Les familles aimantes, décalées, névrosées, violentes inspirent un grand nombre d'ouvrages. Cet étalage de père alcoolo, de mère schizophrène , de frère violeur, de grand-mère douce et adorée ( on peut mélanger les adjectifs !) peut lasser mais parfois, un regard, une écriture accrochent le lecteur et rendent ces évocations touchantes, surprenantes, parlantes.
Quand l'écrivaine flamande Lieve Joris, réputée pour ces récits de voyage, se penche sur sa famille, c'est avec la même lucidité qu'elle employait pour décrire le quotidien de la vie au Congo ou au Moyen-Orient. En partant de la figure de son frère Fonny, être aussi séduisant que manipulateur, elle nous offre une plongée sans concession dans son univers familial. De l'enfance et ses maisons aimées, de Bobonne, sa grand-mère adorée qu'emportée par les tumultes de sa vie elle abandonnera à son triste sort de vieillarde, de ses parents fantasques, un peu imbibés, de ses nombreux frères et soeurs, plus ou présents, de sa soeur Tribe, joyeuse parce que très simple dans sa tête, Lieve Joris tire un récit où la tendresse, jamais mièvre, se dispute avec une froideur et une exigence de vérité assez rares. Elle n'occulte jamais ses pensées de rejet et de honte face à certaines situations, sentiments tellement humains qu'un certain politiquement correct essaie de rendre de moins en moins audibles, mais qui ici, émeuvent, touchent et donnent force et vérité à ce récit. Le Fonny du titre, homme à la séduction destructrice, clé de voûte de l'ensemble, catalyse à lui tout seul les interrogations de toute une famille, naviguant entre bienveillance, détestation, colère, aveuglement et résignation. C'est une lutte de tous les instants qui nous est décrite, celle d'un groupe d'individus lié par le sang, qui doit faire face au caractère cyclothymique ( bipolaire dit-on trop facilement aujourd'hui) d'un homme dévasté par les drogues, ver dans un fruit aux défenses bien faibles.
La lecture de "Fonny" s'avère bien agréable, tellement le regard porté sur cette famille reste empreint d'une douce lucidité et que revit avec talent, un passé mêlant autant le gris des âmes que l'éclat si particulier du soleil du Nord.