mercredi 31 octobre 2012

La ville des serpents d'eau de Brigitte Aubert


Depuis quelques années, je lis de moins en moins de polars, ne trouvant plus dans ce genre aimé des auteurs ne cédant pas à la mode du gore ou du toujours plus cruel. Le serial-killer sadique étant de plus en plus l'élément indispensable si l'on veut voir son roman noir, très noir, publié et étalé sur les tables des libraires. Voulant remettre le nez dans un roman policier, j'ai choisi, à l'aveugle et sans lire la quatrième de couverture, un polar français dont le titre m'inspirait : "La ville des serpents d'eau" de Brigitte Aubert. Malgré sa production importante depuis vingt ans, je n'avais jamais lu un ouvrage de cette dame, presque une reine du crime à l'instar de Fred Vargas.
Une chose est évidente après ma découverte de son dernier opus paru au Seuil, Brigitte Aubert a du métier et de l'imagination. Elle sait trousser une histoire, gérer le suspense et tenir en haleine son lecteur.
Elle a situé son récit dans un gros bourg des Etats Unis, avec sa population essentiellement composée de blancs à l'abri du besoin et, bien sur, son serial-killer qui a enlevé six petites filles de six ans dont cinq ont été retrouvées noyées et éventrées. L'affaire est vintage, treize ans d'âge, et le coupable court toujours. C'est lui que nous retrouvons dans le premier chapitre car il tient séquestrée une des six fillettes enlevées. Devenue son objet sexuel, elle croupit dans sa cave insonorisée avec le fruit des viols de son geôlier, une petite fille de cinq ans. Cette dernière réussira à s'enfuir par une bouche d'aération, avec pour mission de trouver quelqu'un qui se chargera de prévenir la police. Y arrivera-t-elle avant que le violeur de sa mère y mette la main dessus ? C'est tout l'enjeu du livre et je peux vous dire que c'est mené de main de maître. Pleine de rebondissements, cette traque haletante accroche le lecteur jusqu'à la dernière page et ce, malgré une galerie de personnages un peu trop typés, qui donnent, hélas, un côté série télé américaine de moyenne gamme. Car la population de cette petite ville est constituée de femmes désespérées (depuis Desperate housewives, c'est très à la mode), alcooliques ou nymphomanes, d'un ex policier très imbibé mais encore bel homme, d'un rappeur à demi paralysé, d'un curé père de famille, d'un clodo géant mais demeuré, ... Bref un petit monde un peu trop cliché pour être vraiment attachant. Et puis, il y a le personnage de la petite fille auquel je n'ai pas cru une seconde. Elle voit le monde réel pour la première fois, ayant passé ses cinq années de vie avec sa mère dans une pièce sans fenêtre. Elle arrive à le décrypter sans problème, sans étonnement majeur et sans presque aucune crainte, tout ça grâce aux quelques livres illustrés que lui a lu sa maman. C'est un peu dommage d'autant plus que l'écriture, légèrement ironique, semble vouloir faire un jeu de massacre avec cette petite société amerloque de province, bien pensante et confite dans ses habitudes. C'est, un peu décalé sans l'être vraiment et la fin, très bien fichue, montée comme un vaudeville très très noir, est une réussite. L'intrigue ayant avancé à cent à l'heure, on pardonne volontiers les petits défauts cités plus haut. A l'arrivée, on a passé un bon moment et c'est déjà ça (comme dit Souchon).

lundi 29 octobre 2012

Astérix et Obélix : au service de sa majesté de Laurent Tirard



Vous êtes quelques uns à me dire que je ne parle que de films que personne ne va voir. J'ai fait un effort, je suis allé me poser devant une comédie populaire que tout le monde a déjà vu : le dernier Astérix. Sorti le même jour que "In another country", j'avais, à l'époque, préféré m'ennuyer en Corée du Sud que rire en Brittanie. Maintenant que j'ai réparé cet oubli et apporté mon soutien à ce film qui semble un peu boudé par le public, il faut que je donne mon avis ... et je suis bien embêté !
J'ai passé un moment agréable mais de là à pouvoir dire des choses intéressantes et pertinentes....
Tout d'abord, c'est vrai, tout le monde l'a dit et je le répète, c'est mieux que le précédent (oui, je l'ai vu !!!) mais nettement moins bien que le Chabat et sa Cléopâtre. On sent bien que Laurent Tirard et Grégoire Vigneron son co-scénariste ont essayé de retrouver la brillance et les anachronismes de ce désormais classique de l'humour, mais faute d'une histoire solide, le film peine un peu à nous passionner réellement. Heureusement pour lui, il a sa brochette de comédiens qui, tous impeccables, donnent un peu de lustre à ce quatrième épisode un peu poussif. Ainsi Edouard Baer en Astérix est une vraie bonne idée, donnant à ce héros un peu fade, un relief inattendu de casse-pied, un peu méprisant et un peu péremptoire. Face à lui, Gérard Depardieu est absolument craquant (oui craquant!) en Obélix tendre et amoureux. Il y a longtemps que je n'avais pas vu notre Gégé national aussi bon à l'écran. Autre bonne idée, avoir donné des acolytes faire-valoir hilarants aux deux héros. Vincent Lacoste, rejouant l'ado ingrat est parfait et Guillaume Gallienne en anglais bourré de principes est au diapason. Et si vous rajoutez un Fabrice Lucchini en César vraiment impérial et Valérie Lemercier en duègne rigide très drôle, vous avez dans ce film une distribution de haut vol absolument épatante. Et comme tout ce joli monde a plein de répliques bien tournées à balancer, on peut se demander pourquoi je fais quand même la fine bouche.
Comme je le dis plus haut, le scénario n'est pas au top. Remarquez ça doit être difficile d'allier rythme trépidant, humour décalé et/ou bon enfant et les passages obligés de cette série: les pirates qui collent immanquablement, les cortèges de légionnaires décimés, les effets de la potion magique, les clins d'oeil à notre époque, bref tout ce qui fait le sel de la série. Du coup, on a un peu l'impression d'avoir une succession de sketches, certes bien joués, mais assemblés à la va comme je te pousse, donnant à l'ensemble un côté plaisant mais pas vraiment abouti.
Cependant, je ne regrette pas ma soirée et du coup, je me suis dit que je pourrai embrayer avec le James Bond pour voir si les anglais arrivent à mieux rebondir avec leur héros légendaire.



dimanche 28 octobre 2012

Palacinche de Caterina Sansone et Alessandro Tota


Olivius, nouvelle maison d'édition BD, ouvre le bal en sortant trois albums de genres assez différents. J'ai parlé la semaine dernière de "Cul nul", petit recueil de gags autour des ratés du sexe. Je n'ai pas eu envie d'acheter "Les filles de Montparnasse" de Nadja mais par contre, j'ai flashé sur "Palacinche" de Caterina Sansone et Alessandro Tota, joli récit d'une jeune photographe sur la trace du passé de ses parents.
Sous titré "Histoire d'une exilée" ce roman graphique est un joli hommage délicat aux parents de Caterina Sansone qui ont du quitter en 1951 Fiume, ville italienne devenue, après guerre, yougoslave. Poussés à fuir le pays à cause du régime communiste, il atterrissent dans un camp de réfugiés du côté de Naples où ils passeront une dizaine d'années dans des habitations d'urgence en bois avant de s'établir à Florence. Leur fille, accompagné de son ami, va refaire ce trajet mais à l'envers. Armée d'un Rolleiflex, appareil photo argentique, elle photographiera tous les lieux ou ce qu'il en reste, où ses parents ont vécu et interrogera les survivants.
Cet album est à la fois le récit en bande dessinée de ce voyage, le reportage photo réalisé ainsi que l'histoire de cet exil. Cela donne un résultat attachant. le mélange Bd/photos est très réussi. Au dessin correspond la partie contemporaine, légère, humoristique, petite histoire dans une plus grande, mais aussi le récit de l'exil, simple, précis, émouvant. La photo, elle, apporte le témoignage de la vie des exilés avec les reproductions nostalgiques des photographies des années 50, avec, en contrepoint les photos d'aujourd'hui, qui, toutes, apportent le sentiment du temps qui passe et ensevelissant tout inexorablement.
Luttant contre cet oubli, les deux auteurs nous livrent un bel album sur la mémoire et la recherche de ses racines, un récit qui nous rappelle surtout que c'est par le passé et la connaissance de ses origines que l'on peut mieux avancer dans un monde qui a trop tendance à ne vouloir nous faire regarder que de l'avant.
Pour l'anecdote, les palacinches sont une variété de crêpes de la région de Fiume (aujourd'hui Rijeka en Croatie) dont les auteurs nous donnent la savoureuse recette en fin d'album.

samedi 27 octobre 2012

La dette de Rafael Gumucio


Je n'ai pas de chance cette rentrée avec la littérature Sud-américaine. Pas du tout convaincu il y a quelques semaines par "L'esprit de mes pères" de l'argentin Patricio Pron, je ne suis guère plus emballé par "La dette" de Rafael Gumucio.
L'auteur, journaliste de renom, nous raconte le descente aux enfers de Fernando, scénariste et réalisateur reconnu de documentaires. Il est à la tête d'une maison de production à l'esprit familial et amical, qui vit grâce à différentes subventions que l'état chilien lui alloue. Mais un sale matin, son comptable, un homme à l'apparence honnête et discrète, lui annonce qu'il a détourné des millions de pesos, mettant l'entreprise en faillite. Comme cet homme officiait également auprès de tout un tas de personnalités en vue, elles aussi escroquées, l'affaire fera la une des journaux durant plusieurs jours. Juan Carlos, l'arnaqueur, aura le temps de disparaître du pays avant que la police ne lui mette le grappin dessus. Il ne réapparaîtra que trois ans plus tard et sera la cause d'un retentissant procès où la victime va passer au rang de coupable, grâce, ou à cause d'avocats revanchards aux dents longues.
Cela peut sembler intéressant, mais, hélas, ça ne l'est pas énormément. L'auteur fait pourtant des efforts pour nous décrire cette société chilienne des années 90 corrompue jusqu'à l'os. Mais cette toile de fond est masquée par les réactions un peu étranges du héros, mélange de résignation, d'autoflagellation, de charité chrétienne (je tends ma joue gauche puisqu'elle n'a pas été encore frappée) et de vengeance. Jamais je n'ai été en empathie avec lui, le suivant un peu goguenard dans ses réflexions un tantinet pleurnichardes. Rafael Gumucio a beau appeler à la rescousse quelques personnages hauts en couleurs (l'épouse consommatrice de F.I.V, une avocate de 32 ans, vierge et un rien déjantée), ce qui aurait pu être une comédie sociale grinçante, ne reste en fait qu'un roman poussif et sans grand intérêt. Tiré d'un fait divers réel, n'a-t-il pas supporté la traversée de l'Atlantique ? Sans doute. Pour nous lecteur français,  cette histoire qui à fait les gros titres de la presse chilienne a du beaucoup perdre en saveur, les protagonistes étant pour nous de parfaits inconnus. Ce qui devait être au Chili un roman à clefs, devient chez nous le récit assez quelconque d'un scandale financier finalement bien peu original. Et ce n'est pas la quincaillerie psycho-chrétienne autour de la culpabilité et de la découverte d'un soi plus profond qui aide ce roman à sortir du lot et à maintenir le lecteur éveillé.


jeudi 25 octobre 2012

Amour de Michael Haneke

Je savais en me rendant à la projection d' "Amour", le dernier film du réalisateur autrichien Michael Haneke, que, comme d'habitude, ce ne serait pas une partie de plaisir. Le thème de la fin de vie n'est pas vraiment vendeur et ce n'est pas un hasard si la promotion du film s'est surtout portée sur le retour à l'écran de Jean Louis Trintignant et la performance d'acteur qu'il accomplit avec Emmanuelle Riva.
Précédé d'une rumeur de grand film émouvant et tire-larme, "Amour" semble être le long métrage incontournable de cette rentrée qui plus est auréolé de sa palme d'or à Cannes (il n'est pas sur que cela aide la carrière de ce film...).
J'ai vu le chef d'oeuvre et je dois dire que.... je ne sais pas quoi en penser. Cela débute par une scène qui ne laisse augurer rien de bien drôle : L'entrée de force dans un appartement où repose le corps en décomposition d'une vieille dame. Puis, retour en arrière, avec un très beau plan de salle de spectacle où assez vite nous repérons les deux acteurs principaux qui s'apprêtent à écouter un concert de piano. A l'issue du concert nous les retrouvons claudiquant pour lui, épanouie pour elle, dans une vieillesse partagée avec lucidité, humour et tendresse. Là, j'ai commencé à tiquer. Grand appartement hausmannien, échanges stylés et érudits avec beaucoup d'attention, de patience,  ce couple là a atteint le nirvana de l'amour après 50 ans de vie commune (l'âge de leur fille). C'est peut être trop beau pour être crédible surtout de la part de Michael Haneke qui nous avait habitué à plus d'âpreté. Puis vient le premier AVC d'Anne, et le lent processus vers la maladie et l'enfermement progressif de ce couple qui va aller jusqu'au bout, seul face à la mort. C'est bien fait, bien filmé et magnifiquement interprété surtout par Emmanuelle Riva qui donne une interprétation absolument sidérante de la déchéance, de la perte d'autonomie. Rien ne lui aura été épargné en tant que comédienne, les couches, les soins d'hygiène corporelle, les râles, l'élocution des hémiplégiques. Filmée sans aucun voyeurisme, avec empathie, j'ai senti un petit peu trop la performance et c'est peut être ça qui a empêché l'émotion me gagner. Et ce n'est que vers la fin du film, quand tous les deux sont au bout du rouleau, que j'ai retrouvé le Michael Haneke froid et glaçant, celui qui ne se masque pas devant la réalité, celui qui affronte la vie (la mort) telle qu'elle est et surtout sans l'ombre d'un édulcorant. Mais pour moi, c'était un peu tard. Le film était déjà joué.
Michael Haneke a toujours travaillé les émotions du spectateur, sans jamais l'ombre d'une concession, osant appuyé là où ça fait mal. Ici, évidemment, le sujet est loin d'être plaisant mais à vouloir injecter dans son film de la tendresse et de l'amour , il s'est un peu perdu en chemin. Malgré des acteurs formidables, une mise en scène pudique, jamais voyeuse, le réalisateur autrichien n'est pas à l'aise avec les bons sentiments et pour moi son film en pâtit énormément, atténuant la portée de son propos sur un questionnement assez radical sur la fin de vie.


mardi 23 octobre 2012

Super-Welter de Raphaël



Il n' a pas du vous échapper qu'en appelant son nouvel album "Super-welter", Raphaël voulait tout à la fois signifier qu'il changeait de registre musical mais qu'il officialisait aussi sa nouvelle passion pour la boxe. Je ne sais pas s'il compte monter sur le ring réellement, mais pour ce qui est de la musique, la rupture avec ses précédentes productions est radicale. Finies les jolies mélodies aux arrangements folks/pops qui passaient en boucle sur les radios FM, faisant se pâmer les minettes toutes raides dingues du chanteur à la gueule angélique. Il joue maintenant les vrais durs du rock en nous proposant dix nouvelles chansons qui, c'est le moins que l'on puisse dire, nous cognent dans les oreilles comme peu de titres français l'ont fait cette année. C'est une débauche de percussions lourdes et métalliques mélangées avec des sonorités électros, des choeurs, de la guitare sèche, tout un bric à brac d'instruments, de synthés qui éclatent un peu partout, véritable cocktail de sons surprenants mais aguichants. Ca attire l'écoute car c'est souvent inattendu, jouant sur des cassures de rythmes soudaines et des arrangements inventifs. On sent diverses influences, MGMT, Gérard Manset ou même David Bowie voire Alain Chamfort et toute l'électro pop des années 80  sur le titre "Voyageur immobile". C'est pêchu, ça joue les gros bras, trop peut être, mais qu'est ce que ça fait du bien au milieu de toutes ces productions formatées actuelles.
Par contre Raphaël aurait du retirer ses gants de boxe pour écrire les paroles. Les mots sonnent bien sur tout cet imbroglio de sonorités diverses mais il n'y a guère de fond dans tout ça. Une vague atmosphère urbaine faite d'errance, de couloirs de métro, de petites débauches et de bi-zarre (comme il dit dans le morceau "Peut être"). C'est à mon avis le seul bémol que je noterai sur cet album revigorant et original qui va vraisemblablement figurer dans les dix meilleurs albums français de l'année.

dimanche 21 octobre 2012

Cul nul d'Anne Baraou et Fanny Dalle-Rive


C'est peut être un pari entre copines, mais c'est gagné ! Anne Baraou et Fanny Dalle-Rive, pour l'inauguration d'une nouvelle maison d'édition consacrée à la BD, Olivius (contraction des éditions de l'Olivier et des éditions Cornélius), nous offrent un album humoristique de cul ! Si c'est pas vendeur ça !
Le sexe attire toujours le chaland et l'on admirera le titre, très agréable à l'oeil.
Du sexe donc, pour rire c'est sûr et sans jamais tomber dans le lourd ou le graveleux, mais ici il s'agit du foireux, du raté, du nul. Avec un dessin qui n'est pas sans rappeler Claire Brétecher (il y a même des poufs profonds comme dans "Les frustrés"), les deux auteures épinglent avec tendresse tout ce qui ne se raconte pas toujours, du moins entre hommes (quoique), parce qu'entre femmes, je pense que oui....
C'est une succession de saynètes avec des plans drague qui finissent au lit parce qu'il faut bien avoir un semblant de vie sexuelle. Mais les amants sont tellement compliqués ! Tantôt hygiénistes ou adeptes de la gymnastique artistique, éjaculateurs précoces ou obsédés par les odeurs, ils sont tous de véritable tuent l'amour.
Derrière ce rire toutefois, on perçoit tout au long de l'album, cette "ultra moderne solitude", mère de toutes les névroses. Manque de confiance, souci de la performance, obsession de l'image, toutes les conditions sont réunies pour que les ébats soient ratés et sans lendemain.
Telles des exploratrices des temps modernes spécialisées dans les loosers, les deux auteures nous plongent pour de rire sous les couettes peu bandantes des amants d'aujourd'hui. Si l'on n'en sort pas du tout émoustillé, on a passé quand même un agréable moment à sourire de ce qui nous est peut être arrivé (surement même) en regrettant une seule chose : cet album est trop court. On en veux plus !
Beau papier, belle édition mais hélas aussi copieux qu'une part de tarte dans un TGV ! Et ce n'est pas le dernier trait d'humour autour de la rareté du sujet qui me fera taire...


samedi 20 octobre 2012

Dora d'Ignacio Minaverry


J'avoue avoir acheté "Dora" par hasard, simplement attiré par la couverture assez réussie de cette jeune fille très années cinquante, lointaine cousine d'Aggie en plus graphique. Quand on retourne l'album, très bel objet sur beau papier, la quatrième de couverture n'offre qu'une seule phrase, à la fois étrange et énigmatique mais terriblement véridique  : "Traquer les nazis, c'est comme chasser les fantômes avec un filet à papillons." Et là je dis "Bravo", car cela évoque exactement ce que l'on trouve dans ce roman graphique, un mélange de dureté (nazis), de légèreté (filet à papillons) et de mystère (fantômes).
A partir d'une vision sombre du début des années 60, période confrontée à ce passé nazi qui hantent toutes les têtes en Allemagne et à cette guerre d'Algérie qui gangrène la France, nous suivons Dora, jeune fille juive dont le père a péri dans un camp de concentration et qui, de rencontres en rencontres, va se retrouver en Argentine à traquer Mengele, le célèbre médecin nazi d'Auschwitz.
Cette histoire, ultra documentée, très forte symboliquement, est aussi l'occasion de mêler la petite histoire dans la grande. Si les rappels historiques sont nombreux et précis dans cet album, c'est aussi un roman d'initiation, le passage à l'âge adulte d'une jeune fille, découvrant la face sombre de l'humanité mais s'interrogeant aussi sur ses origines et sur sa sexualité balbutiante. Beaucoup d'autres l'ont fait avant Ignacio Minaverry, mais ici, il y a un plus : la beauté et l'originalité graphique de l'ensemble qui confine presque à l'oeuvre d'art.
J'ai vraiment été emballé par les illustrations  et la mise en page de cette histoire. Ce noir et blanc très graphique est magnifique, un régal pour les yeux, jamais gratuit. Quelques cases suffisent à planter une ambiance, magie de cadrages originaux et subtils, même dans les passages plus didactiques (et il y en a quelques uns). C'est admirablement maîtrisé, autant dans la forme que dans le fond. A la fois roman historique sur l'après-guerre et étude psychologique sur une jeune fille en apprentissage de la vie, "Dora" est une merveilleuse découverte.
Si la fin m'a un peu surpris, j'ai finalement été soulagé de m'apercevoir que l'histoire n'est pas terminée, que d'autres volumes sortiront bientôt (combien ?). Une chose est sûre, je ne les manquerai pour rien au monde.
Ah ! un petit détail pour terminer. Quand on regarde la couverture de cet album, tout y est très féminin : le titre, l'illustration et même le nom de l'auteur : Minaverry. J'ai réellement pensé, même en lisant, que cet auteur était une femme. Ce n'est qu'à la fin que j'ai découvert sur le rabat, qu'en fait c'était un homme.... Cette ambiguité, en cachant le prénom de l'auteur,  est-elle voulue par l'éditeur ? En tous les cas, elle fait formidablement écho à l'héroïne de cette histoire, qui, elle aussi, cultive une sexualité un peu flottante, lui donnant un charme supplémentaire.


Pour avoir une idée des illustrations suivez ce lien : next

jeudi 18 octobre 2012

In another country de Hong Sang-soo


La bande annonce de "In another country" nous montrant Isabelle Huppert dialoguant en anglais avec des mâles coréens, donnait une impression d'insignifiance tant les dialogues semblaient simplistes. Heureusement, quelques cartons nous signalaient que ce film là avait été adoré par Télérama, Les inrocks et Libé, signe sinon de chef d'oeuvre absolu mais de bon goût, Hang Sang-soo étant de toutes les façons un réalisateur incontournable.
Peu familier du metteur en scène coréen, j'ai visionné hier soir, jour de la sortie, l'oeuvre dans une salle où j'étais l'unique spectateur. Le public pas vraiment convaincu du côté comique de la chose a peut être préféré se poiler devant la quatrième mouture d'Astérix.... Je ne sais pas si les nouvelles aventures du gaulois en Angleterre sont drôles mais celles de notre gauloise Isabelle Huppert en Corée ne le sont assurément pas.
Cela commence par une scène hallucinante de lourdeur entre une mère et sa fille, se plaignant d'un oncle qui a ruiné la famille. Il y avait au moins quarante ans que je n'avais pas vu (enfin, lu, c'était sous-titré) une entrée en matière aussi mal fichue et mal dialoguée. Après deux minutes de projection, le spectateur voit s'envoler la possibilité d'inscrire ce film parmi ses 10 préférés dans le sondage de fin d'année des magazines branchés. La jeune fille du début, énervée, part écrire un scénario de court-métrage mettant en scène une femme française rencontrée dans un festival. On se détend comme on peut.... Au final, surement très inspirée ou très vénére, elle écrira trois histoires différentes mais avec les mêmes personnages dans les mêmes lieux. Trois histoires de femme : une célibataire, une adultère et une trompée. Toutes les trois vont chercher à voir un phare, seule attraction de cette station balnéaire et rencontreront un maître nageur un peu simplet. Ces trois femmes, c'est chaque fois Isabelle Huppert, dont le cinéaste semble être un grand fan.
Moi aussi j'aime bien l'actrice mais pas au point de la regarder trottiner pendant une heure trente en chaussures Prada ou en ballerines Repetto, sur un bord de mer coréen assez sinistre, vraisemblablement hors saison.
Les trois histoires sont totalement anecdotiques, mais la critique branchée l'a dit, l'esssentiel est évidemment ailleurs (oui, je consulte les critiques quand le film m'a un peu échappé). Tout d'abord, il paraitrait que les décors de cet appart/ hôtel standardisé dans lequel évoluent les personnages, ont été filmés à la manière d'un Kubrick dans "Shining", les rendant ainsi totalement oppressants. Heu, faut pas pousser quand même...des escaliers et des balcons en bois avec Isabelle Huppert posée dessus, même flirtant avec un coréen marié, ce n'est pas franchement terrifiant.
D'autres critiques intelligents y ont vu toutes les facettes d'une femme et un discours éclatant sur sa sexualité... Là, pourquoi pas ? Je pense que c'est la vision de Mlle Huppert assise sur une bite d'amarrage et jouissant de la vue d'un phare jaillissant de l'eau qui leur a mis la puce à l'oreille.
Et puis, certains ont noté une poursuite du travail du cinéaste autour des enjeux du langage... Là, je ne peux pas juger complètement. Par contre, ce que je peux dire, c'est que dans ce film, tout le monde parle un anglais niveau collège, florilège de phrases basiques et simplistes. C'est peut être ça l'étude de la langue, mais au premier degré, je vous assure que c'est très indigeste (je n'ai pas eu le bonheur de trouver les pistes pour accéder au deuxième....). C'est la première fois que je vois un film en anglais et où je n'ai même pas besoin de lire les sous-titres pour comprendre (et je n'ai jamais brillé en langues vivantes, ni ailleurs diront certains....).
Ce qui m'étonne, c'est que personne me semble-t-il n'a parlé d'Alain Resnais car Hon Sang-soo y fait  quelquefois référence. Comment ne pas penser à  "Smocking, no smocking" quand Isabelle Huppert hésite par trois fois sur la route à prendre. A droite, elle couche dans la "so pretty" tente Quechua du maître-nageur, à gauche, elle s'émerveille devant la raideur phallique du phare, tout droit, elle fonce dans les poubelles stockées là (mais Isabelle Huppert ne le fait pas, elle va tacher sa jolie robe). Resnais encore, quand le réalisateur joue avec les objets du film, les semant dans une histoire pour les retrouver dans une autre : la bouteille de Soju (alcool local) ou le parapluie ("Where is my umbrella? " dit la jeune fille de l'hôtel qui n'était qu'en première année de collège).
Si j'ai pensé à Alain Resnais, c'est simplement parce que je me suis passablement ennuyé au bord de cette plage coréenne. Je n'y ai rien vu d'exaltant ni de palpitant, juste un hommage brumeux et automnal à Isabelle Huppert. Hélas, et malgré toute l'admiration que j'ai pour l'actrice, ça ne m'a pas suffi.




mercredi 17 octobre 2012

Z comme don Diego T2 La loi du marché de Fabcaro et Fabrice Erre


Bonne nouvelle, un nouveau volume de la série " Z comme don Diego" vient de sortir ! Le deuxième en moins de 6 mois. La maison Dargaud doit y croire énormément pour cravacher ainsi les auteurs qui, tels des forçats, fournissent une planche par jour comme au bon vieux temps où les quotidiens publiaient une dose de BD journalière à leurs lecteurs. (ou alors, l'école japonaise est arrivée en France !). Car, si vous n'avez pas encore succombé à l'humour de cette parodie de Zorro, sachez qu'il s'agit de strips d'une demi-page où vous retrouverez tous les personnages qui font le sel de la série télévisée, c'est à dire le sergent Garcia, Bernardo le serviteur sourd, muet mais ultra habile de ses mains.
Dans ce deuxième tome, Don Diego, toujours aussi falot et empêtré dans sa double personnalité de célibataire et de justicier, voit un rival débarquer dans la ville , Don Winnero de la Gagna (et par ailleurs Wolverino qui signe d'un W). Beau, blond, cultivé, il va bien sûr séduire celle qui fait battre le coeur de notre héros, la pulpeuse Sexoualidad dont le tour de poitrine est inversement proportionnel à  la taille de son cerveau. Cette concurrence, aussi bien sur le front de la justice que dans le domaine amoureux, va obliger Don Diego/Zorro à revoir sa stratégie et pour pouvoir exister médiatiquement parlant, va connaître la dure réalité des animations en supermarché.
Toujours aussi drôle et décalée, cette seconde partie m'a semblé encore plus réussie que la première grâce surtout à une meilleure homogénéité des gags. Peut être aussi parce que les personnages sont bien ancrés dans mon esprit mais aussi parce que la série prend son rythme de croisière, les auteurs s'en donnant maintenant à coeur joie dans le pastiche des super-héros, pour notre plus grand plaisir de lecteur qui attend avec impatience le troisième tome.
Ce que je disais du premier volume de cette série est ICI.



mardi 16 octobre 2012

Max et son art de David Wiesner


David Wiesner est un auteur/illustrateur Etatsunien qui invente des albums un peu surréalistes, magnifiquement illustrés. Souvent de compréhension difficile par les jeunes enfants, son univers est plus adapté aux 9/10 ans (même sa formidable version des trois petits cochons en 2001).
"Max et son art", son nouvel album paru cette année aux éditions Circonflexe, me semble plus accessible. Même si le côté surréaliste est toujours là, il y a des personnages et une énergie très cartoonesque que des jeunes lecteurs sont tout à fait capables d'apprécier, gavées comme ils sont de dessins animés vaguement inspirés de Tex Avery.
Les protagonistes de cette histoire sont des lézards (qui rappellent le film "Rango") s'adonnant à la peinture, enfin, surtout Arthur, le plus gros, portraitiste très classique voire pompier. Max, lui, n'a jamais peint mais en a fortement envie. Comme il n'a pas d'idées de sujet de tableau, il demande à son copain ce qu'il pourrait bien représenter sur sa toile. Quand il lui répond qu'il n'a qu'à faire son portrait, la réaction du novice est tellement surprenante que la vie, l'avis et le lavis d'Arthur vont s'en trouver considérablement transformés...
Véritable petit précis pour enfants de la naissance de certains mouvements artistiques du XXe siècle, "Max et son art" est un album visuellement magnifique, euphorique et intelligent et pédagogiquement sensationnel. Il donne envie de jouer avec les couleurs et la matière. Sans arriver aux excès de Max (potentiellement risqués pour le canapé du salon !), le désir de barbouiller comme un possible futur génie de la peinture titille fortement le cerveau et les doigts. Peut être y'a-t-il en nous ou dans les mains de nos enfants un futur Pollock ou un néo-impressionniste abstrait qui sommeille ?
Gros coup de coeur pour cet album bourré d'humour et d'intelligence, qui peut se lire à partir de quatre ans et bien plus.

lundi 15 octobre 2012

Macbeth de William Shakespeare


Un lecteur de ce blog, Stéphane pour ne pas le nommer, me signalait très justement que je ne parlais jamais des classiques de la littérature. Les aurai-je tous lus ? Que nenni ! Et c'est ainsi que, de fil en aiguille, cet honorable lecteur s'aperçut, qu'entre autre, je n'avais jamais mis mon nez dans une oeuvre de William Shakespeare ! Me mettant au défi de m'y plonger dans le mois qui suit, je me suis décidé à lire, sur ses conseils, "Macbeth".
Que dire d'un chef d'oeuvre de la littérature ? Ma vérité de lecteur. Tout d'abord que se plonger dans ce style du 16 ou 17ème siècle n'est pas aisé (et avec une traduction qui ne me semblait pas à son meilleur niveau). Ayant à ma disposition deux versions différentes de cette pièce, j'ai pu vérifier que cela devait être vraiment difficile de redonner en français la verve de Mr William.
Mais au fil des pages, on s'habitue à ces métaphores, ces métonymies qui peuvent paraître d'un autre âge mais qui ont, il faut le reconnaître, une saveur et une force incomparables. Et puis, bien sûr, il y a l'histoire de ce tyran, Macbeth, assoiffé de pouvoir. Il tuera tout ce qui fait obstacle à son ascension. Mais ses crimes laisseront une trace indélébile dans son esprit et sur la main de sa femme, la fameuse tache du remord qui résiste à tous les lavages. Bien sûr la morale est rétablie bien que de manière tout aussi cruelle.
Pour moi, habitué à des lectures plus contemporaines, j'ai très vite fait abstraction des facilités scénaristiques (oui, il y en a !) mais pas de la trame historique. La pièce, en cinq actes, se déroule en gros  entre 1040 et 1067 de notre ère et il m'a fallu quelquefois consulter un petit déroulé historique pour pouvoir bien suivre et comprendre qui étaient ces nombreux personnages qui apparaissent au fil du drame (29 rôles parlants au total ! Je comprends mieux pourquoi on ne la voit pas plus souvent à l'affiche !).
Quoiqu'il en soit, cette plongée dans le monde allégorique de William Shakespeare fut une expérience intéressante et je remercie Stéphane pour ce challenge. Maintenant, je suis prêt à recommencer et, pourquoi pas, à m'enfiler tout le répertoire de celui dont la langue natale porte dorénavant le nom.


Je ne résiste pas à l'envie de mettre ce clip de Vincent Delerm intitulé "Le monologue shakespearien", pas vraiment adapté à Macbeth (peu de monologues et évoquant une autre pièce du grand William) mais tellement drôle. (enfin, je trouve).

dimanche 14 octobre 2012

Les pays de Marie-Hélène Lafon


Souvent sur ce blog, j'ai dit que j'aimais les livres qui secouaient le lecteur, qui le poussaient dans des contrées dérangeantes, pour le faire réfléchir ou tout du moins réagir. Mais, il existe des livres qui prennent un tout autre chemin, plus subtil, plus intime, souvent des ouvrages personnels, autobiographies quelquefois déguisées, récits de jeunesse, d'initiation, ... Ils nous attrapent dans leurs phrases pour ne plus nous lâcher. Ceux là ne bousculent pas, mais font résonner en nous des émotions plus intimes, souvent reliées à notre vécu.
"Les pays" de Marie-Hélène Lafon est un de ceux là. Si je devais raconter l'histoire, elle se résumerait à deux ou trois éléments, à première vue peu palpitants. Mais c'est tout l'art d'un grand écrivain de nous intéresser à une jeune fille quittant son Cantal natal pour aller étudier le latin et le grec à la Sorbonne. Bûcheuse et solitaire, nous la suivrons dans sa découverte d'un monde où tous les codes sont à découvrir et à intégrer.
Au premier abord, cela rappelle le dernier roman de Benoît Duteurtre (chronique ICI ) "A nous deux, Paris !" sur le thème de la montée d'un provincial à la capitale. Mais là où le premier essayait de nous intéresser aux péripéties culturo-musicales d'un jeune homme un peu naïf, "Les pays" préfère ausculter comment cette immersion dans un univers inconnu, est vécu, de l'intérieur et combien il est difficile pour une jeune fille sage et douée, de se détacher de son enfance paysanne.
Avec de longues phrases, aux mots choisis, Marie-Hélène Lafon m'a énormément ému. Ses phrases sont justement si enveloppantes qu'elles arrivent à faire resurgir une multitude d'émotions oubliées. Je défie quiconque qui, un jour, a du quitter un milieu familial rural ou ouvrier pour la ville et ses attraits, de ne pas se retrouver dans ces pages. Tout y est admirablement rendu, simplement, intimement sans aucun voyeurisme. Cette enfance terrienne qui est dans les veines de Claire, l'héroïne, restera enfouie en elle, mais elle apprendra à la camoufler derrière les codes de cette bourgeoisie pas encore bobo. Le passage de l'une à l'autre est formidablement décrit jusque dans ses moindres détails. C'est délicat sans être mièvre, c'est rendu subtil par un vrai travail d'écriture au pouvoir hautement évocateur.
Comme l'héroïne, j'ai quitté mon milieu de naissance régional pour aller étudier et travailler dans une grande ville. J'ai retrouvé en lisant "Les pays" toutes ces émotions, mélange de honte et de fierté, d'étonnement et de curiosité, de défi et de retenue qui ont émaillé mes années d'apprentissage à une vie urbaine privilégiée.
J'ai passé un moment précieux à la lecture de ce très beau roman. Je le recommande chaudement à tous ces urbains qui ne sont en fait que le fruit d'un exode rural rendu obligatoire par nécessité économique. (Et ils sont nombreux...)


jeudi 11 octobre 2012

Dans la maison de François Ozon


Je suis un grand fan du cinéma de François Ozon. je suis de ceux qui courent dès le premier jour découvrir en salle le cru de l'année.
Cette année, malgré une bande annonce pas vraiment emballante, la cuvée promettait d'être exceptionnelle à en croire une presse bobo (Le Monde, Télérama, les Inrocks, ...) totalement enthousiaste. Là, j'ai un peu tiqué... D'habitude Ozon n'a pas tout à fait le ticket avec eux. L'âge venant, serait-il passé enfin dans la catégorie des grands intouchables ? Je le dis d'emblée, cette presse ne rend pas service au film car "le petit chef d'oeuvre troublant" promis par Télérama m'a, hélas, paru bien fade par rapport au désir suscité par le critique de ce journal. Si j'avais du écrire ce billet sitôt sorti de la salle de ciné, je l'aurai massacré. Après une nuit de réflexion, je suis plus partagé, tout en étant certain que c'est loin d'être le meilleur film du réalisateur.
Pour ceux qui n'auraient pas allumer radio et télé ni lu leur presse habituelle, c'est l'histoire d'un prof ( Fabrice Luchini) qui devient le pygmalion en écriture d'un élève doué pour l'intrigue et obsédé par la famille de son meilleur ami. Sérieusement ébranlé par les écrits du jeune homme, le prof va déclencher malgré lui une machine infernale qu'il aura bien du mal à stopper.
Je pense avoir vu ce que François Ozon a voulu faire avec cette histoire : un jeu subtil, habile et machiavélique avec le spectateur, où fiction et réalité sont censées se mélanger, se répondre, s'enrichir l'une de l'autre avec une touche de suspens et de de perversion. A cela, il faut ajouter les thèmes chers au réalisateur : la satire de la bourgeoisie et de la classe moyenne, la sexualité trouble, la domination ainsi qu'un regard ironique sur la création artistique. C'est beaucoup pour un seul film, surtout avec un scénario qui, à mon avis, ne tient pas la route.
Car, il faut bien l'avouer, je me suis un peu ennuyé durant les lectures en voix off des textes du jeune héros qui décrivent exactement ce qui se passe à l'écran. Cette redondance alourdit la narration et empêche d'en apprécier les subtilités et les nombreux clins d'oeil. Et quand l'histoire s'emballe un peu vers la fin, on n'y croit plus beaucoup. Le sulfureux soufflé espéré se transforme en quatre quart pouffant. François Ozon semble reculer devant son intrigue à la "Théorème" de Pasolini, renonçant à bousculer complètement l'ordre établi et préférant un dénouement consensuel un peu mou auquel il nous avait peu habitué jusque là. Le jeu avec les clichés de la représentation des milieux bobos aurait pu  donner au film un côté jeu de massacre. Si Fabrice Luchini et Kristin Scott Thomas, absolument parfaits, tirent leur épingle du jeu, ce n'est pas le cas du couple de la classe moyenne, Emmanuelle Seigner et Denis Menochet. Rendus tellement caricaturaux par les écrits du lycéen, ils peinent à faire exister leurs personnages aux stéréotypes outrés. Ce déséquilibre flagrant nuit à l'unité du film  qui avance péniblement entre scènes de comédie et épisodes supposés sulfureux, sans jamais parvenir à agglomérer l'ensemble.
Pour moi, c'est une déception mais, vivement le prochain film de François Ozon, car je reste fidèle à un réalisateur qui m'a déjà tellement ravi. Ce n'est pas ce faux pas qui le fera descendre du piédestal sur lequel je l'ai posé.




mardi 9 octobre 2012

L'école 100% humour de Christophe Besse

( Hélas, pas le moindre dessin à vous montrer sauf celui de la couverture )

En tant que lecteur du magazine professionnel "L'école aujourd'hui", il était évident pour moi d'acheter ce recueil de dessins humoristiques de Christophe Besse. Chaque mois, il apporte une touche d'humour dans une revue pas vraiment hilarante et c'est avec gourmandise que j'ai retrouvé, compilés par le Cherche Midi éditeur, ces enseignants et ces élèves chaleureusement croqués dans leur redoutable face à face. Ce qui réjouit les zygomatiques une fois par mois dans une revue prend une toute autre saveur dans une compilation. Cela reste toujours aussi drôle mais cette succession fait apparaître une touche de gravité un peu inattendue.
"L'école 100 % humour" est ici le portrait en creux de deux mondes : celui des élèves et celui des instits, professeurs des écoles maintenant. Les élèves sont toujours prêts à s'amuser, se dissiper. Rien n'a vraiment changé depuis l'époque du Petit Nicolas. Même s'ils sont bourrés de technologies et gavés d'écrans, ils n'en restent pas moins des enfants, impertinents certes, mais quand même toujours à l'écoute de leur professeur quelque soit sa personnalité ou ses lubies pédagogiques. Et c'est lui, le prof, l'instit, qui est la cible principale de Christophe Besse. Loin des clichés qui traînent sur le milieu enseignant, nous découvrons des hommes et des femmes pleins de bonne volonté, souvent désespérément accrochés à des goûts archaïques comme les livres ou la lecture, dépassés par leurs élèves mais surtout totalement désorientés par toutes les réformes qui, années après années, rendent le métier un peu plus difficile chaque jour. On les découvre aussi aux prises avec les délires d'une société schizophrène qui génère autant de maladies que de remèdes aussi clinquants qu'infantilisants.
C'est bien sûr très drôle. Vous y reconnaîtrez quelques uns des profs de vos enfants : la maîtresse totalement dépassée par sa classe en folie, la piquée de pédagogie alternative ou le maître 200 % écolo qui transforme votre enfant en croisé du recyclage. Au fil des pages, les parents apparaissent eux aussi  déboussolés par leurs gamins, la montée en puissance des produits technologiques ou cette Education Nationale à la dérive.
C'est très très drôle et surtout très bien vu. Cet album en raconte beaucoup plus sur l'état de notre école et de notre société que cent débats de spécialistes, car ici, pour une fois, l'école n'est pas représentée comme un milieu fermé mais comme une maison ouverte à tous les vents, même mauvais, d'un monde un peu fou.
Alors, un conseil à tous les parents d'élèves qui par hasard tombent sur ma chronique, si vous ne savez pas quoi offrir en fin d'année à l'enseignant de votre enfant, ne cherchez plus, ce livre est le cadeau idéal. Si l'enseignant(e) est revêche et sans humour (si,si, il y en a...), ce livre la déridera. Si ouverture, sourire et générosité sont sa panoplie quotidienne, il (elle) le prendra comme un clin d'oeil ultra sympathique de votre part et, croyez moi, il (elle) en a besoin....






dimanche 7 octobre 2012

Reality de Mateo Garrone



Ca commence comme un mauvais rêve. Un long et très beau travelling suit une espèce de carrosse doré tiré par deux chevaux blancs. Nous arrivons dans un luna-park à mariage où plusieurs couples ont du s'endetter pour fêter leur union dans ce lieu rococo et kitsch à souhait. L'apothéose de cette soirée, est la venue d'une vedette de la télé-réalité, qui tel un dieu cathodique, bénira, en quelque sorte  et durant trois minutes chrono, chacune des noces présentes. Une fois l'hystérie passée, tout le monde rentre chez soi et retrouve son habitation d'un quartier déshérité de Naples. Chacun retire son beau costume, sa robe pailletée et retrouve un quotidien fait de travail, de chamailleries, de petites escroqueries et d'une télévision berlusconienne omniprésente dans tous les foyers. Poussé par le hasard et par ses enfants, il se trouve sélectionné pour le casting final d'une émission de télé réalité du style "Secret story" chez nous. Là, le rêve est à portée de main et l'espoir d'une hypothétique richesse se profile à l'horizon.
En prenant son temps (trop peut être), Matteo Garrone suit son poissonnier qui tombe dans la paranoïa puis dans la folie douce. Son monde va s'amenuiser à mesure que son obsession pour ce divertissement minable va s'installer dans se tête. Satire de l'impact de la télé sur une population démunie, "Reality" brosse un tableau émouvant de l'Italie du Sud. Bien que fellinesque, la famille du poissonnier est filmée avec respect et tendresse, comme les victimes involontaires d'un système qui les dépasse. Ils veulent le quart d'heure de gloire factice promis par Andy Warhol, comme si c'était l'unique espoir d'une vie de sacrifiés. Seulement la machine médiatique, cynique et impitoyable, les broiera tous dans une indifférence carnavalesque.
Le film, sur ce plan là, est réussi en grande partie grâce à un scénario efficace, mélange de tension sociale et de comédie grinçante. Je reste toutefois réservé sur la dernière partie, plus relâchée et nettement moins convaincante, avec le retour d'une église catholique aux abois et un personnage principal devenu quasi illuminé, la critique mordante laissant la place à une imagerie un peu sulpicienne.


Les dessous de la presse de Marion Gillot


Quand le site LIBFLY (merci pour cette découverte) m'a envoyé "Les dessous de la presse" de Marion Gillot, je pensais me régaler d'anecdotes croustillantes sur ce monde surement impitoyable qui exerce un pouvoir toujours aussi important par le biais des journaux, des télés et des radios. J'ai un peu déchanté quand j'ai vu qu'il s'agissait d'un bouquin pour les ados qui plus est sous la forme d'un abécédaire...
Il a bien fallu que j'y plonge dedans....avec réticence au début. Puis de page en page, l'intérêt est venu, grandissant. Au fur et à mesure que se sont égrenées les lettres, j'ai vraiment été épaté par la qualité de l'ensemble. Mine de rien, avec une écriture simple, accessible et synthétique, Marion Gillot aborde toutes les facettes des métiers de la presse, de son organisation, de ses enjeux et de son histoire. De Gutenberg à Julian Assange, en passant par Théophraste Renaudot ou Albert Londres, tous les grands noms qui ont laissé une trace indélébile dans  cet univers sont présents. Aucune question n'est laissée dans l'ombre. On ne nous cache rien du difficile métier de journaliste face aux pressions politiques ou commerciales qui peuvent mettre à mal sa supposée objectivité. Les problèmes économiques des journaux, l'incontournable Twitter, la vie de pigiste, tout est expliqué, détaillé avec clarté et précision.
J'ai refermé ce livre enchanté. Tout d'abord, j'ai eu, grâce à lui, une sorte de remise à niveau de mes connaissances et j'y ai même appris plein de choses  (par exemple que le grand journal japonais Yomiuri Shimbun, qui a le plus fort tirage au monde, paraissait 2 fois par jour !).
Vraiment les ados n'imaginent pas la chance qu'ils ont de vivre cette époque. En plus d'internet, le monde de l'édition met à leur portée des bouquins qui compilent avec talent toutes les informations qu'ils mettraient des heures à trouver sur la toile. Véritable petit précis sur la presse, ce livre est à conseiller fortement à tous les lycéens qui, un jour ou l'autre, se trouveront obligatoirement confrontés à disserter sur un sujet de français ou de philo du genre : "La vérité est-elle dans la presse ?". Et c'est là que ce livre se révèle indispensable pour avoir le maximum de connaissances sur le mot " presse" (pour "vérité" c'est plus complexe), connaissances acquises sans effort (sauf celui de la lecture) mais avec plaisir ( celui de la lecture aussi ).
Une seule question me taraude : existe -t-il encore des jeunes qui ouvrent des livres ? J'ose espérer que oui.
"Les dessous de la presse" de Marion Gillot avec des illustrations de Nicolas Wild est édité chez Gulf Stream et est vendu au prix modique de 12,50 €.

Livre lu dans le cadre "La voie des indés" organisé par LIBFLY.

jeudi 4 octobre 2012

Bouh ! de François Soutif


Coup de coeur "livre jeunesse" de la rentrée.




Les trois petits cochons est un des classiques qui a suscité le plus de versions, réécritures, de parodies. De nombreux auteurs "jeunesse" ont succombé au plaisir de rendre hommage à ce conte américain même de façon détournée comme Frédéric Stehr et ses "trois petites cochonnes" (oui, c'est pour les enfants !) ou Steven Guarnaccia et sa version design.
Cette rentrée, c'est l'excellent François Soutif qui reprend les personnages du loup et de ses trois futurs rôtis pour leur faire vivre une nouvelle aventure sans parole. Ca s'appelle "Bouh !" et c'est, il faut le dire haut et fort, une réussite !
Au départ, les trois petits cochons sont poursuivis par un loup affamé, armé d'une fourchette et d'un grand couteau. Heureusement, le livre est là pour les sauver. Le loup est stoppé net dans son élan par la pliure du livre, l'empêchant de passer sur la page voisine où se trouvent les trois frères. Les cochons, curieux et insolents, se moquent allègrement du méchant animal maintenant tout cabossé... qui ne veut pas renoncer pour autant à son futur repas. Une idée lui traverse la tête...
Je ne dévoile pas la chute de cette histoire totalement réjouissante, flirtant avec un absurde bon enfant. Les illustrations de François Soutif sont toujours aussi expressives, mention à ses cochons aux mimiques absolument hilarantes.
Pour moi, c'est mon coup de coeur de le rentrée. Certains me diront que c'est un peu cher pour un album sans texte (13,20 euros) mais quand on aime on ne conte compte pas. Je l'ai sur mon bureau depuis une semaine et il ne se passe pas une journée sans que je le feuillette à nouveau. Ses cochons me mettent de bonne humeur et chaque fois j'y découvre un détail qui m'avait échappé. N'est-ce pas le signe d'une parfaite réussite ?
Attention donc, parents et enfants, si par mégarde vous ouvrez "Bouh!", vous êtes cuits ! Ce vieux * loup de François Soutif vous dévorera tout cru... pour votre plus grand plaisir !
* Heu, pas vieux du tout en fait, mais j'aimais bien l'expression...
Cette petite merveille est éditée chez Kaléidoscope et est conseillée à partir de 3/4 ans.

mercredi 3 octobre 2012

Pauline détective de Marc Fitoussi


"Pauline détective" fleure bon les vacances, la comédie policière américaine des années 50 ainsi que les intrigues de la bibliothèque verte des années 60 (un temps que les moins de 50 ans n'ont pas du connaître). Tout ça pour une comédie légère et pétillante qui, à défaut  d'être un chef d'oeuvre absolu, se laisse regarder sans aucun ennui.
Le pitch est assez simple : Pauline, journaliste au "Nouveau détective" part en vacances dans un palace de la Riviéra afin d'oublier sa dernière rupture; Flanquée d'une soeur autoritaire, comédienne de télévision et de son mari genre petit caniche, Pauline ne va pas vraiment se reposer. Dotée d'une imagination débordante, elle est persuadée qu'un meurtre a été commis dans son hôtel. N'écoutant que son intuition, elle va se lancer sans une enquête qui avancera cahin-caha au gré de ses déductions saugrenues.
Pauline, c'est Sandrine Kiberlain, rayonnante, pétulante, énervée, un peu ridicule parfois. Elle est absolument FORMIDABLE. Je sais, je ne suis pas objectif, je la trouve toujours formidable, mais là, elle explose le compteur de drôlerie et de vivacité. Et il faut l'entendre balancer ses dialogues avec un débit de mitraillette, joyeux mélange de dinguerie et d'énergie candide. Magnifiquement filmée, sublimée par une lumière estivale et des costumes aux couleurs chaudes, blondie et bronzée, elle n'a jamais été aussi belle à l'écran... (hein ? Quoi ? Ok , vous avez compris ... J'arrête... )
Autour d'elle, Audrey Lamy est impeccable en soeurette énervée. Elle apporte une dose clownesque épatante ( C'est incroyable ce qu'elle peut faire avec sa bouche).
Cependant, si le film est plutôt très sympathique, il m'a semblé manquer de rythme. Si Sandrine Kiberlain a toujours le bon tempo, ce n'est pas le cas de tout le monde autour d'elle et notamment de l'acteur qui joue le maitre nageur en slip moulant dont le charisme s'est peut être perdu avec l'apprentissage phonétique de ses dialogues. Et manque de chance, l'intrigue fait tellement penser à "Meurtre mystérieux à Manhattan" où Diane Keaton, autre grande bringue déjantée, imaginait elle aussi un horrible assassinat, que la comparaison est rude car l'héroïne de "Pauline détective" n'a pas dans son sillage un Woody Allen pour lui renvoyer la balle avec humour et intelligence et cela manque au film.
Vous l'aurez compris  il faut aller voir ce film, malgré les quelques petits reproches  formulés. Et si dans votre jeunesse vous avez été un lecteur, une lectrice d'Alice de Caroline Quine vous serez ravis de la retrouver, blonde, bouclée, robes cintrées plissées, talons plats et même conduisant un cabriolet comme dans les illustrations qu'en donnait la bibliothèque verte à l'époque mais sous les traits de l'éclatante, l'admira...(stop!!!) Sandrine Kiberlain. "Pauline détective" est une bonne comédie dans l'esprit d'"Associés contre le crime" en plus pêchue et autrement plus intelligente que "Les seigneurs" (mais fallait-il le préciser ?).

       

mardi 2 octobre 2012

Le singe de Hartlepool de Wilfrid Lupano et Jérémie Moreau


Derrière cette couverture singulière et particulièrement réussie, se cache l'adaptation d'une légende anglaise du XIXème siècle.
Les habitants du petit port de pêche d'Hartlepool ont un drôle de surnom : les étrangleurs de chimpanzé. Durant les guerres napoléoniennes, moment où la haine pour notre peuple est à son paroxysme, un navire tricolore fait naufrage et le seul survivant, recueilli sur la plage de cette charmante localité, est un singe. La bêtise et l'ignorance des habitants qui n'avaient jamais vu le moindre français (ni le moindre singe d'ailleurs), ont jugé la pauvre bête, la prenant pour la tête de pont d'un future invasion française.
Et comme ce singe n'a répondu à aucune question lors de son jugement, la population locale l'a condamné à la pendaison par souci de prudence.
Partant de cette anecdote pour le moins originale, Wilfrid Lupano, réinvente cette histoire pour en faire un conte baroque, truculent et philosophique. En y ajoutant toute une galerie de personnages secondaires attachants (les enfants et le jeune mousse franco/anglais), drôles (le cul de jatte) ou simplement plus important qu'il n'y paraît (le docteur et son fils), cet album est une vraie réussite.
Accompagnés par une illustration très inspirée de Jérémie Moreau qui jouant avec maestria avec les cadres et les couleurs, les dialogues truculents mais aussi inquiétants, soulignent l'ignorance et la bêtise d'une population prête à tout pour se donner de l'importance. On est à la fois chez Dickens et chez le Roald Dahl travaillant de conserve avec Quentin Blake. On ne peut rêver meilleurs inspirateurs pour cette BD de haute tenue qui saura vous émouvoir, vous surprendre mais aussi vous faire mesurer combien la bêtise et l'ignorance peuvent être vraiment inquiétantes. Son contexte historique, proche de la fable, donne à cet album une portée universelle qui le place désormais parmi les incontournables de l'année 2012.


lundi 1 octobre 2012

Infidèles d'Abdellah Taïa


De temps en temps, j'entre dans une librairie et je choisis un livre au hasard. Bien entendu, il doit répondre à quelques critères : je ne dois avoir lu le moindre article sur lui et  je ne dois pas connaître l'auteur. Evidemment, j'évite soigneusement les livres mis en piles, souvent ceux des listes des meilleures ventes (quelquefois aussi des coups de coeurs des libraires) ou alors ceux qui ont été inévitablement encensés par François Busnel dans sa grande bibliothèque. Je file donc vers les rayonnages, je demande à la personne qui m'accompagne de me donner une lettre de l'alphabet au hasard et là, je choisis.
Vendredi dernier, j'ai fureté parmi les livres rangés à la lettre "T" et j'ai extrait "Infidèles" d'Abdellah Taïa édité au Seuil. J'ai fait une petite grimace car je ne suis pas très réceptif à la littérature maghrébine, trop sucrée à mon goût et souvent empreinte de religiosité. Qu'importe, je file vers la caisse et une fois réglé l'heureux (?) élu, je lis la quatrième de couverture. Brrr, Islam et prostitution semblent être au programme ! Pas vraiment emballé...
Sur internet, je cherche à en savoir plus sur l'auteur. Oh, ignorant que je suis, il a déjà eu le prix de Flore en 2010 et il est inscrit sur la liste pour le prix Renaudot ! Raisons de plus pour me plonger illico dans ce roman.
Nous faisons la connaissance de Slima, prostituée marocaine, dont la mère sur son lit de mort, lui livre les secrets de son métier : introductrice. Cela consiste, lors de la nuit de noces, à accompagner les jeunes mariés stressés à s'unir comme la nature l'a pensé. L'introductrice excite le mari, cajole et au besoin force un peu l'épouse, introduit le membre de l'homme dans la bonne cavité et, si besoin, trouve du sang pour étaler sur les draps. Si j'ai bien suivi, Slima ne sera que prostituée, les bons vieux métiers semblent se perdre inexorablement...
Slima aura un fils, Jallal, qui sera bercé toute son enfance par les bruits de l'amour provenant de la chambre de sa mère et par la vision enchanteresque de Marilyn Monroe dans "Rivière sans retour". Ce fils, après la mort de sa mère totalement confite de religion, se retrouvera auprès d'un jeune terroriste islamiste.
En quelques longs chapitres, nous suivons leurs destinées, pour le moins atypiques. Cette prostituée est très croyante mais veut vivre un Islam réinterprété selon ses goûts. La croyance est dans son âme mais en aucun cas sclérosante ou fermée. Jallal ne pense pas trop à la religion. Orphelin désorienté, il rencontrera un être aux apparences douces qui se révélera être un terroriste islamiste. 
Alors, finalement, bonne ou mauvaise pioche ce roman ?
Malgré un manque d'unité stylistique (ça commence comme du Christine Angot, avec des phrases courtes, très courtes, pour terminer de manière plus fluide ou classique) et cette idée, par forcément mauvaise, de changer de narrateur à chaque chapitre, mais obligeant le lecteur à s'interroger sur l'identité de la personne qui parle, au lieu de se laisser prendre par le texte, je ne regrette nullement cette lecture.
Roman un tantinet transgressif, ce qui n'est pas pour me déplaire, tout en restant empreint de religiosité, je crois avoir perçu dans le propos d'Abdellah Taïa une proposition d'idées nouvelles à tous les manifestants des révolutions arabes. Ce roman est une bulle de liberté lancée au dessus du monde musulman dans l'espoir que cet automne islamique se transforme en réel printemps arabe. Et vraiment, je trouve l'idée de transformer Marilyn Monroe en déesse, égale d'Allah, mais femme, blonde et sexuée, vraiment gonflée. Comme si, dans ce  récit tout en ferveur religieuse, l'auteur voulait nous rappeler que depuis la nuit des temps, les homme se sont créés leurs dieux et leurs croyances, au gré de leurs envies et de la force de persuasion de quelques créatures emblématiques. Un peu subversif pour un croyant, non ?






Cette bande annonce parce que maintenant Marilyn est devenue une déesse...