dimanche 21 mai 2017

Leçons pour un jeune fauve de Michela Murgia


Eleonora promène sa stature de grande comédienne dans les rues de Cagliari. Un soir, lors d'un dîner dans un restaurant, un jeune homme, apprenti violoniste, l'aborde. Sa fougue, son culot, l'intriguent et quand il lui demande de but en blanc devenir son mentor, elle accepte.
Chirù, son désormais élève, s'avère ne pas être le premier auquel elle va essayer d'ouvrir les portes de la réflexion, du monde artistique et de faire éclater le talent qui sommeille en lui. Par trois fois, Eleonora a joué les Pygmalion auprès de jeunes garçons. Ces relations qui peuvent apparaître étranges vues de l'extérieur, ne sont finalement que la traduction d'un passé compliqué avec une famille dysfonctionnelle et d'une vie finalement solitaire et sans enfant. A la fois mentor, coach social, professeur de philosophie, sans doute mère de substitution, Eleonora ne couche jamais avec ses protégés même si l'attachement qui les lie pourrait les faire basculer dans une relation également sexuelle.
La trame du roman est ténue. Nous suivrons la relation ambiguë mais sans grandes surprises de ces deux personnages du premier jusqu'au dernier échange. Le romanesque n'est pas de mise mais le texte fait très forte impression car au-delà de l'anecdotique de cette histoire, Michela Murgia en profite pour sonder le coeur et l'âme de son héroïne dans ce moment de la vie où tout peut basculer. Et franchement, c'est du grand art ! Mêlant finement passé et présent, brossant un portrait sans fard de cette comédienne qui pourtant en utilise aussi bien dans sa vie que dans son métier, le récit en profite également pour sonder notre société. Les familles toxiques, l'enfance dépréciée, leurs influences sur la vie d'adulte, mais aussi l'art, l'éducation, la vie mondaine, la solitude, l'amour sont quelques uns des  thèmes que l'auteure analyse avec une grande finesse et surtout un style impressionnant. Sans jamais paraître péremptoire, elle fait surgir dans ses descriptions des idées, des points de vue qui appellent à la réflexion ou qui nous paraissent sublimes de clarté et d'intelligence. On a envie de relire, de noter des phrases ( et d'ailleurs on le fait). Que ce soit lors d'une visite chez un grand tailleur où elle fait découvrir les tissus à son protégé, une soirée mondaine, un voyage en Suède, rien n'échappe au regard pointu et précis de Michela Murgia, tout fait sens, tout nous emporte bien au-delà d'une simple histoire de compagnonnage.
Je l'avoue, c'est le premier roman que je lis de cette auteure italienne mais surement pas le dernier. Il est si rare de sortir d'un roman grandi, éclairé par une pensée forte et ferme qu'il est évident que la lecture de ses précédentes oeuvres apparaît comme indispensable. "Leçons pour un jeune fauve " vaut beaucoup mieux que ce titre français un peu trompeur ( en Italie, c'est simplement le prénom du jeune homme), car, même si les chapitres sont intitulés " Première leçon, ...), il s'agit bien plus du formidable  portrait d'une femme au mitan d'une vie, dont le chemin va soudain prendre une autre direction.   

1 commentaire:

  1. Au fur et à mesure de ma lecture,j ai moi aussi relevé beaucoup de jolies phrases.Quelle belle description des sentiments,des émotions, à notre tour,on se sent vite envoûtée...et il est difficile de faire des pauses,d'attendre la prochaine leçon...

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