dimanche 28 février 2016

Les passants de Lisbonne de Philippe Besson

De Philippe Besson, auteur qui ne rate aucune rentrée littéraire de janvier depuis 10 ans au moins, je n'avais lu quelques titres à l'écriture agréable, variations sur des thèmes tournant autour de l'absence, de l'ambivalence, du manque, qui ne m'avaient ni déplu ni emballé, compagnons de moments agréables mais vite oubliés.
Ces passants lisboètes me furent prêtés par une lectrice qui, sans vouloir m'influencer me dit quelque chose comme ; "Je l'ai lu.... voilà... " qui finalement résumait assez bien mes impressions précédentes, une lecture agréable sans être marquante. Chez Philippe Besson, j'arrive à me rappeler des titres, revoir les couvertures, mais le contenu, l'histoire, s'évaporent très vite de ma mémoire.
J'ouvre donc l'ouvrage et, je l'avoue, le charme a opéré tout de suite. Une ambiance chic, voire surannée d'un hôtel que l'on soupçonne un peu classieux, enveloppe deux personnages, un homme que l'on devine solitaire et d'une femme, tout aussi aussi solitaire, qui passe ses journée assise sur la terrasse, le regard perdu dans le vague. Ils vont se rapprocher et dialoguer avec la franchise que l'on a parfois avec des inconnus rencontrés hors de chez soi. Une atmosphère mélancolique serpente entre les lignes, Lisbonne oblige ( un cliché ? on s'en fout, c'est agréable, c'est du roman). Le cadre est posé, nous serons dans la douceur des choses, dans une approche lente et sensible de ces êtres qui ont tous les deux en commun d'avoir perdu un proche.
La première partie du roman prend garde à avancer avec l'élégance des timides. Les enjeux n'ont rien de sensuels. Même si les propos peuvent apparaître comme intimes, nous sommes dans une fraternité entre personnes brisées. Leurs face-à-face, mélange de retenue, de détresse et de franchise, ont le charme des rencontres inespérées. L'histoire progresse lentement. On a l'impression d'être dans quelque  fauteuil cosy d'un bar de grand hôtel où tout est feutré et policé. On est bien.
Mais au fur et à mesure que les confidences avancent, le roman commence à brinquebaler un peu. Si les personnages gardent toujours cette élégance assez séduisante, leurs histoires respectives, aussi terrible soit elle pour elle, aussi banale soit elle pour lui, ont eu du mal à me convaincre. Trop film catastrophe pour l'une, un peu clichetonne pour l'autre, elles ont du mal à s'insérer dans cette atmosphère joliment créée. Autant la description des sentiments, juste et sensible, m'a vraiment touché, autant les récits des disparitions des proches m'ont paru trop explicatifs.
Sans parler de la fin, un peu poussive, qui tire le roman vers la bluette de gare, j'ai donc un sentiment mitigé. J'applaudis pour la subtile plongée dans les sentiments intimes de deux êtres qui cherchent à combler une absence insupportable, mais aussi pour cette atmosphère mélancolique qui se dégage tout au long des 200 pages, cependant je reste sur ma faim quant à la trame assez conventionnelle qui, bien qu'en second plan, ôte à ce roman toute sa part de mystère que l'ambiance suggérait pourtant. En tant que lecteur, accompagner ces deux belles personnes, les regarder boire leurs orangeades sur les terrasses ombragées, les observer s'écouter, s'apprivoiser, les suivre dans les rues de Lisbonne, sans trop savoir de choses sur leurs histoires personnelles, juste avec la jolie écriture de Philippe Besson pour nous faire ressentir une hésitation, un frisson sur la peau, un regard, m'auraient sans doute plus comblé. Il est le parfait écrivain pour ces choses sensibles. Pourquoi s'embarrasse-t-il d'une histoire convenue ?

Le grand n'importe quoi de J M Erre


Je vais être franc, la nouvelle cuvée J M Erre,  cru 2016, m'a paru moins gouleyante que les précédentes années. Grand fan de tous ces ouvrages ( que j'ai offerts par dizaines), c'est avec la gourmandise d'un gamin élevé par des parents adeptes du bio face à un paquet de fraises Tagada que je me suis jeté dans "Le grand n'importe quoi ". Et bien vite, j'ai regardé mon paquet de bonbons pour vérifier s'il n'y avait pas tromperie sur la marchandise et que l'on ne m'avait pas refilé un ersatz de marque distributeur, un Gilles L. par exemple ... Non, c'était bien l'auteur des excellents " La fin du monde a du retard" ou autre "Mystère Sherlock"... Alors je me suis accroché....
Que s'est-il passé ? Est-ce moi, lecteur, qui n'était pas dans un bon jour, l'humeur trop sombre pour me laisser totalement aller à la grosse folie qui s'empare des protagonistes de ce roman, pastiche de science-fiction façon année 50 ? Est-ce l'auteur, qui, dans ce qui me semble être un prolongement de son précédent ouvrage, remet un couvert qui manque un peu de saveur, reprenant quelques thèmes déjà labourés ? En attendais-je trop ? Ne suis-je pas assez amateur de science-fiction , de X Files, des Envahisseurs ? Le succès amenant notre auteur français le plus drôle à multiplier sa présence à la télé avec l'écriture de sketches pour Groland, mais aussi en littérature jeunesse, lui a-t-il fait moins porter d'attention à ce petit dernier ? Je ne sais, mais j'ai été moins emballé que par ses précédents. 
Entendons-nous bien, je suis peut être un peu resté sur ma faim, mais ce n'est quand même pas raté. On retrouve ces petites phrases inimitables, que l'on voudrait avoir écrites et qui se succèdent pendant 300 pages ( Pour le plaisir, une, prise au hasard  :" Même la chaîne hi-fi, qui assurait pourtant que les démons de minuit l'entraînaient au bout de la nuit, s'arrêta toute seule. " ). Son écriture, en plus de dérouler un humour constant, dézingue tout sur son passage : la télé, la politique, les modes, les bourgs de campagne, .... Mais l'histoire est tellement déjantée qu'on se demande bien comment, J M Erre, spécialiste en intrigues ahurissantes avec mille vrilles, saltos, doubles axels, sauts périlleux, va pouvoir cette fois-ci  retomber sur ses pieds. On devine très vite qu'une conclusion finement cartésienne risque d'être problématique avec son histoire d'extra-terrestres envahissant un pauvre village peuplé d'une mairesse vétérinaire et nymphomane, de tenanciers de bars avinés parlant physique quantique, de culturistes déguisés en super héros ou d'un papy à la gâchette facile. Et sans révéler la fin, son intelligent et joyeux pied de nez, hommage vibrant aux créateurs littéraires, n'arrive pas à faire oublier que l'atterrissage final est plus proche de celui de l'albatros que de l'aigle majestueux auquel il nous avait habitué. 
Ce grand n'importe quoi, pas totalement réussi dans le sens où, au lieu de m'emporter dans sa folie absurde et humoristique, m'a fait constamment naître une interrogation pas des plus emballantes : "Mais où veut-il en venir ? ". L'écriture, qui m'a semblé un poil plus paresseuse qu'à l'accoutumée, n'est pas arrivée à trancender cette intrigue délirante et un peu trop abracadabrante vers les sommets habituels. 
Cependant, je conseillerai quand même ce livre, surtout à ceux qui ne connaissent pas encore ce qui reste l'auteur français le plus délirant et drôle de la décennie. Car pour un aficionado un peu déçu, combien d'autres vont découvrir (peut être) et se gondoler de rire ?  Il est tellement rare de trouver quelqu'un qui manie aussi bien l'humour, l"absurde, le loufoque et la dérision avec autant de gourmandise qu'il serait dommage de passer à côté. Et une chose est certaine, j'attends février 2018 avec impatience ( un roman tous les deux ans, c'est le rythme de l'auteur). 

Merci au site BABELIO et aux éditions BUCHET-CHASTEL de m'avoir fait découvrir ce roman !

mercredi 24 février 2016

The revenant d'Alejandro Gonzàlez Inarritu


Et voici sur les écrans, la nouvelle machine à essayer de faire obtenir la statuette des oscars à Léonardo Di Caprio. Le buzz autour du film s'est fait essentiellement autour d'un tournage, dantesque à ce qu'il paraît, Léonardo s'étant gelé le bout de ses doigts pendant des mois au fin fond du Canada. Mais les producteurs ont rajouté d'autres éléments pour que la star ne reparte pas une nouvelle fois fois bredouille : un enlaidissement total (cheveux gras, lèvres gercées, ...), une voix proche de celle de Marlon Brandon dans "Le parrain" et sans doute aussi la présence derrière la caméra d'un réalisateur spécialiste des performances soit disant auteuristes ( voir Birdman le précédent opus du senor Inarritu). C'est tout bon coco, cette fois on a mis le paquet !
Oui, je confirme, on a mis le paquet ! Des scènes de tueries ultra réalistes, un combat avec un ours hallucinant de férocité, une image somptueuse, des plans d'arbres à faire pâlir dans sa tombe Andréi Tarkovski, bref, tout semble y être pour avoir un spectacle total, un écrin doré (et neigeux) afin que Léo serre contre son petit coeur la jolie statuette dorée. Tout ? Non, hélas, on a oublié d'y mettre un scénario. C'est bête, d'avoir penser à tout sauf à ce petit élément. Et je rajouterai que c'est aussi dommage que Di Caprio soit la vedette du film, car bien qu'il soit irréprochable ( même avec 10 lignes de dialogue à tout casser), comment arriver à vibrer à ses aventures durant 2h35 quand on sait pertinemment, que vu le prix qu'on a du le payer, on n'allait pas l'achever en milieu de parcours.
Donc, en gros, pour situer la chose, Léo est un trappeur, un peu géographe, dont le campement se fait massacrer par des indiens. Heureusement, Léo et quelques collègues échappent aux nombreuses  flèches de la petite centaine d'assaillants puis poursuivent leur route pour ramener des peaux. Manque de pot, alors qu'il se balade en forêt, Léo se fait attaquer par un ours assez furieux qui le transforme en une sorte de plaie vivante et râlante. Disons que les plaies qui recouvrent son corps, occasionnées par les coups de griffes de l'énorme bête, aussi profondes que nombreuses, font ressembler notre star à une tourte à la viande pas cuite et sanguinolente, mais joliment décorée par un couteau ( et un maquilleur) inventif ! La suite, qu'il ne faut en aucune façon montrer à notre ministre de la santé capable de fermer un max d'hôpitaux afin d'appliquer les méthodes extrêmes employées dans le film pour guérir nos malades ( et ainsi faire baisser le trou de la sécu), est aussi improbable que barbante. Léo donc, à demi-mort, au bord de la septicémie ( je rappelle que le film se déroule en 1823, l'emploi du Doliprane n'ayant pas encore cours), trimballé sur un brancard pas des plus confortable car fabriqué à partir de gros branchages, sera lâchement abandonné à moitié enseveli dans les bois alors que la neige se met à tomber alors que ses coéquipiers profitent de sa faiblesse pour trucider son fils ! Dans cet état de charpie fiévreuse, seul dans une forêt où la température avoisine les moins 10, on peut penser que les chances de le retrouver devant son bol de Ricoré deux jours plus tard sont nulles. Détrompez-vous ! Vous n'êtes ni le scénariste d'une super production hollywoodienne sur le thème de la survie (qui devient un genre à part entière ) ni Léonardo di Caprio qui veut son oscar ! S'ensuit alors une longue, très longue guérison, dont le but est de venger le fils assassiné. Les moyens pour que Léo se remettent vite sur pied sont simples. Dans un premier temps, il rampe dans la neige par moins 15 ( oui, l'hiver arrive vite dans ces années où l'on ignorait le réchauffement climatique), dort dans une grotte, fait du feu avec des silex et se désinfecte avec de la poudre à fusil. Puis, il prend quelques bains dans des rivières gelées (oui Léo traverse des rivières car, malgré tout, ces contrées perdues sont très fréquentées par de méchants indiens qu'il faut fuir si l'on tient à ses cheveux, même gras). Tout mouillé, sous la neige par moins 20, la fièvre doit faire sécher ses vêtements à moins que ce ne soit le petit bois sec qui lui permet d'allumer de grands feux ( que les méchants indiens, ces crétins, ne repèrent pas, sans doute trop absorbés à tanner des scalps), Léo avance péniblement dans la poudreuse, échappe à une horde d'indiens (il manquait un peu de cheveux pour les franges d'un joli sac ), tombe dans un précipice, dort nu dans un cheval (ce qui permet d'apercevoir par moins 25 les fesses de l'acteur, d'ailleurs épargnées par les griffes de l'ours et qui démontre que, même dans des températures extrêmes, Léo garde un certain glamour en dormant avec juste son Chanel pour homme), Bref, il va un peu mieux après chaque épreuve et, par moins 30, assoiffé de vengeance, il trace sa route vers l'assassin de son fils . Quel homme ce Léonardo ! Sans boussole, sans gps, dans de vastes contrées enneigées, il va droit au but !
C'est long, ennuyeux, jamais crédible mais joliment filmé. Certains diront que j'ai pris le film au premier degré, que je n'ai pas vu la splendide réflexion sur la naissance d'une nation dont le socle est cette barbarie mise à l'écran. Si la violence saute aux yeux effectivement, je ne pense pas, vu l'improbabilité du scénario que les auteurs aient pensé l'ombre d'une seconde à cette possibilité de lecture. Je n'accorderai qu'une petite référence à la barbarie humaine avec ce plan sur un indien pendu et son panneau ( écrit en français) : "Nous sommes tous des sauvages". Reste l'unique question importante : "The revenant" apportera-t-il enfin un oscar à Léo ? Réponse bientôt... mais vu le niveau du film et comme Marion Cotillard l'a obtenu pour un rôle tout aussi improbable dans "La môme", il a toutes ses chances...








mardi 23 février 2016

Zootopie de Rich Moore et Byron Howard


Mais que se passe-t-il chez Disney ? Cela faisait plusieurs années que je n'avais visionné une de leurs productions ( Oui, j'ai échappé à sa "Reine des neiges" !) et j'avoue que "Zootopie" m'a littéralement scotché sur mon siège. Durant une heure quarante-huit ( est-ce bien raisonnable pour des enfants de moins huit ans que des parents conduiront inévitablement, alléchés par la marque Disney ? ) c'est un émerveillement total et constant.
Zootopie, ville multiraciale, où toutes les variétés animales cohabitent en toute quiétude dans des quartiers conformes à leur milieu naturel, offre déjà un décor hallucinant de création et d'inventivité. Notre oeil ne sait où donner de la rétine tellement l'image foisonne de détails pittoresques, humoristiques ou merveilleux. Dans cet univers anthropomorphique tout de suite crédible, se déroule un polar vitaminé  (mais pas trop), mené par une jeune lapine décidée et ingénieuse, sans doute première héroïne vraiment féministe des studios Disney et échappant aux stéréotypes habituels ( la joliesse de la mise, la taille fine; ne restent que les yeux de biche détournés eux aussi, car, Judy Hopps, la fliquette à grandes oreilles, louche). Acoquinée avec un renard, elle vivra de réelles aventures, sans éclair, tonnerre et autres feux jaillissant de partout comme à l'habitude, mettant en scènes une intrigue à lecture multiple, autour d'une résurgence d'agressivité chez les animaux prédateurs. Les plus jeunes y verront une lutte habituelle de bons contre un méchant qui n'est jamais celui que l'on croit. Les plus grands y trouveront plusieurs degrés de lecture allant de la difficulté à faire cohabiter sans heurt une population importante et multiculturelle à une critique ouverte sur le tout est possible aux USA puisque la devise de la mégalopole présentée est : "Ici chacun est ce qu'il veut". C'est foisonnant, rudement intelligent, caustique et surtout désopilant. Bien sûr le scénario avance avec quelques grosses ficelles, clientèle enfantine oblige, mais on s'en fiche tellement nous sommes emportés par cette folie créatrice.
L'animation est d'une précision encore jamais atteinte me semble-t-il. Les expressions des visages de tous ces animaux sont un bonheur permanent, aussi vivantes et drôles que craquantes. Et lorsque l'on entend Shakira entonner un générique de fin  chaloupant à souhait, on espère très fort que sa ritournelle va enfin nous délivrer de  "Libérééééée, délivrééééée "....mais ce n'est pas gagné, " Try everything" étant peut être trop calqué sur le tube "Waka waka ".
Quoiqu'il en soit, "Zootopie" est le spectacle qui devrait ravir toute la famille de 8 à 88 ans, proposant aussi bien une histoire passionnante et avec du fond et de la dérision , qu'une animation au sommet de son art au service de personnages d'une rare expressivité.


lundi 22 février 2016

Cruelle de Florence Dupré La Tour


Regardez la couverture vraiment réussie de cet album !  Elle donne la même impression qu'à la lecture. Un peu en trompe l'oeil avec cette tête d'oie/fenêtre, elle révèle une petite fille fort mécontente, coincée entre deux éléments rouges. On ne sait trop si c'est elle qui a tranché la tête du volatile ou si le même volatile va s'écraser sur elle. En tous les cas un climat de violence s'annonce au futur lecteur.
Cette petite fille, c'est Florence Dupré La Tour, l'auteure. Elle a des faux airs de Mafalda, cousine argentine qui a du bercer sa jeunesse. Elle vit avec ses parents, catholiques très pratiquants et ses soeurs. La  famille se complétera au fil des ans avec d'autres naissances mais surtout avec l'apport d'animaux divers et variés qui, entre les les mains de la narratrice, périront les uns après les autres. Morts violentes, souvent, victimes de maladresse ou de négligences, voire de la cruauté de la petite fille, les animaux seront enfouis dans des boîtes de chaussure au fond du jardin, lors d'enterrements aux consonances religieuses.
Vous vous souvenez sans doute de l'épisode des poissons rouges dans "Les malheurs de Sophie". Tant mieux, parce qu'ici c'est la même chose mais puissance mille. C'est une succession  macabre de petites bêtes innocentes qui seront les victimes d'une petite fille dont on se demande tout le temps durant la lecture qu'elle est la part exacte d'innocence enfantine ou de réelle cruauté. On sait bien que le monde merveilleux de l'enfance n'est qu'une vision gnangnan pour adultes en quête de tranquillité, mais ici, le lecteur est mis à rude épreuve, malmené par une narration bannissant d'édulcorer le moindre  agissement funeste tout en restant sautillante comme une petite fille enjouée. Est-elle foncièrement sadique ou victime de son éducation ?  Cette ambivalence, très inconfortable mais sacrément accrocheuse, donne un ton très inhabituel à ce roman graphique. Les illustrations, jouant avec bonheur dans des tons de gris assez tendres et variant finement les formats au gré des épisodes, concourent à maintenir le malaise jusqu'à un final encore plus glaçant.
"Cruelle", en plus d'être un album totalement maîtrisé et passionnant, prouve avec brio, que les femmes en bande dessinée existent bel et bien quoiqu'en disent les organisateurs du festival d'Angoulême. Elles ont leur mot à dire, le disent avec force et talent, et Florence Dupré La tour en est un de ces voix que l'on suivra désormais avec un intérêt certain.


dimanche 21 février 2016

Ce sentiment de l'été de Mikhaël Hers


Attention, film délicat, donc fragile. Et si en plus je rajoute que l'un des thèmes principaux est le deuil et la reconstruction d'un homme après la mort de sa compagne, je ne suis pas sûr d'être énormément vendeur. Et pourtant, comme le montre l'affiche lumineuse et estivale, "Ce sentiment de l'été" évite tous les clichés ou les propos convenus pour ne s'attacher avec grâce qu'à ce cheminement apparemment anodin d'un retour à la vie normale. En trois étés, nous allons vivre avec Lawrence, qui se remet difficilement de la disparition subite de Sasha mais aussi de la soeur de cette dernière qui se refuse à rompre les liens amicaux déjà noués. A Berlin, puis à Paris, puis à New-york, ils vont continuer à se voir, se frôler, se jauger, se réparer l'un l'autre.
Le canevas du film est ténu. Il est de ceux qui s'attache aux infimes gestes du quotidien, à un regard qu'un cadrage parfait rend soudain troublant, à un geste, une intonation, une phrase anodine qui soudain émeut. C'est un cinéma impressionniste, sensible. Hou là me direz-vous, encore un truc un peu rasoir. Pas du tout, car, dans ce dispositif aux apparences simples, il y a un regard de cinéaste qui passe par là et emplit l'écran. On y trouve, très présente, l'atmosphère de trois villes au coeur de l'été. Il fait chaud, on y déambule en devisant gentiment, en parcourant les parcs, dressant en creux une parfaite typologie de ces lieux de détente :  libres et pas mal dénudés à Berlin, rectilignes et plus fliqués à Paris, sportifs à New-york. On y entend aussi une musique variée et pimpante, bande son qui colle au coeur et au corps (comme dirait l'autre) des personnages. Mais il y a surtout son casting avec en vedette Anders Danielsen Lie, longiligne et un peu renfermé, dont la tristesse rentrée s'éclaire au fur et à mesure que l'histoire avance, pudique veuf à la tendresse à fleur de peau. Face à lui, Judith Chemla, tout en retenue, est une subtile amie dont le coeur est toujours au bord de basculer. On regarde, écoute ces deux beaux acteurs comme s'ils étaient des amis de toujours, on épouse leurs doutes, leurs peines et leurs espoirs. Les cinéphiles apprécieront le clin d'oeil à Eric Rohmer avec la présence de Marie Rivière et de Féodor Atkine, possédant même une maison à Annecy comme dans "Le genou de Claire".  On appréciera au passage, comme dans la vraie vie, des moments décalés, nullement appuyés comme Jean Pierre Kalfon en tenancier d'hôtel un poil travelo, qui ajoutent au film un supplément d'âme.
J'ai passé  deux heures sereines au cinéma. La justesse de ton mais aussi cette lenteur voulue qui laisse le temps au spectateur d'attraper une émotion, un sentiment, font de "Ce sentiment de l'été" une petite friandise douce que l'on déguste avec plaisir au coeur de l'hiver.


samedi 20 février 2016

Camping-car de Sophie Brocas


Avec "Camping-car" pas de tromperie sur la marchandise, titre et illustration de couverture nous indiquent que nous sommes en terrain balisé pour la détente.  Tout paraît en place pour déguster un roman léger qui ne brigue ni les prix, ni les éloges de la presse littéraire, visant seulement à faire passer un temps agréable à ses lecteurs, sans doute abonnés à ces revues à grand tirage pour seniors. 
Les éditeurs aiment les vieux (oui, j'ose le terme) qui ont toujours connu les livres et sont donc une niche de marché importante. Depuis quelques années déjà, de nombreux titres ont su trouver leur place sur les rayonnages des papy et mamy boomers, de "Chouquette" d'Emilie Frèche aux romans de Barbara Constantine ou de Marie-Sabine Roger, mettant tous en scènes des soixantenaires (au moins!) joyeux et tendres, mordants ou décapants, en tous les cas, toujours présentés de façon positive, toujours prêts à mordre à pleines dents les dernières années de leur vie. 
Sophie Brocas s'inscrit donc dans cette mouvance optimiste. Ses personnages principaux sont trois amis autour de la soixantaine, hommes aux parcours différents mais que l'on trouve à un moment crucial de leur vie. Alexandre  : Doit-il se séparer de sa femme, militante énergique, pour vivre et faire un enfant à sa jeune maîtresse ? Son ami Moz lui, est au bord du gouffre. Viré de son emploi de technicien à l'Opéra de Paris, il a peur de finir comme ce sans abri qui habite en bas de son minuscule appartement dont il ne peut plus payer le loyer. Le troisième, Jeannot, célibataire mais dragueur impénitent, rêve de finir sa vie avec l'accorte Adeline, toiletteuse de chien de son état. C'est à bord du camping-car de ce dernier, que les trois hommes, durant un road-movie cool ( qui n'a jamais pesté derrière un camping-car se traînant sur une route départementale sinueuse? ) vont s'épauler, s'épancher, réfléchir. 
Avec une plume légère et virevoltante, Sophie Brocas réussit à faire vivre ses personnages en glissant tout au long de son récit moultes annotations sur la vie d'aujourd'hui. Bien sûr nous ne sommes pas à l'abri de quelques rebondissements franchement romanesques, mais l'ensemble reste agréable à lire, comme une jolie lecture d'été, pas trop acidulée. Avec ce portrait de la sexualité encore triomphante des hommes soixantenaires que les affres du vieillissement n'arrivent nullement à éteindre, l'auteure surfe sans doute sur cette vague rassurante entamée depuis presque 50 ans avec l'inénarrable  tube de Tino Rossi : "La vie commence à 60 ans" et qui va crescendo depuis que les seniors sont devenus un juteux marché. Cependant, force est de reconnaître que son approche de l'univers masculin qui lorgne sur le Viagra, est très pimpante et stimulante, moins sans doute que la pilule bleue mais plus naturellement euphorisante. 

vendredi 19 février 2016

Ave, césar ! de Joël et Ethan Coen


Eddie Mannix est croyant. Il se confesse tous les jours. Ses péchés sont d'ordre domestique. Il travaille trop, néglige un peu sa famille. Son métier de " fixer" au sein de studios de cinéma hollywoodiens dans les années 50 l'occupe jour et nuit. Son attitude inflexible, aux allures irréprochables est l'exact contraire des acteurs et réalisateurs qu'il doit remettre dans le droit chemin que les studios exigent. Il surveille de très près les adultères, intercepte les photos coquines, envoie une star défoncée en vacances dans une clinique spécialisée, accroche au bras d'un sodomite ( on disait ainsi à cette époque là ) une pulpeuse starlette, affrontee les manquements de toute une faune aussi déglinguée qu'imprévisible. Et lorsque la star Baird Whitlock se fait kidnapper par une bande de scénaristes communistes alors qu'il doit terminer au plus vite des scènes cruciales de sa dernière superproduction, sa journée se révélera fort fort longue.... et pour nous spectateurs, fort, fort distrayante.
Le scénario fait feu de tous bois, les intrigues s'entremêlent allègrement, les dialoguent pétillent, les stars surgissent aux détours d'un plan : Tilda Swinton, dans un double rôle de hyènes chroniqueuses mordantes, et surtout chapeautée comme jamais, confirme l'amour des deux cinéastes pour les personnages à couvre-chef,  Frances McDormand en monteuse acariâtre et grande gueule, en une seule scène, surprend comme Scarlett Johansson en clone d'Esther Williams. On aperçoit même Christophe Lambert ( oui, oui, Highlander !) en réalisateur chiquissime. Lui, surprend peu, mais qu'importe, son passage dure le temps de le reconnaître. Et puis il y a Georges Clooney, qui au fur et à mesure qu'il prend de l'âge, casse un peu plus son image. Non content de jouer un benêt qui cède aux sirènes du communisme au bout de trois phrases de militants illuminés, il traverse le film avec un unique costume, une jupette de centurion romain fort seyante!  Les frères Coen s'en donnent à coeur joie, recréant un Hollywood disparu, se payant le luxe de numéros musicaux pastiches mais réussis tout en instillant aussi une énorme dérision dans leur propos. Sous les paillettes et le clinquant, le monde à son apogée qu'ils décrivent vacille au bord du gouffre. Les valeurs que l'on croyait gravées dans le ciment d'Hollywood Boulevard se fissurent de partout.( Bon ok, à l'époque il n'y avait pas encore les traces des mains des stars sur les trottoirs !) On assiste aux premières rides de cet âge d'or qui commence à ployer sous les assauts du communisme, de la liberté sexuelle et de son kitsch de plus en plus grotesque.
Je lis un peu partout qu'" Avé César ! " est une film mineur dans l'oeuvre des deux frères, on fait la fine bouche, on finasse. Et là je sens poindre le syndrome de la comédie qu'il est impossible à ranger dans le rayon des bons films. Est-ce parce que l'on rit, prend plaisir à un spectacle bien écrit, bien mené, bien dialogué, qu'il est forcément en dessous d'un plus sombre, d'un plus dramatique ? Cherchez ces derniers mois une production totalement réjouissante, alliant pastiche et dérision, rythme endiablé et hommage facétieux à une époque bénie des cinéphiles, le tout emballé avec un savoir-faire inimitable, du rythme et du sens. Si vous trouvez, vous êtes un(e) vrai(e) chanceux(se),  vous devez avoir dans votre lit Scarlett Johansson ou Georges Clooney ( barrez ou pas la mention inadéquate) !


jeudi 18 février 2016

Randall de Jonathan Gibbs


Quand vous entrez dans le grand hall d'accueil de la société financière de Jan de Vries, sorte de multinationale tentaculaire anglaise, à côté de la photographie de cet homme au regard d'aigle se trouve un portrait signé Ian Randall Gibbs. C'est un grand carré sérigraphié à fond rose, avec en son centre une tache marron, un peu informe, genre test de Rorschach. C'est en fait son portrait, comment dire, anal ? puisque l'homme au lieu de poser devant l'artiste, est simplement allé aux toilettes déféquer un coup et s'essuyer méthodiquement après. Au lieu de jeter le papier souillé, il l'a confié au génial artiste, dont la côte monte de jour en jour, pour que celui-ci en fasse un agrandissement et qu'ainsi les résidus de son fondement soient exposés à tous les visiteurs. Comme à l"époque d'Andy Warhol,  tout ce que la planète compte de financiers et de stars possède son portrait de Randall. Nous sommes dans les années quatre-vingt-dix, la folie libérale est à plein régime et l'art profite de ces mouvements spéculatifs dans une danse incertaine et caricaturale.
Ian Randall Gibbs n'a pas existé ( même s'il peut faire penser à Damien Hirst). Jonathan Gibbs en fait la figure centrale de son premier roman, héros peu sympathique et manipulateur. A travers lui, il nous explique comment l'art contemporain, ligué avec la finance, créé des artistes où le talent n'est pas le principal atout pour réussir. D'installations morbides mais pourvoyeuses de scandales en happenings grotesques, Randall, judicieusement accompagné d'un conseiller financier, l'autre personnage principal de ce roman, rencontrera ceux qui possèdent les cordons de la bourse, achèteront son art et feront ainsi grimper les côtes. Cette partie du roman, précise, mordante, décortique avec un humour grinçant ce jeu de dupes que semble être devenu l'art contemporain. Mais le roman va au-delà. Alors que Randall est décédé depuis six ans, son ami et conseiller financier, Vincent, décide d'écrire sa biographie, histoire de mettre à plat leur supposée amitié. Au même moment, la veuve de l'artiste le contacte pour lui faire part d'une découverte hallucinante. Alors que Randall n'avait jamais exposé la moindre peinture ( on le pensait même incapable de représenter la moindre forme avec un pinceau), la découverte d'un atelier secret, rempli de toiles vient bousculer la donne. Le hic, c'est que ces tableaux sont tous des représentations de mécènes, de grands directeurs de galeries ainsi que de Randall et de ses proches, tous peints dans des situations pornographiques. Que faut-il faire de ces toiles, au demeurant excellentes mais somme toutes explosives ? Se dresse alors la question éternelle :Peut-on tout montrer en art ?
Tant qu'il est question d'art, le roman se révèle passionnant car Jonathan Gibbs semble connaître ce milieu comme sa poche. Seulement, il y a une autre intrigue, plus sentimentale, entre la veuve de l'artiste et son ami Vincent, qui elle, est nettement moins convaincante. Autant Jonathan Gibbs est passionnant dans sa plongée dans le monde artistique et financier, qu'il peine à être vraiment au même niveau dans la description des sentiments, moments plus convenus qui affadissent un peu son roman.
Une chose est certaine, la prochaine que vous vous rendrez à la FIAC, dans un musée d'art contemporain, resurgira l'esprit de ce roman et du coup vous vous interrogerez encore plus sur les oeuvres soumises à votre admiration. Rien que pour cela , "Randall" vous est fortement conseillé !

Merci au site BABELIO et aux éditions BUCHET-CHASTEL de m'avoir fait découvrir ce roman !


mercredi 17 février 2016

Un jour avec, un jour sans de Hong Sang-soo


Hong Sang-soo est un cinéaste prolifique, aimant raconter la même histoire, en gros une brève rencontre entre un homme et une femme qui coucheront ou pas ensemble, mais où on trouvera invariablement un personnage travaillant dans le cinéma et un autre, parfois le même, buvant beaucoup. A partir de cette trame renouvelée seulement par des lieux ou un personnage décalé ( une étrangère dans In another country) il  joue avec la narration à la façon d'un Resnais dans Smocking/No smocking, présentant deux voire plusieurs variations sur une même histoire. Tournés en quelques jours, ses films, si l'on en croit les interviews d'Isabelle Huppert que le maître coréen a dirigé, les dialogues sont écrits le matin même du tournage, tournage sur lequel l'alcool coule à flot.
Tous ces éléments sont du caviar pour la critique et pour les spectateurs ! Quelqu'un d'original, qui trace sa route sans s'occuper de la mode et qui joue sur les plans fixes (so chic!), les dialogues banals ( tu m'étonnes s'ils sont écrits le matin même après une nuit de beuverie), un vrai artiste quoi ! J'ai dit pour les spectateurs ? Oui, certains y prennent sans doute un plaisir intense à voir de jolies coréennes jouer les pucelles effarouchées ou les timides perverses, en débitant des dialogues du genre :
-Que fais-tu ?
-Je bois du lait à la banane.
-C'est bon ?
-Oui !
Ceux qui ne pensent même pas à regarder l'heure sur leur portable durant la projection, citent, on se demande pourquoi,  Rohmer, trouvant en Hong Sang-soo sa réincarnation version coréenne.... sans doute pour le côté minimaliste de la réalisation parce que côté dialogue c'est one point pour le français et côté direction d'acteurs c'est KO debout pour le coréen. Bref les inconditionnels, y vont comme à la messe, les yeux fermés ( non, quelle est la méchante langue qui a dit qu'ils dormaient ? ) et en ressortent émerveillés, les poils dressés de bonheur et les mêmes adjectifs en bouche (toujours les mêmes d'ailleurs) : merveilleux, délicat et magique.
Et puis, parmi les spectateurs, il y a les autres. D'abord, ceux qui atterrissent par hasard dans la salle et qui, comme pour ce film, la quittent à la moitié du film, non pas parce qu'ils s'ennuient ( mais ça reste à vérifier) mais uniquement parce que l'apparition de ce qui ressemble à un carton de générique surgit à l'écran, leur intimant illico de claquer le siège et enfiler leur doudoune! Les sots ! Ils ne savent pas que c'est une facétie du maître qui en fait annonce une deuxième version de l'histoire. ( ok, faut deviner ou lire le coréen, mais là faut pas demander l'impossible !)
Ensuite, il y a ceux, comme moi, qui se sont préparés mentalement à cette projection, qui ont ingurgité leur TéléramaInrocksMondeetLibé, médication absolument indispensable pour profiter pleinement des sous-entendus qu'un lait/banane avalé dans le temple de la bénédiction peut engendrer comme références érotiques et comme sous texte dans un cheminement créatif hors norme. Là, ils apprécient les longues minauderies d'une jeune peintre un peu timide voire un poil niaises, les atermoiements d'un quarantenaire qui drague gentiment pour ne pas effaroucher sa proie, tout cela en longs plans fixes et avec boissons de plus en plus alcoolisées au fur et à mesure que les lieux s'enchaînent ( lentement,je vous rassure, nous sommes chez un AUTEUR). Ils s'ennuient discrètement, appréciant de temps en temps un joli plan sur la frêle nuque de la gracieuse actrice, s'agaçant de cet acteur qui remet toujours en place son improbable mèche post adolescente dès qu'il a dit une fadaise qui ne fait rire que lui, se barreraient bien après la longuette première partie bien plate. Mais, eux ils ont pris leur potion de critiques et savent que tout le sel a été mis dans la deuxième partie. Et ils ont raison au final. Les variations proposées dans cette deuxième version plus vraie, plus honnête, plus ouvertement sexuelle (mais je ne dirai pas s'ils sortiront leur préservatif à la fin) s'avère bien plus amusante, intrigante et ludique. On peut quasiment jouer au jeu des erreurs en comparant des plans quasi identiques où juste un ou deux détails ont été changés, indiquant de manière subtiles les sentiments des protagonistes. C'est plus enlevé, plus frais, plus réel, sans pour autant atteindre la verve d'un "Smoking/No smoking".
Pour conclure, je dirai que c'est nettement plus réussi que ses précédentes productions car plus lisible. La délicatesse de sa mise en scène met bien en avant les sentiments, les enjeux amoureux et humains et cette volonté très théorique de refaire le quasi même film d'année en année ne noie pas trop son pari émotionnel. Je n'irai pas par contre hurler mon bonheur, car tout cela se regarde avec un léger ennui teinté d'un certain scepticisme.


mardi 16 février 2016

Crache coeur de Julia Kowalski


Un premier film et encore une histoire d'adolescence comme si les jeunes réalisateurs(trices) désiraient régler quelques comptes avec cet état pas si lointain de leur vie. Si l'on ne regarde que les réalisatrices, de Diane Kurys  ( Diabolo menthe) à Céline Sciamma ( Naissance des pieuvres) en passant par, au hasard, Delphine et Muriel Coulin (17 filles), on a parfois l'impression que c'est un passage obligé pour entrer en cinéma. On peut effectivement penser qu'un regard presque neuf sur le sujet, et qui plus est féminin, paraîtra plus crédible que celui d'un vieux barbon dont l'image en sera au mieux fantasmée au pire vaguement libidineuse. Le problème est de pouvoir encore apporter un angle jusque là ignoré ou faire état d'une situation nouvelle ou même tout simplement d'avoir un vrai regard de cinéaste. 
"Crache coeur" est un triangle presque amoureux entre Rose, une jeune fille d'origine polonaise, un ouvrier totalement polonais travaillant chez elle et le fils de ce dernier, élève dans le même lycée que l'adolescente. Entre frustration sexuelle et sentiment de rejet inéluctable, Rose va avaler quelques couleuvres mais va avancer, vaillante soldate, pour que ses désirs deviennent réalités. Un peu manipulatrice, voire teigneuse, elle tissera, parfois maladroitement, sa toile, mais arrivera à faire sortir, cracher peut être, ses sentiments. 
"Crache coeur" apporte-t-il une nouvelle pierre essentielle à cet édifice de l'adolescence au cinéma ? Sans doute pas. Le film, que l'on sent maîtrisé à l'extrême, pâtit un peu de son application. Si le fond est totalement convaincant quant à la juste vision de son personnage principal, ni stéréotypé, ni trop romanesque, la forme adoptée l'est un peu moins. Hésitant entre un réalisme social rendu sombre par une image assez terne et une volonté un peu factice de ne pas ancrer son histoire dans une époque bien précise, le film claudique un peu dans sa narration rendue un poil trop raide. L'adolescente bouillonne intérieurement mais à l'écran, il n'y a qu'elle ! Autour, tout est un peu engourdi ( ok on est en hiver ...) voire empesé, souligné par une mise en scène qui manque de dynamisme. 
On appréciera toutefois, une jeune comédienne boudeuse mais convaincante, loin des clichés habituels de l'adolescente. Rien que pour cela et aussi pour ce premier essai qui révèle un joli regard, on pourra s'aventurer dans les salles qui le projettent. 





vendredi 12 février 2016

Christine and the Queens - Here feat. Booba (Clip Officiel)


Ce clip, posté il y a trois jours par Christine and the Queens, a déclenché un torrent de critiques de la part de ses fans, bousculés de voir leur idole s'acoquiner avec Booba, rappeur à l'image bas de gamme, loin de l'univers intello et sophistiqué de la chanteuse. Cette dernière a du répondre aux nombreuses attaques,  Je cite : " Si je ne suis plus respectable après l'avoir invité lui, alors je préfère attendre de gagner le respect en continuant à faire bouger les lignes  " et de conclure : "Regardez une nouvelle fois le clip : il n'y a ici que Christine qui lutte et lutte encore."
Pourtant, à mon humble avis, le clip dit bien tout cela et dès la première vision. Christine fait bien bouger les lignes en collant Booba dans une de ses performances clipesques. Leur monde est tellement opposé que cette réunion tient plus du message, ô combien humaniste : nous sommes sur la même terre ( ici la même vieille  Mercedes rouge et bonne pour la casse), avec des moeurs, des idées vraiment différentes, mais essayons de cohabiter. (La prochaine fois, Christine envisage-t-elle un featuring avec Chantal Goya ? ) Je ne sais rien des relations qu'entretient Christine avec le rappeur, (d'ailleurs je m'en fous ) mais ce que je vois dans le clip est sans ambiguïté.
Ce long plan, ce lent mouvement vers cette bagnole au rythme du chant de Christine, est très beau mais sûrement très signifiant. Est-ce le symbole que si la marée monte encore ( ce que l'on ne sait pas mais qui est en suspend), tout sera englouti si l'on ne fait pas plus attention aux autres ? La mer délavera-t-elle, gommera-t-elle les différences ? Pour le moment, rien n'est moins sûr. Les deux protagonistes que l'on distingue plus nettement maintenant, ne sont mouillés aux pieds que par quelques vaguelettes. Christine, est assise, le visage fermé, regardant vers nous, l'oeil sans expression. A côté d'elle, Booba lui tourne presque le dos, ne regardant que l'écran de son portable, figure autistique et fermée à ce qui l'entoure. La caméra passe lentement sur Christine, toujours lointaine et lorsque la voix scandante et lourde  de Booba se fait entendre, la même caméra, qui pourrait alors caresser le rappeur, bifurque pour ne filmer que l'horizon gris de l'océan. Ce plan semble donc nous dire : " Ok,  je fais un effort pour m'acoquiner avec Booba, mais faut pas trop m'en demander. Je veux juste vous montrer que deux univers condamnés à être à jamais parallèles, peuvent  se rencontrer et cohabiter pacifiquement. Après le dialogue viendra peut être, mais va falloir qu'une vague lui nique son portable et qu'il me voit, non pas qu'une meuf peut être bonne, mais comme un être humain. Je ne suis pas une fée, juste quelqu'un qui essaie d'aller vers les autres et qui donc lutte contre les préjugés si nombreux en ces temps de migrations."
Au-delà des évidents clin d'oeil à Beyoncé et à Drake, cette réunion improbable sur cette épave de Mercedes (immatriculée en Charente, même pas dans le 93) est faite pour surprendre, faire causer ( et accessoirement laisser la chanteuse dans le flot médiatique ). Les réactions nombreuses montrent que Christine sait frapper juste là où ça fait mal et fait donc trembler les lignes, ce qui, me semble-t-il toujours été son propos. Certains parlent d'opportunisme ou de pâle copie, je dirai plutôt que ce clip à la fluidité cinématographique est l'expression d'une vraie sensibilité, inspirée par sa lutte contre les préjugés. Paroles de fan diront certains... 

lundi 8 février 2016

L'été diabolik de Thierry Smolderen et Alexandre Clerisse

Je me suis vraiment régalé en lisant le nouvel opus du duo Smolderen/Clérisse. Autant le précédent, magnifique graphiquement, nous perdait dans une intrigue emberlificotée à l'extrême ( Souvenirs de l'empire de l'atome ), autant celui-ci possède un scénario mieux charpenté qui ne nous perd pas en route. Et comme Alexandre Clérisse s'est encore une fois surpassé au dessin, cet " été diabolik" est sans doute la première vraie bonne surprise de cette année en BD.
On sent que les auteurs aiment cette période fin 50 début 60, où le monde vivait entre deux pôles bien séparés et aux ennemis facilement identifiables. C'était une époque où l'on croyait au futur. Les corps se libéraient, la technologie promettait monts et merveilles. On voyait la vie en technicolor. Les 160 planches de cet album, éclatantes de couleurs, de dynamisme, dont le graphique vintage revisité en sont le premier hommage. Elles illustrent à merveille une histoire, au départ  teen movie puis virant au polar pour finir en mode espionnage. Tous les codes de l'époque y sont, (nous sommes dans la première partie en été 67) de l'Aston Martin sortie tout droit de James Bond, aux espions russes de la guerre froide en passant même par la robe Mondrian d'Yves Saint-Laurent ou l'évocation d'Andy Warhol. Au milieu des couleurs flashies que la culture pop commençait alors à adopter, l'histoire se déroule sans l'ombre d'un temps mort. De l'aventure, du suspens, des morts violentes, de l'érotisme, sont les ingrédients imparables de cette aventure, à laquelle s'ajoute une figure masquée rappelant les fumetti, petits fascicules de BD d'origine italienne, et donc ce dénommé Diabolik. Bien sûr, il ne faut pas être trop regardant sur les enchaînements des événements assez téléphonés et dont on peut aisément deviner la suite. Mais l'ensemble est, il faut bien le reconnaître, autant par le dessin que par l'histoire, une formidable évocation de cette époque, où tout pouvait être possible alors que tout semblait l'interdire.
Et une fois finie la lecture, on pose l'album sur la table du salon, comme un livre d'art que l'on aime exposer et que l'on prend plaisir à feuilleter ou à faire découvrir à nos amis, car, c'est encore une fois une pure merveille graphique. Je me répète sans doute ( je disais quasi la même chose lors de la sortie du précédent) mais, je suis vraiment accro au dessin d'Alexandre Clérisse, plein de références digérées, mais tellement inventif !







jeudi 4 février 2016

Trois amis en quête de sagesse de Christophe André, Alexandre Jollien et Matthieu Ricard




Pour un lecteur comme moi, non versé dans la spiritualité et encore moins dans la religion, lire "Trois amis en quête de sagesse" fut un voyage en terre quasi inconnue dont le séjour fut très plaisant car ces trois hommes là sont de commerce agréable. 
Christophe André, psychiatre et  Alexandre Jollien, philosophe m'étaient inconnus avant d'entamer ma lecture. Le troisième, Matthieu Ricard, moine bouddhiste, beaucoup plus médiatique, n'avait pas échappé à ma curiosité mais sans jamais avoir réellement  parcouru un de ses ouvrages. 
Tous trois, alors que le monde marchand envoie son armada de vendeurs aux dents longues, que des milliards d'humains souffrent de la guerre, de la famine, de conditions climatiques extrêmes, de maladies et de mille autres maux, se sont retrouvés au coeur de la Dordogne pour philosopher autour de l'existence humaine, de sa trajectoire et de la possibilité de l'améliorer via la méditation. 
En 12 chapitres d'échanges cordiaux et amicaux, où la tolérance et la vraie écoute sont de mise, ces trois hommes vont essayer de trouver des réponses à des questions aussi fondamentales que notre capacité au bonheur ou à vivre libre. Ils vont s'interroger sur nos aspirations les plus profondes, sur cet ego qui nous habite et qu'il va falloir apprivoiser pour mieux vivre, sur nos émotions qui nous brouillent la vie et les autres, sur ses souffrances qu'il va falloir canaliser, accepter tout comme celles des autres pour lesquelles nous devrions prendre en compte, sur la liberté et sa subtile utilisation, sur les moyens de donner de la cohérence à notre vie. Bref, beaucoup de concepts philosophiques seront traités et passer au filtre des expériences de ces trois personnes. On trouvera beaucoup les mots : altruisme, bonté, compassion, bienveillance, répétés tels des mantras au fil des pages, car rien n'est possible pour rendre la vie meilleure que ces sentiments là. Il est bien évident que l'on ne peut qu'être en accord avec eux tant le monde actuel regorge de malveillance et d'ignominie. 
Toutefois, je n'ai pu m'empêcher d'adhérer beaucoup plus aux propos du psychiatre, essentiellement basés sur sa pratique clinique donc scientifique. J'avoue que le bouddhisme de l'un, même si la philosophie qui l'anime peut avoir des côtés intéressants et le catholicisme forcené de l'autre mâtiné de bouddhisme me laissent froid, voire ont tendance à m'agacer. (Alexandre Jollien se "jette en Dieu"!  ). Je reste sceptique ( plus que ça même) quant à l'intérêt de mêler la religion à la pratique de la méditation, voyage intérieur personnel. Demander à entrer dans ce rituel, tout en adhérant à une histoire biblique ou religieuse, est pour moi une forme d'aliénation que je pense inutile à l'humain. 
Les trois sages nous disent de nous alléger la tête, d'aller à l'essentiel...Alors pourquoi s'encombrer d'histoires fumeuses, sans doute inventées ? Certes, les religions sont porteuses de messages de bonté, d'altruisme ...mais pas que .... on le voit depuis des siècles et des siècles. 
Mais l'essentiel du livre est de proposer des moyens de libérer l'homme de l'emprise de ses émotions, de son égo surdimensionné, de ses nombreuses souffrances. Sur cette thématique là, le livre se suit avec intérêt, les échanges sont agréables et les conseils donnés ( oui, à la fin de chaque chapitre, chacun y va de ses conseils, résumant ainsi sa pensée, c'est pratique,) sont judicieux ou simplement frappés de bon sens. Si je devais résumer : consommons moins, écoutons l'autre, soyons empathiques, altruistes, cohérents et planifions au moins une demi-heure de méditation par jour.  J'adhère, bien sûr, le monde tournerait sans doute un peu mieux. Mais avouons que pour 3 sages comme eux, combien de petits despotes, d'indigents que le manque d'éducation et la rudesse du monde ne portent  pas à méditer mais à essayer de survivre ? 
Pour terminer, je voudrai, pour illustrer de façon pratique ce qu'est la méditation, vous proposer un exercice, donné par Matthieu Ricard. ( Je sais, je vais y glisser quelques réflexions personnelles qui passeront au pire pour de la mauvaise foi, au mieux pour de la bêtise). C'est important puisqu'il va s'agir de pratiquer la compassion (page 344). C'est une pratique bouddhiste où lorsque l'on souffre, on doit prendre conscience que d'autres souffrent aussi. Jusque là, c'est normal et plutôt intéressant. Le bouddhisme nous propose donc d'embrasser la souffrance des autres avec amour et compassion, et là je cite : " Quand on prend sur soi la souffrance des autres, puis quand on la transforme et qu'on la dissout mentalement par le pouvoir de la compassion, non seulement ça n'accroît pas nos tourments, mais ça les rend plus légers."
Certes... mais je l'avoue, les secrets de la dissolution et de la transformation de la souffrance en compassion me sont un peu inconnus. Qu'à cela ne tienne, Matthieu Ricard nous explique comment y arriver ; " On commence par ressentir un amour profond envers quelqu'un qui souffre, d'abord un être cher, puis on lui offre notre bonheur ( Facile !? ) et l'on prend sur nous sa souffrance en se servant du va-et-vient de notre souffle. Au moment de l'expiration, on lui envoie en même temps que l'air qu'on expulse notre joie, notre bonheur et toutes nos qualités sous la forme d'un nectar blanc, rafraîchissant et lumineux. (....) Au moment où on inspire à nouveau, on imagine qu'on prend sur soi tous les maux physiques et mentaux de ces êtres, y compris leurs émotions négatives, sous l'aspect d'un nuage sombre. Ce nuage pénètre en nous par nos narines et se dissout sans laisser de traces dans notre coeur, qu'on visualise comme une masse de lumière. " Je reste coi. Je ne comprends pas la manip, trop fumeuse pour moi. Mais peut être que ce soir là, lors des échanges, quelques substances pour faire planer étaient de sortie.... L'image du bouddhisme s'en trouve bien obscurci ( si ça ne l'était pas déjà).
Je me moque, mais, je l'avoue c'est un des rares moments où ça vire total mystique. Le reste des propos est plus consensuels et pro méditation. Pour ma part, je reste convaincu, comme l'explique si bien Christophe André, de la puissance néfaste de l'esprit humain sur lui même comme de la possibilité de s'auto guérir en faisant un travail intérieur pouvant passer par la méditation. Mais beaucoup de chemin reste à faire et il me semblerait plus pertinent qu'il ne croise pas les religions, toujours promptes au prosélytisme en s'emparant de certains concepts et en les dévoyant quelque peu. "Les trois amis en quête de sagesse " ne m'a, ni convaincu de poursuivre ma vie dans un ermitage face à l'Himalaya, ni de m'inspirer des bontés des divers maîtres bouddhistes évoqués ni de Jésus. Par contre, j'ai grandement apprécié ce débat philosophique, simple, à la portée de tous, éclairant et vraiment empreint de bonté, d'altruisme et d'écoute.

mercredi 3 février 2016

Chocolat de Roschdy Zem


Le nouveau film de Roschdy Zem me fait irrésistiblement penser aux vignettes que l'on trouvait autrefois dans les plaquettes de chocolat et que l'on collait amoureusement dans un album. Didactiques, pédagogiques, ces images d'Epinal faisaient autant rêver qu'elles nous donnaient une image du monde correspondant souvent aux rêves ou aux exigences de l'époque.
En retraçant la vie de la première star noire de France, le clown Chocolat, on replonge instantanément dans une France qui découvrait l'existence de peuples autres grâce au colonialisme... Grâce, n'est peut être pas le mot. Le regard de la population française sur ces hommes et femmes était tout de même exempt d'humanité puisqu'ils étaient présentés comme des animaux, dans des cirques ou autre exposition coloniale. Le film, pour cela  ne nous épargne rien, brossant très justement  un climat raciste décomplexé. Le parcours de ce clown en est d'autant plus exemplaire qu'il rencontre bien évidemment  un écho dans notre France d'aujourd'hui ô combien prompte à se vautrer dans un racisme toujours présent. En ce sens "Chocolat" tombe à point nommé et est presque irréprochable sur ce thème. Je dis presque car le regard qui est porté sur l'homosexualité du partenaire de Chocolat m'a paru traitée de façon un peu clichetonne, limite moqueuse  ( notamment ce plan inutile des restes de vernis à ongles sur le petit doigt du partenaire en est l'illustration) ?
Avec sa reconstitution assez carton-pâte d'un petit cirque puis le Paris fin XIX ème, le film avance avec des jolies vignettes bien proprettes. On retrouve donc dans cette narration chronologique toute une imagerie populaire datée mais pimpante. Les directeurs des différents endroits où le couple de clowns seront employés, nous apparaissent comme de cupides ou usuriers ou revanchards ou les trois à la fois, les collègues jaloux et racistes, l'infirmière tolérante et empathique. Ils ne sont que les faire-valoir  du duo vedette dont l'ascension vers la gloire est bien entendu un chemin semé d'embûches.
Dans le rôle titre, il est difficile de ne pas le savoir, c'est Omar Sy, figure emblématique noire du cinéma français et personnalité éminemment sympathique. Le rôle est de toute évidence écrit pour lui et le film une rampe de lancement pour le propulser au firmament. C'est joliment essayé et jamais on ne doute de la sincérité de l'interprétation ni du propos. Cependant, il m'a semblé bien empesé dans toute cette lourde imagerie et se fait voler la vedette par son partenaire, James Thierrée, absolument impeccable. Même si la figure grand-paternelle de Charlie Chaplin plane sur l'écran dès qu'il apparaît, l'acteur enflamme l'écran, donnant à son personnage complexe de Footit une présence lumineuse et poétique enthousiasmante.
S'il fallait une seule bonne raison pour aller voir "Chocolat", film assez banal au final, ce serait pour l'explosion à l'écran de James Thierrée. Le reste, manque sérieusement de peps ...


mardi 2 février 2016

La marcheuse de Naël Marandin


Lin marche fièrement dans la vie. C'est une battante. Elle avance dans sa difficile vie de sans papier avec détermination. Logée gratuitement  chez un riche vieux monsieur grabataire, chez qui elle fait fonction d'aide à domicile, elle arpente cependant les trottoirs pour monnayer son corps. Une partie de cet argent durement récolté sera envoyé à ses parents restés en Chine, le reste servant à vivre et surtout à  l'éducation de sa fille de 14 ans.
Raconté comme cela, il n'est pas certain que ce joli premier film fasse envie. Pourtant, il s'agit d'un formidable portrait de femme, suivie par un vrai regard empathique et surtout sans jugement, d'un cinéaste parfaitement en prise avec son époque. Situé dans un Paris ni magnifié ni assombri, juste on ne peut plus réel, le film n'a aucun mal à happer le spectateur car il utilise habilement en toile de fond cette triste réalité d'une étrangère qui survit comme elle peut, pour dérouler une intrigue prenante façon thriller. Apparaît ainsi, dans un huis clos assez oppressant, un homme en fuite assez inquiétant qui, se réfugiant dans l'appartement du vieil homme, essaie de manipuler mère et fille.
C'est dans le déroulement de son histoire que Naël Marandin se révèle aussi habile que vraiment fin observateur de l'humain. Alors que l'on pensait s'engager dans un déroulé binaire, les bons contre les méchants, les personnages évoluent, se défendent comme ils peuvent et deviennent plus complexes, dévoilant certaines facettes qui rendent le récit d'autant plus réaliste. Sans jamais se départir de son regard objectif, l'histoire prend de la profondeur, oscillant constamment entre réalisme et fiction, nouant les protagoniste dans une histoire plus complexe qu'il n'y paraît et prenant des directions inattendues.
On appréciera la première apparition de Qui Lan, inconnue du public mais à la quarantaine aussi belle que convaincante. Elle porte le film avec détermination et ambiguïté. Sa virginité cinématographique alliée à une évidente présence apportent une crédibilité au film qui n'en manque nullement, notamment dans la description de la prostitution asiatique à Paris et de la solidarité de ces marcheuses.
Très belle entrée de Naël Marandin dans le cercle des réalisateurs que l'on prendra plaisir à suivre dans les années à venir. "La marcheuse " intéresse car, au-delà d'une histoire bien construite, on trouve un regard de cinéaste porteur de belles promesses.