dimanche 28 avril 2019

Le dernier roi soleil de Sophie des Déserts


Honnêtement, les quelques livres parcourus de Jean d'Ormesson me laissaient, au mieux indifférent, au pire complètement rasé par un verbiage souvent égocentrique avec, parfois, au milieu d'un flot de banalités ou de propos assez vaniteux, une phrase plutôt bien tournée. Malgré l'Académie Française ( une bande de copains qui se cooptent ) et la Pléiade ( le business ma pauvre dame...), je n'ai jamais perçu l'âme d'un grand écrivain. Pourtant, je me suis laissé tenter par la lecture de ce portrait patiemment tissé par Sophie des Déserts qui a passé de longs mois auprès du cher grand homme, dans son hôtel particulier de Neuilly, en tête à tête dans de grands restaurants, voire dans sa forteresse Corse. 
On referme l'ouvrage en se disant, que comme beaucoup, les yeux bleus et l'entregent de l'ex directeur du Figaro ont séduit Sophie des Déserts. Quel séducteur, quel homme charmant, même à son grand âge, rongé par la maladie ! On le serait à moins.  Mais en aurait-il été autrement si les déjeuners au Grand Véfour avaient eu lieu chez Flunch ? Si l'une de ses propriétés de vacances avait été à Vielle-Saint-Girons ( Landes) ? Vous me rétorquerez que la jalousie ou la mauvaise foi m'étreint, que le talent ça se cultive, ça se travaille, ça s'acquiert et avec un peu de chance ça rapporte. Jean d'Ormesson a eu quand même beaucoup de chance et le talent de savoir l'utiliser ( comme d'ailleurs la plupart de ceux qui vivent dans ce triangle Neuilly/Auteuil/Passy...  ils ont les codes !). Reconnaissons à Jean d'O qu'il a eu la veine de naître dans une famille très bourgeoise, que même assez fruit sec sans grande envergure il a réussi à épouser Françoise Beghin ( des sucres mais aussi du papier) une plus grande bourgeoise que lui, que cet attelage ( mal assorti à priori) lui a permis de côtoyer d'encore plus grosses fortunes et que dans ce milieu on sait se soutenir, se servir de son excellent réseau. Le récit de la montée de cet homme vers le firmament médiatique fut longue mais pas trop difficile. 
Le livre de Sophie des Déserts, pas réellement une biographie au sens strict du terme, mais plutôt le résultat de ses rencontres avec le grand homme d'1m 65, raconte à la fois, la vie de l'écrivain, cet entre soi d'une poignée de gens auquel l'argent tient lieu sans faillir de barrière de sécurité, qui, même sans trop de talent vont se débrouiller pour accéder là où il faut et aussi la lente séduction qui s'opère sur elle, la laissant quasi veuve éplorée lorsque la mort viendra éteindre le regard bleu azur de l'écrivain. On retrouve la même sensation de chasse-gardée que dans le récent roman de Dominique Bona "Mes vies secrètes" avec, ici, au début, un poil de cruauté qui va s'estompant au fur et à mesure que l'homme vieillit. On ressent bien le passage de l'homme épouvantablement hâbleur qui, avec le temps, saura devenir une figure paternelle presque sympathique et vendu comme populaire. Si l'on prend un peu de recul, on peut même savourer l'image de certains de son lectorat, grenouilles de bénitiers et adorateurs du Figaro, manquer de s'étouffer en lisant les nombreuses aventures féminines de Jeannot,  les deux épouses ( l'officielle, un peu par intérêt, et l'autre, plus dans le coaching littéraire) qui finiront par accompagner ensemble et partout le cher homme mais croiser aussi  les encore plus nombreuses maîtresses séduites et abandonnées après passage dans sa garçonnière parisienne. On aura confirmation ( mais en avait-on besoin? ) que cette grande bourgeoisie, entre deux messes et dix réceptions, s'échange allègrement maris ou femmes, au gré de continuelles aventures adultérines... On les comprend tout à fait,... ce qui leur permet de prôner à longueur de colonnes du Figaro la vertu et la fidélité et autres concepts bien pensants. 
"Le dernier roi soleil", gracieux et joli portrait de Jean d'Ormesson, confit dans ses privilèges, étonnera peut être un peu certains de ses lecteurs qui ignoraient sa vie un poil dissolue au yeux des normes sociales vantées, sera ignoré par ses détracteurs et montrera aux autres que cet homme très ancien ( grand) monde a su parfaitement se glisser dans celui d'aujourd'hui par son omniprésence médiatique, comme beaucoup de fausses valeurs actuelles portées artificiellement aux nues. 

La chanson du livre : "Un air de liberté" de Jean Ferrat, écrite en réaction à un éditorial aux relents colonialistes de Jean d'Ormesson au moment de la fin des guerres d'Indochine en 1975. Elle fut censurée à la télévision et déclara une grande querelle médiatique. 

  


vendredi 26 avril 2019

Comment nous dire adieu de Marcello Fois


Nous y sommes ! La case polar devient de plus en plus difficile à tenir pour beaucoup de romans qui naviguent entre deux genres, le noir et le blanc ( le roman traditionnel). Sandrine Collette et beaucoup d'autres offrent aux libraires et bibliothécaires des moments d'hésitation pour le rangement des ouvrages. Polar ? Pas polar ? Marcello Fois avec cette nouvelle livraison, bien que membre du groupe 13 censé renouveler le noir italien, en rajoute un coup, en proposant au Seuil un roman hybride, pas sous le logo "Cadre noir", ni vraiment dans la collection littérature étrangère "Cadre vert" ( tout du moins pas dans la présentation habituelle). Nous sommes effectivement dans une sorte d'entre deux. Il y a bien une intrigue policière ( la disparation mystérieuse d'un enfant surdoué) mais qui se trouve phagocytée par les problèmes psychologiques du commissaire enquêteur, le superbe Sergio Striggio. Ce dernier patauge dans une enquête menée un peu à l'aveuglette tellement la mort prochaine de son père le tourmente, surtout qu'il voudrait lui annoncer son homosexualité ! 
Pourquoi pas un bon roman psychologique avec en toile de fond une bonne enquête policière ? Le lecteur, si l'intrigue se tient, est prêt à tout. Sauf que dans ce "Comment nous dire adieu", il y a comme un hiatus. On pourra passer sur quelques phrases qu'il faut relire plusieurs fois pour finir par se dire, que non, on ne les comprend pas ( traduction? verbiage ampoulé ? mauvais lecteur? ). On pourra finir par rire des dialogues qu'échangent les personnages en couple, tous assez verbeux, théâtraux, empreints de sous entendus psychologiques censés remuer protagonistes et lecteurs mais qui apparaissent surtout factices voire lourdingues. On passera volontiers sur certains passages en début de chapitres rappelant les obsessions de jeunesse historico/architecturales ou mythologiques du beau commissaire qui ralentissent le récit sans réellement lui apporter grand chose. Et même si on s'accroche à l'intrigue vaille que vaille ( mais que cache cette disparition ? ) voire même aux tourments psy du superbe Sergio ( en gros mon papa quel sale type ...mais je l'aime au fond...Et qu'est-ce que j'aimais ma maman que j'ai accompagnée dans la mort... Et que mon enfance a été dure ...), on ressort déçu après une résolution bâclée ( avec une grosse ficelle appelée hasard) et des difficultés personnelles du si séduisant Sergio ( ben oui, un bel italien !) qui s'évaporent soudain comme par magie ... 
On pourra certes y voir un bel et sombre itinéraire personnel mêlant famille/mort/culpabilité, mais tout cela semble un peu trop fabriqué, même si au fil des pages, on découvre quelques  belles phrases ou pensées. On me dira, qu'il y a l'Italie ... oui...mais c'est celle du Nord dans le Trentin -Haut-Adige en hiver...donc il neige ! Pour le cliché ensoleillé mariné à l'huile d'olive, on repassera...mais pour un roman noir, c'est parfait. Sans être désagréable car on sent vraiment une envie de sortir du roman policier traditionnel, " Comment nous dire adieu" ne parvient pas à se hisser réellement au niveau du bon roman psychologique, faute sans doute d'avoir voulu en faire trop. Un peu pouffant comme un gros plat de pâtes pas bien cuites ! 

Et la chanson de ce roman est : " Could it be magic" de Take That ( citée dans le roman) 








mardi 23 avril 2019

J'entends des regards que vous croyez muets de Arnaud Cathrine


"J'entends des regards que vous croyez muets" , le titre sonne beau et, une fois n'est pas coutume, le texte qui se cache derrière l'est tout autant !
A proprement parlé, il ne s'agit pas d'un roman, mais d'une suite de soixante-cinq récits assez brefs qui nous accroche dès la première phrase ( "Je passe mon temps à voler les gens." ) et ne nous lâche qu'à la dernière  ("Qu'on laisse mon voisin en vie."). Rien qu'avec cette dizaine de mots, on perçoit déjà le regard d'Arnaud Cathrine, fait d'une réelle bienveillance pour les inconnus qu'il croise ou observe au hasard d'un déplacement. Et s'il se qualifie de voleur, ce n'est bien évidemment que pour la bonne cause littéraire, couchant sur papier avec son talent d'écrivain, ce que tout un chacun s'amuse à faire peu ou prou, qui dans une salle d'attente, qui dans un train, ou un bar : imaginer la vie d'inconnus. 
Si l'exercice peut sembler assez banal, cette succession de petites histoires histoires remarquablement écrites, façonne au fil des pages un jeu de miroir vertigineux. En brossant le portrait de toutes ces personnes, parfois à peine observées quelques minutes, en leur imaginant un passé, un présent, voire un avenir, juste en s'accrochant à leurs gestes, leurs vêtements, leur voix, en apparaît, en filigrane, un autre, celui de l'auteur. Le lecteur, dont visiblement on pousse la curiosité, devient doublement observateur (  j'aurai pu dire voyeur, mais le terme aurait été grossier face à la finesse non dénuée de piquant de l'auteur). Touché, ému, intrigué par ces inconnus décrits et partiellement réinventés, il pénètre aussi dans une partie de l'intimité de l'écrivain, piquant çà et là quelques éléments qui, de façon pointilliste, dressent, en creux, la silhouette d'un quarantenaire qui, bien qu' intellectuel parisien, renvoie le lecteur à sa propre image. 
On a tous quelque chose d'Arnaud Cathrine et de ces (ses?) inconnus aux histoires qui ne peuvent naître que du propre vécu de celui qui les écrit. Alors, avoir un visage pas forcément aimable, faire la vaisselle à la main, parfois du naturisme, prendre des anti-dépresseurs, faire des courses à la supérette d'à côté, subir une intervention médicale, aller en vacances en France, en train, plutôt en bord de mer, à la plage de La Salie ( tiens... moi aussi ), s'intéresser aux autres... difficile de ne pas y attraper quelque chose de soi ( sans parler des nombreuses situations contées). Et dans ce kaléidoscope de sensations diverses, apparaît un autre miroir, celui de notre société où l'on remarque beaucoup d'êtres solitaires, très solitaires, même quand ils vont par deux. Sous les vernis, les barbes, les cheveux teints, derrière les lunettes de soleil, les écrans de smartphones, les cartes de restaurants, des individus luttent contre ce mal généré par nos sociétés de vitrine perpétuelle ( dans les vraies, l'auteur pointe une marque de vêtements appelée " Enfants riches déprimés" ) : la solitude !
D'une très belle écriture facile à lire car directement connectée à nos vies lambdas, les récits de " J'entends des regards que vous croyez muets" nous emballent. On ne peut résister à l'envie de les lire à haute voix à notre entourage et ils nous offrent un réel plaisir de lecture où, ici, la bienveillance n'est pas un vain mot ni un concept marketing. Arnaud Cathrine possède un regard franc et généreux, et son dernier livre se déguste comme une belle friandise acidulée qui fait autant de bien à l'âme qu'à l'esprit. 



lundi 22 avril 2019

Dérangé que je suis de Ali Zamir


Ce récit humoristique africain charrie une langue goûteuse et pleine de charme pour accompagner une intrigue simple et dépaysante qui nous change des sempiternelles lamentations de pauvres bourgeois empêtrés dans leurs petites histoires familiales. 
Ici pas de canapés mous et d'intérieurs confortables, le héros est un pauvre docker d'un port comorien, un peu simplet, qui traîne un petit chariot rafistolé avec lui et qui vit dans une cahute plus que rudimentaire. Ses aventures n'ont donc rien à voir avec quelconque parent dépressif, déjanté et pédophile ( non, ne rayez aucune mention, il faut au moins ces trois éléments pour faire un roman français). Il y sera question d'une course de chariots aussi haletante que celle de Ben-Hur mais se déroulant dans les rues encombrées d'une ville à la circulation et à l'aménagement bordélique. Il y aura donc de l'action, de la traîtrise, des manigances, une somptueuse et pulpeuse créature qui essaiera de faire entrer le petit oiseau de notre héros dans sa cage toute chaude, des odeurs, des couleurs, de la malice, du drame, bref plein d'ingrédients qui font que ce roman ( qui a obtenu il y a peu le prix France télévision) dépayse un maximum et se dévore comme une gâterie exotique et gourmande. On pourra au départ être surpris par une langue au vocabulaire très varié, allant du plus prosaïque au plus érudit ou rare. Ainsi, en rencontrant le mot " vénéfice", pour peu que l'on ne soit pas fin lettré ( comme moi) on pense à une erreur typographique...mais quand 100 pages plus loin on le retrouve, on fronce les sourcils, de plus " bénéfice" qui semble être le mot le plus approchant ne fonctionne pas, l'on se rue sur son dictionnaire et l'on découvre que cela signifie un empoisonnement par la sorcellerie, ... mot qui, du coup, s'intègre parfaitement bien à l'atmosphère de ce roman. Mais rassurez-vous, ces quelques incursions d'un langage parfois peu employé, ajoutent une dimension extrêmement savoureuse à un récit qui regorge par ailleurs d'expressions délectables. 
"Dérangé que je suis" nous offre une balade lointaine dépaysante diablement agréable, où l'humour singulier d'une langue virevoltante et imagée nous emporte avec délice à la suite d'un pauvre héros qu'un récit proche de la fable rend très attachant. 

samedi 20 avril 2019

Lundi de Pierre Bergounioux

Le nouveau Pierre Bergounioux est sorti ! La nouvelle ne déplacera pas la foule mais plutôt un public de connaisseurs, de fans, sans doute issus de la sphère universitaire pour qui il représente le grand écrivain actuel ( avec quelques autres, comme Pierre Michon, ...). 
Ne soyez pas intimidés par cette aura un poil élitiste, "Lundi" possède une énorme qualité : sa brièveté. Elle permet d'aborder une oeuvre exigeante, énormément littéraire, très loin des canons de facilité voulus pour la production actuelle. On pourra trouver que la finesse de l'ouvrage ( au niveau de l'épaisseur... 42 pages... en fait un peu moins en ne comptant que le texte par lui-même) peu engageante pour un passionné de romanesque. Certains lecteurs, plus calculateurs, diront que 31 pages pour 11 euros, donne un rapport page/prix du niveau d'une crème Chanel, sauf que cette dernière pour un prix prohibitif ne vous offre que du vent. Bergounioux, lui, vous transporte dans des contrées autrement plus consistantes et profondes. 
Si le thème abordé, l'implacable grisaille que représente le lundi lors d'une adolescence solitaire et studieuse dans une sous-préfecture que l'on devine corrézienne,  peu apparaître anecdotique, la phrase dense et précise de l'auteur fait toute la différence. Là où un Delerm ( Philippe) avec un regard similaire sur les petites choses de la vie, troussera un texte à la simplicité limpide qui se déguste comme un verre de bière bien fraîche,  Pierre Bergounioux sculptera des phrases d'une précision absolue, donnant à son lecteur, pour peu qu'il soit bien attentif à la moindre ponctuation, au plus petit mot, une puissance évocatrice intense, mélange d'images à la netteté photographique, d'odeurs et de sensations diverses tirant plus sur le sombre. 
"Lundi", court récit exigeant autour d'un sujet aux apparences légères, offre un joli moment de lecture et donne envie d'aller plus loin dans l'oeuvre plus consistante de Pierre Bergounioux, notamment celle publiée à la fin du siècle dernier. On réservera toutefois cette découverte pour un moment où notre concentration ne sera pas dérangée... 


vendredi 19 avril 2019

Animal de Sandrine Collette


Ce qui peut paraître étrange avec ce nouveau roman de Sandrine Collette, c'est qu'il paraisse dans la collection dédiée au polar chez Denoël et appelée " Sueurs froides", laissant sous entendre que l'on y trouvera une atmosphère polar ou peut être thriller. Or, il n'en est rien. Si l'histoire n'engendre à aucun moment l'envie de sourire tellement chacun des personnages se débat avec un combat intérieur, aucun flic, aucun meurtrier classique ne traîne dans cette histoire qui lorgne bien plus vers un roman classique ( reste bien entendu à définir ce que peut être un roman noir...). 
L'histoire nous fera voyager au Népal en passant par le Kamtchatka ( hostile péninsule au Nord Est de la Russie). Il y sera question d'origines, de racines car nous suivons le destin de deux jeunes enfants  séparés vers l'âge de sept ans mais également du rapport que l'homme entretient avec l'animal. La férocité, commune à chacune des espèces, sera personnifiée par Lior, française d'origine népalaise, passionnée de traque animale mais aussi par un ours qu'un instinct de survie ultra développé a rendu fort roué aux manigances que déploient ces bêtes à deux pattes armées d'un fusil. Entre les animaux sauvages et cette femme, des liens étranges se nouent, issus d'un passé qui peine à resurgir. 
L'auteure joue beaucoup sur la psychologie, les instincts de chacun, peut être un peu trop longuement, rendant son récit plus lent que haletant. On se laisse toutefois porter par une belle écriture fluide mais qui, à trop vouloir entrer dans le cerveau des personnages, ne parvient pas à imposer visuellement au lecteur, les décors lointains dans lesquels se déroule cette histoire. Le roman oscille entre l'analyse psychologique dans  la première partie à la façon  James Olivier Curwood ( auteur de "L'ours" ) et le grand romanesque dans la deuxième, en utilisant les ficelles du hasard ( toujours simplissime dans les livres), essayant de questionner sur la part animale qui est en nous. 
" Animal" restera donc un essai un peu formel sur le face à face humain/animal, pas vraiment convainquant, pas complètement passionnant mais résolument noir. 




samedi 13 avril 2019

Tanguy, le retour de Etienne Chatiliez


Beaucoup d'éléments jouent contre ce film. On a d'abord eu une bande annonce nous annonçant ce retour que l'on n'attendait pas et qui fleurait bon la suite pour faire rentrer des pépettes dans les comptes de producteurs peu ambitieux. Toujours dans cette bande annonce, l'effet répétitif des problèmes gastriques de Sabine Azéma face au retour au nid de son fils n'augurait pas une suite dans la dentelle ( on nous avait pourtant épargné les grimaces problèmes urinaires de Dussolier) . Puis, on a su que beaucoup de journaux n'avaient pas eu de projection de presse, sort dédié à des films dont on n'est pas très fier. Et puis, nous sommes en avril, c'est le printemps, les premiers soleils, les spectateurs préfèrent lézarder en terrasse plutôt que s'enfermer en salle surtout pour voir la braderie de printemps des distributeurs, qui avant Cannes, sortent en nombre et en vitesse des oeuvrettes pas enthousiasmantes. 
Tous les voyants clignotaient donc "ROUGE" pour ne pas aller fêter ce retour ( auxquels on peut rajouter un réalisateur, Etienne Chatiliez, vieillissant, qui depuis bientôt deux décennies a perdu son flair pour mettre en évidence quelques petits faits saillants de notre société) et l'on avait raison. 
"Tanguy, le retour" c'est comme un bon plat vieux de 20 ans et que l'on a ressorti du congélo pour le réchauffer en espérant qu'il y aura des amateurs pour le déguster une seconde fois. Sauf que la bonne recette qui fonctionnait bien la première fois, n'étonne plus, ne fait plus rire, n'a plus aucune saveur. Tout est poussif, de la première partie rasoir qui lambine à mettre la situation en place à la deuxième qui est un pâle copier/coller du premier film. On sourit à peine ( je suis gentil), on regarde Azéma et Dussolier gesticuler avec talent mais ils (re)font ce qu'ils peuvent avec rien. Alors on se surprend à penser que cette bourgeoisie hors-sol a une tête à claques, que les chinois, s'ils n'ont pas d'appareils photos, accumulent les clichés. Le temps paraît bien long en leur compagnie et l'on a envie de dire en sortant à tout son entourage : N'y allez pas ! Il vaut mieux revoir les trois anciens Chatiliez qui ont marqué leur époque... 





mercredi 10 avril 2019

Le patient de Timothé Le Boucher


Après " Ces jours qui disparaissent ", roman graphique particulièrement réussi et qui fut saluer par divers prix, autant dire que l'on attendait avec impatience un nouvel album de Timothé Le Boucher. Il a du bosser comme un malade puisque moins de deux ans après, voici qu'il nous propose ce "patient", thriller de presque 300 pages dont il a assuré le scénario et le dessin. 
Pour ne pas gâcher la découverte, et compte tenu de la nature de cette histoire, je ne dévoilerai rien de l'intrigue, juste que le héros, Pierre, est le seul rescapé d'une tuerie au sein d'une famille. Sur son lit d'hôpital, il se réveille après six ans de coma... 
La tension palpable d'une couverture hitchcockienne ( la blonde platine étant troquée ici par une grise métallique) nous plonge sans mollir dans un récit que l'on ne lâchera pas. Timothé Le Boucher sait écrire de bonnes histoires, prendre le temps de les raconter sans jamais nous ennuyer. Mais ce qui fait sans doute qu'il est en passe de devenir un des grands auteurs actuels, sont les nombreuses idées, qui, en filigrane, viennent enrichir une histoire diabolique, créant ainsi un univers bien particulier. Si l'on suit avec passion notre jeune héros hospitalisé en prise avec un passé déstabilisant et un futur inconnu ( on pourra déjà étudier l'importance du lit dans l'oeuvre de cet auteur), on perçoit aussi toute une réflexion sur le bien et le mal autant que sur les rapports entre les êtres, combinaisons à l'érotisme sous-jacent et à la sexualité tous azimuts. Bien sûr, le temps reste également un élément central tout comme les mystères du fonctionnement du cerveau, ici éclairés par l'hypnose et la manipulation psychologique.
Aidé par un dessin presque ligne claire, évidemment inspiré par le manga (avec cette façon de découper son histoire en appuyant sur les regards des protagonistes), cette sombre  histoire joue également sur une palette de couleurs aux tons gris pastels qui contribuent encore plus à créer une ambiance angoissante. 
Alors, encore une réussite pour Timothé Le Boucher ? La réponse est oui, un grand OUI, avec toutefois un très léger bémol. Non, ce n'est pas la fin, surprenante et plongeant le lecteur dans une vertigineuse réflexion qui déroute, mais plutôt ce virage à 180 degrés que prend le récit page 172, négocié d'une façon un peu abrupte mais qui, une fois l'effet de surprise passé, replace le récit dans une direction que l'on n'avait absolument pas vu venir. Ce n'est pas réellement un retournement de situation, mais plus un changement de tonalité, voire de narration qui aurait pu être amené plus subtilement. 
Reste quand même, que " Le patient" tient la dragée haute à toute une multitude de thrillers de littérature, tant son montage (quasi) parfait tient en haleine et prouve que l'auteur possède une imagination formidable. Alors soyez impatients, foncez vous procurer ce " patient" vous passerez un moment de lecture qui laissera des traces. Jamais le roman graphique n'a aussi bien porté son nom !

mardi 9 avril 2019

Suiza de Bénédicte Belpoix


Non Bénédicte Belpois qui publie son premier roman chez Gallimard ( excusez du peu !) n'a sans doute pas piqué le petit ami de sa mère pour assouvir son désir de connaître l'âââmour ! Sans doute non plus qu'elle n'a ( heureusement ) pas connu l'inceste tous les soirs avec sa terrible grand-mère. On peut penser qu'elle n'a pas eu un  père avec de nombreux  amants, que son frère a évité la boisson, les drogues dures et la couverture de son corps de scarifications avant de tuer ses camarades de classe. On peut donc imaginer que Bénédicte Belpois a connu une vie plus heureuse, plus simple ...et pourtant, elle a écrit un roman où, bizarrement, rien ne sonne autobiographique. Se rend-elle compte qu'elle va surprendre le lecteur en nous offrant une oeuvre entièrement romanesque dont le narrateur principal exerce la profession d'agriculteur dans le nord-ouest de l'Espagne, quarantenaire, veuf depuis des années et atteint d'une grave maladie ? Les méchants lecteurs diront que ça va les changer de tous ces bourgeois parisiens en mal de gratitudes, d'amour, de bienveillance dont le moindre petit bobo au coeur, au sexe voire au genou, fait office de sujet. 
Ce qui risque de changer celle, celui qui n'aura pas peur de suivre les pas de cet homme rustre et annonciateur d'une histoire pas des plus marrantes, c'est la formidable impression, dès les premières pages, de plonger dans l'univers d'un vrai auteur. Tout de suite, on entre dans cette ambiance rustique où l'on rencontre des personnages tout de suite évidents, dont on sent que derrière les apparences la complexité ne demande qu'a surgir. On aime aussi cette façon très habile de nous déstabiliser quant au personnage féminin, qui dès le début se fait plus que harceler, quasiment violer par le héros, bousculant tous nos principes féministes qu'une couche récente de "MeToo" a rendu fort sensible. Et ce face à face d'un mâle alpha d'un contrée paumée avec une quasi demeurée mais qui écarte facilement les jambes même dans la violence, va courir sur plus de 250 pages sans jamais faiblir, tant dans l'intensité romanesque d'une histoire talentueusement irriguée par un style et un sens du détail qui fait mouche, que par l'intérêt et l'empathie qui grandit chez le lecteur. Une histoire d'amour grandira sous nos yeux qu'une plume habile rend tout à fait plausible malgré des éléments qui aurait pu la rendre un poil too much. Bénédicte Belpois évite tous les écueils et nous conduit sans faillir jusqu'à un dénouement bouleversant.
Le plaisir que l'on prend à lire ce récit aussi âpre que sensible, vient que nous rencontrons une auteure, une vraie, pour qui écrire, n'est pas qu'un défouloir de divan mais le plaisir d'inventer une histoire, de créer des personnages, de les confronter à la vraie vie sans l'once d'un maniérisme quelconque, ni de cette supposée bienveillance, qui noie une bonne partie de la production  littéraire dans le frelaté. "Suiza" est une très belle surprise, un très bon premier roman, la première pierre d'une oeuvre que l'on espère longue et tout aussi inspirée ! 

lundi 8 avril 2019

Curiosa de Lou Jeunet


Soyez curieux, et allez voir " Curiosa" . L'affiche sensuelle en diable n'est nullement trompeuse, il y a beaucoup de nudité, de tableaux érotiques dans ce premier film assez gonflé. (Petite précision, les curiosas sont des objets grivois). Dans le film, ce sont les photographies que Pierre Louys, auteur sulfureux un peu oublié de " La femme et le pantin" notamment, prenait avec sa maîtresse Maria de Hérédia ( épouse d'Henri de Régnier et fille de José-Maria de Hérédia, hommes de lettres occultés par le temps). 
Vous l'aurez compris, cette première oeuvre se déroule au début du siècle dernier, en costume ( si, si, même si le trio d'acteurs se meut beaucoup nu, il arbore dans des scènes de transition une garde-robe variée) mais avec peu de moyens ( tout le budget a du quasiment passer dans la reconstitution et les nombreuses robes des comédiennes), peu de scènes d'extérieur ( avec parfois, en flou...quelques feux tricolores ou une tour Eiffel étrangement bien éclairée) et juste deux ou trois pièces soigneusement meublées. L'histoire décrit une passion hors norme ( surtout pour l'époque) sans trop s'appesantir sur la psychologie, Lou jeunet se laissant plus entraîner à reconstituer l'époque qu'elle filme ( ce qui est peut être le petit défaut du film). Sa caméra cadre magnifiquement des plans qui rivalisent de beauté durant l'heure quarante-cinq que dure le film. Et si cette histoire peut sembler un peu vieillotte ou anecdotique ( mais tellement rafraîchissante pour un premier long-métrage qui démontre déjà de la part de la réalisatrice une vraie envie de cinéma), il y a un point essentiel, un élément qui doit vous faire foncer prendre votre ticket ( et démontrer à notre ministère de la culture que les petits films français à petit budget n'encombrent pas les écrans et sont indispensables à notre cinéma) : Noémie Merlant, l'actrice principale ! Nous l'avions vraiment découverte hilarante en soeur hystérique de Mélanie Laurent dans " Le retour du héros", totalement crédible et émouvante en jeune fille caissière dans un  Intermarché dans le déjà formidable " Les drapeaux de papier" et ici, elle explose de beauté  et de sensualité, enflamme l'écran de grâce, de malice et de passion, en offrant son corps svelte et sensuel à une caméra qui l'enveloppe amoureusement. Cette jeune comédienne semble partie pour une immense carrière, éclectique, tant sa palette semble infinie ( Et on nous l'annonce en vedette du prochain Céline Sciamma avec Adèle Haenel !). Rien que pour elle, ce film doit être vu ! Mais, vous découvrirez aussi que Lou Jeunet, la réalisatrice, possède déjà un regard  intéressant que nous aurons plaisir à suivre ! 
Alors, sans avoir peur d'être voyeur, assouvissez votre curiosité en allant découvrir " Curiosa" , joli film sensuel qui marque l'éclosion d'une grande actrice !






samedi 6 avril 2019

Festival du film policier Beaune 2019



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Beaune ... 14h30... Le jury déjeune... délibère...

Beaune, son vin, ses hospices et son festival du film policier, fait de grands efforts pour briller de mille feux. Rien n'est laisser au hasard cette année, même une de ces édiles et quelques uns de ses proches, ont été récemment mis en examen pour détournement de biens publics et blanchiment, ce qui, avouons-le, relève d'un vrai sérieux pour être au diapason d'une sélection où l'on nous parla beaucoup de corruption ( à moins que ce ne soit malicieusement le contraire) . Et pour bien accompagner le tout ( camoufler disaient certaines mauvaises langues locales)  deux jurys de stars ( ou asimilées) ont foulé un tapis rouge sous les flashs des photographes locaux et d'un public massé derrière des barrières métalliques pour entrer dans.....un méga CGR ! Ici, pas de palais de festival, ni même un palais des congrés de grande capacité, juste des salles moyennement grandes, et surtout vite complètes, pour acccueillir un public fervent mais parfois dépité de ne pouvoir accéder à certaines projections. 
Le festival offre un large choix de films mais ne permet pas de voir l'intégralité des films en compétition. Soit on suit la compét' officielle, soit "Sang neuf" qui, comme son nom l'indique s'intéresse aux jeunes talents. " Sans connivence" s'est concentré sur la sélection officielle, très internationale, mais qui a transformé les salles en dortoir, les ronflements accompagnant parfois sans complexe la bande son. La palme revient sans contestation possible au film " Les oiseaux de passage" du duo colombien Cristina Gallego et Ciro Guerra qui, à la séance de 22h, a fait office de verveine  voire de Lexomil. Pourtant précédé d'une bonne aura attrapée à la quinzaine des réalisateurs à Cannes  l'an dernier, sa jolie photographie,  jouant artistiquement avec le désert, n'est pas parvenu à faire oublier le peu d'empathie que l'on éprouve pour des personnages englués dans la tradition et le profit et un manque cruel de rythme. 
Quelques heures avant, ce même public était ressorti fort dépité de " Rojo" coproduction internationale  de Benjamin Naishtat se déroulant en Argentine qui, dès le début, essaie de nous intriguer avec des scènes étranges. Hélas, très vite, le scénario part en vrille, du début fort improbable avec un développement qui prend plein de directions sans jamais en atteindre aucune jusqu'au dénouement  ( dans un soupir de soulagement de la salle) guère convaincant. 
Pas convaincu non plus par les "Pirhanas" de Claudio Giovannesi... Malgré les Vespa pétaradantes dans les ruelles de Naples, cette adaptation peu inspirée du roman de Roberto Saviano, manque d'un vrai regard  et souffre d'un interprète principal à la belle apparence charmante, mais assez incompatible avec la rudesse du racket pour lequel se bat sa bande d'ados. 
Autres ruelles, plus exotiques, toujours du trafic et de la corruption, mais cette fois ci à Manille, où l'énergique caméra du grand Brillante Mendoza ( " Alpha, the right to kill" ) nous entraîne tambour battant d'un commissariat aux ruelles d'une ville surpeuplée, mais ne nous étonne pas vraiment,.... difficile de faire du neuf avec un scénario mille fois labouré ( la police est corrompue) .
Autre pays, Taïwan, toujours des flics pas nets ( " Face à la nuit" de Wi Ding Ho ) mais un début de film étonnant, une sorte d'anticipation angoissante et âpre, qui, hélas, s'estompera au fur et à mesure. Un scénario, contant l'histoire à rebours, intrigue, passionne peut être, mais déroute un peu car on ne voit pas bien ce que cela apporte au film sinon de perdre certains spectateurs, pris à rebrousse poil. 
Vous l'aurez compris, à Beaune cette année, ce ne fut pas la fête. En témoigne la tête du jury qui, au fil des projections, avait du mal à encore sourire de toutes ses dents blanches, Lolita Chammah et Agathe Bonitzer ( pour elle c'est habituel) affichant un air pincé plus plus. Sans doute ont elles été un peu plus secouées ( réveillées ?)  par " Savage" du chinois Cui Siwei, longue équipée sauvage dans les neiges sibériennes, classique et sans grandes surprises, lorgnant vers un univers à la Tarantino...sans l'humour. 
La tache sera rude pour le jury d'extraire un film de ce lot peu inspirant. Peut être que le film russe de Yuri Bykov, " Factory" tirera son épingle du jeu grâce à sa mise en scène trés réussie et diablement efficace pour nous conter cette sordide prise d'otage au sein d'une sinistre usine de ferraille . A moins que " El Reino" le film espagnol de Rodrigo Sorogoyen ait su faire entendre sa sombre musique...

Impression mitigée face à ces polars du monde entier, emphatiques, peu inspirées et souvent longs et sans rythme. Heureusement, le jury, pour délibérer, aura quelques bonnes bouteilles de Bourgogne pour l'aider dans son dur labeur.... sans doute le seul réel intérêt d'avoir été à ce 11ème festival de Beaune. Comme pour les vins, il y a de plus ou moins bonnes années...

lundi 1 avril 2019

Meurtre à Montaigne de Estelle Monbrun


Mêler la vie d'un grand auteur et le polar, pourquoi pas ? L'idée mérite d'être creusée....ici c'est déjà fait puisqu'après Colette, Marguerite Yourcenar ou Marcel Proust, Estelle Monbrun passe à Montaigne. 
Rassurons les amateurs de polars que Montaigne indiffère un peu, le récit ne s'attarde pas outre mesure sur lui, se contentant de mettre en scène quelques universitaires spécialiste du philosophe et un vague document trouvé dans sa maison. L'intrigue va plutôt se diriger vers une enquête autour de l'enlèvement de deux fillettes...( Eh non, aucun meurtre malgré le titre)
Rassurons doublement les amateurs de polars, ils pourront sans hésiter lire autre chose que ce petit roman bien plus vieillot que " Les essais"  (et à la portée totalement anecdotique). Je ne dis pas cela car ( et c'est reposant), il n'y a pas l'ombre d'un meurtre dans cette histoire, juste deux gamines kidnappée ( et pour qui bizarrement aucune alerte enlèvement n'est déclenchée, ni aucune recherche, ni que l'on sente la moindre angoisse dans la famille). Les deux policiers ( dont un en semi-retraite) chargés de retrouver les fillettes passent leur temps à sillonner le Sud-Ouest pour interroger des personnages tous plus fades les uns que les autres. Méfiez-vous de l'apparente simplicité de l'intrigue, elle est plus abracadabrante qu'il n'y paraît et mêle de façon touffue secrets de famille ( évidemment), relation toxique, liaisons secrètes, arbre généalogique confus. On s'y perd un peu au début, mais, seul bon point, l'écheveau se démêle ensuite mais sans parvenir toutefois à nous passionner réellement. Cela ressemble à un vieux téléfilm poussiéreux de France 3 ( nous sommes en région !) et finalement, les quelques éléments biographiques sur Montaigne, qui, insérés assez habilement, arrivent à donner un petit intérêt à ce polar bien pâlichon. 

Merci à Babelio de m'avoir fait découvrir cet auteur....