mercredi 27 mars 2019

Synonymes de Nadav Lapid


"Synonymes" est-il, comme une presse en pâmoison le clame, un chef d'oeuvre, la naissance d'un Godart du 21ème siècle, un coup de pied dans le cinéma français, le grand film de ce début d'année ? Malgré un ours d'or à Berlin ( mais la concurrence était-elle rude ? )  le troisième long-métrage de Nadav Lapid n'enthousiasmera pas les foules, mais trouvera une poignée d'aficionados tant le film semble fabriqué pour plaire à une frange bien précise de spectateurs : les intellos qui aiment couper les cheveux en quatre ( dans le sens de la longueur).
"Synonymes" se présente grosso modo comme un film d'apprentissage ; un jeune israélien fuyant son pays qu'il exècre arrive en France, à Paris, symbole de paix et de liberté. Evidemment, une fois sur place, la réalité s'avérera différente et les portes pas faciles à entrouvrir pour se faire une petite place. On suivra donc Yoav dans sa découverte d'une France qu'il essaiera de s'approprier par la langue dont il apprendra les mots en étudiant un dictionnaire mais qu'il explorera aussi avec son corps de façon plus symbolique. 
Pendant deux heures, nous suivrons Yoav, silhouette ou nue ou enveloppée dans un grand manteau d'un jaune presque moutarde ( LA couleur tendance du moment ) qui donne au film une identité tout de suite repérable. Dans ce vêtement en beau lainage, se trouve le corps d'un acteur à la présence indéniable : Tom Mercier. A la fois fou, fort et fragile, il porte le film de bout en bout. Il n'a pas de mal  parce qu'en face de lui le pauvre Quentin Dolmaire a le regard vide de ceux qui ne comprenne pas une seconde ce qu'ils disent et Louise Chevillotte joue les utilités. Mais ces deux acteurs sont là pour nous rappeler que nous sommes dans un cinéma de créateur, propre à faire bander toute la rédaction des Cahiers du Cinéma ( gagné ! ils sont atteints de priapisme pour au moins un mois) puisque révélés par Desplechin et Garrel ! Et c'est donc sous ce compagnonnage que Nadav Lapid va promener sa caméra, offrant des plans sublimes, d'autres ingénieux, d'autres joliment cadrés mais dont on se demande s'ils servent réellement un propos, parfois obscur ( les rapports avec des réseaux vaguement fascistes) , parfois surprenant, parfois abstrait. 
Dans cette pochette surprise à la cinéphilie assumée, on trouve de tout, de la danse, des coups de mitraillettes, deux apparitions de Léa Drucker épatante, une reprise d'une chanson gagnante à l'eurovision, de la rancoeur, de la noirceur et un regard très gay sur les rapports masculins. Le réalisateur semble très intéressé par la plastique assez ébouriffante de son acteur,  très souvent entièrement nu ( fascination pour son gros sexe et ses grosses fesses rebondies ? ). Mais ce qui semble plus étrange, sont tous les face-à-face avec un autre personnage masculin, filmés comme une scène d'amour alors qu'au final, il ne couche qu'avec Louise Chevillotte ( qui, elle, garde ses sous-vêtements pour faire l'amour). Interrogation sur la virilité ? Homosexualité refoulée ? On ne sait... 
"Synonymes" est assurément une geste cinématographique originale, créative, mystérieuse, intéressante. Dans un contexte de formalisme intense, on peut comprendre qu'elle puisse apparaître comme un petit chef d'oeuvre surtout que sa conception un peu éclatée permet de multiples interprétations. Cependant, on peut s'y ennuyer, être arrêté par certains propos obscurs ou agacé par son petit côté poseur. Reste que le film possède de sérieux atouts pour laisser quelques jolies impressions sur la rétine du spectateur et ça ce n'est pas souvent au cinéma ! Rien que pour cela et pour son acteur principal, "Synonymes" mérite votre curiosité. 








mardi 26 mars 2019

Son autre mort d'Elsa Marpeau


On dit souvent que si le polar fonctionne bien cela vient du fait que les lecteurs aiment qu'on leur raconte des histoires ( champ parfois abandonné par la littérature classique ). Bien sûr, du roman noir au thriller sanglant, le genre comprend une multitude de sous genres propres à satisfaire tout le monde. Pour " Son autre mort" , le nouveau Elsa Marpeau, difficile de le ranger dans une quelconque case, mais il passionnera assurément les amateur(rice)s de récits habiles et bien ficelés, à tendance psychologique.
Les premières pages du roman, assez basiques et classiques, nous plongent dans une province pas loin de Nantes, avec la venue incognito d'un écrivain célèbre ( ancien prix Goncourt) dans une chambre d'hôtes tenue un couple lambda. Ce ponte de la littérature désire y écrire au calme son prochain roman loin de tous ses proches qui ne connaissent pas sa destination. Alex, prénom masculin de la propriétaire, qui écrit des nouvelles en amatrice, s'intéresse de très près à l'écrivain. Trop ? Sans doute, puisque un cadavre rejoindra un tas de fumier au fond de la propriété, laissant l'assassin s'activer à inventer une autre mort à ce corps bien encombrant, cherchant qui dans l'entourage aurait eu intérêt à sa disparition.
L'intrigue, savamment dosée, ménageant petits moments de suspens et rouages machiavéliques, nous démontrera comment nos technologies modernes peuvent continuer à faire exister virtuellement un mort mais aussi transformer la réalité au bénéfice d'un assassin. Parfaitement huilé, sans plus aucune violence ou crime, le récit avance sans qu'on le lâche, rappelant certains auteurs passés comme Boileau et Narcejac, voire Sébastien Japrisot pour sa mécanique infernale.
Avec son petit côté classique "Son autre mort" parvient sans problème à tirer son épingle du jeu. Sous  son air sagement psychologique, il nous change un peu d'histoires sordides et glauques dans lesquelles les auteurs du genre semblent  aimer se vautrer et démontre qu'avec un peu d'imagination et une bonne histoire rondement menée, on peut se passer d'accumuler les cadavres au fil des pages et parvenir à passionner le lecteur.

samedi 23 mars 2019

Quoi de neuf dans la chanson française ?

Derrière Clara Luciani ou Angèle, sacrées star de la chanson en moins d'un an et promises à une belle carrière, qu'est-ce qui se mijote, quels jeunes talents cherchent à émerger ? Petite revue de printemps où de jeunes pousses essaient d'éclore. 

Commençons par du grand classique...et du déjà bien engagé dans la course au succès. Avec une guitare, un son proche de Renaud, des textes plus engagés que la moyenne, voici le retour d'une chanson à texte comme dans les années 70,  tendance ... Anne Sylvestre ( dans sa version adulte). Gauvain Sers, dont le premier album avait été fort bien accueilli, sort bientôt son deuxième opus dans lequel on trouvera un duo avec, justement, Anne Sylvestre. Un  premier extrait joue des coudes pour passer sur les ondes : " Les oubliés". Sur un thème qui se greffe aux combats actuels d'une partie de la population française : la disparition des services publics de nos campagnes, accompagné de trois courts-métrages racontant la naissance de cette chanson, on pourrait presque qualifier la chanson d'opportuniste. Mais quand on regarde l'engagement pour nos campagnes de ce chanteur qui a vécu dans la Creuse, quand on voit le nombre d'endroits délaissés où on lutte et où il offre sa notoriété, on ne peut douter de sa sincérité. Dans la lignée de son précédent album où il explorait déjà quelques maux de notre société, " Les oubliés" frappe juste et bien. 



Gauvain Sers : "Les oubliés"

Complètement différente, assurément originale, Maud Octallinn sort un premier album consacré à la saucisse ( "Sainte Saucisse") ! Si le premier clip, " La souplesse" n'évoque pas vraiment son fantasme charcutier , reconnaissons-lui une jolie tendance à une féminité assumée. Sa pop chaloupée, ses textes teintés d'humour et son côté un poil décalé arriveront-ils à faire la différence ? 



Maud Octallinn : " La souplesse"

Gontard, lui aussi, peut se targuer d'écrire des chansons à texte sur notre quotidien de nation libérale. Déjà à la tête d'une discographie relativement importante ( avec même un album de reprises de Jean-Luc Le Ténia, chanteur culte manceau décédé en 2011), un nouvel album est annoncé en 2019. Un premier titre sort ces jours-ci, "Kevin Malez",  où l'on retrouve plein d'influences, de Fauve à Daniel Darc en passant...mais oui...par Gilles Deleuze et qui accroche bien l'oreille. 


Gontard : "Kevin Malez"

Virage à 180 degrés, passons à quelque chose de plus soft, de plus doux : Clio avec "Amoureuse", joli morceau intimiste et romantique dans la lignée d'une Rose ou d'une Berry. Nous sommes dans la chanson d'amour  avec un léger pas de côté qu'accompagne un clip gentiment créatif. C'est léger et ça fait du bien ! Un deuxième album semble en préparation...et l'on est impatient de le découvrir. 


Clio : "Amoureuse"

Restons dans la douceur avec une note encore plus sucrée ( attention au mal au coeur) avec Vendredi sur Mer. Ce n'est pas un groupe, juste une chanteuse Suisse, influencée par le rap et la pop . Elle commence à intéresser les magazines qui ont pignon sur rue ( Les Inrocks, ...). Son premier album vient de sortir et sur You Tube son clip " Ecoute chérie" ... très lascif et gay, cartonne. Le succès semble à portée de main... 


Vendredi sur Mer : "Ecoute chérie"

Restons dans le même style : Requin Chagrin ( et soudain resurgit un duo Michel Sardou/Mireille Darc). Trois garçons et une fille composent ce groupe qui donne dans une pop suave très en vogue en ce moment. Leur clip "Sémaphore"  ( extrait de leur dernier album au même titre) surfe sur une vague gay décidément bien à la mode ce printemps chez cette nouvelle génération. Il paraît qu'Etienne Daho les adore... Bon signe non ?



Requin Chagrin : "Sémaphore"

Terminons par Clément Froissart dont un premier EP sort à peine. Son physique avantageux, bronzé par le soleil des Landes où il a installé son studio d'enregistrement, n'éclipse pas une musique léchée, légère, pop dansante avec une jolie ambiance un peu psychédélique. Son premier titre "Amour Armure" accompagne joliment ce printemps nouveau... A suivre de très près...


vendredi 22 mars 2019

Il se pourrait qu'un jour je disparaisse sans trace de Thierry Beinstingel


Quand un auteur s'intéresse à des gens ordinaires et les place dans un univers réellement romanesque, sans fermer les yeux sur notre monde et son inhumanité, cela donne un récit passionnant qu'il est plus urgent de découvrir que celui mièvre et mercantile de certain(e)s auteur(e)s actuel(le)s porté(e)s aux nues dans le seul but d'enrichir quelques uns ( si vous ne voyez pas de quoi il s'agit, traînez dans une librairie, une pile de coquelicots devrait vous remettre à jour).  "Il se pourrait qu'un jour je disparaisse sans trace" ne bénéficie pas de l'écho médiatique que pourtant il mériterait, tant le regard réellement empathique et l'écriture fluide et imagée s'unissent pour nous offrir un vrai roman que l'on ne lâche pas, qui a vraiment des choses à nous dire et à nous faire ressentir. 
Trois personnages vont voir leur vie prendre une direction inattendue, trois personnes presque invisibles, tant leur vie ou leur statut social les conduit peu à peu à se fondre dans le paysage. Il y a d'abord une prof d'allemand, à l'image que l'on en a souvent( un cliché ?) : rigide, sèche, sans grâce. Séparée d'un mari volage, vivant à côté d'une ado mutique, déconsidérée par sa hiérarchie pour qui l'apprentissage de la langue de Goethe ( ou des Tokyo Hôtel) relève du passé, son quotidien va se trouver intrigué par la rencontre de l'équipe d'une association humanitaire venue vider la maison de son père récemment décédé. Ce sera la partie "roman psychologique et social" qui, dignement et élégamment, ne tombera jamais dans la facilité tout en maintenant un intérêt grandissant. 
Nous avons ensuite une jeune fille un peu désoeuvrée après son bac, vivant dans une cité en réaménagement dont la démolition de certaines barres d'immeubles laissera la place à une bretelle d'autoroute. Elle répond à une annonce punaisée dans le hall de son immeuble et va s'occuper, une heure par jour, d'un enfant attardé, abandonné dans un appartement. La situation, en plus d'être étrange et ignoble, donnera au roman son aspect apprentissage, la jeune fille découvrira petit à petit l'injustice du monde dans lequel elle vit. 
Le troisième personnage est un homme, sans plus beaucoup d'attaches et pointant à Pôle Emploi. Il se verra proposer un drôle de job bien rémunéré : garder une station de pompage totalement perdue au milieu d'un champ infini de maïs ( peut être en Ukraine ou dans quelques pays similaires de l'Est de l'Europe). Tel un Robin Crusoé sans vendredi, sa vie prendra un tournant qu'il n'avait sans doute jamais imaginé et donnera au roman sa partie grande aventure, réelle passionnante. 
Les trois récits alterneront avec bonheur, enrichis par des thèmes actuels ( la pauvreté, les migrants, les laisser-pour-compte) qui s'intègrent parfaitement et avec subtilité. Et si le lecteur se doute bien que ce procédé amènera ces trois personnes à se croiser, il ne voit pas bien comment avec ces trois intrigues si différentes. Mais, il faut faire confiance à Thierry Beinstingel et son talent de romancier, qui réussit ce tour de force avec finesse et arrive à donner un nouvel éclairage à son récit avec un final bien ficelé. 
Vous l'aurez compris, si vous voulez du roman, avec aussi un vrai regard qui vous passionne mais qui vous ouvre également l'esprit, "Il se pourrait que je disparaisse sans trace"  est l'ouvrage idéal, sincère et bien écrit, très très loin des fausses valeurs que l'on veut nous vendre par ailleurs. 



mercredi 20 mars 2019

Nous aurons été vivants de Laurence Tardieu


Hannah aperçoit, dans la rue, une silhouette qui ne peut qu'être celle de sa fille partie sans donner des nouvelles depuis sept ans. Le temps du passage d'un bus qui coupe son champ de vision et la silhouette a disparu. Cette apparition, peut être rêvée, peut être due à une certaine ressemblance de cette silhouette va replonger cette mère dans les affres de la douleur. 
Le roman se divise en trois parties  mais à la même tonalité grave, douloureuse, dépressive, qui au fil des pages vire au ressassement. La première pose le personnage, ébauche son histoire, présente ses amis, son défunt mari, sa fille. On perçoit très bien le gouffre que longe Hannah, son caractère indéniablement porté vers le noir de la vie dont elle arrive à s'extraire, ou tout du moins à l'extérioriser, par la peinture ( son métier). Une écriture grave et sensible nous emporte avec elle sans toutefois nous faire tomber dans l'empathie complète. Cette première moitié du roman s'achève alors que commence à poindre un début d'agacement face à une Hannah que beaucoup considéreraient comme un boulet ( On admire la patience de son amie Lydie qui la porte à bout de bras depuis des décennies). 
La deuxième partie va surprendre un peu car elle va revenir sur les dates importantes de la vie d'Hannah pour finir par revenir à la journée du début qui voit aussi un autre événement bouleverser sa meilleure amie. Et là les choses se gâtent. On tombe dans une sorte de psychologie mille fois lue, un passé sensé éclairer ce présent si triste. Outre, le ressassement de certains faits, évidemment logiques dans le tête de cette femme mais  passablement répétitifs à la lecture, cette construction n'éclaire guère plus sa dépression. L'agacement pointe au fil des pages et il ne faut pas être fin psychologue pour comprendre que Lorette ( c'est le prénom de la fille volatilisée)  a eu tout à fait raison de se barrer loin de cette mère nombriliste, que l'on devine aussi toxique à prodiguer un amour que l'on sent dicté par la pression sociale. Et quand dans la dernière partie apparaît un petit rayon de soleil pour cette héroïne, il y a longtemps que l'indifférence nous a gagnés, alors que l'on sent bien que le projet de l'auteure était d'émouvoir avec ce portrait de mère abandonnée. 
Cette histoire n'a guère trouvé d'écho auprès du lecteur masculin que je suis. La belle plume sensible que l'on perçoit toutefois n'a pas pu me sortir de l'ornière nombrilo/geignarde de l'ensemble, le seul personnage positif étant Lorette,  la méchante fille ... sans doute la plus lucide à la comédie parentale et amicale que se joue son entourage.  


samedi 16 mars 2019

Ma vie avec John F. Donovan de Xavier Dolan


On a beaucoup aimé Xavier Dolan... Son cinéma bousculait les codes, possédait une vigueur et un dynamisme de jeune chien fou qui faisait du bien dans un art de plus en plus formaté. Aujourd'hui, avec la vision de ce dernier mais premier film américain, on a confirmation que son statut de jeune prodige patine sérieusement. 
Fort de son succès précédent ("Juste la fin du monde" ), qui montrait déjà une certaine propension à s'autociter, Xavier Dolan reprend quelques thèmes chers (  rapports mère/fils, homosexualité, hommage à la culture populaire) auxquels il rajoute une critique du star système américain. On sait bien que les grands cinéastes, si on regarde bien, labourent inlassablement les mêmes sujets et nous ne sommes pas surpris de cette variante de ses oeuvres précédentes. Cependant, la machine semble tourner à vide et laisse pas mal de fans sur le bord de la route. 
Pourtant, on partait avec un bon à priori : les producteurs américains détestent le film et ont décidé de le garder dans les tiroirs. ( Ca doit sans doute les décoiffer pas mal le cinéma du jeune québécois...)  On se félicitait que la partie production française permette la sortie sur nos écrans. Par contre, d'autres signes pouvait faire craindre le pire : le montage initial de 4 heures réduit à 2h03 ( supprimant dans la foulée le rôle de Jessica Chastain) et un accueil glacial au festival de Toronto. 
Très vite, durant la projection, on sent que quelque chose ne tourne pas rond dans la narration de cette histoire. Quelques trous scénaristiques ( et pas forcément des ellipses), le télescopage de beaucoup de sujets qui ne sont traités que superficiellement, des dialogues moyennement convaincants  font froncer un peu les sourcils. Mais c'est surtout la mise en scène qui ne fonctionne pas ici. En voulant reprendre à l'extrême ce qui faisait la nouvelle originalité de son précédent film, c'est à dire filmer tout quasi uniquement en gros plan, collant contre le visage des acteurs et ne les quittant que pour filmer un bout de corps ou un élément du décor ( donc toujours en gros plan), il rend son film complètement étouffant, voire tout bonnement capable de flanquer une migraine ophtalmique aux spectateurs. Et si dans " Juste la fin du monde"  il pouvait s'appuyer sur des acteurs de génie, ici il doit se contenter de Kit Harrington, pas vraiment charismatique dans son rôle d'acteur gay dans le placard, de Natalie Portman plus mère de série télé US que maman " dolanienne" et d'un gamin assez insupportable. Le procédé tourne vite à la défaveur du film. 
Entendons-nous bien, malgré toutes ces réserves, le film reste cent coudées au-dessus de ce qui nous est généralement donné à voir ces derniers temps. ( A l'échelle de "Mon bébé", situé tout en bas, "Ma vie avec..."  culmine). Il y a quand même un vrai projet ambitieux, des thématiques intéressantes, un sens de la lumière et du plan ( même gros), mais par rapport à ce que nous avions déjà vu du cinéma de Xavier Dolan, celui-ci marque le pas. ( mais peut plaire, car ma voisine de siège a été énormément émue). Le meilleur moyen de se faire un avis, est d'aller voir cette " vie avec John F. Donovan".  Je suis certain qu'il suscitera bien des débats entre spectateurs et c'est déjà ça ! 


vendredi 15 mars 2019

Mon bébé de Liza Azuelos



Après le petit insuccès de "Dalida" , son précédent film, on sent que les producteurs de Liza Azuelos l'ont convaincu de revenir vers ce qui a fait sa gloire ( et arrondi leurs fins de mois) : la comédie adolescente avec mère un peu piquée comme dans "LOL". On troque Sophie Marceau par notre nouvelle diva de la comédie , Sandrine Kiberlain,... ah oui, on écrit vite fait un vague scénario, on accède aux caprices de sa fille qui veut faire du cinéma  et hop, emballé c'est pesé, on tourne "Mon bébé". Une agence de com de haut vol concocte une bande annonce alléchante ( composée, petit rappel, des seules répliques un peu drôles de l'impeccable Sandrine, d'apparitions d'ados pour cibler tout public et un bon rythme) et tout est en route pour faire un maximum d'entrées en première semaine....oui parce qu'après, pas certain que le bouche à oreille soit flatteur, même si tout le personnel et les amis  du distributeur place de courts  articles élogieux à longueur de journée sur Allo-Ciné. 
Le film débute mal avec une vague scène de présentation des deux personnages principaux qui d'emblée apparaissent assez antipathiques. Une mère pseudo branchée et son insupportable ado de fille foncent dans Paris car en retard pour le bac blanc de la donzelle écervelée. Tous les clichés d'une pseudo modernité décomplexée y sont, de l'hystérie drôle à la mauvaise foi supposée faire rire, en passant par la BMW décapotable. La suite confirmera cette première impression. Les deux personnages principaux, de simples objets de supposée comédie, illustrent un scénario qui se résume à son idée de départ : snif, ma dernière fille va me quitter. Comme il n'y a aucune réelle idée de cinéma, le film se vautre dans des flash-backs gnangnans montrant l'amour d'une mère et dans un présent où l'adolescente doit avoir son bac avec mention pour partir au Canada. Là, sur ce point, on ne comprend pas que Sandrine Kiberlain s'inquiète de son départ prochain, car, vu les neurones étalés par sa fille, il n'est pas certain qu'elle décroche un brevet des collèges. 
Alors oui, Sandrine Kiberlain fait le job comme elle peut, c'est en dire en forçant le trait, avec un certain panache. Il est indéniable qu'elle a le sens de la comédie, et peut presque faire exister des dialogues plats et des scènes ultra convenues. Mais la tâche est rude car, en plus d'avoir à défendre un personnage barré mais pas écrit, de n'être pas dirigée ( souvent en roue libre ), elle donne la réplique à une bande d'ados dont on se demande comment ils ont été choisis tellement ils sont mauvais, Thaïs Alessandrin en tête ( là, on connaît la raison de sa présence puisque fille de la réalisatrice). Cela dure 1h27 ( avec inclus, scènes au ralenti, scènes de danse inutiles ) et c'est long, très long.... totalement insignifiant, totalement raté. On se dit que ce bébé aura du mal à se faire adopter... 








jeudi 14 mars 2019

Mon père de Grégoire Delacourt


Contrairement à Delphine de Vigan ou David Foenkinos qui, cette saison jouent l'extrême facilité, Grégoire  Delacourt tente, lui, de redresser la barre en proposant un roman plus ambitieux qu'à l'accoutumée. Thème, construction et même vocabulaire sont convoqués pour l'occasion. Ca marche, puisque la sortie de l'oeuvre est orchestrée par une promo d'enfer vantant la grandeur de l'ouvrage. On parle de choc, de roman coup de poing, de baffe, ... Quelque part c'est vrai, puisqu'on peut y trouver une drôle de musique malsaine qui rend le propos assez dérangeant. 
L'intrigue, pour ceux qui reviennent du fin fond de la Sibérie, tourne autour du face à face d'un père ( de famille) et d'un père ( prêtre). Le deuxième a abusé et violé de nombreuses fois le fils du premier. Le roman est donc un huis-clos qui se veut particulièrement intense et étouffant. 
Sortant au même moment que le jugement du silence de l'église à Lyon sur des crimes pédophiles, mais aussi que le film "Grâce à dieu" , le livre tombe à pic. Mais, contrairement à la sobriété intelligente et digne de François Ozon, Grégoire Delacourt choisit un traitement pour le moins clinquant convoquant tout à la fois du grand-guignol, des interprétations de textes religieux chrétiens autour de Lazare, quelques scènes pédophiles et un twist final (franchement mal fichu puisque compris dès la page 86). Là dessus, se greffe un personnage de père particulièrement déplaisant. On comprend sa colère, mais ici, elle est traitée de façon outrancière, avec une violence type far-west. Je suis mécontent, j'entre dans l'église et je fracasse tout, tout, même les missels sont méticuleusement déchirés. Et que fait le prêtre présent ? Il appelle la police ? Non, il soigne le malheureux qui s'est ouvert la main en faisant exploser une pauvre vierge marie posée là. Il est bon le prêtre.... surtout qu'il n'est pas celui qui a abusé de son fils....  Bon, on s'apercevra plus tard que si... Du coup, le père veut des réponses à sa colère. Pour cela, comme il est fils de boucher et qu'il a amené des couteaux à désosser, il va torturer l'homme d'église tout en lui demandant de raconter le pourquoi du comment. En plus des de nous conter quelques attouchements un peu complaisamment ( Grégoire Delacourt n'a absolument pas le regard clinique de  Christine Angot pour raconter les déviances sexuelles perpétrées par des adultes sur des enfants ), le père demande au prêtre  pourquoi son fils et pas un autre ! ( bien vue cet égoïsme bien actuel ) mais là où on est un peu plus dérangé, c'est quand il rajoute ( la voix du père semble se mélanger à celle l'auteur) : " Ma réaction me range, je le sais du côté des bêtes mais est-ce en être une que de préférer que le mal soit fait à un autre enfant que le sien, qu'un autre soit écrasé à sa place? " ( peut être que oui quand même... ) Et de rajouter : " Posez-vous tous la question et ne mentez pas vos réponses. Posez-vous tous la question  et bénissez le sang sur vos mains."  On peut rester pensif à cela, froncer le sourcil et se demander où l'auteur veut en venir exactement. 
Bien sûr, on trouvera évoquer toutes les questions que posent cette pédophilie au sein de l'église catholique mais amalgamées dans un prêchi-prêcha biblique autour de la figure de Lazare qui se mêle aussi avec les portraits  gratinés de la mère ( j'ai quitté mon mari pour un autre, suis-je coupable ?)  et de la grand-mère ( ah s'ils n'avaient pas divorcé...)   du petit garçon violé. Vous y rajouter une bonne ration de vocabulaire un peu alambiqué ( on nous parle de "palingénésie", on dilacère, on donne un coup d'épissoir...peut être sur la conopée, tout cela nous amenant à faire de la cachexie) et vous vous trouvez face à un roman qui, partant dans de multiples directions, les loupent toutes au final. 
Dérangeant ,"Mon père" tient les promesses de sa promo, absolument pas sur le sujet de la pédophilie en général et celle des prêtres en particulier, bien mieux traité par d'autres, mais parce que lourdement ambiguë, sadique, un peu voyeur et un peu moralisateur sur la famille. 

mercredi 13 mars 2019

Les gratitudes de Delphine de Vigan


Quelle épidémie ! Tout comme David Foenkinos, Delphine de Vigan est atteinte de ce syndrome de surproduction littéraire.... heu... littéraire renvoie à littérature et dans leur cas ce serait mentir... disons alors ...surproduction de texte imprimé. Un esprit mal tourné compléterait en arguant que remettre un jeton dans la machine cash contente tout le monde, de l'éditeur à l'écrivain en passant par le libraire. Pas vraiment certain que tout le monde gagne à ce jeu, surtout le lecteur, même si sous cette entité se classe une multitude de sous groupes de diverses importances. Pour nos deux romanciers, on peut dire, sans les vexer, qu'ils ont changé de catégorie, passant du joli roman bien fait, ayant une certaine tenue, à des ouvrages plus consensuels dans leur manière d'aborder les sujets, que l'on sent marketés pour répondre aux supposées attentes du public ( pas trop longs, écrits gros et jouant sur les (bons) sentiments et le feel good) et vendus sur une renommée acquise avec des ouvrages autrement plus intéressants.  
Avec " Les gratitudes", Delphine de Vigan, nous rejoue le coup des "Loyautés", mais en version light. Comme dans son précédent roman, cela débute par un court texte autour aux apparences profondes, cette fois-ci autour du merci. Dans "Les loyautés" la petite dissert d'introduction sur la gratitude pouvait impressionner et lançait fort bien le roman.  Ici, nous démarrons quelques crans en-dessous, mignon comme une jolie rédac d'une ( bonne ) élève de quatrième qui a bien entendu son entourage ayant quelques regrets lors de l'enterrement de tonton Jean-Jacques à qui on aurait pu dire de vive voix combien on l'aimait. ( Il semblerait que dans le joli monde de Delphine de Vigan il n'y ait que des êtres bons ou, grosse malchance,  à qui on peut bien pardonner pour dire merci.) . La suite, vous la connaissait sans doute ( la promo est d'enfer), le concept ( très vendeur) étant de parler de la vieillesse ( si, si, c'est vendeur, le roman feel good en regorge puisque le gros lecteur se trouve surtout chez les seniors). Bien sûr, la très sympathique Michka, l'héroïne, prend hélas le virage de la vraie vieillesse. Pour elle, dans son pack, elle trouve une EPHAD et de l'aphasie. Ca aurait pu être pire ( surtout que l'EPHAD du roman est quand même top de chez top) et que l'aphasie (troubles du langage)  permet à l'auteure de placer des dialogues charmants à la fraîcheur enfantine ... dont le procédé finit par lasser ( Michka dit un mot pour un autre). Comme nous sommes dans la bienveillance totale, le très sympathique orthophoniste qui s'occupe de la vieille dame est absolument sensationnel ( mais dans la vraie vie aussi, j'en connais) et ira même jusqu'à sacrifier ses congés pour réaliser le rêve de la vieille dame ( là, j'en connais peu ayant autant d'empathie). Comme nous nageons dans le rose bonbon, une jeune femme, éperdue de gratitude et d'amour, passe beaucoup de temps aussi auprès de notre héroïne qui toutefois décline au fil des courts chapitres. Oui, parce que, et c'est dur, l'héroïne va vers la mort ....mais comme tout un chacun. Les larmes couleront bien sûr dans la plus grande gratitude, les esseulés seront moins seuls et l'EPHAD croulera sous les demandes d'admission tellement c'est le bonheur d'y finir ses jours. 
Delphine de Vigan n'est pas complètement tombée dans la nunucherie et la naïveté totale. Elle sait bien que les EPHAD sont loin d'être tous des copies d'un séjour au Club Med. Du coup, pour compenser un peu cette guimauve écoeurante, elle convoque les cauchemars de la vieille dame aux prises avec une très méchante directrice de résidence seniors( ouh! la vilaine). Mais, surnage bien sûr, cette bienveillance, cette gentillesse qui très vite rend son petit récit anodin et surtout pouffant comme un trop plein de Nutella. Je ne citerai pas Gide et son avis sur les bons sentiments en littérature, mais, bon sang, qu'est-ce que ça colle parfaitement bien à ces "gratitudes" !( oui, c'est vrai, ce n'est pas de la littérature...)
Sans remettre en cause la réelle bienveillance de Delphine de Vigan, ces "Gratitudes" resteront une petite chose qui trouvera sans doute le lectorat pour qui elle est fabriquée ( et ce même lectorat compatira sur Michka mais laissera peut être croupir Nicole, cette sale ... dans son EPHAD) mais, avouons-le, surfe trop sur la sucrerie pour être crédible et profond. 

lundi 11 mars 2019

Pas dupe de Yves Ravey



Chaque parution d'un roman d'Yves Ravey se déguste avec gourmandise. C'est donc alléché que l'on se plonge dans cette nouvelle petite ( oui, peu de pages dans un petit format, gros caractères)  friandise. Tippi ( très Hitchockien ce prénom) est évidemment une belle blonde conduisant une rutilante voiture ...qui finit dans un ravin. Exit Tippi. Reste le mari et l'amant répondant au nom de Kowalzki ( patronyme énormément employé dans la fiction d'un " Tramway nommé désir" aux " Animaux fantastiques" en passant par " Blade Runner" ou "Gravity"). L'accident pourrait être classé si l'inspecteur Costa, avec un air de pas y toucher à la Columbo, n'avait un doute, un gros doute. D'interrogatoire badin en questions aux apparences innocentes, l'enquête avance dans un décor californien réduit à sa plus simple expression ( un virage, un bar, une usine, deux villas) et avec des personnages au caractère dépouillé ... comme d'habitude. 
Le roman, prend donc un caractère policier sans que l'on arrive à savoir vraiment si l'on est dans un pastiche réduit à l'os, un hommage au genre, un essai vaguement troublant où une violence retenue plane. Les trois à la fois peut être... On ne s'ennuie pas vraiment, mais si genre policier, on n'est pas passionné non plus. Une sensation énorme de déjà vu, déjà lu, accompagne constamment la lecture. L'humour ( grinçant), très présent dans son précédent roman, apparaît aux détours d'une remarque, d'un détail. Evidemment, cette économie de narration, totalement assumée, possède un charme fou, mais ne fonctionne pas sur cette intrigue qui ne réserve aucune surprise, le lecteur n'étant pas dupe du tout de ce qu'il se trame ni de cette mécanique jouant à fond l'impassibilité. On attendra, toujours curieux, une nouvelle livraison, on ne peut pas être au top à tous les coups ! 

dimanche 10 mars 2019

Les métèques de Denis Lachaud


Certains romans vous attrapent dès les premières pages pour ne plus vous lâcher. D'autres, par leur sujet, vous plongent dans des abîmes de réflexions. Quelques uns, moins nombreux, se dévoilent doucement au fil des pages et réussissent à nous immerger dans une réalité insoupçonnée. Et puis, encore plus rare, ces trois éléments peuvent se retrouver dans un même roman. " Les métèques"  est l'un de ceux-là !
Pour ne pas gâcher le plaisir de la lecture, il ne faut quasiment rien dévoiler de l'intrigue ( et éviter de lire la quatrième de couverture qui en dit peu mais encore trop ). Nous sommes à Marseille, chez les Herbet, famille bien française : Un père, une mère, trois enfants. L'aîné, Célestin, presque deux mètres de silence, sera le narrateur. Yseult, vit une vie d'ado comparable à beaucoup. Rico, le cadet, passe son temps à dégommer des guerriers sur sa tablette. Entre eux, l'amour circule au milieu de quelques prises de bec bien normales. L'arrivée d'un courrier émanant de la préfecture et intimant la famille à se présenter un lundi à 14h, rend le déjeuner plutôt taciturne. Le lecteur s'interroge sur ce voile d'inquiétude qui  enveloppe cette famille percevant un danger. Le passage dans les locaux administratifs, s'il révèle quelques éléments nouveaux à priori pas vraiment inquiétants, fait tout de même monter l'angoisse de la famille d'un bon cran. Malaise. Très vite, un événement cathartique plonge soudainement le narrateur au coeur d'une violence sourde sans que le lecteur saisisse bien les tenants et les aboutissants. La fuite de Célestin et son périple dans le sud de la France nous dévoileront un réel infiltré par la noirceur humaine... Au fil des pages, nous collerons aux basques de Célestin, pour un roman aussi haletant que fortement ébranlant. 
L'écriture de Denis Lachaud, épouse avec maîtrise les nombreuses accélérations du récit, profitant de quelques temps plus calmes pour tendre au lecteur un miroir où se reflétera, entre autre, le racisme ordinaire qui gangrène chacun de nous mais aussi cette possibilité d'être bientôt le passager d'une de ces coques de noix qui s'essaient à traverser quelques mers en quête d'un nouveau destin. Mêlant habilement quelques histoires du passé avec un présent qui semble n'avoir retenu aucune leçon, le texte nous empoigne et ne nous lâche jamais. Un élément un peu improbable du début, sur l'adolescence des grands-parents paternels, deviendra petit à petit un élément hautement symbolique grâce à l'énergie d'un récit qui nous amène, avec finesse, à réfléchir sur l'importance cruciale du devoir de mémoire. La connaissance de l'Histoire et de celle de sa famille servira le jeune héros à appréhender un présent salement porté à flatter les instincts les plus vils. 
Au terme de ce roman passionnant et passionné, on se dit que dans un océan de platitude éditoriale et nombriliste, il est rassurant de croiser des textes qui allient la force d'un romanesque assumé avec un propos fort, essayant de mettre un coup de projecteur sur un monde au bord de chavirer. " Les métèques", oeuvre forte, sensible, engagée ne pourra que vous bouleverser par son actualité tristement présente mais illuminée par son impeccable regard sur des différences qui devraient être notre force. 

vendredi 8 mars 2019

Court vêtue de Marie Gauthier


C'est un roman où le temps se circonscrit à une période, un été. Les journées chaudes se succéderont, un peu semblables, rythmées par les journées de travail des deux jeunes protagonistes. Félix traîne ses quatorze ans et passe son été en stage pour entretenir la voirie d'une bourgade qui possède même un supermarché... où travaille Gil, un peu plus âgée, mais aussi la fille du cantonnier qui l'héberge. Ce temps, qui, poisseux d'ennui, sans beaucoup de fêtes et aux gestes quotidiens trop répétés, ne s'accélère que rarement. 
C'est un roman où le décor est réduit à un bourg, déserté de beaucoup d'habitants partis vers des contrées plus riantes. Une maison placée au bord d'une départementale un peu passagère, une supérette trop bien rangée pour suggérer une fréquentation importante viendront compléter ce paysage qui semble n'en posséder aucun. Une rivière, une piscine apparaîtront inopinément, lieux aquatiques qui cristallisent les rencontres. 
C'est un roman d'atmosphère autant que d'initiation. Comme c'est l'été, la chaleur étouffe le bourg et dévoile les peaux, surtout celle de Gil, toujours court vêtue et offrant naturellement son corps aux regards de tous. Et les regards vont au-delà de la caresse visuelle. Gil, est libre, se donne à qui veut, sans malice, sans arrière-pensée, grimpe dans des voitures, se laisse appuyer contre des murs chauds, soulève sa jupe courte près de la rivière. Vivant sous le même toit, Félix l'observe, l'approche, la regarde, la dévore des yeux. Mais est-il capable de l'intéresser, lui, si jeune, encore un peu frêle ? Les trois mois d'été à travailler au grand air vont toutefois transformer son corps, le maniement de la pelle dans les fossés ou les parterres publics vont faire apparaître des muscles, préfigurant l'adulte qu'il deviendra....peut être plus rapidement qu'il ne le pense.
C'est un premier roman  court, dense, à l'intensité moite. Bien sûr on pense à quelques ouvrages passés ( "L'été meurtrier", "Canicule", mais eux étaient des polars ou d'autres plus stylisés ) mais Marie Gauthier, en resserrant son intrigue au plus près de ses deux personnages, tout près de la peau, parvient à faire entendre une très jolie musique personnelle, légère comme cette jeune fille virevoltante qui court sur les trottoirs de ce bourg mais aussi étouffante comme quand on attend que l'orage craque. Un très beau premier roman !


mercredi 6 mars 2019

Deux soeurs de David Foenkinos


David Foenkinos est-il obligé de faire paraître un roman tous les ans ? Ses succès passés lui ont-ils procuré un tel train de vie que dorénavant il soit obligé de produire de façon intensive afin de pouvoir le conserver ? On peut le penser en refermant ces " Deux soeurs", petit roman plus que gentillet, flirtant avec la banalité. 
Mathilde se fait larguer par son mec. Elle est anéantie. Elle pleurniche. Heureusement, elle peut se raccrocher à son boulot de prof de français. Mais, paf ! , elle gifle un élève. Mise à pied. Le gouffre de la dépression s'incruste surtout qu'elle doit lâcher son appart, l'Education Nationale ne verse plus qu'une partie de son salaire. Coucou soeurette ! Tu m'héberges ? Cool, mais je vais pas déranger... 
La suite confirmera le manque d'ambition de l'ensemble, surtout qu'elle lorgnera sur le thriller psychologique sans vraiment y mettre les doigts. 
Pour les fans du l'auteur, on retrouvera ses annotations en bas de page ( bof) et cette nonchalance sympathique, ici à bas régime. Le sujet, maintes fois labouré (en mieux) ailleurs, s'il permet de glisser parfois une ou deux remarques sociétales bien vues, n'évite aucun cliché. Comme son lectorat semble bien ciblé, le récit se garde bien de prendre les directions plus grinçantes qui parfois s'entrouvrent. Il ne faut pas bousculer un public durement acquis à sa délicatesse maintenant quasi légendaire. D'ailleurs, je ne comprends pas que la maison Gallimard n'ait pas caché sa jaquette beige si chic pour la recouvrir d'une jolie photo colorée avec belle dame posée sur un canapé à côté d'un joli chat. Cela aurait été sans doute attiré le lectorat idéal pour ces " Deux soeurs" bien pâlichonnes et évité une grosse déception aux amateurs de vraie littérature qu'attire la collection blanche. 

mardi 5 mars 2019

Changer le sens des rivières de Murielle Magellan


Quelle drôle d'idée que cette illustration de couverture que d'aucuns pourraient trouver hideuse et peu vendeuse ! Elle ne ressemble en rien à ce que l'on pourra découvrir derrière sauf peut être la Ford Fiesta ( mais dans cette silhouette noire, difficile de reconnaître un modèle particulier), la vieille quasi épave de Marie l'héroïne. Certes sa vie n'est guère sautillante, même si le roman débute par une jolie scène de séduction qui tournera court. Mais qui peut se targuer d'enchaîner les jours avec un bonheur constant ? Sûrement pas les trois personnages principaux de cette histoire. Pas Marie, jeune serveuse qui doit s'occuper d'un père hypocondriaque, ni Alexandre étudiant qui cherche à percer dans le cinéma, ni Gérard, juge obèse et très taciturne. Tous ne se rencontreront pas forcément mais seront liés par un film de François Truffaut ( "Le dernier métro") qui leur permettra de trouver des liens que l'étanchéité d'une société bien cloisonnée ne leur aurait sans doute pas permis. Il faut dire que ces trois sont à des stades différents de l'échelle sociale. En haut, Gérard, rejeton d'une famille de surdoués, exerce la profession enviée de juge, plus bas, Alexandre, jeune homme très cultivé, vient d'un milieu plus modeste avec ses deux parents instits et occupe pour le moment une place au milieu, tandis que Marie, issue d'un milieu ouvrier passé à côté de toute culture qui brille ou qui pétille, se contente du dernier barreau, en bas. 
Avec ses trois personnages, Murielle Magellan va tresser une très jolie histoire qui verra chacun se débattre dans une vie qui semble inexorablement tracée mais que chacun, inconsciemment ou pas, essaiera de faire sortir des rails. Il y sera question d'ostracisme social, d'altérité ( mot à la mode mais ici traité avec une profonde humanité), de différences culturelles. Avec une écriture claire et limpide, sans jamais tomber dans l'angélisme ni dans les clichés de la lutte contre les élites, le lecteur se trouve embarqué, non pas dans un des nombreux cargos ( quoique...) mouillant dans le port du Havre où se déroule cette histoire, mais dans un récit qu'on ne lâche pas. En brossant parfaitement ses personnages, les rendant ainsi  immédiatement crédibles et attachants, l'auteure parvient avec talent à nous faire frémir, trépigner, râler, lorsque son héroïne prend une direction qu'on ne lui souhaite pas ou nous émouvoir fortement lorsque les paroles de certain(e)s se libèrent. On referme "Changer le sens des rivières" ( titre extrait de la chanson "La beauté d'Ava Gardner" d'Alain Souchon) avec le sentiment heureux d'avoir lu une très jolie histoire, à l'émotion constante et au message plein d'espoir : Il existe pour tout le monde, quelque part, souvent dans la culture, une petite clé qui peut changer une vie... 





lundi 4 mars 2019

Un bon rabbin de Manuel Benguigui


Le titre du troisième roman de Manuel Benguigui, à l'allure anodine, cache en fait une fantaisie originale dans laquelle on se glisse avec gourmandise. 
Résumer le livre serait un mauvais coup pour les futurs lecteurs, car l'un des premiers plaisirs tient justement dans la découverte d'une histoire qui prend des chemins inattendus. On peut juste dire que nous rencontrerons un bon rabbin, bien gentil, très à l'écoute des quelques fidèles qui fréquentent sa synagogue bien décrépite faute d'entretien. Ce petit monde vieillissant ne remarque pas tout de suite la venue de Jacob qui vient prier tôt le matin. Le rabbin, intrigué, va essayer d'entrer en relation avec lui d'autant que les quelques pratiquants du secteur, autant par ennui que par un début de sénilité, croient qu'un démon vient nuitamment déplacer des objets dans leur lieu de culte. Et c'est parti pour une folle histoire où le bien et le mal donneront beaucoup du fil à retordre à un pauvre rabbin qui verra sa vie se transformer du tout au tout. 
Quel joueur ce Manuel Benguigui !  Après le placement des personnages dans une situation de départ, peut être improbable mais tellement machiavélique, il prend plaisir ensuite à imaginer, au fil de son écriture, leurs réactions. Et le lecteur se laisse embarquer, balayant sans sourciller quelques invraisemblances, pour ne garder que l'aspect (im)moral  de ce qui devient petit à petit une fable. Derrière la comédie humaine qui nous est offerte, apparaissent des interrogations variées qui bousculent un peu l'ordinaire. L'intrigue semble légère mais remue quelques fondements moraux où le mal et bien dansent sournoisement avec leur copain "Argent". Ces trois là enflammeront les têtes dans une valse de situations et de sentiments qui montreront la faiblesse de l'humain, même de ceux qui, avec la religion, paraissent mieux bâtis pour résister. Seul, peut être, l'art offrirait une porte de sortie acceptable ou possible pour ceux qui doutent ou errent dans des zones incertaines. 
Court et vif, " Un bon rabbin" procure un joli moment de lecture, où le plaisir du romanesque ne cède jamais totalement sa place à des interrogations philosophiques, donnant à ce livre un ton aussi guilleret que malicieusement profond. 



dimanche 3 mars 2019

Le zéro et le un de Ryan Ruby


Avant de continuer, petite définition du terme thriller : roman (policier ou d'épouvante) à suspense, qui procure des sensations fortes. (Le Larousse)
Donc quand l'éditeur de ce roman américain précise qu'il s'agit d'"un thriller d'initiation à la fois cérébral et sensuel d'une grande justesse psychologique" à quoi doit-on s'attendre ? Une histoire haletante, avec un jeune héros, une jeune héroïne tourmenté(e) qui va découvrir sans doute la vie, son côté noir mais aussi une partie plus sexuelle, le tout dans une histoire qui va nous faire tourner les pages avec frénésie ? On peut le penser ...mais y penser mettra le lecteur de "le zéro et le un" dans une attente qui, hélas le plongera très vite dans la déception, voire l'ennui. 
C'est vrai, le héros est un jeune étudiant, Owen, issu de milieu modeste, qui se retrouve à Oxford, boursier, certes dans l'université la moins coté ...mais à Oxford où circulent tant de filles et de fils à papa. Très solitaire, il finira par devenir l'ami de Zach, un riche américain qui étudie comme lui la philosophie. Pour l'initiation, c'est bon, puisqu'il en perdra sa virginité et découvrira d'autres plaisirs que solitaires.... sans que pour autant le roman glisse dans un genre érotique. Pour la finesse psychologique, on a du grain à moudre : le malaise du pauvre face aux riches, la découverte de la sexualité, plus un autre gros point l'approche de la mort, sujet principal de l'histoire puisque l'ami développera de longues théories sur le suicide, théories dont on sait dès les premières pages qu'elles ont été mises à l'oeuvre. C'est ici qu'intervient le côté cérébral de l'affaire car, en plus de chapitres débutant par une sorte de petit paragraphe psycho/philosophique, l'auteur ne résiste pas à l'envie de glisser de longs dialogues où seront cités Platon ou Lévinas entre autres. L'intrigue, qui joue sur le mystère du suicide de Zach, s'en trouve considérablement alourdie, ralentie. Et même si cette déferlante de petites dissertations s'estompent dans la deuxième moitié du livre, il y a longtemps que la plupart des lecteurs ont été perdus. Quant à ceux qui poursuivent vaillamment, ils se partagent en deux parties : ceux qui n'avaient pas lu la quatrième de couverture et qui s'accrochent face à un roman essentiellement psychologique dont la dernière partie, plus abordable, ne devrait pas les impressionner car empêtrée dans une résolution un peu alambiquée et ceux, un peu masos, qui veulent lire ce qu'ils ont deviné depuis un bon moment et qui ne seront donc pas déçus par le final, mélange de culpabilité teintée de sexe et de religieux, franchement peu convaincant. 
Pour résumer, ce roman n'est pas du tout un thriller, car sans rythme, juste un petit roman psychologique un peu pédant mais surtout peu passionnant. 







samedi 2 mars 2019

Etat de nature de Jean-Baptiste de Froment


Quand on officie dans les arcanes du pouvoir ( conseiller de Nicolas Sarkozy, rédacteur du programme de Nathalie Kosciusko-Morizet, élu les Républicains de la ville de Paris entre autres), quand on rédige pour premier roman une uchronie politique faut-il y voir un roman à clefs ? Peut être...mais lorsque l'on se plonge dans "Etat de nature"  on n'y pense même pas. A la limite, ce département isolé, oublié de tous et en voie de désertification, lieu central de cette histoire, rappelle très vite la Creuse, mais cela reste le seul détail que l'on va chercher à découvrir. Les hommes politiques divers que ce soit Claude, le Grand Commandeur ou Barbara, la pulpeuse préfète, n'aspirent pas à cacher une personnalité connue. Jean-Baptiste de Froment  préfère sans doute utiliser ses nombreuses observations pour décrire des coulisses du pouvoir, ses rouages, ses manigances.
Dans cette fantaisie  où tout est improbable mais fleure bon le possible, les vieux députés imposent leur loi en obtenant des têtes pour placer des pions qu'ils estiment utiles, les vieux présidents ( ici une vieille présidente, signe que le roman est bien en avance sur son temps) semblent attendre la mort mais gardent toutefois quelques ficelles qu'ils tirent avec dextérité, les jeunes loups, s'ils ne virent pas dans un radicalisme qui mêle révolution et tentations écologiques, attende leur heure à l'ombre d'un vieux politicard. Rien de nouveau donc sous le soleil du pouvoir, sauf peut être, pour une fois, un humour léger qui court au fil des pages de cette histoire de lutte de pouvoir pour accéder à la première place de l'état.
"Etat de nature" possède le mérite de se lire facilement, agréablement, mais sans non plus un enthousiasme débordant. Le roman ne quitte jamais le chemin bien tracé pour lequel il est programmé. Les portraits pourtant bien brossés de ces briscards du pouvoir et l'apport d'un élément  pseudo historique ( un hilarant chevalier nommé Adamont Le Borgne), s'ils rendent le récit piquant, ne parviennent toutefois pas à le tirer vers une vraie originalité ( le "tous pourris" fait figure de thème).  S'il fallait en retirer quelque morale, celle-ci serait bien habituelle. Les couloirs des ministères, des préfectures, sont peuplés de requins sans foi ni loi, obsédés par un pouvoir qu'ils ne veulent surtout pas perdre et quand on est une jeune pousse à l'idéalisme bien trempé, l'avenir paraît bien sombre... Rien de nouveau en politique...ni dans ce premier roman pourtant bien construit.