samedi 31 janvier 2015

Le livre qui dort de Ramadier et Bourgeau


Le coucher des jeunes enfants est un moment important qu'il convient de ne pas rater ! Les parents doivent faire preuve autant de persuasion que de douceur. Passer à côté  de ces quelques minutes de connivence peut être le départ pour une soirée infernale qui risque de s'achever dans l'énervement voire l'hystérie. L'enfant, petit être pas si pur que ça, le sait et est, comme un guerrier, prêt pour résister à toutes les attaques sournoises de parents désireux de retrouver un peu de leur liberté d'adultes . S'il sent qu'il y a une faille dans la détermination parentale, c'est foutu ! En route pour une succession de réclamations de type urinaires, câlines, littéraires, voire gastronomiques. 
C'est pour cela qu'il faut ritualiser ce moment. Et les excellentissimes Ramadier et Bourgeau ont pensé à vous, parents désemparés. Ils ont créé le livre qui saura clore sans ennui cette phase délicate de la vie de famille. Après avoir lu (ou relu ) une, peut être deux histoires, "Le livre qui dort" est le parfait complice pour achever de façon douce mais ferme (bon la fermeté est dans le camp des parents, il faut savoir dire stop à un moment donné) ce moment de tendre complicité. 
Le livre en question est sur le point de s'endormir.... on va murmurer cette petite histoire, qui relate bien les envies du monstre allongé mais prêt à tout pour résister. On va jouer tout doucement à l'endormissement et quand sur la dernière page la délicieuse souris rose dit : "Bonne nuit", on va délicatement poser l'album et quitter doucement la chambre, l'esprit serein d'avoir accompli son devoir de parent. L'enfant, s'il est normalement constitué et éventuellement sensible à la poésie et à la finesse de Ramadier et Bourgeau, ne pourra que plonger dans un bon sommeil réparateur et indispensable à son bon équilibre. 
Cet album est le parfait allié pour signifier la fin du matche et le passage à la seule activité nocturne : DORMIR ! Ok, cela ne devrait pas fonctionner au delà de trois ans (et encore, allez savoir...) mais de 18 à 36 mois, c'est un excellent investissement, je vous l'affirme ! Essayez-le et vous me remercierez ! Heu non, remerciez plutôt les auteurs d'avoir toujours des idées pétillantes et rigolotes pour vos bambins,ce sont eux les véritables propagateurs de bonheur !


vendredi 30 janvier 2015

Snow Therapy de Ruben Ostlund


Des bobos suédois, bien propres sur eux, s'en vont au ski dans les Alpes. Les descentes sur la poudreuse au soleil leur font oublier le stress du quotidien, surtout au mari qui a décidé de se consacrer entièrement à sa famille. Mais voilà qu'au cours d'un repas sur une terrasse en haute altitude, une avalanche  vient perturber le déjeuner, faisant prendre conscience que la nature n'est pas leur amie. Cet incident aurait pu être juste une anecdote que l'on prend plaisir à raconter à ses amis si la réaction du mari n'avait pas froissé l'épouse. Son mari, sûrement vénéré comme un viking, au lieu de protéger femme et enfants, a fui lamentablement, abandonnant sa famille à un son triste sort.
Entre le déni du mari d'être un pleutre, et la rancoeur de sa moitié complètement outrée de son comportement. le couple va peu à peu s'enfoncer dans la désagrégation.
Bon je suis un mec, pas viking, pas plus courageux qu'un autre et j'avoue ne pas avoir trop compris où ce film voulait en venir. Il est question d'image du mâle contemporain, qui n'a guère de moments pour montrer sa bravoure. mais qui, confronté à une situation extrême, se révèle inapte à la survie de sa tribu. Pas étonnant dans un monde individualiste, où le travail brise les cerveaux au nom de l'économie productive ! Du coup, une crise existentielle va ronger l'homme suédois, incapable d'affronter cette faiblesse. La femelle occidentale est aussi sur le même schéma préhistorique. Elle a  fondé une famille avec un mâle forcément dominant, qui va la protéger, elle et sa progéniture. Et quand il y a une faille qui vient rogner cette image ancestrale, elle ne s'en relève pas !
Je dois être un cas à part car je ne me fais aucune illusion quant à mon supposé courage.J'aurai peut être fait la même chose que le personnage principal du film. En aurai-je été retourné ? Je n'en sais rien.Ma compagne m'a -t-elle choisi pour mes capacités à la défendre contre les prédateurs ? Si j'en juge par son regard dubitatif quand je lui pose la question, il semble que la base de notre relation soit posée sur autre chose qu'une vieille théorie un soupçon machiste.
Alors, pour moi spectateur au final peu concerné, j'ai regardé tout cela d'un oeil morne. Tout ce déballage de doutes, de pleurs, de cris, enveloppés dans des plans froids et géométriques, accompagnés d'une musique pompeuse de Vivaldi et par de longs plans de canons à neige et de station illuminée dès que le soir tombe ont fini par me lasser très vite. Quelques scènes sont bien vues, notamment la confrontation entre l'épouse et une femme plus libre qu'elle, qui laissait présager une piste un peu plus moderne mais celle-ci restera lettre morte.
Ce récit d'un couple en proie au doute reste cependant bien observé même si le point de départ me semble tiré par les cheveux et un poil exagéré. Servi par de bons acteurs, le film se laisse regarder sans jamais parvenir à passionner.


jeudi 29 janvier 2015

Les nuits d'été de Mario Fanfani


Je suis sorti perplexe de ma séance de cinéma et il m'est difficile de donner un avis tranché sur ce film. La première chose qui me vient à l'esprit est le pari gonflé du producteur, car présenter un film mêlant le travestissement et la guerre d'Algérie, des sujets peu vendeurs s'il en est, relève me semble-t-il du courage ou de l'abnégation. Peu vendeur pour le conflit algérien c'est sûr, pour le travestissement cela reste à voir puisque le dernier Ozon sur un sujet proche a plutôt bien marché. Cependant, une projection de la bande annonce sous des quolibets gras et vulgaires la semaine dernière, m'a fait autant frémir sur les pensées du public que laisser pensif quant à la possibilité que cela puisse faire courir les foules.
"Les nuits d'été" sont celles qu'un notaire de province passe dans sa villa isolée au coeur des Vosges. Là, avec un, puis plusieurs amis, il se travestit en femme. Pas de sexe entre eux, juste le plaisir d'être habillés avec de belles robes, maquillés et discuter comme deux bonnes vieilles copines. Cela reste inconfortable pour ce notable qui jongle entre son apparence compassée, sa famille et cette envie irrésistible d'assouvir ce plaisir totalement ahurissant dans la France du général de Gaulle, surtout qu'il guigne à entrer dans la vie politique. Mais ces hommes, et aussi ces femmes, à peine sortis de la seconde guerre mondiale vivent un deuxième conflit plus larvé. L'emprise qu'exerce sur leur conscience les événement d'Algérie leur font perdre leur repères et les font se réfugier encore plus dans leurs désirs profonds (le notaire) ou dans un suicide social ( la femme du notaire).
Le film retrace avec finesse et douceur ce parcours singulier dans une époque où il fallait être dans un seul rang. Autant les scènes de la vie de couple réussissent à attirer notre intérêt, en grande partie grâce à l 'interprétation d'une Jeanne Balibar impériale mais aussi celle de Guillaume de Tonquédec tout en retenue, autant toutes les scènes avec les travestis m'ont semblé un peu ....comment dire ...dérangeantes. Pas choquantes du tout, filmées avec beaucoup de pudeur et de respect, renvoyant surement une image, des idées, peu montrées au cinéma et même en littérature, peut être parce que l'on peut n'y mettre aucune sexualité, elles distillent tout de même une once d'ennui. Leur intérêt dramatique m'a semblé limité à l'anecdotique, à cette idée que l'on ne naît pas homme, que l'on doit le devenir parce que la société l'a décidé ainsi.  Ces longues scènes  d'hommes travestis en bonnes bourgeoises, ont dû me déstabiliser, renvoyant une image pas du tout acquise comme normale dans mon cerveau de mâle occidental banal. Reste que je les trouve un poil trop longues et moins prenantes que celles à l'atmosphère plus tendue dans la maison du notaire.
Mais comme je le dis toujours, j'aime être dérangé par un livre, un film et celui-là y a réussi. Donc, au final, et l'écriture de ce billet a permis d'arrive à donner un avis plus tranché qu'au départ, je ne peux donc que conseiller d'aller découvrir ce premier long métrage qui prouve une fois de plus la vigueur et l'originalité du cinéma français.... et pour le très beau message de la magnifique scène finale entre les deux époux.


lundi 26 janvier 2015

Dans son propre rôle de Fanny Chiarello


Deux personnages féminins, deux solitudes. On les retrouve au début du roman enfermées dans un rôle de femme de chambre, l'une au service d'une riche famille anglaise, l'autre dans un grand hôtel de Brighton. Fenella et Jeannette ne se connaissent pas. Elles enchaînent des tâches répétitives et silencieuses à quelques kilomètres l'une de l'autre. La première est muette suite à un traumatisme durant la guerre, la deuxième est veuve et vit sans illusion. Mais ces deux femmes, que le déterminisme social d'après-guerre semble avoir enchaîné à leur condition, vont voir le peu  d'espoir qui vit en elle, se trouver ravivée par le plus grand des hasards. Eprises toutes d'eux d'opéra, Jeannette va écrire une lettre d'admiration à la contralto Kathleen Ferrier qui arrivera par erreur dans le manoir où travaille Fenella. Cette dernière lira puis donnera réponse à ce courrier et, portée par une imagination un peu romanesque, provoquera une rencontre qui se révélera déterminante.
Roman autour de l'émancipation de deux femmes dans l'immédiate après-guerre, "Dans son propre rôle" démontre avec sensibilité que le destin tient à peu de chose. Les deux héroïnes, bien que rangées dans des cases que rien ne semblait pouvoir ouvrir, sauront, par instinct de survie autant que mues par la passion, saisir la singularité d'une rencontre pour donner une autre direction à leur vie. La force de cette histoire tient à ce champ du possible que tout être croise ou provoque une ou plusieurs fois dans sa vie. Encore faut-il avoir l'intuition, l'énergie de s'en saisir d'une façon ou d'une autre. Dans cette Angleterre de 1947, Jeannette et Fenella sont à l'image du dancing de la jetée de Brighton dans lequel elles se rencontrent, au dessus du vide, l'eau miroitant entre les interstices d'un plancher un peu usé. Si elles ne fuient pas, le bois usé de ce vénérable établissement pourrait céder et les engloutir à jamais dans une vie morne et austère. Mais, dans cette période de reconstruction et d'élan vers des lendemains qui chantent, la passion pour l'opéra comme cette force de croire à tous les possibles de l'une arrivera à ranimer la flamme pourtant éteinte de l'autre et toutes deux, sans s'en rendre vraiment compte, feront de cette semaine à Brighton le point de départ d'une nouvelle vie.
Si j'ai aimé cette description intense de la confrontation, j'ai par contre un tout petit moins apprécié la construction du livre. Quelques descriptions ou scènes un peu trop appuyées, quelques petites digressions ralentissent l'intrigue sans pour autant apporter un supplément d'âme à ses héroïnes. J'ai parfois ressenti comme une envie de l'auteure de ne rien laisser de côté des nombreux éléments d'une vie de domestique ou de l'actualité des récitals d'opéra de l'époque. Mais peut être n'ai-je pas été totalement sensible à cette écriture minutieuse autant dans le phrasé que dans sa volonté à être précise en tout (et peut être aussi une façon de donner à ce livre une tonalité proche de la voix de  Kathleen Ferrier, belle et grave).
Mais il restera de cette lecture un sentiment agréable de grâce qui est un discret hommage à cette littérature anglaise de la raideur et des sentiments.

Et parce qu'elle est le lien entre les deux personnages du livre, je ne résiste à l'envie de compléter ce billet avec la voix de Kathleen Ferrier.


vendredi 23 janvier 2015

Foxcatcher de Bennett Miller


En janvier, un film américain à l'affiche ornée de statuettes des Golden Globes ou de l'Oscar, possède inévitablement un certain nombre de paramètres qui finissent, années après années par lasser le spectateur. Malgré son prix de la mise en scène à Cannes, "Foxcatcher" n'échappe pas à la règle. Tiré d'un fait divers qui a du faire de bonnes audiences sur les chaînes judico-policières, il offre l'inévitable performance d'acteur qui mène au prix d'interprétation, une image tirant sur le vert bronze pour donner une impression de densité dramatique, un rythme plus lent que la moyenne de la production habituelle, signifiant par là que la vente de pop corn ne sera pas au rendez-vous pour les exploitants, le public gavé de films au montage clipesque risquant de bouder ce genre de production. Pour pallier à ce manque à gagner, la critique d'une seule et même voix de poulailler en folie parce qu'ayant pondu son oeuf en même temps, donne du chef d'oeuvre à qui veut l'entendre, histoire de ramener un public plus âgé et intello. Il faut au moins cela pour appâter les spectateurs pour un film avec la lutte gréco-romaine en toile de fond, sport pas vraiment bankable dans nos contrées. Et à l'arrivée, après 2h14 de projection, un énorme soupir d'ennui ...
Bennett Miller, le réalisateur n'a pas démérité . Son film visuellement parlant est bien fichu, mais , hélas il n'arrive jamais à intéresser vraiment. De cette histoire de champion olympique de lutte, pris en main par un riche célibataire pour lui faire gagner une seconde olympiade, il n'en fait qu'une espèce de soupe consistante mais sans saveur. Et ce n'est pas faute d'y avoir injecté des épices, seulement elles sont sérieusement éventées !
Tout d'abord, la performance de Steve Carell, grimé de manière outrancière, à la diction lente, un peu décalée peut plaire . C'est payant pour un acteur de comédie de jouer les méchants pas drôles. Seulement, ici, son personnage de vieux garçon entraîneur se traîne des clichés qui n'impressionnent plus personne depuis 40 ans. Oui c'est un homosexuel refoulé  car il a une mère castratrice. Oui, il est attiré par la lutte pour pouvoir toucher quelques corps musclés mâles et les combats sont plus filmés comme une jolie chorégraphie sensuelle que comme un vrai match intense. Oui le fait qu'il soit avare de paroles le rend inquiétant. Le problème est que cette accumulation de poncifs psychologiques nous rase très vite. On cherche d'autres points d'accroche.  La lutte des classes ? Un peu lourdingue également si l'on s'en réfère au sport présenté et là aussi traitée avec de gros sabots (mais très gros voyez-vous, de ceux qui ralentissent l'action à force de contemplation ).  Un opéra fratricide et funèbre ? Pourquoi pas ! La lumière glauque y est, l'énergie aussi mais les personnages sont tellement renfermés que l'on oublie vite cette possible dimension. Alors on cherche du côté de la mise en scène puisque qu'il y a prix cannois... C'est un grand amateur de champs contre champs, pas des plus originaux, mais les cadres sont emplis des muscles de Channing Tatum, aussi fort physiquement que faible psychologiquement. Il y a donc une certaine force visuelle qui ne compense pas le manque d'intérêt de tout ça, ni l'obtention de ce prix que d'autres auraient plus mérité.
Ni daube, ni chef d'oeuvre, "Foxcatcher" est l'essence même du film à Oscars. Vaguement intello, un poil plus maniéré aussi mais certainement pas une oeuvre profonde ni moderne, plutôt un recyclage sans originalité de vieilles recettes autour d'un sujet dont les enjeux sous-jacents nous barbent par leur conformisme.




mercredi 21 janvier 2015

Discount de Louis-Julien Petit


Solidaires sont les personnages de "Discount" face à la désagrégation de leur emploi, pourtant peu considéré, d'employés de grande surface à bas prix. Solidaire, j'espère, sera le public face à cette petite production qui a la bonne idée de traiter un sujet social avec un ton de comédie.
Ils sont cinq à trimer dans une de ces supérettes vendant des produits à bas prix. Cinq à vivoter avec un salaire de misère gagné à coup d'horaires décalés, de brimades continuelles, de chronométrages de leur vélocité en caisse et de petites humiliations quotidiennes. Alors quand le spectre du licenciement pointe le bout de son nez avec l'installation prochaine de caisses automatiques, ils décident de réagir. Avisant la quantité énorme de produits jetée quotidiennement (et javellisée) dans les bennes, germe l'idée de les récupérer (ainsi que d'autres sensés être amochés ou peu présentables ) pour les revendre à encore plus bas prix. Et c'est ainsi qu'entre récupération et détournement de marchandises  ("On prend à des voleurs !), va se créer un commerce solidaire et clandestin qui va connaître un bel engouement auprès d'une population tirant le diable par la queue.
Ces Robin des Bois d'un nouveau genre sont d'emblée sympathiques. Forçats silencieux de nos temples de la consommation, ils incarnent à l'écran l'esprit de résistance face au rouleau compresseur de notre économie libérale. Leur solidarité fait plaisir à voir même si nous grinçons souvent des dents devant la description impitoyable des coulisses de ces magasins. Magnifiquement interprétés par des comédiens qui se fondent avec talent dans la peau de ces employés, le film évite le manichéisme ou le misérabilisme grâce à ce ton humoristique qui prouve encore une fois qu'avec la drôlerie, on peut faire passer un bien joli discours sans ennuyer.
L'affiche et la promo du film tourne autour de l'esprit "Ken Loach" qui illumine ce film. C'est en partie vrai car le cinéma français ne s'empare que peu souvent d'un sujet aussi social. Cependant, nous ne sommes quand même pas à ce niveau. La mise en scène se disperse un peu, rapide comme une pub par moment, plus calme à d'autres, elle casse parfois la dimension humaniste du film. J'ai regretté aussi un final ambiguë  qui laisse sur sa faim.
Mais tel qu'il est, le film me plaît. Il est vraiment réconfortant que le cinéma français s'attelle à de tels sujets. Ce mélange extrêmement chaleureux de drame social et d'humour bienfaisant est une belle proposition solidaire dans un monde qui en a bien besoin. Flirtant avec un mauvais esprit revigorant, le film enchantera le public qui, j'espère s'y rendra en masse, histoire de prouver que, si un film ne peut pas changer grand chose dans nos sociétés, il peut néanmoins contribuer à semer des petites graines de révolte qui ne demandent qu'à germer...
PS : Au générique, il est précisé que Zabou Breitman, qui joue la méchante du film, c'est à dire la patronne de ce supermarché, est la seule à avoir bénéficié d'une coiffeuse et d'une maquilleuse personnelles. Etait-ce pour se mettre mieux dans la peau du personnage ? Ou bien, se considérait-elle comme la seule vraie star du film au milieu des comédiens moins bankables , plus "discounts" ?




mardi 20 janvier 2015

Elle s'appelait Tomoji de Jirô Taniguchi


Ah Jirô Taniguchi, le mangaka qui réconcilie le public adulte avec un genre tant apprécié des ados! Avec lui pas d'yeux de poupées hallucinées aux héroïnes, peu d'onomatopées surgissant dans chaque case, seulement des intrigues fleurant bon la psychologie de bon aloi, la vraie aventure humaine, le tout servi par un dessin classique d'une grande finesse, tout simplement magnifique. La sortie d'un nouvel album de ce maître incontesté (tout du moins en France) est toujours un événement.
Sous cette couverture bucolique d'une grande douceur se cache la biographie d'une certaine Tomoji, créatrice d'un temple bouddhiste que Taniguchi et son épouse fréquentent régulièrement. L'auteur s'intéresse surtout à sa jeunesse jusqu'à son mariage. Sa naissance dans une région agricole du Japon, la mort de son père, puis de sa soeur, le départ de sa mère, la plongeront dans une enfance difficile. Mais la jeune Tomoji vaincra l'adversité grâce à son tempérament optimiste, mélange de bonté, de sagesse, de labeur et de dévouement...
Sollicité par les propriétaires de ce temple pour le valoriser, Taniguchi nous propose un récit totalement hagiographe. La vie de Bernadette Soubirous par soeur Marie du Carmel des anges fait pâle figure à côté de cette Tomoji. Nous sommes dans un récit douceâtre, gnangnan comme je pensais que l'on en produisait plus depuis la fin des années cinquante. Tout y est pour faire pleurer Margot (de nos jours Kevin ou Madison), les décès successifs du bon papa dans d'atroces souffrances, de la gentille soeur, de la bonne grand-mère. D'ailleurs tout le monde est bon au pays de Tomoji, gentil, humble, travailleur...sauf la mère qui abandonne ses enfants, l'ingrate, pour retourner dans sa famille nous dit-on... C'est la seule méchante du livre mais elle passe vite à la trappe dès fois que l'on puisse la soupçonner d'avoir pris un nouveau mari...Je ne suis pas contre les bons sentiments mais là, trop c'est trop ! En plus la nature s'en mêle ! Cette Tomoji aurait pu cultiver son riz dans une région campagnarde quelconque mais point du tout, elle vit au pied du mont Fuji et d'autres montagnes magnifiques japonaises !
Un sentiment de fausseté envahit le lecteur au fur et à mesure de sa lecture doublé d'un ennui grandissant. Tout y est trop beau, trop bon. Et ce n'est pas le dessin, au demeurant magnifique qui va donner du relief à tout ça, bien au contraire. Il contribue à empeser cette histoire en la rendant encore plus académique.
Avec "Elle s'appelait Tomoji" nous sommes très loin des albums qui ont fait la réputation de Jirô Taniguchi ( "Quartier lointain" ou " Le journal de mon père"). Cette oeuvre de commande pour ce temple bouddhiste, n'en possède pas la force évocatrice. En se contentant de résumer une enfance en gommant toute aspérité  hormis les clichés mélodramatiques, il ne rend qu'un hommage involontaire à un genre désuet : la biographie totalement bien pensante des saints. Reste le dessin qui, a lui tout seul peut justifier la lecture de cet album. C'est magnifique de simplicité, de finesse, de douceur et de tendresse .... et l'on en a bien besoin dans ce monde de brutes !


samedi 17 janvier 2015

Les nouveaux sauvages de Damiàn Szifron



A Cannes, quand un film comique ou tout du moins humoristique ou drôle arrive en compétition, il est certain qu'il sera irrémédiablement snobé par la critique, même produit par Almodovar, Passé donc à la trappe au mois de mai dernier, vraisemblablement par le manque de notoriété de ce jeune réalisateur argentin qui représentait à lui tout seul le continent Sud-américain, "Les nouveaux sauvages" apparaît finalement comme un film emballant doublé d'une radiographie sans concession de nos sociétés libérales actuelles.
Quand vous vous rendrez au cinéma pour découvrir ce film.... oui vous irez mais vite, car malgré un soutien de la maison Pathé, il ne devrait hélas pas s'éterniser à l'affiche, vous vous embarquerez pour une séance de deux heures sur les chapeaux de roue. Cela à beau être un film à sketches, le passage de l'une à l'autre des histoires se fait simplement, l'envie de découvrir encore et encore d'autres histoires étant la plus forte. Sur les six histoires proposées, une ou deux vous paraîtront un peu plus faibles mais toutes possèdent un élément rare de nos jours : une envie forcenée de donner du plaisir au spectateur.
Sur une thématique qui pourrait se résumer à :"Regardez un peu ce que produit cette société où le fric est roi, où tout le monde est en représentation, où certains seront impitoyablement mis de côté", Damiàn Szifron nous balance sans sourciller son humour noir (Pulp fiction n'est pas loin), celui qui gratte sur la verrue, pourtant soigneusement camouflée par un maquillage de pro, d'une société qui engendre une sauvagerie proche du désespoir. Les personnages présentés sont des monstres ou des perdants ou les deux à la fois. Pourquoi schématiser, pourquoi ne pas dire que quelque soit l'endroit du manche où l'on est, nos âmes sont noircies ou pourries ? Mais comme nous sommes dans une comédie revendiquée, ce regard cynique, cinglant, est au service de récits admirablement écrits tant au niveau des dialogues percutants que de l'enchaînement incessant des rebondissements qui nous amènent à une chute chaque fois surprenante.
Oui je me suis régalé au milieu de ces nouveaux sauvages! Non je n'ai pas vu passer les deux heures que dure la projection ! Bien sûr la mise en scène n'est pas toujours de toute finesse ( le réalisateur abuse un peu trop des travellings à 150 à l'heure) mais quel régal ! Quelle joie de découvrir un film profond mais pas tout à fait sérieux.... un film comme un hommage argentin à notre Charlie Hebdo. Oui, c'est un peu ça...l'anti-religieux en moins.... Alors si la semaine dernière vous avez été Charlie ...prolongez le combat , allez voir "Les nouveaux sauvages", vous ne serez pas déçus !


mercredi 14 janvier 2015

Loin des hommes de David Oelhoffen


Ce film possède un petit handicap qui fera que les spectateurs risquent de le bouder : il est question de la guerre d'Algérie, sujet qui ne fait pas courir les foules. Nous sommes au début des hostilités, en 1954 et elle servent uniquement de toile de fond à l'histoire qui nous est racontée. L'enjeu de ce film se situe bien au-delà d'un énième témoignage sur la barbarie des hommes durant cette période sinistre. C'est avant tout une très belle histoire de fraternité.
Daru est un instituteur français mais d'origine espagnole qui enseigne dans un coin perdu de l'Atlas. Un gendarme d'un village voisin lui amène Mohamed  pour le conduire à la gendarmerie de la grande ville. Ce dernier a assassiné son cousin pour une sombre histoire de troupeau. Pas du tout emballé pour accomplir cette mission qui conduira Mohamed vers une mort certaine,  Daru finira par l'escorter suite à une attaque de la famille du prisonnier qui voulait lui faire la peau. Ces deux hommes aux cultures différentes, aux idées assez opposées vont parcourir des kilomètres au travers des caillasses et de multiples danger d'une région qui commençait à être à feu et à sang. Petit à petit, ces deux hommes vont cheminer vers un destin risque bien de vaciller au bout de la route.
Inspirés d'une nouvelle d'Albert Camus que les puristes considèrent comme un petit chef d'oeuvre, les auteurs du scénario ont pris quelques libertés pour l'aérer sérieusement et lui donner quelques péripéties. Il semblerait que cela déplaise aux fans de l'auteur. Personnellement je n'avais lu en son temps que la bande dessinée qu'en avait tiré Jacques Ferrandez ( L'hôte chez Gallimard, on a la culture que l'on peut) qui était fidèle au texte original.
Si le film nous propose une version plus nerveuse, avec beaucoup de codes empruntés au western,  les auteurs n'en n'ont pas enlevé pour autant le sens profond. Ces deux personnages principaux vont s'apercevoir que malgré leurs différences, ils sont étrangers au monde qui se construit autour d'eux. Cela va leur permettre de réfléchir à leur condition d'Homme, de remettre en cause certaines valeurs de leurs cultures respectives et de prendre une direction à laquelle ils n'avaient pas forcément pensé. Le film évite les antagonismes traditionnels comme la religion ou la culture pour ne s'attacher qu'à leur propre libre arbitre et à la façon dont leur confrontation va les emmener à réfléchir autrement. En cela, et malgré quelques péripéties un peu plaquées, le film fonctionne admirablement bien, servi de plus par une image en scope magnifique qui fait ressentir au spectateur toute l'aridité de ces reliefs montagneux et de la situation.
Et je n'ai rien dit des acteurs ... Viggo Mortensen jouant en français un instit d'origine espagnole avec un accent mi danois mi américain, aurait pu passer pour peu crédible mais très vite le magnétisme et le talent de l'acteur l'emporte sans conteste. Il habite l'écran de façon incroyable et donne à son personnage de Daru une sensibilité, une finesse mais aussi une force incroyable. Face à lui Reda Kateb, plus en retenu, est un parfait contrepoint, magistral, lui aussi.
Alors pour illustrer de la plus belle des façons le mot fraternité qui est très en avant depuis quelques jours, "Loin des hommes" en est le film qu'il faut aller voir. Il saura vous attraper, vous éblouir par ses paysages incroyables et vous émouvoir autant que " La famille Bélier" mais dans un registre autrement plus philosophique sans jamais être didactique !





lundi 12 janvier 2015

Je suis Charlie ...oui...mais après ?



Passé le moment de l'horreur, de l'incompréhension, de la colère, de la compassion. Passé le moment du rassemblement pour rendre hommage à quelques innocents qui ne songeaient qu'à faire rire avec humanité, ou qui protégeaient ces dealers d'humour talentueux ou qui tout simplement se trouvaient là par un malheureux hasard. Passé le moment de l'union de toute une nation contre les extrémismes, la barbarie. Passé le moment de l'affirmation unanime (ou presque) pour la liberté de la presse et de la  pensée pour que vive encore et toujours une démocratie digne de ce nom. Passé ce moment intense de regroupement autour d'un même idéal, d'une même envie de préserver un esprit des lumières qui commençait à faiblir... combien des millions de personnes qui ont battu le pavé ce week-end pourront affirmer "je suis Charlie" dans les semaines ou les mois qui viennent ? A une époque où un événement chasse l'autre, où toutes les récupérations possibles et même inimaginables vont déferler de partout dès le dernier marcheur de  la place de la République parti, combien seront encore Charlie ?
Combien serons-nous pour défendre cet esprit libertaire, irrévérencieux, profondément laïque qui était l'ADN de cette rédaction aujourd'hui partiellement décimée ?
Depuis mercredi  nous étions tous Charlie...vraiment ? C'est sûr ? Si cela pouvait être vrai !

Combien serons-nous à rire d'un dessin comme celui-ci ? (Charb)

Combien serons-nous à être d'accord avec ça ? ( Cabu )


Combien serons-nous à se gondoler devant cette vérité ? (Wolinski )


Combien serons-nous à s'esclaffer ?  ( Honoré )


Combien serons-nous à rire (peut être jaune) de ce dessin ? ( Tignous )



Parce qu'être Charlie en plus de vouloir préserver la liberté d'expression et de lutter contre la bêtise et la barbarie de tous les extrémistes, c'est aussi n'avoir pas peur d'aucun prétendu blasphème, ne pas se soumettre, rester debout face aux vendeurs d'opium du peuple qu'ils soient religieux, patrons de presse ou de télévision, politiques ou industriels. 
Parce qu'être Charlie , c'est jouir de la vie, du sexe, du rire  et de tout ce qui peut donner du plaisir en toute amitié et humanité. 
Parce qu'être Charlie c'est ne reculer devant aucune menace ou pouvoir contrairement à une majorité de la presse anglo-saxonne qui se déclare "être Charlie " mais qui diffuse de cette façon les oeuvres des dessinateurs :




Parce qu' être Charlie c'est avoir l'idéal de rester debout d'où que viennent les vents, s'y tenir et se battre, non pas pour imposer mais pour essayer de préserver encore et toujours cette devise hélas un peu oubliée : Liberté, Egalité, Fraternité;

Liberté : Ce soir, on peut penser qu'elle a été renforcée vue la démonstration sans précédent des français pour conserver celle concernant la presse et la pensée. C'est réjouissant mais restons aux aguets, rien n'est jamais acquis et cela ne reste cantonné qu'à quelques pays !
Egalité : On la cherche  dans un monde libéral qui n'a que faire des individus, où l'argent prime, où un esclavage moderne insidieux de presque toutes les classes de la société divise les individus pour mieux les faire taire, engendrant précarité, racisme et enfermement. On la cherche aussi dans ces effarantes pensées, souvent religieuses, qui écartent d'office une moitié de l'humanité, souvent des femmes, mais pas que. 
Fraternité : On l'a sentie passer ces jours-ci, à cause de cette barbarie qui nous a explosé à la gueule. On a retrouvé ce sentiment si agréable du "être ensemble" pour défendre une bonne cause. On a mis de côté nos doutes, nos petits racismes ordinaires, nos mesquineries et on s'est mélangé, tous, dans un moment de ferveur comme on ne pensait pas qu'il pourrait en arriver dans cette société si individuelle. 
Mais demain ? Serons-nous Charlie encore longtemps ? Saurons-nous utiliser cet élan nouveau pour se poser les bonnes questions, soigner cette gangrène qui nous ronge petit à petit depuis des décennies ? Saurons-nous pouvoir honorer vraiment ces dessinateurs en leur prouvant, qu'en plus de leurs dessins pertinents et impertinents qui devraient nous porter, ils n'auront pas péri pour rien sous les balles de deux crétins ? 
La route est ouverte. C'est à nous tous d'en faire un chemin non pavé de seules bonnes intentions, mais d'un projet fait pour réenchanter le monde. Alors, je dis : CHICHE !




jeudi 8 janvier 2015

Pardonnable, impardonnable de Valérie Tong Cuong



Dès le départ de ce roman, on sent les failles dans la famille que l'on nous présente. Imaginez un peu ...une mère, accompagnée de sa fille et de son gendre, se rend chez un notaire pour signer l'acte de donation d'une maison familiale en la faveur de ces derniers. Pendant ce temps, l'autre fille, la soeur de la nouvelle propriétaire, garde son neveu, ignorant tout de la transaction. Mais la garde de Milo, le neveu adoré, va virer au drame. Celui-ci va tomber dans le coma suite à un stupide accident de vélo. La douleur et le chagrin vont se révéler les vecteurs d'un règlement de compte où les rancoeurs, les non-dits vont se libérer de leur gangue et faire exploser le vernis familial.
Dans un schéma somme toute classique du roman familial vénéneux, Valérie Tong Cuong parvient à accrocher le lecteur avec un savoir-faire de romancière évident sans réellement avoir la prétention d'écrire un grand livre que les critiques branchés vont encenser à longueur de colonnes. Elle se place dans la lignée des très bons faiseurs, de ces artisans qui respectent leur lecteur, en leur proposant une lecture très plaisante pleine de rythme et de rebondissements, sans pour autant sacrifier une certaine finesse psychologique.
Si l'histoire peut parfois paraître un poil téléphonée, l'adresse de l'auteure est telle, ses personnages  tellement vrais, que le récit en est emporté. Il y a chez elle un vrai sens de l'observation de nos comédies humaines et familiales que sa plume rend à la fois humaine et proche.
Le roman est un journal à quatre voix : la mère, ses deux filles, le gendre. Chacun apporte son point de vue au fur et à mesure de l'avancée de l'histoire. chacun a sa chance et d'agacer le lecteur ou d'être en empathie avec lui. Le lecteur, comme les personnages, est ballotté d'un sentiment à un autre, passant pour certains du rejet à la compréhension. C'est habile, bien fait. Ca se lit comme un presque polar et même si le genre impose systématiquement un genre d'happy end, la romancière nous fait la grâce de ne pas trop tomber dans le rose larmoyant.
Efficace jusqu'au bout, porté par une écriture simple mais délicate et précise, "Pardonnable, impardonnable" est un roman qui ne peut pas décevoir. C'est de la littérature populaire hyper bien faite, qui se situe plus du côté d'Amélie Nothomb pour l'efficacité que du surfait  Katherine Pancol. C'est le genre de livre qu'on lit avec plaisir et sans avoir l'impression de perdre son temps. Il y a peu d'auteurs qui, actuellement, arrivent à allier ces deux choses ( Anna Gavalda peut être, une fois sur deux !). Alors entre les politiques fictions à la Houellebecq et les ouvrages ouvertement littéraires et parfois trop alambiqués, un petit peu de Valérie Tong Cuong fait du bien au lecteur épris de romanesque.

mardi 6 janvier 2015

Un parfum d'herbe coupée de Nicolas Delesalle


J'avais déjà lu ce roman lorsqu'il avait obtenu en 2013 le prix du livre numérique... La reconnaissance par le papier lui vaut aujourd'hui un supplément conséquent de pages, d'une centaine en ebook , on est passé à 280 dans la présente édition. Le livre en est-il profondément changé ?
Il s'agit toujours des souvenirs d'enfance et d'adolescence du narrateur, période plutôt heureuse au sein d'une famille assez aisée. Présentés sous la forme de petites nouvelles qui pourraient presque se lire séparément, ce retour vers le passé est surtout empli de jolies choses. Au milieu de ce fleuve tranquille, il y a bien quelques drames qui vont du minime (la mort d'un chien) au  plus tragique (l'accident mortel d'un ami casse cou) mais l'essentiel tourne autour de petits faits tendres ou nostalgiques. Les premières fois y tiennent une certaine place, celles qui donnent l'impression de grandir, de franchir un cap (premier baiser, premier amour, ...). En règle générale, tout est assez anodin et gentil. Les enfances heureuses ont, hélas, du mal à donner de très bons livres. Malgré ces ajouts de chapitres supplémentaires par rapport à la première version, j'ai eu le même léger sentiment  d'ennui. Je dis léger car ce qui sauve le livre, c'est l'écriture ! Il faut avoir un sacré talent pour faire passer un semblant d'hommage à Michel Drucker sans être dégoulinant ni réellement moqueur, tout comme évoquer une suite de professeurs rencontrés au cours de sa scolarité sans ennuyer le lecteur. Nicolas Delesalle a cette particularité d'écrire juste autour de moments anodins tout en y ajoutant un zeste d'humour acidulé. C'est toujours finement observé, relevé  par de petits détails piquants et cela reste toujours très gentil. Trop peut être, car au final, on ne s'attache pas réellement à ce Kolia , qui pourtant était, paraît-il, un petit chahuteur à l'école. Il ne possède pas vraiment d'aspérités, ces petites choses qui rendent les héros vraiment humains. On le suit dans ses découvertes, ses premiers émois, toujours enjolivés par cette fine écriture mais au final, on ne ressent pas grand chose.
C'est joli à lire mais c'est tout. On va me rétorquer que c'est déjà pas mal, et vous aurez raison, ce n'est pas souvent qu'un livre reste dans la joliesse des sentiments sans trop de mièvreries. Cependant, je n'ai pas été vraiment passionné... seul l'assaisonnement m'a paru réussi. Reste que ce livre est idéal pour les lecteurs qui ont peu de temps pour lire, il supporte parfaitement une lecture morcelée et si lu d'un seul tenant comme je l'ai fait, cela peut paraître un peu duraille, fractionné, c'est l'assurance quand même de lire un texte de qualité.
Pour l'anecdote, ce livre paraît aux nouvelles éditions Préludes qui sont en fait une branche du Livre de Poche qui lance une série de romans inédits brochés en grand format à prix bas ( 13.60 euros pour celui-ci). Les romans paraissant sous cette étiquette seront également l'occasion de faire des ponts vers des classiques ou d'autres romans publiés par l'éditeur. Ainsi, on retrouve donc à la fin de l'ouvrage une présentation des  titres évoqués par Nicolas Delesalle et sur lesquels un  lecteur curieux se ruera certainement dessus ...

Album lu dans le cadre de "Masse critique " du site Babelio.


samedi 3 janvier 2015

Mon amie Victoria de Jean-Paul Civeyrac


Une belle jeune femme noire sur l'affiche comme  signe de visibilité grandissante d'acteurs blacks dans le cinéma français et une étude en creux sur la différence des classes et la non porosité entre elles, surtout quand la différence raciale vient se surajouter, sont les deux les deux atouts de ce film fragile, sorti à une période de l'année un peu casse gueule.
Victoria est une petite fille noire qui, suite à tout un jeu de circonstances, se retrouve à passer la nuit dans la maison bourgeoise d'une famille bobo parisienne. Ce petit moment dans un monde si éloigné de son univers habituel beaucoup plus spartiate, lui restera en mémoire comme une parenthèse douce et lumineuse. De loin en loin, au fil des années, elle passera devant cet immeuble, rêveuse. Devenue adulte, elle croisera sur son lieu de travail le fils cadet de cette famille, entamera le temps d'un été une liaison avec lui, d'où naîtra Marie dont elle taira la naissance à son géniteur...
"Mon amie Victoria" est un film fragile car traité par le réalisateur de façon un peu littéraire et illustrative. Une voix off, nous raconte l'histoire, c'est l'amie d'enfance de Victoria. Elle essaie de reconstituer sa vie de cette jeune femme peu bavarde et secrète, avec les éléments qu'elle a perçu tout en connaissant mal ce qui peut se passer dans sa tête. Du coup, durant la première partie, à l'écran, tout est un peu redondant, sans réelle profondeur. Victoria semble laisser aller sa vie au gré du vent sans qu'elle y mette un peu d'énergie pour la diriger. Elle avance, le visage lisse et impénétrable.
Et puis, lorsque tous les éléments narratifs sont posés, le film bascule doucement vers quelque chose de plus insidieux. Derrière la douceur de l'héroïne principale et cette narration simple, apparaît en filigrane une violence vénéneuse. L'image de cette bourgeoisie de gauche, bien pensante, souriante, bienveillante, ne reproduisant en fait que de vieux réflexes de classe basés sur un  fond d'exclusion, en est le parfait témoignage.Victoria va se sentir colonisée par cette famille et pacifiquement se laissera faire. Constamment tiraillée par ces deux modes de vie, Victoria sera partagée entre le désir d'assurer un avenir meilleur à sa fille et l'envie de garder un semblant de libre arbitre...Eternel et cruel dilemme que celui de savoir s'il vaut mieux prendre une main tendue par commisération ou refuser tout compromis.
Le film finit par toucher le spectateur plus que son héroïne principale qui reste finalement trop en retrait, comme absente de son histoire mais sûrement à l'image de sa place réelle dans une société encore archétypale. Le parti pris de cette narration avec voix off très truffaldienne et de cette interprétation désincarnée de Victoria est un pari audacieux. Ca passe ou ça casse. Personnellement, j'ai fini par me laisser porter par l'histoire, admirant également au passage  le projet original d'un cinéma français qui ose s'emparer de sujets captivants.



vendredi 2 janvier 2015

J'aimais mieux quand c'était toi de Véronique Olmi


Une femme seule sur un banc, dans une gare au petit matin. Elle se prénomme Nelly et a passé la nuit là, seule, On la sent en proie à un profond tourment. On en sait pas lequel. Elle est comédienne de théâtre, vit avec ses deux enfants. Elle a un amant moyennement aimé en voyage en Chine, une mère atteinte d'Alzheimer, un père qui a mis fin à ses jours. Mais ce ne sont pas ses éléments qui causent ce trouble intense qui l'habite, c'est autre chose que le début de ce texte court ne laisse pas apparaître. Flash-back sur la journée qui précède. Nelly est comédienne et joue "Six personnages en quête d'auteurs" de Pirandello. On va suivre sa longue et lente préparation avant d'entrer en scène et au choc qui va la contraindre à la fuite.
C'est un court texte intense. Le départ vaguement mystérieux distille çà et là des petits détails qui surgissent au détour d'un paragraphe. Ils ont un effet de petites bombes narratives, orientant le récit vers un chemin familial un rien vénéneux. Puis, lorsque le théâtre devient l'enjeu principal de la journée de Nelly, le texte devient un vibrant hommage à ces hommes et femmes dont la passion, le travail, est d'être quelqu'un d'autre sur un plateau, au service d'un texte longuement répété pour l'apporter le plus fortement possible auprès du public. On sent que Véronique Olmi a beaucoup fréquenté les comédiens pour parvenir à nous faire ressentir cet état si singulier qu'est la préparation à entrer dans un personnage. Mais le noeud de cette histoire est ailleurs et pour tout dire à cause d'un homme aimé passionnément...
C'est peut être ici que le récit soudain m'a paru un rien moins convaincant. Ecrire sur la passion, en 2015, après tant d'autres, n'est guère original. Véronique Olmi a beau avoir du style, j'ai eu un peu de mal à avaler cette perte de" la ligne même de sa vie" ou tout du moins à croire l'état dans lequel le surgissement de son ex amant la pétrifiait. Si les pages sur son trouble sur scène sont dignes d'un bon thriller ( arrivera-t-elle à jouer ou pas ? ), la dernière partie confirme pour moi que pas grand chose ne justifiait ce soudain black out. De plus, j'ai constamment pensé, peut être à cause de cette réalité âprement décrite, aux deux romans d'Annie Ernaux "Se perdre " et "Passion simple" minutieuse radioscopie d'une passion dévorante. Là où Annie Ernaux nous faisait sentir, sans aucune pudeur cette envie irrépressible de l'homme adoré, Véronique Olmi reste un peu extérieure, retenant soudain l'animalité de son désir, de sa passion, adoucissant son texte par l'emploi de termes un peu convenus.
Mais tel qu'il est, ce petit roman saura vous emporter dans la tête d'une comédienne, portrait sensible d'une femme aimante, fragile, brisée. C'est court, intense, joliment écrit, mais avec une fin un soupçon décevante.

jeudi 1 janvier 2015

A most violent year de J. C. Chandor


Une histoire de montage financier en trente jours pour l"achat d'un terrain de stockage de produits pétroliers. Un personnage principal très propre sur lui se voulant un parangon d'honnêteté vertueuse au milieu d'un monde plutôt mafieux. Une ville au bord du gouffre, New-York en 1981, servant de toile de fond à un polar noir où les scènes d'action sont rares contrairement aux scènes de négociations de tous ordres. Raconté comme cela, "A most violent year" peut passer pour un film de genre intello, proche d'un James Gray et taillé pour faire fuir les amateurs de films ricains pétaradants et bourrés de testostérone. C'est un peu cela en effet mais c'est quand même un peu plus. 
Je vous ferai grâce des multiples références dont le film s'orne sans ostentation, mais propres à faire délirer tout bon critique désireux d'étaler son savoir, pas besoin de les avoir pour apprécier sa narration sous tension. Le scénario, très habile, joue sur plusieurs tableaux, mélangeant le suspens créé par le temps imparti au héros pour trouver une coquette somme d'argent, rebondissements inhérents compris avec l'envie de connaître celui qui se cache derrière les vols avec violence de camions de carburants de l'entreprise de notre personnage principal. Et si l'on rajoute le portrait tout en nuances de ce jeune entrepreneur qui au fil du film va se révéler de plus en plus pragmatique et singulièrement obsessionnel dans son envie de réussite à l'américaine, funambule toujours au bord de tomber dans l'illégalité, le tableau sera complet. Le film, constamment sous tension,vous embarque lentement et surement pour un voyage au coeur du rêve américain. Un formidable mais courte scène de poursuite apparaît plus comme un clin d'oeil au genre mais la lumière magnifiquement grise qui enveloppe la plupart des plans donne une ambiance crépusculaire et glacée à ce qui est au final le portrait d'une Amérique sans concession, plus préoccupée de profit que d'humanité. 
Formidablement interprété, remarquablement mis en scène, redoutablement bien écrit, il est certain que "A most violent year" est un film à voir. Il prouve que le cinéma US ne se cantonne pas qu'à ses nombreuses daubes survitaminées en 3D ou bourrées d'explosifs et qu'il existe quelques metteurs en scène au ton particulier qui s'inscrivent en droite ligne des Sidney Lumet ou autres Scorcese. J. C. ( Jean Charles ? John Clive ? James Calvin ? ) Chandor est un de ceux que l'on prendra plaisir à suivre de très près !