samedi 31 mars 2018

La griffe du chat de Sophie Chabanel



Rendons grâce aux éditions du Seuil de vouloir sortir le polar des ornières habituelles, c'est à dire le serial killer sadique ( je pense que quasi tous les cas de figures ont été évoqués, des bébés trucidés dans les ventres de leur mère aux violeurs de grands-mères en déambulateurs) ou des enquêtes nous plongeant dans les profondeurs les plus noires de nos sociétés. La collection "Cadre noir" a le mérite de publier quelques romans policiers alliant enquête et humour. Sophie Chabanel avec "La griffe du chat" entre dans ce cercle encore peu fréquenté. Pour les amateurs, on peut d'ors et déjà dire que nous sommes en dessous de l'excellent "Hôtel du Grand Cerf" de Franz Bartelt  ou du piquant "Demain c'est loin" de Jacky Schwartzmann, parus l'an passé sous cette bannière.
Le cadavre du propriétaire d'un bar à chat ( concept venant du Japon où les consommateurs avalent leurs consommations tout en caressant des chats ) ainsi qu'un persan bien enrobé disparu suffisent à la commissaire Romano et à ses deux adjoints  pour se rendre dans cet établissement lillois. Après avoir affronté une veuve éplorée par la disparition de son chat vedette, le cadavre, qui laisse à penser qu'il s'agit d'un suicide, ne va pas laisser indifférente l'enquêtrice vedette, flairant que rien ne semble clair dans cette histoire. Bonne pioche ! Malgré un habile maquillage, le médecin légiste démontre qu'il s'agit bien d'un assassinat. Sans beaucoup d'indices à se mettre sous la dent, l'enquête commence mollement et banalement en interrogeant l'entourage du mort dont le présentateur vedette d'une télévision privée...
Il faut bien reconnaître que l'intrigue, même si elle possède un point de départ plutôt rigolo, est loin d'être le point fort du livre. Elle va pas mal piétiner avant de s'accélérer assez artificiellement dans le dernier tiers, histoire de remplir le cahier des charges. Non, là ne se situe pas l'intérêt de ce roman, qui, stricto-sensu se rapproche d'un  scénario planplan de téléfilm de deuxième partie de soirée. Ce n'est pas non plus l'humour plaqué dans cette histoire qui, même s'il est loin d'être désagréable, permet de s'attacher au récit. Il semble juste se contenter de pointer du doigt quelques petits travers de notre société et d'accentuer le caractère déjà passablement chargé des deux adjoints lourdauds de la commissaire. Ce qui fait que l'on tourne les pages de ce polar pas si noir, c'est son héroïne que l'auteure bichonne comme si elle était le prétexte majeur à l'écriture de ce roman. On s'attache très vite à cette célibataire caustique qui a acheté sur ses deniers des vélos d'appartement pour mettre dans son bureau du commissariat et sur lesquels tout le monde pédale lors des réunions ou qui peut acheter un billet pour Berlin pour aller rejoindre un mec croisé quelques jours avant juste pour le sexe. La commissaire Romano jouit d'un charisme, d'une liberté de vie et de ton comme on voit peu souvent dans un genre plus porté vers la testostérone masculine. Et du coup, on dévore le roman pour elle, l'intrigue passant au second plan.
Ces quelques coups de griffes pour ce premier roman policier de Sophie Chabanel ne doivent tout de même pas vous empêcher de découvrir son héroïne. Pas violent pour deux sous, drôle bien sûr sans pour autant être hilarant, il se lit facilement et saura vous faire passer un moment pas désagréable du tout. Un vrai polar de détente, à lire en caressant son chat.

Merci au site BABELIO pour la découverte de ce roman !


mercredi 28 mars 2018

Madame Hyde de Serge Bozon


Après "Tip top", que je n'avais pas vraiment aimé ... voici le nouveau film de Serge Bozon, qu'en toujours curieux je m'en suis allé voir... Comme je suis pleutre et sans trop de culture ( cf les commentaires de " tip top" ), je vais donc encenser le film, crier au génie, hurler au chef d'œuvre et donc vous pousser à aller voir un film que vous n'aimerez peut être pas.
Quelles raisons trouver pour vous sortir de votre confortable canapé et vous arracher à Netflix ? Les comédiens ! Ainsi, contrairement à dans " Tip top" Isabelle Huppert est vraiment parfaite en prof de physique bordélisée par des sauvageons de banlieue puis, suite à un accident électrique, devenant une star pédagogique à faire cracher les palmes académiques à n'importe quel ministre de l'éducation. Face à elle, et même s'il apparaît peu, Romain Duris, cheveux lisses et grande mèche, chemise et cravate criardes  ton sur ton  sur pantalon à pinces comme en vendait le catalogue CAMIF il y a 30 ans, déclenche l'hilarité en proviseur qui pourrait être disjoncté. Et puis il y a José Garcia ! Sobre, sensible, attachant ( si, si, si !) qui bénéficie d'un long plan absolument magnifique, triste derrière une grille.
On achètera également  son billet pour le scénario ...parce que oui, il y a un scénario qui s'ingénie à décaler la réalité pour mieux la réinventer mais aussi mettre en lumière toute l'absurdité du système scolaire français. Et comme le film se déroule dans un lycée, vous aurez droit à de la pédagogie et même à deux vrais cours de physique données par Isabelle Huppert  ( la classe !) . N'oubliez pas votre cahier et une petite lampe pour pouvoir prendre des notes, ce serait bête que vous ne puissiez pas réviser pour le prochain contrôle...
La jeune génération se précipitera également en salle, car le film est bourré d'effets spéciaux. En plus d'une vraie démonstration de la cage de Faraday, il y a une Isabelle Huppert lumineuse qui erre le nuit tel un fantôme électrique. Bien que le distributeur n'offre pas du pop corn, sachez, jeunes amateurs de culture et de films originaux, que vous y entendrez du rap ...oui du vrai et dans un film français tourné par une bande de vieux ( par rapport à vous bien entendu !), c'est pas fun ça ?
Et si vous n'êtes pas encore convaincus, sachez que vous y apercevrez Karole Rocher ( ah bon, vous ne voyez pas qui c'est ? !?! ), qu'on voit le seins d'Isabelle Huppert, qu'elle a bénéficié d'un chauffeur pour se rendre sur le tournage ( ben...c'est crédité au générique !), qu'aucun animal n'a été maltraité ( non les deux chiens cramés que l'on voit à l'écran font vraiment fabriqués maison), qu'on y mange végétarien ( oui même le kebab de la scène du TPE théâtre paraît ne contenir que des légumes ) et que vous risquez de jouir d'une  séance quasi privée car beaucoup de spectateurs partent avant la fin tellement trop de fantaisie en une seule fois est difficilement digérable pour qui n'est pas habitué à tant de décalage.
Je pense que je n'ai pas énuméré toutes les trouvailles et les découvertes que vous ferez dans ce film, sans nul doute un ovni dans le paysage des comédies françaises et, comme pour tout ovni, on y croit ou pas... A vous de choisir votre camp...



mardi 27 mars 2018

Marx Attack de Soviet Suprem


L'écoute du deuxième album du groupe Soviet Suprem, à l'univers russe prégnant me fait songer qu'il y a bien longtemps que la musique traditionnelle russe ( je parle de son pendant folklorique par de Rachmaninov) n'a pas infusé dans la chanson française. Il faut remonter à la fin des années 60 pour retrouver un mouvement musical un peu disparate mais à succès, où Ivan Rebroff hantait les shows de l'ORTF, Rika Zarï faisait danser le casatchok à la France entière et où Mary Hopkin ("Those where the days",  "le temps des fleurs " en français ) et Marie Laforêt  ( "Ivan, Boris et moi" ) triomphaient avec des tubes d'inspirations russo-tziganes. Certes, il y eut en 1993 la présence ( assez discrète et guère folklorique)  des choeurs de l'armée rouge sur l'album "Rouge" de Fredericks, Goldman et Jones, mais depuis pas grand chose à se mettre dans l'oreille pour nous faire danser accroupis avec une chapka sur la tête.
Et arrivent donc les Soviet Suprem ... Si on trouve bien dans leur musique des sonorités d'accordéons tziganes, on ne peut pas dire que ce soit le point saillant de leur musique. Comment définir ce groupe ? Disons que c'est le croisement de deux énergumènes...russophiles ? ...russophobes ? .... humoristes c'est certain,  amateurs de jeux de mots qui seraient tombés dans une marmite composée d'un mélange improbable de rap, d'électro, de Kraftwerk et de Laroche-Valmont... ces deux derniers sont cités, voire repris dans ce nouvel opus. Et ça donne ça  :


Dans ce morceau, " Vladimir", sûrement le plus tzigane de l'album, on remarquera après la salve de prénoms slaves, une propension certaine aux jeux de mots ( " Vladimir un grand conquistador" mais
 n'entend-on pas " Un grand con qui s'adore'' ? ). Nous sommes bien dans l'univers ultra délirant de ces deux loustics pour qui la planète sera bientôt envahie de marxiens ( "1917"), où le pauvre russe libéré du joug communiste errera dans les super Marchais pour acheter des prolos Lacoste et Youri Margarine. C'est drôle, chanté au milieu de sonorités rap/punk /électro, assez dansant voire festif  mais...un peu lassant en écoute en continu. Je pense que ce duo, R-Wan et Toma Feterman alias John Lénine et Sylvester Staline doit énormément gagner à être vu en concert où tout le caractère décalé et festif doit éclater et électriser les salles. Ca tombe bien, ils vont être en tournée un peu partout en France. Ce sera l'occasion de constater de visu que ce parti-pris thématique est plus humoristique que vraiment musical même si, un morceau dans une soirée peut tout à fait enflammer le dancefloor ( mais juste un...deux à la rigueur ...) 




lundi 26 mars 2018

Claudine à l'école d'après Colette de Lucie Durbiano


Je l'avoue, malgré mon âge certain, je n'ai guère de souvenirs de mes lectures de Colette. Je me rappelle seulement du " Blé en herbe", lu à l'adolescence parce qu'il sentait le soufre, mais qui m'avait bien déçu, n'y ayant sans doute pas trouvé le piquant escompté. De la série des Claudine, je ne me souviens que des innombrables dictées qui ont parsemé ma scolarité, le style un poil académique et descriptif, idéal sans doute pour réfléchir sur les accords grammaticaux mais peu propice à enflammer le désir de se jeter sur les ouvrages dont elles étaient extraites. On peut donc dire que grâce Lucie Durbiano, j'ai découvert un classique ... sans doute un des buts de ces nombreuses adaptations de notre patrimoine littéraire en BD.
D'entrée de jeu, j'ai trouvé dans les dialogues ce que j'imaginais...un ton suranné. Mais très vite, jolie surprise, l'intrigue impressionne. C'était chaud dans les écoles de filles en 1900 ! Nous sommes très loin du petit précis de la parfaite institutrice qui était signé à l'époque par les sortantes de l'Ecole Normale où leur vie se résumait à un état de nonne laïque. En une année scolaire, dans une classe préparant au brevet, l'espiègle et un tantinet rebelle Claudine va connaître les affres de l'amour ( platonique), la jalousie, la rivalité (uniquement en version lesbienne )mais aussi croiser un vieux dégoûtant un poil harceleur ( pas de #balancetonporc  à l'époque ) mais aussi sa version plus romantique voire nunuche de jeune homme coincé. Autour d'elle, des maîtresses vivent leur amour quasiment au grand jour tandis que les élèves ( filles) fantasment sur tout ce qui passe, jupons comme caleçons.
Au départ, le roman de Colette, écrit avec la complicité de Willy son mari qui savait déjà que les petits scandales font les bonnes ventes, se positionnait comme déluré. L'adaptation de Lucie Durbiano,auteure ayant pas mal donné dans les récits flirtant avec le libertinage, ne dénature nullement l'œuvre originale. La bande dessinée possède le grand avantage de se passer des descriptions de l'époque  devenues un peu trop classiques et de se concentrer sur l'action. Le trait fin et virevoltant de l'auteure épouse à merveille les courbes et les tourbillons des longues robes de ces dames. Tout en restituant l'atmosphère surannée de l'école républicaine au début du siècle dernier, jouant joliment avec le noirs de certaines tenues et des blouses d'écolières, l'album se révèle un régal de lecture malicieuse bien dans l'esprit du roman. L'œuvre de Colette réapparaît dans toute sa modernité et dans son espièglerie.
" Claudine à l'école"  en bande dessinée se déguste comme une friandise acidulée et reste un pied de nez à la bien pensance comme il fut à son époque. Sa ressortie en 2018, en plus d'être une excellente idée, donne vraiment envie de (re)découvrir l'œuvre entière de Colette... Pour y avoir remis un peu le nez dedans, je me suis aperçu qu'il manquait dans toute cette littérature contemporaine de ces trentenaires soi-disant rigolotes un élément essentiel qui possédait la vénérable aînée : l'audace !... Audace que l'on retrouve dans cette adaptation vraiment réussie.


dimanche 25 mars 2018

Débâcle de Lize Spit


La couverture de ce best-seller en terre flamande donne le ton. Oui, le lecteur va être bousculé ! Notons que déjà, en librairie, j'ai entendu fuser des remarques du genre : " Quelle horreur cette petite fille qui fume, c'est un scandale, on ne devrait pas l'exposer ainsi !!! " ( en plus habillée façon Cyrillus!). Donc, en 2018, alors que des enfants font leur éducation sexuelle dès 8 ans sur Youporn et sont les victimes de l'hystérie libérale parentale qui les jette dans des officines éducatives mercantiles misant sur l'entre soi ( bénissons Ste Montessori et louons les sournoises écoles privées), on fait les gorges chaudes devant une photo, certes loin d'être innocente, car exprimant cette errance bien contemporaine face à ces chérubins à qui on transfère nos angoisses.
Les trois héros sont loin de fréquenter une école élitiste, se contentant de celle de leur village des Flandres. Eva, Pim et Laurens sont devenus inséparables car les seuls représentants d'une classe d'âge. Ils passent donc toute leur scolarité ensemble jusqu'à l'entrée au lycée et malgré leurs différences sociales, restent très soudés. Eva, fille d'un employé de banque suicidaire et d'une mère avalant autant de psychotropes que d'alcool, pourvue d'une soeur bourrée de T.O.C., traîne une image de pauvresse dans une commune où tout le monde s'épie. Pim, est fils d'agriculteur et a perdu accidentellement un frère. Laurens, fils d'un couple de bouchers/charcutiers, jouit d'une vie meilleure mais se révélera à l'entrée de l'adolescence un poil perturbé. Lors d'un été commun, entre ennui et montée de sève, ils vivront des moments qui devraient leur laisser des traces indélébiles. Nous retrouverons  Eva, unique fille du trio, personnage principal de cette histoire, lors d'un retour dans ce village une bonne décennie plus tard...
Aucune amabilité dans ce roman qui cultive une verve hyperréaliste en égrenant un ( long) chapelet de souvenirs très naturalistes, formidablement bien écrits, respirant presque le vécu. Rien ne nous est épargné, du traitement anti poux à la mayonnaise jusqu'à la masturbation forcée avec des outils de jardinage. Cependant, malgré un montage alternant la journée d'Eva revenant dans son village et ce lourd passé, la sauce a du mal à prendre. Même si l'on sent que derrière toutes ces anecdotes vraiment noires s'en cachent d'autres, encore pires, leur accumulation sur trois cents pages n'apporte pas vraiment une réelle tension ni un supplément d'âme à cette sordide histoire. Il faudra attendre les 100 dernières pages pour que le rideau ...obscurcisse encore plus les âmes et nous prenne aux tripes....Mais là...quel final !
Roman des troubles adolescents, flingage en règle de la douce enfance, récit de la déshumanisation d'une société repliée sur elle-même, portrait également du rejet social, " Débâcle"  porte bien son nom et plongera le lecteur dans une noirceur absolue... bien plus encore que cette couverture goguenarde veut bien le laisser penser. Oui, les âmes sensibles qui aiment le parfum des roses et les belles amours pourront éviter ce chemin ou alors chausseront de grandes bottes pour patauger dans le purin.


jeudi 22 mars 2018

En camping-car de Ivan Jablonka



Je déteste les camping-cars, ils se trouvent toujours devant moi sur une route de Lozère ou d'ailleurs et roulent à 30 à l'heure dans le meilleur des cas quand ce n'est pas 10 quand Christian a vu un beau paysage et qu'il veut que Françoise en profite aussi... Donc, à priori, le titre de cet ouvrage n'était pas pour moi... Et pourtant...
Ivan Jablonka évoque ses vacances avec ses parents et des amis à eux durant les années 80. Embarqués dans des combis Volkswagen, ils ont sillonné divers pays méditerranéens, alliant culture et liberté.
Ce qui peut apparaître comme juste un récit de souvenirs d'enfance dans un milieu relativement privilégié ( mère prof d'histoire, père ingénieur ), ce qu'il est bien sûr, devient en fait sous la plume de l'auteur une introspection intime sur ses rapports avec son père mais aussi une étude autant sociologique qu'historique sur les vacances en général et cette décennie, la dernière, qui permettait encore de vivre un semblant de liberté lorsque l'été fut venu.
Dans un langage simple et direct, Ivan Jablonka nous ouvre autant les portes coulissantes du combi que celles de sa mémoire, un intime, qui au fur et à mesure des pages, va tendre vers l'universel. Le lecteur gambade avec lui sur les rochers ou dans la mer mais regarde et essaie aussi de comprendre ce père qui veut à tout prix que ses enfants soient heureux. Abordant un récit de l'intime par le biais des vacances et d'un moyen de transport qui à l'époque signifiait "liberté", pas loin dans le regard, par cette descente au plus profond de lui-même d'une Annie Ernaux, " En camping-car " devient une lettre d'amour à son père, un hymne nostalgique à une époque révolue, la parfaite photographie d'un type de vacances à jamais perdu.
On oscille constamment entre le prosaïque et l'analyse, entre la mer, le vent, la route et la précision sociologique. Ivan Jablonka caresse la partie intelligente du lecteur, lui donnant autant à comprendre qu'à réfléchir mais il ne laisse pas de côté la partie sensible, qui vibrera indubitablement devant les paragraphes consacrés à cet amour paternel. ( " J'ai eu l'enfance que mon père a voulue pour moi, ..., j'ai été heureux à travers le bonheur qu'il m'organisait, si bien qu'à la fin je ne sais plus qui, de nous deux, a vécu mon enfance. " )
Ni roman, ni réelle autobiographie, "En camping-car"  gambade sereinement dans les terrains joyeux de l'enfance et des vacances inorganisées. Il sent bon la liberté, l'intelligence et la tendresse, trois valeurs essentielles dans lesquelles on plongera avec autant de plaisir que dans une mer bleu-électrique chauffée par le soleil.



mercredi 21 mars 2018

Mektoub my love, canto uno de Abdellatif Kechiche


" You make me feel...Yououou maaaake meeee feeel !!!!...."  brame la bande annonce du nouveau Kechiche, sorte de petit film d'été avec jeunes gens flirtant et dansant dans une station balnéaire, laissant presque supposer que nous allions être conviés à une sorte de "Spring Breakers"  français...
Et quand on avise que la chose dure trois heures...  la crainte de l'ennui peut gagner n'importe quel spectateur, même le plus curieux.
Je sors de la projection de "Mektoub my love" et j'avais oublié qu'il faisait froid et que l'été c'est dans quelques mois. Le film m'a embarqué à Sète, intégré dans un groupe de jeunes en vacances, fait vivre comme rarement trois heures de vacances, de marivaudages, de fun, de soleil, de corps à la sensualité rayonnante, de légèreté. Abdellatif Kechiche n'est pas un magicien ( quoique) mais assurément un grand cinéaste qui peut, avec une histoire de rien et un temps étiré comme rarement sur un écran, nous faire retrouver l'espace d'un moment une jeunesse perdue ( la mienne, car si vous avez 20 ans ...) et la sensation de nous intégrer totalement dans un groupe de gens dont on est à la fois le spectateur mais aussi l'acteur.
De quelques flirts d'été dont l'amour cachée d'une jeune fille pour un dragueur inconséquent sert de pivot, Kechiche parvient à tirer une chronique aussi tendre que légère, aussi sensuelle que fine, aussi passionnante que simplissime. On peut dire qu'il y a du Marivaux pour les situations ( mais en bikini !), que l'on pense à Rohmer et à " Pauline à la plage" mais sans les dialogues ampoulés dits avec afféteries. Mais ici, il n'y a pas une seconde qui ne sonne pas juste, pas réelle ( sauf peut être bizarrement Hafsia Herzi qui semble avoir désormais un peu de mal avec le naturel). C'est là que se situe la magie du cinéaste, nous plonger dans une réalité extrême alors que tout est fabriqué au millimètre. Et dans ce dispositif, nous sommes à la fois le jeune héros un peu timide ( ou coincé, ou hésitant, ou gay) qui observe, écoute et le cinéaste qui pose sur cette jeunesse à la fois ses petites obsessions ( les courbes des corps, les croupes callipyges ), mais surtout un regard qui capte les frémissements, les hésitations, les bravades, les regards évidemment. Les scènes durent, durent pour mieux nous embarquer dans ces jeux de l'amour et du soleil. On est bluffé par l'interprétation mais surtout par les trois jeunes acteurs principaux absolument époustouflants, le sympathique et charmant Shaïn Boumedine, la sculpturale et rayonnante Ophélie Bau et la très volontaire Lou Luttiau qui explosent ici et comblent sans effort ce qui aurait pu apparaître comme vide ou plat. On saisit petit à petit les enjeux du film, créer une sorte d'utopie juvénile et estivale sans jamais en gommer les soubresauts et les sentiments mais en laissant en arrière plan les enjeux sociaux qui étaient au cœur de ses précédents films.
Les trois heures passent comme un séjour ensoleillé. Touché, admiratif et roulé dans le sable de cette histoire méridionale, je ne peux qu'attendre avec impatience le "canto due" ...



lundi 19 mars 2018

Tombeau pour Rubirosa, un roman de Cédric Meletta





Porfirio Rubirosa n'évoque plus grand chose à grand monde aujourd'hui, tout au plus un nom cité il y a quelques mois lors du décès de Danielle Darrieux qui fut son épouse dans une période troublée de notre histoire. Mort dans un accident de voiture en 1965, son nom qui faisait frémir tous les échotiers du monde entier, s'est petit à petit perdu dans les limbes d'une mémoire de plus en plus volatile. Pourtant durant plus de 40 ans, Rubi ( comme on le surnommait) fut un des membres les plus flamboyants, les plus troubles de cette jet-set qui naviguait dans les lieux les plus snobs de la planète. Cédric Meletta, sans doute passionné par les destins ambiguës ( il est l'auteur d'une biographie de Jean Luchaire, patron de presse collabo et fusillé en 46), est parti à la recherche de ce que fut cet homme souvent considéré comme un play-boy ( il paraît que ces gros moulins à poivre de forme phalliques ont été surnommés Rubi du temps de sa grandeur...). 
Oui, la vie de Porfirio Rubirosa est totalement romanesque. Né en république dominicaine dans une famille fortunée, il fut, après des études en France, diplomate, ambassadeur, consul, du temps de l'infâme dictateur Trujillo ( un peu oublié lui aussi qui, entre autres voulait blanchir son île de la Dominique dont il était le président, et a, pour cela, fait décapiter à la machette des milliers de ses habitants jugés trop noirs!), partie sombre de sa vie et bien sûr sujet à toutes sortes de spéculations. Mais il fut aussi, et là dans le désordre, joueur de polo, pilote automobile, pilote d'avion, amant infatigable ( on dit qu'il éjaculait rarement pour se préserver), noceur, buveur, cinq fois maris, chasseur de dot ( il épousa deux richissimes américaines ... pour leur argent disait-on ... et fut marié avec l'une d'elle à peine un peu plus d'un mois), beau mâle faisant craquer la gente féminine à coup sûr. Avec un tel pedigree, il y a de quoi garnir les plus de 400 pages du livre... enfin à priori, car pour moi le résultat est plutôt mitigé. 
Tout au long de la cinquantaine de chapitres, on s'aperçoit bien vite que reconstituer la vie bouillonnante de cet homme n'est pas aisé. Il n'a pas laissé de journal intime, les bios qui lui ont été consacrées ( surtout en langue espagnole) sont souvent peu fiables. Il ne reste que les nombreux articles de presse, essentiellement trouvés dans la rubrique mondaine, pour reconstituer une vie qui n'a pas été qu'une suite de cocktails ou de soirées costumées. L'auteur ne manque pas de nous narrer de façon assez sautillante ses recherches fructueuses ou pas. Et comme il n'y a pas énormément de choses à se mettre sous la dent, il brode. Beaucoup de personnages croisés ( toujours des inconnus) sont resitués méticuleusement, avec sa cohorte d'autres noms qui n'évoquent rien à personne. Le livre croule sous cette sorte d'annuaire un peu bourratif. Cédric Meletta essaie toutefois de mettre de l'humour, de la légèreté dans tout cela, en jouant à décaler son propos, à lui donner une touche branchée, moderne, en louvoyant entre les époques. Mais tout cela m'a paru fort long et pas vraiment passionnant. Bien sûr, il fait revivre toute une époque de jet-setters, mélange de milliardaires, de célébrités, de demi mondaines, de filles faciles, de putes et de maquerelles et ce jusqu'à la nausée. Là, au milieu de ce milieu, Rubirosa slalome, toujours bronzé, sans doute un sourire éclatant, prêt à honorer la première venue et à se faire un peu de blé qu'il dépense sans compter. Il pourrait être détestable, il ne l'est pas. L'auteur arrive même à nous le rendre pathétique dans les dernières années de sa vie sans qu'on le sente venir... Pourtant, il apparaît bien que cet homme gardera toujours son mystère, ses secrets... 
On sort un peu frustré de cette lecture où la matière première est résolument fascinante mais, garde encore, et sûrement pour toujours, beaucoup de zones d'ombre que même le plus malicieux et le plus méticuleux des biographes n'arrive pas à cerner.

Merci au site BABELIO et aux éditions Séguier pour cette lecture ! 





jeudi 15 mars 2018

La belle et la belle de Sophie Fillières


Une belle quarantenaire (Sandrine Kiberlain) rencontre une belle jeunesse de 20 ans de moins ( Agathe Bonitzer) qui n'est autre qu'elle même. Scénar un peu fantastique qui, aux states aurait pris des allures folles mais qui devient sous le regard Sophie Fillières, une chose poétique, un peu absurde, tendre et grave à la fois. Même si on ne croit pas une seconde au scénario, on se laisse embarquer par la cinéaste qui met à l'écran le stradivarius Kiberlain pour laquelle elle a écrit des dialogues formidables et inventer des situations qui lui permettent d'emporter l'adhésion totale du spectateur.
Le film démarre sur les chapeaux de roue, enfilant des scènes de comédies écrites au millimètre présentant les deux Margaux ( c'est le prénom de l'héroïne) qui foncent vers leur destin de cinéma : la rencontre dans une salle de bains face face à un miroir. Alors oui, les symboles sont en marche, le double, le destin ( la vie, la mort),... Puis, l'histoire prend sa vitesse de croisière, la confrontation des deux ( mêmes) femmes,l'une face à une vie que l'autre connaît, l'autre face à une elle même dont elle voudrait corriger les erreurs. Ca ne fonctionne pas trop mal, grâce aux dialogues mordants, à tiroirs. On entre volontiers dans le jeu mais, au fur et à mesure,  il y a comme un hiatus, quelque chose empêche une adhésion totale .... Et soudain, on comprend...enfin je comprends, car j'ai bien peur que ce soit personnel : comment la lumineuse, drôle, fantasque, tendre Margaux jouée par Sandrine Kiberlain a pu être cette désagréable Margaux que joue la toujours pincée Agathe Bonitzer ? Comment passe-t-on de pimbêche sans affect à une femme pleine de douceur ? Le film ne nous le dira pas...
Oui, j'ai un problème avec Agathe Bonitzer ! Sa peau diaphane prend bien la lumière, elle balance les dialogues avec justesse ( et parvient à nous faire sourire)  mais son côté petite bourge hautaine en pétard (m')est insupportable... C'est peut être le rôle à l'écran ( cela m'étonnerait, elle est pareille dans tous les films où elle joue, c'est dire ceux de son père, de sa mère et de quelques copains de la famille), mais la confrontation face à  Sandrine Kiberlain toute en nuance et en fragilité rigolote, joue à son désavantage et rend le film bancal, lui ôtant un peu plus de poésie au fil des scènes. C'est totalement flagrant lors de la séquence finale très subtile scénaristiquement. Là où Sandrine Kiberlain fait passer des milliers d'émotions en deux regards, trois gestes, donnant au film toute sa dimension nostalgique et grave, Agathe Bonitzer se contente d'un regard forcément froid derrière la vitre d'un wagon....
"La belle et la belle" reste une comédie décalée et bien écrite mais rendue trop fragile par un casting bancal. Surnage bien sûr Sandrine Kiberlain qui emporte le morceau haut la main et donne toute la force au film.



mercredi 14 mars 2018

Celui qui comptait être heureux longtemps de Irina Teodorescu


Nous sommes dans un pays totalitaire de l'est de l'Europe après guerre ( peut être la Roumanie d'où est native l'auteure). Le récit va disséquer de l'intérieur ce totalitarisme étouffant en suivant Bo, un homme issu d'un milieu relativement privilégié et pourvu de capacités mathématiques fort intéressantes pour le régime. De sa naissance sous les bombes jusqu'au scientifique enfin libéré du joug que l'on suppose communiste, nous le suivrons auprès des deux femmes qui l'ont accompagné dans sa vie ainsi que dans sa paternité contrariée suite à la maladie de son fils.
Il y a deux femmes dans ce roman et donc deux parties qui vont se révéler bien distinctes mais donner un certaine déséquilibre à l'ensemble. Le premier amour de Bo, se prénomme Irenn, longue tige assez inexpressive. Cette relation assez étrange va s'accompagner d'une narration flirtant avec une sorte de douce folie dans un style assez mordant qui, hélas, n'arrive pas à camoufler un certain ennui ( peut être celui de ce pays en proie à l'autoritarisme ...mais bon). Ca débute donc un peu moyen mais heureusement ça ne dure pas car voici Di, ce deuxième amour.( Beaucoup de personnages n'ont qu'une syllabe comme prénoms, symbolisant les pions qu'ils représentent dans ce système totalitaire). Bo va draguer inlassablement Di, réussir à l'épouser, connaître un certain bonheur conjugal. Puis viendra un enfant. Le ton pour ce couple est plus empathique surtout que le malheur guette. Le mélange drame intime et personnel avec l'oppression de tous les instants fonctionne bien. Même si le thème de l'emprise d'un régime totalitaire sur les êtres humains est loin d'être nouveau, Irina Teodorescu arrive à rendre son histoire et grinçante et émouvante. Ces êtres comparés à des poulets de batterie ( les héros, pour moi, sont quand même des poulets de Loué car, bien placés dans l'échelle sociale du régime, ils bénéficient d'un peu plus d'espaces de liberté que leurs congénères), vont se trouver face à un choix difficile à assumer. C'est dans cette dernière que l'auteure emporte le morceau...mais un peu tard tout de même...

samedi 10 mars 2018

Les chasseurs de gargouilles de John Freeman Gill



Le thème est porteur, sacrément intéressant même : New-York ville de toutes les folies architecturales. John Freeman Gill nous plonge dans la grosse pomme, expression pour cette ville gigantesque qui date de la même époque que celle où se situe le roman, les années 70. Nous sommes à un tournant , architecturalement parlant. Les premiers grand édifices anciens sont petit à petit démolis pour laisser place à des tours gigantesques plutôt en verre et en acier genre les tours jumelles du World Trade Center ( 1973). Nick Watts, genre de brocanteur de l'extrême, récupère comme il peut toutes les gargouilles ou bas-reliefs que les architectes du siècle précédent avaient parsemés sur les édifices qu'ils érigeaient. Souvent abandonnés ou promis à la démolition, ces immeubles offrent à Nick une façon de se faire d'argent mais lui permet aussi d'assouvir sa volonté de conserver ces vestiges du passé. Divorcé d'une artiste un peu bohème qui a la garde de ses deux enfants, Nick va voir son fils Griffin ( 13 ans) se rapprocher de lui. Le père et le fils vont entamer une relation maladroite mais assez dangereuse, la petite taille de Griffin se révélant fort appréciable pour aller décrocher des gargouilles sur les faîtes des ancêtres des buildings...
On peut d'emblée percevoir que ce roman sera autant le récit d'une rencontre entre un fils et son père que la mise en roman d'une passion pour la sauvegarde de l'architecture du XIXème au sein d'une ville en perpétuel mouvement et éprise de modernité absolue, séduisant sur le papier, beaucoup moins à la lecture. Malgré tous ces bons ingrédients et des moments vertigineux et effrayants ( mais noyés dans des descriptions d'immeubles et de ses détails de construction un peu trop pointus) ou même assez drôles ( la visite de la statue de la liberté par des collégiens), la sauce ne prend pas réellement. On sent bien que John Freeman Gill aime New-York, apprécie plus son glorieux passé que son présent clinquant, désire en conserver des traces et se passionne pour tous ces détails architecturaux aujourd'hui presque tous disparus car phagocytés par une frénésie de modernité, mais le mélange avec une intrigue plus psychologique ( l'éparpillement de la famille ) n'arrive pas à convaincre. On lit cela avec un intérêt décroissant, l'ensemble errant un peu entre les sommets des immeubles vertigineux mais écrits avec trop de détails et une psychologie guère originale sur les questionnements adolescents.
C'est une visite sans doute sympathique d'un New-York presque disparu à laquelle nous invite l'auteur. Ca paraissait sympa, mais ce fut juste gentiment ennuyeux comme une balade avec un vieil oncle trop porté sur sa passion.

Merci à BABELIO pour cette lecture !

jeudi 8 mars 2018

Tesnota, Une vie à l'étroit de Kantemir Balagov


Emoi dans la presse qui fait l'opinion, enfin un nouveau cinéaste russe à encenser ! A part en ce moment Andréi Zviaguintsev, l'espèce se fait désormais rare.  Les réalisateurs russes sont aussi visibles qu'une coccinelle dans la toundra, la France se bornant à distribuer quelques films arts et essais, souvent coproduits ici. ( Ainsi, nous ne voyons pas les blockbusters de la fédération de Russie .. Si, si ça existe ...est sorti en octobre dernier "Salyut-7", superproduction sidérale, cousine de "Gravity" et qui en supporte facilement la comparaison autant dans les effets spéciaux que dans la forme et le fond, mais malgré la terre d'accueil qu'est notre pays pour la plupart des cinémas, quelques uns  restent encore invisibles...hormis dans quelques festivals). 
Revenons plutôt à ce qui fait vibrer nos critiques, le premier film du Kabarde Kantemir Balagov ( pour info, la Kabardie-Balkarie est une des sept républiques autonomes du Caucase de la fédération de Russie...on peut s'y perdre mais cela fait du réalisateur un russe). Couronné en janvier dernier du prix du meilleur  film au festival Premiers Plans d'Angers, "Tesnota" a littéralement emballé Catherine Deneuve qui l'a applaudi à tout rompre à l'issue de sa présentation ( elle tapait encore des mains alors que la moitié de la salle était déjà sortie). Force est de reconnaître que notre icône du cinéma français a bon goût, car le film est réellement réussi et développe tout un tas de thèmes propres à enthousiasmer le pays des droits de l'homme .... ( plus faciles à admirer sur un écran qu'à décrypter et à combattre quand certains chez nous commencent à les faire vaciller).
On trouve une héroïne formidable, bien loin des stéréotypes habituels. Ilana a 24 ans, vit au sein d'une famille juive dont la communauté ultra minoritaire dans ces contrées reculées, subit un vrai ostracisme. Elle travaille comme mécanicienne dans le garage de son père ( Débusquez un rôle de jeune mécanicienne dans le cinéma français et je vous offre un verre !). Les kabardes, point futés comme tous les racistes, font un raccourci : juif= argent. Alors hop ! On enlève le frère d'Ilana et sa fiancée aussi et l'on demande une rançon. Manque de pot, la famille n'a pas un sou et doit faire appel aux membres de sa communauté pour trouver de l'aide...qui les obligera à la ruine... mais aussi, contre argent,  à promettre Ilana à un jeune homme ( bien timide).
Drame sociétal, personnel et familial, "Tesnota" va s'ingénier à décrire avec force cet enfermement communautaire et traditionnel qui emprisonne les êtres. Le titre le dit haut et fort, c'est à une vie à l'étroit à laquelle nous sommes conviés. Tout à l'écran respire l'étroitesse : le format carré du film, le décor étouffant, la caméra qui ne montre jamais un ciel, un horizon et cette héroïne qui se bat comme une mouche dans un bocal sans vraiment savoir s'il existe un tout petit trou pour se faufiler vers une sortie incertaine. Pas drôle, mais quel talent dans la manière de filmer et dans son regard impitoyable sur l'intolérable ascendance des communautés religieuses et traditionnelles sur les esprits et les corps! Et quel beau portrait de femme forte et battante qui essaie de prendre sa vie en main dans un monde qui ne rêve qu'à l'enfermer dans un schéma obsolète !
Alors oui, la critique a raison de pointer du doigt ce premier film russe et de déjà dire que Kantemir Balagov entre dans la cour de ces réalisateurs que l'on devra désormais suivre.


mercredi 7 mars 2018

La nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher


Laissez-vous faire ! Laissez-vous emporter ! Faites fi de vos a priori quant au genre fantastique ( et ici le sous groupe : film de zombies) ! Déjà regardez l'affiche et remarquez qu'elle ne s'inscrit nullement dans une esthétique gore et lorgne plutôt vers un côté poétique qui, pour une fois, n'est absolument pas trompeur.
Malgré un départ improbable ( une homme venu récupérer des photos chez une ancienne copine, s'endort dans un fauteuil et se réveille le lendemain, seul survivant d'une étrange catastrophe qui a transformé Paris en un no mans land peuplé de zombies ne réagissant qu'au bruit et à l'odeur de chair humaine fraîche) qui laisse augurer un essai français à vouloir surfer sur le succès de "The Walking Dead" ,  le film déjoue tous les pronostics pour créer une œuvre vraiment originale et du coup totalement convaincante.
"La nuit a dévoré le monde" ne fait nullement penser à " La nuit des morts-vivants" mais à " Robinson Crusoé" puisque notre pauvre héros, Sam, va devoir survivre, solitaire, à l'intérieur d'un immeuble haussmanien duquel il ne peut mettre un bout de pied de dehors sans risquer une mort par dévoration. Le film va donc s'attacher à son quotidien de reclus et par là même glisser vers une symbolique psychologique ( on pense à une allégorie du chagrin d'amour ou comment s'en relever) voire politique ( ces zombies ridicules, se déplaçant de façon mécanique  ne sont-ils pas l'expression d'une population livrée à un monde libéral impitoyable ? ).  Sans jamais rien céder à son histoire, et avec malgré tout quelques rares moments qui vous font sauter sur votre siège ( genre oblige), le film arrive à distiller une grande poésie, tant plastique ( un magnifique travail sur le décor a été fourni, ou comment cet homme va rendre son quotidien plus doux en jouant avec les objets et la lumière)  que musicale ( le héros est musicien dans la vie et tous les moyens sont bons pour s'évader dans la création, et, là aussi, une bande sonore très léchée).
L'autre singularité du film tient dans son trio d'acteurs, tous estampillés film d'auteurs et qui donnent donc une autre sorte de plus value à l'ensemble. Si Golshifteh Farahani ne fait qu'une brève mais forte apparition, reconnaissons que Anders Danielsen Lie, avec son accent norvégien et sa silhouette frêle apporte au film cette note tout aussi fragile que courageuse qui permet une empathie réelle avec son personnage et porte le film avec aisance. Le bonus reste Denis Lavant, absolument extraordinaire dans un rôle muet de zombie enfermé dans un ascenseur, gargouille simiesque dont il arrive à tirer de l'émotion.
Dans la lignée de  " Grave" de Julia Ducournau, " La nuit a dévoré le monde"  surprend le spectateur par sa maîtrise autant scénaristique que filmique ( classique mais ultra efficace) d'un film apparemment de genre mais qui ledétourne pour en faire une œuvre personnelle, pertinente et ambitieuse. Décidément, nous avons beaucoup de jeunes auteurs talentueux que l'on se plaira à suivre...

Avertissement : La bande annonce, compile quasiment les seuls moments de tension d'un film d'1h34...

dimanche 4 mars 2018

Quoi de neuf au mois de mars dans la chanson française ?


Evidemment, je ne peux que commencer par la bombe de ces derniers mois, Eddy de Pretto. Il avait ébouriffé par son franc chanté la variété hexagonale avec "Kid" et "Fête de trop" ( sur un premier EP ) mais avec la sortie hier d'un album de quinze titres, il s'impose sans problème comme une personnalité sur laquelle on va devoir compter dorénavant. "Ego", nettement mieux produit que les deux titres cités précédemment, impose ce jeune artiste et entre désormais dans la grande famille des grands chanteurs français.

Le 9 mars, un premier album ( "Possible") d'un dénommé Chaton devrait faire quelques vagues. En dehors de tout formatage physique, un peu plus âgé que les nouveaux venus actuels et après avoir travaillé pour Jennifer, Yannick Noah ou Natasha Saint Pierre, il nous propose un album électro reggae, à la voix auto tunée  qui peut énerver, mais une chose est certaine son titre "Poésie" reste dans la tête une fois entendu.

Puisque j'en suis au registre des chansons qui se collent dans le cerveau comme un morceau de scotch sur une paire de chaussures, en voici deux, qui, au mois de mars ( et plus sans doute), il vaudra mieux éviter d'écouter au réveil sous peine de se les traîner toute la journée. 
La première,  "Je veux tes yeux" de Angèle, semble courir à un succès plus grand que son précédent titre ( "La loi de Murphy"), faut dire, que l'on est pas loin de la chanson scie qui plaît tant à toutes les radios FM. 

La deuxième, n'est peut être pas engagée dans la voie du succès, lestée fortement par une étiquette "Eurovision" pas des plus branchée puisque représentant la France en mai prochain au fameux concours, mais force est de reconnaître que la mélodie entre bien dans la tête. Si l'on prendre la peine de regarder et d'écouter le clip, on s'apercevra que les belles paroles simples et humanistes ont une réelle portée ( sans compter que Mercy en anglais veut dire Pitié !). Alors, bon vent à " Mercy" du groupe Madame Monsieur !


Et je finis par ce que je pense être un tube en puissance ( si les radios FM s'en emparent, ça va faire un malheur ... quoiqu'avec la bien pensance actuelle ...le mot " joint" dans un titre... risque de refroidir les programmateurs zélés !). Donc voici "L'odeur des joints" du groupe Hollydays, titre porté par la très belle voix d'Elise Preys que magnifient de jolis arrangements électros. 






Dans le sillage de #metoo et de #balancetonporc, comment ne pas parler de ces deux chanteuses ...comment dire ? aux tentations violentes contre les hommes? 
La première au pseudo peu banal, K! , chante "L'adultère"  dans le sillage de la  chanson française pure et dure, celle à texte que l'on écoute, ici revisitée 2018 avec un accompagnements plutôt punchy comme la voix grave et prenante de K! ( écoutez bien jusqu'au bout... )


Dans un tout autre registre, plus pop, plus variété, mais avec la même envie de ne pas se laisser faire, voici Clara Luciani avec " La grenade" , qui ne devrait pas faire péter les charts mais dont les paroles fleurent bon une belle envie de ne pas se laisser marcher sur les pieds. 






Et pour terminer, voici le clip le plus insolite du moment, proposé par Alice Lewis dont l'album "Imposture" est sorti il y a un peu plus d'un mois. Voix proche de Mylène Farmer, arrangements électro pop actuels, je ne suis pas certain que le titre "Cabriolet" sorte vraiment du lot, ni qu'il soit aussi original ou décalé que les images ci-dessous... mais c'est une curiosité...


vendredi 2 mars 2018

Call Me By Your Name de Luca Guadagnino


Je viens de lire dans un magazine ( ELLE... pour ne pas le nommer) qui glosait sur Thimothée Chalamet, l'acteur principal de "Call me by your name" , qu'il avait eu la chance de tourner dans un chef d'œuvre... terme qui, si l'on en croit les tresses de louanges qui accompagnent cette semaine la sortie du film, qualifie la dernière œuvrette de Luca Guadagnino ( dont les deux précédentes, "Amore" et " A bigger splash"  se classaient dans les séries B ratées de luxe).
On va se calmer deux secondes et regarder un peu le film pour ce qu'il est : une bluette ratée qui évite pudiquement la plupart des sujets intéressants du roman duquel il est adapté.
Un bel été, en Lombardie, arrive dans une propriété cossue, une voiture. De la fenêtre de sa chambre du premier étage, Elio, 17 ans, accompagné d'une copine, regarde en descendre Oliver, bel américain propre sur lui. Il va passer l'été dans la famille. Donc, il sera en short, chemise ouverte ou torse nu. Mazette ! Il est aussi beau que les statues grecques dont semblent raffoler le père de famille ( prof forcément érudit et sans doute troublé par ces nudités parfaites). Elio fera du vélo avec Oliver, bronzera à côté de lui autour de la piscine familiale, flirtera avec Marzia,  jusqu'à ce que lors d'une sortie à la campagne, Elio embrasse Oliver... Ensuite, il s'aimeront d'une amitié totale ...
Non, il n'y a pas plus au niveau histoire ! Le film est sensé, dans ce canevas, nous montrer l'émoi grandissant d'un adolescent pour un autre homme de sept ans son aîné, sauf qu'à l'écran, il n'y a rien. Pendant une heure, on voit Thimothée Chalamet, la mine boudeuse et dont le principal talent dans le film est d'avoir appris trente secondes d'un morceau de Haydn au piano et surtout d'avoir 21 ans et d'en paraître 16, traîner aux basques du beau Armie Hammer, sans que jamais on ne sente la plus petite attirance.  Pour le bouillonnement des hormones et la tension sensuelle on repassera. Le réalisateur s'emploie pourtant à filmer des bouches de poisson comme des sexes, de l'eau qui jaillit ou qui frémit, des fruits mûrs et savoureux mais rien n'y fait. Même les corps dénudés posés et alanguis au bord de l'eau ont l'érotisme d'un dépliant touristique pour un séjour dans un gîte italien.
Puis arrive la scène du baiser  ( plutôt réussie et bien vue) et on se dit que le film va enfin démarrer et nous plonger dans cette annoncée passion pleine de sexe sans doute... Encore raté ! Oui, ils vont s'aimer à priori ... mais à l'américaine. Le film a beau se passer en Italie, filmé par un italien mais, attention coproduit par un studio US et ça se voit ! On a droit à tous les clichés habituels. Lors de la scène qui va unir les corps, la caméra, vraiment peu inspirée, s'écarte du lit où les deux hommes s'étreignent ( peut être ), pour filmer la décoration posée sur la table de nuit et finir sur une fenêtre symboliquement ouverte sur la nature alors que la bande son nous donne à entendre un très léger gémissement. Je sais bien qu'il vaut mieux suggérer les choses, mais là, on ne peut pas s'empêcher de penser à une séquence célèbre de  OSS 117, l'humour en moins mais la pruderie en plus... que l'on retrouvera notamment dans la désormais célèbre séquence de la pêche... Oui dans " Le dernier tango à Paris"  y'avait la scène du beurre et donc dans "Call me by your name"  il y aura une pêche... sauf qu'ici elle est à la fois un poil ridicule et surtout vidée de son sens véritable. Dans le roman, la pêche dans laquelle s'est masturbé Elio, finit dégustée par Oliver, ce que le film se  garde bien de montrer, enlevant tout le côté, et transgressif aux yeux du jeune héros, et surtout passionnel de l'histoire. C'est donc dans une sorte d'amitié sensuelle peu convaincante que nous sommes conviés. Même si le discours final avec le père, ouvre enfin le film vers quelque chose de plus profond et d'un peu plus subversif que la banale histoire d'amour entre deux hommes, l'ensemble se conclut par une dernière scène kitchissime et moche ( mais qui a coiffé et attifé Thimothée Chalamet ainsi ?!!).
Malgré l'apport du très cinéphilique de James Ivory au scénario, 90 ans au compteur, et dont le meilleur de sa très gracieuse filmographie date quand même de 30 ans, sans doute mis aussi en avant pour essayer de donner du lustre à l'ensemble, le film, trop sage, n'ose jamais aller là où ça pourrait grattouiller un peu, se contentant de livrer une sorte de roman-photo ( genre très italien au demeurant) bien plat mais qui convient bien à une cérémonie des Oscars aseptisée.