dimanche 30 août 2020

L'inconnue de la Factory de Basile Panurgias

Alvise, jeune italien, quitte sa Venise natale pour tenter sa chance aux USA. Mais placer des fórcoles ( morceau de bois qui supporte la rame des gondoles) à New-York n'est pas d'un grand rapport. La dèche le guette. Lors d'une sortie dans la vie nocturne endiablée de la fin des années 80, au cœur d'une jeunesse cosmopolite et prête à tout pour réussir, il croise une jeune femme dont il tombe éperdument amoureux. Cette dernière, potentiellement résidente de la dernière factory wharholienne dont le maître vient de disparaître, se volatilisera aussi soudainement qu'elle est apparue et sans avoir laisser aux corps le temps de se découvrir. Des recherches éperdues ne donneront rien et voilà notre jeune Alvise de retour à Venise, amer et obsédé par le souvenir de cet amour possible qu'il n'a pu saisir. Le roman disséquera alors la vie d'Alvise partagé entre ce souvenir envahissant et son envie d'avancer.

Pas besoin d'être un grand lecteur pour trouver cette intrigue passablement peu originale. Heureusement, on s'aperçoit bien vite qu'elle n'est qu'un prétexte pour Basile Panurgias pour qui la réunion possible de deux êtres n'est pas l'intérêt premier.

Construit aussi habilement qu'il est joliment écrit, «  L'inconnue de la Factory » m'a procuré un agréable moment de lecture. En plus de voyager sur deux continents, j'ai apprécié d'être questionné sur l'aspect passager de nos vies, sur les effets ambivalents des nouveaux moyens de communications, sur un monde aux prises avec une modernité subie et dont Venise est le parfait symbole proche de l'effondrement.

Ce joyeux mélange d'intrigue vaguement sentimentale avec un regard franchement critique sur nos sociétés occidentales, arrive à gommer le côté banal d'une histoire et finit par nous séduire. A découvrir.



 

samedi 29 août 2020

Le palais des orties de Marie Nimier


 Ca démarre de façon très classique, façon "Théorème". Un jeune woofeuse (  qui travaille bénévolement contre un hébergement) débarque dans une famille d'agriculteurs cultivant des orties et vendant vaille que vaille moultes produits dérivés. Elle est jeune, belle, forcément séduisante. On devine que tout le monde va tomber sous son charme et plus puisque affinités. Cele ne se déroulera pas tout à fait ça mais presque...

Sur une trame somme toute classique, Marie Nimier, en plus de faire se trousser deux héroïnes, trousse aussi une jolie histoire très agréable à lire. On s'intéresse autant à la culture de l'ortie qu'à la vie de ces agriculteurs d'un nouveau genre. L'intrigue est soigneusement menée, peuplée de détails, de personnages attachants ou singuliers. On appréciera le crescendo passionnel d'une rencontre inattendue, petit plaidoyer pour signifier que l'amour se fiche des genres. 

Sans bousculer ni le genre, ni la littérature et en embarquant sans heurt et avec tact le lecteur, l'auteur prouve une nouvelle fois son talent de conteuse. Autour d'un sujet assez rebattu, Marie Nimier nous offre un très agréable moment de lecture, pariant sur la simplicité de l'intrigue qu'elle transcende par un sens inné du détail, composant ainsi un récit attachant qui peut, ici ou là, devenir assez piquant... On ne met pas l'ortie en vedette pour rien ! 




vendredi 28 août 2020

Effacer l'historique de Benoît Delépine et Gustave Kervern


 "Effacer l'histoire " joue la carte "comédie de la semaine"  mais exactement aux antipodes de ses nombreuses consoeurs qui défilent mercredi après mercredi sur nos écrans. Non formatée aux exigences de quelques chaînes télé, ayant du sens et un tantinet politique, elle s'avère très réussie et infusera longtemps dans l'esprit des spectateurs. 

Longtemps ?! ...Peut être pas pour tout le monde si j'en juge par les 3 spectateurs de ma rangée qui ont déserté la salle au bout d'un quart d'heure avec force commentaires du genre ; " C'est n'importe quoi ce film !" ou "  C'est même pas bien filmé !" et " On reveut Kev Adams !" ( non, ça c'est faux...) . 

Faut dire que le film nous prend tout de suite à rebrousse-poil. Les habitués des images proprettes et cadrées joliment façon téléfilm sympa, se voient imposer une sorte de super16 gonflé pour grand écran, un peu granuleux et façon Martin Parr piqué de décadrage. Ce n'est pas du tout aimable à l'oeil, accentue sans doute l'effet borderline des personnages mais reste peut être le seul petit point noir du film , qui en assumant un format plus classique aurait sans doute mieux atteint son but auprès d'un certain public. 

Hormis cela, le film se révèle aussi mordant qu'inventif, aussi grinçant que militant et aussi drôle que triste. On rit énormément, mais les trois personnages sont dans une telle misère, que le rire se transforme en grimace parfois, Jamais caricaturaux, toujours aimés par les deux réalisateurs, ces trois exploités d'un libéralisme numérisé nous renvoient comme un miroir un portrait gratiné de notre société de consommation. Comme cette fois-ci, le scénario semble plus travaillé que d'ordinaire ( par rapport aux précédents films du duo, moins d'errances ou de moments inutilement longuets), le spectateur n'est pas perdu en route et assiste à une succession de scènes d'anthologies aux dialogues percutants. Longtemps après la séance, une réplique, un gag, viennent nous redonner le sourire voire l'envie d'envoyer valser tous ces GAFA qui nous pourrissent insidieusement la vie. 

Pas vraiment aimable mais diablement impertinent et porté par un trio d'acteurs impeccables ( Corinne Masiero sobre et efficace et surtout Blanche Gardin qui porte l'essentiel du film), "Effacer l'historique" dépoussière avec brio la comédie française et, n'en déplaise à certains, permet de faire se poser quelques questions sur nos comportements. Encore faut-il accepter l'effort qui est demandé. Mais actuellement c'est tout, tout de suite ou, hélas, rien pour ceux déjà complètement aveuglés par le formatage ambiant. 




jeudi 27 août 2020

Un enlèvement de François Bégaudeau



 Ils jouent les jeunes malgré une quarantaine bien présente. Ils sont beaux, le savent et en sont aussi fiers que de leur réussite professionnelle dans des secteurs loin d'être essentiels à la collectivité, comme le conseil en entreprise pour elle ( donc faire payer cher un verbiage factice pour cacher les vilaines choses), la finance pour lui ( optimiser l'argent de ceux qui en ont déjà beaucoup). Ils ont deux enfants, une fille et un garçon, beaux, intelligents ...ou presque ... Un petit détail  fait tache dans ce tableau idyllique. le cadet, entrant au CE1, n'a pas réussi à apprendre à lire malgré qu'il ait usé ses fonds de pantalon IKKS sur les bancs d'une école privée dont l'instit n'a pas été formée à la pédagogie mais juste à recracher le discours creux attendu par des parents payeurs, le même que celui qu'ils prodiguent à longueur de journée. 

"Un enlèvement" nous propose donc un " Bienvenue en terre inconnue " au milieu de bobos parisiens joggant, sirotant des smoothies bios dans leur villégiature royannaise. Les personnages sont puants de suffisance et posent question au lecteur. Est-on dans la satire ? Le sociologique narquois ? Une réalité à peine romancée ?  On ne sait pas trop au début et c'est ce qui fait le charme de la première partie du roman. On se demande où tout cela va aller surtout que s'insinue dans cet univers d'apparences parfaites un fait divers local narrant la disparition d'un adolescent. 

Le vernis craque peu à peu, symbolisé par ce tunnel que creuse inlassablement sur la plage un fils de plus en plus mal aimé. Puis vient, plus banalement un marivaudage avec maîtresse non plus dans le placard mais sur SMS. Du coup, dans sa deuxième partie le roman s'effiloche, peine à rester convaincant,. Tout apparaît soudain téléphoné, banal. Fini le sarcastique et en route pour un final improbable tentant de lier tous les éléments mis en place avec une lourdeur qui finit par faire sombrer l'ensemble dans le tout venant. Dommage... 

mercredi 26 août 2020

A la première étoile de Andrew Meehan


Eva a le bec sucré mais dès qu'elle croise «  Aigle dans le dos » dans une pâtisserie parisienne, son esprit se met immédiatement en éveil. Au diable les gourmandises sucrées, n'a plus qu'une obsession, retrouver cet homme.

Il faut dire qu'Eva a perdu la mémoire et qu'elle ne doit son salut qu'à la très grande bienveillance de Ségo qui l'a prise sous son aîle en l'employant et la logeant dans son restaurant. Son esprit perturbé enverra valser cet équilibre précaire pour traquer un homme qui lui révélera peut être un passé un peu douloureux et surprenant.

Aïe ! Une histoire d'amnésie, thème ultra labouré pour auteur(e) de polar ou de roman psychologique pas toujours inspiré. On a tous plissé le front sur une de ces intrigues où l'improbabilité de l'action le dispute avec des airs de mille fois lu ou vu.

«  A la première étoile » n'échappe pas à la tradition de faire découvrir petit à petit ce passé disparu jouant sur le vague mystère d'amours tumultueuses rapportées par quelques rares témoins mais aussi par un journal intime judicieusement retrouvé ( grosse ficelle ? ).

Heureusement cette intrigue, très basique, est légèrement détournée par l'auteur qui nous fait pénétrer dans le cerveau bien perturbé d'Eva. Celui-ci, en plus d'être quasi vierge de souvenirs, n'est plus trop raccord avec les usages de la vie en société voire avec la syntaxe. Lire la façon dont l'héroïne jongle parfois avec les mots, les expressions, se révèle un réel plaisir de lecture, donnant à l'ensemble une touche de poésie et de drôlerie.

Hélas, ce n'est pas l'essentiel du roman et, surtout dans sa deuxième partie, l'intérêt retombe de pas mal de degrés. L'intrigue, même habilement construite, n'échappe pas aux poncifs du genre, le tout sur fond d'Ile de Ré et de demeures cossues. Un début d'indifférence polie m'a gagné, me détachant d'Eva au fur et à mesure qu'apparaît la vérité et les personnages secondaires plongent à sa suite.

Pas réellement emballé par ce roman, qui, bien qu'essayant d'être original, n'est pas arrivé à me passionner jusqu'au bout. Je reste plus généreux que le titre en lui accordant deux étoiles ( sur cinq)!




 

mardi 25 août 2020

Je m'appelle Mercy de Madame Monsieur et Saskia Halfmouw

 Mercy au départ, c'est la chanson française représentant la France au concours eurovision en 2018 inspirée aux deux compositeurs/interprètes par un tweet annonçant la naissance d'une petite fille sur le bateau Aquarius, connu pour ses nombreux sauvetages de migrants au large de la Méditerranée. 

La chanson, plutôt réussie, n'a pas cassé la baraque au concours ( 13 ème/26) mais a touché un public très nombreux même au-delà de nos frontières. Et c'est en recevant des messages de l'Europe entière, qu'Emily Satt et Jean-Karl Lucas, ( nom plus courant de Madame Monsieur) ont eu l'idée de transformé leur chanson en album jeunesse. 

La gageure est grande, car illustrer l'immigration, l'errance en mer, sans tomber dans le pathos, la trop grande dureté ou le gnangnan n'est guère aisé. Avouons que le résultat est fort réussi. Saskia Halfmouw,  en plus de donner du sens au texte de la chanson évidemment un peu symbolique, nous propose une image ni fade ni édulcorée de ce drame qui n'est pas prêt de cesser, et reste parfaitement à hauteur d'enfant et utilise à merveille le format italien de cet album. On retiendra les superbes et inquiétantes illustrations (sans être effrayantes) des colonnes de migrants fuyant guerres et famines ou de la dérive en mer. Tous les droits de cet album seront entièrement reversés à Mercy et sa maman, en ce moment dans une maison d'accueil de Naples. Voilà donc une terrible histoire que la musique et le livre réussissent à rendre belle. Un très beau message d'espoir, d'humanité nous est délivré ici. Bravo ! 

Merci à BABELIO et aux éditions STEINKIS pour la découverte de cet album. 

Et pour le plaisir : La chanson "Mercy". 

  



Requiem pour une apache de Gilles Marchand

 

« Requiem pour une Apache » m’a fait penser à une pâtisserie, un gros gâteau extrêmement alléchant sur lequel on se jette avec gourmandise et que l’on commence à avaler goulûment, la gloutonnerie faisant fi de la saveur exacte. Puis vient l’écœurement... trop gros, goût unique et surtout beaucoup trop sucré.

Littérairement ça donne un narrateur ex vedette de la chanson qui nous narre le portrait de l’Apache du titre : Jolène, pas du tout indienne, juste caissière de supermarché, sans aucun trait saillant pour qu’on la remarque et un poil misanthrope. Ces deux là se sont rencontrés dans une sorte d’hôtel/bar/pension de famille, repère d’une faune de mal aimés. Ça va d’un ersatz de Bonnie and Clyde à Alphonse désormais trônant sur le bar dans une bassine depuis qu’il s’est liquéfié lors de la vision de son idole Anita Ekberg. Gilles Marchand nous décrit longuement cette bande de sinistrés de la vie avec saveur et poésie.

Au départ, c’est très plaisant, plein d’une humanité de bon aloi et avec la promesse d’une révolte menée par cette Jolène que l’on nous fait pressentir comme une future Louise Michel ou Rosa Luxembourg. Sauf que ces louables intentions vont petit à petit se noyer dans un récit qui va continuer à nous asséner des portraits, certes tendres, originaux, poétiques, mais aux dépens d’une intrigue qui n’avance guère ( le plus souvent par quelques phrases placées en début de chapitre). La lassitude gagne, les coutures deviennent franchement apparentes et cette galerie de personnages monolithiques finit par manquer cruellement de relief. A part Gérard, le résistant oublié dans le grenier de l’hôtel, tout le monde il est mal aimé, tout le monde il est gentil. Je me suis retrouvé dans un roman feel good, avec son envie de faire du bien ( c’est très tendance) et qui finit par sombrer dans la mièvrerie de bon aloi avec un final pseudo révolutionnaire totalement raté ( même façon requiem).

C’est donc un peu écoeuré par cette sucrerie que j’ai terminé ce roman dont le but ne m’est pas apparu. Si c’est pour donner de l’espoir à tous les mal aimés de nos sociétés ( en fait tout le monde, nous sommes tous la cible irascible que quelqu’un), la naïveté tue l’intensité. Si c’est pour mettre en forme les histoires que l’auteur a dans sa tête, il démontre que son cerveau est particulièrement fertile. Tous ces jolis portraits donneraient d’impeccables nouvelles, mais pour moi, pas vraiment un roman. Pour reprendre Gide, on ne fait pas de la littérature avec des bons sentiments. « Requiem pour une Apache » reste donc un roman gentillet qui engendre plus le ronron que la révolution promise.

lundi 24 août 2020

Belle fille de Méliane Marcaggi


 Quoi de neuf dans la comédie française ? Prenons la température avec la sortie de "Belle fille" dont le sigle TF1 qui apparaît sitôt les lumières éteintes fleure bon la recherche d'audience un dimanche soir vers 21h. Sur le papier, cela a tout pour séduite le téléspectateur. Alexandra Lamy et Miou-Miou sont deux sympathiques comédiennes aimées du public, on y rajoute une apparition ( quelconque et rapide) de Thomas Dutronc pour un supplément de glamour masculin, une histoire se déroulant sous le soleil de Corse ( pour le dépaysement) et le tour est joué. Mais cela séduira-t-il un spectateur de cinéma ? Moins sûr...

On ne s'attardera pas sur cette première réalisation de Méliane Marcaggi qui ne lorgne pas vers de glorieux prédécesseurs, mais vise plutôt à ne surtout pas se faire remarquer par ses idées ou par une quelconque maestria. Cependant, il faut le reconnaître, le scénario semble un peu mieux travaillé que nombre de productions du même type. Comme nous sommes dans une comédie, on ne finassera pas sur la crédibilité des situations, mais on notera que tout avance à vive allure, sans temps mort et qu'associé au pétillant d'une Alexandra Lamy, parfaite, on passe un agréable moment avec cette histoire de famille corse. 

Bien sûr, on peut attendre son passage prochain à la télé sans problème ( et ce ne sera pas une obligation de le regarder), mais, si on a envie de se détendre sans prétention ni prise de tête en compagnie de quelques bons acteurs, " Belle fille" pourra ne pas trop décevoir. Et si je vous dis que le générique de fin est chanté par Dave .... avouez que cela donne encore plus envie non ?  




Trencadis de Caroline Deyns

 


Trencadis ... Kesako? Un lieu? Un nom ? Un quartier branché de Barcelone pour artistes ? Non ! C’est une technique de mosaïque à partir de vaisselle brisée et présentement le titre de ce ... heu roman? Non ! Biographie? Non ! ... Essai? ...Pas vraiment... plutôt ...évocation autour de la vie de la plasticienne et artiste Niki de Saint Phalle me semble mieux définir ce livre en parfait accord avec son titre. 

En effet, en ne choisissant aucun genre, en bousculant les codes de la narration ( un peu de poésie, extraits d’interviews, bouts romancés sur l’intimité de l’artiste, témoignages, extraits de quelqu’uns de ses écrits, le tout en respectant la chronologie), Caroline Deyns compose brillamment une sorte de mosaïque littéraire vraiment à l’image de son héroïne ( et du titre donc...).

Se succèdent ainsi, la femme, son œuvre, ses combats, son féminisme, sa créativité pour sortir d’un enfer personnel à base de famille mal aimante et d’inceste, dans ce drôle de roman patchwork ressemblant à l’intérieur d’une de ces célèbres nanas dėcorée de morceaux de miroir.

Si ces pages, au style travaillé et vibrant, ne donnent que quelques reflets de sa vie de femme artiste, ce sont les plus brillants, les plus flamboyants mais aussi les plus sombres et les plus saillants qui en façonnent le portrait. Niki de Saint Phalle, avec sa liberté durement gagnée, se fichait du qu’en-dira-t-on et « Trencadis » lui rend un hommage parfait en envoyant valser les conventions littéraires du genre.

J’ai été emporté par l’intensité narrative de ce texte teinté d'un fort militantisme féministe. Caroline Deyns, passionnée et passionnante, dresse ici un hommage magnifique à une femme dont la production artistique multiforme a secoué la société d’après-guerre et permet ainsi de continuer à faire résonner une œuvre qui reste singulière et ô combien d’actualité.