un montage sophistiqué de flash-backs eux même composés de plans fixes, s'attardant sur des petits détails. Cette manière impressionniste d'irriguer le récit donne au film un aspect fouillé sans être vraiment ardu. Ce procédé est de plus magnifié par une très belle photo vraiment inspirée. Cependant, le réalisateur  n'arrive pas à gommer l'aspect suranné du roman, même si à l'image l'opposition de la maison ultra moderne et glaciale du personnage principal avec la chambre bleue puis la cour de justice est plutôt bien vue. Alors on regarde tout cela avec intérêt, tout en se demandant où cela va aboutir, car on se rend compte assez vite que trouver le ou les coupables n'est peut être pas le but premier. On se situe dans une zone floue incluant une plongée dans l'intime d'un homme qui doute ou qui dissimule et le jeu d'un cinéaste avec tous les codes du polar judiciaire. Sur le moment, on admire la maîtrise de tout cela mais sans être totalement convaincu. On en ressort un peu déçu mais, et c'est sûrement la force de cette "chambre bleue", les images m'ont poursuivi pourtant. Le fait que l'histoire garde ses zones d'ombre associée à ces plans si précis et si marquants du réalisateur, donne un film pas si anodin que cela dégageant, au final, un parfum subtil et entêtant qui restera dans les esprits.







jeudi 15 mai 2014

Grace de Monaco d'Olivier Dahan


Le film démarre par une citation de Grace Kelly (extraite sans doute du bac philo 2013 de la principauté) : "L'idée que ma vie soit un conte de fées est déjà un conte de fées."
La ligne directrice est donnée, ce sera un conte de fées... donc ....
Il était une fois, une très jolie actrice oscarisée et célèbre, qui par amour pour un prince quitte les sunlights artificiels pour ceux plus naturels de la Riviéra. Le beau prince, c'est Rainier de Monaco, régnant sans partage sur un bout de rocher. Il n'a pas un physique de rêve, le charme semble absent, mais l'amour est aveugle ! Et que l'on ne vienne pas dire qu'elle l'a épousé pour l'argent, les caisses monégasques sont vides ! Elle l'aîîîme donc !
Deux enfants plus tard, constamment suivie par une duègne à cheval sur le protocole, Grace glisse nonchalamment sur les parquets vitrifiés du palais. Elle sourit, elle est heureuse. Elle voit peu son mari qui ne l'embête pas, ils ont la bonne idée de faire chambre à part. Soudain, Alfred Hitchcock vient lui proposer un rôle dans son prochain film. Le front de Grace se plisse de souci. Là, il faut le dire, Mlle Kidman qui joue Grace, a un peu de mal à rendre l'expression intense, disons que le trop plein de botox ne lui permet que d'esquisser un léger frémissement d'oreille. L'angoisse monte ... Rainier acceptera-t-il ? Comme il a d'autres chats à fouetter et notamment un honteux blocus mis en place par de Gaulle risquant d'affamer tout le royaume, voire, si l'on en juge les réunions au sommet dans lesquelles nous sommes invités à assister, une troisième guerre mondiale, il donne son feu vert. Du coup Grace roule à 300 à l'heure sur des routes sinueuses, répète d'arrache pied son rôle de blonde frigide et se confie à son meilleur ami, un prêtre, sans qu'il y ait la moindre anguille sous roche.... c'est un conte de fées, je vous rappelle.
Las ! La situation géopolitique évolue mal. Entre un complot fomenter par une perfide belle-soeur et les menaces des chars français risquant d'anéantir la principauté, le projet cinématographique tombe à l'eau. Mais Grace n'écoutant que sa bravoure, va passer à l'action. Super Grace is back ! De l'ex actrice tirée à quatre épingles, on passera sans ciller à la candidate à la canonisation, mais en tailleurs griffés et en Rolls-Royce, faut pas charrier non plus ! Comme son image est déplorable auprès de la population locale (qui est au bord de recevoir une bombe atomique sur la tête, je vous le rappelle), Grace fonce sur le premier marché venu et propose gracieusement son aide à une  brave maraîchère, lui vendant son stock de patates aussi rapidement que des carrés de soie un jour de soldes chez Hermès. Action réussie, les locaux sont conquis ! Puis sus aux bonne oeuvres ! L'hôpital pour les enfants de Monaco ressemble à un orphelinat du Lesotho qui aurait subi les assauts successifs de hordes barbares et de douze bombardements ? Illico, Grace convoque quelques amies riches et organise une grande réception pour organiser sa réhabilitation qui servira aussi de piège géopolitique, attirant un général de Gaulle de retour de huit semaines de farniente aux Seychelles (si l'on en juge par le comédien qui l'interprète, ce dernier ayant profité pleinement de la piscine mise à disposition par la production) et qui subira un discours niaiseux d'adolescente succombera aux charmes de cette princesse finalement redoutable.
Je ne raconte pas la fin. Grace et Rainier finiront-ils par refaire chambre commune ? Albert continuera -t-il d'ennuyer sa soeur Caroline ? Grace sera-t-elle béatifiée ? Onassis succombera-t-il aux charmes de Rainier  de la princesse ? Je ne dirai rien, je ne veux pas gâcher votre plaisir !
Plus ringard qu'un reportage de "Point de vue " ou du défunt "Jours de France", plus sirupeux qu'un roman à l'eau de rose des années 30 , plus hagiographique qu'une bio de Bernadette Soubirou par soeur Marie des anges, "Grace de Monaco" est tout de même une curiosité. Comment peut-on produire en 2014 une telle pâtisserie sucrée jusqu'à l'écoeurement ? Si j'ai du mal à croire que la famille Grimaldi soit choquée par ce film, je peux par contre comprendre la colère du distributeur américain qui refuse de le montrer tel quel. Comment redonner du lustre à ce film, comment enlever toutes ces minauderies, cette fausse tension politique ridicule ? Il veut remonter le film, le rendre plus pêchu ? Sacré boulot et je serai curieux de voir le résultat....il serait étonnant qu'il soit pire...




mardi 13 mai 2014

Les Tchouks, on fait une cabane ! de Benjamin Richard et Kerascoët

Il peut sembler normal pour les nouvelles éditions "Rue de Sèvres", spécialisées dans la bande dessinée, de publier une collection adressée aux jeunes enfants. Sa proximité avec l'Ecole des Loisirs ( elles en sont une des extensions) leur offre un point de vue privilégié. C'est donc avec une grande curiosité que j'ai ouvert cette première parution : "Les tchouks : on a fait une cabane !". J'ai lu. J'ai relu. Je l'ai fait lire autour de moi à des adultes qui s'occupent de la petite enfance.Tous,on a eu le même avis : c'est nul !
C'est le premier mot qui est venu chez tout le monde ! C'est dur de le dire comme ça, mais hélas c'est la vérité.
Ces mots si durs sont évidemment à l'image de la déception éprouvée. Comment une maison d'édition ayant pignon sur rue peut publier un truc aussi bas de gamme  mais fleurant également le mauvais marketing ?
C'est l'histoire (?) d'un groupe d"amis (?) dont les noms sont tous en "chouk". Si l'on ne prend pas le temps de les détailler dès l'ouverture de l'album, on ne sait pas trop par la suite  quel personnage parle ni où il se situe dans la page. Un peu gênant mais on arrive à s'y faire. Dans celui-ci , ils veulent construire une cabane qui aura la particularité de ne pas pouvoir accueillir de grands. Rien de neuf sous le soleil, ils la construiront, essuieront un méchant orage et éprouveront avec satisfaction la super solidité de la construction.
J'ai eu l'impression que pour cette bande dessinée ( ? ) que l'on avait cherché de mettre là-dedans tous les ingrédients qui plaisent aux enfants et aux parents. Pour les bambins, quoi de plus mignon qu'une bande d'animaux composée d'un lapin, un hérisson, un ours , d'un chien, d'un chat, d'un mouton, ... ? Pour les parents, un texte rappelant le Petit Nicolas et, cerise sur le gâteau, deux pages vaguement documentaires (ici sur les maisons et sur l'autre album de la série des bateaux) pour donner une caution pédagogique à la chose. Le problème, c'est que rien ne fonctionne. Le ton adopté par le texte, un peu ampoulé tout en se voulant proche d'un soi-disant langage enfantin, est tout sauf intéressant. (Notons cette sublime phrase : "Patatchouk est revenu en courant... juste avant qu'il y ait un orage du tonnerre avec des éclairs qui éclairent et des tonnes de tonnerres. "). La page documentaire tombe comme un cheveu dans la soupe et les dessins, entre Emilie et le Petit Prince paraissent un rien mièvres.
Finalement, pensant que je n'étais pas la cible idéale des aventures des Tchouks, j'ai lu cet album avec un groupe d'enfants de la tranche d'âge adéquate (4/6ans selon l'éditeur). J'ai mis tout mon coeur dans la lecture (et franchement il m'a été difficile de trouver un ton intéressant dans ce texte aux dialogues soi disant drôles mais surtout lourdingues ). J'ai eu droit à une écoute polie (les enfants sont vraiment bien élevés de nos jours !) mais au final, lors d'un débriefing amical, l'indifférence polie a été de sortie. Les albums des Tchouks ont été mis en évidence dans la bibliothèque de la classe....et depuis, ils prennent la poussière, ils n'ont jamais été repris !
Je ne comprends pas bien l'intérêt de ces publications sauf que peut être les Tchouks veulent tailler des croupières aux best sellers pour enfants dans les rayons des supermarchés. Mais moins clinquants que Martine, moins joyeusement colorés que les petites bêtes d'Antoon Krings, je pense qu'ils auront du mal à attirer le chaland. Espérons toutefois pour l'éditeur que je me trompe lourdement mais, s'il veut faire de la vraie BD pour enfants, il serait peut être urgent qu'il aille lorgner chez le concurrent (mais vrai spécialiste ) Dupuis et sa formidable collection Puceron à partir de 3 ans, mais surtout qu'il n'essaie pas de transformer un album quelconque en vague BD sous le prétexte qu'apparaissent trois ou quatre phylactères comme c'est le cas ici .
Album lu dans le cadre de "Masse critique " du site Babelio.

lundi 12 mai 2014

Mylène Farmer, Timeless 2013, le film de François Hanss


J'ai eu le privilège d'assister à la projection de la captation du dernier spectacle de Mylène Farmer. Je dis privilège car c'est le directeur de Pathé-Le Mans qui nous l'a martelé, tellement il était fier de cette présentation dans son ciné. Il a même ajouté que c'est Mylène elle-même, qui avait validé la copie quelques jours avant sa projection (ici, petits applaudissements dans la salle cachant mal un râle de satisfaction de la part des nombreux fans, certains venus de très loin).
Confortablement installés dans nos fauteuils, l'ambiance n'était pas celle d'un vrai concert, loin de là ! Tout le monde attendait sagement le lancement du film de François Hanss. Même lorsque la sono en thx méga super giga dolby (cela signifie en fait que le son est bon ET fort) a commencé à cracher ses décibels, pas l'ombre d'une impatience n'a semblé réveiller la salle, contrairement à la semi hystérie des 10 000 personnes agglutinées dans la salle de concert de Lyon qui s'agitaient sur l'écran. L'ami qui m'avait dit que je risquais de me retrouver torse nu, dansant sur une baffle se trompait lourdement. Hormis quelques applaudissements, quelques rythmes scandés du bout des mains et une dame debout les yeux écarquillés durant toute la séance, aucune manifestation hystérique n'est venue enjoliver la soirée. Le public était plutôt sage, comme en communion, buvant les paroles de la diva rousse avec piété. Seules quelques larmes furent essuyées lors des morceaux lents et surtout lorsque Mylène a entonné "Regrets", hymne qui fait couler des torrents lacrymaux depuis une bonne décennie lorsqu'elle l'offre, vibrante d'émotion, à une foule en pâmoison. 
C'est bien beau de décrire les fans vautrés mais le film, comment est-il ? Sans être un spécialiste des concerts filmés, ni ne pouvant comparer avec l'original mais ayant déjà visionné les précédentes captations, je dirai que celle-ci est de bonne facture. En ayant comme projet de faire sentir la communion de l'artiste avec son public, et vice versa, le film arrive à faire passer une certaine émotion. Même si cela ressemble parfois à des pèlerins s'extasiant devant l'apparition soudaine d'une quelconque vierge Marie, la ferveur que suscite Mlle Farmer est palpable, gagnant même notre salle de ciné à certains moments. 
Le show, tel qu'il est présenté, m'a paru moins grandiose qu'à l'habitude. Bien sûr, un  déluge de lumières sophistiquées, des robots high-techs et une vigie qui survole un public ébahi, montrent la grande technicité et l'extrême créativité de l'ensemble. Accompagnée de danseurs torse nus (eux !), Mylène nous prouve que malgré sa cinquantaine elle reste encore agile, pas une danseuse étoile évidemment, mais une show girl impeccable. Cependant, en virant le spectaculaire, la voix de la chanteuse est désormais mise en avant. Plus affermie, elle  possède dorénavant une sonorité plus profonde. Plus besoin d'une débauche de moyens, c'est elle qui finalement fait le spectacle. Sachant alterner avec bonheur morceaux rythmés et balades vibrantes d'émotions, la performance vocale est bien là. Je suis même persuadé que seule avec un micro, elle pourrait embarquer Bercy sans problème. Plus sereine m'a-t-il semblé, apaisée sans doute, elle use de quelques provocations avec légèreté, histoire de ne pas casser cette image de diva un peu sulfureuse, simulant une fellation rapide avec son guitariste et habillant musiciens et danseurs avec des jupes/pantalons.  
Une fois les lumières rallumées, les larmes d'émotion séchées, le réalisateur François Hanss a répondu à quelques questions du public. On a senti que les fans mouraient de curiosité pour essayer d'en savoir un peu plus sur leur idole, mais n'ont guère osé s'aventurer à poser des questions franches. Seule une perfide a eu le culot de demander si le réalisateur avait eu ordre de ne filmer que le profil gauche de la chanteuse puisque le profil droit échappe à tout plan ! A cette remarque, il lui fut répondu que cette fois-ci les gros plans du visage de Mylène étaient bien plus nombreux qu'à l'habitude...et que passer vingt ans à filmer la star, lui faisait avoir des réflexes qui n'avaient besoin d'aucun commandement !
En conclusion, voir sur grand écran la captation d'un concert ne remplacera jamais l'émotion du réel, surtout quand il s'agit de Mylène Farmer. La tension émotionnelle qui parcourt les salles immenses où elle se produit est difficilement reproductible. Cependant le film "Timeless 2013" arrive à la rendre par moments palpable. Alors, pour ceux qui l'aiment et ceux qui n'ont pas eu l'opportunité (ou les moyens ) de se rendre à son concert, ce DVD devrait faire à la fois office de témoignage d'un fabuleux moment passé ou de séance de rattrapage. Ce sera surtout au final, la preuve que son statut de star de la chanson n'est finalement pas usurpé, tellement ce film souligne le talent de parolière et d'interprète de Mylène. (Ben oui, j'ai été conquis .... comme quoi même quand on ne voit pas les artistes sur scène ...)

dimanche 11 mai 2014

Une affaire de caractères de François Ayroles



L'oubapo est "l'ouvroir de bande dessinée potentielle" créé en 1992 par tout un groupe d'auteurs de bande dessinée sur le modèle de l'oulipo de Georges Perec. Régulièrement ceux-ci publient des ouvrages excitants pour l'esprit, aux contraintes ludiques étonnantes. ( Contes et décomptes d'Etienne Lécroart en 2012 
François Ayroles avec "Une affaire de caractères" n'est pas tout à fait dans l'exercice oubapien même si l'on voit bien les contraintes qu'ils'est donné. Cet album, aussi étrange que cela puisse paraître, est un polar, discret hommage aux "Dix petits nègres " d'Agatha Christie. Pour me fondre dans la thématique de l'histoire, il vaudrait mieux évoquer "ABC contre Poirot", les lettres ayant tellement d'importance dans le récit.
La première case de l'album représente un A et la dernière , évidemment, un Z. Mais pour aller de A à Z, le chemin que nous fait emprunter François Ayroles est pavé d'invention et de drôlerie. Il nous conduit à Biblosse, ville étrange, où vivent tout un tas de gens lettrés ou travaillant autour des lettres. Il y a un porteur de livres spécialisé dans les guides, des joueurs de scrabble, des personnages qui ne parlent qu'en employant une seule voyelle ( A part ça, t'as d'l'armagnac ?), d'autres qui inversent quelques lettres ou ne parle qu'en définition du dictionnaire. Et au milieu de cette faune étrange, un meurtre ! Un cul de jatte au corps en forme de D est retrouvé mort dans un puits. On en conclut à un assassinat et déboule alors un inspecteur de police qui va en perdre le peu de latin qu'il possède au contact de tous ces suspects si bizarres. Mais les meurtres vont se succéder, tous en rapport avec les lettres, de plus en plus loufoques mais aussi de plus en plus intrigants.
Si au départ la lecture de cet album peut sembler un peu étrange dans sa mise en place, la perception de son esprit ludique se fait de plus en plus prégnante au fil des pages. Biblosse et ses habitants deviennent le théâtre d'un scénario aussi diabolique que stimulant. Tout fait sens, chaque personnage, chaque cadrage apporte son lot d'invention à ce thème des lettres. Ce qui paraissait incongru devient soudain évident, le bizarre passe à l'hilarant et le récit malgré toute ces variations infinies, ces clins d'oeil, aux mots, à la littérature ( et notamment à Hergé), finit par retomber sur ses pattes. De la haute voltige, du grand art !
Pour renforcer la sensation de décalage, le dessin adopte des tonalités pastels, renforçant l'impression d'un monde à part où, malgré les nombreux meurtres, règne une gentille folie douce.
Cet album, un peu OVNI, séduira tout autant les amoureux des jeux de lettres, que les fans de BD amoureux de Georges Perec. Joueur jusqu'au bout, il ravira également les adeptes de polars originaux qui y trouveront l'enquête la moins banale de l'année !







jeudi 8 mai 2014

Carnaval de Manuel Blanc



Manuel Blanc est comédien ( chez Téchiné, Laurent Bouhnik, ...). Il publie son premier roman "Carnaval" et,  franchement, c'est sans conviction que j'ai ouvert son livre. Des consoeurs ou confrères s'y sont essayés avant lui ( Anaïs Jeanneret, Sylvie Testud, ...) avec plus ou moins de bonheur. On doute parfois de la totale nécessité de ces publications... Mais là, je l'avoue j'ai été bluffé. Il y a dans ce roman une atmosphère très particulière qui m'a accroché et enveloppé jusqu'au bout.
Difficile de résumer l'histoire, qui est un moment suspendu durant le carnaval de Cologne. Il y a le narrateur, acteur qui essaie de retrouver son dernier amour parti quelques semaines plus tôt. Il y a ce moment unique où tout le monde déambule déguisé dans les rues de cette ville plus connue pour son eau que pour ses festivités. Il y a un film qui se tourne, une boîte à sommeil borgne, une "phéronome party" et des déguisements de gorille puis de Batman endossés par cet homme perdu. Surtout, il y a des regards, le regard, les yeux, la vue, ce que l'on voit, ce que l'autre voit, éléments essentiels de ce livre, très visuel. Le cinéma, la photographie, l'image de soi, l'image intérieure, les émotions que livrent les images volées forment un kaléidoscope sensoriel assez vertigineux. C'est un peu "arty" dans la démarche mais, visiblement, Manuel Blanc a des choses à dire et les fait ressentir très fort. J'ai été très vite dans la peau du narrateur. J'ai été Batman perdu dans la contemplation des vitraux de la cathédrale de Cologne. J'ai déambulé dans les rues en fête en faisant claquer ma cape au vent, le coeur lourd des étrangers égarés dans une ville, à la recherche d'un amour désormais impossible.
Sous le masque du super-héros, on avance anonyme pourtant. On est vu sans être reconnu. On voit sans révéler ses émotions. Et quand des peaux viennent s'associer aux regards, peaux de femmes, peaux d'hommes, on s'abandonne à ces contacts pour essayer d 'oublier la tristesse, le temps assassin.
Ce roman, écrit simplement, sans fioriture apparente, est un voyage sensoriel assez intense. Je ne dis pas que tout le monde est prêt à faire ce voyage, ce livre relève de l'intime. J'ai eu peut être la chance de le lire au bon moment, un moment où j'étais en état de le recevoir.
Reste toutefois que "Carnaval" est une jolie réussite. Les mots se font images et les images que le lecteur se crée deviennent émotions. Et au-delà de sa pose qui peut paraître branchouille, on sent sous la plume de Manuel Blanc, la sensibilité d'un homme de talent.





mardi 6 mai 2014

Le liseur du 6h27 de Jean-Paul Didierlaurent


Ce matin, chez mon libraire, le hasard m'a fait saisir ce premier roman qui venait d'être mis en rayon. La quatrième de couverture m'a convaincu qu'il serait le compagnon de mon après-midi grisâtre.
Dès les premières pages, j'ai été happé. Un joli trait de plume, une entrée en matière à l'humour plaisant mais n'arrivant pas à masquer le mal être du personnage principal pour qui la vie se résume à presque rien : un studio dépouillé dont le mobilier se réduit à l'indispensable, un boulot abrutissant, une petite vie intérieure qui joue des coudes pour se sortir de ce marasme social et un nom dont il a honte : Guylain Vignolles que tout le monde change en Vilain Guignol. Il traîne cette contrepèterie comme un boulet, une marque infamante qui l'enferme inexorablement dans le monde des invisibles.
Comme soupape, pour prouver qu'il existe un peu, chaque matin dans le RER de 6h27, Guylain lit à haute voix une succession de pages arrachées à des livres inconnus, pages récupérées dans une énorme machine appelée communément pilon et qui broie tous les livres invendus de France. Assis toujours sur le même strapontin de la même rame, il obtient l'attention de tous les voyageurs qui l'écoutent en silence.
Ca démarre fort bien.La situation est originale, généreuse.Et ça continue encore plus fort. Une fois sortie du RER, Guylain entre à l'usine et se retrouve toute la journée face à cette monstrueuse machine nommée Zerstron 500, engloutissant sans faillir des tonnes de livres mal aimés. Ses mâchoires de ferraille qui n'aiment que la destruction,  les recrache sous la forme de pâte à papier. Le récit tourne petit à petit au fantastique tellement ce pllon prend l'allure d'un monstre impitoyable. Je me suis dit que je tenais un petit bijou de roman entre les mains.
Mais soudain, le roman bifurque, prend une autre direction. On partait pour une fable un peu kafkaïenne et l'on se retrouve dans le chemin plus que balisé du roman tendre qui met en avant les sans grade de notre société. Les bons sentiments ne sont pas loin. D'autres personnages tout aussi en marge font leur apparition, une histoire d'amour commence à s'esquisser...
Je n'ai rien contre les histoires qui nous émeuvent, qui font parler avec humour et bon sens ceux que les romans bourgeois ne voient jamais, mais, comment dire, ça sent le filon, le bon coup d'éditeur cherchant à surfer sur la vague de "La liste de mes envies" de Grégoire Delacourt .
Force est de reconnaître que "Le liseur du 6h27" est vraiment bien fait. Il y a du style, de l'humour, un brin de folie et beaucoup de chaleur humaine. C'est un livre qui à coup sûr fait du bien, ne prend pas la tête et saura plaire au plus grand nombre. Malgré tout, je mets un petit bémol car les 50 premières pages sont tellement réussies qu'elles laissaient augurer un livre autrement moins conventionnel et surtout pas un développement faisant un mix de tous les livres à succès de Barbara Constantine et de Grégoire Delacourt ! C'est évidemment bien plus original que Mme Pancol, moins industriel que Mr Lévy, mais moins maîtrisé que "Bon rétablissement" de Marie Sabine Roger qui joue pourtant dans la même cour. A lire, pour passer un agréable moment.
PS : Je suis allé traîner sur le net et j'ai vu que l'éditeur (et beaucoup de monde d'ailleurs ) croyait au succès de ce livre. Déjà vendu déjà dans 20 pays, l'auteur est programmé à la grande librairie jeudi prochain, les journaux parlent de phénomène éditorial...Le bulldozer de la promotion est en route. Ca devrait donc bel et bien marcher !

lundi 5 mai 2014

Somerset Maugham de Jean Paul Chaillet


Qu'est-ce qui pousse à écrire aujourd'hui sur cet auteur anglais un peu tombé dans l'oubli qu'est Somerset Maugham ? Romancier et nouvelliste à succès jusqu'à la fin des années 60, ses oeuvres sont depuis tombées petit à petit dans un oubli distingué, resurgissant sporadiquement dans un titre de chanson de Souchon (Somerset Maugham en 1981), l'an dernier en bande dessinée (Villa mauresque par Floc'h et Rivière ) ou encore adaptées au cinéma (Le voiles des illusions en 2007).
En retraçant sa vie dans cette minutieuse biographie, Jean Paul Chaillet fait finalement le portrait type d'une personnalité qui a tout pour devenir (et est peut être déjà) une icône gay. En effet, bien qu'ayant cherché toute sa vie à dissimuler ses amours homosexuelles, notamment en brûlant avant sa mort tout écrit un peu compromettant qui aurait pu tomber entre les mains d'un éventuel biographe, Somerset Maugham a toutes les caractéristiques pour accéder à ce statut. Excellente éducation à l'anglaise, médecin, homme de théâtre, romancier, agent secret, grand voyageur, il a eu durant sa longue vie à défaut de la beauté (mais cela est subjectif), gloire et amours. Amours au pluriel, car, même s'il a été marié et père d'une fille, il a connu, après être passé dans les bras de jeunes femmes, de nombreuses aventures masculines tout en restant de longues années avec deux hommes présentés comme ses secrétaires particuliers. Cette liberté sexuelle, à une époque où l'homosexualité était un crime, est doublée par une très grande acuité à sonder l'âme des humains qu'il rencontre lors de ses nombreux périples et que l'on retrouve dans tous ses écrits.
Au delà de cette description assez intime, Jean Paul Chaillet nous brosse également le portrait très précis de ce que pouvait être la vie d'un grand écrivain au XXe siècle. Débutant sous le règne de la reine Victoria, il aura traversé, en grand écrivain, plus de la moitié du siècle, devenant même après la seconde guerre mondiale une sorte de star de la littérature, gérant sa carrière en alliant business, contrôle de son image et littérature.
Qu'est-ce qui pousse en 2011 un lecteur lambda à se plonger dans la biographie de cet auteur que certains qualifient de seconde zone ? La nostalgie et la curiosité vous répondrai-je .
La nostalgie, parce que je suis assez vieux pour avoir lu Somerset Maugham dans ces éditions du livre de poche aux couvertures illustrées de dessins surannés. Les romans ne m'ont guère marqué mais je me souviens par contre du plaisir que j'ai éprouvé vers 14/15 ans en lisant " le fil du rasoir". Il avait un parfum d'interdit car ce devait être le premier bouquin dit pour adultes dans je lequel je me plongeais ! Certes ce n'était pas " Emmanuelle" ni "Le con d'Irène" loin de là, mais ce petit frisson m'amène 40 ans plus tard à retrouver son auteur dans cette biographie.
Quant à la curiosité, elle vient de ma lecture cet automne de la BD de Floc'h et rivière citée plus haut dont le contenu un peu succinct m'avait laissé sur ma faim.
En refermant l'ouvrage très complet de Jean Paul Chaillet, ma curiosité est satisfaite. Le grand écrivain anglais qui appréciait la France pour sa déférence envers les gens de lettres, apparaît dans sa vérité. Pas sûr qu'il l'ai réellement souhaité. Pas sûr non plus que ses écrits retrouvent le chemin des rayonnages. Reste l'homme, personnage attachant et singulier qui a écrit dans un récit autobiographique : " Les gens que j'ai le plus aimés sont ceux que je n'intéressais que peu ou pas du tout, et quand j'ai été aimé, j'ai éprouvé de l'embarras..."

dimanche 4 mai 2014

Barbecue d'Eric Lavaine


Cela vaut-il le coup de s'inviter au "Barbecue" de Mr Lavaine ? Je ne le pense pas. Malgré une brochette de comiques et Lambert Wilson, notre George Clooney à nous, même avec une grosse dose de mayo, le film ne décolle jamais.
Ils sont beaux....enfin, surtout Lambert Wilson, bronzé, la barbe taillée au millimètre et un semi-remorque de tenues impeccablement coupées prévues par la production, afin de mettre en valeur (ou de camoufler) son impeccable silhouette de cinquantenaire.
Ils sont pétés de thunes.... genre nouveaux riches frimant en Porsche Cayenne (ici placement de produit dans mon blog par la firme allemande, persuadée que mes lecteurs sont de futurs acheteurs), louant des demeures de rêves dans les Cévennes pour boire du château Petrus au bord de la piscine.
Et figurez-vous qu'ils aiment les barbecues ces amis de 25 ans ! Oui, ils adorent se retrouver autour de saucisses grillées (et de belles pièces de boeuf aussi ) tellement ils s'apprécient. Ca c'est le film qui le dit parce que nous, devant l'écran, on doute un peu de l'alchimie tellement tout le monde à l'air de faire son petit numéro dans son coin.
Pour qu'il y ait un semblant d'histoire, on colle un infarctus au personnage de Lambert Wilson et du coup, il décide de changer radicalement de vie. Alors que pour conserver son allure de beau mâle, il n'a pas fumé, bu et mangé gras depuis la sortie de l'adolescence, boudant les conseils de son médecin, il décide de faire le contraire. Du coup, en plus de ne plus draguer des créatures de rêves de 25 ans d'âge car trop fatigant, il voit son groupe d'amis d'un autre oeil. Yves qui le faisait tant rire avec des blagues nulles, devient un affreux raseur, Jean Mich  encore plus débile qu'avant et Baptiste un épouvantable jaloux de Claudia, son ex femme, la seule qu'il puisse encore supporter.
Vous suivez ? Evidemment que vous suivez, vous avez déjà vu ça cent fois. C'est un genre à lui tout seul le film de copains vieillissants ! La seule originalité (?!!) du film est d'avoir calqué "Les petits mouchoirs " ( de sinistre mémoire pour moi) et d'avoir remplacé Marion Cotillard par Florence Foresti, évidemment bien plus drôle, mais qui ne peut, malgré son abattage, sauver le film du naufrage. Le scénario est lesté par une avancée en gros sabots et lié par d'énormes ficelles qu'on croyait réservées à des téléfilms passant sur D8 en quatrième partie de soirée. Les comédiens, sympathiques et super contents de passer leur été dans une belle baraque en buvant des grands crus, s'amusent plus que nous. Plat et sans charme, le film patauge dans une piscine bleue des mers trop chlorée pour qu'on garde les yeux ouverts.
Le seul intérêt de "Barbecue" (et en plus le réalisateur espère faire une suite intitulée "Plancha"....non, on ne se moque pas !) réside sans doute dans la manière dont on l'a vendu au public. Si vous vous êtes rendus ces dernières semaines dans une quelconque salle d'un de ces multiplexes qui fleurissent partout en ce moment, vous n'avez pu échapper à une série de teasers des scènes du film qui pouvaient passer pour drôles. Le hic est que ce sont les seules à peu près réussies. Une fois devant l'écran, le spectateur n'a plus aucune surprise, le restant de l'oeuvre n'ayant pas tout à fait la même tonalité, car la comédie se donne en fait un genre doux/amer. Cela explique la déception du public qui a rempli la salle hier soir et qui, à la sortie, maugréait qu'il s'était encore fait avoir. Exit le bouche à oreille positif ! Mais la production avait dû voir le ratage et a donc misé sur une première semaine d'enfer pour rentabiliser les vacances de sa troupe.
Après voir donné mon obole pour rembourser le quart d'une demie gorgée de romanée conti (il n'y a pas que le pétrus qu'ils aiment les nouveaux riches !), je suis rentré à la maison, boire un verre d'eau (marque distributeur tout de même), honteux et confus, jurant, mais un peu tard, que l'on ne m'y prendrait plus.


vendredi 2 mai 2014

Une année au lycée de Fabrice Erre


Après la délirante série " Z comme Don Diego", Fabrice Erre nous revient avec un album plus conséquent mais également plus autobiographique. Il nous propose d'appliquer son humour décapant pour nous montrer ce que peut être une année dans un lycée où il exerce le redoutable métier de prof d'histoire/géo. Redoutable car c'est une matière dont se contrefiche la plupart des élèves et surtout un poste stratégique pour s'apercevoir de la non culture ambiante et surtout galopante.
Rien de la petite cuisine interne de la vie d'un prof ne nous sera épargné : la confection de l'emploi du temps, les commentaires moqueurs des listes d'élèves, les conseils de classe où règne la langue de bois, la rédaction politiquement correcte des bulletins de notes, les parents d'élèves et bien sûr les cours face à des bandes de sauvageons aux sourires métallisés et greffés à leur portable. Tout passe à la moulinette, personne n'est épargné ni les profs, ni les élèves. En une palette de gags de longueur variable dont certains, parodiant l'univers du cinéma ou du conte franchement réussis, cette "année au lycée " se lit avec plaisir. 
Le sujet n'est pas original, voire casse-gueule car pas mal  développé ici ou là (suivez mon regard et je ne pense pas uniquement à la série "Les profs" de Pica et Erroc ). Nous sommes en terrain déjà bien labouré et l'album paraît, au départ, peiner un peu à se démarquer. Mais au fil des pages, malgré ce dessin arrondi très caricatural, sourd comme un malaise. Ce prof, vieilli prématurément, râleur, décontenancé par cette jeunesse à l'inculture triomphante, nous apparaît bien seul, Don Quichotte luttant contre les moulins à vent d'un système fou et démagogique. Sous le masque de la farce, le désarroi et la tendresse de l'auteur pour cette communauté enfermée entre les quatre murs d'un lycée s'insinue insidieusement derrière les gags, aidés en cela par ce parti pris de fonds de couleurs automnales. 
Sous titré "Guide de survie en milieu lycéen", "Une année au lycée" s'adresse à tout le monde. Que vous soyez enseignants ou non, parents d'élèves ou pas, ministre de l'éducation, ce reportage rigolard et rigolo n'en est pas moins un petit cri lancé au milieu de sonneries de portables et vrombissement du kart de Mario. Le cri d'une profession qui prend de plein fouet les problèmes d'une société qui va mal, mais qui espère encore un peu que le savoir peut améliorer la vie. Mais combien de temps y croiront-ils encore ?  Fabrice Erre prend le partie d'en rire, c'est tant mieux, même si l'envie d'autre chose se fait indubitablement sentir ...






jeudi 1 mai 2014

Pas son genre de Lucas Belvaux


Clément , prof de philo parisien, se retrouve nommé à Arras ! La cata ! Comment un intello tel que lui, connaissant Kant et Proust comme sa poche, hantant les soirées branchées de la capitale, va-t-il survivre à cet horrible exil ? C'est simple, son instinct de mâle va le porter à draguer une sympathique et accorte coiffeuse jusqu'à la fourrer dans son lit. Jennifer (prononcez Jennifeur...) est littéralement emballée, amoureuse et un peu étonnée qu'un mec aussi cultivé s'intéresse à elle. Comme la relation s'installe, chacun va découvrir le monde et surtout les goûts de l'autre. Dostoievski, Kant et Giono seront lu par amour par la jeune femme, tandis que le karaoké et un nanar avec Jennifer Aniston (Qui c'est celle là ? ) seront appréciés du bout des lèvres par Clément. La relation dure mais les corps ne suffisent plus à asseoir une relation satisfaisante.
Après le débat autour de la théorie du genre (mais ici seul le titre pourrait nous y faire penser) et en plein coeur de celui sur la fracture sociale, Lucas Belvaux aborde dans ce film, un thème bien plus insidieux, voire encore plus brutal, la violence de classe et son creuset qu'est la culture.
On sait bien que toute bonne comédie romantique va essayer d'associer deux personnalités antagonistes dans le secret espoir de les voir s'aimer malgré tout. Le thème de la différence de classe, depuis le prince et la bergère, en passant par "Pretty woman" ou plus près de nous "Mon pire cauchemar", a été souvent exploité. "Pas son genre" en possède au départ tous les codes mais va très vite nous intéresser réellement en déviant un peu de la route habituelle. Tout d'abord, le réalisateur va laisser tomber le rythme soi disant trépidant de la comédie pour prendre son temps à installer la situation. Pendant presque deux heures, il va observer ce couple, sans jugement (les critiques sont réservées à cette pauvre ville d'Arras). Le spectateur aura l'opportunité de s'attacher aux deux amoureux et surement plus à Jennifer, dont le caractère solaire est évidemment plus séduisant que l'air plus ou moins emprunté de Clément. Mais surtout le film fonctionne très bien grâce à ses interprètes. Si Loïc Corbery est parfait en de philo spécialiste de l'amour, plus attaché aux mots qu'aux êtres, Emilie Dequenne est tout simplement époustouflante d'abattage et de charme. Elle rayonne à l'écran apportant au film son côté pétillant. Ils composent à eux deux un couple très crédible qui va, petit à petit conduire le spectateur à s'interroger sur cette histoire d'amour. Clément est-il vraiment amoureux ? Peut-il vraiment accepter les goûts de Jennifer qui fait tant d'efforts pour partager les siens ? N'est-ce qu'un plan cul pour combler l'ennui des soirées arrageoises (oui les habitants d'Arras sont des Arrageois...) ?
A force de questions, le film passe lentement de la comédie au suspens psychologique, pour dévoiler au passage toute la violence intime que la différence de culture peut engendrer.
"Pas son genre" est une vraie bonne surprise. Bien écrit, magnifiquement interprété, titilleur de méninges, il prouve qu'une bonne comédie romantique peur aussi être intelligente ET passionnante. Et si vous hésitez encore avant d'acheter votre billet, vous découvrirez qu'Emilie Dequenne est aussi une très bonne chanteuse avec une mention spéciale pour son interprétation de "I will survive".