samedi 27 mai 2017

L'amant double de François Ozon


"L'amant double" se révèle la quintessence du cinéma de François Ozon à la puissance 10. Tout ce qui en fait l'intérêt, à savoir les portraits fouillés de femme, son amour absolu pour les grands cinéastes du passé, ce jeu constant avec le spectateur sur les apparences, les images trompeuses qui montrent tout en suggérant autre chose, se trouve réuni dans ce thriller érotique.
En se basant sur un roman de Joyce Carol Oates que celle-ci a écrit sous le pseudo de Rosamond Smith, on sent déjà la duplicité qui unit les deux artistes, ce jeu de miroir qui est leur quotidien. Pourtant, le thème du roman comme du film, la gémellité , reste un sujet rabâché auquel le réalisateur va y accoler un exercice de style autour du désir féminin.
Sur cette histoire de femme fragilisée par des maux de ventre et dont l'analyse va tourner court pour cause de passion amoureuse entre patiente et thérapeute, François Ozon  plaque une palanquée de références cinématographiques aussi chics que parfois inutiles ( Polanski, l'inévitable Hitchcock, de Palma, Bunuel, Lang, ...), ainsi qu'une image ultra léchée qui magnifie des décors géométriquement pensés au millimètre. Tout cela en impose beaucoup, trop peut être, surtout que l'histoire se complexifie un peu plus à chaque scène. Le jeu de miroir ( au propre comme au figuré ), imposé par un scénario énigmatique rend le tout un peu plus lourd encore. A trop vouloir charger la barque psychanalytique de symboles variés, on frise l'indigestion. Trop beau ? Trop pensé ? Trop ambiguë ? trop clinquant ? Oui, sans hésitation, même si le film demeure toutefois agréable à regarder, une jolie lumière accompagne de beaux acteurs parfaitement convaincants.
Un petit détail cependant m'a fait plaisir. J'ai retrouvé le François Ozon de ses débuts, le frondeur, celui qui osait un peu défier la bien pensance ambiante. On trouve dans "L'amant double" des scènes de sexe comme on voit rarement dans ce genre de productions plutôt grand public. Sans les dévoiler, disons que le deuxième plan du film, gonflé et pour moi inédit, nous fait pénétrer très profondément dans l'intimité de son personnage féminin et une scène de sodomie, qui a fait rire nerveusement quelques spectateurs présents et fait sortir d'autres de par sa proposition, fait passer celle du beurre du dernier tango pour une bluette.
Cependant, malgré ce petit retour à l'insolence, "L'amant double", trop copieux, et trop maniéré, avec sa conclusion un peu décevante, fait figure de demi-réussite.



vendredi 26 mai 2017

Passages du désir de Cécile Huguenin



Cela aurait pu s'intituler "Tintin à Zanzibar" sauf que le jeune héros, en plus de n'être point accompagné d'un animal à quatre pattes, se prénomme Titus. Cela y ressemble un peu mais l'histoire ne nous dit pas si, en plus des ses désirs de voyage dans cet archipel de l'océan Indien, il a le crâne surmonté d'une petite houppette. Je parle de Tintin, car Cécile Huguenin y fait souvent référence, les nombreuses péripéties du récit ( parfois un peu grosses) possèdent ce charme romanesque un peu naïf des aventures du célèbre reporter belge.
Plus sûrement, le titre aurait pu être également " La vieille femme indigne" sauf qu'il est déjà pris et reste scotché à un beau film des années 60. Mais, en 2017, "indigne" est un adjectif que l'on n'accole plus aux personnes âg... aux seniors ...pardon... C'est d'ailleurs le thème principal de ce roman feel good. Quand on souffle sa soixante dixième bougie comme l'héroïne, la vie est loin de s'arrêter et si l'on ouvre bien  ses cinq sens, tout peut arriver !
Alors, comme Clara, l'intrépide héroïne, jetez au vent léger tout ce que la société avec son regard formaté et obsédé de jeunisme tente de vous imposer! Vivez, voyagez, rencontrez, échangez, soyez enfin vous-même et faites l'amour ! Ecoutez votre corps, laissez-le  faire et  dicter sa loi. Bien sûr, les extrémistes de tout poil ( et pas que ceux auxquels on pense en premier ) vous guettent et leur vision minimale du monde tellement  bousculée que vous les retrouverez inévitablement sur votre route, même à Zanzibar ! Mais la vie, surtout mature et libre c'est un combat !
'"Passages du désir" ( Pas sages ? ) raconte ce parcours hors-norme d'une femme au destin tout aussi particulier et qui découvrira de nouveaux plaisirs physiques très tardivement. Ce roman forcément optimiste, écrit simplement et librement, se propose d'être un booster de vie pour humains qui pourraient penser que l'âge arrivant, tout est fini !
Cécile Huguenin, auteure de la génération de son personnage principal,( pour rappel 70 ans !)  fait bien plus fort que Brigitte Macron, puisqu'un jeune homme de vingt-trois ans tombe raide dingue d'elle. Si l'on prend pour adage que "La vie est un roman", (  elle l'est,  et bien plus originale que dans les livres, tous les romanciers vous le diront), alors ce récit vous donnera une pêche d'enfer, surtout si vous êtes porteur de la carte vermeil.
Malgré quelques facilités narratives, "Passages du désir" pourrait devenir un best-seller dans toutes les villes balnéaires du sud de la France voire initier le vidage quelques EPAD, tellement leurs résidents auront envie de prendre la poudre d'escampette après avoir connu les amours de Clara et Titus.

Merci aux éditions Héloïse d'Ormesson et au site BABELIO pour la lecture de ce roman.


jeudi 25 mai 2017

Festival de Cannes 2017 ...vu du Mans (4)



Suivre le festival de Cannes de chez soi, à la différence du fan de tennis qui suit Roland Garros, c'est essayer de s'intéresser à un tournoi dont on ne verra quasi aucun match. ( Cette année seuls deux films français nous font l'honneur d'une sortie concomitante à leur présentation ). Cela peut apparaître frustrant voire complètement idiot. pourtant il doit bien y avoir un nombre assez important de cinéphiles en France à suivre cette course à la palme si l'on en juge par la place qu'elle prend toujours dans la plupart de nos médias. Remplissage ? Exception culturelle imposée à un public qui se moque de ce jeune réalisateur bosniaque et de son film narrant les émois d'un jeune migrant paraplégique et transexuel en voie de radicalisation  car préférant se ruer sur le cinquième volet des aventures d'un pirate surmaquillé ? Jolis espaces annuels offerts à notre industrie du cinéma , terre d'accueil bienveillante  pour cinéastes intellos en recherche de financement ?
Sans doute un peu tout cela. Mais vraiment, au fil des années, il me devient de plus en plus difficile de me passionner pour ce marché du film où se mélangent starlettes sponsorisées par des marques de luxe, critiques bouffis de leur supposée importance ( pas tous heureusement!) et chipotant sur des films dont ils camouflent avec art le côté abscons et des journalistes tenus d'afficher un enthousiasme démesuré pour des oeuvrettes qu'ils n'ont même pas vu ( eux non plus!) mais dont il faut tresser les louanges car produits ou en partenariat avec le support qui les emploie. Chaque mois de mai, pour peu que l'on soit attentif, les commentaires ne surprennent plus, proches du copier/coller.
Cette année, peut être plus que d'autres, un ronron lénifiant suinte de partout. Problème des sélections de moins en moins surprenantes ( difficile de trouver des films alliant créativité et rentabilité ?  ). Manque de piquant des oeuvres projetées ? Usure de cette représentation d'un monde si triste, qui s'étale à longueur de séance alors qu'il fait beau au dehors ? Flemme ...parce que bon, coco, il fait méga beau cette année, on va pas non plus passer nos journées enfermés dans notre chambrette, on a du métier, on ressort les archives ! ? Je ne sais.
C'est ainsi que l'on a retrouvé peu ou prou les mêmes remarques concernant l'un des chouchoutes des sélectionneurs, à savoir la réalisatrice japonaise Naomi Kawasé. L'ennui distingué qui semble se dégager de son dernier opus " Vers la lumière"  provoque les mêmes commentaires qu'il y a trois ans pour "Still water" ( mais on me dit que cette année, on évitera une longue séance de coupe de légumes, car, ouf, Naomi a découvert enfin les légumes en sachet ! Et je rassure ses fans, ils ne seront pas outre mesure déboussolés par ce changement radical, la mère mourante est toujours présente !)
La venue de Hong Sangsoo, cinéaste minimaliste rohmérien coréen, a fait ressortir in extenso les dithyrambes habituelles que l'on nous sert à chacune des sorties de ses nombreux films. Comme il n'a jamais été récompensé, les critiques espère que leurs louanges atteindront le jury qui ne voit peut être pas que ce cinéma assez répétitif mérite récompense. Vu de ma chaise, " Le jour d'après"en se présentant dans un beau noir et blanc ( Avez-vous déjà lu ou entendu quelqu'un au 21 ème siècle parler de noir et blanc moche ? ) innove dans l'image. c'est déjà ça, mais pas sûr que l'habituel marivaudage, souvent alcoolisé, me surprenne énormément. ( désolé, je ne suis pas un fan de HSS). Par contre, je me réjouis de retrouver dans un autre film du maître présenté cette semaine cette chère Isabelle Huppert qui m'avait fait mourir de rire ( involontairement ) dans "In another country". Il semblerait qu'elle ait troqué la tente Quechua pour, cette fois-ci, un ravissant bob prolo du plus bel effet !
Nous avons beaucoup vu aussi les protagonistes des " Proies" la dernière minauderie de Sofia Coppola ( je suis injuste, je ne l'ai pas vu !). Evidemment la cinéaste la plus mondaine du cinéma mondial attire les flashs, les compliments au mètre ( il suffit de ressortir ceux de la fois précédente) mais aussi, et c'est nouveau ( enfin!) quelques bémols, comme si l'insignifiance de son univers chichiteux commençait à traverser les lunettes de soleil de la critique.
Au milieu de tous ces habituels propos, deux comédiennes ont sensiblement émergé du lot ( et du coup deux films). Marina Fois d'abord, encore une fois parfaite dans le dernier Laurent Cantet et Laëtitia Dosch qui paraît illuminer de sa présence " Jeune femme" de Léonor Serraillle. Pour le reste le flot de films italiens, brésiliens, mais aussi vénézuéliens ou slovaques font figure de prétendants intéressants mais voués à une sortie confidentielle, et forcément inratable, dans une seule salle parisienne en novembre ou janvier. D'ici là, on aura largement oublié leur présence sur la Croisette. Même Vanessa Paradis, dans le film lituanien ( peut être un second rôle) de Sharuna Bartas n'a pas fait le buzz ! A quoi ça sert que notre star aille se geler en plein hiver en Ukraine pour récolter une telle apathie ?
Le festival avance, la fin est proche. il n' y aura plus que les pronostics d'un palmarès pour réveiller un peu tout cela.... Mais j'ai bien peur que tout se termine comme souvent, avec les mêmes commentaires d'incompréhension d'un jury bien sûr pas à la hauteur... 

mercredi 24 mai 2017

Rodin de Jacques Doillon


Et voici sur les écrans français un premier film en compétition à Cannes ! Doillon derrière la caméra et devant Lindon... de quoi faire monter le palmomètre de trois crans ! Alors une palme d'or  pour ce film ? ...J'espère que non mais en cherchant bien, s'il faut lui donner un prix, il va bien lui trouver quelque chose...
On pourrait, et ce serait mérité, lui attribué la palme de la plus belle photographie car, chaque scène baigne dans une atmosphère grisâtre qu'une lumière rasante vient magnifier, donnant aux personnages et aux sculptures une densité et un relief du plus bel effet.
Le tombé magnifique des blouses de travail de Rodin et de Camille Claudel, ce froncé dans le dos et aux épaules pour Vincent Lindon et cette coupe froncée près du corps pour Izia Higelin, façonné sans doute dans un vieux métis usé donnent à leurs mouvements une allure lourde et douce de grands animaux mélancoliques mérite la palme du plus beau vêtement de travail.
En cherchant bien, on peut lui trouver d'autres récompenses à ce film, car plus on y réfléchit, plus s'en présentent à l'esprit :
Palme du borborygme, du dialogue marmonné et rendu incompréhensible par une barbe fournie à Vincent Lindon pour son interprétation très intérieure de Rodin !
Palme de la comédienne dont on ne croit pas une seconde au personnage à Izia Higelin, peu crédible en Camille Claudel.
Palme de la comédienne portant le plus mal le costume d'époque à Séverine Caneele pour son rôle de Rose Beuret, qui a tout le temps  l'air de se rendre à bal costumé.
Palme du rendu passionnel raté à Jacques Doillon, où en accolant des bouts de vie de Rodin dans des cadres, certes hyper bien éclairés, mais dont la froideur annihile complètement toute la passion qui devrait s'y trouver, il n'arrive jamais à faire ressentir quoique ce soit, ni l'amour ou la détestation entre les êtres, ni la passion de Camille Claudel pour son art. Seul peut être Lindon, massif et modelant la terre, arrive à donner une sensation rentrée de grand sculpteur.
Palme de l'ennui Cannes 2017 ( bon, là, c'est peut être injuste, il y a peut être pire mais comme je n'y suis pas...) à Rodin de Jacques Doillon dont on ne voit plus le bout, tellement tout cela suinte le biopic chichiteux, intello et bavard dont on se demande quel est le but.
Vous l'aurez compris, "Rodin " est un film à palme mais pas forcément d'or...





lundi 22 mai 2017

Festival de Cannes 2017...vu du Mans (3)

Il faut un certain regard et même un sacré pour se frayer un chemin dans cette déferlante de films que chaque section propose. Je sais bien que je n'ai pas à les visionner sur la dizaine de jours que dure le festival, que j'aurai des mois pour les découvrir lentement dans les salles mais jetés en pâture dans la presse et sur le net, tous ces avis, souvent contradictoires donnent un peu le tournis. Je reste certain que j'apprécierai que l'on me rappelle la mention " festival de Cannes , un certain regard" lorsque tous ces longs métrages trouveront le chemin des écrans. De plus, de l'eau ayant coulé sous les ponts, les avis seront peut être moins tranchés et les prétendus presque chefs d'oeuvres refleuriront.
Des chefs d'oeuvres, on n'a pas l'impression qu'ils courent Cannes pour le moment. Comme d'habitude l'enthousiasme des uns s'oppose à la détestation des autres. Seul " 120 battements par minutes" de Robin Campillo semble faire un petite unanimité. ( Faut dire que le sujet porte peu à la controverse ). Hormis cela, rien ne ressort, ni le deuxième film Netflix, " The Meyerowitz stories" de Noah Baumbach,  sorte de sous Woody Allen, qui du coup fait regarder d'un meilleur oeil "Okja" présenté quelques jours avant, ni "The square" de Ruben Ostlund dont le manque de finesse a failli faire vomir le pain bagnat à 18,50 euros englouti trop rapidement par la critique. Michel Hazanavicius ( mais que diable fait-il dans la compétition ?) a évidemment déplu avec "Le redoutable". Faut dire qu'il cumule les défauts pour ce Cannes cinéphile. Non seulement il propose une comédie ( non mais vraiment quelle idée alors que nous sommes là pour faire un étââât du monde qui va si mâââl !) mais il ose en plus s'attaquer à l'icone absolue du cinéma arty, Jean Luc Godard, présenté, comme dans le roman duquel est tiré le film, comme un vrai personnage de comédie un peu grotesque.. Sa mauvaise presse ne faisait aucun doute mais, celui-là, je ne le manquerai pas !
Alors une perle, ailleurs, dans une de ces multiples sections parallèles ?
"Jeannette" de Bruno Dumont pourrait donner cette illusion. Imaginez, des poèmes de Péguy, mis en musique mais aussi dansés sur une chorégraphie de Philippe Decouflé, le tout pour nous conter la jeunesse de Jeanne D'arc façon comédie musicale , avouez que l'on pourrait tenir l'originalité du festival.... J'y crois un peu mais mon enthousiasme de spectateur se refroidit pas mal en lisant quelques déclarations qui puent le mystico/religieux. Peut être que le nouveau Michel Franco "Las hijas de abril" avec cette mère qui s'enfuit avec l'amant de sa fille pourra donner l'illusion d'une certaine originalité voire, mais c'est son habitude, d'une radicalité dérangeante. Cependant, je doute fort du potentiel fédérateur du réalisateur de " Chronic"
C'est encore du côté du documentaire qu'il semble y avoir quelques pépites. "The rider" de Chloé Zhao sur un cow-boy blessé dans une Amérique meurtri apparaît comme un portrait fort et symbolique d'un monde qui s'écroule, tout comme ( et toujours chez Acid) l'intrigant "Sans adieu" de Christophe Agou qui a suivi durant quinze années un monde rural du Forez appelé à disparaître. Dans une moindre mesure, le documentaire d'Agnès Varda et JR, lui aussi est porteur de jolis espoirs de plaisir, même si quelques grincheux semblent trouver la performance des artistes un peu vaine et fabriquée.
 Je cause, je cause, alors que je n'ai vu que quelques secondes de ces films dont je commence à rêver. Par contre, je me suis usé les yeux sur le net, dans la presse. Bien sûr, rien à voir avec les galériens cannois, qui doivent s'enfermer dans les salles alors que le soleil les invite vers la plage. Et c'est là, où je me sens un avantage à suivre le festival de chez moi : je peux le faire de mon jardin, au soleil ! Je me permets de parler du Cannes 2017  ET prendre des couleurs ! Qui dit mieux ?


dimanche 21 mai 2017

Leçons pour un jeune fauve de Michela Murgia


Eleonora promène sa stature de grande comédienne dans les rues de Cagliari. Un soir, lors d'un dîner dans un restaurant, un jeune homme, apprenti violoniste, l'aborde. Sa fougue, son culot, l'intriguent et quand il lui demande de but en blanc devenir son mentor, elle accepte.
Chirù, son désormais élève, s'avère ne pas être le premier auquel elle va essayer d'ouvrir les portes de la réflexion, du monde artistique et de faire éclater le talent qui sommeille en lui. Par trois fois, Eleonora a joué les Pygmalion auprès de jeunes garçons. Ces relations qui peuvent apparaître étranges vues de l'extérieur, ne sont finalement que la traduction d'un passé compliqué avec une famille dysfonctionnelle et d'une vie finalement solitaire et sans enfant. A la fois mentor, coach social, professeur de philosophie, sans doute mère de substitution, Eleonora ne couche jamais avec ses protégés même si l'attachement qui les lie pourrait les faire basculer dans une relation également sexuelle.
La trame du roman est ténue. Nous suivrons la relation ambiguë mais sans grandes surprises de ces deux personnages du premier jusqu'au dernier échange. Le romanesque n'est pas de mise mais le texte fait très forte impression car au-delà de l'anecdotique de cette histoire, Michela Murgia en profite pour sonder le coeur et l'âme de son héroïne dans ce moment de la vie où tout peut basculer. Et franchement, c'est du grand art ! Mêlant finement passé et présent, brossant un portrait sans fard de cette comédienne qui pourtant en utilise aussi bien dans sa vie que dans son métier, le récit en profite également pour sonder notre société. Les familles toxiques, l'enfance dépréciée, leurs influences sur la vie d'adulte, mais aussi l'art, l'éducation, la vie mondaine, la solitude, l'amour sont quelques uns des  thèmes que l'auteure analyse avec une grande finesse et surtout un style impressionnant. Sans jamais paraître péremptoire, elle fait surgir dans ses descriptions des idées, des points de vue qui appellent à la réflexion ou qui nous paraissent sublimes de clarté et d'intelligence. On a envie de relire, de noter des phrases ( et d'ailleurs on le fait). Que ce soit lors d'une visite chez un grand tailleur où elle fait découvrir les tissus à son protégé, une soirée mondaine, un voyage en Suède, rien n'échappe au regard pointu et précis de Michela Murgia, tout fait sens, tout nous emporte bien au-delà d'une simple histoire de compagnonnage.
Je l'avoue, c'est le premier roman que je lis de cette auteure italienne mais surement pas le dernier. Il est si rare de sortir d'un roman grandi, éclairé par une pensée forte et ferme qu'il est évident que la lecture de ses précédentes oeuvres apparaît comme indispensable. "Leçons pour un jeune fauve " vaut beaucoup mieux que ce titre français un peu trompeur ( en Italie, c'est simplement le prénom du jeune homme), car, même si les chapitres sont intitulés " Première leçon, ...), il s'agit bien plus du formidable  portrait d'une femme au mitan d'une vie, dont le chemin va soudain prendre une autre direction.   

samedi 20 mai 2017

Festival de Cannes 2017...vu du Mans (2)



Après deux jours de compétition, de déjà quelques polémiques, d'un petit flot de films diversement accueillis que ressens-je depuis le pays de la rillette ? Une petite impatience d'être fin août, date des premières sorties de ces films qui se montrent sur la Croisette, se fait déjà sentir.
Les 4 longs métrages présentés en sélection officielle semblent loin de faire l'unanimité. Evacuons "Okja", le produit Netflix que nous ne verrons pas au cinéma. Je ne sais si c'est par pure défense du système, mais malgré la présence de la toujours singulière Tilda Swinton, le nouveau Bong Joon-ho provoque plus de moqueries que de compliments. Pas encore aujourd'hui que je vais verser ma dîme à Netflix pour regarder un téléfilm ( avec en plus un Jake Gyllenhaal soit disant épouvantable et en roue libre).
Les trois restants paraissent posséder un certain nombte d'éléments alléchants, assez pour que l'on puisse d'ors et déjà les inscrire sur notre carnet de bal.. "La lune de Jupiter" en s'emparant d'une thématique autour des migrants ne peut que s'attirer la sympathie des siroteurs de mojitos dans les fêtes cannoises, même si le film hongrois a pu en agacer certains par sa mise en scène électrique et son fond très, trop spirituel ( mais pas christique ). Décevants aussi pour mal de critiques, les deux nouveaux opus de deux réalisateurs chouchous, Todd Haynes et Andreï Zviagintsev, mettant en vedette des enfants. Le premier, en abandonnant son thème de prédilection autour des relations ambiguës, ne convainc pas tout le monde avec une histoire parallèle de gamins sourds, seule la photographie fait l'unanimité. Le deuxième, comme toujours avec un discours politique sous-jacent et une absolue beauté du cadre, divise par soit trop de noirceur, soit par son côté donneur de leçon. Ce non consensus me titille pas mal et je suis certain que lors de leur sortie à l'automne, les critiques vireront à l'éloge.... comme celles, absolument poisseuses de cirage, proférées ad nauseam par les commentateurs de la montée des marches de la télé du festival.
Finalement, et cela devient une habitude, c'est dans les sections parallèles que semblent émerger les films les plus tentants. A la quinzaine des réalisateurs, Juliette Binoche  illuminerai"Un beau soleil intérieur " de Claire Denis ( même si cette dernière,  filmant un coton tige dans un cendrier pendant 1h30 ferait s'esbaudir la presse tellement elle a le ticket). Le "Barbara" de Mathieu Amalric, non pas biopic, mais critique de biopic ( bien plus auteur!), présenté en ouverture d'Un certain regard,  dont je  soupçonne le calquage sur le côté poseur du dernier Desplechin ( les articles ampoulés et pleins de circonvolutions intellos et gênées n'arrivent pas à cacher le côté sans doute un peu arty/chiant du truc), m'attirera comme un festivalier à une soirée Magnum grace à la présence de Jeanne Balibar. 
Il y a cependant un film qui tire son épingle du lot dans ce flot de rédactionnel divers et varié, c'est "Juste avant l'été" le  documentaire franco-suisse de Maryam Goormaghtigh, road-movie de trois amis iraniens sur les routes de notre pays. On parle de générosité, de burlesque, d'onirisme pop, d'existentialisme, ... Malgré la même photo de trois mecs, pas avenants, vautrés sur des transats qui illustre systématiquement les articles, passer un moment avec eux sera, je le sens,  l'incontournable de la rentrée ( surtout si l'on veut briller dans les conversations chics du bar di ciné art et essai de votre ville).  Ce film, présenté dans la sélection Acid, qui n'est pas un quelconque  vitriol pour le festival mais bien l'Association des Cinémas Indépendants pour la Diffusion, propose une programmation qui s'avère de plus en plus (im)pertinente au fil des années ( l'an passé y fut présenté le magnifique "Le parc" de Damien Manivel). Du coup, c'est leur affiche que j'ai mis en ouverture de ce billet ( et dire qu'ils n'ont droit qu'à un misérable 1/8 de page dans le numéro spécial Cannes du film français !)... Et  partie comme elle est partie, c'est sans doute de la dynamite ! 


vendredi 19 mai 2017

L'été de " La tempête " de Craig Higginson


Thomas, le narrateur, assistant metteur en scène à Strafford-upon-Avon, le ville du théâtre shakespearien, apprend son métier auprès d'Harry Greenberg,  célèbre  pour ses mises en scène inspirées dont "La tempête" est la production vedette de cet été là. Thomas papillonne silencieusement autour  de Lucy, actrice au fort pouvoir émotionnel tant sa peau prend magnifiquement la lumière et dont il espère un regard un tant soit peu amoureux.  Celle-ci vit un amour plutôt vache avec un dénommé Peter resté à Londres. Mais voilà que Lucy va flasher sur Kim, beau jeune-homme dit un peu faible intellectuellement mais quand même conducteur d'une navette fluviale. Sous le doux soleil estival, un marivaudage va éclore jusqu'à ce que Peter, la jalousie en bandoulière, va découvrir son infortune et mettre fin à ses jours. Cette mort va sérieusement bouleverser la jeune comédienne mais également tous les rapports amoureux des personnages, surtout que le metteur en scène vieillissant va apprendre qu'il est le père d'une jeune fille cachée par une ancienne maîtresse.
De l'amour, des sentiments, la mort qui va et qui vient, des personnages qui peuvent faire penser à d'autres, plus anciens mais créés au 16 ème siècle par le génial William, le roman a des allures de pièce de théâtre, sauf que la vie est plus forte que l'imagination de n'importe quel dramaturge. Comme nous suivons les événements avec le regard très subjectif de Thomas, jeune homme timide et sans doute puceau au début de cet été, c'est une vision un peu timorée des différents aspects de l'amour qui nous est offerte. L'amour romantique tout d'abord, avec ses promenades en barque, ses chapeaux fleuris et ses effleurements, l'amour plus trivial où une nature luxuriante attise les sens, l'amour caché, enfui qui ne s'efface jamais, l'amour qui consume et qui tue, l'amour d'un soir, l'amour toujours qui résiste à toute les épreuves. L'auteur ajoute aussi d'autres variations, comme l'amour pour un art ( ici le théâtre) mais aussi l'amour réciproque d'un homme et d'un animal.
Ce catalogue amoureux possède un certain charme mais peine à convaincre complètement. C'est charmant, un poil désuet, mais, malgré un certain nombre de péripéties, le roman n'arrive jamais à se départir d'une certaine raideur et surtout d'un style un peu platounet. Alors, c'est sans passion que j'ai suivi tout ce petit monde dans sa quête de l'amour. Le roman m'a rappelé un bon fauteuil  anglais, celui que l'on aime retrouver mais dont le confort nous empêche parfois de faire des activités plus intéressantes que celle de somnoler sur son assise moelleuse. C'est joli, gentil, frais, parfois pertinent mais il manque sans doute ce petit plus qui va nous pousser à le recommander. A conseiller peut être aux amateurs de campagne anglaise...

jeudi 18 mai 2017

Les fantômes d'Ismaël de Arnaud Desplechin


Je le dis d'emblée, je n'ai jamais été fan du cinéma de Mr Desplechin. "Les fantômes d'Ismaël" confirment que je ne parle pas et ne parlerai jamais le "Desplechin" comme se plaît à dire le réalisateur. Je n'arrive pas à m'intéresser aux méandres de sa biographie éclatée et redigérée de film en film, à cet amoncellement de références qui plaisent tant aux fans énamourés, en vrac ses histoires familiales, ses personnages récurrents auxquels il apporte une nouvelle facette à chaque fois, créant ainsi une oeuvre que beaucoup jugent subtile et passionnante car agrémentée de thèmes ou de variations comme le romanesque exacerbé, la dépression, le politique, l'intime, la judéité, la création, la vieillesse, la pétanque ( heu, non, je m'égare...). Sur le papier, cela apparaît diablement passionnant, mais à l'écran entre une hystérie toujours tapie au coin d'une scène, de nombreuses pauses artistiques et un montage tarabiscoté, l'effet produit chez moi est surtout de l'ennui.
Le film débute par un repas de diplomates, se poursuit par une pénible scène dans un intérieur parisien où un vieux monsieur fait un cauchemar, puis s'aère à Noirmoutier, où Amalric et Gainsbourg passent des vacances pépères jusqu'à l'arrivée de Cotillard de retour après 20 ans d'absence et venue ingénument récupérer son mari.  Dès le premier quart d'heure les dialogues les plus improbables entendus depuis des lustres mettent à mal une histoire déjà foutraque, posant le film sur des rails dont le spectateur ne perçoit que le grincement des aiguillages. La suite ?  C'est un festival de scènes qui partent souvent en live, maniérées ou passablement confuses. D'une ambiance prétendument romantique en un quart de seconde on passe à l'hystérie puis parfois à un soi-disant burlesque qui sied au réalisateur comme un chapeau mexicain sur la tête d'Edouard Balladur ( Je sais, c'est sa marque de fabrique, mais je ne m'y fait pas...) Les comédiennes essaient de prendre un air concerné en débitant leur texte ampoulé et naze. Charlotte Gainsbourg ferraille dur avec une caméra qui la filme mochement et dont le regard semble se demander ce qu'elle fait là. Marion Cotillard arrive à illuminer un peu son personnage même si l'on ne croit pas un instant qu'elle comprenne réellement ce qu'elle dit. Hippolyte Girardot hérite d'un rôle de producteur paré de tous les clichés possibles et surjoue un personnage digne d'un film de Philippe Clair ( mais le film s'ingénie aussi à citer Hitchcock, Bergman, Truffaut, Van Eyck, Pollock, bien plus chics). Seul Louis Garrel semble s'amuser, ayant sans doute compris que dans ce galimatias de situations ineptes, prendre la tangente de la dérision était la seule façon possible de s'en sortir honorablement.
De mise en abyme en dédales psychanalytiques, le film avance péniblement, se fichant complètement de toute cohérence scénaristique, psychologique, voire filmique (  faux raccord d' Allociné va se régaler). Patchwork cinématographique très improbable, "Les fantômes d'Ismaël" possède tous les éléments d'un cinéma narcissique et possiblement masturbatoire, qui plaira à quelques initiés mais dont la vanité auteuriste fera fuir impitoyablement les spectateurs venus pour les stars. Ils feront comme beaucoup cet après-midi lors de la projection, ils quitteront la salle fâchés de s'être fait encore avoir par cette promo infernale et pesteront une fois de plus sur ce Cannes encensant ( au choix) des navets ou des oeuvres cultivant l'entre-soi.


mercredi 17 mai 2017

Festival de Cannes 2017 ...vu du Mans (1)


La folie médiatico/cinématographique cannoise débute aujourd'hui. Cannes, cette ville à mémères et pépères pourvus de bouledogues français ( plus tendances désormais que le caniches abricots, les riches seniors sont aussi des fashions victimes), se couvre donc de paillettes et de poudres diverses ( ben oui, pour le maquillage...vous pensiez à quoi ? ). Toute la "famille " du cinéma mondial s'y retrouve avec ses allures de peuple d'en haut, persuadés que ceux du bas rêveront encore devant les stars pimpantes, ripolinées de frais par des officines qui ont doublé leur chiffre d'affaire le mois précédent leur pose sur le tapis rouge. En cette période de franche fracture sociale, leur dandinements influera-t-il sur les prochaines élections ?
Cependant, et il faut le souligner, la majorité des festivaliers, exploitants, programmateurs, personnel de production,  les petites mains du système, sont eux aussi de la fête. Logés dans des chambrettes obscures louées à prix d'or par une population locale qui fait son beurre, pestant contre l'organisation, s'envoyant parfois 8 films par jour après avoir subi les nombreuses fouilles de rustres vigiles et les attentes interminables de projection tout en  avalant des sandwichs jambon/beurre dont le prix équivaut à l'abonnement annuel de la carte UGC, ils considèrent cette dizaine de jours comme un véritable chemin de croix cinéphilique. Mais ce sont les mêmes qui arborent fièrement leur accréditation et qui depuis deux mois, glissent invariablement dans leurs conversations, avec cet air faussement blasé qui n'arrive pas à masquer leur fierté : " Pfff ! Ouais...je vais encore à Cannes cette année...c'est galère !".
Même sans en être, Cannes, pour moi, reste une période où je me plonge dans ce qui est une affolante bande annonce pour les mois qui viennent, long travelling sur des objets de désir qui devraient nourrir ma petite passion cinéphile durant les prochains automne et hiver. Encore une belle exception française que cette immense exposition médiatique pour le cinéma, même s'il s'agit d'oeuvres qui sont désirées par de moins en moins de gens. On sent bien par ailleurs que nos exploitants et programmateurs font essentiellement leur marché à Cannes, prouvant leur confiance quasi aveugle aux programmateurs du festival. Remarquez, il est sans doute plus agréable ( moins onéreux peut être) de faire ses emplettes en mai au bord de la Méditerranée qu'en hiver dans le froid à Berlin, ou à la rentrée à Venise ou à Toronto. ( Je bosse moi !)...
Ce mélange de paillettes et de "prise de température de l'état du monde par les plus grands créateurs de la planète" apparaît pourtant un peu plus explosif chaque année tant les fractures sociales et culturelles se creusent à la même vitesse que la fonte des glaces. Mais je reste un inconditionnel rêveur, pensant encore que la culture, bien promue, peut adoucir le monde. Alors, comme un rendez-vous quasi amoureux, depuis mon fauteuil, depuis Le Mans ( je sais, ça ne fait pas du tout glamour) , je me plongerai dans les articles de presse, suivrai sur le net, regarderai la chaîne du festival, téléchargerai son appli et donnerai mon sentiment sur tout cela, en toute naïveté, modestie mais sans connivence.
Je n'aurai donc pas besoin de poser un escabeau dès 8 heures du matin aux abords du palais des festivals, avec le secret espoir de pouvoir apercevoir au pire Nicole Kidman, au mieux Katia Tchenko ( ou l'inverse). Non, la montée des marches n'est pas ce qui me fait fantasmer. Ni l'insupportable photo-call que retransmettent les télés où les stars du jour minaudent et font comme si ils étaient les meilleurs copines du monde. Par contre, il s'avère assez rigolo de suivre les conférences de presse des films en compétition, petit moment décalé qui laisse souvent pantois, où l'animateur chargé de ce happening fait verser Michel Drucker dans la catégorie " fielleux", où les protagonistes du film présenté semblent avoir été tirés du lit après une nuit de libations et où des journalistes du monde entier posent des questions hallucinantes de banalité.
Même si cette année encore, peu de films sortent dans la foulée de leur présentation sur la Croisette, je vais tenter, en auscultant presse et internet, de donner mes impressions, sans doute déformées par le rendu média, de ce grand marché du film. Car voyez-vous, même depuis Le Mans, je l'aime ce festival, lieu de tous les désirs et de tous les fantasmes, mettant en valeur un art passionnant et toujours en mouvement.


samedi 13 mai 2017

L'été des charognes de Simon Johannin



Le titre empêche toute projection dans un roman à l'eau de rose... et, pour certain, il sera bon d'accompagner cette lecture d'un liquide parfumé tant les mauvaises odeurs exhalent de ces 140 pages.
Nous sommes plongés au coeur d'un été dans un hameau montagneux nommé La Fourrière, que je situerai dans ces zones pyrénéennes où la civilisation semble avoir oublié de passer. Loin de tout, dans une époque difficile à situer ( peut être dans les années 70), un garçon d'une dizaine d'années raconte ses vacances. Si le ton est celui d'un enfant, le propos fera dresser sur les cheveux sur la tête du fan du petit Nicolas, adepte de ces récits à la fraîcheur espiègle. Dès les premières phrases, il nous raconte la lapidation gratuite d'un chien qui avait la malchance de passer à portée du narrateur et de son copain. La suite sera du même acabit, une longue randonnée au milieu d'animaux qui pourrissent, des flaques de crachats, de vieux très sales en slip et aux couilles pendantes qui dépassent, de  raclées, roustes, torgnoles diverses et variées, de beuveries et du vomi qui s'en suit, d'excréments, de saleté, une sorte d'affreux, sales et méchants totalement hallucinée. Ca pisse, ça rote, ça vomit, ça cogne, ça torture des animaux, ça égorge des poules, des cochons, ça vide des intestins, ça fouille le sol à la recherche d'ossements, ça empile des cadavres animaux au soleil, ça pue, ça se roule avec plaisir dans la crasse. Puis, avec la rentrée des classes et sans doute l'entrée au collège du jeune héros, le ton s'adoucit. L'adolescent rencontre l'amour toujours avec cette intense fureur organique mais où apparaît un peu de douceur...
Ce texte ne laisse pas indifférent. Si l'on sort de la comtesse de Ségur, la secousse sera optimale. Si l'on est un jeune urbain n'ayant jamais attrapé un poulet pour en faire son repas de dimanche, on sera peut être épaté. Pour d'autres, comme moi, ayant passé ma jeunesse à la campagne ( et dans les livres ), on sera sans doute plus circonspect face à ce récit. Quel est le projet de ce roman ? En mettre plein la vue avec une surenchère de laideur ? Poser des mots sur une certaine fascination pour la crasse et la violence paysanne ? Je n'arrive pas à savoir. L'ensemble m'apparaît plus comme une sorte d'exercice de style un peu vain, parfois un peu gratuit, pas toujours cohérent. Cependant, on ne peut faire l'impasse sur le style de ce premier roman. Nul doute que Simon Johannin en possède un, capable de créer un univers, une atmosphère, mêler un brin d'innocence avec l'horreur, s'envoler vers un beau lyrisme halluciné lorsque le héros tombe dans la drogue. Mais tout ça pour nous dire quoi au juste ? La rudesse de la vie au fin fond des régions ? Désacraliser le monde soi-disant merveilleux de l'enfance ? Je ne suis pas convaincu, ni épaté d'ailleurs.
"L'été des charognes", même assez brillamment écrit, n'est pas arrivé à me passionner. Cet univers qui se veut répulsif n'arrive pas à décoller réellement, préférant patauger dans sa fange et sa noirceur sans en faire ressentir le but exact.

jeudi 11 mai 2017

Problemos de Eric Judor


Noé Debré et Blanche Gardin, les scénaristes de cette comédie très atypique, sont bien trop jeunes pour avoir connu les retours à la nature, les communautés dans le Larzac ou autres lieux campagnards  nées après 1968. Par contre, on sent bien que leurs oreilles ont beaucoup traîné et écouté les zadistes de Notre dame des Landes ou les nombreuses discussions pendant le mouvement " Nuit debout". En résulte une réjouissante comédie, certes foutraque et mal fichue, mais tellement loin des standards habituels qu'elle en devient très sympathique.
L'histoire démarre très vite avec l'arrivée d'un couple urbain moyen dans une communauté ardéchoise, repliée au fond d'une gorge, en lutte contre un projet de parc aquatique. Le lien entre ces trentenaires pas encore adeptes de la déconsommation et du retour au naturel ? L'ex professeur de yoga de madame, premier personnage frappadingue d'une galerie fort nombreuse. Notre couple découvrira la dictature d'une pseudo bien-pensance faite de polyamour, de chamanisne, d'allergie photo-électrique, de permaculture et autres hobbies sortis tout droit du magasin bio tout prêt de chez vous. Cette joyeuse communauté qui ne fait de mal à personne se retrouve soudain seule au monde, une pandémie foudroyante ayant décimé le pays sauf eux. Et là, tout va tourner un peu vinaigre, façon "Sa majesté des mouches" mais version sitcom légère.
Ce "Lost" déjanté va alors partir un peu dans tous les sens, mais aussi installer un jeu de massacre hilarant. Du parisien veule et calculateur, au petit bricoleur de génie aux pensées libérales, du clodo puant renommé chamane pour expliquer sa sournoise mise à l'écart à la féministe aux méthodes naturelles pour enlever les mauvaises odeurs d'une chatte ( pas l'animal...)  ( une infusion d'hibiscus en emplâtre interne), personne n'est épargné. Les discussions absconses vont succéder aux chants militants. Petit à petit l'humain va refaire surface avec sa méchanceté, sa cruauté finalement assez naturelle.
En cette période électorale mouvementée, "Problemos" apparaît comme un défouloir caustique et régressif et assume son côté potache. Ca fuse dans tous les sens.  Trop peut être. Le scénario peine à convaincre et ressemble plutôt au premier épisode d'une sitcom, exposant des héros bien caractérisés, mais sans leur donner une réelle ampleur. On notera aussi, hormis Eric Judor et Blanche Gardin, que les comédiens choisis, tous excellents, sont de parfaits inconnus et apportent ainsi un fraîcheur supplémentaire certaine. Pas totalement réussi mais tellement éloignée des comédies qui fleurissent semaine après semaine sur les écrans,  ce troisième film d'Eric Judor mérite le coup d'oeil !



mardi 9 mai 2017

Snjor de Ragnar Jonasson


Et si Agatha Christie s'était réincarnée en homme ? Franchement, à la lecture de "Snjor" ( neige si l'on veut une traduction, et dont le titre original " Snjoblinda" signifie " aveuglement dû à la neige" ... merci à F. pour ces précisions), on pourrait penser que désormais notre chère reine du polar anglaise  vit en Islande sous le nom ( pseudo ?) de Ragnar Jonasson. L'intrigue, la petite ville de province, les personnages nombreux et ayant tous un secret à cacher, rappellent indubitablement la célèbre romancière. Seul le héros, un jeune flic fraîchement sorti de l'école de police rafraîchit le genre en reléguant aux oubliettes les vieux enquêteurs à la Poirot ou à la Marple,
Le roman débute par la mystérieuse découverte dans la neige d'un corps féminin a demi dénudé et baignant dans son sang. Puis, dans des chapitres en italiques, une femme se fait agresser chez elle, sans que l'on sache quand, ni où . Construit de façon assez subtile, le roman nous fait pénétrer petit à petit dans le coeur d'une histoire qui ne s'emballera jamais, mais qui distille une bonne dose d'inconnu pour attraper le lecteur sans jamais le lâcher jusqu'à la fin. La jolie campagne anglaise est troquée ici par un petit port de pêche isolé du nord de l'Islande, où tout le monde se connaît ( ou croit se connaître), où chacun épie l'autre et où surtout est nommé un jeune policier, Ari Thor, aussi sympathique que novice et impulsif. Ses déambulations dans ce village, ses visites et interrogatoires chez les nombreux personnages qui gravitent autour des victimes sont aussi des prétextes pour nous faire pénétrer dans la vie des islandais. L'importance du froid, de l'isolement sur cette petite communauté aux apparences si tranquilles, le détail de certaines us ou coutumes  apportent au récit un supplément d'âme, glissant un léger contenu sociologique au milieu d'une intrigue forcément oppressante puisque tout ce joli monde se retrouve totalement isolé par des congères alors que rôde un assassin...
"Snjor" parvient à se hisser au niveau d'un Indridason, prouvant encore une fois, que le polar venant du nord a encore de beaux jours devant lui, comme si les longues nuits polaires stimulaient, encore et toujours, l'imagination de ses habitants. Je me jetterai sans problème sur la nouvelle parution de cet auteur que je recommande aux amateurs de romans policiers softs. 

lundi 8 mai 2017

D'après une histoire vraie de Delphine de Vigan


Il y a des romans qui restent sur l'étagère. Parfois, ils sont achetés sur un coup de tête ou comme celui-ci parce que le précédent de l'auteure m'avait emballé, mais, allez savoir pourquoi, leur lecture est constamment repoussée. C'est sans doute l'adaptation et la projection à Cannes de sa version cinématographique par Roman Polanski qui m'a poussé à ouvrir le septième roman de Delphine de Vigan.
Dès le début, je me suis demandé pourquoi j'avais autant attendu. Le récit nous attrape dès les premières pages. L'habileté de l'auteure à nous faire pénétrer dans son intimité ( ou prétendue comme telle), mélange d'une écriture virtuose et d'une narration à la première personne, joue parfaitement sur l'ambiguïté ( récit réel ou non ? ) et donc intrigue le lecteur. Le texte a les apparences de la réalité. Delphine se débat avec les après d'un best-seller, ses retombées porteuses d'interrogations quant à l'écriture d'un nouvel ouvrage attendu au tournant. On imagine que c'est bien sa vie qu'elle décrit, ses jumeaux adolescents, son appartement, sa vie de romancière entre salons et dédicaces, son amoureux  célèbre ( François Busnel). Et du coup la rencontre avec L., jeune femme subtile mais au final un poil mystérieuse, qui va petit à petit s'imposer comme une amie proche, très proche, tellement proche qu'elle arrivera à faire le vide autour de la romancière, reste totalement crédible. On y croit, on marche, on court. Le réel, la fiction se mélangent habilement jusqu'à nous faire totalement oublier que tout cela relève d'une virtuosité diabolique. Le style est brillant, le regard porté sur le travail d'écrivain et son angoisse de la page blanche très convaincant. Au fil des pages, l'angoisse monte doucement jusqu'à donner à ce roman des allures de thriller.
Mais soudain, patatras ! La trame si finement serrée, construite avec patience s'effondre dans les quarante dernières pages. Soudain, le récit s'accélère, lorgnant énormément sur le "Misery" de Stephen King mais de façon trop rapide pour être crédible. Une fois l'affaire terminée, bâclée en quelques paragraphes, pourquoi essayer de donner des explications ? La magie de l'invention devient procédé. Au lieu de laisser le doute planer dans la tête du lecteur, on lui assène des  explications qui du coup enlèvent toute la géniale ambivalence inaugurale du récit, achevant le roman de façon  un peu trop démonstrative. L'auteure sent bien qu'il ne faudrait rien lâcher sur la fabrication de son livre mais, elle ne résiste pas au plaisir de se démasquer un peu, comme une enfant espiègle trop contente de nous avoir berné. Alors, même si elle essaie contenir l'ambiguïté, le mal est fait. On devine le procédé...et c'est un peu dommage.
Reste, un roman vraiment passionnant, génial mélange d'autofiction, de thriller psychologique et de documentaire sur la vie littéraire française mais qui rate juste le dernier obstacle, la fin.