1) Embarqué dès les premières images
Est-ce la simplicité ( apparente) des premières scènes, ce quotidien qui nous saute au visage par sa crédibilité loin des sitcoms aux décors Ikéa ? Tout de suite, on plonge dans le quotidien d'une famille anglaise prolétaire : un papa, une maman, un garçon ado, une fille au sortir de l'enfance ? Ce quatuor idéal ( aux yeux de quelques rétrogrades de chez nous) ne boit pas, ne fume pas, vit petitement mais normalement. Les parents aiment leurs enfants même si ceux-ci, surtout le garçon, traversent une période plus difficile, la rébellion pointe parfois son nez. Et tout de suite, on sent que tout ça va dégénérer. Le père, déjà victime du libéralisme anglo saxon, pour se sortir d'emplois précaires, décide d'investir dans l'achat d'un camion et de devenir une sorte d'auto-entrepreneur dans la livraison de colis. Endettement, contrat un peu flou avec une boîte de réception de colis et déjà le spectateur est emporté dans une sorte de suspens social, mélange intime de soucis personnels et d'empathie avec des personnages qui pourraient nous ressembler.
2) Plus fort qu'un thriller, on reste cloué sur son siège durant 1h40 dans une salle au silence pesant qui en dit long.
L'émotion, le stress qui nous accompagnent durant la projection ressemble à ce que l'on éprouve lors d'un excellent thriller voire d'un film d'horreur, sauf qu'ici, les éléments du suspens proviennent de situations quotidiennes simples. Chaque coup de fil, chaque scène au volant du camion, chaque chargement de colis peut amener la situation déjà précaire du personnage principal à basculer un peu plus. Et évidemment, le rouleur compresseur du système libéral ( ici l'ubérisation du travail) avance petit à petit, inexorablement. On tremble, on frémit d'autant plus que ce que l'on voit n'a rien d'effrayant si on le compare à un film d'horreur lambda mais nous empoigne très efficacement car ces situations peuvent arriver à un grand nombre d'entre nous qui ne faisons pas partie des nantis. Ken Loach, dont certains lui reprochent de faire toujours le même cinéma militant, avec des situations un peu trop tire-larmes, continue d'enfoncer le clou avec force et lucidité, liant le spectateur avec ses personnages pour mieux leur faire toucher une réalité infiniment plus horrifique (car réelle) que n'importe quel film d'épouvante.
3) Un film qui parle autant à nos tripes qu'à notre cerveau.
Evidemment, Ken Loach ne nous propose pas un cinéma de divertissement, joli à l'oeil, détendant. Mais avec des moyens simples et éprouvés, des situations à la réalité sidérante, il parvient, en plus de nous faire ronger nos ongles de stress, à nous dresser un portrait hautement lucide sur nos sociétés qui s'enfoncent dans le libéralisme le plus outrancier. De France, on peut penser que nous n'en sommes pas arriver tout à fait ce stade, certains remparts existent encore ...mais pour combien de temps ? On ressort du film moulu, essoré, avec en tête une dernière image fortement symbolique d'un prolétariat massacré, blessé qui file vers... un avenir sombre.
"Sorry We Missed You" est un film qui ne peut qu'impressionner durablement les spectateurs et leur donner des éléments pour lutter contre les années noires qui se profilent à l'horizon. Les insensibles à cette situation restant peut être les fossoyeurs de demain, ceux qui ne voient pas que le libéralisme outrancier anéantira autant les hommes que la planète.