lundi 30 janvier 2017

La la land de Damien Chazelle


Mais pourquoi ai-je regardé par cette après-midi pluvieuse "Un jour à New-York " de Stanley Donen ( 1949) alors que ma soirée était consacrée au visionnage de LA comédie de l'année, voire du siècle, qui triomphe partout, surtout au niveau des Oscars ou autres Golden Globes ? Je ne sais...une envie de film musical et dansant, "La la land" ( et son martelage publicitaire) ayant suscité ce soudain désir... Evidemment le passage de l'un à l'autre fut rude, et sans vouloir réellement comparer, le film de Damien Chazelle ressemble à une comédie musicale comme "Les Tuche 2" à une essai philosophique.
Qui dit comédie musicale, dit chansons et danses. Soyons honnêtes, on voit très vite qu' Emma Stone et Ryan Gosling ont du travailler au maximum  trois jours ( si c'est plus, ils ne devaient pas être doués !) pour danser la valse, faire trois pas ensemble et une passe de rock, seules chorégraphies visibles à l'écran et pas plus de trente secondes ! Par contre, la caméra, la seule vraie danseuse du film, pour cacher la misère, tournicote, virevolte sans cesse autour d'eux. Côté chant et musique, là aussi le film se révèle très pauvre. Après un entraînant morceau d'introduction,  "Another Day of Sun" mais chorégraphié façon show Sylvie Vartan du temps des Carpentier, nous entendons bien un dizaine de fois "City of stars" susurré délicieusement par les deux stars ( mais qui ne feraient même pas se retourner Mika ou Jennifer dans "The Voice" ) ou alors en musique de fond en version  lente, rapide, swing, jazz, ... L'avantage, c'est qu'on l'a dans la tête pour le reste de la semaine.
Mais que reste-t-il alors ? L'histoire !  Et quelle histoire ! Ils se croisent, finissent par s'aimer, puis la vie les sépare et... ( je ne raconte bien sûr pas les dix dernières minutes du film...oui parce que le reste, c'est deux heures !) . Je sais, les comédies musicales d'antan ne brillaient pas par leur scénario, celle-ci non plus, donc, oui, on peut parler de résurrection du genre. " La la land"  offre toutefois  un petit quelque chose pour faire palpiter le cœur du spectateur devant cette amourette gentillette. Outre le couple vedette qui peut avoir du charme, on pourra apprécier ce bel hommage aux films d'antan, ces éclairages artificiels façon studio et les nombreux clins d'œil à ce genre irrémédiablement défunt des grands films de studio des années 50 mais aussi à Jacques Demy. Cependant, à part peut être un final réussi et même émouvant, le film se révèle juste une petite bluette pas désagréable, avec pas mal d'esbroufe pour épater le chaland mais qui donne une bien pâle image de la comédie musicale, genre que je préfère bien plus flamboyant. Mlle Stone et Mr Gosling ne seront jamais Fred Astaire ou Ginger Rogers....





dimanche 29 janvier 2017

La plus folle de nous deux de Hélène Risser


La narratrice journaliste free-lance mais aussi responsable d'un petit festival rohmérien situé dans une pimpante station balnéaire, rencontre lors d'un cocktail, le jeune conseiller de Noémie Leblond, candidate à la primaire de son parti. Coup double pour cette observatrice acérée du monde politique, elle est séduite par ce jeune homme ainsi que par la maîtrise de la femme de pouvoir en passe de devenir la favorite à la présidentielle. Mêlant intérêt personnel, c'est à dire mettre dans son lit un jeunot de 18 ans son cadet et intérêt professionnel ( ou opportunité) en approchant cet animal politique pour engranger de la matière afin de publier, en pleine campagne, un portrait fouillé de cette candidate incontournable. Mais à quarante-cinq ans, on a des doutes quant à son pouvoir de séduction aussi bien avec un jeune tendron que face à un animal politique dont la maîtrise absolue se révèle être une forteresse imprenable. Naîtrons des interrogations sur sa vie, sur son rapport aux autres et sur son enfance passée au sein d'un hôpital psychiatrique sous le regard pas très bienveillant d'un père psychiatre. La folie rôde, aussi bien celle, bien agréable parfois, de la folie amoureuse que celle plus profonde, plus insaisissable aussi, qui fait de nous des êtres pas tout à fait dans les normes...
Un couple avec une différence d'âge marquée, une candidate à l'élection présidentielle et hop, on sent le roman qui tombe à pic au moment de notre campagne électorale. On peut penser à un certain opportunisme et pourtant, je ne pense pas que l'on soit dans cette logique. Ce qui a transparu durant toute la lecture, c'est l'évidence d'un autoportrait vaguement déguisé de l'auteure. Hélène Risser, journaliste sur la chaîne LCP et fille de psychiatre, même tranche d'âge que sa narratrice, me paraît bien être l'héroïne de ce roman. L'écriture cerne admirablement les émois de cette quarantenaire, ausculte avec pertinence et perfidie cette femme politique mais patine un peu lorsque elle essaie de relier tout cela à l'univers psychiatrique et à la relation avec son père. Les liens qu'elle tente de tisser entre ces deux mondes si dissemblables ne m'ont pas convaincu.  Ces deux univers ne communiquent jamais réellement et donnent au roman un côté un peu bancal. C'est dommage car Hélène Risser sait trousser de redoutables portraits, grinçants et drôles, mais a du mal à conserver cette distance lorsqu'elle évoque le père. Sujet trop proche du réel ? Et si c'est la vraie raison, on sent encore l'emprise exercée par celui qui, comme décrit dans le roman,  ferme la porte à tout dialogue constructif .
Quand j'ai refermé le livre, je me suis dit qu'il y avait un sujet de trop ( le père ) pour que cela fasse un bon roman divertissant. Mais en même temps, j'ai eu l'impression que l'auteure se livrait intégralement dans cette  pseudo fiction qui possède énormément d'accents de vérité. Alors ? Que dire de ce livre bien écrit, sensible c'est certain, drôle aussi ? Dommage d'avoir voulu trop en mettre..., la partie familiale aurait sans doute mérité un traitement à part. 

samedi 28 janvier 2017

Festival Premiers Plans Angers Jour 7


Un dernière livraison de courts-métrages, un dernier long et Lambert Wilson et son jury pourront délibérer...  Cette dernière journée fut passionnante car, les deux compétitions ce sont terminées par deux beaux films qui pourraient  bien entrer au palmarès. Si la deuxième fournée des courts métrages européens nous a un peu laissés sur notre faim, le dernier programme des films d'écoles nous a enchantés avec deux films polonais, un d'animation ( "Cipka" de Renata Gasiorowska) traitant de façon hilarante de la masturbation féminine et d'un sexe sur pattes et une fiction époustouflante, composée d'un plan unique et haletant ( "Cieplo-zimno" de Marta Prus), joli hommage au frères Dardenne. C'est dans une salle archi comble que l'on a pu voir le dernier long-métrage en compétition, "Heartstone", film islandais de ( accrochez-vous!) Guomundur Arnar Guomundsson
qui, peut prétendre à figurer au palmarès. Si certains spectateurs ont trouvé cela un peu long ( 2h10,  cela  n'avait ni un format téléfilm, ni le rythme d'ailleurs), force leur a été de reconnaître que cette évocation de l'éveil à la sexualité de deux jeunes garçons dans un village reculé et agricole possède un charme fou et nous propose un cinéma emplit de délicatesse et de subtilité, sans fermer les yeux sur la dureté des regards et des vies.
Cette 29 ème édition, toujours aussi chaleureuse et pertinente, m'a paru, dans sa sélection officielle plus éclectique que les dernières années. Bien sûr, les jeunes réalisateurs continuent à privilégier les films autour de l'adolescence ou, surtout à l'Est, sur des thématiques plus politiques, mais cette année un polar, un thriller psychologique, un pastiche de  super héros et un film gore ont donné un petit coup de fouet bienvenu ( non, je ne suis pas maso ).
Dans un festival l'accumulation de projections amène le spectateur à repérer quelques tics de réalisations, des plans qui reviennent presque systématiquement. Au début, ils peuvent faire leur effet, puis finissent par faire sourire ( car on reste bienveillant n'est-il pas ? ). Beaucoup de ces premiers films débutent par un plan du personnage principal cadré serré, le plus souvent  au niveau de la nuque, avançant vers son destin. Cette façon de nous faire entrer dans la fiction demeure vraisemblablement pertinente mais commence à faire franchement appliquée... Et pour peu que le même héros se déplace dans un véhicule à moteur, la route est complaisamment filmée ( ou les rails) et 9 fois sur 10 la caméra va légèrement basculer pour nous faire découvrir le sommet des arbres.... Certains vont même jusqu'à nous faire le tiercé gagnant en rajoutant  un troisième élément récurrent, le dernier plan avec le personnage qui marche sur une route, une rue... De dos, son sort est incertain,  de face, il sort grandit... Les profs des écoles de cinéma devraient essayer de lutter contre ces clichés...
Mon favori de cette compétition, lui, évite tout cela. Il débute par un accident de voiture et se termine par un plan qui clôt admirablement le film sur un personnage attablé. Entre ?  Que du bonheur pour un long-métrage à la maîtrise bluffante. Je parle bien sûr de "Grave" de Julia Ducournau dont l'oubli au palmarès serait injuste. Mais "Hearstone" le film islandais dont j'évite de réécrire le nom du réalisateur ( voir plus haut) ou "Pretenders" de l'estonien Vallo Toomia feraient aussi de très beaux gagnants.
Je laisse le jury délibérer, je retourne retrouver une vie plus normale. Je remercie les organisateurs de ce festival pensé pour le public, tous les publics et je leur dis à l'année prochaine, car Premiers Plans d'Angers est un plaisir que les amateurs de cinéma ne peuvent se refuser !


vendredi 27 janvier 2017

Festival Premiers Plans Angers 2017 Jour 6


A l'aube de cette sixième journée, le festivalier, qui est ici en grande majorité un vrai public fervent et curieux, a déjà vécu diverses vies grâce à la multiplicité des regards des films de jeunes cinéastes sélectionnés par le festival. En ce jeudi, ce même public, toujours insatiable,  allait découvrir d'autres moments de vie. Rien que dans la catégorie courts métrages, section films d'école, on lui a proposé de participer à une incinération roumaine ( " Tous les fleuves vont à la mer" de Alexandru Badea), de  se faire sodomiser par un loup  ( intrigant " L'home llop" de l'espagnol Lluis Sellarès),  de risquer le renvoi d'un orchestre slovaque ( sensible "Skuska" de Gregor Valentovic) ou de rencontrer un croisement russe d'Amélie Poulain et Zazie (  drôlatique" Fedor's journey through Moscow at the turn of  XXI century " de Aksinya Gog) . Et si dans cette catégorie, j'ai été soufflé pat la maîtrise graphique et l'humour très décalé du premier court métrage franchement réussi du français Jon Boutin ( " Des résidus analytiques"), le vrai moment fort du festival est venu de la compétition des longs métrages. Pour cela il a fallu attendre la dernière projection du soir et, en amuse bouche, regarder un polar espagnol survendu par sa distributrice, "La colère d'un homme patient " de Raùl Arévala, histoire d'une lente vengeance pas trop mal fichue, mais sans grande originalité. Le coup de fouet du festival arriva donc juste après. Avant d'entrer dans la salle, un public fébrile, plus nombreux qu'à l'habitude pour la deuxième séance plus tardive, piaffait d'impatience. Et ce n'était pas tant la venue d'une de ses productrices, Julie Gayet, qui mettait autant d'émoi, mais bien la réputation que le film "Grave" de Julia Ducournau avait acquis depuis Cannes 2016. Interdit aux moins de 16 ans et précédé de son aura gore, le public salivait d'avance ( enfin, surtout la partie la plus jeune, venue en force ! ). Une heure et demie plus tard, un hourra d'enthousiasme salua le générique de fin, le public  jeune plutôt debout, la public ancien assez dubitatif. La réalisatrice, pourvue d'un sépulcral rouge à lèvres noir, souriait de joie. Elle avait de quoi car "Grave" marque bien la naissance d'une vraie cinéaste qu'il faudra suivre de très près. Déjà à l'affiche de deux films du festival comme consultante du scénario ( "Compte tes blessures" et " Corporate"), son film est une vraie réussite. Totalement maîtrisé de bout en bout, utilisant les codes du cinéma gore sans jamais en forcer le trait, la jeune réalisatrice nous offre un film d'une incroyable virtuosité et aux visées bien plus profondes que le genre le laisse supposer. En plus de cette histoire de cannibalisme à laquelle on croit constamment, c'est aussi, en creux, une description intense du passage à l'âge à adulte et de la découverte de la sexualité mais également celle d'une société désarçonnée en quête de sensations nouvelles. Pour moi, le long- métrage le plus abouti de la sélection et donc mon favori...
Aujourd'hui, dernier jour de compétition .... avec sans doute de nouvelles vies, de nouvelles surprises... Chic, j'y cours ! 

jeudi 26 janvier 2017

Festival Premiers Plans Angers 2017 jour 5


En ce cinquième jour, les festivaliers sont en état de rumination. Ce terme aux apparences bovines a été employé en début de semaine par l'un des frères Dardenne et s'avère exact.Nous ruminons toutes ces images assez terribles de misère, de corruption, de migrants, d'adolescents en crise, de pouvoirs qui aliènent, sans que cela ralentissent notre désir de cinéma. Le festivalier qui pensait peut être avoir touché le fond la veille avec un film grec éprouvant, n'avait pas encore visionné " Depth two" le documentaire du serbe Ognjen Giavonic. Courageux dans son procédé comme dans son propos, le film composé d'images assez sinistres de Danube sale, de terrains vagues glauques et de maisons abandonnées, évoque un événement sanglant de la guerre du Kosovo où 55 albanais tués par l"armée serbe ont été fourgués dans un camion frigorifique puis coulés près de la frontière roumaine. Nous entendons les voix de certains responsables de cette tuerie, de témoins et d'une miraculeuse rescapée... Hypnotique, terrifiant, obligeant le spectateur à créer ses propres images de guerre, le film terrasse littéralement ou de terreur...ou d'ennui pour certains, car le procédé utilisé, assez radical, peut se révéler très hermétique.
Moins hermétique et dans un genre totalement différent, " Pretenders" de l'estonien Vallo Toomia a suscité des débats passionnés entre festivaliers à l'issue de la projection. Cette sorte de lent thriller psychologique sur la frustration sociale et sexuelle, magnifiquement filmé dans un format scope mettant en évidence l'élégance de la mise en scène, a su rester mystérieux jusqu'au bout, offrant aux spectateurs une multitude d'interprétations qu'ils n'avaient de cesse de confronter entre eux. Signe d'un film dont l'ambiguïté finale ne laisse pas indifférent... En tous les cas, une jolie découverte d'un réalisateur que l'on aura plaisir à suivre.
Côté courts métrages, une sélection de cinq films français était proposée. Des ados en révolte ou se cherchant, des adultes en proie au mal de vivre et un jeune comorien ( ?) apprenant le maniement d'un bateau et les rudiments du métier de passeur ont envahi l'écran du palais des congrès. De cette jolie sélection, j'extrairai le très subtil "L'âge des sirènes" de Héloïse Pelloquet qui, sans jamais forcer le trait et avec un vrai regard de cinéaste, a su en quelques minutes nous faire partager cet état flou qu'est l'adolescence.
Le jour se lève sur Angers et une question qui trotte dans ma tête : qu'allons-nous découvrir aujourd'hui ?

mercredi 25 janvier 2017

Festival Premiers Plans Angers 2017 jours 3 et 4


Ils sont arrivés, ils sont là, ils se promènent parmi nous, ils se mêlent sans façon aux projections et nous les croisons avec un respect teinté d'admiration, les laissant infuser calmement tous ses premiers films. Qui ça " ils " ? Ben, Lambert et Bernard...Lambert Wilson majestueux président du jury et Bernard Ménez, comédien populaire et à la simplicité qui sied parfaitement à ce festival.
Comme tout festival généraliste, les films présentés font état du monde tel qu'il va et vous devinez que l'on ne s'est pas vraiment marré en visionnant les six premiers films présentés lundi et mardi. La cinéaste bulgare Ralitza Petrova avec "Godless" Léopard d'or à Locarno, dont le propos radical sur la corruption dans son pays m'a fortement impressionné, a sidéré la salle avec cette absence volontaire de séduction, faisant passer le moindre film des Dardennes pour du vaudeville. Sur le même schéma, avec aussi une héroïne sombre et taiseuse, Michaël Koch nous a parlé de l'Allemagne d'aujourd'hui et du sort de ses immigrés, laissant, lui, transparaître une touche d'espoir ...bienvenue dans une oeuvre prenante et maîtrisée.  Nous avons eu aussi des nouvelles de la Grèce avec "Park" de Sofia Exarchou où une bande de jeunes livrée à elle même, occupe les anciennes installations olympiques de 2004 laissées à l'abandon. C'est surement la meilleure idée du film que d'investir ce décor symbole de la chute d'un pays mais la bande son tonitruante et hurlante n'a pas réussi à couvrir les claquements des fauteuils des spectateurs lassés de voir se battre ou hurler cette jeunesse désœuvrée. De chute de valeurs, il était aussi question dans " Occidental", film français de Neil Beloufa, comédie grinçante à l'esthétique mixant "Palace" de Ribes et l'univers décalé de Kaurismaki où l'égoïsme des personnages, méfiants, racistes ou paranos les emporteront vers un néant programmé. Le film nous a permis de sourire un peu, même si le ton et la mise en scène extrêmement décalés ont surpris, voire décontenancé, un public pourtant prêt à se divertir enfin. Les velléités artistico/politiques du film ont eu du mal à l'empêcher de basculer dans une symbolique un peu balourde.
Les deux premiers films français présentés en avant-première et hors compétition, s'ils n'ont pas fait plus sourire les spectateurs, ont eu par contre la chance de beaucoup plaire. " Cessez le feu " de Emmanuel Courcol, belle reconstitution soignée de l'après guerre 14/18 s'intéresse aux traumatismes des rescapés. Porté par un trio impeccable de comédiens ( Romain Duris, Gregory Gadebois et Céline Sallette), le film m"a semblé pourtant pâtir d'un scénario un peu hésitant quant à ses réelles intentions. Pas plus drôle, "Corporate" de Nicolas Silhol, tendu comme un thriller, empoigne le spectateur et le colle dans une grande entreprise au management musclé. Là où, sur un sujet similaire " Carole Matthieu " sombrait dans le ridicule, le film captive de bout de en bout, porté par une Céline Sallette ( oui encore elle !) totalement éblouissante, arrivant à faire passer son personnage de DRH inflexible et antipathique en héroïne en voie de rédemption.
Côté courts métrages, pas plus de sourires non plus ! Que ce soit le sensible "Tranzicija" de la serbe Milica Tornavic, au décor sombre et dont l'héroïne va partir aux USA  pour changer de sexe ou de la slovène Sara Kern et son petit garçon bouleversant et bouleversé par la mort du bébé qui terrasse ses parents  dans " Bonne chance, Orlo !" voire de la belge Emmanuelle Nicot ( "A l'arraché" ) avec ses attachantes adolescentes en révolte, malgré la qualité des regards et la force des sujets, tous ces films adoptaient une narration mi documentaire mi fiction qui passe pour  être désormais la voie incontournable de la narration pour les jeunes cinéastes. Seule la serbe Ena Sendijarevic mais sous couleurs néerlandaises, dans "Import", arrive à sortir le thème de l'immigration  des ornières de la fiction brute et toucher tout autant, sinon plus,  le spectateur,  avec un sens du cadrage original et une narration tout en poésie.
Pour terminer, et avant d'aller prendre à nouveau le monde tel qu'il est en pleine figure, je tiens à signaler, dans la section courts métrages d'animation, une petite merveille de créativité , de rythme et d'humour ( enfin !) sur un thème pas drôle ( la solitude et la mort) : "Catherine " de la belge Britt Raes, un pur délice !

mardi 24 janvier 2017

Compte tes blessures de Morgan Simon



Un père, un fils et la nouvelle copine du père composent un trio autour duquel le film tournera durant 1h20, bercé de rock alternatif . Le père, après son veuvage, reconstruit petit à petit sa vie tandis que le fils, évacue sa violence rentrée en chantant dans un groupe de hard rock et crie son mal de vivre en recouvrant son corps de tatouages. Mais l'arrivée de Julia, sympathique et attirante trentenaire auprès de son père, ne va pas arranger les rapports déjà conflictuels entre les deux mâles de la maison. Surtout que le fils ne va pas être insensible aux charmes de la jeune femme...
Premier film sans doute assez personnel où la passion pour la musique rock post hardcore côtoie une histoire de famille, "Compte tes blessures", après une entrée tout en violence musicale,  traîne à installer son intrigue. s'attardant un peu trop sur les concerts, ou des scènes de transition un peu fades. Heureusement, le trio d'acteurs, formidable, arrive à agripper le spectateur et lui offre dans le dernier tiers de jolis moments d'émotion. Nathan Willcocks dans le rôle tout en retrait du père taiseux et dur parvient à donner une vraie profondeur à son personnage. Kevin Azaïs, après " Souvenir " voit son corps se couvrir de nouveaux tatouages mais surtout apparaître de plus en plus convaincant à l'écran. Et Monia Chokri, avec une photogénie magnétique, emplissant l'écran de sa présence, a quitté l'univers de Xavier Dolan où la mère est un problème, pour celui de Morgan Simon et du père problématique. Et du coup, on en vient à comparer les deux univers à l'approche radicalement différente. Là où le canadien dans "J'ai tué ma mère" faisait figure de jeune prodige fou et inventif, Morgan Simon, en revendiquant comme référence la simplicité du cinéma d'Ozu, calme le jeu en essayant d'imposer un film plus sage, à la mise en scène sans maniérisme et faisant surtout confiance à une interprétation toute en retenue  Du coup, le film en devient plus fragile, un peu hésitant. Le spectateur peut être touché par cette histoire, mais restera aussi un peu sur sa faim. C'est très difficile de gagner en jouant sur le détail d'un demi-sourire, d'un frémissement, d'un regard... On sent une vraie sensibilité chez Morgan Simon, une envie de cinéma sur l'intériorité, mais on perçoit que l'enjeu de ce premier film a peut être retenu le cinéaste qui est en lui.

lundi 23 janvier 2017

Festival Premiers Plans 2017, jours 1 et 2


Me voilà pour la semaine au festival Premiers Plans d'Angers, le festival des premiers films ( longs ou courts) français et européens mais surtout un festival fait aussi pour le public, venu très nombreux.
La compétition est ouverte depuis deux jours et nous avons vu quatre longs métrages pas inintéressants mais pas emballants non plus....tout du moins vu de ma fenêtre. Le premier à ouvrir le bal, fut le succès surprise du box office italien, qui, en plus, a raflé une remorque David di Donatello ( le version transalpine de nos Césars).  " On l'appelle Jeeg Robot" de Gabriele Mainetti, sorte de revisite du cinéma de Tarantino à la sauce bolognaise, est plus proche d'une série B que du grand film d'auteur. La salle a souri, hurlé lorsque les petits orteils volaient à l'écran, a passé un bon moment mais a sans doute très vite oublié ce mix super héros/gore.
La France est entrée en lice avec " Compte tes blessures" de Morgan Simon, film sensible et fragile, porté par une interprétation sans faille et un joli regard, mais sans doute un peu trop sage. Puis, Grand Corps Malade est venu présenté son " Patients", film racontant sa renaissance après son accident. Cette chronique évidemment touchante a conquis le public qui l'a acclamé debout ( Prix du public sans doute assuré). Pourtant, le film, au-delà de son sujet, m'a paru assez proche d'un joli téléfilm et souffre de quelques soucis de mise en scène ( histoire d'amour ratée) et d'un interprète principal bien plus crédible dans son jeu corporel ( la rééducation) que dans son interprétation. Pour terminer, la jeune cinéaste française Lidia Leber Terki est venue présenter " Paris la blanche" délicat portrait d'une épouse kabyle à la recherche de son mari parti en France depuis 48 ans. Le film est assez fragile, avec un scénario un peu léger mais reste touchant par la délicate interprétation de Tassadit Mandi,
Côté courts- métrages, ayant raté la projection des premiers courts européens ( mais je me rattraperai demain) , les quatre courts français présentés, très différents, ont un peu divisé le public.... Entre ennui ou extase pour ( "Viré" de Hugo Rousselin), visionnage poli ou joli portrait en creux de l'Algérie d'aujourd'hui ( " Le jardin d'essai" de Dania Reymond ), plaisir de voir quelques acteurs connus dans une petite comédie pétillante ou banal petit sketche ( "Après Suzanne" de Félix Moati avec Vincent Lacoste, François Morel, Patrick d'Assumçao, Zita Hanrot ), facilité pour certains, voire gêne de voir des corps nus ou très joli initiation sensuelle ( "Blind sex" de Sarah Santamaria- Mertens), le public est sorti un peu dubitatif. Pour ma part, par sa mise en scène très réfléchie et sensuelle, par la formidable interprétation de sa comédienne principale, Camille Goudeau, par la force d'un sujet vraiment original, "Blind sex" m'a paru  très très prometteur !
Voilà, pour aujourd'hui, je laisse de côté mon ordi et je file dans les salles faire de nouvelles découvertes !

samedi 21 janvier 2017

Arrête avec tes mensonges de Philippe Besson


Jusqu'à présent, je l'avoue, je n'ai pas été un grand fan de Philippe Besson. Hormis quelques premiers romans qui possédaient un regard doux mais franc sur les sentiments humains, le reste de sa production, agréable à lire mais aux reliefs un peu arasés par une écriture tendre et un peu éthérée, donnait la sensation d'ouvrages un peu consensuels. Mais, cette année, grosse claque, le Besson 2017 est absolument formidable !
L'auteur a suivi l'injonction entendue durant toute son enfance d'arrêter de raconter des histoires et il a bien fait ! Pour la première fois, il parle de lui et de son premier grand amour lors de son adolescence à Barbezieux. Sans se départir de sa sensibilité habituelle, en évoquant avec une multitude de détails le début des années quatre-vingts qui revivent ici avec une netteté absolue, sans jamais jouer avec une nostalgie pourtant bien à la mode, Philippe Besson nous raconte son histoire avec Thomas, lycéen taciturne et secret. Avec une franchise absolue mais sans impudeur, revit sous nos yeux cette relation dont le qualificatif d'amoureuse n'est jamais écrit mais qui suinte de tous les mots, de tous ces instants qu'ils volaient en secret à une vie de provinciale étriquée. Et c'est dans cette réalité, que l'écriture de Besson fait merveille. Elle noue, drape, caresse, cette histoire avec un tendresse évidente mais avec aussi un recul des plus émouvants. La sortie du livre est accompagnée de l'expression "mise à nu de l'écrivain". Pour une fois, j'ai eu l'impression que ce n'est pas un terme marketing mais une réalité. En racontant cet épisode de sa vie, il nous émeut comme jamais et livre en plus ses secrets d'écrivain, cet amour adolescent se révélant être l'élément fondateur de son oeuvre dont on retrouve un peu partout dans ses romans précédents des éléments, éparpillés comme un puzzle qui, après plus de 20 ans de publications, viennent soudain former un ensemble cohérent et passionnant.
Autobiographique certes, mais absolument romanesque du début à la fin, cette évocation court par la grâce du réel, sur plus de trente années. Le dernier tiers du livre est absolument bouleversant tant l'émotion monte au fil des pages par la magie de cette écriture qui ici prend toute son ampleur et son évidence. Sans jamais en faire trop, ni chercher l'émotion facile, Philippe Besson, avec humilité et délicatesse, touche comme jamais son lecteur. C'est en larmes que l'on referme le livre, bouleversé par la triste beauté de cette histoire mais aussi par cette douce franchise d'un écrivain qui, en arrêtant les mensonges du romancier, parvient à nous offrir ce que l'on appelle un grand livre ! 

mardi 17 janvier 2017

Le loup en slip de Wilfrid Lupano, Mayana Itoïzet Paul Cauuet



Sous ce titre rigolard se cache un album hybride, mi BD, mi album jeunesse qui explique avec subtilité le monde d'aujourd'hui aux enfants ...à partir de 5 ans.
Au premier degré, c'est une banale histoire d'animaux dont toutes les peurs sont concentrées sur un loup qui habite un piton rocheux surplombant une riante forêt. Des lapins journalistes titrant sans cesse sur ses méfaits, à l'ours qui organise des cours de défense aux blaireaux qui ont monté une brigade anti-loups, tout le monde vit finalement de cette peur et l'entretient de façon commerciale jusqu'au moment où le loup passe leur rendre une petite visite. Et surprise, il apparaît un peu ridicule car vêtu d'un slip à rayures offert gentiment par la chouette qui, malgré sa vue basse, n'a aucun à priori, surtout envers une personne qui se glaçait les fesses sur son rocher à observer les va et vient dans la nature. A discuter, le loup se révèle même plutôt sympathique et même totalement fréquentable...
Wilfrid Lupano, a encore une fois frappé ! Scénariste devenu incontournable en quelques albums ( les inénarrables " vieux fourneaux", c'est lui !), sa virtuosité, appliquée pour un jeune lectorat, fait mouche. Humour et réflexion sont au rendez-vous dans un album caustique et hilarant dont vos enfants raffoleront sans nul doute. Et sans dévoiler la chute, "Le loup en slip" sera le parfait partenaire pour introduire une belle discussion sur la différence et la peur de l'étranger que l'on pressent toujours méchant. Accessoirement, pour les lecteurs plus attentifs, on pourra aborder aussi le thème du commerce libéral qui sait s'adapter à toutes les situations et qui bien souvent cache le vrai loup pour l'homme.
Vous le sentez, sous des airs rigolos et en utilisant la figure si symbolique du loup, les auteurs de ce formidable album parlent  profondément de nos vies, à l'instar d'un Perrault dans  " Le petit chaperon rouge".
Aussi drôle que profond, "Le loup en slip" trouvera une place de choix dans la bibliothèque de vos enfants, celle des albums incontournables qui font réfléchir tout en distrayant !



lundi 16 janvier 2017

Une jeunesse perdue de Jean-Marie Rouart


Un vieux beau qui ne supporte pas que le regard de jeunes et jolies ne glisse plus sur lui (les vieilles de son âge et de 20 ou 30 ans de moins, beurk !) traîne son mal de vivre entre la rédaction en chef d'une revue d'art d'un certain renom et son splendide appartement parisien avec personnel de maison dévoué. Même les déjeuners chez Lipp, à la maison du caviar ou une boisson revigorante au café de Flore n'arrivent pas à chasser cette sacrée impression de ne plus être qu'une masse de chair molle et guère séduisante. Mais, le hasard mettra sur sa route une dénommée Valentina Orlov, russe incendiaire bien sûr jeune et sculpturale, qui l'aimera comme une femme tempête. Petite définition de la femme tempête pour ceux et celles qui ne connaîtraient pas le jargon des alcôves bourgeoises : femme violente, bruyante, acharnée au plaisir ou si vous préférez, femme à l'humeur changeante et calculée totalement consciente de ses charmes.  On devine la suite. La chair qui s'avachit la met en transe, enfumant le cerveau du mâle bien crédule...
Jean-Marie Rouart,  plume encore alerte, cynique par moment, trousse un roman qui dégage des parfums incommodants, un peu comme ces vieux séducteurs inondés d'une eau de toilette entêtante. Le sujet vieux comme le monde, la faiblesse et la déchéance d'un homme qui croit possible l'amour d'une ( très jolie) jeunette pour lui, aurait pu donner lieu à quelque chose de mordant, de sexy, voire de drôle ou de tragique mais ici il est traité de façon assez convenue. Le lecteur ne gagne rien à batifoler avec lui, il voit les ficelles, soupire devant la candeur du personnage, s'énerve un peu devant cette suffisance de nantis même si parfois on sent un frémissement critique ( autocritique ?). On nage dans l'infatuation bourgeoise, dans une  misogynie certaine. Cela à fait naître dans ma tête de lecteur le cliché du vieil académicien libidineux qui rêve encore, de par sa position honorifique à trousser, sur une méridienne signée, quelque jeunesse délicieuse.
Et derrière cette histoire aux parfums surannés, se dégage une morale à géométrie variable. Si par hasard quelques jeunes lecteurs devaient se plonger dans cet ouvrage ( incertain, mais allez savoir...), ils apprendront, que pour peu qu'ils ne soient pas trop moches, il vaut mieux offrir ses fesses ( dans les bons endroits seulement) plutôt que de faire des études et de prouver sa valeur par sa culture et son travail. Avouez que pour un lecteur du Figaro ( qui, à part ce lectorat, lit du Rouart ?) cela peut défriser, passer pour iconoclaste et justifier des dithyrambes dans les colonnes de son journal favori ou dans ceux où les académiciens sont caressés dans le sens du poil ( par de jolies mains fraîches?). Mais rassurez-vous, pour les lecteurs des pages saumon, il y a un deuxième conseil bien plus pragmatique : vieux, vieilles, méfiez-vous des jeunesses ardentes et  tumultueuses, elles vont vous plumer ! Planquez tout ! Restez entre vous dans les salons dorés à jouer au bridge ! Et si la chair vous démange, si vous avez encore des appétits sexuels ( et pas d'héritiers), alors, libre à vous de vous enfoncez dans une dernière aventure et jouissez-en jusqu'au bout mais ne venez pas vous plaindre !

dimanche 15 janvier 2017

L'opium du ciel de Jean-Noël Orengo



Jusqu'à présent cantonné à la science-fiction, voici qu'en 2017, après avoir fait son entrée comme livreur chez un gros commerçant du web, il surgit en personnage principal d'un roman de littérature française. Après Emma Bovary, Swann, Zazie, voici Jérusalem, le drone ! Même si dans "L'opium du ciel", il sert surtout de prétexte pour faire réfléchir les lecteurs sur le fait religieux et ses tendances à occulter la moitié féminine de la planète, il n'en demeure pas moins qu'il s'impose tout de même comme une belle idée romanesque.
Jérusalem, objet volant et espionnant, au départ banal jouet acheté sans doute à la FNAC sera le propriétaire d'une jeune fille bien de chez nous qui l'emportera avec elle lorsqu'elle fera son djihad. Récupéré par un couple de doux intellos décalés, archéologues du religieux mais aussi fin bricoleurs, il sera réparé grâce à l'apport des pièces d'un autre drone, américain et militaire cette fois. Objet devenu hybride, une super intelligence lui sera en plus offerte, le rendant capable de réflexion voire de sentiments. Après avoir survolé de façon froide et glaciale la France et le Moyen-Orient, il continuera ses périples aux côtés d'un jeune couple, observant le monde avec une toute nouvelle acuité.
Ce personnage, qui nous sort des salons bourgeois dans lesquels se complaît le roman français, reste avant tout le prétexte à une fiction qui vire très vite à un quasi essai sociologico/politique, embarquant ainsi de grands thèmes actuels que sont, en vrac, les effets de la religion sur les masses ou la violence et la guerre qui en découlent, mais surtout, et cela court tout le long du livre, l'éradication du féminin dans les religions monothéistes, réduit le plus souvent à un rôle essentiellement maternel et interdit de divin. Le drone, doté d'une sensibilité indo-sémite, relira le monde au travers de ce concept, attelage original des deux plus vieilles religions du monde qui, pour l'un d'elle ( le judaïsme), n'avait pas, à l'origine, renié la femme. Mais le roman ne se contente pas d'être le vecteur d'une thèse assez ardue, il tacle pas mal sur nos petites manies actuelles et ne se gêne pas non plus pour y introduire des personnages réels, parfois pour s'en moquer ( Philippe Sollers).
Roman franchement ambitieux, "L'opium du ciel" s'est révélé, pour moi, à la lecture, plutôt chaotique. Si certains critiques ont trouvé le style de l'auteur " chatoyant et  protéiforme, où les phrases peuvent ressembler à de longues caresses ondoyantes, déclencheuses d'infinies jouissances" ( Damien Aubel dans le magazine Transfuges ),  personnellement, j'ai peiné pour les mêmes raisons. J'ai été assommé par ce torrent verbal, rythmé par de nombreuses énumérations, noyant un propos mordant, sexuel, au milieu de références ou de symboles. Une sensation de distance s'est irrémédiablement créée entre le thème et la folie de cette histoire, pourtant prompts à me captiver et cette écriture sans nul doute très travaillée, mais qui m'a paru cultiver un véritable entre soi. Et même si parfois j'ai été touché par un propos, titillé par une remarque, un court paragraphe, il ne me reste au final que l'impression pesante d'une proposition ardente mais trop alambiquée.
Si Jérusalem, le drone ( attention symbole !), surveille le monde, silencieux et léger, " L'opium du ciel", véritable démarcation du roman traditionnel, aurait gagné à être lesté  de quelques fulgurances stylistiques brumeuses. 

vendredi 13 janvier 2017

La terre qui les sépare de Hisham Matar


L'homme qui parle dans ce livre, Hisham Matar, n'a plus vu son père, farouche opposant au régime du colonel Khadafi, depuis 1990, année de son enlèvement au Caire, où toute la famille s'était exilée en 1979. Ils sauront assez vite qu'il a été emprisonné en Libye,  ils ne recevront aucune nouvelle, à part deux ou trois lettres passées clandestinement,  Au moment de la chute de Mouammar Khadafi, renaît le vague espoir qu'il fasse partie des nombreux prisonniers politiques libérés des geôles libyennes. Hélas, aucun miracle, le père est bel et bien porté disparu. Son fils qui remue ciel et terre depuis plus d'une décennie pour essayer de le libérer, décide de rentrer en Libye afin de savoir ce que fut sa vie en prison durant ces années, peut être le retrouver quelque part dans ce pays de cailloux et de sable rendu amnésique par des années de mauvais traitements ou tout simplement récupérer son corps pour lui offrir une dernière demeure décente. Ce récit nous embarque donc dans la quête de ce fils qui veut savoir coûte que coûte ce qui est arrivé à son père. Epaulé par son épouse Diana, photographe, ils sillonneront tous les endroits où se trouvent des personnes pouvant les éclairer, souvent d'anciens prisonniers. Se mêleront dans le récit un portrait plutôt hagiographique de ce père, une histoire de la Libye depuis la terrible et génocidaire occupation italienne jusqu'à nos jours mais aussi, en creux, le portrait d'un homme amputé trop tôt de cette figure paternelle dont il espère le retour.
Il faut que je l'avoue, j'ai dû faire une pause dans ma lecture pour recentrer mon attention. Sans doute bêtement, sur l'exil du narrateur et de sa famille est venu se superposer un autre exil plus actuel, celui du peuple syrien. Et la confrontation des deux m'a sérieusement déconcentré, puis prendre en grippe la fuite de cette famille, fort aisée, qui vit richement au Caire, envoie ses enfants étudier à Londres ou en Suisse, possède une demeure plus "campagne" à Nairobi. J'ai posé le livre quelques jours, histoire de respirer un peu et de pouvoir m'intéresser à ce sentiment tout à fait légitime et humain de la perte d'un père. Les riches ont aussi des souffrances. Bien m'en a pris, car la suite s'est finalement avérée, géopolitiquement surtout, franchement intéressante. La lecture est édifiante, terriblement précise mais aussi empreinte de toute cette poésie  moyen orientale ( qui peut parfois paraître un peu trop sucrée surtout dans la description des nombreux membres de cette famille tous plus généreux et bons les uns que les autres), parfaitement rendue, je pense, par la belle traduction d'Agnès Desarthe.
"La terre qui les sépare" ( quel beau titre !) reste un document riche et dense sur une famille meurtrie et endeuillée mais dont l'enracinement à la terre des origines se traduit aussi par une volonté féroce de la voir évoluer dans le bon sens. Une leçon de courage et de dignité. 

jeudi 12 janvier 2017

Voyage à Film City de Melvil Poupaud



Film City, se situe à Pékin et ressemble à un de ces studios de cinéma américains mais en version chinoise, c'est à dire aussi gigantesque que peut l'être son public présumé et à l'esprit plus autoritaire que libéral. Chance pour l'acteur Melvil Poupaud, son ami Charles de Meaux avec qui il avait déjà tourné, le veut à tout prix dans sa future œuvre, plus chinoise que française, que depuis des mois il s'acharne à produire  à Film City. Notre acteur français va se trouver plonger au cœur des aléas d'une production bancale, dans un pays où les traditions, autant cinématographiques qu'humaines, restent hors normes. Sentant que ce tournage sera une expérience assez unique, Melvil décide de consigner ses impressions dans une sorte de carnet de tournage, mélange de notations écrites et de photos. 
Quand on s'intéresse au cinéma, il est toujours agréable de se plonger dans un journal de tournage, une impression de soulever un pan du rideau de l'envers du décor doublé du sentiment d'approcher de plus près la vedette qui tient le stylo s'empare du lecteur. Sans jamais tomber dans un étalement vaniteux ni narcissique, Melvil Poupaud, nous plonge en plein cœur de ce projet aussi fragile que somptueux. Seul acteur français au milieu d'une pléiade d'acteurs chinois dont la star locale ( mais dont l'aura n'est pas encore parvenu jusqu'à nous) Fan Bingbing ( ça ne s'invente pas, ça fait onomatopée mais même traduit cela donne  malade/malade...ce qui n'est pas mieux ). Des difficultés de monter une production avec les chinois quand on est français, à l'absolue plasticité de l'acteur ayant appris ses répliques phonétiquement qu'il balance avec conviction face à des acteurs locaux dont il ne comprend un traître mot, le tournage s'avère aussi tourmenté que particulier. Même s'il ne consigne aucune impression vraiment personnelle et même si son journal n'est pas tenu de façon régulière, un certain charme opère. Les photos en noir et blanc contenues dans le livre éclairent le propos et véhiculent aussi bien que le texte, ce léger sentiment de solitude que peut éprouver l'acteur, isolé dans un pays à l'hospitalité distante. On pourra regretter cependant la brièveté de ce reportage ( plus qu'un vrai journal) que j'aurai souhaité plus fourmillant de détails. 
Reste que cette publication servira peut être à la sortie de "The lady in the portrait", titre du film, qui, jusqu'à présent n'a pas encore trouvé les chemins de nos écrans. 

mercredi 11 janvier 2017

Dalida de Lisa Azuelos


Le biopic au cinéma, c'est casse-gueule. Soit on résume toute une vie, en enfilant les moments importants comme des perles, dans une chronologie qui laisse rarement la place à une mise à distance ou à un regard particulier ( L'odyssée , il y a quelques mois ). Soit on prend juste une partie d'un parcours qui permet de dresser un portrait plus en profondeur ( Life d'Anton Corbijn sur James Dean). Dans les deux cas cités, seul le deuxième aboutit à un résultat intéressant. Mais, pour les deux films cités, la narration s'avère plus simple, les héros ne chantant pas, leurs réalisateurs n'eurent pas  l'obligation de transformer leur oeuvre en juke-box. Revient alors à l'esprit  un des exemples célèbres de biopic français à ritournelles, "La môme",  qui, lui,  avait choisi une narration totalement éclatée et accessoirement de plâtrer une comédienne pour la rendre crédible... 
Pour Lisa Azuelos, la réalisatrice, le challenge de retracer une vie, avec des tubes et un sosie de cette icône que fut Dalida  ressemble à un vrai challenge. Et, petit obstacle en plus, il lui fallut passer sous les fourches caudines du frère de la chanteuse, tout à la fois producteur associé et véritable gardien du temple de l'image de sa soeur. L'option choisie, pas des plus originales non plus mais qui donne un peu d'allure à la chose, fait démarrer le film sur un moment clé de la vie de la créatrice de Bambino ( ici sa tentative de suicide en 1967). Suivent, ses débuts et sa carrière, avant, après, et la mort qui n'arrête pas de roder  autour d'elle, le tout ponctué de quelques moments de l'enfance et par un tourbillon de refrains.
Que dire du film ? Malgré des tentatives touchantes de sortir d'une certaine linéarité biographique, , en plaquant  notamment certaines chansons pas à la bonne période mais en lien avec l'histoire, en cherchant à apitoyer le spectateur sur cette accumulations de suicides qui jalonnent sa vie,  j'ai toutefois eu l'impression d'avoir regardé un long clip à la gloire de la chanteuse. C'est beau, clinquant, Sveva Alviti resplendit à l'écran et apparaît convaincante en Dalida. Mais tout va trop vite. Le film, monté comme une succession rapide de pastilles illustratives, ne touche guère sauf durant quelques minutes peut être, quand il prend le temps de s'attarder sur l'exceptionnel talent d'interprète de la chanteuse. Cependant, ce sont plus les chansons qui émeuvent que le film par lui même, totalement absorbé à faire défiler le maximum de détails, sans jamais prendre le temps d'approfondir le personnage. 
Alors, on tape du pied, on dodeline de la tête suivant les tubes diffusés et le temps passe agréablement mais sans avoir la sensation de voir un grand film, juste un bel album d'images glamours, aussi clinquantes et pailletées qu'un show de la chanteuse au Palais des Sports. Si l'on est fan de Dalida, on peut y aller, les autres .... 

mardi 10 janvier 2017

Sans Véronique de Arthur Dreyfus


Véronique était sans doute la plus patiente des caissières de l'Intermarché de Thomery ( village pas si riant que ça de la grande banlieue parisienne). L'heure de la retraite a sonné et elle profite du cadeau de départ de son entreprise, à savoir une semaine dans un club de vacances à Sousse en Tunisie, sans Bernard son mari, resté à la maison avec ses chiens. C'est sans doute la première fois qu'ils sont séparés aussi longtemps depuis plusieurs décennies de mariage. Mais ils ne se reverront plus, Véronique périra sous les balles d'un attentat terroriste. Une mort gratuite, révoltante, que son mari d'abord anéanti, décidera de venger en se rendant en Syrie.
Retour au romanesque pour Arthur Dreyfus où, comme dans ses récits précédents la mort tient une grande place. Alors, je vois déjà des sourcils se froncer, l'envie de fuir peut être vous gagner, car vous en avez soupé des attentats, de la Syrie. Vous voulez du divertissement, oublier un peu ce quotidien bien sombre. Pourtant si vous snobez ce roman, vous passerez sûrement à côté de ce qui fait la force de la vraie littérature surtout quand elle est écrite par quelqu'un de brillant. En s'emparant d'un sujet d'actualité brûlant, sur lequel on entend tout et n'importe quoi, le romancier le ramène à sa dimension humaine la plus simple, la plus brute et donc la plus à même à toucher le lecteur. En focalisant son récit autour de deux anonymes, personnages assez lambdas, Bernard le mari plombier de Véronique et épisodiquement Seifeddine le futur terroriste, nous sommes plongés au plus près des pensées de ces deux hommes. Nous vivons avec eux ces événements, la perte d'une femme aimée et la lente radicalisation d'un brillant étudiant. Et sous la plume alerte et précise, bienveillante et frontale d'un romancier, jeune, parisien et intello mais capable de se glisser avec une stupéfiante aisance dans la peau d'un plombier sexagénaire, le récit devient aussi le véritable portrait d'une famille française moyenne, celle que la littérature snobe souvent. Il  y a longtemps que je n'avais lu des pages aussi pertinentes, aussi sensibles, sur la vie de citoyens dans un petit pavillon où derrière la belle simplicité de la mise ou de la pensée, se cachent aussi des êtres qui aiment, s'aiment, se taisent, s'engueulent, se cherchent. En partant d'une intrigue très actuelle, le roman déploie toute une myriade de détails qui donne au récit une densité incroyable, oeuvre d'un très sensible observateur tout autant que d'un fabuleux styliste  à l'écriture déliée et rapide, mise en valeur par la construction très particulière de son roman qui contient autour d'une petite quarantaine de phrases sur 250 pages. Et là, je revois les sourcils qui se froncent, les " pfff, quand est-ce qu'ils vont faire court les auteurs ! " . Pas de panique, à la lecture, on ne s'aperçoit nullement que certaines phrases courent sur 5 ou 6 pages, tellement le verbe est facile et prenant ( avec aussi un jeu très malicieux avec la ponctuation). Ces longues phrases servent finement le récit, le rendant plus haletant, plus précis, plus émouvant,  et permettent en plus de déployer toutes les pensées aussi bien  politiques que philosophiques de l'auteur sur des thèmes aussi sensibles que la religion, l'islam, la mort ou le sexe. ( Et sans rien dévoiler, il ne mâche pas ses mots ! ).
Même si le dernier tiers et les pirouettes finales n'ont pas la crédibilité du début, "Sans Véronique" est totalement bluffant d'émotion. On sort de ce roman grandi, certes essoré par cette terrible aventure mais plus riche d'un regard qui scrute nos sociétés avec finesse et attention et qui a la générosité de nous le faire partager avec talent et sincérité. 

dimanche 8 janvier 2017

Le parc de Damien Manivel


Un parc, une fille, un garçon, tous deux adolescents, un premier rendez-vous, des mots et des phrases banales, une approche timide, des regards, des silences, et les corps qui s'approchent, des bouches qui finissent par se rejoindre, des mains caresser une peau. La lumière faiblit. Le garçon doit rentrer. La fille reste comme pour savourer encore dans le calme de la soirée cet instant très précieux. Et puis la vie moderne qui continue, l'échange de sms qui pourraient prolonger avec des mots écrits ce doux moment, peut être le début d'une jolie histoire... ou peut-être pas.
Damien Manivel filme cette histoire avec peu de moyens, en lumière naturelle, comme une suite de petits tableaux modestes. Cela peut paraître plat, gnangnan quand on est habitué à une grosse cavalerie d'effets divers et variés ou de jeu d'acteur clinquant, mais pour moi, cette simplicité m'a d'abord intrigué, puis touché et lorsque le film bascule avec la nuit, complètement ému et transporté dans une palette d'émotions intenses.
"Le parc", que beaucoup trouveront mièvre, plat, voire très ennuyeux, demande sans doute un certain état d'esprit au spectateur qui doit se laisser aller à sa geste artistique très naturaliste, captant avec pudeur ces  frémissements, ces hésitations, ces élans gracieux des premières rencontres, des premiers désirs. Le cinéma a déjà beaucoup filmé cela depuis des décennies, mais ici, c'est sans aucun doute de l'extrême simplicité de la forme que naît ce sentiment d'universalité. Quand, au crépuscule, l'histoire  d'amour se termine ( magnifique scène de sms ) , le film s'engage une direction beaucoup plus rêveuse, presque onirique et multiplie soudain de façon encore plus intense la palette d'émotions qu'il veut faire partager. Sans dévoiler la suite ( ce serait idiot de le faire, tant ce film fragile mérite qu'il soit vu), nous assistons à une très belle réflexion sur la notion de temps dans nos vies tout en s'enfonçant petit à petit dans une succession de scènes amenant petit à petit le récit dans le fantastique. Et ce parc, placidement banal au départ, devient le lieu de toutes les émotions, de la peine, de la tristesse, du contournement du réel pour mieux affronter la vie, du jeu des apparences, de la peur, de l'angoisse. Tout en conservant cette fausse simplicité, la mise en scène finit par des plans d'une grande maîtrise, jouant avec force sur nos émotions les plus intimes.
Sans doute que quelques uns trouveront cela totalement rasoir, mais, si comme moi vous avez la chance de vous laisser prendre par ce récit bien plus ambitieux qu'il n'en a l'air, vous retrouverez de façon très inattendue les émois que font naître un premier rendez-vous, une rupture ( ici d'une absolue modernité) auxquels vont aussi s'associer, les élans de l'aventure et toutes les peurs que notre imaginaire peut créer.
Je n'avais pas tellement aimé le premier long métrage de Damien Manivel " Un jeune poète", qui jouait de la même façon sur la simplicité et la notion de temps. "Le parc", lui m'a totalement émerveillé, sans doute parce que beaucoup plus abouti scénaristiquement. Mais, tout en conservant une façon unique d'appréhender son cinéma fait de subtils frémissements filmés sans esbroufe, ce jeune réalisateur, dans un créneau arty, apporte autant un vent de fraîcheur qu'un véritable regard sur nos émotions intimes dans un cinéma français qui ose des productions non formatées.


mercredi 4 janvier 2017

Nocturnal animals de Tom Ford



Voici un film plein comme un œuf, du générique de début jusqu'au dernier plan, les amateur de recherches psychologiques seront à la fête tellement "Nocturnal animals" est parsemé d'éléments troublants, signifiants voire sursignifiants. Ainsi, le film démarre de façon étonnante, plaçant la barre très haute dans le concours du générique le plus original de l'année. Nous sommes accueillis par des dames vieillissantes, nues, obèses, portant un chapeau et des épaulettes pailletées façon pom pom girl et dansant joyeusement, leurs rondeurs avachies voletant gracieusement grâce à un ralenti opportun. Le pourquoi de cette entrée en matière n'est pas réellement donné, même si l'on devine que ces dames font partie d'une exposition d'art contemporain dans la luxueuse galerie de l'héroïne ( critique sans doute du paraître et du matérialisme ambiant). Tout le film jouera durant deux heures à ce petit jeu ambiguë où le spectateur devra décrypter les différents indices que le réalisateur enfile comme des perles. Parfois leur visibilité apparaît comme trop appuyée, parfois cela titille le cerveau, parfois on voit mais on ne saisit pas le sens exact... et je ne parle pas des nombreuses références qui m'ont échappé mais que l'on devine tapies dans chaque plan ( le seul fait de les sentir présentes donne sans doute plus de mystère, voire de prestige au film).
Si je rajoute que "Nocturnal Animals" nous propose trois histoires dans trois temporalités distinctes, je vois déjà certains lever les yeux au ciel et se dire que voilà encore un pensum pour cultureux ! Hé bien pas tant que ça. Malgré son scénario complexe et enturbanné de références, l'histoire se concentre sur une femme trompée par son mari actuel ( donc en dépression) qui, pas de chance, reçoit des nouvelles de son premier conjoint sous la forme d'un manuscrit qui lui est dédié et donc la lecture la renverra à sa propre histoire. Le film narre à la fois, dans une image verdâtre et sombre l'effroi psychologique dans lequel l'héroïne est plongée et dans des tons orangers et violents, le contenu du manuscrit, un polar très rude abordant des thèmes aussi ravageurs que la culpabilité, la vengeance et bien sûr la mort. A l'écran, cela fonctionne très bien. On passe sans problème de l'univers ultra chic et glacé de la galeriste d'art à celui d'un désert texan et de son minable bungalow. Et même si dans le dernier tiers, l'accumulation de détails signifiants alourdit le récit et noie un peu le spectateur dans des interrogations auxquelles je ne suis pas toujours arrivé à répondre, le film interpelle, intrigue durablement et gagne aussi la partie grâce à son esthétisme impeccable.
Tom Ford, avec son deuxième opus, impose déjà une certaine patte, entérine son envie de filmer des rousses torturées ( Amy Adams après Julianne Moore dans  A single man ), de glisser un peu un érotisme ici de bon aloi en déshabillant  ses comédiens mâles ou en jouant l'ambiguïté avec des corps féminins et surtout en imposant un cinéma très psychologique et très critique sur un monde d'apparence.


lundi 2 janvier 2017

Diamond Island de Davy Chou


Je l'avoue, j'ai dû passer à côté du premier film de Davy Chou, dont tout le monde dit le plus grand bien. Diamond Island, cité de divertissements et d'affaires des plus clinquante, se construit sur une île face à Phnom Penh. Comme nous sommes au Cambodge, sa campagne regorge d'une main d'oeuvre jeune et peu chère. Bora va donc quitter son village et une mère que l'on devine malade pour aller travailler sur cet immense chantier aussi dangereux que les conditions de logement sont spartiates. Et quand on est un jeune homme, après le turbin, on sort, on regarde les filles et l'on avale des sodas. Le coin regorge d'échoppes aux néons multicolores et aux karaokés accueillants qui font oublier la rudesse et la dangerosité du travail. Un soir, au hasard de ses déambulations avec ses amis, Bora croisera un frère aîné parti bien avant lui et dont il n'avait guère de nouvelles. Sans doute plus en phase avec la société libérale dont le pays prend la voie, ce grand frère semble vivre à l'aise, peut être parce que protégé par un  généreux (?) mécène qui lui promet l'Amérique.
Oui Davy Chou nous a concocté un film à la fois politique ( le rapport d'une jeunesse frustre face à une économie libérale dont les lumières l'éblouissent mais qui se révèlent de vrais mirages mais aussi ce passage et cette envie d'amnésie totale du passé que suggère cette construction sans âme véritable) mais aussi sentimental, sur une jeunesse un peu perdue. Le cinéaste sait très bien utiliser les couleurs du pays, ses habitants aimant les habits voyants et colorés, ses lumières et néons qui essaient de cacher une certaine misère. Mais, car oui, il y a un mais, malgré de formidables bonnes intentions, il en a oublié le scénario. Après une mise en place longuette mais dense grâce à un formidable arrière-plan social, le film prend la piste du vieux rêve libéral du départ pour l'Amérique sans s'en servir réellement, lui préférant au final des amourettes dont la fadeur et le peu d'intérêt font tâche par rapport à l'ambition du projet. On s'ennuie pas mal à les voir circuler en moto, errer dans des rues certes aux couleurs agressives, se regarder sans oser se parler ou se toucher ( je sais, c'est culturel, ...).  Les jeunes comédiens, très photogéniques, montrent assez vite leurs limites quand ils doivent jouer les sentiments. Ok, le libéralisme envahit le Cambodge et sa jeunesse, oublieuse des khmers rouges, se vautre dans sa mystification. Oui, l'amour de l'autre peut leur ouvrir au moins la porte d'une certaine félicité, mais tout cela manque sérieusement de punch et prend trop souvent une pose auteuriste en jouant sur la contemplation, la longueur exagérée des plans et une vraie lenteur.
Davy Chou possède, c'est évident, un vrai regard mais gagnera surement dans le futur à resserrer et densifier ses scénarios et à utiliser le non-dit de manière plus dramatique.


dimanche 1 janvier 2017

Et si tu n'existais pas de Claire Gallois


Ah les souvenirs d'enfance ! Que de lignes romancées, reconstituées, remodelées, écrites à l'os au plus près du souvenir ne furent écrites, publiées. Le sujet voisine inévitablement avec le ou les  portraits d'un père aimant ou pas, d'une mère adorable ou marâtre, tant l'enfance reste liée à un attelage familial plus ou moins disparate et confortable.  La source ne se tarit jamais et c'est toujours avec une même curiosité, teintée du plaisir de replonger dans ce moment si particulier et si fondateur de nos vies, que l'on continue à découvrir celle des autres. Ces parcours si divers, filtrés par l'écriture, le style ou le regard d'un auteur, font de ces souvenirs  un espace réflexif où nous nous confrontons à l'autre mais aussi à nous même. Bien sût tout ne se vaut pas, loin s'en faut. Cette réécriture du passé peut engendrer banalité, point de vue trop sentimental ou au contraire sensationnalisme, tout étant affaire de dosage, de sensibilité, de talent.
Claire Gallois dans "Si tu n'existais pas" n'échappe pas aux règles du genre, la famille est bien présente. Père, mère, aïeux, tous ont participé à accompagner ses pas dans la vie mais pas plus ( et peut être moins) que le couvent des oiseaux où la petite fille fut paisiblement enfermée durant dix années. Celle qui reste dans son coeur, dans sa tête, gravée sur sa peau, c'est Yaya, nourrice qui durant quatre ans, dans un hameau de la Creuse, a su lui donner tout ces bons ingrédients que sont l'amour et la tendresse, étais pour toute une vie. Arrachée brusquement à cette femme pour un retour impromptu dans son vrai foyer parisien et bourgeois, la petite fille n'oubliera jamais ces mois de bonheur uniques. Une fois adulte, elle cherchera à retrouver celle qui sut lui offrir, plus que personne au monde et à un moment crucial, tout ces sentiments fondamentaux.
A première vue, rien d'extraordinaire donc, ni d'original.... Détrompez-vous ! Dans cette trame linéaire, à l'écriture soignée et subtile, serpente comme dans un thriller psychologique, un mystère constant dont je ne dévoilerai rien. Il est question de parentalité, d'un passé assez simple qui devient de plus en plus trouble lorsque adulte on y repense. Mine de rien, au creux de ces mots sautillants comme l'enfance se nichent des secrets de famille mais aussi un regard décalé sur l'amour filial. Qui est sa vrai mère ? La bourgeoise distante qui soupire et délègue ou la nourrice aimante et présente ? Est-on obligé d'aimer ses parents et vice-versa ? La force de ce court récit tient sans aucun doute à cette façon totalement  simple et normale de raconter toutes ces choses là, avec aménité, malgré un terreau qui aurait pu donner lieu à un règlement de compte. Et lorsque, au terme du livre, les choses se clarifient, Claire Gallois, nous plonge dans un autre aspect de cet amour dont la paisible description de normalité vaut tous les traités sur un sujet de société si sensible.
Bref , "Et si tu n'existais pas " l'est. Mais pas un mot, pas une ligne de trop dans ce récit qui sait ce qu'il a à dire, qui le dit bien, qui réserve un espace au lecteur pour qu'il s'émeuve et surtout s'interroge. Pour moi, la meilleure recette pour un livre de souvenirs autour de l'enfance.