samedi 29 janvier 2022

34e Fesrival Premiers Plans d'Angers ( 2) ou la suite


La deuxième partie du festival fut tout autant intéressante que la précédente malgré les masques et les buveuses ( désolé du féminin, c'est vérifié) maniaques qui ouvrent une gourde métallique ( donc bruit ) toutes les 5 minutes pour boire une gorgée et refermer la même gourde avec le même petit bruit de métal dont la régularité donne parfois envie de faire avaler l'objet à sa propriétaire ( et c'est la même qui dérange pendant le film toute la rangée pour aller faire pipi et donc revenir... sans doute avec sa gourde de nouveau remplie). 
Pas de gourdes dans les longs-métrages présentés en compétition, juste beaucoup d'héroïnes attachantes et aux vies pas très simples surtout si on habite en Ossétie du Nord comme Ada, l'héroïne du fébrile et oppressant film russe "Les Points desserrés" de Kira Kovalenko, par ailleurs compagne de Kantemir Balagov ( "Tesnota" qui avait gagné ici en 2018) dont on retrouve la même obsession de cinéma à l'épaule, au plus près de personnages vivant dans une certaine précarité. Du cinéma immersif, autour du thème de l'emprise  mais avec toutefois un petit air de déjà vu et aussi une certaine suffisance genre regardez comme je sais bien filmer Mme/Mrs les festivaliers. 
Si on habite en Bulgarie,  entre un grand-père autoritaire, une mère perdue dans l'astrologie,  un pays qui se déchire sur des lois sur le genre et pour peu que l'on se retrouve séropositive à 19 ans, la vie n'est pas rose non plus. Les héroïnes de " Women Do Cry" de Mina Mileva et Vesela Kazakova, se battent pour leur liberté, et le film, petit brûlot féministe dans sa première partie, finit par péter un câble dans sa deuxième moitié et perd soudain beaucoup de son intérêt. 
Nous avons aussi rencontré Nelly, une jeune danseuse grecque qui ne rencontre que des mecs qui la font aller vers les ennuis ...et les films pas terribles pourrait-on rajouter, tant "Broadway" de Christos Massalas, s'efforce un peu vainement à créer une atmosphère déglinguée, décalée, peut être symbole un peu lourde d'une Grèce au bord de l'abîme.
Mais, rassurez-vous, nous avons aussi croisé des personnages masculins, notamment ceux du film Austro-franco-belge de C.B. Yi ( Tiens à Cannes lors de la présentation du film à Un certain regard, il s'appelait encore Yilin Chen Bo...) . Ce sont des "Moneys Boys", prostitués chinois qui en plus des affres liés à leur gagne-pain se débattent avec les traditions familiales. Filmé avec une grande élégance de mise en scène, le film, sans éluder les problèmes, se disperse un peu pour finir par s'intéresser à une histoire d'amour qui n'apparaît pas comme l'élément le plus intéressant. 
Et puis, reste le personnage qui a sans doute le plus remué les spectateurs : "Bruno Reidal"  de Vincent Le Port, jeune séminariste qui en 1905 a tué et décapité un jeune voisin. Le film, d'une réelle beauté plastique, classique en apparence dans sa narration, s'avère nettement plus subtil, travaillant avec une rare acuité la possibilité de trifouiller dans l'intimité du spectateur, de le faire réagir, réfléchir, sur un crime horrible sans cesse éclairé avec des notes discordantes et donc déstabilisantes. Voici un sacré candidat pour le grand prix et de toute évidence, un réalisateur sur lequel on devra compter. 
Côté courts-métrages, nous avons dû voir la crème en début de festival, car la deuxième salve n'a pas suscité d'émois particuliers, labourant de façon plus convenue ou scolaire, des thèmes pas emballants. 
Nous verrons bien ce que les jurys menés par Melvil Poupaud et Chloé Mazlo vont bien distinguer tout à l'heure...
En tous les cas, cette édition ( masquée et pourvue de gourdes) continue de démontrer la vitalité du jeune cinéma européen, avec une sélection beaucoup plus intéressante que celles des années précédentes. Un bon signe en ces années troublées...
PS : 
Et le verdict est tombé. Le jury a récompensé le ( formidable) film  "Sous le ciel de Koutaïssi"  de Alexandre Koberidze, conte poétique original qui a dérouté certains spectateurs mais qui prouve d'emblée que l'on affaire à un cinéaste ayant un univers bien à lui. Vous pourrez vite en juger par vous même, le film sortant le 23 février prochain. Les prix d'interprétation sont allés à deux comédiens imparables jouant dans deux films très remarqués, la russe Kira Kovalenko pour " Les poings desserrés" et surtout pour la magnifique interprétation de Dimitri Doré , véritable révélation de ce film qui a de très forte chance d'être un jeune acteur à suivre de très près ! Et pour couronner le tout, le prix du public est allé au film norvégien "Ninjababy" d'Yngvild Sve Flikke , épopée contemporaine, créative et parfois crue autour de la maternité, le seul long qui a fait rire le festival tout en étant aussi très porté sur la réflexion et la créativité ( sortie le 16 mars). Cette année, le palmarès frise le sans faute ! 



mercredi 26 janvier 2022

34e festival Premiers Plans d'Angers


Les organisateurs nous le répètent sur tous les tons : " Ils sont ravis de nous retrouver, en salle, nombreux" ( un peu moins qu'avant toutefois, surtout les scolaires) mais masqués ... Et le masque, pour la convivialité, ce n'est pas tout à fait ça. Heureusement, et là le COVID n'a pas réussi son coup,  la production cinématographique ne s'est pas arrêtée, même pour des premiers films. Et avouons-le, sur les écrans, pour le moment, ce que l'on a vu est franchement intéressant, la jeune création se porte plutôt bien en ces périodes tourmentées et son désir de cinéma a réussi à vaincre les nombreuses barrières qu'elle peut trouver sur son chemin, même si c'est parfois avec du culot et trois bouts de ficelle. 
Côté compétition  longs-métrages, le festival a assuré sa soirée d'ouverture avec le film dano-franco-suédois en lice pour les oscars ( et déjà primé à Annecy en 2020) "Flee" de Jonas Poher Rasmussen qui a d'emblée mis la salle d'accord. Ce documentaire d'animation  sur le parcours d'un jeune afghan sensible de Kaboul jusqu'au Danemark a autant passionné qu'ému et sans trop jouer sur la corde sensible mais en poussant les spectateurs à s'interroger sur la notion de " chez nous" ... Un film qui fait du bien en ces périodes d'orateurs xénophobes. 
Passant juste après , "Libertad" de l'espagnole Clara Roquet, malgré une qualité de regard indéniable, a quand même souffert de son thème très hispanique et déjà vu des rapports entre bourgeois et employés doublé d'un portrait initiatique d'une adolescente pas franchement original. 
Même si le réalisateur de " Le monde après nous" , Louda Ben Salah-Cazanas, affirme n'avoir jamais vu le film d'Eric Rochant "Un monde sans pitié", force est de constater que son premier long-métrage y fait fortement penser et se pose peut être pour être le film générationnel des années 20 ( Deliveroo et start-up école friendly pour l'époque, Louise Chevillotte à la place de Mireille Perrier et Aurélien Gabrielli formidable jeune trentenaire fauché). 
Proposer le film Allemano-géorgien de 2h30 à la séance de 21h45, était un pari osé car, ce film poétique et très particulier pouvait être reçu avec... quelques yeux qui papillotent. Pourtant, " Sous le ciel de Koutaïssi" de Alexandre Koberidze nous a fait découvrir un vrai cinéaste, avec un vrai univers, une façon très personnelle d'appréhender une histoire mêlant le conte, le football, l'amour et une ville. On peut se laisser porter par ce cinéma surprenant et personnel et quand ça fonctionne, c'est formidable. Un jeune réalisateur dont on devrait entendre reparler.
On ne dira jamais assez la vitalité actuelle du cinéma scandinave et "Ninjababy" de Yngvild Sve Flikke en est le parfait ( deuxième) exemple de cette sélection, avec le portrait d'une jeune suédoise moderne, délurée qui nous emporte dans un tourbillon à la fois cru et ludique ( le film même réel et un personnage animé) sur la maternité aujourd'hui. Pour le moment le premier film drôle ' et réussi) de cette sélection. ( Pas certain qu'il y en ai beaucoup !). 
Côté court-métrages, la sélection se présente éclectique et de très belle tenue. Beaucoup de jolies choses dont on peut extraire le formidablement drôle, inventif et très cinématographique " Les liaisons foireuses" de Chloé Alliez et Violette Delvoye ( qui devrait passer sur Arte prochainement ) , sur une teuf de jeunes et où les personnages sont composés d'éléments électriques. Un autre court a fait forte impression sur le public ( avec raison), c'est la fiction du Suisse Loïc Hobi "The life Underground". Issu de l'école de Luc Besson, son film fait évidemment penser à Subway" tout comme au "Dernier Combat", mais il y a une telle maîtrise visuelle, scénaristique et musicale ( musique originale jouée par un orchestre symphonique) que l'on est bluffé.
Le festival, c'est mille autres choses passionnantes pour tous les cinéphiles ( ou pas) et gageons que les jours qui viennent viendront confirmer cet excellent départ ! 




 

lundi 24 janvier 2022

Rentrée Littéraire de Eric Neuhoff

 


Ils s'aiment ! Pierre et Claire s'aiment ! C'est rare de nos jours alors que tout le monde divorce. Mais pas eux. Lui, autour de la soixantaine, sans doute un peu de gras vu tout ce qu'il peut manger dans tous les restaurants chics du 6 ème arrondissement. Elle, évidemment encore très jolie et mince malgré la fréquentation des mêmes cantines que son éditeur de mari. Ils s'aiment donc malgré les tentations et les nombreuses tentatives de flirts plus ou moins lourdes qui font leur quotidien dans les innombrables soirées où ils se rendent. Bref, ils s'aiment, ne se trompent pas et...c'est tout. Oui c'est tout ! Rien d'autre dans ce nouveau roman d'Eric Neuhoff. Au début, on a l'impression de plonger dans un néant total, phrases courtes, sujet, verbe, compliment, car nous sommes dans un cadre germanopratin où l'on sourit beaucoup tout en ayant un certaine méchanceté derrière les sourires. C'est tout de suite très agaçant cette succession de Lipp, de Café de Flore, de boutiques de luxe, de champagne, de vacances dans des lieux courus. On se dit qu'Eric Neuhoff devait avoir un livre à rendre à son éditeur pour nous infliger ces pages pleines de suffisance et d'entresoi. Petit extrait, un paragraphe : "Claire devait faire quelques courses et tourna à droite pour descendre la rue Bonaparte. Elle poussa la porte de la boutique à côté de chez Pierre Hermé. Il n'y avait pas sa taille." ( fin du paragraphe). 
Et puis, en poursuivant la lecture, un petit charme prend ( tout petit, mais bien présent). Ce ne sont pas les personnages et leurs amis écrivains, comédiens, avocats, journalistes qui nous intéressent ou nous titillent l'oeil ( on a quand même envie de les coller dans une HLM à Saint Denis) , mais plutôt, le style de l'écrivain. Un peu comme à la fin du paragraphe cité, il y a comme une désinvolture à raconter les choses où se mêle également un zeste de nostalgie  pour faire le portrait de ce milieu de l'édition qui apparaît pas loin de l'agonie. On trouve au creux de cette description pointilliste une pointe de dérision acidulée face à un monde qui ne circule qu'en vase clos ( rive-gauche principalement) et dans un grand confort. 
Au final, avec quand même une impression qu'Eric Neuhoff s'adresse surtout à ses semblables ( donc habitant le 6ème), "Rentrée Littéraire" ( titre trompeur qui aurait dû s'appeler "Dernière saison") parle surtout de l'amour d'un couple dont on a vraiment rien à foutre et un peu d'édition. Trop léger et surtout trop ciblé pour perdre son temps. 

vendredi 21 janvier 2022

Un jour, je de Pierre de Maere


Janvier 2022,  prenons date, sort le premier EP d'un jeune belge de 20 ans : Pierre de Maere qui possède toutes les chances de devenir une star de la chanson ( et peut être plus). 
Dans la cohorte de jeunes chanteurs/chanteuses qui essaient de percer en ce moment, celui-ci a dans sa musette une collection importante d'atouts. En plus d'une belle gueule, un physique avantageux qui joue sans complexe avec une certaine fluidité des genres, il écrit, compose, et chante d'une voix qui se remarque quasi dès la première note. Ce premier EP, intitulé "Un jour, je" (pour, au premier abord, "Un jour, j'épouserai un ange" un des titres phares de l'album, mais plutôt pour "Un jour, je serai une star" si l'on en croit ses interviews) pose la première pierre d'une chanson française pop bien calibrée pour plaire à un public assez large. Compositions efficaces, mélodies qui accrochent l'oreille, voix bien placée jouant  des graves comme des aigus, ce n'est pas tout à fait nouveau dans le milieu musical où ils sont nombreux à jouer dans cette cour, mais ici, en plus de cette petite particularité de rouler plus ou moins les "R" ( sans que cela fasse terroir!) , on sent que derrière il y a un plus, un je ne sais pas quoi qui fera sans doute la différence. Est-ce cette réelle ambition avouée à longueur d'interviews d'être une future  grande vedette sans que jamais cela ne paraisse jamais antipathique, vaniteux, mais totalement charmant ? Est-ce ce sentiment que ce jeune homme a intégré tous les codes du marché de l'images et en joue avec une facilité déconcertante mêlant musique, mode, promotion de soi sans jamais que cela apparaisse vain ou creux ? Mais n'est-ce pas tout simplement un réel talent naissant qui devrait grandir avec le temps. L'homme a une vraie personnalité, reste à savoir s'il saura bien s'entourer pour aller au bout de ses rêves. 
Pour l'heure, on doit écouter ce premier EP très efficace ( un bémol sur certaines paroles un poil légères et qui laissent croire qu'il est arrivé à faire du placement de produits ( Burberry, Gucci ) !) de quelqu'un dont on entendra certainement parler dans les mois qui viennent, confirmant que la Belgique est un sacré terroir pour les artistes talentueux. Pierre de Maere, plus qu'un nom à retenir, une voix et une personnalité aussi angélique que fascinante, de la graine de star ! 



jeudi 20 janvier 2022

Rien nous appartient de Guillaume Guéraud


Après la lecture de ce roman pour ados (à partir de 14 ans selon l'éditeur), une question peut se poser : Qu'est-ce qui différencie un roman pour grands adolescents et celui pour adultes ? Le propos me direz-vous... Vous n'aurez pas tort dans le sens où si vous prenez les dernières parutions de ( au hasard dans cette rentrée de janvier)  Eric Neuhoff ou Karine Tuil, ces deux auteurs à succès ne vous étonneront jamais, débitant une littérature tiède, essentiellement bourgeoise ( dans les deux cas des problèmes de couple dont depuis des décennies on n'a plus rien à faire) qui surtout ne remuera pas grand chose chez personne ( ou alors chez ceux qui s'émeuvent des scandales d'opérettes nourrissant les chaînes infos). Guillaume Guéraud, si vous vous plongez dans son dernier ouvrage, risque quand même de vous défriser bien plus que le prêchi-prêcha d'une Mme Tuil sur un sujet pas si éloigné, celui d'un jeune en rupture de ban avec notre société ( pourtant si formidable). L'Abdeljajil  de la romancière est parti en Syrie, celui de Mr Guéraud nous est proposé sur le point de commettre un attentat. Le premier sert d'enjeu à une pseudo réflexion oiseuse et mode sur le terrorisme ( et le couple bourgeois) quand le deuxième nous plonge à l'intérieur d'un jeune adulte en pleine déroute. L'approche est différente certes, mais c'est surtout le regard que porte l'écrivain sur son personnage principal qui va les distinguer.  Le texte de Guillaume Guéraud  retient nettement plus notre attention car pas mal éloigné des clichés qui peuvent enfermer ce genre de personnage. Malik, le protagoniste de cette histoire, d'origine algérienne, a, pour faire court, tué un homme lors d'un vol qui a mal tourné. 18 mois de prison après, il est libéré pour bonne conduite ( et très bonnes notes au bac français). Nullement radicalisé en prison, il est pourtant sur le point ce commettre un attentat. Pourquoi ? Comment en est-il arrivé là ? C'est l'enjeu de ce roman. Qu'est-ce qui peut pousser un jeune, pas con du tout, pas religieux non plus, à vouloir commettre un acte irréparable ? On n'aura les réponses que si on veut bien se donner la peine de réfléchir. L'auteur n'assène rien ( même si on sent son petit côté anar pas désagréable en cette période de consensus mou) laissant donc le lecteur se débrouiller avec la situation.
Pour répondre à la question posée au début, il faut savoir que la littérature pour grands ados n'édulcore jamais les thèmes et les propos, la différence est donc ailleurs. On la trouve plutôt dans l'écriture, simple, rapide, sans fioriture, sans effet de style, directe, qui parle d'emblée au lecteur et qui court vite, très vite pour que les pages se tournent ( il faut bien entrer en concurrence avec des loisirs plus faciles que la lecture). A cet exercice, Guillaume Guéraud est parfait, les 158 pages se dévorent et laissent le lecteur à la fois secoué,  reconnaissant de nous avoir fait connaître un jeune homme d'aujourd'hui et le faisant s'interroger bien plus que moultes romans sociétaux adultes sur la fracture sociale.  
 

mardi 18 janvier 2022

Les Leçons Persanes de Vadim Perelman


Comment un film avec un scénario plutôt abracadabrant et une réalisation pas des plus imaginative arrive toutefois à tenir son spectateur en haleine jusqu'au bout ? C'est le genre d'équation que parvient à réussir en grande partie "Les leçons Persanes". 
Nous avons au départ, Gilles, jeune français, qui se fait arrêter en 1942 et déporter dans un camp. Par un hasard du destin autant que par instinct de survie, il échappe à une mort certaine en proclamant qu'il n'est pas juif mais persan. Coup de pot, un des chefs du camp, amoureux absolu de la Perse et rêvant après-guerre de s'y installer, veut apprendre le farsi. Et voilà notre jeune français devenant professeur pour un nazi pas vraiment sympa et se trouvant dans l'obligation d'inventer au fil des jours une langue. Au péril de sa vie, dans la peur absolue que l'on découvre son imposture, il va distiller un faux savoir à une personne qui a droit de vie et de mort. 
L'intrigue, certes originale, un peu tirée par les cheveux va devenir de plus en plus improbable au fil des scènes et des multiples rebondissements qui essaiment le scénario. La supercherie n'est pas trop crédible à l'écran, les leçons se résumant à accumuler du vocabulaire avec quasiment aucune grammaire ( ce qui ne met pas la puce à l'oreille du commandant nazi... sans doute peu familier avec la pédagogie des langues). Malgré tout, on ferme les yeux devant ces incohérences car une forte empathie se crée grâce à l'interprète principal, Nahuel Perez Biscayart, totalement investi dans son rôle et jouant à merveille de son regard de jeune chiot apeuré. Face à lui, Lars Eidinger, lui aussi formidablement inquiétant, apporte l'indispensable contre poids en incarnant un vrai méchant. 
Pour peu que l'on se laisse porter par ce duo de comédiens au top, le film se regarde sans déplaisir et parvient même, au bout de multiples péripéties à émouvoir le spectateur avec une scène finale d'une grande émotion. Pas le film de l'année, ni un grand film historique, plutôt un thriller psychologique grand public pas déshonorant ( même si l'on peut trouver léger de se servir de la shoah pour faire naître du suspens). 




 

lundi 17 janvier 2022

Elise sur les chemins de Bérengère Cournut



Après le succès de "De pierre et d'os", revoici Bérengère Cournut avec un nouveau récit osant la poésie jusqu'au bout puisque se présentant intégralement en vers ( libres). Ce long poème, découpé en chapitres, prend les allures d'un vrai conte avec les fils aînés d'une famille qui partent courir les chemins pour découvrir le monde et la vie. Une soeur, affolée par les paroles d'une vouivre lui signalant un des frères en danger part à son tour pour les retrouver. Nous sommes semble-t-il un peu hors du temps ( même si une trayeuse électrique est vaguement évoquée au détours d'un vers), dans une belle nature sauvage et enchanteresse sans doute dans une région de moyenne montagne. 
Le départ séduit. Pourquoi pas un conte ? On aime bien les contes... Les vers libres offrent une légèreté et joliesse agréable. Mais dans la deuxième partie, tout devient plus contemporain et vire au conte poétique moderne. Adieu combes, plantes et animaux fantastiques et bonjour la ville, les boîtes de nuit et les industries. Les vers ont du mal à s'acommoder à ce nouveau décor, essayant maladroitement de garder de la poésie et de la joliesse. Cette bifurcation du chemin plus que hasardeuse noie le récit dans une sorte de mélasse peu goûteuse. Le chemin est nettement moins intéressant et fait soudain apparaître l'intérêt finalement très anecdotique de l'ensemble. 
"Elise sur les chemins" peut se classer dans cette catégorie de romans qui font du bien, si prisés actuellement. Certes, par rapport à des consoeurs ou confrères connu(e)s pour leurs mièvreries mercantiles,  il y a derrière une ambition réelle de tirer l'ensemble vers le haut ( les vers, les clins d'oeil à Marcel Aymé ou Henri Vincenot, ...)  mais coche tout de même pas mal des codes du genre  : facile à lire, pas trop long, un peu de mièvrerie, un peu de social, un peu d'écologie, un peu de handicap, un peu de metoo et pas mal de cette inévitable bienveillance... Ce saupoudrage très tendance reste totalement vain et finit par devenir cliché, même écrit sous forme de poésie. 

 

dimanche 16 janvier 2022

Jane par Charlotte de Charlotte Gainsbourg


Ces peoples sont formidables! Une petite névrose, un cancer, un enfant handicapé et hop je te fais un livre, un film. Les gens se ruent dessus, curieux comme ils sont et, avec un peu de chance, ça rapporte un peu d'argent. Charlotte Gainsbourg n'a, heureusement pour elle, rien de tout cela mais elle a une mère célèbre à qui elle n'ose pas dire certaines choses. Qu'à cela ne tienne un ou deux millions d'euros et hop je tourne un portrait de ma maman, icône adorée, je lui dis et je filme ce que je ne lui ai jamais dit et l'affaire est dans le sac ! Les fans de la mère et de la fille vont se ruer en salle... et moi j'aurai fait ma petite psy tranquillou... 
Passé ce petit grief, le documentaire s'avère au final pas désagréable du tout. Certes, Charlotte Gainsbourg met en place des moments de rencontres avec sa mère un peu factices avec images projetées ou toutes les deux en blanc dans un lit, ... ou essaie de faire un peu arty en balançant à l'écran des photos décadrées, surexposées, mais au-delà de ce portrait très personnel, transparaît quelque chose de plus universel qui peut aller jusqu'à toucher un public qui ne connaîtrait pas ces deux artistes. En filmant de très près sa mère, avec ses rides, sa peau tâchée, ses vieilles sandales, dans sa maison bretonne pleine de bric à brac, elle montre une septuagénaire non retapée, qui parle sans fard ( même si maquilleuse, coiffeuse, costumière sont créditées au générique) et qui accepte comme elle peut son vieillissement. On est heureux de voir que même riche et célèbre, on peut montrer les marques du temps et de la vie sans (trop) tricher. Jane Birkin, vraiment attachante dans cette simplicité mise en avant, irradie comme toujours. On pourra apprécier également cette délicate tentative d'approche d'une mère et cette impossibilité universelle à dire certaines choses. C'est dans ces creux, ces silences, ces regards, ces hésitations, ces déclarations aussi, que le film touche et séduit. 
"Jane par Charlotte",  même en exploitant un filon plus people avec une visite de la maison du père et ex mari ( Serge Gainsbourg), lieu resté tel quel depuis sa mort et dont on devine qu'il sera bientôt un musée que l'on pourra visiter ( promo?), se regarde avec plaisir tant Jane Birkin reste une artiste vraiment attachante et que l'on prend plaisir à (re)découvrir dans cette pseudo intimité offerte sur grand écran. 



samedi 15 janvier 2022

Ouistreham de Emmanuel Carrère


Le fils d'une académicienne, lui-même auteur à ( grand) succès, fait tourner une star oscarisée dans un film traitant des conditions de travail d'employés rendus invisibles par une société qui regarde ailleurs. On peut sourire ( jaune) sur cette façon très bobo de faire du social tout en présentant un film au budget de 5 millions d'euros à Cannes ( Bling, bling !) avec espoir d'un bon retour sur investissement. 
Remballons toutefois cette aigreur et intéressons-nous plutôt au résultat de cette ( libre) adaptation du récit de Florence Aubenas ( "Le quai de Ouistreham") dans lequel elle se faisait embaucher incognito  comme femme de ménage pour mieux raconter la précarité. Les auteurs du scénario ont sérieusement changé le regard de cette histoire. En transformant la journaliste en écrivaine, qui plus est jouée par une star, le film prend une direction à peine évoquée dans le livre, celle de l'imposture. Et c'est plutôt bien vu, car, la toile de fond sur les dures conditions de travail de ces hommes et de ces femmes qui triment à toute vitesse dans des villages de bungalows ou sur un ferry, platement filmée ( nous sommes loin de Ken Loach ou des frères Dardenne), ne brille guère. En revanche, cela permet à l'écrivaine, Juliette Binoche, de pouvoir s'intégrer parfaitement à cette histoire ( elle est star, on voit sa belle composition), de jouer sans arrêt avec cette ambiguïté, sur ce qu'elle tait ou que l'on sait de sa vie réelle ou de fiction ( remarquables scènes au pôle emploi) et pour que finalement cette fracture sociale devienne un enjeu majeur du film. Sur cette   thématique, le film fonctionne très bien et dresse même un constat glacial qui lui évite de tomber dans l'écueil de la bien-pensance bobo à laquelle quelques scènes sur la forte amitié entre l'écrivaine et une femme de ménage aurait pu conduire. 
 Si on ne retrouve pas tout à fait le récit plus journalistique de Florence Aubenas, le cinéma ayant choisi de créer une histoire de forte amitié, on peut tout à fait voir ce film sans les aigreurs évoquées plus haut car le sujet reste fort, très bien joué ( la non professionnelle Hélène Lambert est plus que formidable), émouvant parfois.  



vendredi 14 janvier 2022

Scarlett de François-Guillaume Lorrain


 Ca s'intitule "Scarlett" mais cela très bien pu être aussi "David", "Hattie" ou"Vivien". David , pour David O.Selznick, ambitieux et tatillon producteur de l'âge d'or Hollywoodien, qui mit des années à adapter pour le cinéma  le roman de Margaret Mitchell "Autant en emporte le vent",  parce que sa mégalomanie voulait qu'il soit  " le plus grand film de tous les temps". Hattie, parce que Hattie Mc Daniel, dont on suit le parcours durant tout le livre, fut,  en acceptant le rôle de la nounou noire de Scarlett, la première comédienne noire à obtenir un Oscar. Vivien, parce Vivien Leigh, jeune actrice anglaise, réussit au nez et à la barbe de toutes les stars féminines de l'époque, à décrocher le rôle ultra convoité de Scarlett et devint ainsi une star légendaire.

Le roman ( mais est-ce vraiment un roman?) suit donc en parallèle ces trois destins qui se trouveront unis à jamais grâce à ce film de plus de quatre heures qui reste encore,  malgré "Star Wars", ou " Spiderman", le long métrage ayant réuni le plus de spectateurs dans le monde. On plonge donc dans cet univers du Hollywood d'avant guerre, son système de studios ( et donc ses rivalités), ses stars à la vie privée intense que le code de moralité obligatoire obligeait à des stratagèmes pas toujours légaux pour passer pour de belles oies plus très blanches mais présentables. On suit le parcours d'un best-seller annoncé qui attise toutes les convoitises des magnats du cinéma, puis les affres de la scénarisation et donc le fameux casting qui dura de longs mois avant de trouver celle qui incarnera à l'écran cette Scarlett adulée du public. 
François-Guillaume Lorrain s'attarde beaucoup sur la recherche de l'actrice idéale, prenant plaisir à faire défiler beaucoup de stars dans le bureau de Selznick. Les cinéphiles n'apprendront pas grand chose sur cette épopée tant ce tournage a donné lieu à moultes articles ou documentaires depuis plus d'un demi-siècle. Les autres découvriront une saga aussi intense que l'était le roman " Autant en emporte le vent". Ecrit simplement, sans fioriture ni excès lyrique, le livre plonge dans un Hollywood dont la frénésie était à son apogée. On peut toutefois regretter deux choses après lecture : un montage alternée un peu poussif et le regret de ne pas avoir plus de détails sur le tournage et le parcours du film... 

jeudi 13 janvier 2022

Adieu Monsieur Haffmann de Fred Cavayé


Tiens donc, après quelques films de genre et quelques comédies vaudevillesques, voici Fred Cavayé s'attelant à un film aux apparences sérieuses, psychologiques avec pour décor le Paris occupé de 1941. Lorgnerait-il vers de précédents exemples fameux,  "Mr Klein" de l'éclectique Joseph Losey ou "Le dernier métro" de l'intouchable François Truffaut ? Un peu sans doute mais le film fleure plutôt le bon coup de producteurs, la petite commande faite pour essayer de remplir les caisses. On prend une pièce à succès ( donc réussie en terme d'histoire), on caste trois acteurs connus, Gilles Lellouche ( pour faire venir le public du "Le Grand Bain" et de "Bac Nord"), Sara Giraudeau ( avec l'espoir que les téléspectateurs du "Bureau des Légendes" s'arrachent de leur canapé)  et Daniel Auteuil ( pour que les seniors, ces pleutres qui ont peur du Covid, retournent enfin au cinéma voir un acteur de leur âge dans une histoire qui ne peut que les intéresser), on ajoute une affiche bien sérieuse, une promo jurant et crachant que ce fut un tournage merveilleux pour une histoire formidable et vogue la galère. 
A l'arrivée, il faut le reconnaître, si ce n'est pas un chef d'oeuvre, on passe un bon moment. Ne soyez pas rebutés par l'époque ( toujours un obstacle pour un public qui aime à se divertir, surtout en ce moment), le film vous attrape habilement grâce à un scénario ficelé pour ne pas vous lâcher ( en gros un rebondissement toutes les 5 minutes durant deux heures). Bien sûr, cette avalanche rapide de twists divers essaie de faire oublier quelques ficelles scénaristiques voire une mise en scène très conventionnelle pour ne pas dire platounette. Mais conjugué avec trois acteurs qui savent tirer leur épingle du jeu, le scénario tient la route pour un film très "qualité France" qui fera les beaux soirs d'une chaîne de télévision..et peut être quelques substantielles entrées en salle. 




 

mercredi 12 janvier 2022

Vitalina Varela de Pedro Costa


Léopard d'or à Locarno en 2019, "Vitalina Varela" arrive sur nos écrans, plus tellement auréolé de ce titre de gloire. Certes une distinction dans ce festival à haute cinéphilie n'est plus trop vendeur de nos jours où l'on préfère se ruer sur une énième aventure de Spiderman. Et ce n'est ni le thème de ce film ( le retour dans un bidonville lisboète d'une vieille capverdienne pour enterrer son époux qu'elle n'a pas vu depuis des décennies) , ni le parti pris esthétique ( filmer de sombres gourbis de nuit ) et encore moins le scénario assez elliptique quant aux enjeux de ce retour (les personnages étant des taiseux ou quand ils parlent des nébuleux) qui devraient faire courir les foules. 
Cependant, on n'obtient pas la grande  récompense d'un festival réputé pour rien. Ici, le grand intérêt réside dans une photographie absolument magnifique qui rappelle de grands peintres genre Le Caravage ( mais aussi par moment Le Gréco, Géricault ), Georges de La Tour, où la moindre lumière, flamme, perce les ténèbres pour éclairer des peaux sombres mais luisantes et soulignant par ailleurs l'absolue misère dans laquelle évoluent les quelques protagonistes présents ( petit éclairage sur une communauté d'immigrés). L'oeil est totalement happé par ces images splendides, chaque nouveau plan arrivant à être aussi beau que le précédent... 
Malgré tout le talent de mise en images de Pedro Costa, malgré cette formidable mise en beauté de la nuit et de l'obscurité, on sent passer les 2h04 du film. Un fois le premier émerveillement consumé et même en acceptant de suivre le destin de cette femme, la lenteur de l'histoire finit par plomber pas mal l'ambiance et peut amener à lutter contre le sommeil. 
On l'aura compris, "Vitalina Varela" est un film  qui peut éblouir, envoûter sûrement mais qui exige toutefois une attention supérieure. Mais si l'on est motivé par la belle image...

 

mardi 11 janvier 2022

Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson


On sort de ce nouveau film de Paul Thomas Anderson un peu perplexe. C'est quoi le projet ? Un teen movie sur les amours contrariées de deux jeunes gens ? Ou une sorte de film expérimental (enfin...beaucoup moins qu' Inherent Vice ) visant à exploser un genre tant aimé aux States? Un peu des deux sans doute avec son lot d'incompréhension, de moments sympas et d'évaluation dans sa tête sur la possibilité que tout cela se termine bientôt. 
Contrairement à l'habitude, "Licorize Pizza" ne va pas s'attarder sur les poussées  hormonales de ses héros, même si ceux-ci ont une libido qui les travaille, ni sur ces éternelles rivalités de groupes de collégiens ou de lycéens mais s'ingénier plutôt à leur balancer dans les pattes d'autres personnages décalés, déjantés, un poil étranges tout en jouant sur certaines clichés de la culture étasunienne ( la réussite entrepreneuriale notamment) ou de films d'action en voiture ici détournés en version solo et à reculons. 
Au crédit du film, en plus de son évidente originalité dans la narration, on peut également apprécier l'audace de mettre à l'écran deux jeunes ( bons) acteurs au physique sortant un peu des normes habituelles. Cependant, cette geste cinématographique peut engendrer incompréhension voire ennui tant la mise en scène semble partir dans tous les sens, d'une façon qui apparaît incohérente au spectateur lambda. En sautant presque du coq à l'âne, en multipliant les situations assez absurdes ( cocasses peut être), l'histoire ( mais y en a-t-il une?) se dilue dans un trop plein de musique et de bifurcations abruptes. On peut adhérer à cet univers hors des conventions et malgré très sage en terme de propositions et de mise en scène...ou pas.





samedi 8 janvier 2022

Twist à Bamako de Robert Guédiguian


Après ses deux derniers films sombres, assez nocturnes, cette plongée dans le Bamako de 1962, sans être rigolote pour autant, permet à Robert Guédiguian de continuer de creuser son sillon de cinéaste ancré à gauche tout en se renouvelant sous un chaud soleil africain. 
Le contexte historique est fort. Après le départ des français, le Mali s'est essayé au communisme. Belle idée sur le papier que de jeunes dirigeants pensaient pouvoir mettre en pratique avec une certaine naïveté. Et dans ce mouvement, la jeunesse ne rêve qu'à s'enflammer, se distraire au rythme de ces musiques nouvelles, le twist donc... 
Le lourd chemin pour arriver à instaurer le communisme au sein de communautés peu préparées à recevoir ces idéologies ( surtout après des décennies de colonisation), certes un poil didactique, ne constitue toutefois pas l'essentiel de l'histoire. Robert Guédiguian sait que pour alléger son propos infiniment politique ( et ouvrant toujours pistes de réflexion et débats), il faut toujours une histoire d'amour. Ici, elle est incarnée par un bel amour impossible entre un fils d'un riche commerçant de Bamako et une fille de province, hélas mariée de force dans son village. Ils sont beaux, sympathiques et, tout en dansant le twist, ils vont être à la fois les figures sacrificielles d'un régime qui part à la dérive  comme  un pont vers nous spectateurs de 2022, qui continuons à lutter contre pas mal de racismes, de traditions, de violences et de préjugés. Ils sont les figures solaires de ce film lui aussi baigné par une belle lumière et les deux acteurs les incarnant sont absolument parfaits, Stéphane Bak confirmant que son talent très varié devient indispensable au cinéma français  et talentueux du moment et Alice da Luz une révélation. 
"Twist à Bamako" vous fera revoir un bout de l'histoire africaine, ressentir combien il est difficile de changer les choses politiquement et cultuellement mais aussi taper du pied et vous trémousser sur votre siège. Politique et musique font bon ménage dans ce film aussi plaisant que pertinent. 





 

jeudi 6 janvier 2022

Les Sirènes d'Es Vedra de Tom Charbit


L'Ardèche hors saison et une sorte de David Guetta se mettant au vert pour cause de début de surdité et d'acouphènes intempestifs forment le duo improbable de ce roman. Le DJ se prénomme Juan, jouit d'une petite quarantaine sans trop de scrupules vis à vis de l'argent ( les comptes en banque sont pleins car les sets à Ibiza ou dans tous les lieux branchés de la planète lui ont rapporté un max) et profite d'une sexualité joyeuse avec quelques beautés locales, insensibles à sa célébrité ( donc sans doute aimantées par son charme qui n'est jamais décrit dans le roman, ni réellement ressenti par le lecteur). Encore un livre branchouille pourrait-on penser à première vue, sauf que ce premier opus de Tom Charbit séduit d'emblée par une certaine nonchalance dans l'histoire qui ne sort jamais trop d'une certaine banalité mais qui aime à mêler amour d'une région ( longuement décrite sous tous ses aspects) prétexte à des digressions assez pêchues sur nos vies dans une société amoureuse de fric et de performance. Tout y passe ( ou presque) de la mondialisation à la maternité, du tourisme de masse à l'écologie. Au départ on pense à une resucée de Vernon Subutex de Despentes ( en mieux, car, faut l'avouer, la trilogie est loin d'être ses meilleurs écrits) qui aurait été un peu squatté par Houellebecq.

Assez nonchalamment, le roman avance de façon agréable, car jouissant d'une jolie écriture. On prend plaisir à ce séjour ardéchois qui se moque un peu de faire du grand romanesque avec de grands sentiments ( avec, quand même, un dernier tiers qui va s'y employer avec émotion), préférant se payer avec une certaine noirceur les nombreux travers de nos sociétés. Ainsi, sur le petit monde du livre, Tom Charbit fait dire à son narrateur : " Je vais arrêter de demander conseil à la libraire du village d'à côté, à chaque fois elle s'emballe pour un bouquin en me disant que c'est génial, alors qu'en fait c'est juste ce qui est sorti de mieux au cours des deux derniers mois.... Tu vois, au fond, je suis sûr qu'elle est convaincue d'être une passionnée de littérature alors qu'elle n'est qu'un petit soldat au service d'une énorme industrie. Quand j'étais DJ, moi aussi je passais mon temps à m'extasier sur des nouveautés qui si on les écoutait avec un poil de recul n'avaient en réalité strictement aucun intérêt." Alors, à l'aune de cette semonce bien pensée de l'auteur, disons donc que "Les Sirènes d'Es Vedra" se lit facilement, agréablement, n'enthousiasmera pas les grands amateurs de belles histoires  bien cousues ( très souvent de fils blancs) mais plaira à ceux qui aime toutefois être accompagnés par un joli style et de nombreux coups de griffes bien sentis ( peut être dérangeants). C'est déjà pas mal du tout, pas encore un grand roman, mais certainement mieux que "Anéantir" dont on nous rebat les oreilles ( grand auteur avec gros contrat oblige). 

Merci à BABELIO pour cette lecture en avant-première. 

mardi 4 janvier 2022

En attendant Bojangles de Régis Roinsard



Adapter un roman à succès est toujours un peu casse-gueule, tant la déception peut être forte auprès de tous les lecteurs qui se sont projetés dans une oeuvre de papier avec passion.  Pour porter à l'écran le roman d'Olivier Bourdeaut les producteurs ont mis le paquet. Un couple de comédiens stars , Virginie Efira et Romain Duris, des décors somptueux, des costumes en veux-tu en voilà. Tout pour donner au film un côté superproduction... Sauf, que le résultat laisse un peu de marbre. 
Le plus difficile dans cette adaptation, c'est de rendre à la fois attachante et palpable la folie de ce couple, qui vit en dehors des contraintes de la société, qui fait la fête, danse, boit du champagne, se moque de l'argent. Si tous ces éléments ( et bien d'autres) sont à l'écran, la mise en scène, sans doute anéantie, alourdie, par autant de contraintes à mettre à l'écran, n'arrive jamais à rendre ce côté totalement barré de la vie des personnages, se contentant de filmer assez platement un univers trop factice. Il manque beaucoup de folie dans la réalisation. Les acteurs ont beau jouer leur partition avec conviction, l'alchimie n'a pas l'air formidable entre eux et le petit garçon ( le fruit de leur union ) qui racontait l'histoire dans le roman, est le symbole du manque de parti-pris du film, qui hésite constamment entre son regard et celui d'un narrateur omniscient. 
Alors, on contemple cela comme un joli livre d'images vaguement foldingues, avec  des acteurs qui font ce qu'ils peuvent pour donner de la chair, de la folie à un ensemble qui en manque beaucoup trop. Toutefois, bravo à la marionnettiste qui anime Mlle Superfétatoire ( la grue domestique du couple), on croit réellement à sa présence vivante à l'écran. Alors, si vous aimez les oiseaux, allez-y, sinon... passez votre chemin, c'est raté!