mardi 29 octobre 2019

Sorry We Missed You de Ken Loach


Un peu boudé à Cannes, une réputation de film pas marrant, " Sorry We Missed You" mérite pourtant vraiment d'être vu. Voici trois excellentes raisons pour se ruer en salle :

1) Embarqué dès les premières images

Est-ce la simplicité ( apparente) des premières scènes, ce quotidien qui nous saute au visage par sa crédibilité loin des sitcoms aux décors Ikéa ? Tout de suite, on plonge dans le quotidien d'une famille anglaise prolétaire : un papa, une maman, un garçon ado, une fille au sortir de l'enfance ? Ce quatuor idéal ( aux yeux de quelques rétrogrades de chez nous) ne boit pas, ne fume pas, vit petitement mais normalement. Les parents aiment leurs enfants même si ceux-ci, surtout le garçon, traversent une période plus difficile, la rébellion pointe parfois son nez. Et tout de suite, on sent que tout ça va dégénérer. Le père, déjà victime du libéralisme anglo saxon, pour se sortir d'emplois précaires, décide d'investir dans l'achat d'un camion et de devenir une sorte d'auto-entrepreneur dans la livraison de colis. Endettement, contrat un peu flou avec une boîte de réception de colis et déjà le spectateur est emporté dans une sorte de suspens social, mélange intime de soucis personnels et d'empathie avec des personnages qui pourraient nous ressembler.

2) Plus fort qu'un thriller, on reste cloué sur son siège durant 1h40 dans une salle au silence pesant qui en dit long. 

L'émotion, le stress qui nous accompagnent durant la projection ressemble à ce que l'on éprouve lors d'un excellent thriller voire d'un film d'horreur, sauf qu'ici, les éléments du suspens proviennent de situations quotidiennes simples. Chaque coup de fil, chaque scène au volant du camion, chaque chargement de colis peut amener la situation déjà précaire du personnage principal à basculer un peu plus. Et évidemment, le rouleur compresseur du système libéral ( ici l'ubérisation du travail) avance petit à petit, inexorablement. On tremble, on frémit d'autant plus que ce que l'on voit n'a rien d'effrayant si on le compare à un film d'horreur lambda mais nous empoigne très efficacement car ces situations peuvent arriver à un grand nombre d'entre nous qui ne faisons pas partie des nantis. Ken Loach, dont certains lui reprochent de faire toujours le même cinéma militant, avec des situations un peu trop tire-larmes, continue d'enfoncer le clou avec force et lucidité, liant le spectateur avec ses personnages pour mieux leur faire toucher une réalité infiniment plus horrifique (car réelle) que n'importe quel film d'épouvante.

3) Un film qui parle autant à nos tripes qu'à notre cerveau.

Evidemment, Ken Loach ne nous propose pas un cinéma de divertissement, joli à l'oeil, détendant. Mais avec des moyens simples et éprouvés, des situations à la réalité sidérante, il parvient, en plus de nous faire ronger nos ongles de stress, à nous dresser un portrait hautement lucide sur nos sociétés qui s'enfoncent dans le libéralisme le plus outrancier. De France, on peut penser que nous n'en sommes pas arriver tout à fait ce stade, certains remparts existent encore ...mais pour combien de temps ? On ressort du film moulu, essoré, avec en tête une dernière image fortement symbolique d'un prolétariat massacré, blessé qui file vers... un avenir sombre.
"Sorry We Missed You" est un film qui ne peut qu'impressionner durablement les  spectateurs et leur donner des éléments pour lutter contre les années noires qui se profilent à l'horizon. Les insensibles à cette situation restant peut être les fossoyeurs de demain, ceux qui ne voient pas que le libéralisme outrancier anéantira autant les hommes que la planète.





dimanche 27 octobre 2019

Terrible vertu de Ellen Feldman


C'est sans doute la vague Meetoo qui a poussé les éditions Cherche Midi à traduire pour la première fois en France,  l'autrice Ellen Feldman qui retrace la vie assez exaltante d'une figure mythique du combat féministe Margaret Sanger. 

Mais qui est Margaret Sanger  ?

Pour faire court, c'est la créatrice du Planning familial aux Etats Unis. Les débuts, timides, vous pensez bien, eurent lieu en 1916, quand Margaret Sanger, militante anarcho/socialiste décide d'ouvrir dans un local miteux de Brooklyn, une sorte de clinique pour informer les populations ouvrières ( donc pauvres) sur la contraception. A l'époque, en plus de salaires de misères, de taudis, les femmes avec une dizaine d'enfants ( viables car à ce nombre, il faut ajouter les fausses couches ) étaient monnaie courante. Elles mouraient plus d'épuisement que de vieillesse. Les hommes, évidemment étaient peut concernés et les dogmes religieux encourageaient ces naissances continuelles puisque dons de dieu. La clinique ne fit pas long feu ( quelques jours) et s'ensuivit un procès à rebondissements qui, par son jugement, allait faire jurisprudence. Pendant 50 années encore, Margaret Sanger allait militer, combattre, ouvrir des centres d'informations autour de la contraception et initier la création de la pilule contraceptive. Le roman d'Ellen Feldman, sous forme de pastilles chronologiques romancées, retrace sa vie. 

Une femme exemplaire cette Margaret Sanger ? 

Globalement, quand on se bat contre des idées machistes ( une femme à l'époque ne pouvait pas parler de sexe, de contraception, univers réservé à quelques médecins mâles), pour les femmes, quand, pour ces idées on subit procès, emprisonnements, humiliations, on reste admiratif de son courage, de sa ténacité. Le roman ne se prive pas de raconter ses combats, presque de façon hagiographique. Si vous rajoutez que dans une Amérique ultra puritaine, elle avait une vie sexuelle débridée, libre, pleine de jouissances, Margaret Sanger, aussi séduisante, séductrice qu'oratrice exaltée, ne peut être qu'une icône féministe. Certes, elle a pas mal sacrifié sa famille ( oui, elle était mariée et avait trois enfants), ce que le livre raconte en faisant prendre la parole à certains de ceux qui ont connu, subi, la volcanique Margaret ( amants, mari, enfants, soeur, ...). Cependant, on peut reprocher, entre autre, à ce roman d'avoir occulté quelques travers de la dame ( on ne peut pas, quand on combat, surtout à cette époque, avoir de bonnes idées sur tout). On ne saura rien sur ses tentations eugénistes, de ses contacts avec ses "confrères" nazis dans les années trentes, de son horreur de la masturbation ou de son rejet de l'avortement. Il ne restera en somme que la figure emblématique du combat pour la contraception. 

Le roman reste agréable à lire car écrit simplement. Il est toujours intéressant de mettre en avant le combat d'une femme pour un monde plus juste et plus égalitaire, surtout à notre époque! Cependant, malgré le personnage haut en couleur de Margaret Sanger, l'ensemble reste un peu trop sage, trop romanesque peut être...




mercredi 23 octobre 2019

Honoré et moi de Titiou Lecoq


... ou comment une autrice de talent explose le genre biographique. 

Une biographie de Balzac ? Bof... ( parole de lecteur )

C'est certain Honoré de Balzac traîne sa réputation d'auteur obligatoire ( mais seulement au programme du bac que depuis 1978!)   dont l'oeuvre a été ruinée par des générations de profs peu passionnants et pourvoyeurs de lecture obligatoire ( donc rasoir). Bien sûr, il existe de bons pédagogues qui ont su passionner et ouvrir les yeux ( aujourd'hui on dit " arracher les regards des écrans) de quelques collégiens ou lycéens, pour montrer la modernité des écrits de ce génie de la littérature mais combien avaient le talent de Titiou Lecoq ? Ouvrir son "Honoré et moi " peut sembler un défi ( pfff...une bio...) mais sachez que dès les premières lignes vous serez accroché pour ne plus lâcher l'ouvrage. A la fin ? Soit vous vous jetez sur " Le père Goriot" ou " La cousine Bette" , soit vous remerciez chaleureusement l'autrice en postant sur Instagram un selfie de vous hilare à côté de l'ouvrage... voire même les deux, car, vous avez eu quelques heures durant le sentiment, insensé de nos jours, d'apprendre des choses tout en vous amusant et d'avoir eu la sensation que l'on s'est aussi adressé à votre cerveau.

Titiou Lecoq ?! Biographe ?! Et pourquoi pas Karine Tuil écrivant de la bonne littérature ? 

La question est (im)pertinente et la réponse peut surprendre. Oui, l'ex blogueuse devenue essayiste humoristico/féministe peut se révéler une excellente biographe. C'est juste une question de talent ( que tout le monde ne possède pas) mais aussi de liberté. En s'emparant d'Honoré de Balzac, écrivain pour qui elle voue une réelle admiration, elle fait oeuvre de grande pédagogie. Avec une connaissance parfaite de ses écrits, de sa correspondance, de ses comptes ( oui les dépenses du cher Honoré sont une part très importante de sa vie), des portraits dressés par ses contemporains, Titiou Lecoq dresse un portrait précis, réaliste et passionnant de l'auteur de la "Comédie humaine". Mais, deux éléments font vraiment la différence avec les biographies déjà parues ( plus corsetées, plus académiques, plus universitaires), c'est l'humour constant et réjouissant qui court tout le long du texte ( même si parfois, emportée par son sujet et la vie trépidante du bonhomme, elle s'autorise à rester sérieuse) et un regard féministe qui remet intelligemment en perspective tous les personnages féminins importants ( mère, maîtresses) que croisent Balzac, ainsi que ceux qu'il a créé dans son oeuvre. Cela donne au final, un texte virevoltant, passionnant et surtout très agréable à lire.
Alors sans complexe ( heureusement), appliquant dans un format infiniment plus long les recettes des pastilles humoristiques d'Arte "Tout est vrai ou presque" dont elle est une des scénaristes, Titiou Lecoq révèle une face plus sérieuse de sa personnalité, tout en conservant un décalage humoristique qui déboutonne avec finesse un genre trop souvent compassé. C'est tellement réussi, que si des élèves peu motivés tombaient sur cet ouvrage, ils épateraient leurs profs par leur connaissance et verraient dans Balzac, l'un des précurseurs des séries qu'ils affectionnent tant sur Netflix.


dimanche 20 octobre 2019

Ne t'enfuis plus de Harlan Coben


Auteur ( trop?) prolifique, que vaut son dernier opus ? Après avoir refermé la dernière page et vu apparaître son visage, plein cadre, en quatrième de couverture, un sourire énigmatique aux lèvres, on se dit que la lecture de cette intrigue bien emberlificotée fut agréable et réserva des surprises jusqu'à la fin. De là à être emballé...

Intrigue bien emberlificotée.

Comment tenir un lecteur en haleine ? La recette est simple, en lui proposant deux intrigues parallèles dont on perçoit mal au départ ce qui peut bien les relier. Le but du romancier étant d'éclairer petit à petit le récit pour arriver jusqu'à un suspens final, plus ou moins long, qui apportera la réponse à toutes les questions. Et si l'auteur est ingénieux, il finira avec un petit twist final qui en bouche un dernier coin au lecteur. 
"Ne t'enfuis pas" tient ce schéma jusqu'à la dernière page. Harlan Coben, en bon faiseur, respecte la recette, même si les ingrédients ne sont ni de première fraîcheur, ni d'une folle originalité. Donc, à partir de l'histoire d'un cadre sup cherchant sa fille disparue et junkie, il tresse une histoire à base de secrets de famille, de généalogie, de secte, avec un soupçon de violence, quelques meurtres, un peu de technologie, une privée, un flic et un squat sinistre dans le Bronx. On suit l'ensemble avec plaisir, chaque fin de chapitre se débrouillant pour se terminer par un rebondissement qui donne envie de continuer. 

Lecture agréable.

Simple, efficace, l'écriture ne perd pas de temps en circonvolutions inutiles, l'intrigue et le plaisir avant tout. Cependant, on peut noter qu'Harlan Coben cherche aussi à faire passer quelques idées personnelles, et, mine de rien, au détour d'une conversation, d'une arrivée dans un lieu, d'un passage dans un métro, balance pas de mal de piques aux religions et à ceux qui croient et qui font croire ou sur la vie, sur notre regard face aux sdf et autres sentiments quant à nos vies modernes de blancs nantis. Cela donne à ce thriller une note plus plaisante, plus piquante, peut être pour rendre moins anodine, cette machinerie romanesque bien huilée, trop formatée. 

Des surprises jusqu'à la fin. 

40 chapitres ( plus un épilogue), donc 40 rebondissements, plus un ultime dans l'épilogue, Harlan Coben n'a pas lésiné pour captiver le lecteur. Mais c'est l'avantage d'avoir une intrigue bien obscure, elle permet, pour arriver à son dénouement, moultes détours, hasards, découvertes étonnantes ( merci la technologie, les hackers). Mais l'accumulation est dangereuse, et peut parfois apparaître un peu too much. Ici, menée habilement, la succession  de surprises passe bien, même si le twist final ( et les quelques révélations qui le précèdent) tire un peu sur la grosse ficelle. 
Au final, Harlan Coben , en appliquant des formules bien éprouvées, ne surprend pas réellement mais permet de passer un moment de lecture pas désagréable. Travail d'un bon faiseur, produit fini pas trop décevant, "Ne t'enfuis plus" plaira...



samedi 19 octobre 2019

La chaleur de Victor Jestin


Derrière le grand succès du " Bal des folles" de Victoria Mas, un autre premier roman fait pas mal parler de lui : "La chaleur" de Victor Jestin. Après sa lecture, on peut se demander ce qui a bien pu séduire critiques et membres de jurys de prix littéraires... 

Le ciel, le soleil et la mer ? 

N'allez pas croire que je pense que les jurés des prix, les critiques, soient fans des oeuvres lyriques de François Deguelt. Si pour beaucoup, ils ont l'âge d'avoir passé leur été 1965 à écouter ce tube d'été sur leur tourne-disque, on constate qu'un peu d'air iodé, du soleil sur la peau ( et une couverture à l'érotisme flagrant) doit aider à ouvrir un roman plus qu'un autre. ( La même histoire dans un gîte 1 épi en Haute-Marne en novembre, avec une photo des mêmes créatures en doudoune, n'aurait sans doute pas donner l'ombre d'un regard sur cet ouvrage). Alors, oui, 155 pages au bord de l'Atlantique, dans les Landes et, ô comble de l'exotisme pour beaucoup, dans un camping ! ( c'est fou!). C'est court, écrit gros, lu en une heure ... tout bon pour faire un petit papier sympa qui ne mange pas de pain ( mais qui en fait gagner). Comparé à toutes ces histoires sordides de migrants, de femmes harcelées, de terroristes, ça détend pas mal un roman aux odeurs estivales. 

La chair fraîche? 

Question chair fraîche nous sommes servis. De l'auteur, la vingtaine conquérante, l'haleine aussi fraîche que la peau, aux ados de l'intrigue, tout hume la jeunesse craquante aux hormones frémissantes. En plus ils sont en bord de mer, presque nus ( l'auteur n'a pas poussé jusqu'à planter l'action dans un camping naturiste...) et sérieusement taraudés par l'envie de faire l'amour. On se reluque, on se frotte, on tente, on échoue, on recommence, la tension érotique est à son maximum. On essaie de rouler des pelles car on a abandonné celles qui servaient encore l'été précédent à construire un château avec la petite soeur. Récit d'été, mais énième récit d'adolescent mal dans sa peau mêlé à un suspens psychologique intense. 

L'ombre de Camus que l'on essaie de faire planer au-dessus de ce roman ? 

Parce qu'il y a un soleil de plomb, parce qu'il y a une mort reçue avec une certaine froideur par le jeune héros, parce que c'est un premier roman, "L'étranger" de Camus ( son premier roman) jaillit comme un lapin du chapeau du magicien. Or, si le chapeau est conseillé lors d'un épisode de canicule, il n'est pas certain que la référence à notre grand auteur  serve réellement ce roman. L'écriture, simple, aux phrases courtes (sujet/verbe/complément) peut évoquer le grand Albert qui en avait pas mal abusé lors de sa première incursion romanesque, mais l'intrigue, parsemée d'éléments peu vraisemblables, tirent plus ce petit roman vers une sorte de rêverie que vers le conte philosophique auquel aboutit " L'étranger". Il ne suffit pas de placer un héros tourmenté sous le soleil pour faire de la grande littérature. Ici, nous avons juste un premier roman, qui peut capter l'attention d'un lecteur qui passe sur les facilités d'une intrigue mal maîtrisée. Reste, la mer, la plage, le sexe... et quelques ados...Rien de neuf sous le soleil ! 

Je ne résiste pas... François Deguelt !








jeudi 17 octobre 2019

Le ghetto intérieur de Santiago Amigorena

 
Adulé par la critique, sur les listes de plusieurs grands prix de cette rentrée, "Le ghetto intérieur" lorgne le Goncourt. Mais le roman est-il si extraordinaire ? 3 petites remarques, qui n'auront aucun effet sur les vénérables jurés du non moins vénérable et si important prix littéraire. 

1) On lit partout que c'est le meilleur roman de son auteur.

Inscrit dans une sorte de saga intime et personnelle, "Le ghetto intérieur" se présente à nous un peu différemment des précédents ouvrages de l'auteur. En racontant l'histoire de son grand-père, ayant émigré jeune en Argentine et ayant fondé une famille, Santiago Amigorena s'extirpe enfin du roman autobiographique dans lequel il se complaisait jusqu'à présent. Avec un thème aussi fort que la Shoah et le ghetto de Varsovie, il touche évidemment à un sujet sensible, inattaquable, imparable. En nous faisant partager le désarroi de son aïeul Vincente, torturé, anéanti par le remord d'avoir fui avec soulagement une mère ( juive) trop accaparante et de ne pas avoir assez insisté à lui faire quitter Varsovie pour le rejoindre, il touche juste et fort. Le roman se déroule exclusivement à Buenos Aires. De cet endroit protégé du conflit européen, on perçoit combien les informations peuvent être minimales, car, c'est bien connu, on ne s'intéresse vraiment qu'aux événements proches de nos lieux de vie.... et tant pis pour ceux qui sont intimement concernés et qui ont vivront de suppositions et donc d'angoisses. Avec une grande pudeur, une grande sensibilité, nous entrons dans cette histoire de ghettos ( oui au pluriel !) de façon intense... ou comment un génocide peut être décrit avec force et émotion sans jamais y être. Pour cela, c'est assurément le meilleur roman de Santiago Amigorena.

2) Intégré dans une grande fresque autobiographique, ce roman peut-il se lire indépendamment ? 

Assurément, et c'est bien là l'intérêt de ce roman, l'épisode conté ici se démarque totalement de l'ensemble voulu par l'auteur. Les autres volumes, très très autobiographiques, voire extrêmement narcissiques pour certains, n'ont quasi rien à voir avec celui-ci. En s'écartant de son nombril et de ses amours qu'il veut compliquées ( je l'aime mais je m'enfuis, je la trompe parce que je l'aime, elle ne m'aime pas mais c'est pour ça que  je l'aime, ...), Santiago Amigorena prouve qu'il peut être un vrai, un bon auteur et s'ouvrir ainsi à un public plus large.

3) Alors, le Goncourt ? C'est pour lui ? 

On ne peut jamais savoir, la cuisine des prix étant bien complexe. La critique semble être acquise ( c'est important) mais cela suffira-t-il ? Si l'on ausculte bien le roman, on peut y trouver quelques petits défauts. Santiago Amigorena, dans ses précédents ouvrages aimait bien couper les cheveux en quatre, voire en huit et même en douze. S'il a gommé énormément de ce travers dans cette dernière livraison, il ne peut s'empêcher d'écrire des choses comme : "Le lendemain (... non pas le lendemain de ce vendredi 13 septembre 1940, (...), ni le lendemain du lendemain de ce jour, ni le lendemain d'un autre jour, non pas le lendemain, disons, mais plutôt "un" lendemain, un lendemain précis et imprécis à la fois, un lendemain d'un jour tout aussi précis et tout aussi imprécis, un lendemain certain et incertain si vous préférez), Vicente...  Mais rassurez-vous c'est peut être une des rares envolées pseudo lyrique du roman, le restant épousant un belle sobriété dans l'écriture.
Un autre point de détail qu'il faut souligner, pas vraiment gênant, mais qui donne une toute petite lourdeur au texte, c'est d'être parfois tombé dans l'écueil du pédagogisme. Mais comment en vouloir à l'auteur face à une telle horreur, une telle abomination que furent les conséquences du pouvoir nazi ? Difficile de passer à côté surtout qu'il veut, qu'il doit, qu'on lui en sait gré de continuer ce devoir de mémoire obligatoire.
Alors le Goncourt pour "Le ghetto intérieur" ? Il ne dépareillerait pas dans la liste....

mercredi 16 octobre 2019

Martin Eden de Pietro Marcello


Voici 3 éléments à prendre en compte avant d'acheter votre billet pour "Martin Eden" , nouveau chef d'oeuvre selon la presse qui fait l'opinion. 

1) C'est une libre adaptation du roman quasi autobiographique de Jack London.

Quand le cinéma s'empare d'un roman, le trahir un petit peu est souvent signe de créativité ou d'une lecture intéressante. Ici des Etats Unis du livre, on passe à l'Italie, Naples paraît-il, mais ça pourrait être n'importe quel port italien. Pourquoi pas ? Les différences de classe restent universelles quel que soit le continent. Bon, un italien du peuple s'appelant Martin Eden, ça sonne bizarre... surtout dans le sud ! Peu importe, car on s'aperçoit très vite que le réalisateur s'essaie à placer son propos dans une sorte d'allégorie qui fait abstraction du temporel. Le nom ne revêt plus aucune importance, sinon celle du rappel à Jack London et à l'oeuvre originale. Par contre on peut s'interroger sur cette envie de placer son film dans une époque indéterminée ( une mix des années 20 et d'aujourd'hui). Une envie de faire genre ? Grand créateur ? Ou une façon comme une autre de pallier à un manque de moyens ( ici assez flagrant à l'image, le cinéma italien n'étant plus ce qu'il était). On ne saura pas, mais les deux sans doute. A vouloir faire le malin ( ou l'intello) l'ensemble prend vite un chemin boursouflé, certes pétri de bonnes intentions mais tombant dans le lourdingue.

2) Pour représenter le peuple à l'écran rien ne vaut de vraies images d'archives selon le réalisateur. 

C'est l'autre originalité du film : l'utilisation de nombreuses séquences puisées dans des archives et qui sont, il faut l'avouer les moments les plus réussis et les plus émouvants du film ( surtout qu'elles sont toujours accompagnées d'une jolie musique bien violoneuse voire sirupeuse). Joliment intégrées, elles donnent une allure arty à la chose mais n'arrivent pas à sauver le film de la lourdeur dans laquelle il sombre dès le début. Il enfile les clichés, hésite au début entre le cinéma et le clip avec de nombreux plans qui suivent le héros, joué par le bel Luca Marinelli dont la caméra ( le réalisateur? ) semble être amoureuse, se promenant sur le port, au bord de la mer, cheveux au vent et regard bleu perdi dans l'horizon ou plongeant dans le regard du spectateur. 

3) C'est le grand retour du cinéma italien. 

On va se calmer deux minutes et regarder le film tel qu'il est. Italien, c'est certain. Il aligne les références aux grands maîtres du passé de Bertucelli, en passant par Visconti et Fellini ( et d'autres). Comme ils sont nombreux ces anciens, on croirait presque se retrouver dans un album Panini du cinéma d'auteurs italiens. Et puis, on entend des chansons italiennes, des tubes bien populaires ( sans doute en Italie mais pas chez nous), bien rythmés ( qui servent souvent à accompagner le héros quand il ondule en bord de mer). Et, peut être pour faire plaisir au coproducteur qu'est Arte, on entend même du Joe Dassin ! ( Je n'ai rien contre ce brave Joe Dassin qui a repris tant de tubes transalpins, mais chez nous ça refroidit l'intello surtout proposé sans l'ombre d'un clin d'oeil). Et puis, il y a un propos, voulu politique, qui s'efface finalement au milieu de clichés que l'on pensait abandonnés depuis qu'il existe des écoles de cinéma ( mais en Italie, il n'y en a peut être plus...). On regarde ce pensum d'un autre âge avec le sentiment que les grands cinéastes engagés du passé ou les plus novateurs peuvent encore dormir tranquilles, ce n'est pas Pietro Marcello qui les enfoncera dans l'oubli.


jeudi 3 octobre 2019

Un père sans enfant de Denis Rossano


3 mauvaises raisons pour ne pas lire l'excellent ouvrage de Denis Rossano, petit bijou de délicatesse, de romanesque et d'émotion.

Ce n'est ni un roman, ni une biographie, ni un livre de souvenirs. 

Exact, ce sont les trois à la fois. De sa passion étudiante pour le cinéma allemand, de sa rencontre avec Douglas Sirk,  metteur en scène devenu mythique depuis que Jean Luc Godard a déclaré à l'aube des années 60  aimer son cinéma et de son questionnement quant à la vie du fils du réalisateur, Klaus, l'enfant qu'il lui fut interdit de revoir après son divorce d'avec sa première femme, Denis Rossano construit un récit d'une incroyable richesse aussi bien documentaire que romanesque. Sa connaissance du cinéma allemand, surtout celui des années 30/40 ( comprenant donc la période nazie, rarement évoquée) se mêle sans problème aux récits de ses rencontres réelles dans les années 80 avec un Douglas Sirk, vieillissant, à demi-aveugle et finissant sa vie en Suisse avec comme fil conducteur le destin de ce fils élevé sans son père qui deviendra, l'enfant star du cinéma sous le Troisième Reich. Tout devient passionnant sous la plume de cet auteur qui cultive avec bonheur une certaine nostalgie comme une connaissance parfaite d'une époque que beaucoup ont voulu oublier.

Douglas Sirk ? C'est qui ? 

Certes "Mirage de la vie " ou "Le temps d'aimer et le temps de mourir " mélodrames somptueux n'évoquent plus grand chose à grand monde aujourd'hui, hormis quelques cinéphiles pointus. Pourtant, les oeuvres de Douglas Sirk continuent à inspirer quelques cinéastes actuels ( Ozon en France et encore plus Todd Haynes aux USA). Ce roman permet donc de faire la connaissance avec ce créateur et de comprendre ( sans avoir vu ses films) combien un drame personnel peut irriguer toute une carrière et donne évidemment envie de découvrir sa production, qui a su porter le grand mélodrame dans des zones jamais atteintes. Sans jamais être ennuyeux ( bien au contraire), avec un sens du partage bluffant, Denis Rossano nous fait sillonner au travers d'un destin singulier comme dans l'enfer d'une terrible époque allemande, celle qui avait comme ministre de la propagande un certain Joseph Goebbels...( et qui donc dirigeait les énormes studios de cinéma allemand ). Douglas Sirk, dont la vie possède quelques zones un peu grises, en fut une de ses vedettes, et doublement victime. Parti un peu tard au Etats-Unis, il traîna longtemps sur son compte  un certain doute quant à ses accointances avec le régime nazi.

Encore un roman qui ne s'adresse qu'aux passionnés de cinéma !

Pas du tout, parce que le thème principal, reste quand même cette histoire de ce fils qu'il ne put jamais revoir, thème franchement romanesque qui tient le lecteur en haleine jusqu'au bout. Au premier degré, cela se lit avec délice et curiosité. Mais le mélange des trois genres permet d'autres lectures, comme d'autres miroirs posés çà et là ( à l'instar de ceux qui ornent tous les films de Douglas Sirk), d'autres fenêtres ( très importantes aussi dans l'univers cinématographique du maître du mélo) qui ouvrent sur d'autres émotions ou réflexions, historiques ou  psychologiques. Le livre va crescendo dans l'émotion, même lorsque l'auteur évoque ses promenades avec le réalisateur qui gardait une lucidité exceptionnelle et qui lui dit lors de sa dernière rencontre : " ... je le sais : c'est un livre que vous allez écrire. Je ne suis pas certain que cela m'enchante, mais peu importe, c'est à un livre que toutes nos conversations vont vous mener . A un roman.[ ... ] Et je vous le dis aussi, votre livre sera un songe. Un songe de ce qu'a pu être ma vie, et de ce qu'a pu être la vie de mon fils, mais pas une fidèle représentation de nos destinées." C'était au début des années 80 et presque 40 ans plus tard, le livre est là, roman de deux vies, deux drôles de vies, qui a le mérite de faire revivre le temps d'un récit, deux hommes autant broyés par le régime nazi que magnifiés par des songes de pellicule et par les mots justes et émouvants d'un auteur vraiment inspiré.