mardi 31 juillet 2012

Cannisses de Marcus Malte

Est-ce un court roman ou une longue nouvelle ? Je ne saurai dire. J'ai quand même l'impression que les éditeurs, entre pouvoir d'achat en berne et désaffection pour la lecture, tentent d'attirer le chaland avec des formats courts et un peu moins chers (12€ pour celui-ci). Si l'on rapporte le coût par page imprimée, je ne suis pas sûr que la gagnant soit le lecteur sauf si le texte en vaut la peine.
Sur la ligne de départ (je sens que les jeux olympiques commencent à s'insinuer dans ma tête ) "Cannisses" tente sa chance dans une catégorie un peu rare par les temps qui courent : le polar psychologique.
Nous sommes dans un de ces multiples lotissements dont les parcelles, imbriquées les unes dans les autres, font semblant de donner un peu d'intimité à leurs occupants. Pour peu que les habitations soient séparées par des cannisses aux interstices propices à la curiosité, nous avons là un lieu de tous les possibles. Un homme, jamais nommé, voit sa raison qui défaille après le décès  de Nadine, sa femme, des suites d'un cancer. Il élève seul ses deux enfants, fuyant tout conflit alimentaire en ne les nourrissant que leur mets préféré : les gaufres. Son deuil, son chagrin, son inactivité lui font perdre ses repères. Il flashe sur la maison de ses voisins, pensant que la chance était plutôt dans ce joli pavillon que dans le sien, pourtant mieux exposé. Jour après jour, son unique but sera de pouvoir vivre dans la maison voisine. Et il est prêt à tout pour y arriver...
Froidement, Marcus Malte installe une angoissante intrigue qui d'un quotidien sinistre bascule petit à petit dans une horreur froide mais absolue, jamais décrite ni vraiment nommée. Elle est éludée habilement pour mieux emprisonné le lecteur dans la folie du narrateur. C'est court mais rudement bien écrit et mené.
Un petit livre parfait pour une petite pause à l'ombre avant d'aller à la plage.


dimanche 29 juillet 2012

Mémoire espagnole de Jean-Claude Carrière



La crise étant là, cette année, je ne suis pas allé passer mes vacances en Espagne, préférant des contrées plus proches mais peut être moins ensoleillées... C'est pour cela que j'ai glissé dans ma valise ces "Mémoire espagnole" de Jean-Claude carrière , histoire d'avoir un peu de compagnie ibérique à défaut de tapas ou de promenades nocturnes sur des ramblas envahies par une foule colorée. et bien m'en a pris, car j'ai pris un énorme plaisir à lire ces souvenirs d'un homme qui a passé de longs moments de sa vie de l'autre côté des Pyrénées.
Et quels moments ! Scénariste, il a eu la chance et le talent de participer à l'élaboration des scénarios des derniers films de Luis Bunuel, côtoyant longuement le maître du cinéma espagnol, lui même ami de Dali et de Lorca ! Autant dire qu'avec une telle proximité, ces mémoires sont un festival d'anecdotes, d'histoires toutes plus drôles, plus tendres ou pétries d'humour les unes que les autres.
Facile me direz-vous quand on côtoie  la crème de l'intelligentsia espagnole. Mais c'est sans compter la personnalité de l'auteur qui, esprit brillant s'il en est, emporte le lecteur dans un formidable questionnement autour de l'identité espagnole et de sa langue. Jean-Claude Carrière revient sur ses rapports intimes avec cette âme espagnole assez insaisissable, depuis ses sensations enfantines au moment de la guerre d'Espagne jusqu'aux impressions laissées par des années de fréquentations assidues et amoureuses de ces plus beaux lieux.
En refermant ces mémoires, vous aurez l'impression d'avoir fait un très beau voyage. Et comme tous les grands voyageurs, vous vous serez enrichis de vos découvertes que vous aurez envie de partager avec votre entourage. des secrets de fabrication d'un scénario de Bunuel aux plombantes années Franco, des portraits des grands acteurs espagnols des années 60 et 70 à l'aventure extraordinaire de "La controverse de Valladolid", oeuvre phare de l'auteur, c'est toute l'histoire de l'Espagne qui défile sous la plume légère et chaleureuse de Jean-Claude Carrière.
Rangez les toréadors de pacotille, les castagnettes décorées façon flamenco ! Oubliez Rafaël Nadal et Julio Iglésias ! Lisez "Mémoire espagnole", cela fera du bien  à votre cerveau et vous ferez un voyage estival en intelligence. Ce n'est pas cher et  ça rapporte beaucoup à votre esprit.

jeudi 12 juillet 2012

L'homme à la canne grise de Michèle Gazier


"L'homme à la canne grise" est le portrait plein de tendresse que dresse Michèle Gazier, ex responsable des critiques littéraires dans Télérama, autour de la vie de son père. Ce n'est ni la première ni la dernière qui prendra sa plume pour évoquer une figure paternelle. L'exercice ici n'est pas forcément original, l'auteur ayant choisi de retracer les moments forts de sa vie de manière chronologique et nous ne sommes pas du tout dans l'écriture épurée et intime d'une Annie Ernaux. Michèle Gazier préfère rechercher les événements, les anecdotes, pour éclairer celui qui vécut partagé entre une vie quotidienne rendue un peu morne par sa cécité et l'homme épris de liberté qu'il était dans sa tête.
La citation de René Char, "Avec celui que nous aimons, nous avons cessé de parler et ce n'était pas le silence." , placée en épigraphe du livre, résume parfaitement le propos. Il est beaucoup question de silences dans ce livre. Silence autour de son engagement en tant que combattant français auprès des républicains espagnols puis de son passé de résistant en Lozère. Silence autour de sa vie intérieure, intense, mais réservée à quelques rares priviligiés. Silence autour de cette vie de famille, coincé avec une femme dépressive et des enfants adorés. Et pourtant, ces silences n'en sont pas vraiment, parce que l'amour, même tu, est là, dans chaque geste, chaque décision importante, chaque renoncement. Michèle Gazier restitue avec émotion cette recherche de vérité dans le portrait de ce père, quasi aveugle,  qui, toute son existence, a essayé d'écarter le brouillard jaunasse de sa vision mais aussi de sa vie. Il en ressort un homme à la personnalité double mais attachante. Il y a le héros, toujours jeune dans sa tête et dans son corps, même au seuil de la vieillesse, pétri d'idéaux et de justice et le mari, acceptant avec abnégation une vie de semi-infirme, quasi reclus auprès d'une femme malade. Et, malicieusement (?), à la mort de chacune de ses deux compagnes, sa fille note que ce sont les moments où elle l'a senti le plus libre, comme si ces unions avaient été des freins plus importants à ses ambitions, ses désirs que le fait d'être mal-voyant.
Après la lecture prenante et émouvante de ce magnifique portrait autour de la filiation et du deuil, j'ai eu l'impression qu'on pouvait aussi lire en filigrane, les regrets d'une fille pour ce père auquel le destin n'aura fourni , hélas, que les prémices d'une vie intense.



mercredi 11 juillet 2012

Sous le vent de Jean-Bernard Pouy et Joe G. Pinelli


Qui dit Jean-Bernard Pouy, dit polar. C'est donc au rayon polar de ma librairie que j'ai trouvé "Sous le vent" et c'est peu dire qu'il n'était pas à la bonne place.
Ce livre est plus proche de l'esprit d'un album jeunesse par sa forme que d'un roman classique. Il semblerait (si j'en crois les quelques recherches sur internet) que Jean-Bernard Pouy ait créé ce texte en s'inspirant des pastels de Joe Pinelli.
Cela donne un résultat vraiment séduisant : un texte littéraire fort bien écrit , en parfaite harmonie avec les illustrations aux couleurs fauves rappelant Gauguin (normal, l'histoire se déroule en grande partie aux îles Marquises) . 
Nous rencontrons Pol, homme encore jeune. Il vient de rentrer de rentrer de la guerre 14/18, la tête remplie d'horreurs. Dans son village breton, sa fiancée ne l'a pas attendu. Elle s'est mariée avec son meilleur ami qui a échappé à la conscription. Décidé à tout quitter, par défi, il lance une fléchette sur un planisphère de son ancienne école et se rendra où elle se plantera. Ce sera les îles sous le vent en Polynésie. 
Après un long voyage, le voilà loin du ciel gris breton, dans une contrée proche du paradis terrestre, où les habitants vivent sans contrainte ni jalousie. Seulement, il a emporté dans sa tête un passé qui le poursuivra sans cesse...
Le récit de Jean-Bernard Pouy s'attache à nous décrire ces marquises paradisiaques d'il y a presque un siècle maintenant. Son écriture s'enrichit de couleurs, de sensations, en parfaite harmonie avec les illustrations fauves de Joe Pinelli. Nous sommes bien au paradis sur terre mais le noir sourd petit à petit au fil des pages, comme un mal qui ronge et qui progresse dans l'esprit du héros. Un roman plein de couleurs jusqu'aux plus sombres mais pas du tout dans le genre habituel de l'auteur d'où la difficulté de le classer sur le bon rayonnage.
Un beau livre dans tous les sens du terme : bel objet au beau papier, illustré et écrit magnifiquement. Que demander de plus ?


mardi 10 juillet 2012

Ze vais te manzer de Jean Marc Derouen et Laure du Faÿ



Vous qui aimez raconter des histoires en jouant avec votre voix, cet album est fait pour vous. Vous pourrez être tour à tour un adorable lapin blanc et dodu gambadant dans la forêt à la recherche de carottes bios et un méchant loup affamé prêt à dévorer le premier animal venu. Seulement vous allez devoir remiser votre grosse voix cruelle de loup au placard car celui que nous propose Jean-Marc Derouen , l'auteur, a un gros zeveu zur la langue... A vous le zozotement hilarant. Rires garantis. 
Mais cela ne sera pas le seul plaisir que vous et les enfants qui vous écouteront, aurez. Vous serez emballés par cet album car, ici, tout fonctionne magnifiquement bien. L'histoire, particulièrement réussie, malicieuse et originale, alliée avec de grandes illustrations pleine page aux aplats de couleurs avec une dominante bleue et rouge donnent un résultat franchement attrayant. 
D'accord, c'est encore une histoire où le loup est un peu stupide et malmené par de faibles animaux qui, à force de vivre dangereusement, ont développé une intelligence qui fait de plus en plus défaut aux canidés, mais pour moi, c'est l'un des meilleurs albums  sorti depuis le début de l'année. Et pour l'avoir tester auprès d'enfants de 4/5 ans, je peux vous dire qu'il rencontre un franc succès.
Encore une réussite des éditions Frimousse qui nous avaient offert, en 2010, un excellent "Léopold, le chevalier au mille pattes" dans cette même collection "Maxi boum". J'attends le prochain avec impatience...







lundi 9 juillet 2012

8 minutes de ma vie de Gilles Bornais


Ces 8 minutes sont celles que mettra Alizée, ex championne olympique du 800m nage libre (course qui n'existe pas encore) pour prouver au monde entier qu'elle reste bien le meilleure, lors d'une finale aux Etats-Unis. 
En fait, l'histoire se déroule sur 17 minutes exactement car nous assistons aussi à l'attente dans cette zone où le spectateur lambda ne pénètre jamais : la chambre d'appel.
Ce roman nous plonge dans le cerveau de la championne, tige blonde et médiatique, qui a connu la gloire de ceux qui ont rapporté une médaille d'or des J.O. Avant le départ de la course, elle va repenser à son parcours, à sa découverte par Philippe, l'entraîneur tyrannique, blond, musclé aux doigts et aux poignets cernés de bijoux. Il va l'accueillir chez lui, l'houspiller, la former durement jusqu'à l'obtention de sa médaille olympique. Elle se rappellera ses kilomètres de souffrance dans les bassins chlorés, son travail de préparation quotidien, harassant, été comme hiver, ses muscles meurtris par les innombrables longueurs, ses révoltes. Puis après la victoire, la gloire, les amours multiples et désastreuses, l'argent, l'envie de tourner la page.
Malgré tout cela, on la retrouve en finale d'une course déterminante pour la suite de sa carrière, partagée entre le désir de combattre encore et toujours et une vie plus douce. Elle jauge du coin de l'oeil ses adversaires, connaissant le signification de leur moindre geste, du plus rapide regard. 
Gilles Bornais, ancien nageur et entraîneur, restitue à merveille ces quelques minutes, faisant partager la tension extrême qui s'empare de la nageuse. La course est un vrai moment de suspens, pages prenantes et haletantes, le lecteur ressent l'eau glisser sur son corps, la moindre douleur musculaire comme s'il était lui même en train de nager ce 800m.
Cela rappelle évidemment l'histoire de Laure Manaudou et de Philippe Lucas. Mais attention, ici nous sommes vraiment dans un roman, pas dans un documentaire. La construction de ce livre, l'écriture précise et totalement prenante embarquent le lecteur au plus profond de la pensée d'une grande sportive avant une compétition.
C'est passionnant et à lire sans tarder, surtout à quelques jours des J O de Londres, histoire de se remémorer que tous ces athlètes sont bien sûr des hommes, des femmes ayant des muscles et un potentiel hors du commun, mais aussi des humains en proie au doute, à l'émotion, à la peur, loin des héros invincibles et triomphants d'une presse avide de sensationnel.


dimanche 8 juillet 2012

Fausse couche

Drôle de sujet pour un billet d'été mais la fausse couche a été souvent abordée dans les romans de ce début d'année. Il y a eu "Dieu surfe au pays basque" d'Harold Cobert (édité chez Héloïse d'Ormesson ) dont c'est le thème central du roman.
Pour les romans cités ci-dessous, la fausse couche n'était pas l'élément principal du livre mais souvent un moment éclairant pour définir un personnage. C'est aussi l'occasion pour les auteurs d'aborder la difficulté de parole au sein d'un couple face à un tel événement.
J'ai sélectionné trois passages extraits de trois livres marquants de l'année. Malgré cette thématique austère, n'hésitez pas à aller jeter un coup d'oeil à ces romans dont les morceaux ci-dessous donnent une bonne idée de l'écriture de l'auteur mais pas forcément de la tonalité générale de l'ouvrage.

Dans "La liste de mes envies" de Grégoire Delacourt chez Lattès, c'est Jocelyne, femme modeste, qui parle. Au début du livre, pour se présenter, elle dit : "Nous avons deux enfants. Trois en fait. un garçon, une fille et un cadavre." Puis, plus loin, elle raconte le cadavre.
"Une nuit, il m'a réveillée. Il était tout dur. Il était ivre, il pleurait. Alors, je l'ai accueilli en moi et cette nuit là Nadège s'est faufilée dans mon ventre et s'est noyée dans mes chairs et mon chagrin. Quand elle est sortie, huit mois plus tard, elle était bleue. Son coeur était muet. mais elle avait des ongles ravissants, des cils très longs, et je suis sûre qu'elle était jolie même si je n'ai jamais vu la couleur de ses yeux.
Le jour de la naissance de Nadège, qui fut aussi celui de sa mort, Jo a arrêté les bières. Il a cassé des choses dans notre cuisine. Il a crié. Il a dit que la vie était dégueulasse, que la vie était une pute, une putain de pute. Il a frappé sa poitrine, son front, son coeur et les murs. Il a dit c'est trop court la vie. C'est injuste. Faut en profiter bordel de merde parce qu'on n'a pas le temps ; mon bébé, il a ajouté en parlant de Nadège, ma petite fille, où es-tu ? Où es-tu ma puce ? Romain et Nadine ont filé apeurés dans leur chambre et Jo, ce jour là, a commencé à rêver aux belles choses qui rendent la vie plus douce et la douleur moins forte.... Il était triste."


Dans "Nos vies désaccordées" de Gaëlle Josse chez Autrement, c'est François pianiste à la renommée internationale qui parle.  L'enfant à naître est trisomique :
"  Nous avons pris ensemble la décision d'une interruption médicale de grossesse. Sophie était anéantie. Dans son ventre, l'enfant avait commencé à bouger. Je n'ai pas su dire ce qu'il fallait. quelques jours plus tard, nous étions attendus pour l'intervention. Sur place, j'ai réalisé qu'il s'agissait en fait de provoquer l'accouchement pour expulser le foetus. A une nuance près : nous ne le verrions pas, il disparaîtrait dans les déchets hospitaliers....
Elle était épuisée, d'une indescriptible tristesse, et moi, j'avais envie d'être ailleurs. De fermer cette sinistre parenthèse et de renouer le fil avec notre vie d'avant. Je tentai de la réconforter, de la faire sourire avec des anecdotes rapportées de Budapest...
Les soins hospitaliers se prolongèrent quelques jours, il fallut rencontrer un psychologue pour "nous aider à faire le deuil du bébé", puis Sophie rentra à la maison. Je ne savais pas s'il fallait acheter des fleurs ou non. Je m'étais abstenu. Je lui imposai des propos désastreux que je croyais réconfortants, nous aurions quantité d'autres bébés, il ne fallait pas s'arrêter à cet accident. Je n'étais pas allé jusqu'à dire "après la pluie, le beau temps", mais c'était bien la tonalité de mes paroles. Je croyais le plus difficile derrière nous.
Quelques jours plus tard, Sophie sortit dans la rue, entièrement nue, couverte de peinture rouge, en hurlant qu'on lui rende son bébé. "

Pour terminer, Marie-Sabine Roger dans "Bon rétablissement" aux éditions du Rouergue, fait parler Jean Pierre, ouvrier à la retraite, veuf de 64 ans.
" On avait bien tenté de fabriquer des mioches, elle et moi, rien à faire. Ou plutôt, rien à faire pour mener le travail jusqu'au bout. A la troisième fausse couche, Annie a baissé les bras. La différence entre nous deux, c'est que je n'avais pas eu de gamin, mais qu'elle en avait porté trois.
Je ne sais pas si c'est le fait d'être un homme, un crétin, ou les deux à la fois, je n'ai jamais pu considérer des foetus comme des enfants à part entière. Je commençais à peine à envisager le changement que ça allait faire dans ma vie que tout était déjà fini.
Rien n'a bougé dans mon ventre. Dans le sien, il y avait eu de petits frôlements.
Annie perdait ses bébés vers le quatrième mois. J'étais triste, bien sûr, mais pas bouleversé. Pour le premier, je me demande même si je ne me suis pas senti vaguement soulagé, cinq minutes. Un bambin entre nous, ça me faisait très peur. Je craignais de perdre ma liberté, de ne plus pouvoir faire tout ce que je voudrais. J'étais un imbécile égoïste, immature...
A la première fausse couche, je lui ai dit pour la consoler :
- Ce sera pour la prochaine fois.
A la seconde, je n'ai pa su quoi lui dire. Je l'ai écoutée pleurer dans la salle de bains, plusieurs soirs d'affilée, sans oser aller lui parler de peur de ne pas trouver les mots appropriés. 
J'aurais mieux fait, quitte à dire une connerie. Une maladresse qui vient du coeur se pardonne plus volontiers qu'un silence confortable. "

Cette dernière phrase, belle et lucide, peut aussi être prise comme un beau conseil. Mais face à cette douleur, cette tristesse, cette blessure, trouver les mots, exprimer ses sentiments, tenir face à la vie qui continue malgré tout n'est pas chose aisée. Les proches sont là pour aider. Les livres peuvent aussi nous soutenir. Les auteurs ont souvent les mots pour exprimer l'indicible, pour nous faire réfléchir et progresser.



samedi 7 juillet 2012

Dieu surfe au Pays basque d'Harold Cobert


Le projet d'écrire un roman autour de la fausse couche précoce vue par un homme est intriguant. L'intituler "Dieu surfe au Pays basque" révèle un sens aigu du titre accrocheur. Avec ces deux ingrédients majeurs, on peut penser que le livre s'arrachera grâce à un bon bouche à oreille.
C'est vrai, il est un peu question de Dieu dans cette histoire,  mais, rassurez-vous, pas assez pour figurer au rayon religion. Le narrateur, marqué par une éducation chez les jésuites, s'adresse à lui au cours du livre et s'il l'insulte copieusement, c'est pour mieux le retrouver vers la fin, un cierge à la main. Rien de plus normal puisque les protagonistes de ce roman sont tous issus de familles bourgeoises forcément bien pensantes. Tout ce beau monde surfe allègrement dans les vagues de l'Atlantique et s'endort douillettement dans une de ces villas basquaises au charme suranné.
Le narrateur, fort bien né donc, a un regard assez condescendant, voire méprisant sur le menu peuple qu'il croise dans la rue ou dans l'hôpital qu'il va être amené à fréquenter. Car, malgré cette aisance innée, notre narrateur va être confronté à un événement imprévu. La grossesse de sa compagne s'interrompra brutalement dès les premières semaines, la condamnant à une fausse couche médicalisée.
Cet événement tragique pour le couple est raconté en alternance avec leur rencontre à Biarritz. Cette mise en miroir de l'histoire d'amour et de l'histoire de la mort prématurée du foetus, fonctionne bien même si la partie tragique est plus prenante que la partie romantique, un peu mièvre. Le lecteur passe ainsi de la plage du Miramar où les deux amoureux s'embrassent passionnément (Chabadabada...) à l'annonce d'un curetage express...
Le chemin de croix de la fausse couche est admirablement et minutieusement décrit. Le héros allant de la compassion à la colère, toujours formidablement amoureux de sa compagne, arrive à arracher notre sympathie. Je dis "arracher" car, j'avoue avoir eu du mal à supporter son caractère supérieur, amplifié par une écriture alerte mais un peu pédante à l'humour que j'espère ironique.
"Dieu surfe au Pays basque" se lit toutefois avec plaisir et attention. Saluons donc un auteur mâle qui ose s'attaquer à un sujet rarement abordé par ses confrères et pas du tout vendeur mais qui concerne nombre de couples et de femmes qui affrontent souvent cette épreuve dans le silence et le désarroi. Rien que pour cela, on peut se plonger et surfer dans ce roman.
PS : Les réactions étant nombreuses autour de ce billet, vous pouvez également lire des extraits de romans récents qui ont évoqué ce grave sujet. C'est ICI

mercredi 4 juillet 2012

Holy motors de Léos Carax



Encore une fois, il y a un consensus général de la critique autour du nouveau film de Léos Carax "Holy motors". Tous ont crié au génie, au chef d'oeuvre, au sublime. Les quelques bémols, légers dans "L'express", plus sévères dans "Positif", n'ont altéré en rien l'aura de cette soi-disant somme cinématographique que tout bon cinéphile se doit d'aimer séance tenante, même si le jury cannois, cet ingrat, lui a fait l'affront de l'oublier (volontairement ?) de son injuste palmarès. 
Injuste ? pas sûr. Car, je le dis sans ambage, au risque de me faire lyncher, on peut ne pas aimer du tout ce film et même s'y ennuyer copieusement à la projection, comme ce fut le cas l'autre soir. Nous étions cinq (!) dans la salle, deux sont sortis bruyamment avant la fin, excédés et de mauvaise humeur si j'en crois les commentaires désagréables qu'ils proféraient tout en donnant des coups de pied dans la porte de sortie.
Je ne reviendrai pas trop sur cette histoire de limousine (à la mode ce printemps dans les films intellos), conduite par Edith Scob (qui a la même bouche que Jeanne Moreau) et qui transporte Denis Lavant, sorte de héros multiforme qui doit incarner neuf personnages au cours d'un périple dans une ville transformée en fantasme cinématographique. 
Ici, tout est signifiant jusqu'à l'écoeurement. Tout fait sens, double sens, triple sens, tout le temps. Tout est filmé (magnifiquement quelquefois) avec des références à chaque coin d'écran. Cela pourrait parler à beaucoup de spectateurs mais je ne suis pas sûr qu'ils aient tous la culture de Léos Carax. Les fans de 7ème art trouveront des clins d'oeil multiples aux génies de la pellicule. Leur cerveau sera titillé (masturbé ?) par les hommages disparates, allant de Georges Franju à "Cars" des studios Pixar, de Bunuel à Léos Carax lui même. 
L'évocation d'un cinéma aimé et voué vraisemblablement à disparaître, hante ce film jusqu'au vertige. Et là, ça passe ou sa casse. On peut trouver que c'est de la masturbation intellectuelle, de l'élitisme pour entretenir la conversation dans les dîners en ville, une oeuvre d'art contemporain pour initiés. 
Pour moi, c'est tout cela mais aussi un film profondément original dont certaines images peuvent se fixer longuement en vous.
Mais c'est aussi, hélas, un kougloff indigeste, dont les références roboratives plombent un propos un peu abscons. Je suis donc un peu mitigé sur "Holy motors". Je l'ai regardé avec un ennui distingué, appréciant quelques scènes, baillant inexorablement devant d'autres. Mais j'aime trop l'originalité, le non standardisé, pour le rejeter complètement, pensant qu'il y a là dedans quelques petits miracles filmés qui valent le détour (à tout cassé 15 minutes sur 1h55 ).
A conseiller aux curieux, aux cinéphiles avertis, aux fans de Kylie Minogue qui chante dans une Samaritaine dévastée et à ceux qui rêvent de voir Eva Mendes en tchador dans une scène grotesque ou hallucinante (c'est selon), où Mr Merde (Denis Lavant), nu, le sexe en érection (postiche ?), pose sa tête sur les genoux de la belle, tel un Jésus déjanté descendu de sa croix.



lundi 2 juillet 2012

La maternité de Mathieu Simonet



" La maternité" est un livre digne, droit dans ses bottes, que j'ai reçu comme un témoignage d'une grande sincérité. Il nous raconte les dernières années de la vie d'une femme, la mère de l'auteur, atteinte d'un cancer. Là où plein d'auteurs auraient versé dans le pathos le plus absolu, Mathieu Simonet fait éclater sa narration en une multitudes de petits paragraphes tournant autour de notre relation avec la mort, mais aussi, la vie, l'amour, ... Tout en décrivant au plus près les derniers mois de vie de cette femme tant aimée, l'auteur intercale dans son récit le vécu de personnes vivant au jour le jour avec des morts ( personnel soignant, employé de la morgue, chercheurs ). Il rajoute à cela les réponses d'artistes à qui on a demandé d'évoquer le premier mort qu'ils ont rencontré. Aussi étrange que cela puisse paraître, ces passages sont des respirations tout à fait indispensables à ce texte au ton très personnel et intime.
Ce qui est le plus intriguant mais aussi le plus réussi, c'est la sensation que le lecteur n'est jamais mis en position de voyeur dans ce voyage personnel, n'hésitant jamais à verser dans l'impudeur.. Mathieu Simonet ne se gêne pas à demander à ses parents de raconter la première fois qu'ils ont fait l'amour ensemble ou de décrire la déchéance du corps nu de sa mère, abîmé par les lavements et les escarres.
L'écriture, sans fioriture, raconte ce chemin de souffrances. Toute la charge impudique est ici irriguée par une douceur et un amour filial exemplaires. Heureusement, comme dans la vie, les moments de rire ont aussi leur place. La mère est formidable d'humour noir et le père, au passé psychiatrique lourd, est absolument insensé.
Mathieu Simonet a su trouver les mots justes et vrais pour décrire ce passage vers la mort. Il nous offre un livre impressionnant de maîtrise et d'intelligence. Il questionne avec pertinence notre rapport avec la mort, la perte d'un parent, le vide qui se créé petit à petit quand on accompagne un proche jusqu'à son dernier souffle. Un livre à l'écriture simple en apparence qui résonne longtemps après l'avoir refermé. 

dimanche 1 juillet 2012

La part des anges de Ken Loach


Certains critiques n'ont pas été sympas avec "La part des anges" de Ken Loach, parlant d'un film mineur. Ce sont souvent les mêmes qui ont tressé des couronnes de laurier pour "Adieu Berthe ", pourtant très anodin.
Certains critiques ont dit que Ken Loach ne faisait plus de films militants comme à sa grande époque, qu'il se contentait de ressasser toujours les mêmes thèmes, n'arrivant plus à choquer le bourgeois.  Pourtant, les héros de "La part des anges" sont des petites frappes, condamnées à des travaux d'intérêt public, pas vraiment gentils, jamais dans le droit chemin et malgré tout le spectateur est en totale empathie avec eux. Je connais des bien-pensants qui ont grincé des dents en regardant cette apologie de la petite criminalité dont les protagonistes bernent avec intelligence tous ces riches amateurs de whisky en utilisant des procédés guère éloignés de ceux pratiqués par cette classe dirigeante et hautaine.
Certains critiques disent que Ken Loach a perdu de verve critique sur la société anglaise. Rien de plus faux ! Si on regarde bien, "La part des anges" nous fait, en creux, le portrait d'une jeunesse perdue pour cause de libéralisme forcené, qui survit comme elle peut dans un monde sans pitié où quelques riches peuvent dépenser plus d'un million de livres pour acheter un petit tonneau de whisky hors d'âge.
Certains critiques disent que le cinéma de Ken Loach est toujours pareil, un peu moche et filmé sans grâce. S'il est vrai qu'il est difficile de faire beau avec la misère crade anglaise, "La part des anges" est parsemé de scènes hyper physiques où la violence est filmée sans concession et avec une énergie sidérante. Et quand le film se fait un remake de "Mission impossible", version pauvre, le réalisateur sait parfaitement maintenir la tension et le suspense jusqu'au bout, jouant habilement avec nos nerfs, sans esbroufe, sans effets spéciaux, sans mise en scène tape à l'oeil, juste avec une caméra placée où il faut, efficace et précise, signature d'un grand professionnel.
Certains critiques ont dit que le "prix du jury" décerné par Nanni Moretti lors du dernier festival de Cannes, était dû à la seule grande complicité entre le distributeur et le réalisateur italien. Peut être, mais en tant que spectateur lambda, je trouve ce prix amplement mérité, justifié par les quelques longs métrages cannois déjà sortis et de sinistre mémoire (sauf Moonrise kingdom ). Donc, plutôt que d'aller se raser à "Cosmopolis " ou "Sur la route", achetez un ticket pour "La part des anges". C'est un tantinet cousu de fil de blanc mais en cent coudées au-dessus de tout ce que sort en ce moment sur nos écrans : un conte politique et social, non dénué d'humour, qui saura maintenir votre attention avec intelligence et humanité durant 1h 40.